Les préfets sommés de rentrer dans le rang

Préfecture des Yvelines à Versailles. © Velvet

La polémique autour du limogeage de la préfète d’Indre-et-Loire n’est que la face émergée de l’iceberg. Depuis le début du deuxième mandat Macron, les préfets, garants de la continuité de l’Etat, sont de plus en plus nommés selon des critères politiques. Rotation massive, notation, sélection de profils plus politiques, fin du concours : différents signaux témoignent d’une reprise en main de la fonction préfectorale. Au risque de menacer l’immuable neutralité de l’État.

Une préfète doit-elle choisir entre le respect de l’Etat de droit et la volonté des élus locaux ? C’est le dilemme qui a coûté sa place à Marie Lajus. La préfère d’Indre-et-Loire a en effet été relevée de ses fonctions et non uniquement mutée comme cela est traditionnellement le cas. Selon le Canard enchaîné, cette décision est la conséquence directe de l’insatisfaction d’élus locaux de droite, mécontents de plusieurs décisions de la préfète. Fait inédit dans la Ve République, cette dernière a fait l’objet d’une pétition de soutien d’élus, y compris de son précédent département. Comment interpréter une telle décision ?

La préfète semble avoir payé principalement son refus de céder aux exigences du maire de Reugny – près de Tours – et de l’entrepreneur Xavier Aubry. Ces derniers souhaitaient construire un bâtiment futuriste hébergeant un incubateur de start-ups en rasant partiellement un bois sur le domaine d’un site classé. Atteinte à l’environnement, menace d’un bâtiment historique : tous les ingrédients étaient réunis pour un tel refus. Las, la pression des élus locaux classés à droite a eu raison de son affectation. Outre l’appétence des macronistes pour la start-up nation, la volonté de Renaissance d’attirer des élus issus de la droite traditionnelle pour renforcer ses assises locales a sans doute également joué. Enfin, bien qu’il affirme qu’il ne s’agit pas d’une décision politique, le ministre de l’Intérieur apparaît comme l’un des candidats à la succession d’Emmanuel Macron en 2027, et est donc soucieux de s’attirer les faveurs et les précieuses signatures des élus locaux.

Le relèvement de la préfète d’Indre-et-Loire est symptomatique d’une reprise en main politique du corps préfectoral, un symbole de notre histoire administrative.

Cet épisode est symptomatique d’un mouvement plus large dans l’administration préfectorale. Observé sur l’ensemble du territoire, il traduit une reprise en main politique de cette fonction qui, depuis sa création par Napoléon en 1800, relève tout à la fois d’une dimension administrative et politique. À l’époque, le préfet dispose de pouvoirs étendus de sorte à accompagne le déploiement du nouveau régime sur tout le territoire. Depuis, en représentant de l’État dans chaque département, le préfet est à la fois la courroie de transmission de l’action gouvernementale et le garant du bon fonctionnement de l’administration. Aussi, il s’agit du seul fonctionnaire dont les missions sont définies dans la Constitution.

La fin de la spécificité de la préfectorale

Rompant avec cette longue tradition, le pouvoir actuel a décidé de mettre fin à la spécificité de la fonction préfectorale. Depuis le 1er janvier 2023, cette fonction n’est plus l’apanage des seules personnes disposant de ce statut, et nommées en conseil des ministres. En l’espèce, les effectifs de la fonction préfectorale avaient déjà diminué ces dernières années. Par ailleurs, les fonctionnaires ne pourront plus à terme plus occuper une fonction préfectorale plus de 9 ans, afin d’encourager le renouvellement des préfets. Des changements qui s’inscrivent dans une réforme plus large de la haute fonction publique, qui a notamment abouti à la suppression de l’ENA et de certains « grand corps », non sans susciter des oppositions, comme cela a récemment été le cas lors d’une grève rarissime au Quai d’Orsay.

Derrière le symbole – la mise en cause d’un corps constitué – et le souhait d’ouverture, des menaces se drapent. D’abord, cette réforme risque d’entraîner une perte de compétence des futurs préfets si le gouvernement sélectionne des profils peu rompus aux logiques de fonctionnement de l’Etat. Or, cette fonction revêt à la fois une dimension technique et de gestion politique forte, raison pour laquelle un concours spécifique était nécessaire pour l’exercer. De plus, la fin de l’esprit de corps et de la garantie d’être nommé quelque part conduit à une dépendance totale des préfets à l’égard du pouvoir, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. Les préfets seront moins des traits d’union entre les départements et le pouvoir central, mais plutôt des agents d’exécution. Enfin, tenus par le besoin de quitter leur fonction au terme des neuf ans, ils seront incités à servir le pouvoir pour préparer leur reconversion. Là où jusqu’à présent, des préfets « indépendants » prenaient uniquement le risque d’une mauvaise affectation, dans un département jugé moins prestigieux.

Suppression de leur spécificité, notation, rotation : les préfets sont affaiblis par les réformes et leur neutralité gravement menacée.

Cette reprise en main de la fonction préfectorale la fait donc basculer vers son pan le plus politique. En 2021, le gouvernement Castex avait déjà annoncé une refonte de l’évaluation des préfets. Leur notation reposera désormais sur la bonne mise en œuvre de réformes incontournables du gouvernement, telles que le plan France Relance. Ce système rend les préfets personnellement responsables de la réussite de la politique du gouvernement, sans prise en compte des moyens alloués. En outre, il traduit une défiance inédite à l’égard de la loyauté de ce corps de hauts fonctionnaires. Les résultats de cette évaluation ne sont en revanche pas publics.

Peut-être une conséquence de ce système, environ la moitié des préfets (47) a changé d’affectation depuis le 1er janvier 2022. Un mouvement de rotation inédit en l’absence d’alternance politique à l’Elysée ou à l’Assemblée nationale. Les nominations atteignent même les deux tiers du corps depuis 2021. Ceci signifie que les fonctionnaires en place ont eu peu de temps pour se familiariser avec leur territoire et se forger une légitimité propre, ce qui les rend encore plus dépendants du gouvernement en place.

Une fonction administrative de plus en plus politique

Certes, les profils choisis ont toujours reflété une certaine orientation politique. Par le passé, les préfets se repartissaient entre fonctionnaires plutôt marqués à droite ou plutôt classés à gauche. En fonction de leur passage dans les cabinets ministériels et de l’historique de leur promotion, une certaine tendance pouvait en effet être définie. Toutefois, la tradition voulait que, issus de la haute administration, ils préservent à l’extérieur leur neutralité. Ce principe a volé en éclat.

Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un secrétaire d’État a ainsi retrouvé un poste de préfet. Cette illustration des passerelles entre monde politique et fonction préfectorale constitue un fait sans précédent, traduisant une politisation croissante de la fonction. De récentes nominations ont également entraîné des polémiques, comme celle de Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement devenu préfet de Paris et celle de Régine Engström, préfète du Loiret, visée par une enquête pour prise illégale d’intérêts. L’apparent volonté d’ouverture et de modernisation de la fonction publique bénéficie donc en premier lieu à des proches du pouvoir.

Cette révision s’accompagne de nominations plus politiques. Les préfets doivent-ils servir l’intérêt général ou celui du pouvoir en place?

Si l’essentiel des contingents préfectoraux sont toujours issus de l’ENA (au moins 57 préfets), le souhait d’affaiblir la haute fonction publique, décrite par Emmanuel Macron comme l’incarnation d’un « État profond » ne doit duper personne. Derrière des accents populistes, il s’agit de resserrer le contrôle sur un rouage essentiel de la machine étatique. On rappellera ici que les préfets sont notamment en charge du maintien de l’ordre, devenu stratégique depuis les gilets jaunes. Cette mise en cause du principe de neutralité de l’administration vise donc à la fois une certaine mise au pas de l’Etat déconcentré et la satisfaction des intérêts politiques locaux.

Les préfets sont-ils en sursis ? Ceux que l’on a connu peut-être. Outre les conséquences potentielles sur la répression des mouvements sociaux, le choix de les transformer en agents du pouvoir présentent d’autres inconvénients. Tout d’abord, la dépendance au pouvoir central et la volonté de satisfaire tel ou tel élu local ouvre la porte à toutes sortes de pratiques à la limite de la légalité, comme le rappelle le cas de Marie Lajus. Cette politisation se traduit aussi par une judiciarisation des relations avec les élus locaux, qui s’observe notamment vis-à-vis des mairies marquées à gauche, comme celles de Poitiers ou de Strasbourg, dirigées par EELV. Enfin, l’indépendance des préfets permettait au pouvoir d’avoir une mesure fiable de l’état d’esprit dans les territoires. Les rapports préfectoraux, si précieux pour l’analyse historique, risquent de devenir de moins en moins objectifs, afin de flatter le pouvoir en vue d’une future promotion. In fine, cette évolution pourrait donc entraîner la renaissance d’un esprit de cour, à l’inverse du principe républicain en place depuis des décennies.

Consultation démocratique contre barons locaux : récit d’un combat politique à Dijon

@Arts Dijon

Le projet de la Majorité Silencieuse 21 ? Réaliser une consultation démocratique en coopération avec les mairies de leur circonscription, pour connaître l’avis de la population sur le RIC mais aussi sur l’idée d’une assemblée constituante. Une initiative ambitieuse et pacifique qui devrait plaire aux institutionnels qui déplorent les violences du samedi. En réalité, pas vraiment : découvrez comment un projet de consultation démocratique est devenu le sujet d’un combat politique entre citoyens, État et barons locaux.


Notre rencontre avec les membres de La Majorité Silencieuse 21 se déroule dans le cœur historique de Dijon, rue Jean-Jacques Rousseau : quel meilleur auspice que ce philosophe ami de la démocratie directe, pour évoquer avec eux leurs projets en faveur du Référendum d’initiative citoyenne (RIC) ? Le RIC, rappelons-le, est un dispositif permettant à des citoyens, sur un sujet donné et s’ils sont en nombre suffisant, de saisir l’ensemble la population par référendum. Figurant au rang des principales revendications des gilets jaunes, notamment, le RIC qui est inscrit dans les textes d’une quarantaine de pays dans le monde, est à ce jour inexistant en France.

C’est l’une des raisons qui a poussé près de deux-cents citoyens à créer et rejoindre la jeune association côte-d’orienne : « On s’appelle La Majorité Silencieuse, non pas parce qu’on se considère comme la majorité mais parce qu’on souhaite la faire parler, » nous explique Stéphanie venue accompagnée de sa petite fille qui nous laisse très sagement à nos discussions d’adultes. À ses côtés, dans le petit café associatif où nous nous sommes assis, il y a également Pablo, le président de La Majorité Silencieuse. « Nous sommes a-partisans, car notre valeur commune, c’est la démocratie ! »

Un bon trimestre a défilé depuis leur création et nous voilà déjà à moins de deux semaines de leur premier grand saut : le 5 mai 2019, ils feront voter des milliers d’électeurs de la deuxième circonscription de Côte d’Or, à travers une consultation qu’ils organisent et animent eux-mêmes. Une initiative citoyenne qui ne s’est pas faite sans de nombreuses embuscades, tendues ici et là. Préfets, journaux, élus locaux, représentants de la Nation…Qui, dans notre République, pourrait bien en vouloir à des citoyens qui mettent leurs propres énergies et moyens au service d’un sursaut démocratique ?

Illustration sur la démarche de la Majorité Silencieuse ©La Majorité Silencieuse 21

 

« Devenir des citoyens adultes » : la genèse d’une initiative démocratique ambitieuse

Stéphanie et Pablo sont deux actifs, dans la force de l’âge. Ils se sont retrouvés ainsi que leurs comparses associatifs, dans le contexte du mouvement social actuel que nous raconte le président de l’organisme : « Je parle du mouvement des gilets jaunes, bien sûr. Au début, on se rencontrait les uns les autres, pendant ou en marge des manifestations. Il y a eu des réunions de gilets jaunes pour tenter de s’organiser. Rapidement, l’envie d’organiser une consultation citoyenne sur le RIC a émergé, et j’ai enlevé le gilet jaune. Je reste solidaire de leur mouvement, mais j’ai voulu quitter toute étiquette pour être solidaire avec tous les citoyens. » Car au sein de La Majorité Silencieuse 21, on trouve des gilets jaunes mais pas que, nous explique Stéphanie : « Des gens qui ne votent pas, des gens qui votent très à gauche, des gens qui votent très à droite. Beaucoup de fonctionnaires, de travailleurs indépendants et d’autoentrepreneurs. » Mais si ce n’est pas le gilet jaune, qu’est-ce qui rassemble ces gens ?

On assume et on donne un vrai rôle au citoyen. Sinon, on prend acte du fait qu’on n’est pas dans une démocratie.

Comme toujours dans l’engagement, on trouve à la racine des aspirations profondes et forcément très personnelles. Pour Pablo, c’est son éducation qui le met en révolte contre toutes les formes d’insincérité : « Avec la novlangue, on se retrouve avec des discours politiques qui disent tout et son contraire. À un moment, j’aimerais qu’on assume ce que l’on est : soit on est dans une démocratie, et à ce moment-là, on assume et on donne un vrai rôle au citoyen. Sinon, on prend acte du fait qu’on n’est pas dans une démocratie et on vit avec, mais alors là, on arrête de considérer le peuple comme étant à la racine de notre régime. » Cette volonté de cohérence entre le pouvoir et la responsabilité, Stéphanie la partage largement : « J’aimerais qu’on devienne des citoyens adultes, pleinement investis, et qu’on arrête de nous infantiliser en nous parlant constamment de pédagogie. » Un discours de transparence, aussi vertueux qu’ambitieux donc, mais concrètement ça donne quoi ?

Réunion Publique organisée par La Majorité Silencieuse 21 ©La Majorité Silencieuse 21

Le projet fondateur de leur association, c’est ni plus ni moins l’auto-organisation par les citoyens de la seconde circonscription de Côte-d’Or, d’une consultation de la population sur les sujets du RIC et mais aussi sur la convocation d’une assemblée constituante : « La constitution en démocratie appartient au peuple. Et on est convaincus que le référendum d’initiative citoyenne est une idée majoritaire mais qu’en est-il dans la réalité ? La seule manière, c’est d’organiser une consultation dans les règles, en commençant par là où nous sommes et où nous pouvons agir. » Avec pour base intellectuelle un penseur comme Hakim Löwe, les deux cents adhérents de l’association se lancent ainsi dans un véritable marathon : convaincre les 76 maires des communes de la circonscription de les laisser organiser cette consultation auprès de leurs administrés. Et l’aventure commence en fanfare : avec une quarantaine d’élus rencontrés en quelques semaines et très ouverts à l’idée, près de vingt-cinq réunions publiques organisées, ces citoyens bénévoles battent tous les records du Grand Débat National au niveau local. Tout semble donc sourire au bon déroulement de leur consultation du 5 mai 2019. Et pourtant…

Les choix proposés lors de la consultation du 5 mai 2019 ©La Majorité Silencieuse 21

Le pouvoir face à la consultation : incompréhension ou stratégie d’intimidation de l’État ?

« Il y a eu cet article dans le Bien Public (presse quotidienne régionale) qui a mis en lumière notre démarche, raconte Stéphanie. Et le préfet, il doit lire attentivement le journal local, parce que sa réaction a été immédiate. » Soudain, sans raison apparente, les portes des mairies cessent de s’ouvrir et les adhérents de La Majorité Silencieuse peinent à comprendre le phénomène. Finalement, ce sont les maires rencontrés eux-mêmes qui apportent une réponse à l’énigme : le préfet, Bernard Schmeltz, a écrit à chacune et chacun des édiles de la circonscription, pour leur interdire de contribuer à l’organisation d’un tel événement. « Le préfet utilise très malhonnêtement l’idée que nous organisons un RIC et que comme ce dispositif n’existe pas en droit français, la démarche est illégale. Sauf que nous n’organisons pas un RIC mais un vote sur le RIC, qui n’a qu’une valeur consultative ! »

Comment comprendre cette hostilité vis-à-vis d’un projet citoyen, purement consultatif, pacifique et démocratique ?

Quoiqu’il en soit, non seulement les services de la préfecture refusent de recevoir les membres de la Majorité Silencieuse, mais un certain nombre d’élus se retirent du projet, explique Pablo. « Il faut dire qu’il y a dans cette circonscription beaucoup de petites communes dont les maires ne disposent pas de service juridique pour les conseiller. Et puis il y a la peur de perdre des subventions ou du soutien de la part de l’État, quand les budgets locaux sont déjà très affaiblis… » Pour Stéphanie, plus que des arguments de mauvaise foi, la préfecture a mis en œuvre une véritable stratégie d’intimidation à l’égard des élus locaux. Comment comprendre cette hostilité vis-à-vis d’un projet citoyen, purement consultatif, pacifique et démocratique ?

Lettre du Préfet de Côte d’Or aux élus de la deuxième circonscription ©Fourni par la Majorité Silencieuse

Il faut dire qu’il y a dans la capitale bourguignonne, une certaine électricité autour de tout ce qui touche aux gilets jaunes : à quelques dizaines de mètres de la rue Jean-Jacques Rousseau où l’on se trouve avec Pablo et Stéphanie, il y a la rue de la Préfecture. Le lieu qui porte bien son nom est assiégé chaque samedi depuis plusieurs mois par les gilets jaunes du coin. Là, les forces de l’ordre dressent d’immenses barrières de métal, bloquent les ruelles avec leurs fourgons et leurs murs de boucliers. Là sont tirés fumigènes, pierres, balles de LDB et autres projectiles de la bataille urbaine. Et le RIC fait partie des revendications du camp fluo. Mais au-delà de cette confluence dans les réclamations, n’y-a-t-il pas une différence de méthode fondamentale du côté de la Majorité Silencieuse, une alternative absolument non-violente que l’État pourrait et devrait s’empresser de soutenir pour désamorcer la mécanique de violence ? Tel n’est pas le cas et force est de constater que les services de la préfecture ne sont pas les seuls adversaires du projet de consultation.

Confrontation entre gilets jaunes et forces de l’ordre, rue de la Préfecture à Dijon © Capture d’écran : InfoDijon

« Pour nous, l’essentiel est de favoriser une forte participation »

Dans une posture très républicaine, les membres de la Majorité Silencieuse ont souhaité ouvrir leur démarche au député de la deuxième circonscription de Côte-d’Or, Rémi Delatte (Les Républicains). Pour Stéphanie qui raconte leur rencontre, le représentant de la Nation a marqué son désintérêt pour le projet : « Pour lui, tout est déjà bien présent. Il suffit aux citoyens de prendre le temps de s’engager pour obtenir progressivement du pouvoir et de l’influence au sein des institutions démocratiques. Et puis il nous a expliqué qu’on n’a pas besoin du RIC puisqu’il y a déjà le Référendum d’initiative partagée (RIP). Sauf que dans le cas du RIP, ce sont encore les parlementaires qui sont à l’initiative : c’est incroyable qu’un élu connaisse aussi mal les mécanismes de ses propres institutions ! » Ici également plane le soupçon de la mauvaise foi.

Dans une ville où la mairie est l’ancien Palais des Ducs, les barons de la politique locale sont-ils prêts à partager le pouvoir avec leurs concitoyens ?

Du côté de la mairie dirigée par une coalition de socialistes, verts et centristes, l’accueil n’est pas plus chaleureux, nous raconte Pablo : « Nous avions réservé une salle à la maison des associations pour une réunion importante. Et finalement, j’ai été convoqué là-bas où on m’a expliqué que la réservation avait été suspendue. Du côté de la mairie, on m’a expliqué qu’on refusait de soutenir la démarche, tant officiellement que matériellement. » Là aussi, on peut s’étonner qu’une municipalité qui condamne et critique les violences liées au mouvement des gilets jaunes, qui frappent fortement le chiffre d’affaire des commerçants du centre-ville, ne soutienne pas une alternative apaisante à ce qui lui apparaît comme une agitation urbaine néfaste. Peur de la perte de contrôle politique ou aversion envers la démocratie directe ? Dans une ville où la mairie est l’ancien Palais des Ducs, les barons de la politique locale sont-ils prêts à partager le pouvoir avec leurs concitoyens ? Et la situation dijonnaise n’est-elle pas symptomatique d’une phénomène de paternalisme politique bien plus large ?

En tous cas, malgré l’opposition de l’ensemble des institutions politiques déconcentrées et décentralisées, les membres de la Majorité Silencieuse ne se sont pas désarmés et ont réussi à mobiliser treize communes et leurs courageux édiles, représentant près de 7000 électeurs. Ensemble, ces maires ont fait une réponse rassurante au préfet de Côte d’Or en lui garantissant que les symboles de l’État seraient laissés à l’écart de la consultation du 5 mai. Pour Pablo qui a réussi à obtenir un passage pour témoigner sur France 3, l’objectif principal n’est pas d’obtenir un « OUI » massif en faveur du RIC ou de la convocation d’une assemblée constituante : « Pour nous, l’essentiel est de favoriser une forte participation, qui justifierait d’étendre la consultation à toute la circonscription et de créer des groupes pour débuter un travail de constituants. »

La Majorité Silencieuse 21 porte ainsi un courageux combat au niveau local, mais pour bien en comprendre toute la teneur, il est intéressant de comprendre comment cette démarche s’inscrit dans une dynamique plus globale.

La Mairie de Dijon est aussi l’ancien Palais des Ducs de la capitale historique de la Bourgogne ©François de Dijon

Grand Débat versus Vrai Débat

Stéphanie passe affectueusement son bras autour des épaules de sa fille. « Je pense à elle, je pense aux générations futures, il y a la question fondamentale de l’écologie : on a besoin d’un grand réinvestissement collectif pour faire face à cela. Et puis, si notre foyer est épargné par les difficultés de fin de mois, je suis d’autant plus préoccupée par la question sociale que je vois ma mère, qui est une retraitée frappée par la précarité. Réinventer le logiciel démocratique à tous niveaux, c’est une question de solidarité pour tous les citoyens et toutes les générations. »

Pablo reprend : « Vous voyez, j’ai des potes macronistes avec qui on parle de ce que je fais. Ils me disent : ouais, tout ce que tu fais, c’est très bien techniquement, tout est réalisable et bien pensé, mais nous, ça ne nous arrangerait pas que ça fonctionne donc on ne participera pas. Ce qui me fait penser que dans La Majorité Silencieuse, on trouve de tout politiquement, sauf des macronistes. » La discussion s’oriente alors sur le Grand Débat et peu étonnamment, l’opération n’a pas conquis le cœur de Stéphanie : « Toutes les questions sont biaisées sur le Grand Débat. On me demande de choisir entre des pâtes et des spaghettis alors que moi, je veux des haricots verts. Pour ma part, j’ai participé au Vrai Débat, et les 59 revendications qui sont ressorties n’étaient pas du tout les mêmes puisque la discussion était ouverte et que les gens ont pu proposer et voter directement. »

Ailleurs en France, émergent des initiatives similaires à celle de ces dijonnais passionnés de citoyenneté.

En direct sur son téléphone, Pablo découvre la fuite sur les potentielles décisions d’Emmanuel Macron suite au Grand Débat, et il fulmine : « Ça me rend dingue ! C’est vraiment de la communication. Il propose de simplifier le référendum d’initiative partagée mais ça ne change rien au fond, les citoyens ne pourront toujours pas initier les mesures. Il propose moins d’impôt alors que ce qu’on veut, c’est juste davantage de justice et une meilleure utilisation de notre argent. Il reprend les mots et le langage de la contestation pour les détourner. Mais c’est que de la com’, c’est des phrases pour plaire. Franchement, j’ai honte… Oui, c’est fou, j’ai honte du président de la République ! » Ailleurs en France, émergent des initiatives similaires à celle de ces dijonnais passionnés de citoyenneté : on peut s’attendre ainsi à des convergences au-delà de l’échelle locale, signe que l’aventure démocratique en France est loin d’être terminée. Le pouvoir de la multitude est-il possible ? Les urnes de la consultation redonneront-elles à Pablo, Stéphanie et leurs compagnons de routes, fierté et confiance dans la démocratie ? Début de réponse au soir du 5 mai.

Document de communication au grand public ©La Majorité Silencieuse 21