Bolsonaro… la chute ?

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© Isac Nóbrega/PR

Sur fond de crise sanitaire mondiale, Jair Bolsonaro vient de vivre des mois d’avril et mai apocalyptiques. La séquence a été qualifiée de « plus grosse crise de la démocratie brésilienne » par le parti de Michel Temer, son prédécesseur – qui avait pourtant accédé au pouvoir suite à la procédure d’impeachment lancée contre Dilma Rousseff. Le chef d’État brésilien, déjà très critiqué pour sa gestion de la pandémie de coronavirus, a en effet vu, en pleine crise sanitaire mondiale, la succession de trois ministres de la Santé en un mois. À ce fiasco s’ajoutent la démission de Sergio Moro – ministre de la Justice connu pour avoir emprisonné Lula – ainsi que des tensions idéologiques entre Paulo Guedes, le « gourou économique » de Bolsonaro et les alliés de circonstances du président : Centrão et militaires. Une situation explosive qui ne semble favorable qu’aux derniers, grappillant, silencieusement, un nombre croissant de postes au sein du pouvoir brésilien, au gré des réorganisations ministérielles. Par Arnaud Brunetière et Nicolas Netto Souza.


Une gestion de la pandémie critiquée jusqu’au sein du gouvernement

Continuant de minimiser la gravité de la pandémie, alors que les hôpitaux brésiliens étaient saturés et que, dans les favelas, des trafiquants de drogues prennaient la place de l’État en interdisant aux habitants de sortir pour éviter la propagation du virus, Jair Bolsonaro a ouvert un véritable vaudeville politique en limogeant, jeudi 16 avril, son ministre de la Santé : Luiz Henrique Mandetta.

Ce dernier ne cachait plus ses désaccords avec le président quant à la gestion de la crise sanitaire. Le ministre se prononçait en faveur du confinement et de la distanciation sociale et suivait à la lettre les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une attitude qui n’avait pas plu au chef d’État. Jair Bolsonaro avait alors prévenu son ministre qu’il n’était pas irremplaçable, même si apprécié de la population.

Après plusieurs semaines d’oppositions par déclarations interposées, le président a donc rappelé qui était le chef, en renvoyant son ministre, en pleine pandémie mondiale. Populaire, le ministre était aussi suivi par la quasi-totalité des gouverneurs des États brésiliens et plusieurs ministres fédéraux dont Sergio Moro, alors ministre de la Justice.

Moins d’un mois après cette manifestation d’autorité, le 15 mai, c’est le successeur de Luiz Henrique Mandetta, Nelson Teich, qui démissionne. Le tout nouveau ministre de la Santé a ainsi marqué son refus de se voir imposer la fin du confinement par Jair Bolsonaro. Et pour cause : son départ est survenu trois jours avant que le pays devienne le troisième foyer mondial de coronavirus – et ce alors que le nombre victimes quotidiennes dépassait le millier.

Sergio Moro, l’homme fort du mandat de Bolsonaro, claque la porte

Agacé par le limogeage de Luiz Henrique Mandetta qui avait sa préférence dans la gestion de la pandémie sur le territoire brésilien, Sergio Moro, ministre de la Justice, a présenté sa démission, une semaine plus tard, le vendredi 24 avril.

Il s’était fait connaître des Brésiliens quelques années plus tôt, par son rôle et sa ténacité dans la méga-opération anti-corruption connu sous le nom de Lava Jato. Cette investigation étendue sur plusieurs années avait fait grand bruit dans le pays, en éclaboussant de nombreux chefs d’entreprises et politiciens brésiliens de gauche comme de droite. C’est notamment suite à cette opération que l’ex-président Lula Da Silva avait été condamné à 12 ans de prison. L’entrée de l’ancien juge anti-corruption au gouvernement de Bolsonaro était ainsi apparue, pour de nombreux Brésiliens, comme le premier succès du président.

Un a priori positif qui avait toutefois été remis en cause l’an dernier suite aux révélations de The Intercept. Le journal de gauche avait en effet dévoilé que Sergio Moro aurait emprisonné Lula Da Silva sans preuves, dans l’unique but de l’empêcher de se présenter à la présidentielle de 20191. Ces articles ont cependant eu davantage d’écho à l’international qu’à l’intérieur du pays. L’ex-ministre de la Justice demeurait ainsi l’homme fort du gouvernement de Bolsonaro. Popularité, qu’il garde encore, en dehors du pouvoir, avec un taux de confiance de 57%, contre 30% pour l’actuel président.

Mais en le quittant, Sergio Moro n’a pas seulement privé de sa notoriété le gouvernement de Bolsonaro. L’ex-ministre est aussi parti avec son image de chevalier blanc de l’anti-corruption en s’assurant d’asseoir son départ sur davantage de justifications qu’il n’en a fallu pour faire condamner Lula…

L’ingérence du président dans les affaires en cours

L’ex-ministre de la Justice a ainsi démissionné en invoquant la violation par Jair Bolsonaro de sa promesse de garantir l’indépendance de la justice vis-à-vis de la gestion politique du pays. Condition à laquelle le juge avait accepté le poste de ministre. Sergio Moro a, en effet, officiellement abandonné sa charge pour protester contre l’insistance du président à remplacer le chef de la Police fédérale par un de ses amis proches.

Mais l’ex-ministre a également affirmé posséder les preuves de l’ingérence politique du président dans plusieurs enquêtes de la police fédérale en cours, concernant le chef d’État ou des membres de sa famille.

Jair Bolsonaro avait déjà manifesté l’année passée sa volonté de changer le chef de la police de Rio de Janeiro, qui enquêtait sur l’embauche par son fils, d’assistants fantômes liés à des milices paramilitaires. Parallèlement, cette même année, des syndicats de policiers accusaient Jair Bolsonaro de chercher à ralentir l’enquête en cours sur l’assassinat de Marielle Franco2.

De l’anti-corruption aux alliances « anti-Lava Jato »

Si le vote Bolsonaro signifiait pour de nombreux Brésiliens un rejet de la corruption de la classe politique, avec le départ de Sergio Moro, le chef d’État se trouve tout à coup privé de cette légitimité. Le président est dès lors condamné à diversifier ses alliances au sein du Congrès brésilien pour éviter l’impeachment.

Le parlement brésilien étant très fragmenté, l’immensité du pays, son fédéralisme et la règle d’élection à la proportionnelle stricte impliquent une représentation politique extrêmement divisée. La Chambre des députés fédéraux compte ainsi, en plus des 6 ou 7 partis d’envergure nationale, une grosse vingtaine de micro-partis régionaux. Il est donc structurellement impossible qu’un parti gouverne seul. À titre d’exemple, même avec une popularité de 87% en faveur de Lula Da Silva, jamais son parti n’a eu plus de 20% des sièges.

Ce système favorise ainsi le maintien de partis sans affiliation idéologique marquée, apportant leur soutien aux gouvernements de droite comme de gauche, en échange de postes politiques importants. Ce nuage opportuniste appelé Centrão regroupe presque 50% des députés brésiliens. Et leur vénalité n’en fait, naturellement, pas de grands défenseurs des campagnes anti-corruption telles que Lava Jato

Suite aux départs de ces différents ministres, le parti de Bolsonaro – qui compte moins de 10% des sièges – se trouve contraint de renégocier ses alliances avec ce Centrão pour éviter un impeachment. Le président renonce ainsi, pour se maintenir au pouvoir, tant à la gouvernabilité qu’à l’adhésion des masses conquises par son ancienne posture anti-corruption.

Les militaires : dernier ressort de Bolsonaro

Avec la perte des soutiens de la droite modérée et des médias, favorables à l’ancien ministre Sergio Moro, Jair Bolsonaro est désormais obligé de se tourner encore davantage vers son premier et dernier ressort : les militaires.

Alors qu’ils avaient quasiment disparu de la vie politique brésilienne depuis le retour à la démocratie en 1989, l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro s’est accompagnée de la réapparition de plusieurs officiers au gouvernement. Ainsi, sur les 22 membres du cabinet actuel, 10 sont des officiers, auxquels il faut ajouter ceux occupant des fonctions subalternes à l’intérieur de chaque ministère.

De plus, pour la première fois depuis 1989, les trois postes les plus importants de l’exécutif sont occupés par des militaires : son président, le Capitaine Jair Bolsonaro ; son vice-président, le Général Hamilton Mourão et le ministre de la Casa Civil (que l’on pourrait comparer au premier ministre français), le Général Walter Souza Braga Netto.

Parallèlement, le président a pris pour habitude de résoudre crises et désaccords avec des personnalités importantes de son gouvernement, en les remplaçant, elles ou les membres de leur administration, par des militaires.

Ainsi, par exemple, le Conseil stratégique pour l’Amazonie, placé sous le contrôle du vice-président et général Hamilton Mourão, réunis 19 autres militaires et aucun représentant d’organisation environnementale. De même, suite à la démission de Nelson Teich, 13 militaires – sans aucune expérience dans le domaine de la santé – ont été nommés pour coordonner le ministère.

Pour Jair Bolsonaro, l’obéissance de militaires envers la hiérarchie est un avantage indéniable. Elle lui confère une stabilité palliant les conséquences désastreuses des départs à répétitions. Mais cette militarisation du pouvoir n’est pas sans danger. En cas d’impeachment, elle faciliterait un recours à l’Armée pour maintenir le président en poste, contre le Congrès et l’opinion publique. Le Général Augusto Heleno, chef de cabinet à la sécurité institutionnelle a ainsi affirmé que la poursuite d’investigations sur le président pourrait mener à des « conséquences imprévisibles ».

Paulo Guedes, le « gourou économique » de Bolsonaro

Après Luiz Henrique Mandetta et Nelson Teich, ex-ministres de la Santé, et Sergio Moro, ex-ministre de la Justice, c’est un quatrième poids lourd – présenté comme le principal ministre de Bolsonaro, avec pas moins de 5 portefeuilles cruciaux – qui pourrait prendre la porte : Paulo Guedes, ministre de l’Économie, des finances, de l’industrie, du travail et du commerce.

Élève de Milton Friedman, proche des Chicago Boy dans les années 70, Paulo Guedes est la courroie de transmission entre Jair Bolsonaro et les puissances économiques et financières brésiliennes. Ultralibéral, climato-sceptique, ayant donné des cours à l’université chilienne sous Pinochet, il a acquis le surnom de « gourou économique » du président.

En pleine pandémie et contraction économique, Paulo Guedes est resté fidèle à ses dogmes austéritaires. Pour combattre la crise, il a ainsi suggéré une baisse de 50 % des salaires, sans aucune compensation étatique. Bien reçu par l’élite financière mais rejeté par l’électorat, le projet est tombé à l’eau avant même d’être voté.

Le ministre plaide aussi pour un déconfinement qui soit le plus rapide possible. Il est ainsi en harmonie avec le chef d’État, mais pas avec ses nouveaux alliés. D’un côté, en effet, le Centrão a approuvé, au sein du Congrès, un soutien d’urgence pour les plus démunis, afin de gérer la crise du coronavirus. De l’autre, les militaires, historiquement très influencés par les idées keynésiennes, sont quant à eux favorables à une intervention de l’État et une relance économique permise par l’augmentation des dépenses publiques.

Et après … ?

Avril et mai ont ainsi été des mois forts éprouvants pour le Brésil, qui en plus de la pandémie mondiale de coronavirus, doit faire face à une crise politique invraisemblable. Faut-il y voir les prémisses de la chute de Jair Bolsonaro ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer. L’organisation institutionnelle brésilienne a en effet cette particularité de faire du nuage opportuniste que constitue le Centrão, les béquilles improbables d’un gouvernement menaçant de s’effondrer.

Toutefois, si le Centrão peut maintenir en place un gouvernement honni, il peut également en devenir le fossoyeur lorsque le taux de popularité présidentiel tombe en-dessous des 20-25% – considérés au Brésil comme constituant le noyau dur militant – comme ce fut le cas pour Dilma Rousseff. Se pose alors la question de l’après-Bolsonaro …

De nombreux observateurs ont vu dans la démission de Sergio Moro, l’homme fort de la droite brésilienne, une distanciation d’un pouvoir critiqué de toute part, jetant les premiers jalons d’une candidature à la présidentielle de 2022. La popularité que garde l’ancien juge anti-corruption en fait incontestablement l’un des acteurs de la politique brésilienne de demain. Reste à voir si les preuves de l’ingérence du président, qu’il affirme détenir, lui permettront d’ajouter le nom de Bolsonaro à son tableau de chasse et quels avantages politiques il en tirera.

D’ici-là, cependant, dans l’année et demie qui sépare le Brésil de sa prochaine échéance présidentielle, il faudra observer l’évolution de la place prise au pouvoir par les militaires. Pour le moment, ils ne s’exposent pas publiquement, ni même ne prennent la parole sur la crise sanitaire. Conscients que Jair Bolsonaro traverse une crise politique grave, leur ouvrant les portes à un pouvoir accru, ils patientent silencieusement en prenant les postes qui leurs sont confiés …

 

1 Élection remportée par Bolsonaro, alors que Lula Da Silva était donné gagnant dans tous les sondages, contre n’importe lequel des candidats.

2 Jeune élue de la municipalité de Rio de Janeiro, noire, lesbienne et issue d’une favela carioca, Marielle Franco était une sociologue, militante de gauche, qui faisait partie des figures politiques brésiliennes montantes. Ses déclarations et prises de positions, ainsi que ses recherches universitaires contre les violences policières à l’encontre des habitants des favelas ont construit son parcours politique. Elle a été assassinée, le 14 mars 2018, vraisemblablement par des membres de la police brésilienne.