Le Honduras confronté à un coup institutionnel contre sa présidente

La présidente du Honduras, Xiomara Castro. Crédits : Ricardo Stuckert/PR

Une semaine avant son investiture, la présidente élue du Honduras, Xiomara Castro, est déjà confrontée à une tentative de déstabilisation institutionnelle. Cette opération est orchestrée par des députés sécessionnistes de son propre parti, alliés avec les conservateurs liés au narcotrafic et à la corruption qui ont perdu l’élection. Le Honduras se retrouve ainsi plongé dans une crise institutionnelle majeure, 12 ans après le coup d’État contre Manuel Zelaya.

Les parlementaires se sont réunis ce vendredi pour voter pour le président provisoire du Congrès national. Au cours d’une séance marquée par des affrontements physiques et des invectives, 20 députés du parti de la présidente élue, Liberté et refondation (LIBRE), ont fait sécession pour s’allier au Parti National, de droite conservatrice, et proposer l’un d’entre eux, Jorge Cálix, au poste de président du Parlement, en violation des accords passés par leur parti. À 85 voix pour, alors qu’un minimum de 65 était requis, les congressistes ont élu provisoirement Cálix à la présidence du Congrès. La Présidente élue n’a donc plus de majorité parlementaire.

Par un communiqué de presse, les forces armées nationales ont exprimé leur soutien à Xiomara Castro face à cette tentative de déstabilisation, de même que le Groupe de Puebla, qui a dénoncé une « trahison impardonnable » et appelé au « respect de la volonté du peuple hondurien », qui l’a élue par une large majorité. L’épouse de l’ancien président Manuel Zelaya, renversé en 2009 par un coup d’État, a effectivement remporté près de 52 % des voix lors des élections du 28 novembre dernier. Ses opposants, représentants du bipartisme historique du Honduras, sont restés loin derrière. Nasry Asfura, candidat du Parti national (PN) -la droite nationaliste et conservatrice au pouvoir depuis douze ans- a obtenu 35 % des suffrages exprimés. Le troisième en lice, Yani Rosenthal, du Parti libéral (PL) de centre-droit, a remporté 9 % des voix.

En réponse à ce coup institutionnel contre la présidente, les députés sécessionistes ont été exclus de LIBRE. La présidente ne reconnait plus le congrès, et un nouveau congrès a été inauguré, parallèle au premier. Celui-ci est désormais présidé par Luis Redondo, issu de la majorité présidentielle. Le Honduras a donc deux pouvoirs législatifs en concurrence, à quelques jours de l’investiture où sont attendus de nombreux invités internationaux : Kamala Harris, Felipe VI d’Espagne, Lula, Cristina Fernandez de Kirchner, etc.

Xiomara Castro a été élue sur la promesse de lutter contre la corruption et de rompre les liens de la politique hondurienne avec le trafic de drogue, lors d’une élection qui a affiché les niveaux de participation les plus élevés de l’histoire récente du pays. Selon les proches de la présidente, le retournement des parlementaires et l’élection de Cálix au sein du premier congrès a pour objectif de garantir l’impunité du Parti National et de ses responsables, quittant le pouvoir après 12 ans de corruption et d’accointances avec le crime organisé. Le but est par ailleurs d’empêcher le projet de réformes profondes porté par Castro. Cela permettrait au programme de démantèlement de l’État hondurien de se poursuivre, influencé par des intérêts économiques étrangers.

La souveraineté du Honduras cédée à des États parallèles

L’un des projets les plus inquiétants menés par le régime installé après le coup d’État de 2009 est celui des Zones spéciales de développement et d’emploi (ZEDE), refonte des anciennes RED (Régions spéciales de développement), proposées entre la fin de l’année 2010 et le début de l’année 2011 sous le gouvernement de Porfirio Lobo. Afin « d’apporter de la stabilité aux investissements étrangers et nationaux » et de  « générer des emplois dans le pays », ces zones-franches vont plus loin que la plupart des expérimentations en matière de dérégulation, beaucoup plus loin. 

La loi organique finalement adoptée le 6 septembre 2013 autorise ces zones, gérées par des investisseurs locaux ou étrangers, à « créer leur propre budget », leur donne « le droit de percevoir et d’administrer leurs propres taxes » et établit qu’elles disposent de « tribunaux autonomes et indépendants ayant une compétence exclusive sur la plupart des sujets ». Ceux-ci peuvent établir des jurisprudences de caractère obligatoire, soit l’équivalent pratique de lois, et peuvent se baser pour leurs décisions sur les jurisprudences issues du droit de n’importe quel pays étranger.

Tout aussi alarmant, ces zones doivent obligatoirement « mettre en place leurs propres organes de sécurité intérieure », y compris « leur propre police », leurs « services de renseignement » et leur « système pénitentiaire ». Ils sont également autorisés à créer « leur propre système de santé, d’éducation et de sécurité sociale ». 

Enfin, ces zones se réservent le droit d’exproprier les habitants de leurs terres et habitations, sous réserve d’une compensation qu’eux-mêmes sont chargés de définir, et ne font l’objet d’aucune politique nationale de contrôle des changes et de circulation de devises. Si les ZEDE posent un grave danger pour les droits fondamentaux des citoyens honduriens, comme l’exprime l’ONU dans un communiqué, elles créent également des paradis fiscaux qui permettent un blanchiment d’argent massif dans un pays où le narcotrafic et le crime organisé sont omniprésents.

Sous le gouvernement du Parti National et sous couvert de développement économique, l’État hondurien a cédé ses fonctions régaliennes les plus essentielles à des États parallèles, gérés sans aucun contrôle démocratique. Pendant la pandémie, le gouvernement de Juan Orlando Hernandez s’est félicité de leur bilan, tandis que de nombreux citoyens ont manifesté leur inquiétude.

Une opération d’influence et de lobbying international

En août 2021, le Président Juan Orlando Hernandez s’est félicité dans un tweet d’une réunion avec « un groupe d’investisseurs américains » qui souhaiteraient développer différents projets au Honduras et générer « de nombreux emplois ». Parmi les convives souriants, Camilo Atala, milliardaire hondurien et président du Groupe financier Ficohsa, faisant partie de l’une des familles les plus riches et les plus puissantes du Honduras.

Plusieurs médias locaux et représentants de partis alliés à Xiomara Castro ont dénoncé le fait que le Groupe Ficohsa aurait financé les campagnes de Jorge Cálix. Par ailleurs, Beatriz Valle, alliée de Cálix et élue vice-présidente provisoire du premier Congrès, est la cousine du directeur général de FICOHSA. Elle a travaillé pour Camilo Atala en 2004 en tant que directrice de la Fondation Ficohsa pour l’Éducation.

Autre connexion qui interroge : le frère de Camilo Atala, Luis Atala Faraj, et sa nièce, Nicole Atala Asfura, siègent au conseil d’administration de l’Institut de l’entrepreneuriat familial (IFE) de Babson Global, la puissante aile commerciale du Babson College, situé à Wellesley aux États-Unis. Plusieurs membres de sa famille ont également été diplômés du Babson College ou y ont suivi des cours.

Le 26 septembre 2013, Babson Global Inc a annoncé publiquement un projet colossal « de développement de la compétitivité et des entreprises ». D’après leur communiqué, ce projet a pour but d’éliminer les « distorsions gouvernementales » et de « soutenir la création de zones dotées de systèmes réglementaires autonomes, gérés par des partenariats public-privé ». Ces « villes-entreprises » seraient des micro-nations fondées sur la liberté des marchés et dotées d’une autonomie quasi-totale par rapport à l’État-nation qui les accueille. D’après cet article de The Economist, en 2015, Babson Global était en pourparlers pour développer de telles expérimentations en République dominicaine, en Colombie, au Maroc, en Bosnie, en Inde et à Oman. Mais le projet de « ville-charter » le plus avancé, soutenu par un groupe de libertariens américains, se trouve au Honduras : les fameuses ZEDE.

Les réseaux de pouvoir des conservateurs apparaissent ainsi au grand jour, les connexions de Jorge Cálix aussi, ainsi que leur lien avec les ZEDE. Le Honduras est un des États où la mainmise des oligarchies locales est la plus forte au monde, avec une interpénétration forte avec le narcotrafic. Ce sont ces intérêts qui sont aujourd’hui à la manœuvre contre Xiomara Castro, présidente de centre-gauche, et qui avaient déjà agi pour destituer Manuel Zelaya après que ce dernier a augmenté le salaire minimum hondurien.