Le 14e amendement peut-il barrer la route à Donald Trump ?

Donald Trump © Flickr

Acquitté pour la seconde fois par le Sénat, l’ancien président Donald Trump n’entend pas tirer un trait sur la vie politique et a plusieurs fois laissé entendre qu’il pourrait briguer la prochaine élection présidentielle. Le camp démocrate, quant à lui, envisage de recourir à la Section 3 du 14e amendement pour lui barrer la route en raison de son implication dans les événements survenus au Congrès le 6 janvier. 

À nouveau acquitté, le premier président à avoir été visé par deux procédures d’impeachments s’est fendu d’un communiqué de presse plutôt révélateur sur ses ambitions futures et celles de ses fidèles. Non seulement l’ancien locataire de la Maison-Blanche ne dément pas son désir de revenir aux affaires, mais il semble tout à fait disposé à continuer à s’investir d’une manière ou d’une autre sur le terrain politique : « Notre historique, patriotique et merveilleux mouvement Make America Great Again ne fait que commencer », a-t-il déclaré à l’issue de son second procès.

De son côté, la majorité démocrate laisse la porte ouverte à un recours à la Section 3 du 14e amendement, qui dispose que toute personne ayant pris part à une insurrection ou rébellion après avoir prêté serment ne pourra assumer une charge civile ou militaire. Ce recours, envisagé par le sénateur Schumer, leader de la majorité démocrate au Sénat, pose néanmoins de nombreuses questions quant à son applicabilité concrète.

L’amendement de la Reconstruction

« Vestige de la Constitution » selon le professeur Gerard N. Magliocca, la Section 3 du 14e amendement est un héritage de la période de la Reconstruction, période ayant succédé à la guerre de Sécession (1861 – 1865). Elle visait à exclure les anciens Confédérés de toute charge publique fédérale ou étatique. Ratifiée en 1868, trois ans après la fin de la guerre de Sécession, la Section 3 n’a été utilisée que quelques fois pendant la courte période entre sa ratification et la promulgation de la loi d’amnistie de 1872 (Amnesty Act). Depuis, elle n’a été invoquée qu’à une unique reprise en 1919, à l’encontre du socialiste Victor L. Berger. Le 14e amendement est en effet plus connu pour ses clauses d’Equal Protection et de Due Process. Ceux-ci ont joué un rôle décisif dans les décisions de la Cour suprême relatives aux droits civiques en donnant naissance, dans la première moitié du XXe siècle, à la doctrine de l’incorporation, permettant d’appliquer les dix premiers amendements (connus sous le nom de Déclaration des Droits — Bill of Rights) aux États fédérés.

Trump disqualifié à la majorité simple ?

L’amendement, dans sa Section 5, précise simplement : « Le Congrès aura le pouvoir de donner effet aux dispositions du présent article par une législation appropriée ». Il est dès lors aisé d’imaginer que le Congrès peut, à la majorité simple, voter une législation signée du président afin d’appliquer les dispositions de la Section 3 et disqualifier une personne. Néanmoins, comme le rappelle le professeur Daniel Hemel de la Chicago Law School dans une tribune publiée dans le Washington Post, cette théorie pourrait venir se heurter à une disposition de la Constitution (Article 1, Section 9, Clause 3) prohibant toute bill of attainder. Dans la décision Cummings v. State of Missouri (1866), la Cour suprême définit une bill of attainder comme « tout acte législatif qui inflige une sanction sans procès judiciaire ». Cette théorie divise, comme souvent, les constitutionnalistes : selon le professeur Magliocca, la Section 3 du 14e amendement est une exception à la bill of attainder clause. À l’inverse, pour le Chief Justice Salmon P. Chase, la Section 3 « cherche à confirmer et à améliorer, plutôt qu’à affaiblir et à altérer l’esprit général de la Constitution ». 

Ces mots de Salmon P. Chase, issus de la décision nommée Griffin’s Case (1869), ont été suivis d’une loi permettant d’appliquer la Section 3 (First Ku Klux Klan Act) après que le Chief Justice eut, dans la même décision, affirmé que la Section 3 n’était pas auto-exécutoire. Le First Ku Klux Klan Act a ainsi permis à des procureurs fédéraux de poursuivre et disqualifier un nombre important de fonctionnaires inéligibles. Comme le note le professeur Hemel, si Donald Trump venait à être déclaré inéligible par une loi du Congrès, nul doute que cela donnerait lieu à une bataille judiciaire au cours de laquelle l’ancien président avancerait que ladite loi viole la clause dite de la bill of attainder. En outre, le camp républicain ne parviendrait très probablement pas à réunir deux-tiers des voix de chaque chambre, condition nécessaire à lever l’inéligibilité prévue par la Section 3 du 14e amendement. L’exemple du First Ku Klux Klan Act semble en conséquence indiquer que l’application de la Section 3 requiert davantage une réponse de la branche judiciaire que de la branche législative. A contrario, le professeur Mark A. Graber, dans son ouvrage The Forgotten Fourteenth Amendment avance une interprétation originelle compatible avec le vote d’une loi nominative.

« Les républicains ont vigoureusement rejeté les affirmations selon lesquelles la section 3 était une bill of attainder »

Dans un échange avec Just Security, média basé au sein du Reiss Center de l’école de droit de l’Université de New York, le professeur Mark A. Graber rappelle, à travers ce qu’il appelle une approche « originaliste historique », que l’intention originelle des auteurs du 14e amendement était de pouvoir disqualifier tout individu s’étant prêté à un acte insurrectionnel à travers une législation idoine. Une législation, qui, au regard de son analyse historique, ne constituerait pas une bill of attainder pour peu que l’on considère, à l’instar des auteurs de l’amendement, qu’une disqualification n’est pas une sanction mais une modification des qualifications requises pour assumer une fonction publique. L’auteur cite à ce titre le sénateur Waitman T. Willey, pour qui l’inéligibilité n’est « pas intrinsèquement pénale mais préventive. Elle ne se tourne pas vers le passé, mais elle se réfère, selon ma compréhension, entièrement à l’avenir. C’est une mesure d’autodéfense. Elle est conçue pour empêcher la répétition de la trahison par ces hommes, et étant une disposition permanente de la Constitution, elle est destinée à fonctionner comme un moyen de prévention de la trahison dans l’avenir en faisant comprendre au peuple des États-Unis que telle sera la peine s’ils osent commettre cette infraction. Il ne s’agit donc pas d’une mesure de punition, mais d’une mesure de légitime défense ». Toutefois, au regard de certains précédents tels que Nixon v. Administrator of General Services (1976), est considéré comme critère de sanction l’intention de punir du législateur (motivational test). Joanna R. Lampe rappelle dans une note du Congressional Research Service que « les tribunaux qui appliquent ce critère examinent le projet de loi le texte et l’historique législatif pour déterminer si le législateur a exprimé une intention punitive ». Après une seconde procédure d’impeachment, comment le Congrès pourrait-il nier l’intention de punir l’ex-président Trump en le rendant inéligible pour les faits qui lui sont reprochés à la suite des événements du 6 janvier ?

« Le président Trump doit être poursuivi en vertu du Titre 18 de l’US Code »

La réponse judiciaire est celle privilégiée par Sam Liccardo, ancien procureur fédéral et actuel maire de San José, dans l’État de Californie. Dans un communiqué daté du 8 janvier, l’édile demande que Donald Trump soit poursuivi et condamné en vertu du 18 USC § 2383, lequel « implémente » en quelque sorte la Section 3 du 14e amendement en disposant que « Quiconque incite, met en œuvre, assiste ou se livre à une rébellion contre les États-Unis ou ses lois […] sera condamné à une amende en vertu du présent titre ou à une peine de prison maximale de dix ans […] et sera incapable d’exercer une fonction quelconque sous l’autorité des États-Unis ».

Interrogé sur les alternatives envisageables, le constitutionnaliste de la Harvard Law School, Laurence Tribe, précise qu’« une législation appropriée adoptée en vertu de la section 5 du 14e amendement pourrait bien inclure la création d’une procédure civile plutôt que pénale ». De cette manière, une partie privée lésée pourrait demander à un juge d’émettre un writ de quo warranto afin d’empêcher toute personne s’étant livrée à des activités pouvant être disqualifiantes. Néanmoins, note la juriste Jennifer K. Elsea pour le Congressional Research Service, des doutes persisteraient sur qui aurait une qualité à agir (standing) pour intenter une telle action.

Dans sa tribune, le professeur Hemel plaide ainsi pour la mise en œuvre d’un mécanisme juridique de disqualification plutôt qu’une loi nominative votée à la majorité simple qui rendrait Donald Trump inéligible. Fort d’une solide majorité conservatrice à la Cour suprême, une telle loi ne résisterait probablement pas à l’interprétation très « originaliste » de ladite majorité constituée des juges Roberts, Gorsuch, Kavanaugh, Alito, Thomas et Barrett. Une exception à la bill of attainder clause pourrait être interprétée comme contraire à l’intention initiale des Pères fondateurs comme en témoigne Alexander Hamilton qui, dans l’un des Federalist Papers, disait : « Par constitution limitée, j’entends une constitution qui contient certaines exceptions précises à l’autorité législative, par exemple le fait qu’elle ne doit pas adopter de bills of attainder, de lois ex-post facto […] ». De même, la volonté des démocrates de « punir » l’ex-président pourrait être retenue. La voie judiciaire semble en conclusion la plus sûre si les démocrates veulent s’appuyer sur le 14e amendement pour empêcher un éventuel retour de Donald Trump aux affaires publiques. Ce qui fait dire au professeur Daniel Hemel : « Ce sera peut-être un long travail, mais il montrera le respect des processus constitutionnels qui fait défaut de manière si flagrante à Trump lui-même ».