Écologie néolibérale : l’individu responsable de tout et maître de rien

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La taxe sur les carburants repose sur une logique néolibérale du changement : celle de taxer le citoyen-consommateur en tant qu’il est défini comme roi et responsable. Cependant, ce dont le citoyen est responsable dépend-il réellement de lui ? Cette question ne trouve de réponse que par le rappel d’une rhétorique fondée sur la responsabilité et la culpabilité individuelle. Au cœur de ceci : le concept de dette écologique.


Dette et responsabilité

Maurizio Lazzareto, dans La Fabrique de l’homme endetté : essai sur la condition néolibérale (Amsterdam, 2011), s’intéresse à la notion de dette dans la société moderne. Celle-ci a produit, ces dernières décennies, un individu-type qu’est l’Homme endetté.

Une partie de sa démonstration consiste à montrer en quoi la dette est devenue un instrument pour rendre le citoyen prévisible et docile. Par exemple, elle est un critère de jugement neuf pour mesurer sa moralité et celle des autres.

Une éthique politico-économique se développe : est morale toute personne qui gère bien ses économies et son remboursement. Celui qui se gère peut se rassurer et sentir sa supériorité : il est un individu responsable. Dès lors, dans le modèle « start-up » et auto-entrepreneurial, les agents demandent de plus en plus de responsabilité. Celle-ci fonde leur moralité et, partant, leur liberté.

Responsabilité et individu-écolo

Si Lazzareto s’intéresse à la dette économique, nous pouvons étendre ce modèle à celui de la dette écologique. Ici, l’individu est non seulement responsable de lui-même (au sens moral) mais également responsable de la catastrophe écologique (au sens de culpabilité). Il doit se réformer et réformer ses habitudes. De l’Homme endetté découle alors un individu-écologique.

Celui-ci utilise les bonnes ampoules et poubelles ; il économise l’eau, l’électricité et le chauffage ; il restreint son régime alimentaire etc. Cet individu-modèle produit un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne respectent pas la planète ou n’ont pas les moyens de le faire. Il acquiert ainsi une moralité. Il rembourse sa dette écologique.

La politique dite « écologique » qui va de pair avec ce raisonnement consiste donc bien à taxer l’individu et à le responsabiliser par de grands discours. Tout changement passe par le tout-puissant citoyen-consommateur.

Ses deux armes pour absoudre sa dette sont alors le pouvoir du vote et le pouvoir d’achat. Cependant, le premier n’est pas toujours respecté (le référendum de 2005, par exemple) et le second n’est qu’une illusion de pouvoir. En effet, d’une part le marché automobile vert est encore trop cher ou inexpérimenté. D’autre part, l’énorme majorité des États et ensembles régionaux ne respectent pas les accords dits « écologiques ». De même, ils utilisent les bénéfices des taxes environnementales pour autre chose que la transition énergétique (seuls 19% de la taxe carbone reviennent à la transition).

Nous relevons le cynisme d’une rhétorique dans laquelle l’individu est dit « responsable » de ce qui ne dépend pas de lui. Responsable de tout ; maître de rien.

Évidemment, il ne s’agit ni de vider l’individu de toute responsabilité ni d’abandonner ces gestes du quotidien. Plutôt, nous soulignons l’incapacité de l’individu-citoyen à influer à grande échelle.

Pour reprendre Cornelius Castoriadis, dans Une Société à la dérive – ouvrage où il appelle à un retournement de l’imaginaire contemporain pris dans le progrès technoscientifique et dans la consommation : « Un individu seul, ou une organisation, ne peut, au mieux, que préparer, critiquer, inciter, esquisser des orientations possibles. »

Repenser le collectif : de la politique écologique à l’écologie politique

Une solution serait de sortir de la culpabilisation individuelle, de la croyance dans l’individu-roi, fruit de toute une rhétorique devenue une habitude commune. D’ailleurs, ne sont-ce pas des mouvements globaux et non des actions à l’échelle individuelle qui ont institué notre économie de marché, des grandes découvertes à l’ordo-libéralisme en passant par le capitalisme classique ?

Cependant, il ne faut pas s’aveugler et louer toute initiative collective : celles-ci reposent parfois sur la même logique d’addition d’individualités.

Prenons le cas tant loué des fermes urbaines à Detroit. La plupart de celles que nous avons pu visiter ne consistent que dans une classe moyenne supérieure non-originaire de la ville qui a racheté à prix d’or des quartiers abandonnés sans se préoccuper de la pauvreté alentour. Ici, cette communauté a pris sa responsabilité individuelle et s’absout de sa dette sans ancrer son action dans une réflexion collective.

De même, si la ZAD proposait une nouvelle forme d’organisation possible, son entêtement anti-institutionnel ne faisait que l’enfermer dans un solipsisme. Elle vidait l’écologie de sa politique. Or, si la politique écologique repose sur l’insertion de thématiques écologiques dans une structure politique ancienne, l’écologie politique consiste à penser et à propager un relais institutionnel neuf. Ce n’est pas un isolationnisme contemplatif.

La moralité par la dette concerne donc également des groupes d’individus fiers de leur initiative, enfermés dans leur autosatisfaction.

Cependant, à Detroit, d’autres fermes -en minorité-, dynamisent un quartier abandonné pour ensuite en faire bénéficier les afro-américains et autres défavorisés. Il y a une réinvention du lien social par l’écologie et la culture (avec des manifestations musicales ou cinématographiques). Ce n’est ni l’écologie comme excroissance d’une structure sociale présente, ni l’écologie d’un individualisme collectif.

Ainsi, il ne faut pas confondre un geste collectif avec une addition d’actions individuelles. Nous avons perdu de vue que le changement nécessaire passe par une révision globale de notre imaginaire et du collectif tel qu’il se vit et se définit.

Le collectif n’est pas une homogénéité ou une addition d’individus hétérogènes. Il repose sur le partage des responsabilités.

Il revisite ainsi le rôle des acteurs qui ne sont plus en concurrence – économique et morale mais en coopération – économique et culturelle. Il rappelle que « l’Homme est ancré dans autre chose que lui », sans pour autant disparaître sous cette chose (Castoriadis, La Force révolutionnaire de l’écologie, 2012).

 

Image à la Une : Pixabay