De l’acteur au président : Zelensky, as de la communication

© Bastien Mazouyer pour LVSL

Serviteur du peuple est en premier lieu le titre d’une série télévisée ukrainienne, dans laquelle a figuré l’actuel président Volodymyr Zelensky. Serviteur du peuple est également le nom du parti politique fondé par le même Zelensky. Élu à la magistrature suprême en 2019, la série a été un véritable marchepied pour sa victoire électorale. Elle dépeint le personnage de Vassili Goloborodko, un anti-héros fantasque élu président, qui place le combat contre la corruption au cœur de son mandat. Dans sa stratégie de communication bien rodée, le président ukrainien a su jouer de cette mise en abîme. Le mythe de « l’acteur devenu président » a permis d’imposer en Europe un récit hagiographique du parcours de Volodymyr Zelensky. L’accession au pouvoir de ce dernier n’a pourtant rien du conte de fée auquel on assiste dans la série…

Vassili Goloborodko contre la corruption

Le personnage de fiction qu’incarne Zelensky est un homme normal si ce n’est banal : Vassili Goloborodko. C’est un professeur (d’histoire) avoisinant la quarantaine, père de famille divorcé il retourne chez ses parents le temps de rebondir. Un destin que peu envient, pourtant si commun. Vassili retourne dans sa maison familiale de Kiev ; une fade errance se profile. Son indépendance rappelle l’adulte qu’est Tanguy, un mélange de vieux garçon et d’éternel adolescent de 37 ans. Ce personnage passif n’excelle pas non plus dans son métier. Tout du moins aux yeux de sa supérieure. C’est un professeur hors des cadres imposés, un idéaliste qui n’a pas sa langue dans sa poche. On pourrait le qualifier de marginal. Pourtant, il sait mettre des mots sur un phénomène tabou en Ukraine : la corruption.

Celle-ci constitue un des thèmes centraux de la série. La corruption est un problème majeur du pays. Véritable frein pour son économie, la gestion des richesses ukrainiennes par une poignée d’oligarques a plongé la majorité de la population dans une grande pauvreté. Rappelons qu’en Ukraine, le revenu mensuel moyen est de 281 $ (source : Banque Mondiale, 2019). Les Ukrainiens voient les aides sociales diminuer au fur et à mesure que la corruption s’installe. Face à cette situation, de nombreux habitants quittent le pays pour travailler à l’étranger. C’est donc contre ces inégalités que Goloborodko proteste. La salle de classe du professeur Goloborodko est un lieu de libre parole, d’humanisme et d’espoir. Ce professeur en action marque le tournant de la série.

Président malgré lui

Le rêveur a ses admirateurs, ses paroles sont bues par ses élèves. Une caméra dissimulée, la séquence partagée sur les réseaux sociaux : le voici au cœur des polémiques. Pourquoi ne pas se lancer dans la quête du pouvoir pour donner vie à ses idéaux souvent refoulés ? C’est le choix que prend le professeur Goloborodko. Tout s’enchaîne à la vitesse du buzz, les levées de fonds sont instantanées, sa notoriété devient en quelques jours évidente : tout le pousse à être président. Du jour au lendemain, le destin de cette personne lambda est renversé par les évidences illusoires que nous offre internet. Vassili est élu sur un claquement de doigts et arrive au pouvoir avec des idées sorties de leur sommeil.

Lors des élections présidentielles de 2019, Zelensky a pris appui sur cette série pour véritablement s’envoler dans les sondages, puis les suffrages. À l’image des idéaux du professeur d’histoire qu’il incarnait dans cette série, l’actuel président ukrainien s’est montré comme dépassant les clivages internes au pays. Résolument réformateur, voulant sortir des cadres et affronter directement la corruption, Zelensky s’est affiché comme le candidat du renouveau de l’Ukraine.

Une fois arrivé au pouvoir, Goloborodko doit composer son gouvernement. Ne faisant confiance à aucun, le président élu va s’appuyer seulement sur ses proches. Il craint que des personnes extérieures à son cercle familial soient elles-mêmes corrompues. Ce gouvernement est assez discutable vis-à-vis des combats qu’il entend mener pour l’Ukraine. Très vite la situation se dégrade au sein même du gouvernement nommé par Goloborodko. Ses ministres reçoivent des luxueux présents offerts de manière intéressée. Les membres de sa famille tirent profit de leur position. La corruption s’installe donc rapidement au sein du gouvernement la combattant.

Un président entre les mains des oligarques ?

Qui dit pouvoir dit mallette remplie de billets et autres jouets des mafieux des pays limitrophes. Les oligarques se frottent les mains : voici un pantin porté sur un plateau d’argent. Un benêt au service de l’argent sale. Le problème étant que Vassili Goloborodko arrive au pouvoir avec les opinions de sa campagne éclair. Il est alors en opposition avec les vautours qui souhaitaient le dépecer. Les mots sont remplacés par les faits, les oligarques véreux voient leurs projets de manipulation s’effondrer. Le nouveau président ukrainien garde la tête haute. Une chose est certaine : il marque une rupture avec le faste présidentiel. Une fois au pouvoir, ce président antisystème doit tenir ses promesses. Ses objectifs sont assez classiques pour l’Ukraine : mettre un terme à la corruption et instaurer un climat de paix avec la Russie. Le dernier point s’avère complexe compte tenu de la récente l’invasion de la Crimée (toujours dans la série).

Les ressemblances entre Goloborodko et Zelensky sont nombreuses. Ces deux candidats ont tiré leur popularité par les idées principales qui résument leur campagne. Mais Zelensky n’a rien de l’ingénuité de Goloborodko.

Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. Six mois après son investiture, il doit faire face à une dégradation de la situation économique de l’Ukraine. La monnaie nationale perd de sa valeur, les prix augmentent, la dette du pays atteint des sommets, les impôts ne rentrent plus dans les caisses de l’État… Une crise financière se profile. C’est alors que le dirigeant se tourne vers le FMI en espérant une aide internationale. S’il veut redresser son pays, il devra répondre aux attentes du Fonds Monétaire International. Pour obtenir une potentielle subvention de 15 milliards d’euros, Goloborodko doit poursuivre sa campagne contre la corruption. On lui demande également de mener des réformes impopulaires dans son pays, dictées par le FMI (on notera le faible regard critique que la série porte sur cette institution).

Le président doit en particulier privatiser des entreprises et des services d’État. Ces décisions doivent être acceptées par le pouvoir législatif. C’est à ce moment-là que le serviteur du peuple se heurte au mur de l’oligarchie. Les réformes qu’il souhaite entreprendre doivent être acceptées par le parlement ukrainien : la Rada suprême. Celle-ci est officieusement entre les mains de l’oligarchie du pays. Les prémices de l’échec de Goloborodko se profilent. Rapidement, il démissionne.

Ces événements de la série sont à mettre en relation avec la réalité que connaissait l’Ukraine avant son entrée en guerre contre la Russie. Ce pays souffre de pauvreté depuis sa sortie de l’URSS. Pour se redresser de ses difficultés financières, le pays a dû faire appel au FMI à plusieurs reprises. Celui-ci a imposé à l’Ukraine un programme néolibéral on ne peut plus classique, qui s’est traduit par des conséquences sociales dramatiques. Une tradition avec laquelle Zelensky n’a pas rompu.

En filigrane, cette fiction illustre les difficultés que traverse un État à qui l’on a dénié sa souveraineté, pris en étau entre les ambitions expansionnistes de la Russie et l’empire libre-échangiste de l’Union Européenne. Cette série montre que la bonne volonté du président Goloborodko, voulant agir pour l’intérêt général, se heurte à celle de l’oligarchie. On découvre également l’impuissance d’un président face à la corruption installée depuis des décennies.

Les ressemblances entre Goloborodko et Zelensky sont nombreuses. Ces deux candidats ont tiré leur popularité par deux idées principales qui résument leur campagne : combattre la corruption et trouver un accord avec la Russie voisine. Ces deux présidents peinent à y parvenir et se trouvent dans une double situation d’impuissance : celle de la situation internationale de l’Ukraine et celle de la corruption qui gangrène le pays.

Volodymyr Zelensky n’a cependant rien de l’ingénuité de Vassili Goloborodko. Il a certes mis en place des mesures anti-corruption, mais le président ukrainien est lui-même impliqué dans des affaires qui ont éclaté lors des Pandora Papers – en plus de nombreux scandales qui ont émergé quelque temps après son élection. On notera également que, comme ses prédécesseurs et contrairement au personnage de fiction, Zelensky est arrivé au pouvoir en Ukraine avec le soutien d’une partie de l’oligarchie – en témoignent ses liens avec le milliardaire Ihor Kolomoisky. Ces faits montrent à quel point les envolées anti-corruption de Zelensky peinent à dépasser le stade du discours. L’Ukraine demeure aujourd’hui le 32e pays le plus corrompu au monde selon l’ONG Transparency International.

Immense succès national, le régime russe a décidé d’interdire cette série dans son pays.

Serviteur du peuple est une série satirique qui semble sortie de L’Anomalie de Le Tellier. L’Ukraine se fait face à elle-même, tout comme Zelensky qui, du rôle d’acteur à la fonction présidentielle, devient président de son pays. Cette mise en abîme de l’élection a propulsé Zelensky aux manettes d’un pays victime de plusieurs crises. Immense succès national, le régime russe a décidé d’interdire cette série dans son pays.

The Handmaid’s Tale est la série politique de l’année

©https://www.hulu.com/the-handmaids-tale – MGM Television. L’image est dans le domaine public.

Partant d’un postulat proche des Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron, où les femmes et les hommes sont devenus de plus en plus stériles en raison des pollutions, The Handmaid’s Tale raconte l’instauration aux Etats-Unis d’un régime totalitaire patriarcal et réactionnaire dans lequel les femmes sont réparties en trois catégories : les Épouses qui sont mariées aux dirigeants, les Marthas leurs domestiques, et les Servantes qui jouent le rôle de « mères porteuses ». On y suit l’histoire de June, une servante qui tente de survivre et de retrouver sa famille. Retour sur cette série très politique.

« Ordinary is just what you’re used to. This might not seem ordinary right now, but after a time it will. This will become ordinary. » C’est ce qu’explique Tante Lydia aux servantes qu’elle est en charge de former à devenir des mères porteuses. Cette citation pourrait résumer une grande partie de ce que nous enseigne la nouvelle série de Bruce Miller dont le dernier épisode de la première saison a été diffusé le 14 juin : ce qui nous semble extraordinaire un temps finit par nous sembler ordinaire. Cette proposition nous invite alors à regarder sous un œil vigilant notre actualité : est ce que ce que nous vivons maintenant ne nous aurait pas semblé « extraordinaire » il y a une dizaine d’années ? Sommes-nous en train de nous habituer à la réaction parce qu’elle gagne notre environnement insidieusement, petit à petit ?

Sortie en pleine ère Trump, président bouffon-réac’ qu’on peine parfois à prendre au sérieux en raison de ses pitreries et provocations quotidiennes – au point qu’on oublierait presque le danger bien réel qu’il représente -, cette série a ceci de terrifiante qu’elle fait écho, comme les dystopies politiques de qualité, à nombre d’éléments bien réels de notre quotidien. Nous sommes alors obligés de nous interroger sur notre passivité : serons-nous comme les citoyens de The Handmaid’s Tale, indignés mais comme anesthésiés par ces retours en arrière que nous pensions impossibles et qui se sont finalement produits ? Ainsi, c’est bien dans un Etat des Etats-Unis, aujourd’hui, qu’une femme violée doit demander l’autorisation de son violeur pour avorter (1). Le patriarcat n’est pas qu’une invention télévisuelle futuriste…Mais bien un phénomène politique ordinaire.

The Handmaid’s Tale décrit la République de Gilead, régime imaginaire entre théocratie et système totalitaire type nord-coréen, et se rapproche d’une autre dystopie perturbante par ses proximités avec notre actualité : l’excellente Black Mirror. Néanmoins, elle s’en distingue dans le même temps par son esthétique rétro-futuriste, la plus à même d’évoquer la dynamique réactionnaire, cet avenir qui ressemble de plus en plus à un passé fantasmé et pervers.

La série peut également évoquer The Lobster de Yorgos Lanthimos dans son traitement presque clinique d’un futur où les relations humaines sont totalement contrôlées et aseptisées, ou encore même 12 Years A Slave de Steve McQueen, car c’est bien au rang d’esclaves que sont réduites les Marthas (domestiques) et les Servantes. S’agissant de ces dernières, les multiples viols dont elles sont victimes ne nous sont pas épargnés – une des manifestations les plus barbares du patriarcat ici institutionnalisé. De même que leur formation à être des bonnes servantes, dispensée par Tante Lydia, qui peut faire penser aux camps d’initiation sexuelle au Malawi où sont violées des jeunes filles et des enfants pour leur apprendre à « satisfaire » leur maris (2).

Si cette fiction est portée par sa réalisation perfectionniste, ses contre-jours maîtrisés, ses plans qui rappellent la peinture de Vermeer, elle l’est aussi par l’excellente interprétation d’Elisabeth Moss qui jouait dans la série déjà féministe de Jane Campion, Top Of The Lake (dont la saison 2, présentée à Cannes, a commencé le 27 juillet sur BBC Two).

https://www.youtube.com/watch?v=5gOoBB_BxRM

La très belle scène de la manifestation réprimée sur la musique de Heart of Glass de Blondie (remixée par Cabtree) dans l’épisode 3 nous renvoie de manière extrêmement brutale à la fragilité de l’exercice de nos droits démocratiques et à la vulnérabilité de nos méthodes de protestation. Il est rassurant de se dire que cela – des policiers qui tirent sur les manifestants – ne pourrait pas arriver dans un pays occidental. Et pourtant… c’est bien en France que le New York Times s’inquiète de voir des abus de pouvoir (3), de même pour l’ONG Amnesty International qui considère le droit de manifestation en France comme étant en danger (4). C’est bien dans notre pays qu’au cours du dernier quinquennat la Ligue des Droits de l’Homme avait dû protester contre des interdictions de manifester (5) et qu’un jeune homme est mort à Sivens suite au tir d’une grenade offensive (6).

Pour le moment, être tué en manifestation nous semble extraordinaire, mais ça n’a pas toujours été le cas. La France a une histoire longue dans la répression violente des manifestations pacifiques et il n’y a pas besoin de remonter très loin pour le montrer : au début des années 1960 c’est entre 150 et 200 manifestants algériens qui ont été exécutés et jetés dans la Seine en plein Paris (7), un évènement presque oublié aujourd’hui… Nous sommes désormais moins vigilants parce que nous pensons que la paix est un dû et une norme au point d’oublier parfois qu’elle est l’exception obtenue de haute lutte. Dans The Handmaid’s Tale, ce processus répressif est mis en place au nom de la lutte antiterroriste. Là encore difficile de ne pas penser à l’inscription de l’état d’urgence dans le droit commun…(8). Bien que tout soit évidemment poussé à l’extrême dans la série, elle a la qualité de nous montrer que cette acceptation passive d’une nouvelle réalité antidémocratique ne se fait pas que par une violence spectaculaire mais aussi, par moment, par l’apparente banalité de certains raisonnements. Alors que dans un flashback June et Moira s’étonnent de la manière dont Luke – mari de June et personnage que l’on juge pourtant jusque là comme plutôt sympathique et progressiste – s’accommode relativement bien de la mise sous tutelle des femmes, celui-ci répond « Qu’est-ce que je suis censé faire ? Me couper la bite ? ».

Dans l’épisode 3 toujours, un personnage lesbien est pendu pour son homosexualité tandis que son amante est excisée. Là encore, la réalité n’est pas loin quand on pense aux camps tchétchènes (9) ou au quotidien des personnes homosexuelles dans les territoires conquis par Daesh (10) – Daesh qui par ailleurs organise, lui aussi, l’esclavagisme sexuel des femmes (11).
De la même façon c’est bien 200 millions de femmes qui sont victimes de mutilations génitales dans le monde (12) dont 60 000 en France (13). Si The Handmaid’s Tale est aussi anxiogène et oppressante c’est bien parce qu’elle est une réalité imaginaire qui combine nombre d’éléments eux bien réels. Ainsi ce que nous fait comprendre malgré elle Tante Lyndia et à travers elle Bruce Miller, le créateur de la série, c’est que ce qui a existé par le passé peut arriver à nouveau dans le futur, et que ce qui existe déjà à un endroit peut se reproduire à un autre.

L’épisode 7 « The Other Side » où l’on suit l’épopée de Luke en fuite vers le Canada est l’occasion d’aborder un autre thème d’actualité : celui des réfugiés. L’épisode nous fait retracer tout le parcours d’un réfugié : les motifs du départ, l’inquiétude pour ses proches, les multiples dangers, les passeurs, la terreur… jusqu’à l’arrivée. On ne souhaite alors qu’une chose à Luke : qu’il soit effectivement accueilli. On comprend alors que l’unique différence entre ces héros et ceux que l’on brutalise dans la réalité, chez nous, est que les premiers sont originaires des Etats-Unis. En plein débat sur l’accueil, cette plongée dans la vie d’un réfugié est salutaire, elle permet de rappeler le type d’horreurs que ces gens fuient. Lorsque Moira parvient elle aussi à rejoindre le Canada (épisode 10), Bruce Miller paraît esquisser ce à quoi devrait ressembler une politique d’accueil digne dans un pays développé : gentillesse, nourriture, douche, papiers, téléphone prépayé, quelques centaines de dollars, carte d’assurance maladie, habits…

Dans l’épisode 8, nous découvrons que l’élite bourgeoise en charge d’instaurer ce nouvel ordre moral partouze en secret dans un immense bordel – Jezebels – occupé par des prostituées forcées. The Handmaid’s Tale touche ici du doigt une autre façade du patriarcat. En Pologne, un des pays les plus patriarcaux et catholiques intégristes d’Europe, gouverné par l’extrême droite (14), l’avortement est illégal (sauf cas exceptionnels alors qu’il était légal et gratuit sous la période communiste), mais on trouve pourtant une maison close ouverte 24h/24 à chaque coin de rue… On a assisté récemment aux mêmes types de paradoxes au Vatican (15).

Pablo Iglesias, leader de Podemos et professeur de sciences politiques, se sert pour ses cours de séries comme Games Of Thrones ou Mad Men. Il n’est par conséquent pas surprenant qu’il se soit montré enthousiasmé par cette nouvelle série dans son interview pour So Film et leur numéro de juillet-août consacré aux relations entre la politique et le cinéma. Il la décrit comme une impressionnante « dystopie sur une théocratie patriarcale aux Etats-Unis » et pourtant une série « grand public, à succès » (16), manière, sans doute, de noter qu’elle pourrait être utilisée comme un outil du combat pour l’hégémonie culturelle.

Il faut alors sur ce point reconnaitre une certaine efficacité à The Handmaid’s Tale d’ores et déjà utilisée comme un symbole de lutte : de nombreuses manifestations féministes ont pris place aux Etats-Unis avec des militantes habillées en servantes (17) notamment lors des protestations contre les lois de restrictions de l’avortement dans l’Ohio (18). Ce type de tentatives de conscientisation à travers des produits de la culture pop est une stratégie intéressante à un moment où l’on découvre une nouvelle génération de séries subversives, à l’image de Mr Robot, capables de délivrer un message radical au cœur des chaînes les plus capitalistes, à la manière de ce que furent capables de faire, à leur époque, les réalisateurs du Nouvel Hollywood.

La saison 2 est d’ores et déjà annoncée et nous sommes impatients. Elle sera accompagnée pour l’écriture de l’auteure du livre dont elle est l’adaptation, Margaret Atwood (l’ouvrage avait déjà été adapté au cinéma en 1990 par Volker Schlöndorff), et on peut imaginer qu’elle mettra en scène la rébellion que l’on espère !

Sources :

1. « En Arkansas, une femme violée devra obtenir l’autorisation de son violeur pour avorter » Les Inrocks, 13 juillet 2017 http://www.lesinrocks.com/2017/07/news/en-arkansas-une-femme-violee-devra-obtenir-lautorisation-de-son-violeur-pour-avorter/
2. « Au Malawi, dans les camps d’ »initiation sexuelle » pour fillettes », Le Monde, 23 juillet 2017, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/23/dans-le-sud-du-malawi-dans-les-camps-d-initiation-sexuelle-pour-fillettes_5164041_3212.html
3. « Emmanuel Macron’s Unfettered Powers », New York Times, 12 juin 2017 : https://www.nytimes.com/2017/06/12/opinion/emmanuel-macron-terrorism-france.html
4. « Droit de manifestation en danger : interpellez E.Macron », Amnesty International, 31 mai 2017. https://www.amnesty.fr/actions/emmanuel-macron-droit-de-manifester
5.« Manifestations pro-palestiniennes à Paris : la LDH déplore l’interdiction » L’Express, 18 juillet 2017. http://www.lexpress.fr/actualite/societe/manifestations-pro-palestiniennes-a-paris-la-ldh-deplore-l-interdiction_1560415.html
6. « Mort de Rémi Fraisse : l’enquête bâclée de la gendarmerie » Le Monde, 23 octobre 2015 http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/10/23/mort-de-remi-fraisse-l-enquete-baclee-de-la-gendarmerie_4795289_1653578.html
7. « 17 octobre 1961 : «Ce massacre a été occulté de la mémoire collective » » Le Monde, 17 octobre 2011 : http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/17/17-octobre-1961-ce-massacre-a-ete-occulte-de-la-memoire-collective_1586418_3224.html
8. « Le New York Times étrille le projet de loi antiterroriste de Macron », Le Figaro, le 13 juin 2017 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/06/13/01016-20170613ARTFIG00297-le-new-york-times-etrille-le-projet-de-loi-antotiterroriste-de-macron.php
9. « La Tchétchénie accusée de génocide envers les homosexuels » Le Monde, 16 juin 2017, http://www.lemonde.fr/international/article/2017/05/16/des-associations-lgbt-accusent-la-tchetchenie-de-genocide-devant-la-cpi_5128402_3210.html
10.« Daesh : le calvaire des homosexuels syriens », Têtu, 10 février 2016, http://tetu.com/2016/02/10/daesh-le-calvaire-des-homosexuels-syriens/
11. « Yézidies : des anciennes esclaves sexuelles de Daesh » BFMTV, 1er septembre 2015, http://www.bfmtv.com/international/yezidies-des-anciennes-esclaves-sexuelles-de-daesh-racontent-911317.html
12. « Excision : 200 millions de femmes mutilées dans le monde » Le Parisien, 20 août 2015, http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/interactif-excision-200-millions-de-femmes-mutilees-dans-le-monde-19-08-2016-6053989.php
13. « Les « femmes coupées » et le tabou de l’excision » Le Monde, 21 décembre 2016, http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/12/21/les-femmes-coupees-et-le-tabou-de-l-excision_5052399_3224.html
14. « L’ultra-droite au pouvoir et une gauche en lambeaux : la Pologne, laboratoire du cauchemar européen qui menace ? » Bastamag, 14 avril 2016, https://www.bastamag.net/L-ultra-droite-au-pouvoir-et-une-gauche-en-lambeaux-la-Pologne-laboratoire-du
15. « Vatican : drogue et partouze chez un haut dignitaire » Sud Ouest, 10 juillet 2017, http://www.sudouest.fr/2017/07/10/vatican-drogue-et-partouze-chez-un-haut-dignitaire-3605316-4834.php
16. « Pablo Iglesias » So Film n°52 pp.19-21
17. « A Handmaid’s Tale of Protest », The New York Times, 29 juin 2017, https://www.nytimes.com/2017/06/30/us/handmaids-protests-abortion.html
18. « Handmaid’s tale protest at US Ohio abortion bill » BBC, 13 juin 2017 : http://www.bbc.com/news/world-us-canada-40264004

Crédits photo : ©https://www.hulu.com/the-handmaids-tale – MGM Television. L’image est dans le domaine public.

 

The Walking Dead : une série politique

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©Casey Florig

Walking Dead ? Politique ? C’est pas une série avec des types qui dézinguent des zombies des heures durant ? Une série politique c’est House Of Cards, Baron noir etc. Et pourtant… The Walking Dead est peut-être une série bien plus politique que ces dernières et permet de parcourir des pans entiers de la philosophie politique.

Qu’est ce qui peut être moins politique qu’un film ou une série de zombie ? Et pourtant ça n’a rien de neuf. Des films de Romero jusqu’au Dernier Train Pour Busan, le film de genre zombie a toujours été éminemment politique et classé à gauche l’immense majorité du temps (anticapitaliste, critique des médias et de plus en plus écolo).

George A. Romero est incontestablement le père du genre et… il n’aime pas The Walking Dead. Il lui reproche (ainsi qu’à World War Z, mais sur ce point on ne lui donnera pas tort) son apolitisme : « J’étais le seul à faire ça. Et j’avais mes raisons, il y avait une sorte de satire sociale et je ne retrouve plus ça. The Walking Dead est juste un soap opéra », « à cause de World War Z ou The Walking Dead, je ne peux plus proposer un film de zombie au budget modeste dont l’essence est sociopolitique ».
Et s’il se trompait ?

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Frank Darabont, premier showrunner de la série

Le premier showrunner de la série était Frank Darabont qui a vite quitté la série en raison du manque du budget qui lui était alloué. Mais Frank Darabont est lui-même habitué à mettre de la politique dans ses films. C’est notamment ce qu’il avait fait dans The Mist, adapté du roman du même de nom de Stephen King, en en changeant la fin et en le rendant encore plus radical. L’histoire est simple : des américains lambdas se rendent au super marché, et se retrouvent soudain coupés du monde par une brume qui s’abat partout et rompt toute communication avec l’extérieur. Des monstres apparaissent alors aux abords du magasin. Mais très vite, le spectateur réalise que le vrai danger vient de l’intérieur.

C’est plus ou moins la même chose dans The Walking Dead : si la première saison se concentre sur les zombies, cette question devient vite secondaire puis franchement anecdotique au moment où la série en est rendue aujourd’hui.

Mais si The Walking Dead est politique c’est qu’elle est réac’ ? C’est ce que peut par exemple laisser penser le fait qu’après une enquête de Cambridge Analytica, l’équipe de Donald Trump ait décidé de diffuser des spots anti-immigrations lors des pubs de The Walking Dead car ayant identifié les téléspectateurs de la série comme hostiles à l’immigration. Pourtant les choses ne sont pas si simples.

La particularité de The Walking Dead est qu’elle est difficile à identifier politiquement, et elle évolue beaucoup : elle ne tranche pas, nous laisse choisir et nous permet d’étudier les situations qu’elle scrute en profondeur. Et elle  le fait en étant extrêmement référencée cinématographiquement, philosophiquement et même théologiquement (cf. la scène du bras de Carl dans l’épisode 1 saison 07 et le sacrifice d’Isaac).

Un retour à l’état de nature

Les œuvres qui se déroulent dans des contextes apocalyptiques ou en totale anarchie, comme c’est le cas des films/séries de zombies (mais comme le font aussi beaucoup d’autres – le manga L’Ecole Emportée, le roman Sa Majesté des Mouches, La Route…) sont l’occasion de questionner l’ « état de nature ».

L’état de nature c’est cette hypothèse philosophique qui permet de se figurer l’agissement des hommes avant l’émergence de la société et de l’Etat. Ces débats sont fondamentaux car ils ont servis de substrat philosophique à l’immense majorité des pensées politiques et même économiques. Et à travers The Walking Dead on peut retracer les grandes conceptions de l’état de nature.

Pour l’Anglais Thomas Hobbes (1588-1679) l’état de nature est un « état de guerre de chacun contre chacun » (1), ce que l’on résume souvent par la formule « l’homme est un loup pour l’homme ». Les hommes confrontés aux dangers d’une mort violente vont avoir tendance à s’entre-tuer : à tuer pour ne pas être tué.

Dans un premier temps cette approche n’est pas celle de la communauté de Rick dont le modèle semble plus rousseauiste. Dans le modèle décrit par Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1762), l’homme dispose d’une « répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement ses semblables » (2). C’est le mythe du “bon sauvage”.

Mais la tension entre ces deux théories va être présente tout au long de la série : l’homme est-il bon et enclin à s’entraider ? Ou est-il égoïste et doit être gouverné par la peur pour contraindre sa volonté de domination qu’il assimile à sa survie ? Ce débat, jamais tranché, traverse les 6 saisons de The Walking Dead… mais pas la septième.

negan-again-amc-releases-final-scene-of-the-walking-dead-season-6-finale-online-918017Dans la septième saison de The Walking Dead, la série semble devenir nietzschéenne. Après avoir fait preuve de compassion (saisons 1-3), Rick à Alexandria est tenté par Hobbes, il tente de convaincre les habitants que la violence et la force doivent être la règle vis-à-vis des autres communautés car seule la survie compte peu importe le coût, et souhaite lui aussi faire régner l’ordre par la peur (saison 5), mais il est vite rattrapé par sa nature qui est bonne. La communauté redevient kantienne en interne mais reste hobbesienne vers l’extérieur. Elle va toutefois le payer cher.

Car, dans la dernière saison de The Walking Dead, ce qui semble faire agir les hommes c’est bien « la volonté de puissance ». La petite équipe de Rick est victime du « renversement des valeurs », leur morale – la pitié, la faiblesse, l’égalité, la culpabilité – est celle des faibles, des « esclaves » (ce qu’ils deviennent au sens propres) et les condamne au ressentiment et à l’esprit de vengeance, sentiments que ne ressent pas Negan qui se fiche éperdument du bien et du mal.

Toutefois, de nouveau, la série ne décide pas pour nous pour le moment. Le moins que l’on puisse dire c’est que si Negan fascine, il n’est pas pour autant un héros : nos personnages vont-ils devoir se comporter comme lui pour le vaincre et ainsi renoncer à leur morale ? Ou vont ils construire un système autre et juger celui de leur ennemi ?

Une réflexion sur la justice

Dans un contexte de survie, la justice doit-elle être expéditive ou doit-elle préserver notre humanité ?

C’est toute la question que poste l’épisode 11 de la saison 2 « Juge, Juré et Bourreau » où le groupe doit déterminer si un homme qu’ils ont sauvé et qui pourrait représenter une menace pour eux doit être exécuté ou non. Un débat est organisé qui n’est pas sans rappeler 12 hommes en colère et dans lequel le personnage de Dale est le seul à argumenter en faveur de l’humanité, de la civilisation et de la moralité. Mais la peur domine les autres membres du groupe et l’épisode nous montre le déclin de la moralité des individus lors d’un événement catastrophique.

Une réflexion sur les relations internationales

Doit-on s’armer et être en mesure de supprimer n’importe quel autre groupe de survivants ou au contraire l’union fait-elle la force ? Doit-on agir préventivement au risque de devenir des monstres ou doit-on coûte que coûte trouver des moyens de collaborer ?

trolkingdeadEn relations internationales on peut grossièrement distinguer deux théories principales :

Tout d’abord, a théorie réaliste (Hobbes, Rousseau) qui explique que l’anarchie entre les nations est une donnée permanente, c’est une pensée pessimiste selon laquelle les Etats ne peuvent agir qu’en leur propre intérêt et pour leur propre sécurité au risque de créer une insécurité collective comme le montre la théorie des jeux ; la théorie libérale (Kant, Locke) qui admet la réalité de l’anarchie mais pense que l’on peut s’en émanciper par la coopération et le droit international.

De nouveau, la tension entre ces deux pensées est omniprésente dans The Walking Dead : le groupe de Rick cherche à collaborer avec Alexandria tandis que les femmes d’Oceanside après avoir fait l’expérience de la barbarie de Negan préfèrent tuer par prévention les personnes qui s’approchent de leur camp au cas où elles représenteraient une menace.

Ce qui semble ressortir de The Walking Dead est plutôt la théorie réaliste : si la démocratie, la paix kantienne, est possible à l’intérieur des communautés-Etat, c’est bien l’anarchie violente et le rapport de force qui définissent les interactions entre elles à l’extérieur.

De la violence au pacifisme

Depuis le début de The Walking Dead, la série montre la violence comme le principal moyen de la survie.

Pourtant plusieurs personnages, celui de Dale, puis celui de Morgan défendent l’option non-violente et pacifique. Mais assez vite ce choix passe au mieux pour de la naïveté au pire pour de la lâcheté.

Ici aussi The Walking Dead laisse les perspectives ouvertes. Si Morgan est un personnage souvent agaçant, les scénaristes semblent lui donner en partie raison lorsqu’il parait parvenir à faire ressortir le bon dans un des W (un des groupes les plus sanguinaires et fous-furieux de l’univers de la série). C’est cette idée rousseauiste que les hommes sont bons mais que c’est la société qui les corrompt.

Sur la non-violence contrainte, celle de Rick collaborant avec Negan, les scénaristes s’abstiennent de juger, un peu à la manière d’Un Village Français qui préfère la compréhension des motivations de tout un chacun au jugement moral peu instructif et peu source de réflexion.

Différents modes d’organisations de la cité

C’est aussi en cela que The Walking Dead est une série politique.

Elle montre différents systèmes politiques avec chacun leurs défauts et leurs qualités. La démocratie serait la ferme d’Hershel et Alexandria, la dictature le Woodbury du Procureur, le nazisme serait représenté par le Terminus, le totalitarisme le Sanctuaire de Negan, la monarchie le royaume d’Ezekiel et le matriarcat Oceanside.

Les épisodes sont l’occasion de véritables cours de science politique sur la formation des systèmes politiques, la légitimation des pouvoirs et la pérennisation ou non de ces modes d’organisation.

https://www.youtube.com/watch?v=0afWNji5-Lg

Du patriarcat au féminisme

C’est l’une des évolutions les plus marquées de la série et l’une des plus bienvenues.

Alors que dans les premières saisons les rôles sont atrocement genrés au point que cela soit difficilement supportable, un changement drastique des personnages féminins s’opère au fur et à mesure des saisons.

Au début de la série les femmes sont des mères et des ménagères, parfois battues, elles ne peuvent survivre que sous la protection de leurs hommes. Pourtant petit à petit, les femmes s’affirment dans la série. Peu ou pas sexualisées (et c’est assez rare pour qu’il faille le noter) elles deviennent de véritables guerrières indépendantes, toutes aussi capables que les hommes, toutes aussi indispensables et à même de les protéger. Pour autant il n’est pas tu que les femmes sont souvent doublement victimes lors des conflits via les crimes sexuels (le viol suggéré de Maggie à Woodbury, l’esclavagisme sexuel de Negan au sanctuaire…).

On assiste même désormais à un retournement encore plus audacieux, à travers les femmes d’Oceanside et le personnage de Maggie, le milieu de la saison 7 laisse penser que les femmes seront désormais les plus aptes à se battre, à diriger voire à gouverner. Plutôt dingue pour une série qui a commencé par se distinguer par son sexisme appuyé.

On est alors obligé de constater que les clichés de TWD sont en fait des idéaux-types qui sont déconstruits lorsque se recréent les rapports sociaux à l’aube de l’ère nouvelle qu’incarne l’apocalypse zombie.

Représentation de la violence : et si The Walking Dead avait raison ?       

Le premier épisode de la saison 7 a été d’une violence psychologique, physique et graphique absolument insoutenable, au point qu’on laisse entendre qu’il pourrait expliquer une partie des grosses chutes d’audiences de cette saison. A la manière de Télérama, beaucoup ont été saturés par ce qui leur est apparu comme étant de la « gratuité » et de l’excès.

Et pourtant… la complaisance dans la violence c’est le hors champ. Filmer la violence en gros plan c’est montrer la barbarie pour ce qu’elle est plutôt que de l’édulcorer sans cesse.

Jean-Baptiste Thoret, spécialiste du cinéma américain, explique que jusqu’à la Horde Sauvage (1969) : « le cinéma hollywoodien ne filmait pas la violence mais des individus violents. On appelait ça le régime de l’image-action, un régime dans lequel la violence était rattachée à des individus en particulier et s’exerçait à toutes fins utiles. Avec Sam Peckinpah, le cinéma américain bascule dans le régime de l’image-énergie et accède enfin à son essence. La distinction entre la bonne et la mauvaise violence s’effondre et fait place à une violence démotivée, incontrôlable et ontologique, enfin affranchie de l’idéologie classique du cinéma hollywoodien classique qui la légitimait » (3).

Or qu’y a-t-il de plus complaisant justement que de légitimer la violence, que de lui trouver des excuses et des motivations ? A la manière d’un James Bond tuant des centaines de personnes sans verser une goutte de sang et avec l’approbation collective car il remplirait une mission. La « gratuité » que rejette Télérama c’est toucher une des vérités autour de la violence. Depuis les années 70 on peut filmer « la violence pour elle-même, du point de vue de son énergie, du climat qu’elle instaure et non pas de l’action individuelle ou collective qui la légitime » (3).  C’est exactement ce que fait l’épisode 1 de la saison 7.

On le voit les débats sur cette manière de représenter la violence n’ont jamais cessé : on pense à Tarantino ou bien à Irréversible de Gaspar Noé. On reprochait à Noé la gratuité et le non-sens de sa violence alors même que l’essentialisation de cette violence est son sujet, pas la complaisance vis-à-vis de celle-ci.

Dans les séries, la transition vers le régime de l’image-énergie s’est faite plus tardivement, avec cet épisode elle est définitivement achevée. En effet, malgré tous les excès que l’on avait déjà pu voir à la télévision (un égorgement au cutter en plan fixe dans Breaking Bad, des tortures un épisode sur 2 dans Games Of Thrones…) The Day Will Come When You Won’t Be a réussi à lui tout seul à relancer le débat sur la représentation de la violence au petit écran…

Il faut alors contextualiser : cette transition s’est faite au cinéma à un moment particulier qu’Arthur Penn explicitait bien à propos de Bonnie & Clyde (1967) : « ils trouvaient que le film était violent mais à l’époque, chaque soir, nous voyions aux nouvelles des gens tués au Vietnam ».

Aujourd’hui le contexte n’est plus le Vietnam mais Daech. Devant les exécutions ignobles à genoux de l’épisode 1 nous ne pouvons nous empêcher de penser aux vidéos diffusées sur Internet de James Foley ou d’Hervé Gourdel et nous comprenons que oui, nous avons à nouveau passé un cap graphique dans la représentation de la violence. Face à cette ultra-violence omniprésente, la représentation de la violence si elle se veut réaliste et toucher le spectateur, voire le traumatiser – car une violence qui donne envie de vomir et non pas envie de manger du pop corn c’est une violence qui est bien représentée – et qui justement ne se complaît pas,  ne peut plus être comme avant, elle ne peut plus être aseptisée.

Ainsi il est très difficile de dire si Walking Dead est de droite ou de gauche, mais elle est assurément une série profondément politique en ce qu’elle fait réfléchir à l’état de nature, aux conceptions de la justice, aux manières d’appréhender les relations internationales, aux différents modes d’organisation politique, à la domination masculine et à la question de la violence.

Sources :

(1) Léviathan (1651) Thomas Hobbes
(2) Du Contrat Social (1762) Jean-Jacques  Rousseau
(3) Le Nouvel Hollywood (2016) Jean-Baptiste Thoret

Crédits photos :

Photo 1 : ©Casey Florig
Photo 2 – ©DORKLY / Trolking Dead