Les contradictions de la gauche bolivienne, au-delà de l’affrontement Morales-Arce

El Alto, quartier de La Paz, capitale bolivienne © Vincent Arpoulet pour LVSL

Les Boliviens auront rejeté les candidats de gauche (qui cumulent 11 % des suffrages) aux élections présidentielles du 17 août 2025. Rupture majeure dans un pays qui avait élu sans discontinuer le Mouvement vers le socialisme (MAS) depuis 2005 : deux candidats de droite atteignent le second tour. Critique du « socialisme » mais prétendant rejeter une vague de privatisations, le candidat Rodrigo Paz termine à la surprise générale en tête de ce premier tour. Face à lui, l’ancien président Jorge « Tuto » Quiroga Ramírez (2001-2002), qui a mené à terme un processus de vente des dernières entreprises publiques, entamé deux décennies plus tôt. Le scrutin aura été marqué par les affrontements internes à la gauche, entre Evo Morales (président de 2006 à 2019), Luis Arce (à la tête du pays depuis 2020) et le leadership émergeant d’Andrónico Rodriguez (président du Sénat). Ces luttes factionnelles, fortement médiatisées, reflètent l’épuisement et les contradictions d’un processus de développement entamé en 2006.

Dimanche 17 octobre au soir, l’euphorie parcourt les rues de Santa Cruz de la Sierra, bastion électoral de la droite depuis des décennies. Autour de la place dite du Christ Rédempteur, on agite des drapeaux boliviens, on chante son amour pour la patrie, avant de se mettre à effectuer des pas de danse endiablés. Après vingt ans de gouvernements de gauche, celle-ci sort largement défaite, dès le premier tour du scrutin présidentiel qui se tenait le jour même. Toute la ville célèbre d’une seule voix ce que certains, peu enclins à la nuance, qualifient de « dictature socialiste ».

À La Paz et même à El Alto – jusqu’ici largement acquise au MAS –, on célèbre l’accession au second tour de Rodrigo Paz et Jorge « Tuto » Quiroga, candidats de centre-droit et de droite, qui ont recueilli la majorité des suffrages de ces villes. Personne ne semble pleurer la gauche, comme si sa défaite n’était que l’aboutissement d’un processus de déliquescence entamé il y a plusieurs années déjà.

Des électeurs de droite célèbrent la défaite de la gauche bolivienne dès le premier tour des élections présidentielles, le 17 août à Santa Cruz de la sierra, © Tristan Waag pour LVSL

La presse occidentale a mis en avant les affrontements fratricides entre Evo Morales, Luis Arce et Andrónico Rodriguez. Le premier a appelé au vote « nul », qui cumule un score record de 19 %. Le second a soutenu le candidat Eduardo del Castillo, qui n’a recueilli que 3,5 % des suffrages. Le troisième, au départ critique virulent d’Arce et proche de Morales, s’est distancié de celui-ci et n’a recueilli que 8 % des suffrages.

Le coefficient de Gini, qui mesures les inégalités de revenus, a chuté de 58,5 en 2005 à 41,6 sous les mandats d’Evo Morales – un record absolu dans la région

Cette division reflète les défis du gouvernement d’Arce, à la tête de la Bolivie depuis 2020. Confronté à une chute du prix des matières premières, une pénurie de devises et une forte inflation, il a dû porter le poids des contradictions du modèle de développement engagé par le MAS quinze ans plus tôt.

L’inflation et la dégradation des termes de l’échange

Le principal argument brandi par la droite en vue de justifier la nécessité d’un changement porte sur l’inflation qui a cru de près de douze points depuis le début de l’année, soit un niveau jamais atteint depuis l’arrivée au pouvoir du MAS. Aux yeux de ses traditionnels opposants, c’est la preuve incontestable d’une piètre gestion économique de la part du président sortant Luis Arce qui aurait notamment « dépensé plus que ce que nous possédons ». Cependant, ce dernier subit également les foudres de son prédécesseur Evo Morales qui estime que son ancien ministre de l’économie aurait « trahi [le] modèle économique » du MAS.

Il semble pourtant que cette hausse inédite de l’inflation découle moins d’une émission monétaire incontrôlée ou d’un revirement économique à 180 degrés que du traditionnel phénomène de dégradation des termes de l’échange. Celui-ci est généré par la spécialisation dans l’exportation de matières premières brutes telles que le gaz naturel ou les ressources minières, les deux principaux produits commercialisés par l’État bolivien sur la scène internationale.

Une telle spécialisation est à double tranchant. Lorsque les prix internationaux sont élevés ou que les exportations surpassent les importations, la quantité de dollars qui entre dans le pays en échange de l’exportation de ces ressources est suffisante pour importer tout ce qu’il ne produit pas. La hausse du cours du gaz naturel et des ressources minières ayant été quasi continue entre 2006 et 2015, elle est par ailleurs venue appuyer l’adoption de mesures destinées à encadrer l’inflation, au premier rang desquelles l’établissement d’un taux de change fixe de 6,96 bolivianos pour 1 dollar.

Dans un contexte d’augmentation de la fiscalité des entreprises privées et de réaffirmation de la prédominance étatique dans la gestion de secteurs stratégiques, la majorité des bénéfices générés par cette hausse des prix ont été redirigés vers l’État, permettant une consolidation des réserves de change de la Banque centrale bolivienne – qui a créé les conditions de ce que la presse internationale qualifiait quasi unanimement jusqu’à peu de « miracle économique bolivien ». Cette mesure a permis de redynamiser une économie alors endettée en stimulant la consommation, favorisée par la stabilisation des prix des produits importés, indépendamment de la variation des cours des matières premières.

Lorsque le prix des matières premières diminue, en revanche, c’est l’inflation qui point. Dès lors que les exportations diminuent en valeur, les réserves de dollars se raréfient. À consommation constante de biens importés, la demande de dollars augmente, et il faut davantage de bolivianos pour obtenir un dollar. Ainsi, c’est sur le prix des importations que se répercute la chute du cours des matières premières – favorisant une inflation généralisée à l’ensemble du marché des biens de consommation. Un phénomène bien identifié par les économistes, qualifié de « dégradation des termes de l’échange ».

Dans un contexte de taux de change fixe, ce phénomène a dans un premier temps été limité : la chute des prix des matières premières en 2015 ne s’est pas traduite pas par une appréciation du dollar par rapport au boliviano. Cette résilience notable – en comparaison des autres pays sud-américains – finit cependant par se confronter à une autre spécificité de la structure productive bolivienne sous le MAS : l’absence d’exploration gazière.

Étatisation sans diversification

Dans un contexte de hausse des cours internationaux, l’étatisation de l’extraction a été privilégiée à l’exploration de nouveaux gisements. La priorité affichée du gouvernement était de réinvestir ces excédents gaziers dans la réduction des inégalités, plutôt que dans de nouveaux projets extractifs. Force est de constater que cet objectif a été atteint.

L’indice de Gini a chuté de 58,5 en 2005 à 41,6 en 2019, l’année où Evo Morales quitte le pouvoir – un record absolu dans la région [le coefficient de Gini est une mesure traditionnellement utilisée pour évaluer les inégalités de revenus dans un pays entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres ; un score de 1 correspond à une situation hypothétique d’inégalité absolue, tandis qu’un score de 0 correspond à un état théorique d’égalité parfaite NDLR]. Les réserves disponibles de gaz naturel se réduisant progressivement, l’entrée de devises internationales est devenue insuffisante pour soutenir le taux de change fixe et répondre conjointement à la demande interne. L’administration d’Arce a jusqu’ici choisi de perpétuer coûte que coûte la fixité du taux de change. Face à la baisse des importations, la population s’est alors ruée sur le marché parallèles des changes pour se procurer des dollars, dont le prix est jusqu’à deux fois plus élevé en bolivianos. Mécaniquement, l’ensemble des prix en dollars a augmenté.

La Fédération nationale des coopératives minières (Fencomin) a apporté son soutien à Rodríguez, et exprimé son souhait d’une politique d’austérité radicale

Limite notable de l’expérience bolivienne : l’étatisation de l’économie ne s’est pas accompagnée d’une diversification de la structure productive. Selon les derniers chiffres actualisés de la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal), la quasi-totalité des produits exportés restent en effet des matières premières non transformées.

Cet obstacle préexiste largement au MAS, et découle partiellement de la situation d’endettement extérieur du pays, léguée par les gouvernements néolibéraux des années 1980 et 1990. Ceux-ci ont privilégié cette solution pour renflouer leurs réserves de dollars et réduire ainsi l’inflation provoquée par la dégradation des termes de l’échange. Problème : sur le long terme, cet endettement ne conduit qu’à consolider cette dégradation, puisque la pression des marchés financiers génère une réorientation structurelle des recettes fiscales vers le remboursement des prêts – au détriment de leur investissement dans la diversification de la structure productive.

C’est la raison pour laquelle Evo Morales a tenté, lors de son arrivée au pouvoir, de renégocier la majorité de ces prêts. Certains créanciers tels que le Japon – auprès de qui la Bolivie avait contracté une dette de 443 millions de dollars – ont alors accepté d’annuler tout bonnement la dette. Une telle concession n’est pas sans contrepartie : le consortium japonais Sumitomo Corporation a pu acquérir l’intégralité des parts de San Cristobal, plus grande mine à ciel ouvert du pays. Et ce, suivant les conditions en vigueur avant l’étatisation du secteur minier, ce qui a privé la puissance publique d’une part non négligeable des bénéfices générés par cette société qui extrait non moins de 85% du zinc bolivien…

Si l’administration d’Arce a tenté de reprendre en main cette filière via la construction d’une fonderie de zinc, la concrétisation de ce projet fut conditionnée par la validation parlementaire d’un prêt octroyé par la Chine – retour aux instruments néolibéraux des années 1990 ? C’est dans un tel contexte que les partisans d’Evo Morales et d’Andrónico Rodríguez ont quitté la majorité « arciste », rejetant ce nouvel endettement extérieur. Ils renouaient là avec une ligne directrice du MAS « première génération ».

Cette fonderie est restée à l’état de projet. Aussi, le deuxième produit d’exportation du pays reste intégralement commercialisé sous forme brute, sans avoir été transformé au préalable. C’est ainsi que les stratégies visant à réduire la dégradation des termes de l’échange contribuent paradoxalement à l’accentuer.

« Coopératives » néolibérales ?

Des tensions aussi importantes apparaissent relatives quant aux instrument brandis par le MAS pour rompre avec le modèle extractif prédominant sous le néolibéralisme. L’administration d’Evo Morales s’est en effet attachée à promouvoir un acteur minier alternatif aux compagnies privées : les coopératives. Celles-ci a émergé au cours des années 1990 en réaction à la privatisation du secteur minier, sous l’impulsion de salariés licenciés, désireux de perpétuer leur activité de manière artisanale. Au départ, elles semblent entrer en adéquation avec le projet de réappropriation populaire des mines porté par le MAS. C’est la raison pour laquelle ce dernier leur a octroyé un régime juridique et fiscal plus avantageux que celui qui a prévalu pour les entreprises publiques et privées. Si ces dernières sont soumises à trois types d’impôts, les coopératives ne doivent quant à elles s’acquitter que d’une redevance minière dont le taux ne s’élève par exemple qu’à 2,5% de la valeur produite en ce qui concerne l’extraction de l’or – secteur dans lequel elles sont quasiment monopolistiques -, soit bien en-deçà du taux moyen s’appliquant aux autres minerais.

Par ailleurs, la Cepal indique notamment que : « le recrutement des travailleurs par les socios et la coopérative n’est pas formellement régulé », ce qui revient finalement à inscrire dans la loi l’autonomie juridique revendiquée par ces coopératives depuis leur création1. Si cette autonomie s’explique par le caractère « social » revendiqué par ces coopératives qui affichent un visage « communautaire » ou « familial », elle permettre paradoxalement à certaines d’entre elles de perpétuer les logiques avec lequel le MAS avait juré de rompre.

Ramiro Balmaceda, président de la Fédération régionale des coopératives minières aurifères du nord de La Paz (Fecoman), reconnaît notamment officiellement que certaines coopératives ont conclu des contrats illégaux leur permettant d’obtenir entre 25 et 40% des bénéfices générés par des activités extractives au sein desquelles elles n’investissent pas. Ces investissements sont réalisés par des entreprises chinoises qui s’assurent par là même le pourcentage restant des profits sans avoir à payer les impôts auxquels sont soumises les entreprises privées. C’est ainsi que la grande majorité des revenus issus de l’activité aurifère ont échappé à l’État bolivien, qui n’a pu s’appuyer sur le nouveau « boom » du prix de l’or en vue de pallier l’épuisement de ses réserves gazières.

Combinaison de contraintes structurelles et de limites conjoncturelles, une crise n’a pas tardé à survenir entre une « première » et une « seconde vague » progressite, analysée dans nos colonnes par l’ex vice-président bolivien Alvaro Garcia Linera. Si cette crise se cristallise autour d’un conflit personnel opposant l’ancien et le nouveau président, elle met en lumière une contradiction plus profonde, inhérente à la politique économique du MAS. La défense d’un État fort et centralisé comme instrument de rupture avec la prédominance du secteur privé dans la gestion de l’économie bolivienne semble en effet difficilement compatible avec la promotion de coopératives en tant « qu’institutions sociales et économiques autogestionnaires », selon le terme ministériel en vigueur2.

Des membres du syndicat des travailleurs des mines publiques (FSTMB) et de la fédération nationale des coopératives minières (Fencomin) réunis au sein de la même coopérative de Capasirca © Vincent Arpoulet

Là où Arce incarne la génération de fonctionnaires ayant émergé dans le cadre de la reconstruction de l’Etat bolivien, Evo Morales s’est converti en porte-voix de cette autonomie territoriale et communautaire. Une autonomie aux contours flous, comme en témoigne la teneur des critiques émises par Andrónico Rodríguez à l’encontre du modèle étatique. Prétendant représenter une « troisième voie », il a rejeté un État « paternaliste reléguant la propriété privée, communautaire et coopérativiste ». Cette association entre propriété privée et communautaire entre en adéquation avec les revendications de la Fédération nationale des coopératives minières (Fencomin). Après avoir apporté son soutien à Rodríguez, elle a exprimé son souhait d’une politique d’austérité radicale, mettant ainsi en lumière la compatibilité paradoxale avec l’idéologie néolibérale de ces piliers du processus de réorientation économique impulsé par le MAS. Evo Morales est quant à lui demeuré d’une ambiguïté de sphinx. S’érigeant en défenseur de l’État face aux velléités libérales d’une partie de la gauche, il a mobilisé une rhétorique communautaire proche des coopérativistes…

Face aux affrontements bruyants de la gauche, une partie de son électorat a-t-elle préféré une droite jugée plus attentive aux problèmes des pauvres, sans verser dans une rhétorique ultra-libérale ?

La percée inattendue de Rodrigo Paz – partisan affiché d’une restructuration de l’administration et des entreprises publiques – dans un certain nombre d’anciens bastions du MAS, où il a été privilégié à Del Castillo et Rodríguez, semble venir acter cette rupture entre tenants de la souveraineté étatique et de l’autonomie territoriale.

Routinisation contrariée du leadership bolivien

Ces contradictions se sont répercutées au sein de la gauche bolivienne, clivée entre arcistas, evistas, et plus récemment partisans d’Andrónico Rodriguez. La scission n’a pas seulement fracturé l’assemblée plurinationale de Bolivie : elle a touché les organisations sociales et syndicales paysannes et ouvrières.

Alors que les élections d’août 2025 se rapprochaient, Evo Morales s’est vu rendu inéligible par une disposition du Tribunal constitutionnel bolivien. La sentence, qui révoque une décision contraire du Tribunal prise antérieurement, invoque l’impossibilité constitutionnelle pour tout président déjà élu deux fois de se représenter une troisième fois. Refusant la sentence, Evo Morales a dénoncé une mainmise du pouvoir exécutif sur les juges et organisé de nombreux blocages routiers dans la région du Chapare, son bastion politique et électoral. À plusieurs, reprises ces blocages ont donné lieu à des affrontements violents avec les forces de police et à des arrestations de leaders syndicaux. En juin 2025, des affrontements à Llallagua, ville minière du département de Potosi entre soutiens d’Evo Morales et forces de police font 5 morts.

Un soutien d’Evo Morales brandit un portrait officiel de l’ancien président au congrès du MAS organisé par Evo Morales à Yapacani, dans le département de Santa Cruz de la sierra, le 30 mars 2024, © Tristan Waag

Ces divisions correspondent-elles à des divergences idéologiques marquées ? Il serait difficile de le défendre. Elles reflètent surtout la permanence d’un phénomène structurant dans les champs politiques latino-américains : le « caudillisme » [en Amérique latine, le caudillo est un leader politique ou militaire de type charismatique exerçant un pouvoir personnel fort, en harmonie, tension ou contradiction avec les institutions démocratiques selon les configurations NDLR3].

En Bolivie, cette dimension « caudilliste » des affrontements politiques s’est traduite par la confrontation de leaders politiques désireux de s’approprier l’État afin de pouvoir redistribuer les ressources fiscales à leur cercle de militants. C’est ainsi qu’il faut entendre la marginalisation progressive d’Evo Morales opérée par Luis Arce dès son accession au pouvoir. Les cultivateurs de feuille de coca de la région du Chapare, soutiens d’Evo Morales, de même qu’un certain nombre d’organisations paysannes, en ont fait les frais : la manne d’emplois dans la fonction publique, dont ils bénéficiaient jusqu’alors, s’est tarie.

Ces divisions reflètent par ailleurs la difficulté de faire transiter un leadership charismatique, hégémonique en Bolivie durant quinze ans, vers un leadership plus routinier, incarné par Luis Arce. L’échec de la gauche bolivienne à entamer ce processus de routinisation vient de la difficulté de celle-ci à penser son devenir en-dehors de la figure hors norme d’Evo Morales. La gauche bolivienne – du moins du point de vue des evistas –lui doit une ascension fulgurante, de moins de 10 % en 1997 à 53,7% en 2005. Cette routinisation contrariée apparaît comme le dénominateur commun de nombre de gouvernements progressistes latino-américains du début des années 2000, structurés autour de leaderships charismatiques exceptionnels – notamment, outre Evo Morales, Hugo Chavez au Venezuela et Rafael Correa en Équateur.

Inévitablement, ces divisions ont abouti à la dispersion du vote de gauche au moment du premier tour des élections présidentielles du 17 août 2025. Une part de l’électorat historique de la gauche (19%) décide ainsi de voter nul conformément aux consignes d’Evo Morales. Une autre partie (8%) décide d’opter pour Andrónico Rodriguez, président du Sénat en exercice et ancien dauphin d’Evo Morales – qualifié de « traître » par celui-ci pour avoir progressivement pris ses distances avec lui. Une partie infime, enfin, a décidé de voter pour Eduardo Del Castillo, soutenu par le président en exercice.

Face aux affrontements bruyants de la gauche, une partie de son électorat a-t-elle préféré une droite jugée plus attentive aux problèmes des pauvres, sans verser dans une rhétorique ultra-libérale ? C’est ainsi que l’on peut lire le succès de la campagne de Rodrigo Paz, candidat de centre-droit ayant refusé de s’engager dans une nouvelle vague massive de privatisations, au sein d’anciens bastions électoraux du MAS tels que les départements de La Paz (46,95%), Oruro (48,21%) ou Potosi (43,13%).

Limites du « gouvernement des mouvements sociaux »

Autre contradiction à laquelle s’est heurtée le MAS : l’articulation entre État et organisations populaires. Promues comme le coeur battant du projet socialiste par Evo Morales, celles-ci ont encouru un lent processus de clientélisation, étant intégrées aux structures dirigeantes jusqu’à devenir de véritables organes gouvernementaux – bénéficiant de ressources publiques en échange d’un soutien électoral. Ce processus a entraîné une perte d’autonomie de ces organisations et une distanciation avec leurs bases sociales. C’est sous le mandat de Luis Arce qu’il a atteint son paroxysme, avec une gestion dont le caractère vertical et technocratique s’accroissait à mesure que le mécontentement populaire grandissait.

En Bolivie, l’accès des organisations sociales et syndicales au cœur de l’État est aujourd’hui conditionné par un certain nombre d’obligations plus ou moins implicites : faire montre d’un soutien au gouvernement, être prêt à défiler en sa faveur, ne pas le critiquer publiquement. En pervertissant le projet de démocratie sociale et participative à des fins clientélistes, la gauche bolivienne aura-t-elle contribué à creuser son propre tombeau ?

Notes :

1 Rodríguez López y al., ‘‘Efectos de la minería en el desarrollo económico, social y ambiental del Estado Plurinacional de Bolivia”, Documentos de Proyectos, (LC/TS.2020/42), Santiago, Comisión Económica para América Latina y el Caribe (CEPAL), 2020.

2 Ministerio de Minería y Metalurgia, Ley n°535 de Minería y Metalurgia, La Paz, 28 de Mayo de 2014.

3 Alcides Arguedas, Historia de Bolivia: Vol.2. Los caudillos letrados…, Barcelona: imprenta Arnau, 1923.