Mozambique : la crise perpétuée

Pont Kassuende, province de Tete, Mozambique © Ramon Novales

Dans un précédent article, nous abordions la situation insurrectionnelle que connaît le Cabo Delgado, région située au nord du Mozambique, où l’on trouve intérêts pétroliers et groupes djihadistes mêlés. Aujourd’hui, la situation n’a pas changé, et tend même à s’aggraver. Derrière l’horreur de ces actes se dissimulent les problèmes économiques et sociaux du Cabo Delgado et plus largement ceux du Mozambique.

Le 11 novembre au matin, selon les informations locales, des « militants islamistes radicaux », affiliés à Daesh et actifs dans la région depuis 2017, ont attaqué le district de Muidumbe aux cris de Allah Akbar avant de commettre leurs exactions. Les civils capturés ont été conduits sur un terrain de footbal tout proche pour y être décapités et, pour certains, démembrés. La plupart étaient des adolescents tout juste circoncis, après avoir participé à une cérémonie d’initiation masculine très pratiquée dans la région par les populations locales. Outre ces violences atroces, ce sont aussi les douloureux souvenirs de la guerre civile (1977-1992), qui a opposé le Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) à la Résistance Nationale du Mozambique (RENAMO), et ceux de la période coloniale qui refont surface. Un tel massacre ne peut que rappeler celui de Mueda, situé à quelques kilomètres de Muidumbe, où, le 16 juin 1960, les autorités coloniales portugaises ont ouvert le feu sur la population locale.

Actuellement, le chaos et l’incertitude règnent dans la région. La plus grande peur est celle de voir la terreur djihadiste prendre de plus en plus d’ampleur et s’étendre dans la province du Niassa, au nord-est, ou en Tanzanie, contribuant ainsi à l’apparition d’un État islamique en Afrique de l’Est. Cependant, cette peur cache d’autres problèmes et d’autres enjeux à l’échelle du pays entier. Derrière l’insurrection djihadiste, c’est la fragilité de ce pays bientôt quinquagénaire qui s’exprime. Entre développementalisme et profonde crise sociale, le Mozambique souffre.

La violence djihadiste au Mozambique

La violence généralisée au Cabo Delgado, riche en gaz, qui a déjà déplacé 435 000 personnes, s’étend petit à petit à d’autres régions, notamment aux provinces voisines de Niassa et Nampula. Les autorités locales ont déjà offert leur aide à des familles de déplacés allant plus au sud, notamment en Zambézie et à Sofala, alors que la situation y est déjà catastrophique : le cyclone Idaï de 2019 a dévasté ces régions côtières. Dans le passé, le Cabo Delgado fut une des provinces les plus touchées par la guerre civile, qui la déchira entre les Macondes (groupe ethnique minoritaire au Cabo Delgado) proches du parti-État du FRELIMO, au pouvoir depuis 1975, et les Makhuwas qui ont, depuis la période coloniale, une réputation belliqueuse de par leur proximité avec la RENAMO. L’insurrection djihadiste en cours a des sources plus profondes, comme la répression passée du multiculturalisme, ou celle des religions après l’indépendance.

« Carte des provinces du Mozambique » extraite du site cmap.comersis.com, mise à jour le 03 février 2019, libre de droits

À l’indépendance, le parti-État marxiste-léniniste mène une politique prônant un modèle laïque moderne, symbolisé par la volonté de créer un Homem novo (homme nouveau). Un des aspects de cette politique fut la répression des religions : il devint alors interdit d’enseigner le Coran aux enfants et d’autres pratiques religieuses furent interdites. Le non-respect de ces interdictions pouvait mener les récalcitrants à aller dans des camps de travail ou de « rééducation ».

C’est seulement sous l’impulsion du président Samora Machel que le Conseil Islamique du Mozambique (CISLAMO) fut créé début 1980, afin de bénéficier du soutien des populations musulmanes alors récalcitrantes au modèle national imposé. Sa création a été faite par Abubacar Ismail Manshiraqui, qui, selon les récits propagés par ses détracteurs, a introduit le wahhabisme au Mozambique. Selon Lorenzo Macagno , spécialiste de l’Islam au Mozambique, le terme wahhabisme est devenu une catégorie d’accusation diffuse et ambiguë contre certains musulmans du Mozambique et il est le plus souvent utilisé comme synonyme d’intégrisme. Dans les années 1980 et 1990 l’essor du wahhabisme dans la région réduisit considérablement l’influence des vieilles confréries soufies. Cette influence est peut-être aussi une des causes de la radicalisation d’une partie des populations locales, qui sont les plus pauvres du pays. Il y a aussi, depuis les années 1990, l’émergence d’Ansar Al-Sunna (Les Partisans de la tradition), groupe militant islamiste actif dans la région, ainsi que des tensions toujours plus grandes entre le Conseil islamique et une partie de la jeunesse, qui s’est radicalisée. Au même moment, la guerre civile (1977-1992) a laissé des plaies qui sont encore, à ce jour, à panser.

Avant même que l’insurrection djihadiste ne débute en 2017, la région était donc déjà en proie à des tensions confessionnelles, tout en devant panser les plaies du passé conflictuel et du passage du cyclone Idaï en 2019. Ces problèmes sociaux se sont ainsi conjugués avec la rancœur d’une politique passée anti-religieuse : en conséquence, la situation ne cesse de se dégrader depuis 2017. Le gouvernement est critiqué par la RENAMO et par d’autres citoyens désabusés par le FRELIMO, mais refuse de remettre en question le modèle de développement ultralibéral mis en place depuis 1992. Il paraît malgré tout en désarroi face à l’évolution de la situation. Le président Nyusi refuse d’avouer que la situation se dégrade toujours plus… alors qu’il fait appel aux forces militaires des pays voisins et à des mercenaires venus de l’étranger pour combattre les djihadistes. Le commandement militaire est dépassé et la situation est explosive. Début janvier, Total a ainsi évacué la plupart de ses cadres vers Maputo, tandis que le président Nyusi cherche à obtenir le soutien militaire et logistique des pays voisins (Afrique du Sud, Zimbabwe, Tanzanie) et de la France.

Ailleurs, la crise sociale

Derrière l’insurrection djihadiste au Cabo Delgado, c’est un sentiment d’abandon plus général qui domine, élargi à toutes les régions du nord marginalisées par le sud et la capitale Maputo. Néanmoins, la situation au Cabo Delgado reste particulière, ayant pour origine une vieille crise régionale toujours actuelle. Chez les Mwani et les Makhuwas (groupes ethniques majoritaires au Cabo Delgado), et dans les provinces du Zambèze ou de Nampula, le discours semble être le même : qu’importe l’horreur et la misère, c’est le discours développementaliste qui prime.

Sur les blogs anti-FRELIMO et souvent pro-RENAMO, il est possible de lire que l’insurrection djihadiste n’est au fond qu’une révolte contre les Macondes réputés proches du FRELIMO, qui détiennent le pouvoir politique dans la région. Le livre Les Bandits de Michel Cahen, qui narre la participation de l’historien à la campagne électorale de la RENAMO au lendemain de la guerre civile, dresse un bilan de la rancune et de la rancœur qu’éprouvent les (ex-)partisans de la RENAMO contre l’État mozambicain encore aujourd’hui.  Dans la province du Zambèze, les promesses d’industrialisation n’ont pas été tenues et la province de Nampula souffre encore des séquelles qu’a laissé le cyclone Idaï. La ville de Beira, deuxième ville du pays en nombre d’habitants, a été détruite à plus de 80 % par le cyclone. La stagnation des eaux a aussi favorisé une recrudescence des cas de choléra et de paludisme. L’arrivée du Covid-19 aggrave encore la situation sanitaire.

Ailleurs, au centre du pays, la province du Zambèze fut aussi le théâtre sanglant de la guerre civile tant la RENAMO s’y est fortement implantée en réaction à la politique centralisatrice du FRELIMO. Dans cette région, le FRELIMO demeure encore très impopulaire, il reste le parti du « Sud ». Pour les populations locales le propos est très clair : Os Shanganes comem tudo ! (« Les Shanganes mangent tout ! », les Shanganes étant une population du sud du pays perçue comme favorisée par le FRELIMO par rapport au reste du pays).

La situation politique demeure instable et certaines parties de la région n’ont pas encore été déminées depuis la fin de la guerre civile. Jusqu’en 2019, il était assez fréquent de croiser sur les routes d’anciens rebelles de la RENAMO n’ayant pas déposé les armes, attaquant les différents voyageurs. Un des grands enjeux politiques, tant pour la RENAMO que pour le FRELIMO, est aujourd’hui le désarmement complet des anciens combattants de la RENAMO. En plus de cela, toute tentative de réforme agraire est désormais impossible du simple fait que le cyclone Idaï a tout dévasté alors que la région, aux sols riches, ne s’est pas encore remise des politiques de collectivisation des terres (avec les machambas, équivalent des kolkhozes) des premières années de l’indépendance. De ce fait, la majorité des producteurs qui possèdent généralement entre 4 et 10 hectares de terrain font à la fois face à un climat toujours plus humide – impropre à la culture de haricots, de tabac ou de coton – et aux conséquences néfastes de l’aide humanitaire qui, donnée presque en continu depuis la guerre civile, entrave le développement de l’agriculture locale.

Comme le Cabo Delgado, les régions côtières font l’objet d’une prédation économique de la part de multinationales étrangères. Par exemple, la multinationale à capitaux chinois A Africa Great Wall Meaning Company a obtenu en 2014 des concessions pour la prospection et l’exploitation de sables lourds dans les districts d’Inhassunge et de Chinde sur la côte zambézienne. Cela ne va pas sans une forte protestation locale réprimée durement par les autorités locales : les populations locales ont été délogées, ce qui les a encore plus exposées aux conséquences du cyclone Idaï. Plus loin sur le fleuve Zambèze, à l’intérieur des terres, le projet de barrage hydroélectrique Mphanda Nkuwa, avec une capacité de 1500 mégawatts, est un autre exemple du développementalisme mozambicain. De nombreuses multinationales sont impliquées dans le projet de construction de ce barrage : la firme sud-africaine Eskom, la chinoise State Grid, la brésilienne Eletrobras et la française EDF. Ce projet pharaonique, dont le coût a été évalué à 2,3 milliards $, a été élaboré sans concertation avec les populations concernées, qui sont directement touchées dans leur approvisionnement en eau. Les Nations unies ont décrit ce projet comme « le projet de barrage le moins acceptable d’un point de vue environnemental en Afrique » . L’État est davantage dans une logique productiviste flatteuse des intérêts des multinationales, que dans une réelle politique de développement économique et agricole. Les habitants du Zambèze, comme ceux du Cabo Delgado, restent en détresse et se sentent abandonnés par l’État.

Le Cabo Delgado est finalement le reflet d’un Mozambique fracturé, oublié par des dirigeants qui feignent de ne pas comprendre quelle peut être « la cause des armes ». Le reste du pays n’est pas épargné par la crise sociale qui se corrèle à une politique négligente, flatteuse des intérêts des multinationales étrangères. Dans ce contexte, les mozambicains subissent une situation de détresse et n’ont plus aucune confiance dans leurs dirigeants, tandis que la prédation économique et le terrorisme ne faiblissent pas. À l’échelle locale, dans le Zambèze ou à Beira, la situation est aussi, pour d’autres raisons, catastrophique : derrière cette insurrection djihadiste, dont l’ampleur ne cesse de s’étendre, il y a les réminiscences et les conséquences d’une guerre civile qui ne s’est jamais vraiment finie, ainsi que l’absence de mise en place d’une réelle décentralisation, réclamée au centre, au nord et à l’ouest du pays. « La Paix ultime », promise par la signature d’un accord de paix entre d’anciens rebelles de la RENAMO et le président Filipe Nyusi en avril 2019, reste à faire à l’échelle du pays entier.

Sources :

• Bensimon Cyril, « Au Mozambique, la lente reconstruction après le cyclone Idaï », Le Monde, 14 Octobre 2019.
• « Des dizaines de villageois tués par des islamistes dans le nord du Mozambique », Le Monde, 11 Novembre 2020.
• Johnson Akinocho Gwladys, « Mozambique : la construction du barrage de Mphanda Nkuwa (1 500 MW) pourra démarrer d’ici 5 ans » revue Électricité (agence Coffin), 8 octobre 2019.
• Machena Yolanda, Maposa Sibonginkosi « Zambezi Basin Dam Boom Threatens Delta », International Rivers, 13 Juin 2013.
• Cronje Justin, « Maritime Security and the Cabo Delgado », revue Defence Web (Africa’s leading defence new portal), 8 décembre 2020.
• Macagno Lorenzo, « Islã e politica na Africa Oriental: o caso de Moçambique », VI Jornadas de Sociología. Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de Buenos Aires, Buenos Aires, 2004.
• Da Cruz Alberto, Oppewal Jorrit, « A Crise Socioeconómica no Meio Rural Zambeziano », blog de l’International Growth Centre, 7 Décembre 2017.
• Issufo Nadia, « Ciclone Idai: Há futuro para Beira », dans Noticias, 25 mars 2019.
• Mapote William, « Nyusi e Momade selam o paz em Moçambique », Voa portugues, 6 août 2019.
• Cahen Michel, Les Bandits, Centre Culturel Calouste Gulbenkian, 1994.
• « Carte des provinces du Mozambique » extraite du site cmap.comersis.com, mise à jour le 03 février 2019, libre de droits.
• Pour le Cabo Delgado, voir plus en détails la bibliographie de notre précédent article.

Venise inondée : aux sources politiques du désastre

Acqua alta 2019
L’inondation-de-la-place-Saint-Marc-à-Venise-le-15-novembre-2019

Venise a subi le mardi 12 novembre sa deuxième plus importante inondation, appelée localement acqua alta (littéralement : « l’eau haute »), depuis le début des relevés en 1923. Une hauteur d’eau d’1,87 mètres a été enregistrée, contre 1,94 mètres lors de l’inondation historique de 1966. Outre le décès de deux personnes, fait rarissime, de graves dégâts matériels ont été infligés à la ville. Les images des gondoles et des vaporetti (bus maritimes) projetés sur les quais ou dérivant dans la lagune, ainsi que des monuments envahis par les eaux, ont fait le tour des médias internationaux. Ce phénomène naturel s’est aggravé au cours des dernières années en raison du réchauffement climatique. Un système de protection de la ville est en construction mais il est particulièrement décrié. Il accumule en effet les retards, sur fond d’affaires de corruption, et son déploiement ne résoudra pas entièrement le problème de l’acqua alta. D’autres projets avaient pourtant été proposés mais ont été écartés pour des raisons discutables. Par Fabien Coletti et Sébastien Mazou.


L’acqua alta est un phénomène millénaire, attesté depuis au moins le VIIIe siècle, mais la fréquence des épisodes de forte intensité a augmenté ces dernières années. Le réchauffement climatique en est la cause première mais l’industrialisation de la lagune au cours du XXe siècle est aussi à prendre en compte. L’activité humaine est donc directement responsable des dégâts de l’acqua alta du 12 novembre dernier.

L’Acqua alta : un phénomene naturel

L’inondation régulière de Venise s’explique par la conjonction de trois éléments. Le premier est la marée nettement plus prononcée dans la mer Adriatique, au nord de laquelle est située la lagune de Venise, que dans le reste de la Méditerranée. Mais l’acqua alta n’a pas lieu toute l’année : elle s’observe surtout entre le début de l’automne et la fin de l’hiver, lorsque souffle le sirocco. Ce vent d’automne pousse la mer dans la lagune, à travers les trois ouvertures dans le Lido, la bande de terre qui sépare la lagune de l’Adriatique. Les eaux demeurent alors piégées par le vent, ce qui a pour effet de faire monter le niveau de l’eau. Enfin, la pluie aggrave l’acqua alta sans en être une condition indispensable. En résumé, les causes de l’inondation du 12 novembre sont la marée haute, le vent ininterrompu et les pluies torrentielles. Au moment où la marée atteignait son maximum, le vent et la pluie l’ont empêchée de redescendre et ont au contraire accentué sa montée.

Lido de Venise
L’une des ouvertures du Lido, par lesquelles la mer Adriatique s’engouffre et cause l’acqua alta

La hauteur des eaux enregistrée à 1,87 mètres ne signifie pas pour autant que Venise s’est retrouvée immergée sous quasiment deux mètres d’eau. Il faut en effet retrancher de cette hauteur le niveau moyen de la ville, situé entre un mètre et 1,30 mètres. Ainsi la place Saint-Marc commence à être recouverte par les eaux dès que l’acqua alta dépasse un mètre tandis qu’il faut plusieurs dizaines de centimètres supplémentaires pour que toute la ville soit submergée. Au début d’une acqua alta, des flaques apparaissent un peu partout dans la ville. Une sirène digne des alertes aériennes de la Deuxième guerre mondiale prévient à l’avance les Vénitiens de l’imminence d’une inondation. Le nombre de tonalités indique le degré d’élévation des eaux, de 110 centimètres à plus de 140 centimètres.

Heureusement pour les Vénitiens, le phénomène est bref puisqu’il correspond essentiellement au pic de marée. Malheureusement, lors d’une acqua alta particulièrement forte, il arrive que l’inondation dure plusieurs heures. Ce fut le cas le 12 novembre dernier avec un maximum atteint à 23h et un niveau d’eau d’encore d’1,10 mètres le lendemain matin. De plus, une nouvelle acqua alta de 1.30 mètres a touché la ville en fin de matinée.

Acqua alta 1966
Les Vénitiens se déplacent en bateau dans Venise lors de l’acqua alta de 1966

Des inondations aggravées par l’action humaine

Le changement climatique augmente la fréquence des épisodes météorologique de forte intensité. Le cas de l’acqua alta à Venise l’illustre bien : la moitié des quinze plus fortes inondations subies depuis 1923 ont lieu depuis l’an 2000. Un tiers se sont déroulées au cours des dix dernières années. Venise fait également face à d’autres problèmes d’origine anthropique. Partiellement construite sur l’eau, elle est le résultat d’un patient travail de réunion de plus d’une centaine d’îles naturelles ou construites sur pilotis.  Par conséquent, la montée des eaux, elle aussi induite par le réchauffement climatique, la menace directement. Si Venise ne risque pas à court terme de connaître le destin de la légendaire Atlantide, des inondations plus régulières, voire quotidiennes, entraîneraient des dégâts considérables. Sans parler des conséquences pour ses habitants et son économie touristique.

Le réchauffement climatique est un phénomène global mais, dans le cas de Venise, l’action humaine est aussi responsable à une échelle plus locale. La lagune de Venise est un milieu fragile. Elle était entretenue avec soin lorsqu’elle accueillait le siège d’une puissante république de marchands. Depuis le XIIIe siècle, les Vénitiens savaient que leur survie reposait sur un savant mais précaire équilibre entre la terre et l’eau. Des projets titanesques pour le Moyen Âge protègent la lagune des dangers de l’alluvionnement ou de l’érosion marine.

Des solutions diverses ont été envisagées pour préserver la lagune (…), elles se voulaient surtout expérimentales, combinées et réversibles. Mais entre-temps, un projet autrement nuisible avait vu le jour.

La modification du milieu par l’action humaine depuis le début du XXe siècle fragilise cet équilibre. Est notamment montrée du doigt l’installation d’usines à Marghera, au nord-ouest de la lagune, dans les années 1930. En particulier celle de pompes électriques destinées à extraire du sol l’eau nécessaire aux industries. Cela a dramatiquement accru l’enfoncement de Venise, passé d’un peu plus d’un centimètre tous les dix ans à environ cinq centimètres tous les deux ans. Au total, Venise s’est enfoncée de 23 centimètres dans la mer Adriatique en un siècle. Il faut ajouter à cela le passage de navires de fort tonnage, en particulier les paquebots touristiques, dont les remous fragilisent les fondations de la ville. Déjà en 1973 le grand historien de Venise Frederic C. Lane constatait que « l’industrialisation a alourdi les menaces que l’homme fait peser sur la lagune ». Depuis, le phénomène s’est aggravé. Les autorités ont envisagé des solutions diverses pour préserver la lagune. Mêlant la surélévation progressive de la ville et la mise en place de barrages saisonniers, elles se voulaient surtout expérimentales, combinées et réversibles. Mais entre-temps, un projet autrement nuisible avait vu le jour.

Le Mose ne sert qu’à ceux qui le font

Le projet phare de protection de la ville porte le nom évocateur de Mose (jeu de mots avec Mosè, Moïse en italien). C’est l’acronyme de « MOdulo Sperimentale Elettromeccanico » (« module expérimental électromécanique »). Il s’agit d’un système de soixante-dix huit digues déployées sur les trois passes du Lido en cas d’acqua alta importante afin d’empêcher une inondation comme celle du 12 novembre. C’est le fruit d’une réflexion lancée peu après la terrible acqua alta de 1966…il y a un demi-siècle. L’une des photographies que les Vénitiens ont le plus partagé sur les réseaux sociaux ces derniers jours provient d’un article du quotidien La Stampa de 1992. Le projet du Mose y est annoncé, accompagné par une prévision de date de mise en route : 1995. La présentation du projet définitif n’a pourtant lieu qu’en 2002. Un écart emblématique pour un chantier qui accumule retard sur retard. Les travaux commencent l’année suivante et doivent initialement durer jusqu’en 2011.

Mais les problèmes techniques se multiplient : le sable de la lagune bloque le mécanisme, une partie des charnières immergées commencent à rouiller exigeant un remplacement avant même leur mise en fonction. À tel point que la fin des travaux est désormais prévue pour décembre 2021. Le président du conseil, Giuseppe Conte, évoque lui le printemps 2021. De plus, son coût initialement prévu à 2 milliards d’euros atteint, pour l’instant, les 6 milliards d’euros. Giuseppe Conte insiste par ailleurs sur l’achèvement du projet aujourd’hui à « 93% ». Les Vénitiens observent que ces 7% manquants les ont laissés totalement démunis le 12 novembre dernier. D’ici la fin de l’année 2021, les Vénitiens subiront encore deux saisons d’acque alte. Ils sont conscients de ne pas trop devoir compter sur le projet Mose une fois qu’il entrera en fonctionnement.

Le projet Mose
Le projet Mose

En effet, il pourrait finalement causer plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Des écologistes et des scientifiques font régulièrement part de leurs craintes. Ne faudra-t-il pas déployer le projet Mose quotidiennement du fait de la montée du niveau des océans ? Cela aurait pour conséquence d’aggraver l’équilibre précaire de la vie aquatique de la lagune. De plus, un système automatique d’abaissement des panneaux est prévu en cas de conditions météorologiques exceptionnelles. Mais qu’adviendra-t-il alors de la ville ? Venise ne sera donc pas protégée des acque alte les plus violentes. Et les travaux de constructions du Mose ont agrandi les passages entre la mer et la lagune. Cela a ainsi fortement augmenté le volume d’eau qui se déverse sur la ville à chaque acqua alta. Enfin, le projet n’est prévu que pour une élévation du niveau des mers de 22 centimètres alors que les prévisions sont nettement plus élevées…

Une alternative hollandaise vite écartée

Évidemment, on pourrait envisager qu’il n’y avait pas de meilleure solution que le projet Mose. Il apparaîtrait alors comme un moindre mal. Sauf qu’une alternative existait : en 2001, le maire de Venise Paolo Costa a reçu une proposition hollandaise prévoyant la construction de digues mobiles émergées. Le coût du projet était estimé à 1,2 milliards d’euros et ses délais de réalisation à cinq ans. Mais surtout, celui-ci avait déjà été mis en place à Rotterdam avec succès. Pour l’anecdote, un musée de la ville expose les autres solutions envisagées, dont une similaire au Mose en cours de construction à Venise. Il précise qu’elle fut écartée car jugée dangereuse et à la manutention trop coûteuse… Les autorités vénitiennes écartèrent ce projet hollandais pour des raisons… esthétiques. Il serait en effet visible en permanence contrairement au Mose, dissimulé sous l’eau quand il est inactif.

L’arrestation de Giovanni Mazzacurati, avait permis aux enquêteurs de mettre à jour de vastes pratiques de corruption qui alimentaient (…) la vie économique et politique locale.

Au fur et à mesure des années et des retards les Vénitiens ont développé le sentiment que « le Mose ne sert qu’à ceux qui le font ». C’est ce qu’affirment de nombreuses affiches et inscriptions sur les murs de la ville. Les Vénitiens ne connurent donc qu’une demi-surprise le matin du 4 juin 2014. Les journaux révèlent ce jour-là un coup de filet qui conduit derrière les barreaux 35 personnes et voit la mise en examen d’une centaine de protagonistes du chantier. L’année précédente, l’arrestation de Giovanni Mazzacurati, ancien président du Consorzio Venezia Nuova qui dirige les travaux du Mose, avait permis aux enquêteurs de mettre à jour de vastes pratiques de corruption qui alimentaient, à travers un système de fausses factures, la vie économique et politique locale. Les montants dépasseraient les dizaines de millions d’euros.

Les arrestations politiques semblent surtout frapper la droite vénète : l’ex ministre néo-fasciste Altero Matteoli, la députée européenne Lia Sartori (Forza Italia, berlusconienne) et surtout le député Giancarlo Galan (Forza Italia), président de la région Vénétie pendant trois mandats (1995-2010). Mais le centre-gauche n’est pas en reste, en commençant par le maire de Venise Giorgio Orsoni, assigné à résidence et promptement désavoué par le Parti Démocrate alors au gouvernement, mais aussi Giampietro Marchese, conseiller régional de ce même parti. S’y ajoutent des dizaines d’entrepreneurs, fonctionnaires locaux et même un ancien général de la Guardia di Finanza. Une force de police spécialement chargée de la lutte contre la fraude…

La majorité des accusés – notamment Giancarlo Galan – acceptent de plaider coupable en échange d’une réduction de peine. Ce n’est pas le cas d’autres accusés politiques, qui choisissent le procès. Une première sentence tombe en 2017 mais, comme souvent, la justice italienne doit reconnaître la prescription pour un certain nombre de délits – c’est le cas de l’ancien maire Orsoni – tout en confirmant l’existence d’un système de détournement de fonds publics. Un constat confirmé en appel au mois de juillet 2019.

Une affaire de corruption qui porte la droite au pouvoir

Le coup de tonnerre du 4 juin 2014 a des conséquences politiques durables en Vénétie. Les berlusconiens, privés de plusieurs de leurs figures de proue, continuent à céder du terrain face à leurs alliés d’extrême droite de la Ligue du Nord. Ceux-ci avaient déjà conquis la région en 2010. Mais c’est surtout Venise qui change de visage. Depuis 1993 et l’élection des maires italiens au suffrage direct, la ville avait toujours été au centre-gauche, îlot progressiste dans une région conservatrice. Or, en 2015, le candidat du parti démocrate, Felice Casson, peu défendu par son parti, perd face à l’entrepreneur divers droite Luigi Brugnaro. Un petit Berlusconi local jusqu’alors pratiquement inconnu si ce n’est comme propriétaire de l’équipe de basket de Mestre.

La nécessité de sauvegarder Venise, en tant que lieu de vie et patrimoine de l’humanité, ne suscite aucune contestation. En revanche, les décisions prises se révèlent catastrophiques. En attendant la mise en place d’une solution durable, les inondations de Venise demeurent un symbole des conséquences du réchauffement climatique et des dégâts causés à la nature depuis le début de l’âge industriel.

 

« La production de plastique va augmenter de 40 % dans les 10 ans qui viennent » – Entretien avec Jacques Exbalin

Jacques Exbalin est l’auteur du livre La guerre au plastique est enfin déclarée ! , une enquête riche en informations sur l’évolution de la production, les dangers, la géopolitique du plastique et les déboires des filières de recyclage. Il consacre également une partie de son livre aux solutions permettant de s’en passer. Dans cet entretien à la fois dense en données et synthétique, nous faisons le point sur les principaux enjeux liés au plastique, en France et dans le monde, ainsi que sur les fausses solutions souvent mises en avant.


LVSL : Dans votre ouvrage, vous dites que la production de déchets plastiques va grandement augmenter dans le futur. Pourquoi ? Comment se répartit géographiquement cette augmentation ? Concerne-t-elle uniquement les pays émergents, ou bien aussi les pays développés ?

Jacques Exbalin : Comme on peut le constater, la production de plastique est en perpétuelle augmentation depuis les années 60. Cela va continuer à cause de la consommation croissante des pays émergents, où la collecte et le recyclage demeurent très faibles. Selon PlasticsEurope, elle est en croissance continue (+3,9 % en 2017, +4 % en 2016, +3,5 % en 2015). Si l’on tient compte uniquement des plastiques les plus courants, à savoir le PET, le polypropylène, le polyéthylène et le PVC, la demande mondiale a augmenté au rythme de 4,7 % par an sur la période 1990-2017. En France aussi, la production de plastique a augmenté de 7,8 % entre 2016 et 2017. Cocorico, de quoi nous plaignons-nous !

Selon un rapport de l’ONU, la production pourrait atteindre 620 millions de tonnes d’ici à 2030. Les tortues se frottent les… nageoires, les baleines éructent de joie, les oiseaux de mer gazouillent de plaisir…  Il faut ajouter aussi qu’il existe une forte demande dans les pays émergents pour l’emballage et le conditionnement, et que la production de nouveaux polymères correspond à des applications récentes dans le secteur automobile et médical. Dans certains cas, on ne peut que s’en réjouir.

Selon le quotidien britannique The Guardian, les groupes qui gèrent les combustibles fossiles, notamment Exxon et Shell, ont investi depuis 2010 186 milliards de dollars dans 318 nouveaux projets qui pourraient contribuer à une augmentation de la production de plastiques de 40 % dans les 10 ans qui viennent. Près de la moitié d’entre eux sont en construction ou terminés, et le reste est prévu. Et la cerise sur le gâteau est dévoilée dans un article du Monde du 10 octobre 2018 intitulé « Pour l’Arabie saoudite, le plastique c’est fantastique ». On y apprend que pour répondre à la demande du marché asiatique en pleine croissance, la compagnie nationale d’hydrocarbures Saudi Aramco et Total (cocorico) va se lancer dans la construction d’un nouveau site pétrochimique nommé Amiral, terminé en 2024 (investissement de 9 milliards d’euros), pour multiplier la production de plastiques.

Par ailleurs, les experts de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) dans un communiqué du 5 octobre précisent les données. La croissance de la demande de plastique dans le monde est fulgurante, elle a dépassé ces dernières années celle d’acier, de ciment et d’aluminium et cette hausse devrait se poursuivre. La pétrochimie (pour faire des plastiques) représente déjà 14 % de la production mondiale de pétrole et 8 % de celle de gaz, et devrait absorber plus d’un tiers de la croissance de la demande pétrolière d’ici à 2030, et presque la moitié d’ici à 2050.

le volume des déchets à l’échelle mondiale va augmenter de 70 % d’ici 2050

La Banque mondiale dans un rapport publié le 20 septembre 2018 écrit que si aucune mesure n’est prise urgemment, le volume des déchets à l’échelle mondiale va augmenter de 70 % d’ici 2050 pour représenter 3,4 milliards de tonnes, contre 2,01 milliards en 2016. La Banque mondiale s’inquiète plus particulièrement de la mauvaise gestion du plastique, particulièrement problématique puisque cette matière peut avoir un impact sur les écosystèmes pendant des centaines, voire des milliers d’années .

Pollution plastique à Manille, photo © Jacques Exbalin

LVSL : Sur tout le plastique produit, combien deviennent des déchets ? Pourquoi autant et où finissent-ils ?

8 millions de tonnes de plastiques sont déversées chaque année soit 250 kg par seconde !

J. E. : On connait les chiffres depuis l’étude des Universités de Géorgie et de Californie parue dans la revue américaine Science Advances le 19 juillet 2017. Entre 1950 et 2015, 8,3 milliards de tonnes de plastiques ont été produites dans le monde et sur ce total, 6,3 milliards sont devenues des déchets très peu biodégradables. Sur ces 6,3 milliards de tonnes, seulement 9% ont été recyclées (dont seulement 10% plus d’une fois), 12% incinérées et 79% se sont accumulées dans la nature, dans les décharges sur terre et dans les océans, où plus de 8 millions de tonnes de plastiques sont déversées chaque année, soit 250 kg par seconde !

LVSL : Vous évoquez aussi le danger des microparticules de plastique, de quoi s’agit-il exactement ? En quoi sont-elles un danger ?

J. E. : Les microparticules sont des morceaux de moins de 5mm de diamètre. Elles représentent entre 15 et 31% des quelques 8 millions de tonnes déversées chaque année dans les océans. D’où viennent-elles ? Elles proviennent de plusieurs sources : tout d’abord de la fragmentation des macro-déchets de plastique (sacs, bouteilles, emballages divers)  sous l’effet du vent, des vagues, du sable et des UV du soleil, mais aussi du  frottement des pneus sur les routes, du lavage des vêtements synthétiques, des microbilles  ajoutées dans de nombreux cosmétiques, des peintures des navires, des marquages au sol des routes, des rejets industriels lors de la fabrication de plastique et des poussières des villes.

Mer des Caraïbes, photo © Jacques Exbalin

LVSL : Vous dites aussi que seule une petite partie du plastique est recyclée dans notre pays. Pourquoi est-ce si compliqué ? Les industriels nous mentent-ils donc ? Quelles solutions s’offrent à nous pour mieux recycler, sur la voie de l’économie circulaire ?

J. E. : La France est 25e sur 28 pays en Europe pour le recyclage du plastique avec un taux de 22,2% en 2016 en comptant les exportations en Chine. Comme les exportations en Chine sont maintenant interdites, ce taux doit être encore plus faible et de nombreux pays comme les États-Unis ou l’Australie ne savent plus quoi faire de leurs déchets.

La France est 25e sur 28 pays en Europe pour le recyclage du plastique

Les industriels ne veulent plus que les déchets aillent en décharges. Ils encouragent la récupération de tous les plastiques pour développer l’incinération (6 nouveaux incinérateurs en construction) et la production de CSR (combustibles solides de récupération) pour chauffer les cimenteries et les chaufferies industrielles plutôt que pour développer le recyclage. La majorité des plastiques ne se recyclent pas. A part les bouteilles et les flacons, seulement 3% des plastiques sont recyclés. D’une part ce n’est pas rentable pour les industriels, et d’autre part à cause de la multitude de variétés et des mélanges c’est souvent très difficile, voire même impossible, de les recycler.

Est-ce souhaitable ? On peut se poser la question, car les plastiques contrairement au verre, à l’aluminium ou à l’acier ne se recyclent pas à l’infini et le plus souvent une seule fois. Il faut donc surtout éviter de l’employer et utiliser d’autres matériaux recyclables. Car quand votre bouteille en plastique a été transformée en pull, en arrosoir, en différents objets, ces derniers ne seront pas recyclables et termineront dans les décharges, les incinérateurs ou dans la nature. Il faut adopter d’autres initiatives comme la consigne des bouteilles en verre et en plastique comme cela fonctionne en Norvège, et surtout produire de moins en moins de plastiques, que les industriels développent sérieusement l’éco-conception afin que leurs produits soient recyclables et réutilisables, et surtout que les consommateurs utilisent de moins en moins de plastiques dans leur vie quotidienne et les réservent pour des usages indispensables comme dans le domaine médical par exemple.

On peut ne plus utiliser des plastiques à usage unique (pailles, cotons-tiges, touilleurs, vaisselle et couverts, ballons de baudruches, sacs en plastique,..), acheter en vrac dans des sacs en tissu ou en papier et penser aux 1 million d’oiseaux et 100 000 mammifères marins et terrestres tués chaque année par les déchets plastiques avant d’utiliser un objet en plastique.

Wings of the Ocean est un projet de dépollution, de pédagogie et de recherche sur le plastique, à bord du navire le Kraken. Chacun peut joindre cette aventure participative.

LVSL : On évoque beaucoup de solutions techniques pour lutter notamment contre le plastique en mer, comme des filtres ou en encore des installations qui seraient capables de retransformer le plastique en hydrocarbure grâce à des bactéries. Or on découvre que le plastique coule en partie dans les abysses ou se transforme en microparticules qui envahissent la chaîne alimentaire. Que pouvons-nous donc faire, sur le plan technique, pour nettoyer nos océans ?

J. E. : Il sera très difficile de nettoyer les océans pour deux raisons principales. Seulement 1% des déchets flotte, ce qui signifie que l’écrasante partie des déchets se trouvent dans le fond, quelquefois à plusieurs milliers de km de profondeur, ou échoués sur les côtes. Les déchets plastiques se transforment en microparticules de plastique de moins de 5 mm puis en nanoparticules invisibles à l’œil nu.

Les micro et nanoparticules ont envahi toute la planète dans les moindres recoins, des sommets Les plus hauts aux fosses océaniques les plus profondes.

Les micro et nanoparticules ont envahi toute la planète dans les moindres recoins, des sommets les plus hauts aux fosses océaniques les plus profondes. On en mange quotidiennement dans nos aliments, on en boit dans l’eau du robinet ou l’eau en bouteille, il pleut des micro-plastiques et on en rejette dans nos excréments. On ne connait pas exactement les conséquences sur notre santé, mais les études sur différentes espèces animales se révèlent très négatives. Il sera bien sûr impossible de nettoyer les océans, peut-être d’enlever une partie des gros déchets qui flottent. Quant aux bactéries, chenilles, vers , etc. qui décomposent les plastiques, la décomposition est beaucoup trop lente pour attendre un espoir de ce côté-là.

Alors que faire ? Utiliser le moins de plastiques possible, participer à toutes les opérations de nettoyage sur terre et sur mer, adopter une attitude zéro déchet et surtout zéro plastiques, acheter en vrac sans emballage, réutiliser les objets… Ne pas tout attendre des nouvelles technologies souvent décevantes. Le consommateur a les clés de la consommation uniquement. Les plastiques disparaîtront en partie si les consommateurs les utilisent de moins en moins. C’est à nous de changer de façon de vivre, de consommer, de manger, de se déplacer. Certains changements peuvent se faire très rapidement. Nous avons les solutions, il faut les utiliser avant qu’il ne soit vraiment trop tard !

Brésil : le triste anniversaire de la catastrophe de Samarco

©Senado Federal. Rogério Alves/TV Senado. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.

Le 5 novembre 2015, la rupture d’un barrage de rétention de déchets miniers appartenant à la société Samarco provoquait une coulée de boue toxique et dévastait le village de Bento Rodrigues. Deux ans après, le feuilleton judiciaire de cette catastrophe environnementale historique n’en finit plus, et les effets de la pollution continuent de faire de nouvelles victimes collatérales.

C’est un funeste anniversaire qui a réuni les habitants des Etats brésiliens du Minas Gerais et d’Espirito Santo, le 5 novembre dernier. Couverts du noir du deuil, plusieurs milliers de Brésiliens sont descendus dans les rues de toute la région, située à une dizaine d’heures de voiture au nord de Rio de Janeiro. Deux années après les gigantesques coulées de boues toxiques qui ont ravagé la région, les manifestants dénoncent l’absence de distribution des compensations pourtant promises, et la lenteur de la justice à condamner clairement les responsables. En cause, un puissant lobby minier qui cache à peine sa proximité avec les milieux politiques locaux et nationaux.

La plus grande catastrophe écologique de l’histoire brésilienne

Crédits : Romerito Pontes. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic

Le 5 novembre 2015, un barrage de rétention de déchets appartenant à la compagnie minière Samarco (copropriété du groupe brésilien Vale, premier producteur mondial de minerai de fer, et de l’Australien BHP Billiton) rompait, déversant une coulée de cinquante millions de mètres cubes de boue toxique (contenant de très hautes doses de fer, mercure, manganèse et arsenic) sur Bento Rodrigues, 600 habitants. Le village était totalement rayé de la carte par ce qui reste la plus grosse catastrophe écologique de l’histoire du Brésil. Dix-neuf personnes y trouvent la mort (quinze employés de la mine et quatre habitants de Bento Rodrigues).

Un écosystème dévasté, des populations contaminées

La coulée a également contaminé le Rio Doce, l’un des plus importants fleuves d’Amérique du Sud. La catastrophe y a provoqué un véritable écocide sur la faune et la flore aquatiques. Le fleuve est dorénavant un bras mort, tous les poissons ayant été intoxiqués, et les scientifiques estiment qu’il faudra au minimum un demi-siècle pour un retour à la normale. À cela s’ajoute un scandale sanitaire. Les autorités et les sociétés exploitantes ont peu communiqué sur les risques collatéraux, et des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup d’Amérindiens, continuent de consommer l’eau du fleuve, où des taux dangereusement élevés de fer ont pourtant été relevés. Ceux qui ont décidé de ne plus toucher à l’eau contaminée ont dû quitter la région ou déménager, car sa toxicité pénètre les élevages et l’agriculture.

Un drame à ce jour encore impuni

Crédits : Felipe Werneck/Ibama. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic

L’enquête avait rapidement montrée que le drame n’était pas un simple accident. Des témoignages concordants ont pointé du doigt la gestion des bassins de rétention, dans lesquels sont stockés les résidus de l’extraction de fer, et qui avaient plus que dépassé la limite de leurs capacités. Au-delà, Samarco s’est vu accusé de négligences, notamment pour son absence de contrôle technique afin de vérifier la solidité du barrage.

Le volet judiciaire de l’affaire a connu un nouveau rebondissement cet été, quand un juge a suspendu les poursuites contre vingt-deux personnes pour vice de procédure, entraînant une quasi-annulation de l’instruction à leur encontre. Ainsi, à l’heure actuelle, aucune personne n’a été jugée responsable pénalement. Certes, l’Etat du Minas Gerais et d’Espirito Santo ont imposé une soixantaine d’amendes de dédommagement à BHP et Vale, pour un montant total de 522 millions de reais. Mais selon Reporterre, aujourd’hui, seulement 1 % de cette somme a été effectivement versée par les deux compagnies minières.

Les entreprises minières ont la main  

L’affaire Samarco atteste de la puissance des lobbys miniers au Brésil. Le journal Folha de Sao Paulo a notamment montré en 2015 que les parlementaires chargés de durcir le code minier pour prévenir les accidents de ce type avaient pour principaux donateurs de campagne les gros bonnets du secteur. Forts de leur influence, Vale et BHP ont ainsi obtenu de pouvoir fixer eux-mêmes les critères qui définissent qui est une victime collatérale de la catastrophe et qui ne l’est pas, ce qui explique le grand nombre d’habitants qui n’auront le droit à aucune compensation.

Pour donner le change, les deux propriétaires de Samarco financent la fondation publique Renova, chargée de décontaminer la région et d’y favoriser le retour de la faune et de la flore. Sauf que Renova est également vivement critiquée, car seules des personnes liées à Vale ou BHP sont représentées dans les processus de décision. La fondation Renova s’est par exemple engagée à reconstruire à l’identique Bento Rodrigues d’ici 2019, à l’emplacement exact de l’ancien village. Comme s’il ne s’était jamais rien passé, et qu’aucune leçon n’avait été tirée.

Pour aller plus loin sur les problématiques environnementales au Brésil : “Temer fait exploser la déforestation en Amazonie”

Crédits Une :©Senado Federal. Rogério Alves/TV Senado. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.