“Macron est le fondé de pouvoir de la classe dominante” – Entretien avec Bertrand Renouvin

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Poutine et Macron © Версаль

Fils de Jacques Renouvin, résistant royaliste mort en déportation, Bertrand Renouvin est un des fondateurs de la Nouvelle Action Royaliste, mouvement royaliste proche du gaullisme de gauche. Il est par ailleurs membre du Conseil économique et social, après avoir été nommé par François Mitterrand.


LVSL – Macron Pharaon, Macron Jupiter, Macron Roi soleil… Vous qui vous définissez comme royaliste et gaulliste de gauche, et qui avez voté Mitterrand en 1981, considérez-vous que Macron a assimilé la geste gaullo-mitterrandienne ou, pour paraphraser Hugo, est-ce plutôt « Mitterrand le petit » ?

Bertrand Renouvin – C’est encore difficile à analyser. Le nouveau président a produit un certain nombre d’images en rapport avec l’histoire de France et avec la monarchie – que ce soit au Louvre ou à Versailles lorsqu’il a reçu Poutine. Néanmoins, sa pratique des institutions n’est en rien gaullienne puisqu’il fait référence à Versailles qui fut le temple de la monarchie absolue. Ce type de régime a été détruit en 1789 par des révolutionnaires qui, d’ailleurs, ne contestaient pas la monarchie en tant que telle, mais le système de l’absolutisme et de la société d’ordres. Ils ont tenté de construire une monarchie parlementaire avec la Constitution de 1791 qui fut un échec. Le projet fut repris en 1814, avec succès puisque c’est dans le cadre de la monarchie royale qu’on a posé les règles du système parlementaire. La Constitution de la Vème République est dans le prolongement du système parlementaire qui s’est créé du temps de Louis XVIII et de Louis Philippe et qui s’est prolongé dans le cadre de la IIIème République et de la IVème République avec de graves inconvénients qui tenaient à la faiblesse du pouvoir exécutif.

La Constitution de 1958 a instauré le parlementarisme rationalisé – on fixe des bornes au pouvoir de l’Assemblée nationale – et c’est en 1962 que nous sommes passés, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, à ce que Maurice Duverger a appelé une monarchie républicaine. On élit au suffrage universel un chef d’État qui a des pouvoirs limités, définis à l’article 5 de la Constitution, en l’occurrence : le président veille au respect de la Constitution, il assure par son arbitrage la continuité de l’État ; il garantit l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire. En réalité, on peut avoir une pratique parlementaire de la Vème République car le chef de l’État n’est pas le chef du gouvernement et le général de Gaulle avait respecté cette distinction. Le régime s’est présidentialisé plus tard, au temps de Giscard et de Mitterrand, car l’organisation pyramidale unissant le parti dominant, le chef du gouvernement et le président de la République n’a cessé de se consolider.

Macron s’inscrit dans cette présidentialisation puisqu’il cherche à être le chef du gouvernement au détriment du Premier ministre. Donc il n’est pas revenu à une conception gaullienne des institutions. Avec la crise ouverte depuis la démission du CEMA Pierre de Villiers, on voit qu’il entend être le chef direct des armées et qu’il a une conduite autoritaire de l’État avec un parti qu’il voudrait soumis, un Premier ministre aux ordres et des ministres qui exécutent. Il est important de souligner que le ministre des Armées et celui des Affaires étrangères ont été quasiment inexistants dans la crise qui a eu lieu. C’est Macron qui assure l’ensemble de la conduite du pays, ce qui représente un danger.

LVSL – Qu’avez-vous pensé de sa posture le soir de sa victoire ? L’homme qui marche seul, la pyramide du Louvre, l’hymne la main sur le cœur…

B.R. – Personnellement, je ne crois pas à ce spectacle. C’est un des multiples signes de la montée en puissance des théories de la communication et de leur mise en pratique. Déjà du temps de Giscard et dans le Parti Socialiste mitterrandien, tout était communication. Au soir du second tour nous avons eu droit à un mélange de spectacle banalement parisien et de rappels historiques. Encore faut-il assumer l’Histoire de France telle qu’elle s’est développée, dans l’affirmation de sa souveraineté et du régime parlementaire. Si Macron était fidèle à la conception gaullienne de l’indépendance nationale qui prolonge une exigence multiséculaire dans notre pays, il sortirait de l’OTAN et des traités européens qui nous lient les mains. Au contraire, nous restons dans une logique de soumission à Berlin et à Bruxelles. Nous ne sommes pas non plus dans la continuité de notre histoire lorsque nous voyons que la fonction présidentielle se résorbe dans la volonté de puissance d’un super Premier ministre qui veut tout diriger et tout contrôler.

LVSL – Au-delà des symboles, la convocation du Congrès à Versailles juste avant la déclaration de politique générale du Premier Ministre a fait jaser. Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise sont allés jusqu’à boycotter l’événement, et ont reproché à Macron une dérive monarchique. Qu’en avez-vous pensé ? Était-ce un comportement monarchique ?

B.R. – Il faut s’entendre sur les termes. Nous sommes depuis 1962 dans une monarchie élective et parlementaire. Il n’est pas du tout dans l’esprit gaullien de s’adresser régulièrement aux parlementaires réunis en Congrès. C’est l’effet de la réforme de Nicolas Sarkozy en 2008, qui est contraire à l’institution parlementaire. Si le Président de la République prend l’habitude de s’adresser régulièrement au Congrès, on risque d’avoir quelque chose qui ressemblerait à l’adresse en réponse au discours du trône sous la Restauration : une mise en cause de la responsabilité du Président par les parlementaires. Là, on est clairement dans le n’importe quoi et dans l’absence de séparation des pouvoirs. C’est le gouvernement qui est responsable devant le Parlement, ce n’est pas le Président de la République. Ce sont deux modes d’élections qui sont différents : l’un étant issu de la souveraineté populaire, l’autre étant issu des élections législatives et d’une majorité parlementaire. Je crois que nous sommes plutôt face à une dérive autoritaire et non face à une dérive monarchique – sauf si on fait référence à Louis XIV.

LVSL – En parlant de Jean-Luc Mélenchon, celui-ci ne semble pas renier complètement le passé monarchique de la France. Il cite souvent Louis X et Philippe Le Bel, et leur rôle dans la construction de l’État, notamment l’édit du 3 juillet 1315 que l’on doit au premier : « Le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche ». Pour autant, la Révolution Française vient complètement disqualifier la monarchie à ses yeux : la fuite à Varennes, le manifeste de Brunswick, les émigrés de Coblence… Comme le dirait Marc Bloch, dans son essai Pourquoi je suis républicain ?, la monarchie n’est-elle pas disqualifiée par l’histoire de ses partisans, des émigrés de Coblence à Maurras, de la bataille de Valmy à la collaboration ?

B.R. – La monarchie n’est pas plus disqualifiée par ses partisans – qui ont été souvent catastrophiques – que le socialisme par l’attitude parfois lamentable de ses propres partisans – notamment les plus récents. Pour rappel, les émigrés à Coblence ont trahi le Roi et trahi l’État alors que le service de l’État était le rôle dévolu à la noblesse. Ils s’en sont allés dès 1789 par peur du processus en cours, et afin de préserver leur mode de vie et leur sécurité. De toute façon, la noblesse a été abolie depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui est dans ses principaux articles l’œuvre des monarchiens : les distinctions sociales doivent être fondées sur l’utilité commune. Ensuite, je ne crois pas que l’Action Française ait durablement disqualifié la monarchie : elle portait des thèses absolutistes et contre-révolutionnaires qui ont été condamnées par le défunt comte de Paris avant la Seconde Guerre mondiale. Les royalistes ont été très nombreux dans la Résistance mais comme ils ne luttaient pas sous leur propre bannière, on n’a guère prêté attention à ce fait.

En réalité, l’idée monarchiste a demeuré et a été reprise par de Gaulle pour l’essentiel à la fois au niveau de la symbolique du chef de l’État et de son pouvoir arbitral, et de la représentation de la nation par le Président de la République au-delà des partis. L’exemple de la dissuasion nucléaire qui garantit l’indépendance du pays en est un symbole. Pendant les Trente glorieuses, nous vivions avec la peur de la catastrophe nucléaire et avec la peur que les États-Unis ne viennent pas au secours d’un de leurs alliés en cas d’attaque. La mise en place de la dissuasion a concrétisé l’unité de la décision, quand l’existence même de la nation est en jeu.

LVSL – Revenons à notre Macron national. Une crise s’est ouverte avec le Chef d’État-Major des Armées démissionnaire, Pierre de Villiers. Cette crise est allée suffisamment loin pour que Macron prononce cette phrase « Je suis votre chef ». Qu’avez-vous pensé de cet épisode ? Une autorité qui rappelle qu’elle est autorité ne se vide-t-elle pas de sa substance ?

B.R. – Effectivement, on dit beaucoup cela à propos de l’autorité. Le fait d’agir ainsi montre que son autorité n’est pas évidente. Macron est constitutionnellement le chef des armées. Mais encore faut-il savoir comment on est le chef des armées. Il y a plusieurs manières de l’être dans l’Histoire. De Gaulle a été le chef des armées à l’époque du gouvernement provisoire d’Alger. Cependant, de Gaulle était un général et un stratège, un théoricien et un praticien de la chose militaire. Il avait une pensée militaire et une pensée géostratégique. En 1940, il pose d’abord un diagnostic géostratégique qui fonde la perspective de la victoire finale. De la même façon, Churchill était un chef militaire, il a fait la guerre et il savait de quoi il parlait. Là, on a Macron qui s’affirme comme chef direct, mais s’il veut être le chef direct au mépris de la Constitution qui donne au Parlement la décision de déclarer la guerre, il doit faire comme de Gaulle et Churchill : donner les moyens à l’armée d’accomplir les missions qu’on lui donne. Malheureusement, il fait le contraire : il donne des objectifs sans donner les moyens qui vont avec, d’où la crise. C’est une situation incroyable, puisqu’il entend donc commander à des hommes qui ne peuvent pas accomplir correctement leur mission par manque de moyens. Ce n’est pas une nouvelle situation puisqu’en réalité on l’hérite de la fin de la guerre froide, et de la logique des « dividendes de la paix » par la baisse des budgets militaires. Michel Goya explique cela très bien sur son blog. Par ailleurs, il faudrait également que Macron nous dise quelle est la stratégie de la France dans le monde. Est-ce que nous devons être présents sur plusieurs fronts ou est-ce que nous devons limiter nos interventions et nous recentrer ? On ne sait rien de tout cela.

LVSL – Macron a déclaré en 2015 lorsqu’il était de passage au Puy du fou aux côtés de… Philippe de Villiers, qu’il y avait une absence dans le fonctionnement de la vie démocratique. Il a plus précisément déclaré « qu’il nous manque un roi » et que « la Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. ». Notre Président semble d’accord avec vous non ?

B.R. – Il rappelle quelque chose qui a été dit par beaucoup d’observateurs – Renan et tant d’autres. C’est-à-dire que la question de la légitimité n’a pas été résolue par ceux qui ont coupé la tête du Roi. Il s’agit d’une analyse juste et banale. La première République n’arrive pas à recréer une légitimité, c’est l’échec de Robespierre. Napoléon règle la question, mais à sa façon : en engageant la France dans une aventure qui est contraire à toute sa tradition historique et qui se termine de manière catastrophique. Si la IIIème République dure aussi longtemps, c’est parce qu’elle a été créée par les monarchistes, qui ont construit les institutions dans l’attente du roi. Comme le comte de Chambord faisait des manières, on s’est décidé pour le président de la République et un septennat. Mais il y a là une façon de résoudre le problème de l’État sans arriver à résoudre le problème de celui qui incarne la nation et son principe d’unité. C’est aussi le problème de toute cette frange de la gauche qui refuse l’incarnation au nom de la souveraineté populaire, mais qui se jette aux pieds des pires tyrans comme nous l’avons vu au siècle dernier. Dans notre pays, la gauche s’est souvent et fort heureusement tournée vers des républicains démocrates – Jaurès, Blum, ou Mitterrand. Il est d’ailleurs important de noter qu’il y beaucoup de courtisanerie à gauche, alors que dans les mots on rejette la monarchie. On rejette vertueusement le principe du pouvoir incarné, on demande que le peuple prenne le pouvoir et puis on se couche devant celui qu’on a porté au pouvoir. Lorsque j’allais célébrer le 14 juillet à l’Élysée du temps de Mitterrand, je me croyais revenu à l’époque de Saint-Simon ! Ce n’est pas seulement indécent : c’est dangereux.

J’en reviens à Macron. Il faut que celui qui incarne accepte la fonction d’arbitrage et soit le premier serviteur de toute la nation. C’est tout l’inverse avec le nouveau président, qui est surtout le fondé de pouvoir de la classe dominante, le commis de l’oligarchie. C’est exactement le contraire de la monarchie. Marx rappelait que la monarchie d’Ancien Régime avait mis en place une politique d’équilibre entre les classes sociales. Il faut quelqu’un qui nous réunisse, et Macron est tout sauf cela. Ce qu’il dit est donc intéressant, mais cela n’a aucune conséquence. C’est de la pitrerie idéologique.

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