Le Christ-Macron ou la politique de l’an 1600

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Macron à Sciences Po pour un débat sur l’Europe. Crédits non nécessaires

Dans un entretien étonnant accordé au Journal du Dimanche, Emmanuel Macron nous livre sa vision du pouvoir : «J’ai toujours assumé la dimension de verticalité, de transcendance, mais en même temps elle doit s’ancrer dans de l’immanence complète, de la matérialité. (…) La dimension christique, je ne la renie pas ; je ne la revendique pas».

Ces termes philosophiques sont agréables à lire et tranchent radicalement avec la tonalité médiocre des discours politiques actuels. L’homme qui rappelle à la moindre occasion qu’il a été l’assistant du philosophe Paul Ricoeur tient à sa réputation, et la nourrit à coup d’interviews sur des thèmes profonds qui laisseraient sans voix la plupart de ses rivaux.

Mais vouloir réconcilier la transcendance et l’immanence, tout en assumant une part christique dans la conquête et l’exercice du pouvoir, voilà qui interpelle, et appelle quelques définitions simples avant que toute discussion soit possible.

Le candidat venu d’ailleurs

L’immanent est ici, le transcendant est au-delà ou au-dessus du monde ; il est ailleurs. La transcendance évoque l’idée de dépassement de notre réalité, pour atteindre un ordre supérieur dont notre monde dépendrait étroitement mais qui serait la plupart du temps inaccessible. Soit on considère que tout est ici, soit l’on imagine qu’il peut y avoir quelque chose ailleurs qui explique ce monde-ci. L’un et l’autre sont deux conceptions du monde qui peuvent difficilement se conjuguer ; ce d’autant que l’immanent semblait l’avoir définitivement emporté depuis des siècles dans la sphère politique. L’évocation du Christ, qu’Emmanuel Macron ne « renie pas », illustre cette synthèse a priori impossible : à la fois homme et Dieu, il serait l’incarnation de quelque chose qui nous dépasse absolument, mais qui s’est fait homme.

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Le Christ Pantocrator de la Basilique Sainte-Sophie esquisse un geste de bénédiction, dont les deux doigts levés indiquent sa double nature : immanente et transcendante

Nul n’ignore d’ailleurs le caractère originairement religieux de la transcendance. Or, nous sommes les héritiers d’un grand mouvement de sécularisation, bien analysé par les démographes Emmanuel Todd et Hervé Le Bras ou par l’historien Michel Vovelle. L’organisation de la vie sociale, et par conséquent de la vie publique, s’est progressivement détachée des préoccupations religieuses dès le début du XVIIIe siècle. Cette sécularisation, couplée à l’alphabétisation de masse, a entraîné, à terme, l’émergence des principales forces politiques contemporaines. L’apparition des grandes idéologies au cours du XIXe et du XXe siècle est directement corrélée à la diminution de la pratique religieuse dans les différentes régions d’Europe.  Les désaccords sur la vie commune s’expriment désormais dans des programmes, des orientations, telles que la social-démocratie, le conservatisme ou le libéralisme. 

Cette nouvelle conception du fait politique marque un progrès indiscutable des consciences collectives dans la connaissance du monde.

En effet, rien n’est au-delà, tout est ici. «Nous sommes au monde, on nous l’a assez dit», chantait Léo Ferré.  La conséquence politique de cette affirmation est claire : il n’y a pas d’autorité naturelle, le charisme dépend des qualités des hommes et non d’une inspiration divine.

L’incarnation ici et maintenant

L’incarnation reste possible ; on peut même la qualifier de « transcendante » si l’on joue sur les mots et qu’on est peu honnête. Car qu’incarne-t-on dans un monde qui n’a pas d’arrière-monde ? Des aspirations collectives, des idées, un programme. Tout ce qu’Emmanuel Macron refuse de proposer pour l’instant, affirmant même que «c’est une erreur de penser que le programme est au coeur d’une campagne». L’incarnation, sans transcendance, doit s’appuyer sur quelque chose. Elle ne peut pas être la seule affaire d’une «dimension christique», sauf à croire en son destin providentiel.

Parce qu’un homme seul n’est plus en contact avec les forces surnaturelles, il ne peut tirer l’énergie de gouverner et la force d’exercer le pouvoir que du soutien des puissances naturelles de ce monde-ci. La plus grande force ici-bas, pour un aspirant au pouvoir suprême, est celle des hommes qui partagent ses idées, souhaitent l’aider à les appliquer, ou consentent du moins à déléguer leur puissance. Les théories du contrat social, qui naissent précisément lorsque la sécularisation commence à produire ses effets politiques, en sont la conséquence directe.

Pouvoir immanent, révolte imminente ?

Boetie_1Plus radical encore que les contractualistes, Étienne de La Boétie exprime crûment que tout homme, aussi providentiel fût-il, n’a que deux yeux, deux bras, deux jambes. Dieu ne prête pas ses bras à ceux qu’il élirait. Sans puissance supérieure, ce sont les forces de ce monde-ci qui imposent ou non une autorité politique. Ce sont nos bras, nos jambes, notre force qui appuient le pouvoir, quel qu’il soit. L’action politique n’est jamais un «chemin» solitaire qui aurait une dimension «christique».

Dans un second temps seulement, les manifestations de ce pouvoir, venu du consentement de la base sociale qui l’appuie, semblent tomber d’en-haut et, pourquoi pas, d’ailleurs. Mais ce sentiment de «transcendance» est trompeur : le pouvoir est toujours immanent. Prétendre comme le fait M. Macron qu’il devrait être concilié avec une dimension transcendante, c’est perpétuer un mensonge dont nous pensions être définitivement délivrés. Celui du Roi à qui l’on doit obéissance parce qu’il est roi, ou de l’homme au destin déjà écrit que la Providence a désigné pour nous diriger (suivez mon regard).

L’immanence effective et définitive du pouvoir emporte plusieurs conséquences politiques, bien décrites par Frédéric Lordon relisant Spinoza et La Boétie. Ces conséquences sont si subversives qu’on comprend que le candidat de l’extrême-centre, tout enivré de ses récents succès sondagiers, souhaite conférer une part de « transcendance » à son action publique.

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Tout l’attirail supposément transcendant d’une monarchie millénaire n’a pas suffi à préserver le trône ni la vie de Louis XVI.

D’abord, le pouvoir politique n’est légitime que lorsqu’il s’appuie sur une majorité qui lui accorde suffisamment de puissance. Ensuite, ce même pouvoir tombe de lui-même lorsqu’il n’est plus perçu comme légitime, quand bien même il se parerait de tous les ornements d’une autorité naturelle, divine ou supérieure. On a vu des rois choir de leur trône millénaire alors qu’ils prétendaient le tenir du Seigneur.

On voit bien les liens nécessaires entre la démocratie et cette conception immanente du pouvoir. Les institutions démocratiques formalisent un processus qui, sans cela, s’exprimerait violemment lorsqu’on atteint un point de rupture. Sans acceptation du pouvoir politique, ce dernier s’effondre. S’assurer du soutien de la majorité n’est pas seulement le moyen d’affirmer une orientation programmatique ; c’est aussi la garantie que le pouvoir continue de s’exercer sans être confronté à une révolte majoritaire, donc plus puissante que le pouvoir devenu minoritaire.

Le vote de chacun est la concrétisation de sa délégation volontaire de puissance et de confiance vers un individu qui ne devrait jamais oublier d’où il tire sa légitimité. Ce transfert de puissance du bas vers le haut, qui explique que le pouvoir s’exerce, est l’autre nom de la souveraineté, dont on voit bien ici qu’elle est nécessairement populaire pour être authentique.

L’ambiguïté du Christ-Macron

Il est vrai qu’Emmanuel Macron n’a jamais daigné se présenter au suffrage universel avant 2017, l’élection présidentielle étant la seule qui, à ses yeux, mérite qu’il s’y attarde un peu. Et que sa conception de la souveraineté mérite pour le moins d’être éclaircie…

On comprend mal, à le lire, comment il compte concilier la transcendance et l’immanence. Soit il y a quelque chose au-delà du monde, une inspiration divine, qui dépasse les hommes, soit il n’y a rien de tel, et l’incarnation politique n’est qu’une transcendance de façade.

L’évocation du Christ et d’une « ruse de l’Histoire » (comprendre d’une Histoire capable de ruse, de réflexion, d’orientations, en un mot une histoire providentielle) ne paraît pas plaider pour le choix de l’immanence. Peut-être ne s’agit-il là que d’un habillage philosophique permettant d’expliquer a posteriori son relatif succès politique, en se donnant l’étoffe d’un Président et en se proclamant lui-même le chouchou du destin, à défaut d’être resté celui de François Hollande.

On peut cependant accorder le bénéfice du doute au candidat centriste. La transcendance qu’il évoque n’est peut-être qu’un abus de langage pour parler d’une incarnation d’aspirations terrestres, « ancrées dans l’immanence complète ». Auquel cas il devient urgent de nous dévoiler quelles sont ces aspirations, quel est ce programme qui n’est « pas au coeur » de sa campagne. Sans cela, la course au pouvoir d’Emmanuel Macron risque de nous renvoyer à une conception datée de l’action politique, d’avant les premières vagues de déchristianisation du XVIIIe siècle, loin de l’hypermodernité qu’il revendique par ailleurs. L’incantation christique pouvait encore fonctionner en 1600 ; aujourd’hui, sans programme et sans Dieu, Emmanuel Macron risque bien de n’incarner que lui-même.

Pour aller plus loin :

TODD Emmanuel, L’invention de l’Europe, Paris, Seuil, 1990

TODD Emmanuel et LE BRAS Hervé, Le Mystère français, Paris, Seuil, 2013

LORDON Frédéric, Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015

VOVELLE Michel, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les attitudes devant la mort d’après les clauses des testaments, Paris, Plon, 1973

Crédits

http://www.leparisien.fr/politique/ils-se-levent-tous-pour-macron-11-12-2016-6440592.php

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Christ_pantocrator#/media/File:Christ_Pantocrator_Deesis_mosaic_Hagia_Sophia.jpg

https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire#/media/File:Boetie_1.jpg

 

Nationalisons pour rétablir la souveraineté et réduire le chômage

©Pieter van Marion. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license.

Dans le contexte de la mondialisation néolibérale qui dissout la souveraineté des peuples, les nationalisations sont devenues une urgence à la fois économique et démocratique. C’est un des moyens, pour les peuples, et à travers leur État, de peser sur leur destin.

Nous vivons un « moment souverainiste ». Depuis les attentats en effet, l’État est de retour : état d’exception, police et armée sont au cœur des discours et des actes politiques. Mais quid des questions économiques, l’État ayant déserté la sphère économique qu’il a laissé à des actionnaires privés focalisés sur la rentabilité à court terme ? En effet, refuser l’intervention de l’État dans le domaine économique, c’est refuser d’être pleinement souverain tout en actant la domination de l’économique sur le politique. C’est comme marcher sur une seule jambe. Alors que depuis 1995, les candidats promettent tous de résorber la « fracture sociale » et de réduire le nombre de chômeurs, on assiste à une hausse de la pauvreté, du chômage et au recul généralisé de la puissance publique dans les sphères de création de richesse.

C’est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques des gouvernements successifs : privatiser toujours plus, céder des fleurons de l’économie à des actionnaires privés et étrangers, et après regretter avec des trémolos dans la voix la montée du chômage. On se contentera de rappeler les choix de la “gauche gouvernementale” qui privatisa pour 210 milliards de francs sous Lionel Jospin, battant les records des gouvernements de droite. Aussi, évoquer les nationalisations, qu’elles s’effectuent dans un cadre d’économie semi-dirigée de type keynésien ou dans un cadre visant à rendre aux travailleurs la propriété effective des moyens de production et d’émission monétaire, revient en grande partie à définir ce que signifie concrètement une politique de rupture. Il faut pour cela faire un bref détour historique.

L’Etat aime tellement les entreprises qu’il les préfère dans son giron :

Si la première nationalisation à caractère économique en France remonte à 1907, 3 dates sont essentielles pour comprendre l’importance de ce processus dans l’histoire économique française, coïncidant avec des victoires électorales de la gauche: 1936, 1945 et 1982. Vainqueur des élections législatives de 1936, le Front Populaire nationalise des entreprises d’armement par la loi du 11 aout 1936, puis des entreprises de transport, ce qui abouti en 1937 à la création de la SNCF dont l’Etat possède au départ 51% du capital. Mais c’est à la Libération que vient se mettre en place des nationalisations massives afin de « gagner la bataille de la production » comme le disait l’un des slogans en vogue à l’époque.

Le programme du Conseil National de la Résistance impliquait en effet « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ». Charbonnages de France, Renault, onze grandes compagnies d’assurance ainsi que la Banque de France et les quatre plus grandes banques françaises sont ainsi nationalisées. Le cas des nationalisations est en outre intéressant en matière de procédure, surtout lorsque l’on nous parle sans cesse des « longueurs » de l’administration et de la procédure législative qui rendraient impossible toute nationalisation bancaire sans fuites massives de capitaux.

Le projet de loi de nationalisations du secteur bancaire fut déposé le vendredi 30 novembre 1945 au soir après fermeture de la bourse, voté le 2 décembre et publié au Journal Officiel le lendemain. Parfois ces nationalisations sont aussi des sanctions vis-à-vis de patrons compromis dans la Collaboration comme Louis Renault dont les usines jouèrent un rôle important dans l’effort de guerre nazi. Renault devient ainsi régie publique (sans compensation, ce qui donne lieu à des débats sur le caractère de « nationalisation » de cette mesure qui s’apparente plutôt à une « confiscation » car la nationalisation implique compensation financière selon la juriste Sophie Nicinski).

Le retour de la gauche au pouvoir en 1981 amorce la dernière grande vague de nationalisations avec la loi effective le 13 février 1982 qui touche de nombreux secteurs de l’économie : dans l’industrie avec Thomson , Rhône-Poulenc ou Usinor (qui fusionne ensuite avec Sacilor) ; dans le secteur bancaire avec le CIC et le Crédit du Nord. L’État accroit de surcroit son poids dans le secteur en récupérant le capital des entreprises qu’il ne détenait pas encore totalement comme la Société Générale, le Crédit Lyonnais ou la BNP. Ainsi en 1983, 25% des salariés travaillaient dans une entreprise publique. Cette politique fut contestée par une droite qui avait définitivement rompu avec le gaullisme et l’esprit du CNR, qui saisit le Conseil Constitutionnel, lequel autorisa les nationalisations en donnant un cadre juridique précis, rendant cette procédure très encadrée mais possible en régime capitaliste.

La nationalisation est possible en système capitaliste, mais il faut y mettre le prix.

Dans sa décision du 16 janvier 1982, le Conseil Constitutionnel a certes reconnu « le caractère fondamental de la propriété privée » mais a admis que celle-ci « admet des limitations exigées par l’intérêt général » afin par exemple de « combattre le chômage et de faire face à la crise économique ». Mais la contrepartie réside dans la compensation des actionnaires qu’il ne faut pas « spolier », cette compensation pouvant s’élever à la somme des valeurs boursières et dividendes majorés de 14% – cas de 1982.

Nationaliser a un coût mais porte aussi des bénéfices en termes de souveraineté économique et sociale. Bien entendu l’UE considère selon Joaquin Almunia que si les traités « ne prévoient pas de définition de la propriété dans chaque État membre », il convient que l’État « se comporte comme un investisseur privé tant en ce qui concerne le prix d’acquisition que la gestion de l’entreprise ». On voit que la contrainte des propriétaires privés peut ainsi vite devenir une juteuse opération pour les actionnaires privés. L’argent que l’État investit dans la nationalisation, est de surcroit de l’argent en moins pour investir ensuite dans ces entreprises publiques. Aussi, la question centrale porte sur le modèle économique dans lequel s’effectue la nationalisation et sur son but.

Toute politique progressiste passe nécessairement par la nationalisation d’entreprises :

On nationalise à la fois pour juguler le chômage et pour empêcher la captation par des particuliers de « biens communs » comme les ressources naturelles. De même, nous l’avons vu, l’outil monétaire, ne saurait être soustrait à la Nation sans amputer la capacité du peuple français à se saisir de son destin économique. Aussi la nationalisation doit être un postulat pour toute politique de rupture. Mais là où la solution keynésienne peut dépenser des sommes astronomiques pour récupérer des entreprises, une alternative peut consister en la confiscation pure des actifs des actionnaires privés d’entreprises stratégiques dans certains cas très précis, c’est-à-dire d’entreprises dont les activités sont essentielles au développement de la Nation, et dont les objectifs doivent relever de la décision démocratique. Par exemple via la planification publique, planification dont usent d’ailleurs déjà tous les capitaines d’industrie.

On peut lier en effet la question des nationalisations à celle du développement de l’emploi, le tout de manière précise : si le conseil d’administration d’une entreprise X s’engage à ne pas licencier voire à embaucher sur une durée Y, la puissance publique ne pourra nationaliser, si elle le juge nécessaire, que sous le régime compensatoire. La rupture de cet engagement entre État et CA pourrait entrainer à l’inverse une prise en main pure et simple de l’appareil productif, surtout si la décision de licencier résulte d’une opération de maximisation du taux de profit et non d’une véritable phase de recul de l’activité de l’entreprise. L’État pose ainsi des critères de développement social de l’activité comme critères d’évaluation d’une nationalisation et de sa forme. La possession par l’État d’un vivier d’entreprises permet également la baisse significative du chômage par le recours au droit opposable à l’emploi.

Si le secteur privé ne peut proposer un emploi à qualification égale à un chômeur après une durée X que fixerait la loi, c’est l’État qui deviendrait employeur de facto de ce privé d’emploi en l’intégrant au sein d’une entreprise publique (on se rapporte aux travaux d’Hyman Minsky). Même le secteur privé y trouverait une aubaine car le pôle public constitué par fusion forcée des grandes banques privées pourrait par exemple prêter aux PME à un taux préférentiel. Bien entendu, la question du contrôle des activités économiques nécessitera une bonne coopération entre les salariés, leurs représentants légitimes et l’État. Cela exige des formes de participation démocratique dans l’entreprise, afin que les nationalisations soient aussi des socialisations, et pas uniquement des étatisations.

Pour aller plus loin :

 

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L’Union Européenne rappelle à Tsipras qui sont les maîtres

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Alexis Tsipras. ©www.kremlin.ru

Les créanciers viennent de suspendre l’allègement de la dette qu’ils avaient accordé au gouvernement grec. L’Eurogroupe estime qu’Alexis Tsipras a violé l’accord que son gouvernement a passé avec les créanciers en annonçant la mise en place de timides mesures sociales.


Le premier ministre grec Alexis Tsipras a promis il y a une semaine de mettre en place des mesures sociales destinées à soulager les plus pauvres : le versement de quelques centaines d’euros aux 1,6 millions de retraités pauvres gravement touchés par les mesures d’austérité et le report de la hausse de la TVA dans les îles de l’Est du pays les plus frappées par la crise migratoire (les réfugiés et les populations locales paieront cette taxe comme tout le monde). Des mesures qui n’affecteraient pas la situation financière de la Grèce, puisqu’elles seraient subventionnées par un excédent budgétaire de 674 millions d’euros. L’excédent primaire grec, c’est-à-dire l’excédent budgétaire avant que ne soient déduits du budget les coûts engendrés par le remboursement de la dette, est en effet l’un des plus élevés de la zone euro. C’en est trop pour les créanciers, qui ont décidé de suspendre l’allègement de la dette grecque décidée par l’Eurogroupe le 5 décembre ; un porte-parole de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, met en cause les mesures “unilatérales” d’Alexis Tsipras, qui “ne sont pas en ligne avec nos accords”, a-t-il précisé. Le premier ministre grec avait pourtant appliqué toutes les mesures réclamées par l’Eurogroupe et la “Troïka” (c’est-à-dire la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le FMI, qui représentent les créanciers de l’Etat grec).

Tsipras avait accepté les mesures des créanciers

Depuis juin 2015, le gouvernement grec a voté les centaines de mesures d’austérité préconisées par la « Troïka » : la TVA et les cotisations des travailleurs ont été fortement augmentées, l’expulsion des locataires endettés a été généralisée, et le gouvernement grec s’est engagé à privatiser l’équivalent de 50 milliards d’euros de biens publics. Pour atteindre cet objectif, il a purement et simplement dû se résoudre à privatiser une partie de son territoire ; Alexis Tsipras a ainsi mis en vente 597 îles grecques, des centaines de plages et de sites archéologiques.

Les mesures sociales annoncées par Alexis Tsipras ne contredisent pas les engagements pris avec les créanciers : rien dans ces accords n’interdit  au premier ministre grec de redistribuer les excédents budgétaires comme il l’entend. Pourtant, l’Eurogroupe a décidé de punir Alexis Tsipras en le menaçant de suspendre l’allègement de la dette prévu le 5 novembre.

Un allègement très relatif

L’accord signé en juin 2015 avec les créanciers prévoit une annulation de 30% de la dette grecque. Cette annulation a sans cesse été retardée par les créanciers, alors qu’Alexis Tsipras a pratiquement mis en place toutes les mesures d’austérité incluses dans l’accord. Bon nombre d’observateurs jugent que cet allègement serait insuffisant ; la dette grecque s’élève actuellement à 175% de son PIB ; même si elle était allégée de 30%, la dette grecque serait toujours supérieure au PIB du pays.

Depuis 2008, la crise de la dette entraîne la Grèce dans une spirale sans fin. Pour rembourser sa dette, la Grèce doit emprunter sur les marchés financiers avec taux d’intérêt ; pour rembourser ces nouveaux prêts, le gouvernement emprunte sur de nouveaux marchés financiers, toujours avec taux d’intérêt, et ce à l’infini. Résultat : la dette grecque, qui représentait l’équivalent de 110% du PIB en 2008, représente désormais 175% du PIB.

Les créanciers acceptent de prêter de l’argent à la Grèce uniquement si celle-ci met en place des mesures d’austérité, ce qu’ont accepté tous les gouvernements grecs depuis 2008. Ces plans d’austérité ont eu des conséquences sociales dramatiques.

La Grèce : l’un des pays les plus touchés par la crise

La situation du peuple grec frôle la crise humanitaire. 35% des Grecs vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, et 15% en-dessous du seuil d’extrême-pauvreté, c’est-à-dire avec des revenus inférieurs à 182€ par mois. La mortalité infantile a augmenté de 43% depuis 2008, tandis que le taux de suicide a triplé. Le taux de chômage a doublé, et ce sont actuellement 47% des jeunes qui sont à la recherche d’emplois en Grèce.

La sortie de l’euro ou l’esclavage à perpétuité ?

Alexis Tsipras avait été élu en février 2016 en promettant de “changer l’Europe” pour mettre en place une “Europe sociale”. Pendant six mois, son gouvernement a tenté de concilier la lutte contre les politiques d’austérité préconisées par l’Union Européenne et le maintien dans la zone euro. Il avait finalement cédé à la “Troïka” (Commission européenne + Banque Centrale Européenne + FMI) et appliqué le plan d’austérité qu’elle réclamait. Depuis, la dette a encore augmenté et la situation sociale de la Grèce s’est dégradée. La seule manière pour la Grèce de rompre avec la spirale infernale de la dette résiderait dans la possibilité d’annuler une partie de sa dette et de contrôler son système bancaire ; mais depuis le Traité de Maastricht, interdiction est faite aux Etats membres de l’Union Européenne de contrôler leur banque centrale et d’avoir une quelconque souveraineté monétaire…

Puisque les timides mesures sociales prônées par Tsipras ne contredisaient pas les engagements pris avec la “Troïka”, pourquoi l’Eurogroupe a-t-il décidé de suspendre l’allègement de la dette grecque ? Certains y verront un aveuglement idéologique de la part des créanciers; d’autres une volonté politique de montrer qu’aucune alternative à l’austérité n’est possible. Quoi qu’il en soit, cette décision de l’Eurogroupe pose une fois de plus la question de la compatibilité entre le maintien dans la zone euro et la résistance à l’austérité. Elle montre que le gouvernement grec est pieds et poings liés devant ses créanciers, puisqu’il ne parvient pas à voter la moindre loi sans leur accord. Puisque ce sont l’Eurogroupe et la Banque Centrale Européenne qui décident s’ils doivent débloquer des fonds pour la Grèce, ils sont en mesure de lui imposer toutes les mesures d’austérité qu’ils souhaitent. Une alternative à l’austérité peut-elle se concevoir sans rupture avec l’Union Européenne et la monnaie unique ? La résistance à l’esclavage par la dette est-elle pensable sans rupture avec la Banque Centrale Européenne qui en est l’instrument ?

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