Joe Biden, une victoire en trompe-l’oeil ?

Capture d’écran Wbez

À moins d’une intervention particulièrement improbable et injustifiable de la Cour suprême en faveur de Donald Trump, Joe Biden sera le 46e président des États-Unis. Sa victoire, obtenue avec une large avance à l’échelle nationale, masque un recul spectaculaire du Parti démocrate à tous les autres niveaux. Un constat qui annonce un futur compliqué pour la gauche américaine. Loin d’être répudié, le trumpisme semble promis à de belles années.  


S’il reste quelque dix millions de bulletins de vote à dépouiller dans les États les moins disputés, on peut déjà tirer de nombreux enseignements des élections américaines de 2020. Joe Biden obtient une large victoire à l’échelle nationale, avec six à sept millions de voix d’avance sur Donald Trump. Il double l’écart obtenu par Hillary Clinton en 2016, aidé par une participation record. Près de 160 millions d’électeurs se sont rendus aux urnes, soit 69 % des personnes en âge de voter. L’impression de victoire sur le fil s’explique par le collège électoral, que Joe Biden remporte avec des marges relativement étroites. Le démocrate reprend le Wisconsin et le Michigan à Donald Trump, le premier avec un écart identique à celui qui avait permis au milliardaire de le remporter en 2016, le second avec une marge plus confortable de 2,5 %. En Pennsylvanie, Biden échappe de justesse au recompte, imposé par la loi lorsque l’écart est inférieur à 0,5 %. L’Arizona et la Géorgie devraient également revenir au démocrate, bien que les faibles marges risquent de provoquer un recompte. A priori, Biden obtiendra un total de 306 grands électeurs, le même score que Donald Trump en 2016. [1]

Au Congrès, la situation est moins reluisante. Les démocrates ratent leur objectif de reconquête du Sénat, renouvelé au tiers, en dépit d’une carte électorale particulièrement favorable. Sur les huit sièges qu’ils espéraient conquérir, seuls deux basculent en leur faveur (Arizona et Colorado), alors qu’ils perdent l’unique sénateur à risque, en Alabama. En particulier, les démocrates échouent à prendre le siège de Susan Collins (dans le Maine) malgré la victoire confortable de Joe Biden dans cet État. Le Sénat restera sous contrôle républicain, avec une majorité de 50 sièges à 48, en attendant le second tour des élections sénatoriales de Géorgie le 5 janvier. Dans le meilleur des cas, les démocrates auront une majorité 50-50, arbitrée par le vote de la vice-présidente Kamala Harris. Dans le pire, ils seront toujours minoritaires à 52-48. 

Sans le vote anti-Trump, les démocrates auraient réussi le triste exploit de perdre sur tous les tableaux

La seconde chambre du congrès, dite Chambre des représentants, restera sous contrôle démocrate. Mais au lieu d’étendre leur majorité d’une vingtaine d’élus comme ils l’espéraient, ils perdent de nombreuses circonscriptions conquises en 2018, pour se retrouver avec une majorité particulièrement faible,  de cinq à dix sièges sur 435. Ceci  profile une perte du contrôle de la Chambre dès 2022, les élections de mi-mandat étant traditionnellement hostiles au président en exercice. Si les porte-drapeaux de la gauche américaine, tels qu’Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Rachida Tlaib et Ayanna Pressley sont réélus et recevront le renfort de quelques Democrat Socialist (Cori Bush, Jamal Bowman et Mondaire Jones), ils viennent tous de circonscriptions acquises au Parti démocrate. Les candidats Mike Siegel, Kara Eastman et Candice Valenzuela, proches de Bernie Sanders, échouent à faire basculer les sièges républicains qu’ils visaient. Les autres élus progressistes conservent néanmoins leurs mandats. Les pertes proviennent de sièges tenus par des démocrates centristes, ou néolibéraux. Joe Biden fait cependant mieux que l’ensemble des candidats démocrates aux Congrès. Autrement dit, sans le vote anti-Trump, le Parti démocrate aurait réussi le triste exploit de perdre sur tous les tableaux, malgré la gestion sanitaire et économique désastreuse de la Maison Blanche.

D’autant plus qu’à l’échelle locale, en particulier dans les parlements des États, les démocrates reculent davantage. Le site Politico qualifie ces résultats  « d’abyssaux », et rapporte que le Parti républicain considère cette élection comme son plus grand succès depuis 2002. Il renforce ses positions dans de nombreux États, reprend le contrôle du New Hampshire, conserve sa majorité au Texas et obtient une super-majorité en Floride. Les démocrates échouent à faire basculer le moindre parlement, à la potentielle exception de l’Arizona, et perdent la gouvernance du Montana. Cet échec va avoir de très graves conséquences pour les dix prochaines années, puisque ce sont les parlements locaux qui dessinent les contours des circonscriptions électorales. Politico estime que le Parti républicain aura la main libre pour redessiner 181 circonscriptions du Congrès (sur 435) contre seulement 76 pour les démocrates, le reste étant sujet à des mécanismes bipartisans. En clair, la Chambre des représentants, qui favorise déjà les républicains, va continuer d’être biaisée contre les démocrates jusqu’en 2031. [2]

Avec le pouvoir judiciaire durablement ancré à droite, la Cour suprême acquise aux conservateurs et le Sénat structurellement défavorable aux démocrates, tout espoir de changement progressiste aux États-Unis semble avoir été « tué » par cette élection. Comment expliquer une telle débâcle ?

Une élection imperdable, sur le papier

Le large succès électoral des démocrates aux élections de mi-mandat de 2018 et l’impopularité de Donald Trump suggérait une vague bleue capable de réduire le Parti républicain à l’état de force politique contestataire, miné par des mouvances extrémistes de type QAnon. Les manifestations contre les violences policières, les deux cents trente mille morts du coronavirus et la récession économique qui en a découlé constituent autant de faillites de la Maison-Blanche et du Parti républicain. 

Donald Trump a été pris la main dans le sac à mentir aux Américains, admettant en février au journaliste Bob Woodward : « Ce virus est un tueur, il est très dangereux, il est très contagieux, car aéroporté » avant de le comparer publiquement et pendant des mois à une simple grippe qui disparaitra rapidement. Dans une seconde entrevue, Trump reconnaît vouloir « toujours minimiser le virus pour ne pas provoquer la panique ». La publication de ces bandes sonores en septembre aurait dû enterrer le président.[3]

Dans le dernier débat présidentiel, Trump a admis que son opposition au second plan de relance économique était un pur calcul électoral. Ses déclarations d’impôts, qu’il a toujours refusé de rendre publiques, ont été obtenues par le New York Times trois semaines avant l’élection. Elles révèlent un homme d’affaires menacé de faillite, qui ne paye aucun impôt sur le revenu, et ayant mis en place un système de corruption et de détournement d’argent public d’ampleur inouïe. De quoi briser n’importe quelle autre candidature. [4]

Or, le président sortant a mené une campagne que d’aucuns qualifient de catastrophique, sans aucun programme ni message central. En plus de renier son positionnement populiste de 2016, il a pris une série de positions particulièrement impopulaires. Son obstination contre le port du masque, désapprouvé par un tiers de ses propres électeurs, sa stratégie visant à mettre de l’huile sur le feu des manifestations Black Lives Matter, décrié par deux Américains sur trois ou son refus de reconnaître la réalité du réchauffement climatique dans une campagne marquée par les catastrophes laissait présager une lourde défaite. Après un premier débat désastreux et un second annulé par ses soins, sa gestion catastrophique de son budget de campagne suggérait un niveau d’incompétence susceptible de renvoyer le trumpisme aux oubliettes. On parle d’un président se rendant en Iowa pour se plaindre que les inondations qui ont détruit les récoltes de cet État rural aient empêché les médias de parler de sa nomination pour le prix Nobel de la paix. Au lieu de faire campagne sur la reprise économique, il aura passé ses deux dernières semaines à essayer de monter en épingle les affaires impliquant le fils de Joe Biden. En 2016, Trump concluait ses meetings par la promesse de mettre fin à la corruption de Washington et de relocaliser les emplois manufacturiers. En 2020, il les termine par une danse sur le tube YMCA.

Loin de reculer, le trumpisme sort renforcé

Au lieu de subir une humiliation, Trump a réussi à obtenir sept millions de voix de plus qu’en 2016, pour un total de 72 millions, soit deux millions de plus que Barack Obama en 2008. Il semble progresser dans toutes les catégories d’électeurs, à l’exception des hommes blancs, et a délivré un succès électoral inespéré au Parti républicain. Comment expliquer ce résultat contre-intuitif  ? 

S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, de nombreux journalistes indépendants pointent le fait qu’à rebours des indications fournies par les sondages, la majorité des Américains a pu ressentir une fatigue vis-à-vis des émeutes Black Lives Matter et, surtout, du confinement inhérent au Covid. Les médias conservateurs ont déjà fait preuve de leur capacité à orienter l’opinion, comme le montre les enquêtes post-électorales stipulant qu’un Américain sur deux approuve la gestion du Covid de Donald Trump.[5] Un paradoxe qui peut s’expliquer par le fait que la presse généraliste se soit décrédibilisée en promouvant une théorie complotiste absurde avec le RussiaGate, avant d’adopter une ligne éditoriale hypocrite. Non seulement ils ont approuvé les larges rassemblements de manifestants Black Lives Matter en période de confinement, après avoir moqué et décrié les manifestations pro-Trump, mais ils ont également produit leurs propres « faits alternatifs ». Lorsque CNN diffuse en bandeau « des manifestations intenses mais largement non violentes » et que son envoyé spécial parle de mouvement pacifique devant une ville en feu, on comprend qu’une partie de l’Amérique se rallie aux mensonges de Donald Trump.  

Sa gestion désastreuse du Covid a pu être relativisée par la seconde vague qui vient de frapper l’Europe, alors que les bons chiffres économiques de novembre valident en apparence sa stratégie. Comme on le voit chez nous, le confinement finit par provoquer un certain rejet de la population et attise les réflexes réactionnaires. Entre la sauvegarde de leur emploi et le risque de tomber malade, de nombreux Américains préfèrent la première option, d’autant plus que ni Joe Biden ni le congrès démocrate n’ont réussi à casser ce faux dilemme en proposant une alternative satisfaisante.[6]

Les données sur la sociologie du vote et les sondages sortis dans les jours qui ont précédé l’élection montrent que les électeurs ont d’abord voté en fonction de l’économie. Selon l’enquête de l’institut Edison, reposant sur 100 000 sondés, Trump obtient le vote de 82 % des 35 % d’électeurs préoccupés en priorité par l’économie. 72 % de ceux qui estiment que leur situation matérielle s’est améliorée depuis 2016 ont voté pour le président sortant. La plupart d’entre eux sont issus de milieux aisés, comme le suggèrent les enquêtes. Mais certains électeurs issus des classes populaires ayant bénéficié du premier plan de relance ont pu attribuer cette amélioration au président. 

Le fait que Joe Biden ne soit pas parvenu à gagner sur cette problématique, en pleine récession, en dit long sur l’inefficacité de sa campagne. Car la progression du trumpisme est avant tout un camouflet pour la stratégie d’opposition des élites démocrates, et de la candidature Biden. En période de forte mobilisation électorale, viser en priorité les diplômés dans un pays où les trois quarts de la population ne vont pas à l’université risquait de produire ce type de résultat. 

Joe Biden, un candidat par défaut, une campagne désastreuse  

L’establishment démocrate ne voulait pas de Joe Biden. Les donateurs l’avaient majoritairement boudé aux profits de candidats plus jeunes et éloquents, tels que Kamala Harris, Pete Buttigieg et Amy Klobuchar. Aucun ténor du parti ne lui avait apporté son soutien. Certains médias et candidats proches de l’establishment l’avaient accusé de sénilité. Après sa défaite dans le New Hampshire, la question de son abandon se posait. Ce n’est qu’une fois Bernie Sanders sur le point de remporter la nomination que l’establishment démocrate s’est rallié derrière le vice-président d’Obama, en partie sur instruction de ce dernier. Sa popularité auprès de l’électorat démocrate, sa victoire en Caroline du Sud en mars et un blitz médiatique en sa faveur auront fait le reste.[7] Mais malgré le soutien rapide de Bernie Sanders et le ralliement sans condition de l’aile progressiste, Joe Biden ne va pas mener une campagne dynamique, préférant saisir l’opportunité offerte par le coronavirus pour annuler tous ses meetings et refuser un nombre important de passages télévisés, jusqu’au mois de septembre. Au point de laisser planer un temps le doute sur son état de santé. Alors que Donald Trump levait une armée de 2,5 millions de militants capables de faire un million de portes à porte par semaine, et qui inscrivaient sur listes électorales des centaines de milliers de nouveaux électeurs, Biden a longtemps refusé de mettre en place un dispositif de terrain. Il faudra les cris d’alarme répétés des organisations militantes proches du Parti démocrate pour que Biden se ressaisisse. [8]

La campagne de Joe Biden estimait « ne pas avoir besoin des Hispaniques pour gagner »

En Géorgie, l’ancienne candidate afro-américaine au poste de gouverneur Stacey Abrams et les organisations pour les droits civiques ont inscrit huit cent mille nouveaux citoyens sur les listes électorales. [9] En Arizona, les organisations antiracistes telles que la LUCHA, ont construit pendant des années une dynamique locale. [10] Le fait que la légalisation de la marijuana était proposée par référendum expliquerait la forte mobilisation des Hispaniques dans cet État, un des rares où Biden améliore le score d’Hillary Clinton. Dans le Minnesota et le Michigan, les deux principales circonscriptions à avoir surperformé sont celles des élues socialistes Rachida Tlaib et Ilhan Omar, qui ont poursuivi le travail de terrain sans le soutien de la campagne Biden. [11] Dans les villes de Détroit (Michigan) et de Philadelphie (Pennsylvanie), le mouvement Black Live Matters a été particulièrement actif. Biden y a obtenu des scores écrasants. Tout cela s’est fait malgré la campagne de Joe Biden, qui estimait ne pas avoir besoin du vote latino pour gagner. [12] Le seul effort concédé envers cette minorité a tourné à l’insulte, lorsque Biden a joué quinze secondes du tube Despacito à l’aide de son téléphone portable pendant un meeting de campagne. De nombreux stratèges démocrates ont tiré des signaux d’alarme dans la presse dès le mois de septembre. Pourtant, le premier réflexe des cadres du parti a été de faire porter le chapeau de cette contre-performance à leur aile progressiste, à Black Lives Matter, et aux activistes. 

Une campagne au centre, qui perd sur tous les fronts

Au lieu de profiter de la pandémie pour porter un programme ambitieux, le vice-président d’Obama s’est contenté de critiquer son adversaire, tout en espérant qu’il s’autodétruise, comme Hillary Clinton quatre ans plus tôt. Les principaux enseignements de 2016 ont été ignorés par le vice-président, qui a répété les erreurs consistant à faire excessivement confiance aux sondages, à mener campagne dans les bastions républicains au lieu de se concentrer sur les États pivot et à prendre les électeurs Afro-américains et Hispaniques pour acquis, au lieu de les courtiser activement. [13] 

Le refus de défendre des positions impactant les conditions d’existence matérielles des Américains pour préférer des propositions  de centre droit censées récupérer des électeurs républicains restera un des faits marquants de cette campagne. Le Lincoln project, un groupe de soutien à Joe Biden lancé par des républicains anti-Trump ayant pignon sur rue dans les médias prodémocrates, a récolté 75 millions de dollars de financement en provenance des électeurs de Biden, qui ont été utilisés pour attaquer le président sortant. Cette stratégie, qui semble avoir produit l’effet inverse en mobilisant l’électorat trumpiste, a été insufflée par l’ancien directeur de cabinet de Barack Obama et maire de Chicago Rahm Emanuel. Les cadres du parti s’y sont tous rangés. Lors de la Convention, regardée par quarante millions d’Américains, les démocrates se sont efforcés de courtiser les électeurs conservateurs, allant jusqu’à mettre en avant le ralliement de l’ancien gouverneur républicain de l’Ohio John Kasich. Biden s’est vanté d’obtenir le soutien d’une flopée d’anciens membres de l’administration Bush et du gouverneur du Michigan responsable de l’empoisonnement au plomb de la ville de Flint.[14] Sans surprise, ce comté a pour la première fois depuis des décennies voté républicain, et massivement pour Donald Trump. Un militant pro-Biden s’en est ému sur Twitter, en écrivant : « Ils ne veulent pas d’eau potable ? ». Question à laquelle l’ancienne responsable presse de Bernie Sanders a répondu “Biden ne leur en a jamais proposé”. 

Mais c’est son obstination, partagée par Kamala Harris, à attaquer les positions populaires défendues par Sanders lors des débats télévisés, qui interroge le plus. Ils ont tous deux déployé des efforts considérables pour convaincre Trump et Mike Pence qu’ils étaient contre l’interdiction de la fracturation hydraulique, le Green New Deal et la nationalisation de l’assurance maladie. Des positions pourtant populaires, y compris auprès de l’électorat conservateur. Un sondage de Fox News réalisé en sortie des urnes sur cent mille électeurs montre qu’une majorité d’électeurs sont favorables au remplacement de l’assurance maladie privée par un système public (71 %), pour la régularisation des sans-papiers (72 %), inquiète par le climat (72 %), pour des investissements massifs dans la transition énergétique (70 %) et contre l’interdiction de l’avortement (75 %). [15] La Cour suprême était un autre enjeu majeur, où l’opinion publique plébiscite à 60 % la position démocrate. Biden et Harris ont pourtant refusé de mener cette bataille, alors que les démocrates du Congrès ont laissé les républicains installer un juge ultra conservateur de force et en temps record. Résultat, les démocrates perdent la Cour suprême et le Sénat. 

Le refus de défendre des choses aussi plébiscitées que la légalisation du cannabis (qui vient d’être autorisé par référendum dans les quatre États majoritairement conservateurs où elle était proposée) ne peut s’expliquer que par cette stratégie tournée vers les électeurs républicains. Or, que ce soit le Lincoln Project ou la campagne de Joe Biden, le résultat est désastreux. Seuls 6 % des électeurs se disant républicain ont voté Biden, contre 9 % en 2016. Certes, comme le reconnaît la revue socialiste Jacobin, le positionnement de Biden a probablement permis de réaliser des gains auprès des électeurs modérés ne se définissant pas ou plus comme républicains. Mais le coût de cette stratégie semble difficile à évaluer. 

La Floride a fortement basculé à droite et le Texas échappe de nouveau aux démocrates. Dans les deux cas, les Hispaniques ont voté en plus grand nombre pour Donald Trump. Or, il est frappant de constater qu’au Texas, les comtés de la vallée du Rio Grande, où Biden fait vingt à trente points de moins que Hillary Clinton, avait voté Bernie Sanders à la primaire. Même phénomène en Floride, où les Cubains de Miami avaient favorisé le socialiste. Certes, il ne faut pas confondre ces deux élections, mais la Floride a par ailleurs voté majoritairement pour la hausse du salaire minimum à 15 dollars de l’heure, une proposition combattue fermement par Donald Trump. Ces électorats sont conservateurs sur les valeurs, du fait de leur attachement à la religion et leur ressentiment envers les immigrés illégaux, mais sont connus pour être à gauche sur les questions économiques. Or, à l’échelle du pays, les médias et candidats démocrates ont peu ou prou fait l’inverse, en défendant des idées progressistes en termes de valeur et de sociétal, et modérée sur le plan économique.  

À sa décharge, Joe Biden a musclé son discours en faveur des classes populaires, comparé à Hillary Clinton, tout en se distançant de Black Lives Matter. En particulier, il a adopté la proposition d’augmentation du salaire minimum fédéral à 15 dollars de l’heure portée par Bernie Sanders, et défendu la mise en place d’une assurance maladie publique à laquelle tous les Américains auront l’option de souscrire. Ses spots télévisés ont mis davantage l’accent sur ces questions, comparé à Clinton en 2016. Pourtant, Biden lui-même a fait très peu campagne sur ces thèmes, en ne les mentionnant que dans certains discours et débats, et jamais de son propre chef ou plus d’une fois. À la place, Biden a matraqué l’idée que l’âme de l’Amérique était l’enjeu central de l’élection, et s’est focalisée sur la défense de l’Obamacare, une réforme de plus en plus impopulaire.[16] Comme l’écrivait Mediapart, le trumpisme ne se dissout pas dans l’eau tiède. 

Biden, un tremplin pour Trump 2024 ?

Joe Biden va hériter d’une situation sanitaire hors de contrôle et d’une économie fragilisée. Sans majorité claire au Congrès, il ne sera pas en mesure de gouverner de manière ambitieuse ni de réformer des institutions particulièrement antidémocratiques et biaisées en faveur des forces réactionnaires. En particulier, l’appareil judiciaire et la Cour suprême vont agir comme des verrous pour cadenasser toute ambition progressiste, tout en risquant de poursuivre par la voie des tribunaux la contre-révolution conservatrice dont Donald Trump constituait le cheval de Troie. Tout cela risque de paver la voie à un retour de Trump en 2024, ou un équivalent peut être moins narcissique, mais plus compétent et extrémiste. D’autant plus que le Parti démocrate a commencé à se fracturer dès l’annonce des résultats, alors que les républicains devraient être unifiés par une défaite que Trump refuse de reconnaitre en dépit des faits. Le président sortant à indiqué qu’il va repartir en campagne dès cette semaine, ce qui risque de prolonger son entreprise de solidification des forces réactionnaires. 

Biden pourrait faire mentir les pessimistes en utilisant avec la même vigueur que Donald Trump les pouvoirs de l’exécutif. Mais en est-il capable ? L’attribution des postes de son administration devrait nous livrer les premiers éléments de réponse. 

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Sources et Références :

  1. https://abcnews.go.com/Elections/2020-us-presidential-election-results-live-map
  2. https://www.politico.com/news/2020/11/04/statehouse-elections-2020-434108
  3. https://www.nytimes.com/2020/09/09/us/politics/woodward-trump-book-virus.html
  4. https://www.nytimes.com/2020/10/31/us/donald-trump-taxes-guide.html
  5. https://www.dailyposter.com/p/six-takeaways-from-election-night?utm_campaign=post&utm_medium=web&utm_source=twitter
  6. https://lvsl.fr/covid-19-les-usa-flambent-wall-street-exulte/
  7. Lire https://lvsl.fr/pourquoi-bernie-sanders-a-perdu-son-pari/
  8. https://www.politico.com/news/2020/10/01/biden-flip-flops-on-door-knocking-with-33-days-left-424642
  9. https://www.politico.com/news/2020/11/08/stacey-abrams-believers-georgia-blue-434985
  10. https://theintercept.com/2020/11/04/arizona-democratic-latino-election/
  11. https://theintercept.com/2020/11/06/election-biden-democrats-progressives/
  12. https://www.politico.com/news/2020/05/14/joe-biden-latino-outreach-255282
  13. https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/nov/05/trump-should-have-lost-in-a-landslide-the-fact-that-he-didnt-speaks-volumes
  14. https://www.newsbreak.com/news/2055693122486/michael-moore-accuses-joe-biden-of-going-after-white-racist-redneck-votes-in-michigan-after-embracing-ex-gop-gov-endorsement
  15. https://www.foxnews.com/elections/2020/general-results/voter-analysis
  16. https://jacobinmag.com/2020/11/takeaways-election-night-trump-biden-democrats