À Lisbonne, bientôt un référendum contre Airbnb ?

Lisbonne, capitale du Portugal.© Liam McKay

À Lisbonne, avec la montée en flèche du tourisme, des dizaines de milliers d’appartements ont été transformés en Airbnb, au détriment des locataires lisboètes. Un référendum visant à interdire les locations courtes dans les immeubles résidentiels pourrait bien changer la donne. Par Richard Matousek, traduit par Piera Simon-Chaix [1].

António Melo habite depuis 71 ans – toute sa vie – dans le quartier d’Alfama, à Lisbonne. Mais son propriétaire a vendu l’immeuble à une entreprise de location touristique, qui a refusé de renouveler son bail. « J’ai peur d’être mis à la porte à tout moment, explique-t-il, [mais] je n’ai nulle part où aller. »

Cette histoire n’a plus rien d’extraordinaire pour les 546.000 habitants de la capitale portugaise, qui accueille entre 30 et 40 000 touristes par jour. Déjà, des habitants âgés ont été contraints de quitter des quartiers où ils avaient vécu toute leur vie. Cet exode « nous empêche d’avoir une vie de communauté dans l’espace local », explique Ana Gago, une géographe de l’université de Lisbonne qui a effectué une recherche de terrain dans le quartier d’Alfama. « Et c’est violent. »

Le nombre d’habitants d’Alfama a drastiquement chuté, passant de 20.000 dans les années 1980 à seulement 1.000 aujourd’hui. Alors que les prix « se sont envolés », selon les mots de l’universitaire Luís Mendes, consultant sur les questions d’habitat pour la municipalité, la population générale de Lisbonne a diminué. « L’effort consenti pour payer les loyers a atteint des taux disproportionnés, bien supérieurs au tiers des revenus, niveau que l’on considère habituellement comme un loyer acceptable », explique Luís Mendes.

À Lisbonne, par comparaison avec d’autres grandes villes européennes, l’augmentation du coût de la vie a été récente et brutale. Les salaires portugais, parmi les plus faibles de l’Europe occidentale, sont sans commune mesure avec les loyers. Les difficultés des personnes en recherche de logement à Lisbonne sont cauchemardesques. Certains habitants résistent pourtant, et se mobilisent pour contraindre les autorités à organiser un référendum qui pourrait mettre un coup d’arrêt aux déplacements engendrés par Airbnb et consorts.

La crise des années 2010, une opportunité pour le tourisme

La crise actuelle a commencé avec la grande récession, lorsque la Troïka a accepté de renflouer le Portugal si ce dernier imposait des mesures d’austérité et dérégulait son économie pour encourager les investissements étrangers. Le gouvernement portugais, considéré comme « le bon élève » par comparaison avec la Grèce, s’est lancé dans l’entreprise à corps perdu. Simone Tulumello, de l’université de Lisbonne, explique que la méthode employée à l’époque a consisté à tout miser sur des solutions miracles, à savoir « des activités de développement à faible valeur ajoutée, parmi lesquelles le tourisme est une poule aux œufs d’or. »

Le pays a également mis en place un « visa doré », auquel peuvent prétendre les investisseurs étrangers non communautaires prêts à mettre de l’argent sur la table (par exemple en achetant une propriété à 500.000 €) et qui leur confère le statut de résident de l’Union européenne. De même, le Portugal a déployé un programme à destination des résidents non permanents, destiné à inciter les investisseurs immobiliers européens.

La mairie a également fait la promotion de la marque Lisbonne jusqu’à ce que celle-ci remporte plusieurs classements, devenant le lieu européen incontournable à visiter pour tout touriste, nomade numérique ou startupper digne de ce nom. Une cargaison de célébrités, dont Madonna, s’y est également installée. Les propriétaires locaux et les investisseurs étrangers ont aussi sauté sur l’occasion. « Avec le boom de Lisbonne et la modification de sa perception d’elle-même, affirme Simone Tulumello, les gens se sont rendu compte que “OK, maintenant la location, ça rapporte beaucoup d’argent.” »

Plusieurs propriétaires bailleurs se sont prévalus d’une nouvelle loi locative destinée à faciliter les expulsions et ont converti leurs propriétés en lucratives locations de vacances à courte durée. Depuis 2014, il leur suffit de remplir un formulaire en ligne pour obtenir automatiquement un numéro d’enregistrement de location touristique. En 2020, 20.000 logements lisboètes étaient enregistrés avec ce statut, pour des proportions atteignant 60 % de l’ensemble des locations dans certains quartiers.

En 2020, 20.000 logements lisboètes étaient enregistrés avec ce statut, pour des proportions atteignant 60 % de l’ensemble des locations dans certains quartiers.

Malgré un énorme programme de construction et de rénovation, Lisbonne a perdu 6.000 logements nets en dix ans, principalement à cause des locations touristiques. « [La mairie] rénove et perd des habitants, affirme Simone Tutumello. C’est un échec total. »

Au fil du temps, avec la stagnation du marché du travail et des salaires portugais, le marché de la location a évolué, reflétant la puissance de la consommation mondiale. Des entreprises locales implantées de longue date dans la ville se sont métamorphosées afin d’attirer les touristes et les expatriés.

Maria, qui a vécu dans le quartier du Chiado pendant 78 ans, estime qu’elle peut de moins en moins se rendre dans les commerces locaux. « J’ai honte d’aller dans ces lieux, car je n’ai même pas idée de quoi commander », raconte-t-elle au sujet des cafés brunch qui ont remplacé les anciennes boutiques de son voisinage. « La vie disparaît, explique Agustín Cocola-Gant, géographe à l’université de Lisbonne. Lorsque je réalisais des entretiens avec des investisseurs dans la location de courte durée, le message qu’ils envoient aux habitants était : “Déménagez du centre. Cet endroit est une opportunité pour nous, ce n’est pas un lieu résidentiel. Laissez-nous tranquilles et reconnaissez que vous ne pouvez plus vivre ici.” »

Absence de volonté politique

Au Portugal, plutôt que de prendre ces questions à bras-le-corps, les dirigeants nationaux et municipaux ont oscillé entre le déni et la promotion de l’investissement immobilier. Pourtant, Berlin, Paris et Londres ont restreint le nombre de jours de location à court terme des propriétaires, tandis que Barcelone et New York brident les nouvelles locations touristiques. Jusqu’à l’année dernière, les autorités lisboètes n’ont entrepris aucune action de ce genre.

Une autre réponse politique a néanmoins eu lieu. Après le reflux de la pandémie et avec le regain sans précédent du tourisme, un mouvement social a émergé, alimenté par la frustration. De nouvelles organisations de plaidoyer ont ainsi été fondées en 2022-2023, comme Visa Justa, Porta a Porta et Casas Para Viver, une plateforme qui regroupe plus d’une centaine d’organisations. Des manifestations d’ampleur ont arraché quelques promesses au gouvernement, qui n’ont guère été suivies d’actions. Lors de l’élection municipale de 2021 et des élections nationales de 2024, ce sont les sociaux-démocrates – un parti de centre droit, malgré son nom – qui ont tiré leur épingle du jeu. Selon un universitaire interrogé, à la différence de la précédente administration socialiste, les sociaux-démocrates « ne reconnaissent même pas l’existence d’un problème. »

« Je pense que nous sommes encore très éloignés du surtourisme, affirme ainsi le maire Carlos Moedas, un social-démocrate. Nous devrions continuer à parier sur le tourisme et à miser sur un tourisme qualitatif. » Mais comment peut-il s’agir d’un choix électoral rationnel pour les principaux partis alors que la crise est sous les yeux de tous et que le Portugal est prétendument une démocratie ?

Le nombre d’électeurs qui ont placé leur argent dans l’immobilier est à présent suffisamment élevé pour que la municipalité soit prête à tout pour que la hausse des prix se poursuive, aussi peu viable puisse-t-elle être.

L’une des raisons est tout simplement que le nombre d’électeurs qui ont placé leur argent dans l’immobilier est à présent suffisamment élevé pour que la municipalité soit prête à tout pour que la hausse des prix se poursuive, aussi peu viable puisse-t-elle être. Et même si les électeurs pouvaient aspirer à des changements, de récents scandales ont montré comment les liens incestueux entre le capital et les partis politiques bafouent souvent leurs intérêts. En outre, comme la culture politique portugaise fait de la ville de Lisbonne un tremplin permettant d’accéder à des postes nationaux, cette tradition empêche la mise en œuvre d’une politique municipale plus ambitieuse, comme ces dernières années à Barcelone, New York, Paris, Londres et Berlin.

Le mouvement pour un référendum prend de l’ampleur

Des militants et des universitaires déçus par ce consensus politique et par l’inertie qu’il engendre se sont regroupés pour former une autre de ces nouvelles organisations, le Mouvement pour un référendum sur le logement (MRH). Inspirée du référendum berlinois de 2021 destiné à contraindre la municipalité à nationaliser les portefeuilles immobiliers des grands propriétaires en recourant à la préemption, l’initiative a accouché d’un ample mouvement, dont l’objectif est de forcer la municipalité à organiser un référendum sur le logement.

« Nous comptons parmi nous des professionnels, des personnes sans emploi, des locataires, des propriétaires, des personnes qui votent à droite, au centre ou à gauche, explique Agustín Cocola-Grant. La crise du logement et la touristification de la ville sont des thèmes transversaux, qui touchent les plus vulnérables, mais aussi la classe moyenne, voire les plus favorisés, installés depuis des années dans le centre [et en lutte pour préserver leur qualité de vie au milieu de la masse de touristes et de magasins de produits de pacotille]. »

L’objectif du MRH est de faire pour la première fois appel à la législation portugaise, qui autorise les électeurs à demander l’organisation de référendums. Selon la loi, si un nombre suffisant d’habitants inscrits signent une pétition pour qu’une décision publique soit prise sur une question, la municipalité est tenue d’organiser un vote sur l’organisation d’un référendum dont le résultat est contraignant. En juillet dernier, le mouvement a annoncé qu’en un peu plus de deux ans de démarchage, les 5.000 signatures requises avaient été obtenues et qu’elles seraient présentées au conseil municipal en octobre.

Le conseil en débattra, bien qu’il ne soit pas contraint d’approuver la tenue du référendum. Mais le MRH espère que la pression publique et médiatique se révèlera telle qu’il sera difficile de rejeter la demande populaire sur cette question brûlante. « Nous aurons collecté plus du double du nombre de signatures requis d’ici à l’échéance, explique Ana Gago, qui travaille également pour le MRH. Il y a donc une volonté claire de la population en faveur de la tenue du référendum. Si [la municipalité] s’y refuse, nous mettrons en doute notre démocratie. » Une telle déclaration n’est pas anodine, en cette année où le Portugal célèbre les 50 ans du renversement de la dictature.

Si tout se déroule comme espéré par le MRH, un référendum sera organisé au printemps 2025. Son résultat, à la différence de celui de Berlin, sera contraignant. Si plus de 50 % des électeurs votent « oui », le conseil municipal aura alors six mois pour interdire tous les Airbnb existants et en création, ainsi que les locations équivalentes dans les immeubles résidentiels.

Si plus de 50 % des électeurs votent « oui », le conseil municipal aura alors six mois pour interdire tous les Airbnb existants et en création.

Selon Agustín Cocola-Gant, il n’est cependant pas impossible que, pour contrecarrer cette démarche, le conseil vote un nouveau décret destiné à maintenir l’immobilisme. Mais ce décret ne pourrait attenter à la valeur symbolique du vote des habitants de Lisbonne en faveur de l’interdiction des locations à courte durée. « Si beaucoup d’habitants votent pour signifier “Nous ne voulons pas de ça”, la pression politique demeure. » Les tribunaux pourraient également mettre les bâtons dans les roues de l’initiative. Lorsque des villes comme Édimbourg et Berlin ont tenté de s’attaquer à Airbnb et consorts, la plateforme a lancé une bataille juridique qui a édulcoré ou entravé leurs plans.

Un référendum qui pourrait inspirer le reste du Portugal

Si, malgré les réticences, l’interdiction entrait en vigueur, les effets seraient considérables. Pendant la pandémie, 4.000 locations de courte durée sont revenues sur le marché des locations longues. Les retombées sur les prix lisboètes du locatif et de l’immobilier ont été palpables. « À présent, affirme Ana Gago, imaginez que nous puissions récupérer l’ensemble des 20.000 logements, j’imagine… j’espère que cela aurait des conséquences notables pour Lisbonne et pour la zone métropolitaine dans son ensemble. »

« Les quartiers ne seraient plus accaparés par les touristes, et les logements pourraient de nouveau être occupés par des résidents de tous âges, ajoute-t-elle. Les magasins qui, aujourd’hui, ne se préoccupent que des touristes, pourraient être amenés à repenser leur modèle économique afin d’attirer [les riverains]. Et [avec la stabilisation de la population], les associations de quartier cesseraient de disparaître. »

Dans cette perspective, la lutte tourne autour de qui est en capacité de définir la ville et son centre. « La ville est bien plus qu’un endroit où les investisseurs peuvent gagner de l’argent ; elle doit demeurer un mélange de personnes [différentes] », affirme Agustín Cocola-Gant en se remémorant les investisseurs avec lesquels il a réalisé des entretiens. « Le centre s’est construit grâce à un effort et à un héritage collectifs. Les investisseurs veulent utiliser cet héritage collectif pour faire des affaires [à leur profit] et, ce faisant, nous forcent à partir. C’est à cela que nous nous opposons. »

Il y a 50 ans, lors de la révolution des œillets, Lisbonne s’est soulevée contre l’une des autocraties les plus indéracinables d’Europe et a choisi le pouvoir du peuple. Cependant, alors que le Portugal célèbre les 50 ans de sa démocratie, la montée de l’extrême droite lors des élections 2024 a, pour de nombreuses personnes, jeté un froid sur la célébration de l’événement. Il est louable que des initiatives à l’image du Mouvement pour un référendum sur le logement fassent briller l’espoir que chacun puisse s’emparer des mécanismes démocratiques qu’elles mettent en branle pour provoquer des changements favorables au plus grand nombre.

Lisbonne n’est pas une enclave à part : d’autres zones du pays sont concernées par l’accroissement des pressions exercées sur l’habitat et exacerbées par les locations touristiques.

Lisbonne n’est pas une enclave à part : d’autres zones du pays sont concernées par l’accroissement des pressions exercées sur l’habitat et exacerbées par les locations touristiques. L’Algarve, Porto, Coimbra, Madère et les villes satellites de Lisbonne rencontrent les mêmes problèmes. Grâce à la Constitution signée après la révolution, l’ensemble du pays a accès à ce mécanisme de pétition pour réclamer un référendum. Toutes les personnes qui militent en faveur du droit au logement au Portugal auront les yeux tournés vers l’évolution de la situation à Lisbonne. 

Si tout se déroule comme prévu, affirme Ana Gago, ce serait « une lueur d’espoir, qui montrerait que nous pouvons changer nos vies grâce à la mobilisation, à la planification, à l’organisation. Le système en vigueur, cette démocratie, inspirerait de nouveau confiance. » Au moment où le Portugal célèbre le cinquantième anniversaire de sa démocratie, le mouvement référendaire lisboète semble dépasser la simple question des loyers exorbitants.

[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « In Lisbon, Residents Seek a Vote on Banning Airbnb ».

Yanis Varoufakis : « L’État grec et la BCE soutiennent les intérêts des fonds vautours »

Yanis Varoufakis en 2019 à Athènes. © DTRocks

Pendant que les Grecs s’appauvrissent et fuient leur pays miné par l’austérité, une poignée d’investisseurs étrangers réalisent d’excellentes affaires, grâce aux privatisations et au rachat de créances pourries pour une fraction de leur valeur nominale. Dépendant de la BCE et dépourvu de la plupart de ses services publics, l’Etat grec ressemble davantage à une colonie qu’à un Etat souverain. Alors que de récentes élections viennent de reconduire le conservateur Kyriákos Mitsotákis, l’ancien Ministre grec des Finances, l’économiste Yanis Varoufakis, nous livre son analyse de la situation et ses solutions pour sortir son pays du pillage et du carcan de l’euro.

Le 21 mai dernier, des élections législatives ont eu lieu en Grèce. A cette occasion, le parti du Premier Ministre sortant, Nouvelle Démocratie (droite conservatrice) est arrivé largement en tête avec 41% des suffrages. Une performance qui a surpris nombre d’observateurs, Kyriákos Mitsotákis ayant été particulièrement critiqué ces derniers mois pour son autoritarisme et accusé d’espionnage envers ses opposants politiques. Surtout, malgré les fables de la presse économique, qui affirme que le pays relève enfin la tête après des années d’austérité, la crise de la dette souveraine n’est pas terminée et la situation ne fait que s’aggraver pour les citoyens ordinaires. Le 28 février dernier, une catastrophe ferroviaire ayant coûté la vie à 57 personnes est d’ailleurs venue rappeler tragiquement les conséquences de l’austérité et de la privatisation.

Le principal rival de Mitsotákis, l’ancien Premier ministre Alexis Tsipras, peine pourtant à cristalliser la contestation, étant donné que son mandat (de 2015 à 2019) s’est résumé à une trahison : au lieu de rejeter l’austérité imposée par la Troïka et d’appliquer le résultat du référendum de 2015 (61% des Grecs avaient voté contre le plan d’austérité), son parti Syriza a poursuivi cette politique mortifère. La gauche est ressortie durablement affaiblie de cette expérience.

Ancien ministre des Finances du premier gouvernement de Syriza, Yanis Varoufakis a préféré donner sa démission en juillet 2015 plutôt que de céder aux dogmes de l’austérité. Très critique du bilan de Syriza, il a depuis fondé un autre parti de gauche, MeRA25, sous l’étiquette duquel il a été élu député en 2019. Ayant réalisé seulement 2,62% lors des dernières élections, son parti ne siègera désormais plus au Parlement. Néanmoins, Varoufakis a mené une campagne offensive contre les institutions européennes et décrit avec lucidité l’état économique de la Grèce. Dans cet entretien publié par notre partenaire Jacobin, traduit par Camil Mokadem, il évoque les conséquences actuelles de l’austérité en Grèce, les fondements de la prétendue « reprise économique » ainsi que les solutions alternatives proposées par son parti.

David Broder – Le 13 mai, un article du Financial Times affirmait qu’après une décennie marquée par l’austérité et les plans de sauvetage, la Grèce connaissait un redressement économique. Le PIB ne représente toujours que 80 % de son niveau de 2008 et les salaires moins de 75 %, mais une croissance rapide permet au pays d’améliorer sa notation auprès des investisseurs. Cité dans l’article, le président de l’Eurobank (une banque grecque, ndlr) évoque même « le plus grand redressement de l’histoire du système financier européen ». Peut-on vraiment se fier à ce tableau ?

Yanis Varoufakis – Tout dépend de quel côté on se place. Si l’on se situe du côté de la population grecque, tout ceci relève du discours orwellien. Mais si vous observez la Grèce en tant qu’investisseur étranger, ces propos ont du vrai. 

Aujourd’hui, la Grèce est encore plus insolvable qu’il y a dix ans, lorsque le monde de la finance (le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne, qui forment la Troïka, ndlr) nous a déclarés en faillite. Notre dette était alors aux alentours de 295 milliards d’euros et notre PIB s’élevait à 220 milliards d’euros. Aujourd’hui, notre dette atteint 400 milliards d’euros et le revenu national est de 192 milliards d’euros. Nous sommes donc plus dépendants que jamais de la Troïka et des investisseurs étrangers, qui sont nos principaux créanciers.

Le niveau de vie de la population grecque a baissé en moyenne de 20 % depuis 2010. Mais c’est une moyenne, si l’on regarde la situation de la classe ouvrière, le PIB par habitant a chuté de 45 % ! Pour ce qui est de la dette du secteur privé, environ 2 millions de Grecs sur 10 millions ont des fonds propres négatifs et des prêts non productifs. C’est un record mondial, une situation inédite que même les États-Unis n’ont pas connue lors de la crise des subprimes en 2008.

Dans un tel contexte, comment puis-je affirmer que la Grèce se porte bien du point de vue des investisseurs étrangers ? C’est assez simple : les obligations d’État se négocient à un taux de rendement de 3,6 à 3,7 %, soit bien au-dessus des obligations à 2,2 à 2,3 % de l’Allemagne. Pourtant, tout le monde sait que l’État grec est en faillite et que ses obligations ne pourront jamais être remboursées, alors pourquoi les racheter ?

« Déclarer la Grèce solvable en 2023 découle d’une manœuvre politique du même ordre que celle qui a consisté à la déclarer insolvable en 2010. »

La raison est simple : la Banque Centrale Européenne a annoncé qu’elle garantissait les obligations grecques. Toutefois, déclarer la Grèce solvable en 2023 découle d’une manœuvre politique du même ordre que celle qui a consisté à la déclarer insolvable en 2010. Pour Christine Lagarde et ses laquais, il s’agit là d’un clin d’œil adressé aux investisseurs.

Si la BCE soutient les obligations grecques, alors qu’elle ne l’a pas fait en 2012 et 2015, c’est parce qu’un mécanisme inédit est apparu ces dernières années, permettant d’extraire de la richesse des États en faillite. Les pouvoirs en place ont instauré le plan Hercules, qui retire les obligations des bilans des banques pour les vendre à des fonds vautours basés aux îles Caïman. Ces fonds deviennent la propriété d’investisseurs étrangers, de dirigeants de banques grecques, et de familles élargies de la classe politique. Ils ont la possibilité d’acheter un prêt non productif d’une valeur de 100.000 euros pour seulement 3.000 euros, tout en sachant pertinemment qu’ils ne pourront pas récupérer leur argent. Ils peuvent en revanche, s’ils vendent la garantie attachée au prêt pour 50 000 euros, empocher 47 000 euros sans avoir à déclarer un centime une fois les fonds transférés aux îles Caïmans. Cette manœuvre permet d’extraire environ 70 milliards d’euros d’une économie qui en produit moins de 200 milliards par an !

À première vue, il pourrait donc sembler paradoxal pour la presse financière de vanter les mérites d’une économie dont les secteurs public et privé sont à ce point en faillite. Mais en tenant compte des profits que tirent les investisseurs étrangers d’une telle situation, on comprend ces commentaires élogieux. De tels profits n’existent nulle part ailleurs : la Grèce est une véritable poule aux œufs d’or. De plus, ce plan Hercules, approuvé par le Parlement grec, garantit au moins 23 milliards d’euros. L’État grec et la BCE soutiennent donc les intérêts de ces fonds vautours s’ils ne parvenaient pas à extraire suffisamment de richesses par les dépossessions.

DB – En janvier, vous avez désigné Syriza, Nouvelle Démocratie et Pasok (équivalent grec du PS, ndlr) comme « l’arc du mémorandum ». Vous accusez ces partis d’ignorer le fait que, quelle que soit la couleur politique du gouvernement au pouvoir à la fin de la décennie, il devra quoiqu’il arrive emprunter davantage. À quel point la Grèce s’est-elle enfoncée dans cette spirale de dépendance depuis 2015 ? N’y a-t-il pas de nouveaux signes de croissance dans des secteurs comme la construction ou le tourisme ?

YV – Nous avons affaire à un désinvestissement massif : l’argent investi l’est dans des secteurs qui affaiblissent la capacité de notre pays à produire. Le gouvernement et la presse économique s’auto-congratulent devant l’augmentation des investissements directs étrangers (IDE). Il y a effectivement une augmentation des IDE, mais quels sont leurs effets ? Un fonds vautour qui achète un prêt de 100.000 euros pour 3.000 euros est comptabilisé comme un IDE. Pourtant cela ne rapporte qu’une faible somme d’argent, qui permet d’extraire un montant bien plus élevé par une dépossession. On n’y trouve pas le moindre signe de capital productif.

D’autre part, pendant que les garde-côtes de Frontex repoussent les migrants au large du littoral grec, causant la mort de nombreuses personnes, le système de « visa doré » laisse circuler dans l’espace Schengen quiconque pouvant investir 250.000 euros dans le pays. Pourtant cela ne provoque aucun investissement productif : dans mon quartier en centre-ville d’Athènes, on achète des appartements pour les convertir en Airbnb. Les seules conséquences sont l’affaiblissement de l’offre immobilière, qui force les locaux à se loger ailleurs. Ces manœuvres ne contribuent donc pas à la construction d’un capital productif.

Les gens qui viennent d’Ukraine, de Russie, de Chine ou du Nigéria n’utilisent pas ces passeports pour investir en Grèce durablement, mais pour s’installer ensuite en France ou en Allemagne grâce au système Schengen. L’argent des touristes américains circule d’une banque américaine à une banque allemande, contournant la Grèce, tout en augmentant les loyers pour les locaux par la même occasion. Les IDE ont pour but de tirer profit du marché de l’immobilier, des prêts non performants et des privatisations, tous préjudiciables au fonctionnement d’une économie réellement productive.

« Les IDE ont pour but de tirer profit du marché de l’immobilier, des prêts non performants et des privatisations, tous préjudiciables au fonctionnement d’une économie réellement productive. »

Nous pouvons prendre l’exemple de l’accident ferroviaire qui a récemment coûté la vie à 57 personnes. Au Parlement, les membres de MeRA25 (le parti de Yanis Varoufakis, ndlr) ont alerté sur les dangers des privatisations. La compagnie ferroviaire grecque a été vendue à la firme italienne Ferrovie dello Stato pour 45 millions d’euros en 2017, mais cela n’a donné lieu à aucun investissement, au contraire, l’État s’est engagé à subventionner la ligne Athènes-Thessalonique à hauteur de 15 millions d’euros par an. C’est une escroquerie pure et simple.

Pour ce qui est du plan de relance de l’UE, dont on entend beaucoup parler, la répartition des fonds est entachée de corruption. L’argent se retrouve dans les poches des oligarques, qui n’investissent pas, ou bien directement dans le système bancaire. On assiste, depuis la soumission de Tsipras en 2015, à un pillage ininterrompu, à une expérience d’extorsion de fonds à grande échelle. Après la pandémie, j’ai immédiatement affirmé que le plan de relance était insignifiant d’un point de vue macroéconomique. Certains ont préféré le voir comme un moment hamiltonien (c’est-à-dire qui conduirait à un fédéralisme européen, ndlr), mais en réalité ce plan a enterré tout projet d’union fiscale.

DB – Que pourrait entreprendre un gouvernement grec différent ?

YV – MeRA25 est le seul parti qui dispose d’un programme complet, modulaire et multidimensionnel pour gouverner. Notre manifeste aborde les enjeux sociaux, économiques et environnementaux et propose une alternative au prétendu mémorandum « d’entente » qui règne en maître dans le pays.

Un des points essentiels de notre programme consiste à instaurer une banque publique qui remplacerait le système Hercules afin d’empêcher l’achat et la vente de prêts non performants sur les marchés financiers. Cette banque, appelée Odysseus, absorberait ces prêts et permettrait aux individus menacés de liquidation ou de vente de sauver leur propriété en échange d’une redevance qui ne dépasserait pas un sixième de leurs revenus disponibles.

Les banques cèderaient leurs prêts pourris à Odysseus, qui les gèlerait ensuite par l’émission d’obligations. L’idée étant qu’une fois que le prix d’une propriété excède la valeur nominale des prêts gelés, des négociations peuvent avoir lieu entre les emprunteurs et Odysseus. Les emprunteurs ne perdraient pas la part qu’ils ont déjà payée, ceci permettrait de mettre un terme au transfert de richesses vers les îles Caïmans, et aux dépossessions qui sont une véritable catastrophe sociale.

Un autre volet clé concerne l’énergie : le réseau électrique a été privatisé et se trouve entre les mains d’une poignée d’oligarques qui se sont répartis les restes du distributeur public d’électricité. Notre programme prévoit la nationalisation progressive des producteurs d’énergie et des distributeurs, afin d’empêcher que le prix de l’énergie ne dépasse le coût moyen de sa production.

« Après mon départ du ministère des Finances, un “super fonds” a été imposé pour administrer les biens publics. Cette situation, unique dans l’histoire, représente le pire exemple de néo-colonialisme. »

Après mon départ du ministère des Finances, un « super fonds » a été imposé pour administrer les biens publics. Cette situation, unique dans l’histoire, représente le pire exemple de néo-colonialisme. Le fonds étant géré directement par la Troïka, les biens grecs sont donc légalement entre les mains de puissances étrangères. Nous proposons de démanteler ce fonds et de transférer ces biens vers une banque publique de développement dont le stock de capital servira notamment à financer la transition énergétique ou l’agriculture biologique.

Nous proposons également une autre institution, une plateforme de paiement numérisée, basée sur les données de l’administration fiscale grecque. Chacun pourra recevoir et envoyer de l’argent via son numéro de déclaration fiscale, ce qui permettra d’effectuer des transactions en dehors du carcan de la BCE, des banquiers privés, ou des systèmes Mastercard et Visa. Ce projet nous ferait économiser deux milliards d’euros par an, mais reste une mesure controversée, car elle sort du cadre établi par la BCE. L’objectif est de nous rendre hors de portée des mesures de chantage que le système bancaire grec a subies en 2015.

De plus, nous proposons le démantèlement des entreprises qui pratiquent le commerce de la main-d’œuvre humaine par le système de mise en relation. Nous souhaitons faire passer la TVA de 24 à 15 %, réduire le taux d’imposition des petites entreprises de 22 à 10 %, tout en faisant passer le taux d’imposition des sociétés de 22 à 30 %. Le financement des soins de santé et de l’éducation est à un niveau abyssalement bas et il est urgent de le doubler. Nous ne faisons pas de promesses impossibles à financer, mais développons plutôt un programme d’anti-austérité.

DB – Votre liste pour les élections législatives, MeRA25 – Alliance pour la Rupture, compte dans ses rangs le parti Unité Populaire, qui préconise une sortie de la zone euro, voire de l’Union européenne elle-même. Avez-vous des points communs sur ce sujet, et comment comptez-vous vous coordonner pour appliquer votre programme ?

YV – Nous avons eu quelques désaccords sur le plan tactique et dans une certaine mesure sur la stratégie à adopter. Unité Populaire s’était fixé comme objectif la sortie de la zone euro, ce qui nous semblait préjudiciable, économiquement comme politiquement. Nous savons que l’euro est une monnaie désastreuse, non viable et responsable de l’asphyxie de la Grèce et de l’Italie. Seulement, annoncer ouvertement la sortie de la zone euro n’a pas de sens sur le plan politique, car une sortie aura de lourdes conséquences.

Au cours de l’année dernière, nos camarades d’Unité Populaire ont progressivement rallié notre position, ce qui nous a permis de nous rassembler autour des principes de base de MeRA25. Il n’en demeure pas moins vrai que depuis 2015-2016, la zone euro a systématiquement échoué à rendre viables les économies des pays membres. Pour se faire, une union politique est fiscale serait nécessaire.

« Le problème, c’est que la zone euro est à la fois invincible et intenable. Nous devons donc nous préparer à l’éventualité où l’euro s’écroulerait de lui-même. »

Le problème, c’est que la zone euro est à la fois invincible et intenable. Nous devons donc nous préparer à l’éventualité où l’euro s’écroulerait de lui-même. Il serait particulièrement naïf de notre part de penser que la Banque Fédérale allemande n’a pas prévu d’imprimer des Deutschemarks dans un tel scénario. La même logique s’applique en politique étrangère : nous devons nous préparer à la possibilité que Recep Tayyip Erdoğan envahisse Rhodes du jour au lendemain, même si nous n’espérons bien sûr pas que cela ait lieu (la Grèce et la Turquie ont une longue histoire de conflits territoriaux non résolus, ndlr).

Nous l’affirmons fermement : la sortie de l’euro n’est pas un objectif politique. Mais étant donné que la survie de l’euro est incertaine, notre système de paiement digital (appelé Demeter) offre, lui, deux avantages bien distincts : il nous permet d’abord de respirer plus librement dans la zone euro, et nous fournit une solution intermédiaire pour sortir de l’euro, si cela devait arriver.

DB – Bien qu’étant arrivé derrière Nouvelle Démocratie, Syriza vise à former un nouveau gouvernement. Dans un entretien pour Star TV, Tsipras a récemment déclaré que MeRA25 et le PASOK n’auraient d’autres choix que de soutenir son parti s’il arrivait au pouvoir plutôt que de voir survenir de nouvelles élections. Y a-t-il une possibilité de vous voir soutenir un tel gouvernement ?

YV – Suite à notre congrès, nous avons mis un point d’honneur à inviter Syriza à la table des négociations, sans aucune condition préalable, afin de mettre nos différents derrière nous, d’honorer notre système de représentation proportionnelle et de trouver un accord mutuel pour mettre fin à l’exploitation des Grecs. 

Nous avons également mentionné le fait indéniable que notre Constitution ne nous permet pas de négocier avec tous les partis pendant trois mois après une élection pour former un programme de gouvernement, comme cela se fait en Allemagne ou en Italie. La Constitution grecque donne deux jours pour former une éventuelle coalition. Durant ces deux jours, il serait impossible d’avoir une véritable conversation débouchant sur un authentique programme progressiste, c’est pourquoi nous avons sollicité Syriza ces deux dernières années.

Tsipras a refusé de nous parler avant l’élection. Nous lui répondons que nous refusons de lui parler après, car cela ferait de nous des traîtres, nous rendant complices de l’oligarchie en échange de quelques postes au gouvernement. Or, les oligarques n’ont besoin d’aucun accord ni d’aucun manifeste, ils ont leur mémorandum, leurs cabinets d’avocats, ils règnent dans le secret. Nous ne pouvons pas appeler les électeurs à voter pour nous en leur disant d’un côté : élisez-nous pour mettre fin à l’escroquerie des prêts non performants, à la marchandisation de l’électricité, et pour renationaliser les chemins de fer qui ont provoqué 57 morts, pour accepter ensuite des postes de ministres en renonçant à nos promesses.

DB – J’ai récemment assisté à une conférence à Londres où la ministre de l’Intérieur Suella Braverman citait la Grèce, le Royaume-Uni, la Pologne, l’Italie et le Danemark comme des pays adoptant une ligne plus dure sur l’immigration. Dans un entretien pour le tabloïd allemand Bild, le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis a réclamé les financements de l’UE pour ériger une clôture le long de la frontière turque. Son parti, Nouvelle Démocratie, est souvent comparé à celui de Victor Orbán, le Fidesz. Est-ce une tendance marginale ou peut-on y voir un point de restructuration de la droite ?

YV – Mitsotákis est un mélange de centrisme radical, d’un discours favorable à la Troïka et d’un ultranationalisme débridé. Son gouvernement est à la fois néolibéral, car il adopte les mesures de la Troïka, et néofasciste, car il diabolise l’immigration et les musulmans en les qualifiant de « Satan ». C’est ainsi que sont perçues les populations désespérées qui fuient la guerre et la faim pour rallier la Grèce.

« Mitsotákis est un mélange de centrisme radical, d’un discours favorable à la Troïka et d’un ultranationalisme débridé. »

J’ai vécu en Australie dans les années 1990, et en Grande-Bretagne et au Texas au début des années 2010. Je trouve que Mitsotakis a des points communs avec l’ancien Premier ministre australien John Howard, qui avait fait interner les réfugiés arrivant en Australie dans des camps de concentration ouverts dans des pays pauvres en échange de la promesse d’aides financières. On peut aussi le comparer à Suella Braverman, car l’UE n’est pas exempte de tout reproche dans sa gestion migratoire : elle est à l’origine d’une situation infernale en Libye, où les réfugiés sont détenus dans des camps au milieu du Sahara dans des conditions catastrophiques.

Mitsotakis est un mini Trump. Comme lui, il voit les frontières comme un élément de fierté nationale. Le mur érigé à la frontière nord du pays est une source d’orgueil pour lui. La différence avec Trump est qu’il l’a réellement fait construire un mur, et se prend même en photo devant. Mes anciens camarades de Syriza le comparent à Victor Orbán (pas à Trump, avec qui Tsipras entretenait une relation cordiale durant son mandat). De manière honteuse, Tsipras a lui aussi affirmé qu’il soutenait la construction d’une barrière frontalière, la seule différence est qu’il réfléchit à la faire financer par l’UE.

Grèce : la tragédie qui n’en finit pas

© Malena Reali pour LVSL

En 2009, la crise de la dette grecque débutait. Depuis, de nombreux plans de « sauvetage » comprenant des « réformes » sous la tutelle de la « Troïka » (FMI, BCE et Commission européenne) se sont succédés. Si les banques ont effectivement été sauvées, le bilan social d’un tel programme est catastrophique. Fortement appauvrie, la Grèce est devenue un Club Med géant où les infrastructures stratégiques ont été privatisées et où les services publics ont été bradés. La population, elle, se résigne ou quitte le pays.

Le 20 août dernier, la Grèce est sortie de la surveillance économique renforcée de la Commission européenne. Un jour qualifié d’« historique » par le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, tandis que la Présidente de la Commission Européenne vantait la « résilience » de la Grèce et l’enjoignait à « envisager l’avenir avec confiance ». Le bilan des « réformes » et de ce programme d’« aides » est pourtant peu reluisant, pour ne pas dire catastrophique.

Une saignée qui aggrave le mal

Mis en place à la suite de la crise de la dette grecque, commencée en 2009, ce dispositif de surveillance avait pour but de vérifier que les « réformes nécessaires » (comprendre le dépècement de l’État grec) pour diminuer la dette publique étaient bel et bien mises en place. En échange de ces réformes, la Grèce recevait de l’aide financière internationale, notamment de l’Union européenne. L’objectif ? Réduire la dette publique, considérée comme dangereusement élevée. Pourtant, étant donné la chute du PIB, c’est-à-dire de la production de richesses, la dette est aujourd’hui bien plus élevée qu’au début du programme de surveillance : alors que le PIB de 2009 s’élevait à 237 milliards d’euros, il est tombé à 182 milliards en 2021. En conséquence, le niveau de la dette, en % du PIB, se maintient à un niveau toujours bien plus élevé que celui de 2009 : fin 2021, celui-ci était de 193 % du PIB tandis que fin 2009 il était de 127% du PIB.

Ce bilan catastrophique se lit aussi sur le taux de chômage : celui-ci est passé de 10 % fin 2009 à plus de 13% fin 2021. Ce fléau touche plus particulièrement les jeunes : le taux de chômage des moins de 25 ans dépassait les 36 % en avril 2022 tandis qu’en décembre 2009 il était de 29%. Ce qui entraîne qu’une partie importante de cette jeunesse, surtout la plus diplômée, émigre : entre janvier 2008 et juin 2016, la Banque de Grèce estime que plus de 427.000 grecs ont quitté leur pays alors que la population de la Grèce se situe légèrement en-dessous des 11 millions d’habitants.

De manière corrélée, le taux de suicide a aussi augmenté : celui-ci est passé de 3,6 pour 100 000 habitants en 2009 à 5,1 en 2019. Les coupes successives dans le budget de la santé n’y sont sans doute pas étrangères : le budget de la santé était d’environ 4,3% du PIB en 2009 alors qu’en 2020, ce budget se situait à 3,6% du PIB. En tenant en compte de la chute du PIB entre ces deux dates, cela signifie en clair une coupe dans le budget de la santé de 4 milliards d’euros. Soit un peu moins de la moitié des 10 milliards estimés nécessaires pour sauver la Grèce début 2010.

En plus des coupes sévères dans les pensions des retraités grecques et des coupes dans la fonction publique, une autre des « réformes » demandées était la privatisation d’infrastructures clés du pays. Ainsi, le célèbre port d’Athènes, le Pirée, a été privatisé au profit du groupe chinois de transport maritime Cosco en échange d’une promesse d’investissement qui n’a pour l’heure toujours pas été tenue, provoquant la colère des travailleurs locaux. Cette acquisition par un groupe chinois est aussi teintée d’une cruelle ironie pour l’Union européenne qui ne cesse de répéter son ambition de s’opposer à la Chine.

Le Pirée n’est pas le seul port à avoir été privatisé. Il en est de même du deuxième port grec, Thessalonique, tandis que d’autres ports régionaux, comme ceux d’Alexandroupolis et d’Igoumenitsa, semblent destinés à suivre cette même voie… Il faut ajouter à cette liste de privatisations celles de 14 aéroports régionaux au profit du consortium allemand Fraport-Slentel et celles à suivre cette année de l’autoroute Egnatia (la plus longue du pays, reliant l’ouest de la Grèce à la Turquie) et des infrastructures de l’entreprise gazière DEPA. Seule la privatisation des sites archéologiques et des musées grecs, qui toucherait aux racines même de l’identité grecque, a pour l’heure été empêchée

En parallèle, la Grèce s’est désindustrialisée au profit du secteur tertiaire, la part de l’emploi dans le secteur industriel, en % de l’emploi total, chutant de 22% en 2009 à environ 15 % en 2019 tandis que la part du secteur des services passait de 67% en 2009 à 73% en 2019. En particulier, le secteur du tourisme est en plein essor, le nombre de touristes annuel étant passé de 15 millions en 2009 à 34 millions en 2019, chiffre qui pourrait être dépassé cette année. Mais un tel développement du tourisme fait craquer les fragiles infrastructures (d’eau, d’électricité, etc.) grecques tandis que le prix de la vie, et a fortiori des vacances, monte en flèche pour les locaux. Une grande part d’entre eux s’est donc vue privée de vacances au sein de leur propre pays. L’organisation d’une « réserve » (1) grecque est donc sur de bons rails.

Toutes ces « réformes » ont été entreprises dans le but de recevoir de l’aide internationale, c’est-à-dire celle de la zone euro et du FMI. Au total, alors que début 2010 on estimait à 10 milliards d’euros l’apport nécessaire pour sauver la Grèce, celle-ci aura reçu 273 milliards d’euros d’aide ! Quand le remède aggrave la maladie…

La raison d’un tel gaspillage d’argent public et d’un tel massacre social ? Les banques allemandes et françaises étaient très exposées à la dette grecque. Au lieu d’annuler une partie de celle-ci, c’est-à-dire de faire en sorte que le secteur privé subisse quelques milliards de pertes, on a préféré déverser de l’argent public. Ce qui a permis in fine aux banques allemandes et françaises de se dégager de ces titres de dette risqués. Ainsi, comme d’habitude, les acteurs privées qui justifient leur intérêts par le risque qu’ils prennent ont en réalité vu leurs pertes être socialisées.

La mise en marche de la machine infernale

La crise de la dette grecque a commencé en 2009. Celle-ci est en réalité une conséquence de la déréglementation financière commencée dans les années 1980. Lorsque, en 2008 la crise des subprimes éclate avec la chute de la banque Lehman Brothers, tout le secteur financier mondial se crispe, les flux de capitaux sont bloqués, la confiance se rompt. Les gouvernements publics décident alors d’injecter massivement de l’argent public dans le sauvetage des banques. C’est en particulier le cas de la Grèce.

Dans le même temps, les investisseurs délaissent les actifs peu sûrs pour les dettes souveraines des États, des actifs sûrs puisque les États ne peuvent pas disparaître. Le principal défaut des actifs pour ces investisseurs à ce moment-là est que ceux-ci ne rapportent pas assez : leurs taux d’intérêts sont trop faibles. Mais c’est sans compter sur la publication d’un rapport établissant que les déficits grecs sont plus importants que prévus du fait de dissimulations effectuées sous la tutelle de la banque Goldman Sachs.

Il n’en faut pas plus aux marchés financiers pour lancer la machine infernale. Une attaque spéculative débute, les taux d’intérêts de la dette grecque grimpent. La perspective d’un défaut sur la dette grecque apparaît à tous les acteurs. La troïka (la Commission européenne, le FMI, la BCE) intervient et conclut un accord en 2010 avec Giórgios Papandréou, le premier ministre issu du Mouvement socialiste panhellénique (le Pasok). Celui-ci doit mettre en place un programme d’austérité visant à « maîtriser les dépenses publiques » pour réduire le déficit grec. 

En 2011, face à un mouvement populaire anti-austérité et alors que la troïka continue d’exiger la saignée du pays, M. Papandréou évoque la possibilité d’un référendum. Celui-ci abandonne rapidement l’idée, se rendant compte que les élites européennes n’hésiteraient pas à pousser la Grèce vers la porte de sortie.

Syriza, le faux espoir

Jusque début 2015, les « réformes » se succèdent. En parallèle, le mouvement populaire anti-austérité s’est développé. Finalement, la coalition de gauche radicale Syriza, avec à sa tête Aléxis Tsípras, remporte les élections législatives de janvier 2015. Dans son programme, plusieurs mesures sont avancées pour sortir de la crise de la dette : suspendre le paiement de la dette, en effectuer un audit pour évaluer la part qui est illégitime, appeler à la participation citoyenne, décréter la fin du mémorandum d’austérité.

Cependant, il faut noter que la campagne de 2015 de Syriza ne s’est pas faite sur une rupture avec l’Union européenne. Le but a toujours été de négocier avec la troïka mais à aucun moment n’a été envisagé une sortie de l’euro ou de l’UE. Les élites européennes, en premier lieu duquel la Banque centrale européenne, vont exploiter cette faille. Moins de 10 jours après la victoire de Syriza, la BCE ferme le principal canal de financement des banques grecques.

La tension va continuer à s’accroître durant les six premiers mois de 2015 sans, toutefois, que ni Aléxis Tsípras, ni Yanis Varoufakis, son ministre des finances, ne remettent en cause leur conviction pro-européenne et ne radicalisent l’opinion publique grecque vis-à-vis de l’UE. Ce faisant, ils ne tiennent pas compte de l’épisode de 2011 et la sortie de l’Union ne reste qu’une idée dans quelques têtes de l’aile gauche de Syriza.

La machine infernale écrase le peuple grec

Et ce qui devait arriver, arriva. Dans la nuit du 26 au 27 juin 2015, après des négociations pour un autre plan d’« aide » pour la Grèce, Tsípras fait part de son intention de soumettre au référendum du peuple grecque le projet proposé par la troïka. Si le oui l’emporte, Tsípras acceptera et l’austérité continuera. Si le non l’emporte, Tsípras refusera le projet. Mais ce référendum est promu par le gouvernement de l’époque comme un outil pour continuer les négociations et non comme une première étape pour sortir de l’Union, le but étant de faire advenir une « Europe solidaire ».

À partir du 29 juin 2015, soit 6 jours avant le référendum, les banques grecques sont fermées du fait d’un défaut de liquidité provoqué par la BCE. Malgré cela, le « oxi » (non en grec) l’emporte de manière univoque : plus de 62% des suffrages exprimés se sont portés sur lui. Le 9 juillet, 3 jours après la victoire du « non », Tsípras envoie un projet reprenant les principales préconisations de la troïka (coupe dans les retraites, dans la fonction publique, hausse de la TVA …). Tsípras a dû choisir entre le peuple et la troïka. N’ayant pas mis en place les conditions matérielles suffisantes et étant pro-européen, un seul choix s’offrait à lui : renoncer à ses promesses et obéir à Bruxelles.

Une autre voie était pourtant possible. Celle de la rupture avec l’Union en sortant de celle-ci. Les premières mesures qu’il aurait fallu prendre sont connues : retour de la souveraineté monétaire en se dotant d’une monnaie nationale, contrôle des capitaux, contrôle et nationalisation des banques, dévaluation du nouveau Drachme de l’ordre de 20 à 30%, mesures exceptionnelles pour s’assurer que les besoins de base de la population (nourriture, médicaments, carburants, etc.) soient assurés… La principale inconnue est la même que celle que connaît le Royaume-Uni à l’heure actuelle : celle de l’issue des négociations commerciales avec l’UE ainsi que leur durée. S’il faut bien sûr se garder d’un optimisme exagéré quant à la réussite d’une sortie de la Grèce de l’UE, les conséquences du maintien étaient elles certaines. Elles sont désormais sous nos yeux : les plans d’austérité n’ont fait qu’aggraver la situation. Bien évidemment, la troïka le savait : les exemples d’échec de la rigueur sont légion, de l’Algérie à l’Argentine en passant par l’Éthiopie ou le Kenya.

Alors que la Grèce est désormais frappée de plein fouet par la crise sociale et que les méga-incendies se succèdent chaque été, aucun parti de gauche ne semble pouvoir incarner la colère populaire. La population est en effet totalement désabusée par les renoncements de Syriza. La crise énergétique et la dépendance énergétique de la Grèce à la Russie, en faisant exploser les taux d’intérêts de sa dette, ranime le spectre d’une crise financière. La tragédie va-t-elle se répéter ? Si aucune certitude n’est possible, on voit cependant mal pourquoi les élites européennes, qui ont toutes applaudi les mémorandums successifs, feraient des choix différents.

(1) Frantz Fanon, Les damnés de la terre, La Découverte, janvier 2004

Les pays du sud dans le piège de l’euro et du marché unique

German artist Ottar Hšrl’s sculpture depicting the Euro logo is pictured in front of former headquarter of the European Central Bank (ECB) in Frankfurt/Main, Germany, on February 15, 2017.

À l’heure des trente ans du traité de Maastricht le bilan s’impose, tant la monnaie unique est liée à une multitude de maux dans les pays du sud de l’Europe. La plupart d’entre eux ont connu la désindustrialisation et l’austérité salariale, puis les affres de la souveraineté limitée – leur mise sous tutelle par des institutions internationales visant à leur administrer des réformes néolibérales à marche forcée. Au plus grand bénéfice de l’Allemagne et des pays du nord, qui ont vu leurs excédents augmenter à la mesure des déficits du sud, et leurs profits croître sur la modération salariale imposée au sud. Depuis la pandémie, les institutions européennes affirment avoir changé de doctrine et inauguré un cadre plus favorable au sud de l’Europe. Par-delà les discours, ce sont les mêmes pratiques politiques, héritées de Maastricht, qui demeurent. Par Frédéric Farah, économiste et auteur de plusieurs ouvrages sur le libéralisme et la construction européenne, dont Europe : la grande liquidation démocratique (éditions Bréal, février 2017).

D’un point de vue économique, le marché unique avait déjà très largement profité au cœur industriel de l’Union européenne et accéléré la désindustrialisation d’une partie des pays du sud de l’Europe. Les effets d’agglomération et de polarisation leur ont été défavorables. Toute une littérature académique l’a amplement démontré.

L’euro allait continuer le travail de sape des bases économiques et industrielles de ces pays. De 2001 à 2008, l’euro a été très largement surévalué pour les pays du sud. À la faveur de la crise de 2008 et surtout des dettes souveraines, l’épargne des pays du sud s’est dirigée vers les pays du centre.

Dans un cadre si peu coopératif, les pays du sud ont été acculés à des stratégies parasitaires : dumping fiscal agressif, compression du cout du travail, etc. Mais ces choix n’ont pas enrayé les dynamiques de fond : tassement démographique, fuites des cerveaux, insuffisance des investissements publics.

D’un point de vue politique, la constitutionnalisation des politiques économiques est également venue porter un rude coup aux souverainetés populaires de ces pays (inscription dans les Constitutions d’une règle d’or budgétaire, logique mémorandaire, subordination des parlements en matière budgétaire, interférence électorale…).

Cette œuvre de déconstruction économique et politique a commencé dès la préparation à la monnaie unique. L’Italie, la Grèce, l’Espagne, Chypre, le Portugal se sont infligés une cure d’austérité pour satisfaire aux critères de Maastricht, entrant dans une logique déflationniste avant même l’adhésion à la monnaie unique.

Italie : de l’adhésion enthousiaste à l’extrême droite aux portes du pouvoir…

Ce choix de la monnaie unique a eu de lourdes conséquences. Ce que l’Italie avait réalisé en 1993 – une forte dévaluation de la lire, qui avait eu des résultats positifs en termes de croissance – ne lui sera plus possible. Depuis 1999, le niveau de vie de l’Italie stagne, voire diminue. Dans la compétition avec l’Allemagne, la perte de sa monnaie lui a été plus que dommageable. Le pays a dégagé des excédents primaires en matière budgétaire pendant presque 20 ans au détriment de ses investissements publics et de son système de santé. Depuis plus de dix ans, l’Italie vit sous surveillance européenne. Deux gouvernements techniques – celui de Mario Monti et Mario Draghi – ont explicitement eu pour fonction de mettre en œuvre les politiques amères de l’Union. Quant aux autres présidents du conseil, ils ne sont guère éloignés des orientations dominantes…

NDLR : pour une analyse détaillée des recettes néolibérales administrées à l’Italie, lire sur LVSL l’article de Stefano Palombarini « Le néolibéralisme, maladie incurable de l’Italie ? »

Aujourd’hui l’extrême droite est en passe de prendre la direction du pays. Mais il ne suffit pas de remporter les élections pour gouverner avec un processus électoral d’une telle complexité – sans compter que le président de la République veille à ce que les engagements européens de l’Italie soient respectés. Elle n’entend nullement rompre avec la cadre économique et social de l’Union européenne. Son agenda se veut culturel et porte sur les questions migratoires.

L’Italie sait qu’elle vit sous la menace d’une augmentation des spreads. Si nécessaire, les institutions européennes exploiteront leur force disciplinaire pour mettre fin à tout programme qui pourrait trop s’éloigner du paradigme économique dominant.

On aurait tôt fait d’oublier les menaces proférées à l’encontre des quelques mesures dites sociales du Mouvement 5 étoiles aux affaires en 2018, et qui visaient à lutter contre la précarité au travail, à instaurer un équivalent du RSA, ou à révoquer la loi Fornero sur les retraites…

Le traumatisme de la mise sous tutelle

La Grèce, elle aussi, a payé très cher le choix d’adopter l’euro. Avant même celui-ci, elle a mené à bien une politique d’austérité salariale. En 2007, la Grèce fut saluée par l’OCDE pour ses réformes structurelles, mais sa croissance reposait sur un endettement public aussi bien que sur une dette privée insoutenable. L’euro surévalué des années Trichet s’est avéré mortel pour l’économie grecque. La suite n’est que trop connue : de 2010 à nos jours, la mise sous tutelle du pays par les institutions européennes et le FMI a laissé le pays exsangue.

NDLR : lire sur LVSL l’article de Zoé Miaoulis : « La responsabilité de Tsipras dans le désastre grec »

L’Espagne, le Portugal, Chypre ont été aussi pris dans la même tourmente, contraints à l’austérité la plus brutale ou à passer sous la surveillance de l’Union pour les deux derniers. Dans un cadre si peu coopératif, ces pays ont été acculés à des stratégies parasitaires : dumping fiscal agressif, compression du cout du travail, etc. Mais ces choix n’ont pas enrayé les dynamiques de fond : tassement démographique, fuites des cerveaux, insuffisance des investissements publics. Entre 15 000 et 20 000 chercheurs Espagnols travaillent actuellement à l’étranger, soit plus de 10 % de ceux qui exercent dans leur pays…

À la lecture des recommandations du semestre européen pour l’Espagne, on constate sans surprise que les mêmes orientations dominent : « en ce qui concerne la période postérieure à 2023, [le semestre recommande que l’Espagne s’attache] à mener une politique budgétaire qui vise à parvenir à des positions budgétaires prudentes à moyen terme et à garantir une réduction crédible et progressive de la dette et une soutenabilité budgétaire à moyen terme au moyen d’un assainissement progressif, d’investissements et de réformes ».

Les recommandations du même semestre pour le Portugal sont du même acabit : « pour la période postérieure à 2023 [le semestre recommande que le Portugal s’attache] à poursuivre une politique budgétaire destinée à parvenir à des positions budgétaires prudentes à moyen terme et à garantir une réduction crédible et progressive de la dette ainsi que la soutenabilité budgétaire à moyen terme grâce à un assainissement progressif, à des investissements et à des réformes ».

Alors que les pays du sud enregistrent une croissance positive malgré le contexte inflationniste, leur processus de désindustrialisation continue. La thèse, propagée par les tenants de l’Union européenne, consistant à attribuer les difficultés de ces pays à des raisons internes n’est pas satisfaisante. Le couple marché unique / monnaie unique a joué un rôle de duo infernal venant aggraver des difficultés anciennes, et rendant l’avenir de ces pays de plus en plus sombre…