Philippe Légé est enseignant-chercheur en économie à l’université de Picardie Jules Verne. Dans cette tribune, il traite du rapport d’Emmanuel Macron au pouvoir. Aspirer à combler le vide laissé par la mort du Roi est une erreur, il faut au contraire poursuivre l’effort de “déroyalisation” entamé à la Révolution Française.
En bus ou en marche, le Président Macron conduirait le pays au désespoir. Son programme économique consiste à prolonger la politique menée avec une grande constance depuis trois décennies alors même que celle-ci n’a « abouti qu’au recul continuel de la production industrielle et à la hausse du chômage »1. Le candidat est un parfait technocrate complètement coupé de la vie des Français : Sciences Po, l’ENA, l’Inspection des finances puis la commission Attali et la banque Rothschild. Emmanuel Macron explique que « la vie d’un entrepreneur est plus dure que celle d’un salarié » et qu’il connaît la survie car il avait seulement 1 000 euros par mois lorsqu’il était étudiant. Une somme pourtant très supérieure aux bourses étudiantes (qui s’échelonnent entre 100 et 555 euros mensuels).
Emmanuel Macron n’est pas seulement atteint du syndrome Marie-Antoinette, il a aussi une conception très particulière de la politique française et de l’histoire : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même […] Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! » déclarait Emmanuel Macron en juillet 2015. Contrairement à ce que certains commentaires hâtifs ont pu donner à penser, le ministre de l’Economie, agent du pouvoir d’un gouvernement de la Ve République n’exprimait pas ici la nostalgie de l’Ancien Régime. Emmanuel Macron n’est pas royaliste mais il estime que l’on a « essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. […] ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction ».
Ce propos soulève deux questions. La première est de nature historique. Le peuple de 1793 a-t-il « voulu la mort » du roi ? Notons seulement qu’en répondant par la négative, Emmanuel Macron semble remettre en cause la légitimité de la première expérience de suffrage universel (masculin) de l’histoire de France. La Convention élue en septembre 1792 décida de la mort du roi puis fonda la 1ere République. Or, comme l’explique Jean Jaurès dans son Histoire socialiste de la France contemporaine, « il était impossible de séparer le jugement de Louis XVI du jugement d’ensemble porté sur l’état politique et social de la France. C’eût été démembrer la souveraineté et la diviser mortellement contre elle-même que de détacher, du pouvoir politique total qu’exerçait la Convention, le jugement du roi où la vie politique totale de la nation était enveloppée »2.
La deuxième question concerne la période actuelle : si « ce qu’on attend du président de la République » c’est qu’il occupe la fonction laissée vide par la mort du roi, qui est ce « on » ? Qui attend ainsi le Sauveur suprême ? Le peuple tel que le fantasme Emmanuel Macron. Le style télé-évangéliste du candidat n’a donc rien d’anecdotique. « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » disait Victor Hugo. Une sociologue notait récemment que Macron « parle d’un monde où tout le monde gagne et où personne ne perd. S’il capte la lumière, c’est pour cette raison. Ce faisant, son message galvanise par ses intonations émotionnelles et son projet est suffisamment embrumé pour que beaucoup de monde s’y projette. […] Des Lumières faisons table rase, place à l’enchantement. Est-ce si grave ? »3. Oui : si la bulle ne s’est pas dégonflée, c’est que la candidature Macron n’est pas réductible à l’indéniable soutien médiatique dont elle a bénéficié. Autrement dit, Emmanuel Macron n’a pas entièrement tort et s’appuie sur deux tendances réellement à l’œuvre dans la société française. Premièrement, les dégâts provoqués par les politiques néolibérales ont paradoxalement contribué à populariser le mythe de l’autonomie économique individuelle sur lequel prospère une économie de prédation dont Uber est l’archétype4. Dès lors, comme l’écrivait récemment Frédéric Lordon, la « vacuité souriante » d’Emmanuel Macron demeure « la surface idéale de projection pour tous les fantasmes de ses suiveurs, start-upers en attente d’un manager pour la start-up France, avant de devenir à leur tour les Mark Zuckerberg de demain »5. Deuxièmement, il est vrai que durant des décennies, les institutions de la Ve République ont favorisé la passivité de l’électorat en développant la personnalisation de la politique. Les deux tendances se renforcent l’une l’autre : l’hétérogénéité croissante du salariat et le recul des solidarités sociales sont propices à la dépolitisation. Mais l’élection d’un candidat aspirant à reprendre « la figure du roi » en s’appuyant sur ce phénomène serait dramatique. Ce qu’il nous faut, au contraire, c’est un prolongement de la « déroyalisation du peuple » décrite par Gracchus Baboeuf à la fin du 18e siècle :
« Nous fîmes jouer aux républicains un rôle plus digne d’eux, nous les rendîmes à leur primitive dignité, nous déroyalisâmes aussi le peuple ; nous le désabusâmes de la fausse opinion par laquelle les scélérats l’avait induit à croire que le triste état où ils l’avaient réduit, était le résultat du système républicain ; nous parvînmes à démontrer au peuple qu’au contraire c’était le résultat des atroces réminiscences du royalisme, et du dépérissement de l’édifice de la république, qui s’il pouvait être achevé, procurerait le maximum du bonheur »6.
Il est grand temps de mettre à bas la monarchie présidentielle et de construire une république sociale et écologique !
Philippe Légé
2 Jean Jaurès, Histoire socialiste de la France contemporaine, tome IV, ed. Jules Rouff, p. 857.
4 Les Economistes Atterrés, Changer d’Avenir, Les Liens qui Libèrent, 2017.
6 Philippe Buonarroti, Conspiration pour l’égalité dite de Babeuf: suivie du procès auquel elle donna lieu, et des pièces justificatives, vol. 2, 1828, p. 259.
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