Loin d’avoir tourné la page du trumpisme, le Parti républicain redouble d’efforts pour permettre le retour au pouvoir du milliardaire, mettant en place des centaines de lois visant à affaiblir le processus électoral et les institutions. Au lieu de réagir à ce qu’ils dénoncent comme une attaque inédite contre la démocratie américaine, Joe Biden et le Parti démocrate semblent coincés dans une réalité alternative où les compromis bipartisans avec une opposition aux velléités putschistes doivent primer sur une action politique susceptible de protéger le fonctionnement des institutions.
Pendant les primaires démocrates de 2020, Joe Biden insistait fréquemment sur sa capacité à travailler avec le Parti républicain, mettant en avant sa longue expérience au Sénat pour justifier son habileté à obtenir des compromis. Cette préoccupation semblait au mieux anachronique, au pire délirante, tant le GOP (Grand Old Party – autre nom du Parti républicain) a fait de l’opposition systématique à Barack Obama une stratégie politique gagnante, puis de sa subornation à l’extrémisme de Donald Trump un prérequis indépassable. Pourtant, Biden prédisait qu’une fois le milliardaire battu, le Parti républicain connaîtrait une forme d’épiphanie susceptible de le ramener à la table des négociations.
La prise d’assaut du Congrès par les militants pro-Trump aurait pu servir d’événement déclencheur. Ayant manqué de peu d’être lynchés par une foule violente, les ténors du GOP ont condamné vigoureusement Donald Trump. Mitch McConnell, président du groupe parlementaire républicain au Sénat, accuse le milliardaire d’être responsable de l’insurrection. « Ne comptez plus sur moi » pour défendre Trump, déclare l’influent sénateur de Caroline du Sud Lindsey Graham. Mais l’aile la plus radicale du parti, loin de tourner le dos au président sortant, décide de doubler la mise. Le sol du Congrès porte encore les stigmates de l’insurrection lorsque 138 représentants à la Chambre et 7 sénateurs votent contre la certification des élections.
Le Parti républicain cherche à préserver ses intérêts électoraux tout en évitant de contrarier Donald Trump
Depuis, les opposants à Donald Trump au sein du Parti républicain font l’objet d’une véritable chasse aux sorcières. Mitch McConnell a été pris pour cible à de nombreuses reprises par l’ancien président, se faisant traiter de « stupide fils de pute » et de « « sombre, austère politicien opportuniste. » Liz Cheney s’est vu retirer ses fonctions de cadre du groupe parlementaire lors d’un vote à la Chambre des représentants après avoir critiqué les « mensonges de Trump sur l’élection présidentielle ». Plusieurs élus ayant voté pour la destitution du milliardaire en février 2021 ont fait l’objet d’une motion de censure par les antennes locales de leur parti. Ceux qui avaient refusé de renverser le résultat des élections de certains États sont la cible de multiples menaces de mort. Aucune tête ne doit dépasser. Tous ceux qui contestent la théorie selon laquelle Joe Biden aurait volé les élections à l’aide d’une fraude électorale massive sont devenus persona non grata.
Donald Trump a repris les meetings de campagne en commençant par l’Ohio, afin de s’en prendre directement au représentant républicain local Anthony Gonzales et d’apporter son soutien au candidat qui le défiera dans le cadre d’une primaire pour les élections de mi-mandat de 2022. Gonzalez compte parmi les rares élus conservateurs à avoir voté la destitution de Donald Trump en janvier 2021.
Mitch McConnell a plié devant cette démonstration de force. Après avoir affirmé qu’il soutiendrait Donald Trump en 2024, il a déclaré que « 100% de mes efforts sont dédiés à stopper l’agenda démocrate. »Le sénateur du Kentucky est passé maître de l’obstruction parlementaire, lui qui s’était déjà vanté de n’avoir pour seul objectif « qu’Obama ne fasse qu’un seul mandat. » Il faut prendre toute la mesure de ces deux déclarations. En 2009, les États-Unis faisaient face à la plus grave crise économique depuis les années 30. En 2021, la situation est potentiellement pire. Loin de se recentrer, le Parti républicain a entièrement embrassé le trumpisme. Certains parlementaires qualifient désormais l’assaut contre le Capitole de « promenade touristique », en dépit des 140 blessés chez les forces de l’ordre, des multiples hospitalisations et des quatre morts chez les manifestants.
Le Parti républicain prépare méthodiquement le terrain pour un second putsch en 2024
Le GOP a bloqué la création d’une commission d’enquête parlementaire bipartisane sur l’assaut du 6 janvier. Elle devait, entre autres, expliquer les faillites du dispositif policier. Bien qu’elle aurait été pilotée conjointement par les deux partis, Mitch McConnell a déployé des efforts considérables pour empêcher sa création, avec succès.
Politiquement, cette commission représentait un danger pour le Parti républicain. Il aurait été contraint d’examiner sa propre responsabilité dans l’insurrection et de reconnaître le rôle central de Donald Trump. Le milliardaire ne s’était pas contenté d’encourager les violences, il avait demandé à son ministre de la Défense de faciliter la marche sur le Capitole puis refusé de rappeler ses militants entrés dans le Congrès, malgré les suppliques de plusieurs sénateurs républicains et du numéro trois du parti Kevin McCarthy.
Le GOP cherche à préserver ses intérêts électoraux tout en évitant de contrarier Donald Trump, et par extension, les 63 % d’électeurs républicains qui souhaitent qu’il se représente en 2024 et les 50 % qui jugent Biden illégitime. Mais au-delà de son refus de condamner la tentative de putsch, le parti de Lincoln est engagé dans un véritable assaut contre les structures démocratiques américaines.
Toutes les barrières ayant empêché le putsch de 2020 seront ainsi supprimées
Le Brennan Center for Justice a ainsi relevé quelque 361 nouvelles propositions de lois visant à modifier les règles électorales. Des États clefs comme la Géorgie, le Texas et la Floride redoublent d’efforts pour restreindre l’accès au vote des minorités susceptibles de voter démocrate. Par exemple, en limitant le recours au suffrage par correspondance et anticipé, en réduisant le nombre de bureaux de votes dans les zones urbaines et en interdisant la distribution d’eau aux citoyens faisant la queue pour voter1. Certaines dispositions ciblent ouvertement les personnes de couleur. Ainsi, voter le dimanche après la messe – une pratique très répandue chez les Afro-américains, sera effectivement interdit au Texas et en Géorgie. Les nouvelles lois cherchent également à autoriser les citoyens à venir surveiller les bureaux de vote, une démarche jusqu’ici illégale aux États-Unis, que Donald Trump avait pourtant encouragée, a priori dans le but d’intimider les électeurs démocrates.
Deuxièmement, ces nouvelles lois modifient les règles de certification des élections à l’échelle locale. Le but est simple : permettre aux élus républicains de changer le résultat légalement en cas de défaite de leur champion. Ce que Trump avait tenté d’obtenir sans succès en 2020. En Géorgie, la nouvelle loi permet de remplacer les membres des conseils de superviseurs (members of election board) chargés d’organiser les scrutins à l’échelle des comtés. Une dizaine de superviseurs jugés hostiles ont déjà été renvoyés pour être remplacés par des républicains dociles. Dans de nombreux États, le pouvoir de certifier le résultat final est transféré depuis des instances où le Parti démocrate a son mot à dire vers les parlements où le GOP est largement majoritaire. Au Texas, si la proposition de lois est adoptée, le perdant pourra demander la modification du résultat devant les tribunaux sans avoir à produire la moindre preuve de fraude. Des tentatives similaires avaient été déboutées en 2020, fautes d’éléments tangibles. Ce type de plainte sera désormais hypothétiquement recevable par un juge conciliant.
Troisièmement, de nombreux élus et cadres républicains qui avaient défendu la tentative de subversion des élections de Donald Trump sont candidats aux postes responsables de la certification des résultats à l’échelle des comtés. Les manœuvres d’intimidation du milliardaire avaient échoué au Michigan et en Géorgie en 2020 grâce à l’intégrité des élus conservateurs alors en place. Ils risquent d’être remplacés par des extrémistes acquis à cette méthode putschiste.
Enfin, en Arizona, une commission d’enquête visant à auditer les résultats de 2020 a été mise en place par le parlement local, contrôlé par le Parti républicain. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l’audit est effectué par une entreprise privée, détenue par un soutien politique de Donald Trump. Le prestataire en question, nommé Cyber Ninja, n’a aucune expérience en la matière et a déjà commis de nombreuses erreurs, au point de rendre inutilisables les machines électroniques pour les futures élections. Le but n’est pas d’invalider les résultats de 2020. N’en déplaise à Donald Trump, apparemment convaincu qu’il pourrait être ré-installé président à la fin de l’été, aucune voie légale ne permet de revenir sur une élection certifiée.
L’objectif est de préparer 2024 en persuadant l’électorat républicain de l’existence d’une fraude massive. Si l’audit parvient à cette conclusion, Fox News et les autres grands médias conservateurs n’auront plus qu’à matraquer ce mensonge pendant trois ans. D’autant plus que le GOP souhaite exporter cette tactique d’audit aux autres États sensibles, tels que la Géorgie et le Wisconsin.
Toutes les barrières ayant empêché le putsch de 2020 seront ainsi supprimées ou considérablement affaiblies. Même en cas d’échec à l’échelle locale, le GOP pourra renverser le résultat au Congrès fédéral, à la simple condition d’avoir une majorité dans les deux chambres. Et comme la droite fait uniquement campagne sur le thème des élections volées de 2020, ses électeurs n’exigeront probablement rien de moins de leurs élus.
Un cercle vicieux d’affaissement de la démocratie
La capacité du Parti républicain à imposer ce scénario dépend des élections de mi-mandat de 2022. Pour s’assurer d’y remporter une large victoire, le GOP peut compter sur deux éléments.
Le premier est politique. L’occupant à la Maison-Blanche perd systématiquement ces élections depuis 1934, en moyenne de 24 sièges à la Chambre des représentants. Or, les démocrates y possèdent une majorité particulièrement faible de 5 sièges, qui leur garantit statistiquement la défaite. Et pour cause. Le faible taux de participation de ces élections récompense systématiquement le camp capable de mobiliser sa base. Sur ce terrain, l’opposition dispose toujours d’un avantage important. 2002 constitue la seule exception : l’Amérique sortait tout juste du traumatisme du 11 septembre et la côte de popularité de Georges W. Bush côtoyait des sommets.
Le second point est purement technique. Le Parti républicain est passé maître dans l’art du gerrymandering, c’est-à-dire le découpage partisan des circonscriptions électorales afin d’obtenir un avantage structurel. Or, le prochain découpage, effectué tous les dix ans, doit avoir lieu à l’automne 2021. Le GOP aura la main libre dans la majorité des États clés pour dessiner les contours des différentes circonscriptions en sa faveur. En 2018 et avec cette méthode, le Parti républicain du Wisconsin avait réussi l’exploit d’obtenir deux tiers des élus malgré une large victoire du Parti démocrate. En 2022, le désavantage structurel de ce dernier s’annonce quasi insurmontable. On estime qu’un résultat national aussi positif qu’en 2020 (4% de votes supplémentaires, ce qui constitue un écart historiquement élevé) conduirait néanmoins les démocrates à perdre le contrôle de la Chambre des représentants2. Pour les parlements des différents États, c’est encore pire. Or ce sont ces assemblées locales qui votent les lois encadrant le droit de vote et la certification des résultats.
Les assauts coordonnés du Parti républicain contre les institutions démocratiques visent à assurer la conquête du pouvoir par une minorité d’électeurs
En clair, le Parti démocrate est pratiquement garanti de perdre sa majorité au Congrès et sa capacité de veto dans de nombreux États qui déterminent l’issue de la présidentielle. Cette alternance anticipée ne serait pas nécessairement problématique si elle reflétait le choix des électeurs, mais ce n’est pas le but poursuivi par la droite conservatrice. Au Texas, la généralisation du droit du port d’armes sans permis en public et l’interdiction de recourir à l’avortement, même en cas de viol, ont été voté contre l’avis de 3 électeurs sur quatre. Suite aux coupures de courant de l’hiver dernier, provoquées par une vague de froid exceptionnelle et liées au changement climatique, les élus républicains cherchent à taxer les énergies renouvelables et subventionner l’électricité carbonée. C’est pourtant les centrales à gaz et au charbon qui ont été à l’origine des coupures de courant. Au Congrès, toute mesure favorisant les travailleurs et classes moyennes reçoit une opposition systématique du GOP, tout comme les projets de hausse d’impôt sur les plus favorisés et les multinationales. Là encore, contre la volonté de 3 Américains sur quatre et d’une majorité de l’électorat conservateur.
On assiste ainsi à un cercle vicieux provoquant l’affaissement progressif des règles démocratiques américaines. Le gerrymandering permet aux élus républicains d’être majoritaires dans les assemblées locales tout en étant minoritaires dans les urnes, ce qui les conduit à s’attaquer au droit de vote pour se maintenir au pouvoir, leur donnant l’occasion de poursuivre les efforts de gerrymandering au cycle suivant. Un délitement facilitée par la Cour suprême, dont six juges sur neuf ont été nommés par des présidents républicains. Après avoir affaibli considérablement les protections civiques lors de son verdict de 2013 Shelby v Holder, elle vient de récidiver en validant les lois restrictives votés en Arizona en 2016 lors de sa décision Brnovich v DNC. Outre son impact local, ce verdict risque d’encourager les futurs assauts du Parti républicain contre les droits civiques, tout en privant les démocrates d’outils pour attaquer ces textes en justice3.
Les assauts coordonnés du Parti républicain contre les institutions démocratiques visent à assurer la conquête du pouvoir par une minorité d’électeurs4. Pour surmonter ces barrières techniques, le Parti démocrate a deux options : interdire par une loi fédérale les pratiques décrites plus haut, ou gouverner de manière suffisamment populaire pour obtenir un plébiscite en 2022 et 2024, dont l’ampleur permettra de surmonter les obstacles mis en place par le GOP.
Les républicains semblent déterminés à mettre toutes les chances de leurs côté en sabotant la reprise économique. À l’échelle locale, les gouverneurs et parlements conservateurs bloquent la mise en place des politiques sociales, en particulier l’expansion de la couverture santé public Medicaid voté localement par référendum en 2020 et l’assurance chômage d’urgence établie par Biden en 2021.
À Washington, Mitch McConnell ne se contente pas d’utiliser la règle du filibuster (qui nécessite 60 voix sur 100 pour faire adopter un texte au Sénat) pour bloquer les lois proposées par les démocrates. Il semble également jouer la montre en encourageant divers élus républicains à négocier en pure perte certains projets de lois. Ainsi, les 41 sénateurs conservateurs qui représentent près de 60 millions d’électeurs de moins que les 50 sénateurs démocrates sont en capacité de bloquer tout projet de Biden, bien que ce dernier ait l’opinion des électeurs républicains avec lui sur de nombreux sujets, dont la taxation des hauts revenus et l’augmentation des dépenses sociales.
Les Démocrates en marche vers le suicide collectif
Les Démocrates disposent d’une courte majorité dans les deux chambres du Congrès. Celle des représentants a déjà voté un texte central pour le parti, le « For the people act » ou « HR1 ». Le texte prévoit d’interdire le gerrymandering, de renforcer les dispositions du Voting act de 1964 pour interdire les discriminations vis-à-vis de l’accès au bureau de vote et de faciliter la participation en rendant le mardi des élections férié et le vote anticipé plus accessible. Le texte comporte également une réforme majeure des mécanismes de financement des élections, susceptible de limiter l’influence des ultra riches et des entreprises sur la vie politique. Toutes ces dispositions sont extrêmement populaires, y compris chez les électeurs conservateurs. Mais le texte nécessite 60 voix pour être voté au Sénat, soit dix sénateurs républicains. Face au refus catégorique de ces derniers, les démocrates peuvent voter une réforme de la règle du filibuster. Soit pour l’abolir entièrement – cette disposition ne fait pas partie de la constitution – soit pour permettre aux textes portant sur le droit de vote et l’encadrement des élections d’en être exemptés.
Biden se heurte à l’opposition de deux sénateurs démocrates les plus à droite. Joe Manchin, de la Virginie Occidentale, et Kyrsten Sinema, de l’Arizona. Leur obsession pour le compromis avec les Républicains est particulièrement difficile à comprendre, sauf à mettre en cause leur intégrité. En Arizona, le GOP essaye activement de faire annuler l’élection de Sinema. Le Parti démocrate local l’a récemment imploré dans une lettre ouverte de mettre fin au filibuster et de voter la loi HR1. Mais Sinema, une ancienne militante anti-raciste, prend désormais ses ordres auprès du patronat, comme l’a relevé un extrait d’une vidéo-conférence fuitée à la presse5. Ce dernier semble particulièrement soucieux de préserver le verrou du filibuster, qui garantit la protection de ses intérêts financiers.
Le laxisme de Biden peut s’expliquer par sa réluctance à confronter les intérêts du capital, et les sénateurs démocrates qui les défendent le plus fermement.
Manchin est un cas plus complexe. Il a réalisé l’exploit de se faire réélire en 2018 dans un des États les plus défavorisés, blanc et pro-Trump du pays. Son conservatisme semble le servir. Mais du haut de ces 74 ans, et alors que son mandat sera remis en jeu aux prochaines présidentielles, il paraît improbable qu’il soit en mesure de garder son siège au-delà de 2024, si tant est qu’il se représente. Biden dispose de maigres leviers pour le faire plier : aucun autre démocrate ne peut prétendre remporter une sénatoriale dans son État, Manchin ne doit rien à personne, et peut compter sur une retraite dorée dans le privé s’il quitte la vie publique. Les millions de dollars de dons financiers dont l’arrosent les milliardaires et les milieux financiers pour ses campagnes électorales lui promettent un avenir serein6. Manchin se réfugie derrière son idéologie pour justifier sa position. Il semble convaincu qu’un compromis demeure possible, et surtout souhaitable, avec le Parti républicain.
Un enregistrement d’une visioconférence privée avec ses principaux donateurs, obtenu par The Intercept, permet de mieux comprendre son approche. Lui aussi souhaite avant tout défendre le filibuster, au grand soulagement de ses soutiens patronaux. Il a ainsi suggéré à ces derniers de faire des dons aux élus républicains susceptibles de voter avec lui pour la commission bipartisane sur le 6 janvier, dans le but d’affaiblir l’argumentaire de la gauche démocrate qui juge vains ses efforts bipartisans. Il va même jusqu’à suggérer l’idée que ces donateurs utilisent leurs carnets d’adresses pour promettre une retraite dorée à certains élus, confirmant implicitement les mécanismes de corruption tacites en vigueur à Washington.
Mais dans ce même enregistrement, Manchin apparaît plus flexible qu’il ne le laisse entendre en public. Et le refus récent de l’ensemble des sénateurs républicains de voter pour autoriser le débat au Sénat de sa version très édulcorée du For the people act, pourrait le contraindre à adopter une approche plus directe, comme le préconise la gauche du parti. Son soutien récent à cette alternative témoigne de sa lente évolution sur la question.
Loin de s’alarmer de la situation, les principaux conseillers de Biden se disent confiants dans la capacité du Parti démocrate à mobiliser son électorat quel que soit les barrières mises en place par le GOP, citant en exemple – fait surprenant –la campagne de 2020. Diverses ONG d’observation ou de défense des droits civiques et organisations militantes s’alarment pourtant du manque d’action entreprises par la Maison-Blanche pour attirer l’attention de l’opinion publique sur cet assaut républicain.
L’action en justice menée par le garde des sceaux de Biden contre les lois votée en Géorgie prendra du temps à aboutir et risque fort d’échouer à la Cour suprême, comme celle initiée par le parti démocrate d’Arizona en 2016 et déboutée le mois dernier.
La stratégie retenue par l’administration Biden consiste à prioriser l’action politique et le passage de réformes populaires – comme le plan d’investissement bloqué au Sénat – plutôt que de politiser l’attaque conservatrice contre le droit de vote7. Mais même de ce point de vue, Biden inquiète ses alliés. Après avoir abandonné la hausse du salaire minimum, renoncé aux taux d’impositions de 21 % sur les multinationales et reculé sur le projet d’augmentation du taux d’imposition des entreprises américaines, ce qui s’apparente à un reniement de ses promesses, la Maison-Blanche a fait des concessions surprenantes au GOP. En particulier, en refusant d’imposer l’assurance chômage d’urgence votée par le Congrès aux gouverneurs républicains récalcitrants.
Le laxisme de Biden sur ce point peut s’expliquer par sa réluctance à confronter les intérêts du capital et les sénateurs démocrates qui les défendent le plus fermement. Ce ne sera pas la première fois qu’une démocratie bascule dans l’illibéralisme par manque de courage et de conviction de ses élites « modérées. » Sans recourir aux comparaisons historiques, on peut également pointer le manque de combativité et l’excès de confiance qui sied au Parti démocrate depuis de longues années, alors que ses principaux leaders ont tous allègrement dépassé les soixante-dix ans et semblent prisonniers d’un prisme de lecture dépassé.
Notes :
[1] https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/05/democrats-voting-rights-filibuster/618964/
[2] https://theintercept.com/2021/04/08/republicans-gerrymandering-for-the-people-act-voter-suppression/
[4] https://www.jacobinmag.com/2021/06/voting-rights-voter-suppression-laws-state-level-republicans-ari-berman-interview et “Let them eat tweets, how the right rules in an age of extreme inequality”. Pierson et Hacker, 2020.
[5] https://www.thenation.com/article/politics/kyrsten-sinema-conservative-democrat/
[6] https://www.cnbc.com/2021/06/08/joe-manchin-is-opposing-big-parts-of-bidens-agenda-as-the-koch-network-pressures-him.html
[7] https://www.theatlantic.com/politics/archive/2021/05/biden-manchin-gop-voting-rights/619003/