Trump acculé entre impeachment et vingt-cinquième amendement

18 décembre 2019, adoption des articles de mise en accusation de Donald Trump. United States House of Representatives, domaine public

Après l’attaque du Capitole par une nuée de supporters galvanisés par un président aux abois résigné à une transition paisible mais refusant d’admettre sa défaite, une cohorte de législateurs exhorte le vice-président Mike Pence à invoquer le 25e amendement et se tient prêt à lancer une nouvelle procédure d’impeachment. Deux scénarii qui posent, respectivement, des questions sur les modalités de leur applicabilité.

« Stand back and stand by ». Tels avaient été les mots du président Trump en septembre 2020 au moment de condamner les exactions des Proud Boys, organisation masculiniste et suprémaciste blanche. Le 6 janvier, Donald Trump a réitéré en chauffant à blanc une foule acquise tout entière à ses théories spécieuses et prête à en découdre pour que le républicain se maintienne au pouvoir. L’attaque du Capitole par ses plus fervents soutiens semble être l’ultime estocade portée à la démocratie par un président au bord de la roche Tarpéienne.

Mike Pence à la hauteur de sa fonction ?

Le 6 janvier, peu avant le début de la session conjointe du Congrès, le vice-président s’était fendu d’une déclaration en totale rupture avec la volonté du Président qui ne cessait de l’exhorter à rejeter unilatéralement les votes du Collège électoral venant des États les plus disputés : « Quand surviennent des désaccords au sujet de l’élection présidentielle, au regard du droit fédéral, c’est aux représentants du peuple d’étudier les preuves et de résoudre ces désaccords au travers d’un processus démocratique. Nos Pères Fondateurs étaient profondément sceptiques quant à la concentration du pouvoir et ont fondé une République basée sur la séparation des pouvoirs et les freins et contrepoids sous l’égide de la Constitution des États-Unis. Investir le vice-président d’une autorité unilatérale lui permettant de décider du sort des contestations serait parfaitement antithétique à cette conception ». Devant cette déclaration, le président Trump s’était fendu d’un tweet vindicatif qui sera par la suite supprimé par Twitter : « Mike Pence n’a pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre pays et notre Constitution, en donnant aux États une chance de certifier un ensemble de faits corrigés, et non les faits frauduleux ou inexacts qu’on leur demandait de certifier auparavant ».

Si le vice-président semble, à moins de deux semaines de la fin de son mandat, avoir rompu avec la ligne du président, les conséquences de l’attaque du Capitole lui demandent de faire preuve de davantage de courage encore : alors que le Congrès, désormais à majorité démocrate, se tient prêt pour un second impeachment, la gravité de l’événement et les défections au sein de son cabinet motivent l’invocation du 25e amendement. Une invocation qui repose néanmoins en grande partie sur la volonté du vice-président et sur celle du cabinet, dont certains membres, à l’instar d’Elaine Chao (Secrétaire au Transport) et Betsy DeVos (Secrétaire à l’Éducation), ont préféré démissionner.

Le 25e amendement pour écarter Donald Trump du pouvoir ?

Adopté en 1967, le 25e amendement vient pallier les ambiguïtés de l’Article II, Section 1, Clause 6 de la Constitution, notamment le statut du vice-président. Au survenir des circonstances énumérées (« destitution, de mort ou de démission du président, ou de son incapacité d’exercer les pouvoirs et de remplir les devoirs de sa charge »), la clause ne précise pas si le vice-président devient président ou président par intérim (Acting President). Un degré d’abstraction suffisant pour avoir une incidence politique considérable : qu’il s’agisse du remplacement du président Harrison – décédé durant son mandat – par son vice-président Tyler, de l’état de santé fragile du président Wilson tenu secret ou de l’accord signé entre le président Eisenhower et le vice-président Wilson, l’histoire des États-Unis est jalonnée de soubresauts présidentiels. Si le « précédent Tyler » a permis de résoudre une controverse en particulier, l’histoire contemporaine a révélé bien d’autres pierres d’achoppement rendant nécessaire un amendement constitutionnel.

Proposé deux ans après l’assassinat du Président Kennedy, le 25e amendement vient préciser les conditions de succession et prévoit la possibilité de décharger un président de ses fonctions en cas d’incapacité. Cette dernière, matérialisée par la Section 4, pourrait néanmoins entraîner une crise constitutionnelle et ce en dépit des nombreuses voix qui réclament actuellement son invocation.

L’interprétation de la Section 4 passerait-elle par la Cour suprême ?

La Section 4 du 25e amendement dispose : « Si le vice-président, ainsi qu’une majorité des principaux fonctionnaires des départements exécutifs ou de tel autre organisme désigné par une loi promulguée par le Congrès, font parvenir au président pro-tempore du Sénat et au président de la Chambre des représentants une déclaration écrite les avisant que le président est dans l’incapacité d’exercer les pouvoirs et de remplir les devoirs de sa charge, le vice-président assumera immédiatement ces fonctions en qualité de président par intérim ». Quel sens donner à l’« incapacité » (unable) ? Cette problématique quant à l’interprétation de l’incapacité présidentielle est aussi vieille que la Constitution elle-même. Dans un article intitulé Presidential Inability and Subjective Meaning publié en 2009 dans la Yale Law Review, le docteur en droit Adam G. F. Gustafson rappelle que lors de la Convention constitutionnelle de 1787, le Délégué du Delaware John Dickinson avait soulevé cette question dont la réponse ne fut qu’un silence assourdissant. Si le vingt-cinquième amendement ne donne pas de sens précis au terme, le professeur de droit constitutionnel Akhil Amar estime que les Sections 3 et 4 doivent être lues in pari materia : c’est-à-dire lues à la lumière des textes traitant du même sujet. En outre, les auteurs du vingt-cinquième amendement, quant à eux, semblent exclure toute situation sans rapport avec les facultés physiques ou psychiques du président. Le Représentant Richard Poff mentionne ainsi un exemple où le président, « en raison d’une maladie physique ou d’un accident soudain, est inconscient ou paralysé et donc incapable de prendre ou de communiquer la décision d’abandonner ses pouvoirs ».1 De la même manière, le professeur de droit constitutionnel Brian C. Kalt précise dans son ouvrage consacré à l’incapacité selon le 25e amendement que « même si un président est incompétent, malfaisant, ou destructeur, la Section 4 ne fonctionnerait pas. […] La Section 4 n’est pas supposée s’appliquer à « l’impopularité, l’incompétence, la conduite répréhensible, le manque de discernement et la paresse » présidentielle ».2


Ainsi, dans l’éventualité où le vice-président Mike Pence déciderait d’invoquer le 25e amendement et parviendrait à satisfaire aux conditions prévues par la Section 4 (une déclaration écrite de la majorité du cabinet ou de la majorité d’un corps constitué via une loi du Congrès adressée au président pro-tempore du Sénat et à la Speaker de la Chambre des représentants), rien pour l’instant ne garantit que l’interprétation de la Section 4 qui en sera faite soit également celle d’une Cour et plus encore celle de la Cour suprême, majoritairement acquise au textualisme, approche interprétative chère au Juge Antonin Scalia et attachée au sens ordinaire du texte juridique. Le Congrès a ainsi d’ores et déjà préparé la mise en accusation du Président (articles of impeachment).

Impeachment ou late impeachment ?

Donald Trump deviendra le premier Président à subir deux procédures d’impeachment. Pouvoir exclusif de la Chambre des Représentants – quand le Sénat a le pouvoir exclusif de juger – la Section 4 de l’Article II de la Constitution prévoit que « Le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs. ».

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Mis en accusation pour subversion et obstruction à la certification des résultats des votes du Collège électoral, Donald Trump pourrait néanmoins achever son mandat avant d’avoir été jugé par le Sénat. Se pose alors la question du late impeachment (mise en accusation tardive) : Donald Trump peut-il être jugé après son départ de la Maison-Blanche ? S’il n’existe aucun précédent quant au late impeachment d’un président, les juristes divergent : le professeur Cass Sunstein de la Harvard Law School tend à penser que l’impeachment se limite à des personnes en exercice. À l’inverse, le professeur de l’Université de Caroline du Nord Michael Gerhardt estime que tant la Chambre des Représentants a voté l’impeachment durant l’exercice du mandat présidentiel, le Sénat a toute latitude pour juger à son rythme. Enfin, le professeur Brian C. Kalt du Michigan State University College of Law, dans les conclusions d’un article publié dans la Texas Review of Law & Politics, avance : « La structure constitutionnelle est également conforme à la mise en accusation tardive. Si le seul but de la mise en accusation était la destitution, il n’y aurait aucune raison de procéder à une mise en accusation tardive. Mais la destitution n’est pas le seul objectif de la mise en accusation. La mise en accusation est conçue comme un moyen de dissuasion visant à empêcher que des infractions ne soient commises au départ, et cet effet dissuasif serait gravement compromis s’il venait à s’estomper à l’approche de la fin d’un mandat. En outre, les personnes condamnées pour des actes de mise en accusation peuvent être disqualifiées de leur future fonction fédérale […] ».3 Parmi les précédents relatifs à l’impeachment, la mise en accusation du Secrétaire à la Guerre William Belknap apparaît comme la plus pertinente. Votée par la Chambre des Représentants quelques heures après sa démission, sa mise en accusation entraîna aussitôt le jugement du Sénat, lequel avait statué que la démission ne saurait mettre un terme à la procédure.4


Alors que le président Trump n’a pas écarté la possibilité de se représenter en 2024, l’éventualité d’une mise en accusation tardive pourrait mettre un terme à toute velléité de retour aux affaires publiques au niveau fédéral. Dans tous les cas, le président Trump devra, pour être destitué, être jugé coupable conformément aux dispositions prévues à l’Article I, Section 3, Clause 6 de la Constitution : « Nul ne pourra être déclaré coupable que par un vote des deux-tiers des membres présents ». En revanche, pour se voir disqualifié de toute fonction fédérale ultérieure, les précédents jouent en faveur des démocrates : les juges Humphreys (1862) et Archibald (1912) ont tous deux été disqualifiés au terme d’un second jugement à la majorité simple.5 Donald Trump pourrait ainsi voir ses espoirs de candidature à l’élection présidentielle de 2024, déjà minés par une fin de règne chaotique, définitivement anéantis.

1 Rep. Richard Poff, House Debate, Congressional Record, vol. 111, part 6 (April 13, 1965), p. 7941.
2 Brian C. Kalt, Unable: The Law, Politics and Limits of Section 4 of the Twenty-Fifth Amendment, p. 154.
3 Brian C. Kalt, The Constitutional Case for the Impeachability of Former Federal Officials: An Analysis of the Law, History, And Pratice of Late Impeachment, Texas Review of Law and Politics, p. 135.
4 Ibid, p. 94
5 Jared P. Cole and Todd Garvey, Impeachment and Removal, Congressional Research Service, p. 21.


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