Nationalisons pour rétablir la souveraineté et réduire le chômage

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Dans le contexte de la mondialisation néolibérale qui dissout la souveraineté des peuples, les nationalisations sont devenues une urgence à la fois économique et démocratique. C’est un des moyens, pour les peuples, et à travers leur État, de peser sur leur destin.

Nous vivons un « moment souverainiste ». Depuis les attentats en effet, l’État est de retour : état d’exception, police et armée sont au cœur des discours et des actes politiques. Mais quid des questions économiques, l’État ayant déserté la sphère économique qu’il a laissé à des actionnaires privés focalisés sur la rentabilité à court terme ? En effet, refuser l’intervention de l’État dans le domaine économique, c’est refuser d’être pleinement souverain tout en actant la domination de l’économique sur le politique. C’est comme marcher sur une seule jambe. Alors que depuis 1995, les candidats promettent tous de résorber la « fracture sociale » et de réduire le nombre de chômeurs, on assiste à une hausse de la pauvreté, du chômage et au recul généralisé de la puissance publique dans les sphères de création de richesse.

C’est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques des gouvernements successifs : privatiser toujours plus, céder des fleurons de l’économie à des actionnaires privés et étrangers, et après regretter avec des trémolos dans la voix la montée du chômage. On se contentera de rappeler les choix de la “gauche gouvernementale” qui privatisa pour 210 milliards de francs sous Lionel Jospin, battant les records des gouvernements de droite. Aussi, évoquer les nationalisations, qu’elles s’effectuent dans un cadre d’économie semi-dirigée de type keynésien ou dans un cadre visant à rendre aux travailleurs la propriété effective des moyens de production et d’émission monétaire, revient en grande partie à définir ce que signifie concrètement une politique de rupture. Il faut pour cela faire un bref détour historique.

L’Etat aime tellement les entreprises qu’il les préfère dans son giron :

Si la première nationalisation à caractère économique en France remonte à 1907, 3 dates sont essentielles pour comprendre l’importance de ce processus dans l’histoire économique française, coïncidant avec des victoires électorales de la gauche: 1936, 1945 et 1982. Vainqueur des élections législatives de 1936, le Front Populaire nationalise des entreprises d’armement par la loi du 11 aout 1936, puis des entreprises de transport, ce qui abouti en 1937 à la création de la SNCF dont l’Etat possède au départ 51% du capital. Mais c’est à la Libération que vient se mettre en place des nationalisations massives afin de « gagner la bataille de la production » comme le disait l’un des slogans en vogue à l’époque.

Le programme du Conseil National de la Résistance impliquait en effet « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ». Charbonnages de France, Renault, onze grandes compagnies d’assurance ainsi que la Banque de France et les quatre plus grandes banques françaises sont ainsi nationalisées. Le cas des nationalisations est en outre intéressant en matière de procédure, surtout lorsque l’on nous parle sans cesse des « longueurs » de l’administration et de la procédure législative qui rendraient impossible toute nationalisation bancaire sans fuites massives de capitaux.

Le projet de loi de nationalisations du secteur bancaire fut déposé le vendredi 30 novembre 1945 au soir après fermeture de la bourse, voté le 2 décembre et publié au Journal Officiel le lendemain. Parfois ces nationalisations sont aussi des sanctions vis-à-vis de patrons compromis dans la Collaboration comme Louis Renault dont les usines jouèrent un rôle important dans l’effort de guerre nazi. Renault devient ainsi régie publique (sans compensation, ce qui donne lieu à des débats sur le caractère de « nationalisation » de cette mesure qui s’apparente plutôt à une « confiscation » car la nationalisation implique compensation financière selon la juriste Sophie Nicinski).

Le retour de la gauche au pouvoir en 1981 amorce la dernière grande vague de nationalisations avec la loi effective le 13 février 1982 qui touche de nombreux secteurs de l’économie : dans l’industrie avec Thomson , Rhône-Poulenc ou Usinor (qui fusionne ensuite avec Sacilor) ; dans le secteur bancaire avec le CIC et le Crédit du Nord. L’État accroit de surcroit son poids dans le secteur en récupérant le capital des entreprises qu’il ne détenait pas encore totalement comme la Société Générale, le Crédit Lyonnais ou la BNP. Ainsi en 1983, 25% des salariés travaillaient dans une entreprise publique. Cette politique fut contestée par une droite qui avait définitivement rompu avec le gaullisme et l’esprit du CNR, qui saisit le Conseil Constitutionnel, lequel autorisa les nationalisations en donnant un cadre juridique précis, rendant cette procédure très encadrée mais possible en régime capitaliste.

La nationalisation est possible en système capitaliste, mais il faut y mettre le prix.

Dans sa décision du 16 janvier 1982, le Conseil Constitutionnel a certes reconnu « le caractère fondamental de la propriété privée » mais a admis que celle-ci « admet des limitations exigées par l’intérêt général » afin par exemple de « combattre le chômage et de faire face à la crise économique ». Mais la contrepartie réside dans la compensation des actionnaires qu’il ne faut pas « spolier », cette compensation pouvant s’élever à la somme des valeurs boursières et dividendes majorés de 14% – cas de 1982.

Nationaliser a un coût mais porte aussi des bénéfices en termes de souveraineté économique et sociale. Bien entendu l’UE considère selon Joaquin Almunia que si les traités « ne prévoient pas de définition de la propriété dans chaque État membre », il convient que l’État « se comporte comme un investisseur privé tant en ce qui concerne le prix d’acquisition que la gestion de l’entreprise ». On voit que la contrainte des propriétaires privés peut ainsi vite devenir une juteuse opération pour les actionnaires privés. L’argent que l’État investit dans la nationalisation, est de surcroit de l’argent en moins pour investir ensuite dans ces entreprises publiques. Aussi, la question centrale porte sur le modèle économique dans lequel s’effectue la nationalisation et sur son but.

Toute politique progressiste passe nécessairement par la nationalisation d’entreprises :

On nationalise à la fois pour juguler le chômage et pour empêcher la captation par des particuliers de « biens communs » comme les ressources naturelles. De même, nous l’avons vu, l’outil monétaire, ne saurait être soustrait à la Nation sans amputer la capacité du peuple français à se saisir de son destin économique. Aussi la nationalisation doit être un postulat pour toute politique de rupture. Mais là où la solution keynésienne peut dépenser des sommes astronomiques pour récupérer des entreprises, une alternative peut consister en la confiscation pure des actifs des actionnaires privés d’entreprises stratégiques dans certains cas très précis, c’est-à-dire d’entreprises dont les activités sont essentielles au développement de la Nation, et dont les objectifs doivent relever de la décision démocratique. Par exemple via la planification publique, planification dont usent d’ailleurs déjà tous les capitaines d’industrie.

On peut lier en effet la question des nationalisations à celle du développement de l’emploi, le tout de manière précise : si le conseil d’administration d’une entreprise X s’engage à ne pas licencier voire à embaucher sur une durée Y, la puissance publique ne pourra nationaliser, si elle le juge nécessaire, que sous le régime compensatoire. La rupture de cet engagement entre État et CA pourrait entrainer à l’inverse une prise en main pure et simple de l’appareil productif, surtout si la décision de licencier résulte d’une opération de maximisation du taux de profit et non d’une véritable phase de recul de l’activité de l’entreprise. L’État pose ainsi des critères de développement social de l’activité comme critères d’évaluation d’une nationalisation et de sa forme. La possession par l’État d’un vivier d’entreprises permet également la baisse significative du chômage par le recours au droit opposable à l’emploi.

Si le secteur privé ne peut proposer un emploi à qualification égale à un chômeur après une durée X que fixerait la loi, c’est l’État qui deviendrait employeur de facto de ce privé d’emploi en l’intégrant au sein d’une entreprise publique (on se rapporte aux travaux d’Hyman Minsky). Même le secteur privé y trouverait une aubaine car le pôle public constitué par fusion forcée des grandes banques privées pourrait par exemple prêter aux PME à un taux préférentiel. Bien entendu, la question du contrôle des activités économiques nécessitera une bonne coopération entre les salariés, leurs représentants légitimes et l’État. Cela exige des formes de participation démocratique dans l’entreprise, afin que les nationalisations soient aussi des socialisations, et pas uniquement des étatisations.

Pour aller plus loin :

 

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