La récente ratification par les représentants du SPD de l’accord conclu avec la CDU et la CSU visant à former un gouvernement provoque des remous importants au sein du parti social-démocrate. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’autres partis classés au centre-gauche en Europe.
Après une période post-électorale riche en rebondissements succédant à des élections fédérales tout aussi marquantes de par leurs résultats, l’Allemagne semble avoir enfin retrouvé la stabilité politique à laquelle elle avait été jusque-là habituée. Après l’échec des négociations en vue d’une coalition jamaïcaine, qui aurait donc rassemblé la CDU d’Angela Merkel, les Verts et les Libéraux du FDP (soit les trois couleurs du drapeau jamaïcain : noir, vert et jaune), les conservateurs et le SPD ont finalement convenu d’un programme commun le 12 janvier pour gouverner de nouveau ensemble pendant les quatre années à venir. Ce programme ayant été approuvé par la convention nationale du parti social-démocrate, on devrait voir se constituer un gouvernement opérationnel en Allemagne dans les semaines à venir. L’aversion à l’incertitude qu’on attribue souvent au Allemands aurait par conséquent primé sur le refus catégorique du SPD de reconduire la « grande coalition » (« GroKo » en Allemand), exprimé plusieurs fois par son leader Martin Schulz après les élections de septembre.
En effet, c’est désormais une chose entendue en Allemagne : la débâcle du SPD, qui perd 40 sièges au Bundestag, est la conséquence logique de sa participation au gouvernement de Merkel et de son incapacité à incarner une alternative crédible pendant la campagne. Il faut saluer l’inspiration des commentateurs français qui parviennent à résumer en une formule le débat télévisé censé opposer Angela Merkel et Martin Schulz le 3 Septembre : ce n’est pas un duel, c’est un duo. Si le résultat du parti social-démocrate ne diffère que de cinq points avec celui qu’il avait obtenu lors des précédentes élections fédérales (20,5 % en 2017 contre 25,7% en 2013), il a tout de même de quoi susciter une certaine nostalgie – chez les sociaux-démocrates allemands – de l’époque pas si lointaine où le parti emmené par Gerhard Schröder rassemblait plus de 30 % des suffrages. Ce résultat décevant vient en outre se rajouter aux trois défaites subies récemment par le SPD lors des élections régionales dans trois Länder, dont la Rhénanie et la Westphalie du Nord qui comptaient pourtant parmi ses bastions électoraux les plus solides.
Le curieux choix stratégique du SPD
La coalition Jamaïque aurait pu se former. Martin Schulz aurait pu faire le choix rationnel de refuser une nouvelle coalition avec la CDU afin de redonner au SPD son « capital opposition » qu’il avait perdu. C’était sans compter le choix du FDP – par le biais de son jeune chef Christian Lindner – de quitter la table des négociations le 19 Novembre. Plusieurs options se présentent alors : parmi les moins engageantes, on trouve l’organisation de nouvelles élections en Mars ou encore la nomination d’un gouvernement minoritaire. En somme, rien qui ne garantisse la reprise des affaires politiques dans leur configuration habituelle.
Poussés par la nécessité, le SPD, la CDU et la CSU acceptent finalement d’engager une discussion en vue d’une nouvelle grande coalition. Il faut également souligner le rôle du président fédéral Frank-Walter Steinmeier qui enjoint les trois partis à trouver rapidement une sortie de crise. L’accord résultant de ces négociations a finalement été ratifié par une faible majorité de 56,4 % au SPD. Plusieurs sections du parti se sont prononcées en défaveur d’une nouvelle grande coalition pour des raisons évidentes. C’est le cas de la section berlinoise ou encore celle de la Sachsen-Anhalt. Parmi les opposants les plus farouches à la GroKo, on compte également le chef de l’organisation de jeunesse du parti, Kevin Kühnert.
Les partisans de la grande coalition ont, quant à eux, mis en avant la nécessité historique de construire des coalitions pour peser sur la politique gouvernementale, un discours qui omet évidemment les concessions déjà réalisées par le parti, sur des thèmes comme la lutte contre le changement climatique et l’accueil des réfugiés. Une question se pose finalement au sein du SPD : qu’est-ce qui porterait le plus préjudice au parti auprès de ses électeurs ? Refaire une cure d’opposition tout en endossant la responsabilité d’avoir prolongé la période d’instabilité politique, ou bien se plier de nouveau à quatre années de compromis avec la CDU-CSU ? Au cours de cette séquence politique, les dirigeants du parti se sont systématiquement prononcés en faveur de la deuxième option, avec les risques que cela représente.
L’avenir incertain de la gauche allemande
Il n’est pas dit qu’on assistera, dans les prochaines années, à la disparition du plus vieux parti d’Allemagne. Ce qui semble en revanche s’annoncer, c’est une phase décisive pour l’avenir du SPD. Et s’il est difficile de prévoir quelles en seront les conséquences sur la structuration du champ politique allemand, les trajectoires diverses des autres partis sociaux-démocrates en Europe constituent un terreau fertile en hypothèses. Nombreux sont ceux qui se voient progressivement supplantés par de nouvelles formations politiques plus radicales, le PASOK grec ayant défriché le chemin pour le PS français. Cependant, rien dans les dernières années n’indique l’émergence d’un mouvement capable de remplacer le SPD, le parti Die Linke se maintenant toujours en dessous de la barre des 10% lors des élections fédérales.
Le parti social-démocrate se trouve désormais enchaîné à la CDU-CSU. Difficile dans ces conditions d’envisager la possibilité d’un tournant à gauche à la manière du Labour britannique pour les quatre années à venir, à moins d’une rupture nette entre la base du parti et ses dirigeants. Une partie de ses membres pourrait éventuellement faire scission, comme l’avait fait Oskar Lafontaine pour protester contre les politiques néolibérales de Gerhard Schröder avant de cofonder Die Linke.
La coalition formée avec succès en 2015 par le Parti socialiste portugais avec des formations plus radicales nous laissent enfin penser qu’un tel schéma pourrait se reproduire en Allemagne. Des coalitions « rouge-rouge-verte » rassemblant le SPD, Die Linke et les écologistes existent en effet au niveau régional, à Berlin par exemple. Ces trois partis font malheureusement face à des défis qu’on pourrait facilement croire insurmontables : devenir hégémonique dans une Allemagne dérivant actuellement vers les sirènes de l’AfD et avant cela, surmonter leurs différends idéologiques. Si ces différentes hypothèses, supposant toutes peu ou prou un ressaisissement de la gauche, se révèlent fausses dans le cas de l’Allemagne, un dernier scénario est alors à envisager : celui du déclin de la gauche allemande dans son ensemble.
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