Allemagne : Qui a peur de l’AfD ?

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En cette période assez particulière marquée par des bouleversements politiques majeurs tels que la victoire du Brexit au Royaume-Uni, l’élection de Trump aux USA ou encore l’expulsion, puis la réintégration (ouf !) de Pierre Larrouturou de Nouvelle Donne, nos voisins d’outre-Rhin semblent faire figure d’exception. Et pourtant, l’AfD émerge.

La vertueuse stabilité à l’allemande semble avoir pris corps en la personne de Angela Merkel, désormais considérée par certains comme le dernier rempart de la démocratie libérale, qui brigue un quatrième mandat de chancelière. Si son parti, la CDU (Union chrétienne-démocrate), remporte de nouveau les élections fédérales qui auront lieu en Septembre 2017, Merkel aura exercé cette fonction durant 16 ans ! Mitterand peut aller se rhabiller. On peut supposer que la CDU n’aura pas trop de mal à conserver son leadership l’an prochain. Son principal concurrent, le SPD (parti social-démocrate), peut difficilement se présenter comme une alternative à Merkel étant donné que le parti a choisi en 2013 de gouverner en coalition avec elle. Les Grünen (parti écologiste) et Die Linke (“la gauche”) ont certes réussi à s’installer sur la scène politique du pays, mais peinent à dépasser la barre des 10% lors des élections fédérales. On évoque parfois la possibilité d’une coalition “rouge-rouge-verte” rassemblant les Grünen, Die Linke et le SPD, mais cette issue reste très incertaine. Tout semblait donc au beau fixe pour les conservateurs, jusqu’à ce que l’AfD vienne chambouler cet équilibre…

Un nouveau parti à droite

On pourrait croire en lisant la dernière phrase que l’Agence Française de Développement a décidé d’ouvrir une succursale en Allemagne. Il n’en est rien. L’AfD dont nous parlons ici est Alternative für Deutschland (“Alternative pour l’Allemagne”), un parti créé il y a trois ans, qui, depuis, semble avoir conquis une fraction de l’électorat allemand. Revenons donc sur l’histoire de cette “alternative”. En février 2013, d’anciens membres de la CDU décident de fonder un nouveau parti, avec comme ligne directrice la sortie de la zone Euro. L’idée est simple : l’Euro ne fait qu’accentuer les inégalités entre les pays européens et l’Allemagne se retrouve à payer pour ces feignasses d’Europe du Sud. Parmi les fondateurs, on trouve Bernd Lucke, professeur de macroéconomie, ou encore le juriste Alexander Gauland. Ils seront rejoints par d’autres personnalités telles que Hans-Olaf Henkel, le Pierre Gattaz allemand. Pas très subversif pour un parti qui se présente comme une alternative. Il est vrai que l’AfD avait à ses débuts à peu près la même ligne économique que la CDU ou le FDP (parti libéral dont le nom abrégé fait beaucoup marrer les français en général). Mais le parti se distingue sur un point : les fondateurs de l’AfD ont l’idée géniale de se proclamer “ni de gauche, ni de droite”. Preuve que nos politiciens français (Le Pen, Macron…) n’ont pas le monopole de l’enfumage, Alternative für Deutschland fait office de précurseur en la matière. Et c’est comme ça que Lucke et sa bande font progressivement entrer le loup dans la bergerie.

Entre temps le parti participe aux élections fédérales en Septembre 2013, mais ne parvient pas à dépasser les 5% nécessaires pour pouvoir former un groupe parlementaire au Bundestag. Si le parti obtient à peu près le même score dans la majorité des Länder, on distingue tout de même une légère préférence pour le parti en ex-Allemagne de l’Est, en particulier en Saxe où l’AfD rassemble 6,8% des votes. Mais comment se fait-il que l’on classe désormais l’AfD dans la même catégorie que le Front National quand celle-ci ne devait être qu’un parti libéral vaguement eurosceptique ? En choisissant d’étiqueter son parti “anti-establishment”, Bernd Lucke a pris le risque de laisser entrer des personnalités pas très fan du Multikulti à l’allemande, qui considère que quand même, c’était vachement mieux quand il y avait pas tous ces kébabs dans les rues. Et ce sont ces personnes qui vont progressivement prendre contrôle du parti. Lucke quitte finalement le parti en Juillet 2015, suivi par d’autres personnalités, après sa défaite face à Frauke Petry qui devient leader de l’AfD, signant ainsi la victoire de la ligne conservatrice.

Les ambiguïtés du vote AfD

Comment expliquer désormais le succès relatif de Alternative für Deutschland ? Il faut tout d’abord aborder le cas de PEGIDA. Les “patriotes européens contre l’islamisation de l’occident” (avouez que ça claque comme nom) portent un mouvement fondé en 2014 à Dresde, où plusieurs manifestations furent organisées avec pour mot d’ordre la lutte contre l’immigration et l’Islam.

PEGIDA ayant fait des émules dans d’autres villes allemandes, on peut donc considérer que l’adhésion de certains citoyens allemand au discours de l’AfD s’inscrit dans cette mouvance anti-immigration. Ce sentiment de rejet des migrants a été renforcé dans une certaine mesure par la politique d’Angela Merkel, qui, en alliant accueil des réfugiés et politique budgétaire restrictive, a donné du grain à moudre aux discours xénophobes de l’AfD et de PEGIDA. Le parti a en effet continué son ascension au cours de l’année 2016., en se hissant par exemple à la deuxième place lors des élections régionales en Sachsen-Anhalt avec 24,3% et dans le Mecklenburg-Vorpommern avec 20,6%. On remarque que les Länder où le parti fait ses meilleurs score sont curieusement ceux ayant accueilli le moins de migrants. En revanche ce sont ceux où la population souffre le plus du chômage et de la pauvreté. La réalité de l’Allemagne, c’est que 25 ans après la réunification, les inégalités persistent entre l’Est et l’Ouest. Si nos médias ont souvent tendance à faire de l’Allemagne un Eldorado économique, ils oublient souvent ces régions où la désindustrialisation et l’exode des jeunes ont plombé l’économie et où les gouvernements, trop attachés au schwarze Null (0% de déficit public), ont été incapables de lutter contre la dégradation des conditions de vie. Cependant l’AfD a également réalisé un tour de force en s’imposant dans des Länder plus riches comme le Baden-Württemberg avec 15,1% des votes. Il devient alors difficile de déterminer si le parti se nourrit du rejet de l’immigration ou des partis traditionnels et de leurs politiques, probablement un peu des deux.

Ce qui est clair, c’est que Alternative für Deutschland est en passe de s’installer durablement dans le paysage politique allemand et que les élections fédérales ayant lieu l’année prochaine constitueront un bouleversement dans l’histoire politique de l’Allemagne après 1945. Pour la première fois les Allemands ont la possibilité de voter pour un parti à droite de la CDU, reste à savoir ce qu’ils en feront.

Pour aller plus loin (et pour réviser son allemand) :

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