Retraites : en marche vers la régression

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Emmanuel Macron en meeting ©Austrazil pour Wikimedia

Le 2 Décembre dernier, Bruno le Maire, ministre de l’Économie  a de nouveau marqué son soutien envers la réforme des retraites prévue par le gouvernement et visant à remplacer le système actuel par un système à points. Réaffirmant que cette réforme n’entraînerait aucun perdant, elle serait par ailleurs le meilleur moyen d’assurer la « justice et l’égalité » d’un régime de retraite aujourd’hui « à bout de souffle ». Pour autant ces deux affirmations sont largement erronées pour une réforme bien plus idéologique que pratique.


 

UNE RÉFORME, DES RECULS SOCIAUX

Il est tout d’abord nécessaire de se rendre compte de l’aspect socialement rétrograde de cette réforme. Si elle n’entend théoriquement pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite, l’âge légal auquel celle-ci peut être perçue à taux plein passe néanmoins à 64 ans avec 5% de pénalité par année manquante, ce qui constitue donc immanquablement une augmentation déguisée de l’âge de départ à la retraite à taux plein. Par ailleurs, dans la mesure où le taux d’emploi des 60-64 ans n’est à l’heure actuelle que de 32,5%, il y a fort à parier que ces obligations de cotisations supplémentaires ne puissent dans les faits pas être tenues par une part importante de la population, ce qui entraînerait mathématiquement une baisse de leur pension de retraite et une augmentation du taux de pauvreté. Contrairement à l’imaginaire façonné par les médias, les fins de carrière des plus de 50 ans ne sont dans de nombreux cas pas choisies mais subies. Les difficultés pour retrouver un emploi après 50 ans – près de 40% des demandeurs d’emplois de plus de 50 ans le sont depuis plus de deux ans – poussent toute une catégorie de la population à partir à la retraite avant l’âge légal, et donc, à ne pas avoir une retraite à taux plein. Le recul de cet âge ne fera que renforcer cette situation. De même, la promesse d’une pension de 1000 euros minimum cache la nécessité d’avoir cotisé tous ses semestres, ce qui est particulièrement compliqué en contexte de chômage de masse, en particulier pour les femmes.

Par ailleurs concernant l’argumentaire gouvernemental du refus d’une réforme « qui fasse des gagnants et des perdants », force est de constater que cette réforme fera très peu de gagnants. À terme, cette réforme conduira nécessairement à une baisse des pensions de retraite, pour deux raisons. Tout d’abord, alors qu’auparavant la retraite était calculée sur la base des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois d’activité (donc forcément les plus rémunérateurs) dans le public, c’est désormais l’ensemble du parcours professionnel qui servira à établir le montant de la pension de retraite. Si la valeur du point était ainsi fixée à 0,55€, la retraite de certains fonctionnaires, tels que les enseignants, baisserait de 300 à 1000€ par mois. Le rapport Delevoye propose ensuite de plafonner à 14% du PIB les dépenses de retraite. Si à l’heure actuelle, la croissance économique permet d’absorber l’augmentation des dépenses due à l’accroissement du nombre de départs à la retraite, une baisse de la croissance ou une modification de la démographie entraînerait une baisse mécanique des pensions de retraite. Plutôt que de soutenir l’activité économique – et donc l’emploi – et la natalité par de meilleurs salaires, le gouvernement préfère donc poursuivre la spirale austéritaire.

Cette réforme est par ailleurs largement créatrice d’incertitudes majeures quant au futur et porte les germes de l’individualisation de la protection sociale. Dans les faits le rapport Delevoye remet entre les mains du gouvernement et du Parlement, à travers la loi de financement de la Sécurité sociale, l’ensemble des décisions stratégiques, laissant ainsi la possibilité au système des retraites de devenir une variable d’ajustement budgétaire.

Plus fondamentalement encore, le fait que la valeur du point puisse évoluer au fil du temps, place le salarié devant l’incertitude la plus totale concernant le montant futur de sa pension.

Enfin si l’on reste avec cette réforme dans un système par répartition, les prémices d’un système de retraites par capitalisation sont bien présents. D’une part le plafonnement des cotisations retraite à 120 000€ de revenus annuels contre plus de 320 000€ aujourd’hui va indéniablement pousser ces hauts salaires à se tourner vers des formes additionnelles de retraites par capitalisation. Cela peut par ailleurs être également le cas pour des salariés moins bien payés mais craignant, à juste titre, que le système de base ne leur fournisse pas une retraite suffisante. Or le système par capitalisation n’en finit plus de nous montrer des exemples de problèmes de fonctionnement, comme tout récemment aux Pays-Bas. Dans le contexte d’une politique monétaire expansionniste, comme c’est le cas en Europe depuis la crise des dettes souveraines, les taux d’intérêt des actifs considérés comme sûrs (les titres de dettes souveraines par exemple) ne sont plus suffisamment rémunérateurs et poussent ainsi les fonds de pension à puiser dans leurs réserves pour continuer à verser les retraites aux cotisants. Pourtant, comme le démontre une note produite par le laboratoire d’idées L’Intérêt général, d’autres projets égalitaires et justes sont envisageables, tout en maintenant le système par répartition à l’équilibre

L’INDIVIDUALISATION DE LA PROTECTION SOCIALE

Mais plus fondamentalement encore, en créant de l’incertitude sur le futur plutôt qu’en la supprimant, cette réforme revient sur les fondements même du système de protection sociale. En effet, le but de la Sécurité Sociale, au sens large du terme, était de réduire l’inégalité fondamentale existant entre les individus richement dotés en capitaux de toutes natures et ceux ne l’étant pas. Alors que les premiers avaient toutes les ressources personnelles pour se confronter aux aléas de l’existence, les seconds se trouvaient dans l’incapacité d’y faire face. Cette réforme s’inscrit ainsi pleinement dans la dynamique de décollectivisation analysée dans les travaux de Robert Castel.

L’ère du néolibéralisme est avant tout celle de la responsabilisation forcée de l’individu, obligé de gérer son existence en dehors des institutions créées jusque-là pour assurer sa protection.

Car c’est bien sur cet aspect idéologique que se joue cette réforme, et non sur un terrain uniquement technique et pragmatique comme le gouvernement le prétend. D’une part, celui-ci pointe largement du doigt l’iniquité du système de retraite actuel, composé de 42 régimes spéciaux, dont certains, il est vrai, sont plus avantageux que d’autres. Cela masque largement le fait que 90% des citoyens rentrent dans le régime général, le « problème » des régimes spéciaux n’est donc pas seulement minoritaire, il est marginal. D’autre part, les problèmes financiers mis en scène par le gouvernement sont largement fantasmés. Si l’on se fie aux prévisions du Conseil d’Orientation des Retraites, dans un contexte de croissance économique équivalente à celle que nous connaissons aujourd’hui, la part des retraites dans le PIB n’est pas amené à augmenter dans les prochaines décennies. Quant aux recettes, ces dernières ont été amputées ces dernières années par des décisions politiques telles que le non-remplacement des fonctionnaires (qui cotisent davantage) ou le non remplacement des exonérations sur les heures supplémentaires. Autant de mesures qui pourraient donc être défaites. D’autre part, comme le révélait l’économiste Gilles Raveaud, le Fond de Réserve des retraites mis en place sous Lionel Jospin, possède 35 milliards d’euros de réserve, les caisses complémentaires Agirc-Arco possèdent pour leur part un excédent de réserve de 116 milliards, une manne financière pouvant à coup sûr compenser les déséquilibres passagers d’un système qui jusqu’à l’année dernière était toujours à l’équilibre !

UNE MOBILISATION CONTRE LA RÉFORME « ET SON MONDE »

Si la réforme ne revêt donc pas un aspect technique mais idéologique, celui du néolibéralisme économique, qui depuis les années 1980 n’en finit plus de frapper les différents secteurs de la société, la mobilisation qui démarre ce 5 décembre semble être bien davantage qu’une contestation de points techniques d’une réforme. De la même manière que les mobilisations du printemps 2016 étaient dirigées contre la loi El Khomri « et son monde », il est frappant de constater à quel point de nombreux secteurs de la société appellent à se mobiliser sur cette réforme : SNCF, RATP, membres de la fonction publique hospitalière, membres de la fonction publique territoriale, justice, éducation nationale, pompiers… Si chaque secteur, pris individuellement, était déjà en proie à des problématiques particulières mais sectorielles (et quel meilleur exemple à ce niveau que celui des personnels hospitaliers), « l’intérêt » de cette réforme est qu’elle n’isole pas dans la mobilisation les champs d’activité comme c’est traditionnellement le cas.

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Nuit Debout au printemps 2016 ©Olivier Ortelpa, Wikimedia Commons

Dès lors, l’espoir d’une convergence des luttes semble permis. À l’heure actuelle le mouvement est d’ailleurs soutenu par une large partie de l’opinion – les deux tiers des Français si l’on en croit le dernier sondage de l’IFOP – et par des profils sociologiques extrêmement divers. Gageons que les différents acteurs à l’origine de ces mobilisations ne perdent pas de vue l’intérêt collectif et supérieur de cette lutte.

 

Réforme de l’éducation : bonnet d’âne pour Jean-Michel Blanquer

S’il est un ministre qui fait peu parler de lui et qui parvient à conserver une certaine popularité, il s’agit de Jean-Michel Blanquer. Ancien directeur de l’ESSEC et directeur de l’enseignement scolaire auprès de Luc Chatel sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il n’essuie que peu de critiques au fil de ses réformes, qu’il mène en martelant une volonté de « retour à l’excellence » ou encore de « liberté ».


L’année scolaire 2018-2019 se situe « dans le sillon » de « l’école de la confiance » selon les dires du ministre. Pour comprendre la philosophie qui sous-tend les réformes actuelles, un tour d’horizon et un décryptage des réformes passées ou en cours sont nécessaires. Celles qui sont actuellement menées par l’actuel ministre de l’Education Nationale étaient déjà augurées dans son ouvrage programmatique L’Ecole de demain (Odile Jacob, 2016)notamment à travers la réorganisation des filières et des séries, et la refonte du baccalauréat.

Une réforme de la filière professionnelle à rebours des enjeux actuels

C’est ainsi sous une relative indifférence que le personnel des établissements professionnels s’est mobilisé contre la réforme de leur filière, le jeudi 27 septembre 2018. Cette réforme avait vu sa trame annoncée au mois de mai dernier sans pour autant susciter l’enthousiasme des syndicats et des professeurs. Elle remet en effet en cause la philosophie même de cette filière souvent dévalorisée, mais concernerait pourtant 38% des lycéens.

Tout d’abord, un recours accru à l’apprentissage en dehors des salles de classe émergerait, ce qui entraînerait mécaniquement une diminution du volume horaire des enseignements. Cette diminution peut être estimée à une perte de 60 heures par an pour ce qui est des enseignements dits “professionnels”, et une baisse de 276 heures dans les enseignements “généraux” comme l’histoire-géographie ou encore le français. Cette diminution pose plusieurs problèmes et la refonte de la filière ne garantit pas sa revalorisation.

La réforme permet également d’envisager des suppressions de postes et sous-tend un rapport éminemment utilitariste aux disciplines « générales ». En effet, là où l’histoire-géographie, les langues vivantes ou encore le français participent de l’épanouissement et de la formation de l’esprit critique d’un citoyen en devenir, leur diminution et la mise en place d’heures dites en « co-intervention » vont à l’encontre de cette conception. Ces dernières lieraient les enseignements généraux et professionnels, orientant par exemple les cours de français vers la rédaction de lettres de motivation. L’origine sociale déterminant très largement le choix des filières (46% des enfants issues de familles ouvrières ayant choisi le bac professionnel en 2012 contre 10% des enfants de cadres supérieurs selon une enquête de l’Observatoire des inégalités), ce sont des catégories déjà fragiles qui verront leur accès à un bagage culturel émancipateur restreint.

Si l’accès à l’enseignement supérieur était chose peu aisée pour les lycéens issus des filières professionnelles, comment prétendre à des passerelles avec la définition d’attendus sur la plateforme Parcoursup ? Malgré la restriction engendrée par ces attendus, les bacheliers des filières professionnelles ne seront pas pour autant prêts à rejoindre le monde du travail une fois le baccalauréat obtenu.

La spécialisation de ces bacheliers sera par ailleurs reculée d’un an. Elle n’interviendra plus qu’à l’entrée en classe de première, la classe de seconde proposant une découverte de « familles de métiers ». Le bac professionnel avait déjà vu sa durée raccourcie d’un an en 2008 en étant passé d’une formation en 3 plutôt qu’en 4 années (deux années de BEP suivies de deux années de Bac pro). Avec une formation résolument plus générale et déjà assez courte, c’est finalement l’insertion professionnelle dans un contexte de chômage élevé qui va être rendue plus difficile. Si les « familles de métiers » (hôtellerie-restauration ou encore relation client pour ne citer qu’elles) ont ceci de rassurant qu’elles laissent un choix apparent, elles ne donnent finalement qu’un aperçu scolaire là où la technicité attendue est grande et nécessite du temps. À l’heure où émergent de nouvelles professions et de nouveaux besoins liés notamment aux enjeux climatiques, aux nouvelles énergies qui constituent des domaines d’avenir et sur lesquels il est salutaire d’agir, ne serait-ce pas sur les vocations et leur précision qu’il faudrait au contraire se focaliser?

Un baccalauréat à la carte : à la recherche du lycéen economicus ?

La réforme du baccalauréat simplifie un examen souvent jugé complexe et coûteux. Cependant, elle modifie le rapport du lycéen à sa scolarité en créant un « parcours à la carte » qui a pour conséquence d’individualiser tant la réussite que l’échec.

Les élèves auront ainsi à choisir entre deux enseignements de spécialité en seconde, trois en première et finalement deux en terminale. Cela implique un nombre de combinaisons, de stratégies importantes : 36 combinaisons en seconde, 265 en première et enfin 57 en terminale en omettant les options. Si un élève indécis n’a pas pris telle ou telle option, il pourra se voir refuser l’accès à certaines formations dans le supérieur du fait de la mise en place d’« attendus » par Parcoursup. Cela induit une forte inégalité entre les grands établissements, qui pourront proposer un large panel d’enseignements, d’options (comment faire tenir dans un emploi du temps autant de possibilités ?) et les autres.

Une inégalité qui se répercute directement sur les élèves. Certains pourront ainsi bénéficier des conseils et arbitrages tant des parents que du personnel éducatif là où d’autres seront encore davantage livrés à eux-mêmes. Les acteurs pourront dès lors se rabattre sur les combinaisons perçues comme « sûres » et reconstitueront de fait les filières qui existent actuellement : si un bac scientifique avec une spécialité mathématiques constitue aujourd’hui la filière dite « reine », pourquoi se risquer à faire des choix optionnels et des combinaisons risquées ? Aussi, les asymétries d’informations et de moyens pourront, si elles ne rendent pas inefficaces la réforme, créer d’importantes inégalités entre les élèves. Les filières actuelles présentent des limites et sont souvent remises en cause, mais l’individualisation des parcours finalement en conformité avec le projet macroniste peut à terme induire une forme de sélection induite et légitimée par de « mauvais » choix qui auraient été faits en amont dans la scolarité, là où la relative uniformité des filières protège.

A cela vient s’ajouter une dose de contrôle continu dans les épreuves du baccalauréat. Le temps accru consacré aux évaluations induit mécaniquement une diminution des heures d’enseignement. Si une commission académique aura en charge l’harmonisation des notes, le risque est de rapporter la note à l’établissement et à son prestige, là où l’épreuve nationale atteste des compétences acquises par les lycéens et ce, indépendamment de leur établissement d’origine. C’est donc à terme un baccalauréat estampillé par tel ou tel établissement qui sera délivré.

Des vertus du dédoublement des classes

Lors de sa conférence de presse du 29 août 2018, Jean-Michel Blanquer s’était félicité des dédoublements des classes qui recevait une approbation qui dépassait « tous les clivages politiques ». Au total, 87% des communes sont parvenues à dédoubler physiquement de REP+ et de CP en 2017. Cette mesure a été étendue aux classes de CE1 dans les zones considérées comme difficiles soit 190 000 écoliers. Partant du constat que 20% des élèves ne maîtrisent pas les « fondamentaux » au sortir de l’école primaire, ces dédoublements ont pour objectif de renforcer le suivi des élèves. Ils supposent le redéploiement de professeurs dans les établissements, au moment même où des suppressions de postes ont été annoncées. Si cette mesure a en soi permis à certains élèves de progresser, les redéploiements à l’heure d’une crise des vocations et dans un contexte plus large de suppression de postes pose problème.

Le ministre avait annoncé en effet la suppression de 1 800 postes dans l’Éducation Nationale quelques jours avant la rentrée scolaire, soit 0,2% des emplois du ministère. Pour compenser cela, il suggérait la mise en place d’heures supplémentaires qui sont exonérées de cotisations salariales. Ces suppressions de postes se rattachent plus largement au programme porté par Emmanuel Macron et rappelé par Édouard Philippe à la rentrée, à savoir « supprimer 50 000 postes à l’horizon 2022 ».

Aussi, ce double mouvement de réduction des effectifs et de suppression de postes justifié par la volonté de rendre plus efficace et de moderniser l’action de l’Etat permet de déceler l’aporie des politiques issues du New public management : il reconnaît en effet la nécessité d’un suivi accru, de plus de moyens pour permettre la réussite de chacun, là où les suppressions de postes, le recours toujours plus important au numérique (qui occupe une place importante dans le rapport Cap 22) viennent défaire un lien social déjà fragilisé.

Des territoires mis en concurrence ?

“Les territoires ruraux ne doivent plus être la barrière d’ajustement. Il n’y aura plus aucune fermeture de classe dans les écoles rurales” avait déclaré Emmanuel Macron en juillet 2017. Pourtant, plusieurs centaines de classes vont être fermées en zones rurales à la rentrée prochaine. Une promesse en passe de ne pas être tenue ? Un premier test pour Jean-Michel Blanquer en tout cas, au vu de la contestation suscitée par cette annonce.

Dans son discours du 18 juillet 2017 au Sénat, le Président Macron avait en effet promis que les fermetures de classes dans les zones rurales cesseraient, tout en investissant dans l’école avec le dédoublement des classes de CP et CE1 en zone REP et REP+. Christophe Castaner avait d’ailleurs insisté sur cette annonce, précisant qu’elle prendrait effet dès la rentrée scolaire 2017. En ce sens, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est présenté sur ce dossier comme un fervent défenseur des écoles rurales, tout en annonçant dans le même temps la fermeture de 200 à 300 classes à la rentrée. Le ministre précisait également qu’à l’échelle nationale, « on ouvrait plus de classes qu’on en fermait ». Le solde officiel arrêté le 12 mars fait pourtant état de 783 ouvertures pour 990 fermetures dans les 45 départements les plus ruraux, réalité d’autant plus problématique que les ouvertures se concentrent dans les villes de ces départements, selon les syndicats.

Il est intéressant de noter que cette décision semble unanimement condamnée par l’opposition : à l’Assemblée nationale, des députés Les Républicains, dont le vice-président du parti Guillaume Peltier, mais aussi de La France insoumise et du Front national, se sont faits entendre ces dernières semaines, pour rappeler le président Macron à ses engagements pris l’été dernier. À la rentrée 2017, le dédoublement des classes de CP en REP+, en zone d’éducation prioritaire renforcée, a nécessité la création de 2 400 postes. En septembre 2018, cette mesure s’étendra aux CP en REP, aux CE1 de REP+ et REP, ce qui nécessitera, selon les syndicats, 7 200 postes en plus. Les syndicats ont recensé pour leur part jusqu’à 816 fermetures de classes rurales contre 183 ouvertures. Ils dénombrent parallèlement à ces fermetures l’ouverture de 3 642 postes dans les zones d’éducation prioritaires. Pour expliquer ces différences avec les chiffres du gouvernement, les syndicats pointent du doigt les fermetures de classes dans des zones rurales, mais qui ne font pas nécessairement partie des 45 départements considérés comme ruraux. À cette guerre des chiffres correspondent en effet des manques de moyens croissants sur le terrain. Pour la secrétaire nationale du SNUipp, Francette Popineau, pourtant favorable au dédoublement des classes de REP, « ce qui est mal vécu, c’est la fermeture d’une classe à 15 élèves dans une école rurale et l’ouverture d’une classe à 12 à quelques dizaines de kilomètres, en éducation prioritaire ». Elle regrette par ailleurs le fait que « le ministère met en concurrence les enfants des champs et les enfants de villes ».

« Des collèges qui ont moins de 30 élèves par classes, ce n’est pas bon, même pour les élèves »

Le gouvernement justifie néanmoins ces décisions par la baisse de la démographie : à la rentrée 2018, 32 000 élèves de moins rentreront en maternelle, une baisse d’autant plus sensible dans les zones rurales. À cet argument s’oppose le sentiment des parents, qui ont l’impression de payer notamment pour les fameux dédoublements des CP et CE1 en REP, mesure phare du gouvernement. En Touraine, le président a déclaré que « des collèges qui ont moins de 30 élèves par classes, ce n’est pas bon, même pour les élèves ». Un nombre qui s’avère déjà très élevé et qui remet en cause le suivi des élèves.

Emmanuel Macron affirmait en préambule de son programme que « face aux multiples défis auxquels la France et les Français sont confrontés, l’école est le combat premier. Seule l’éducation pourra garantir la cohésion sociale et la prospérité ». Le candidat y dénonçait également le creusement des inégalités à l’école et la place croissante du déterminisme. Sans exclure cette promesse de fermer des classes, la question se posait dès lors de réduire ces inégalités. En effet, ces fermetures de classes, quand il ne s’agit pas de fermetures d’écoles, vont avoir pour conséquence d’augmenter le nombre d’élèves par classe. En ce sens, le souhait de renforcer le lien entre les professeurs et les élèves va être difficile à exaucer. À terme, c’est la fermeture de certaines écoles qui est en jeu, et il incombera donc aux parents, dans les zones rurales, d’assurer le transport de leurs enfants dans des zones éloignées.

Des mesures qui remettent donc en cause l’égalité d’accès à l’éducation

Les services publics ont pour principes l’égalité, la continuité, la mutabilité et l’accessibilité, sur l’ensemble du territoire national. Ces principes ont de plus valeur juridique. Or, les fermetures de classes remettent justement en cause ces principes d’égalité, de continuité et d’accessibilité. La rupture d’égalité en termes de continuité introduit une discrimination entre ceux qui ont accès facilement au service et ceux qui en sont privés. La Charte française des services publics indique ainsi qu’« elle suppose aussi dans son acceptation actuelle la présence de services publics rénovés et polyvalents dans les zones rurales et les quartiers urbains en difficulté ». S’il ne s’agit pas de mettre en concurrence les enfants scolarisés dans les écoles rurales et les élèves de zones d’éducation prioritaires, on voit là une déclinaison de la stratégie qui consiste à rééquilibrer la situation en donnant à certains en prenant à d’autres. Cependant, cela va avoir des conséquences directes tant sur la qualité de l’enseignement que sur le bien-être des élèves, ce dernier étant bien évidemment corrélé à la réussite scolaire.

Sur le terrain, les projections ne sont donc pas optimistes, et le discours général du gouvernement sur la fonction publique, présentée comme un vivier d’économies par le gouvernement, ne rassure personne. Un dispositif « qui vampirise un grand nombre de postes au détriment des dispositifs de scolarisation de moins de trois ans, des remplacements mais surtout des dispositifs en territoire ruraux », déplorait sur Europe 1 Hervé-Jean Le Niger, vice-président national de la FCPE, fin février. De son côté, le député de la Somme François Ruffin, dans une interview à Marianne, rappelle qu’il était favorable à ce dédoublement des classes de CP et CE1, tout en dénonçant un « bricolage » de la part du gouvernement : « le problème, c’est qu’aucun moyen n’est dédié à la réalisation de cette mesure. Afficher des ambitions, trop d’ambition, sans mettre de moyens ce n’est pas sérieux. » Il faut dire que le département de la Somme affiche le deuxième plus haut taux de difficultés de lecture (17,5% de jeunes, derrière le département de l’Aisne à 17,7%, contre moins de 8% à Paris), et est l’un des départements à avoir le moins de candidats au baccalauréat. Pourtant, le gouvernement prévoyait d’y supprimer pas moins de 63 classes. Un chiffre finalement limité à 38 classes, à la suite de luttes de la part des syndicats et parents d’élèves. De telles fermetures de classes mettent à nouveau en scène un exécutif bradant les principes républicains d’égalité d’accès aux services publics, malgré ses déclarations d’intentions. Simplement pour préserver une mesure phare, emblématique de la campagne du candidat Macron. Quitte à fragiliser encore un peu plus le système éducatif français.

Les réformes de Jean-Michel Blanquer bénéficient d’un certain soutien notamment du fait d’une communication qui se concentre sur les dédoublements de classe et sur le recours perpétuel à l’idée d’un retour à l’excellence. Cependant, ces politiques qui reconnaissent les limites du système actuel sont toujours guidées et circonscrites par des objectifs d’économie ou d'”efficacité” budgétaire. Là où il faudrait augmenter le nombre de postes pour assurer un soutien plus individualisé et éviter l’échec, l’accent mis sur le primaire se fait au détriment du secondaire. Là où il faudrait mieux préparer les lycéens professionnels à des métiers qui changent, c’est en fait de la précarité en devenir qui est façonnée. Là où la liberté est mise en avant, c’est en fait l’esquisse d’une future sélection à l’entrée de l’Université qui émerge.

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