La grande loi climat de Joe Biden va-t-elle nous sauver ?

Joe Biden © Shoshanna Halevy

Que penser d’une loi sur le climat saluée aussi bien par Shell et ExxonMobil que les ONG et une partie des militants écologistes ? Côté pile, le « plan climat » comporte d’importants investissements publics dans le domaine du renouvelable, financés par des taxes sur les profits des entreprises – qui, pour une fois, paieront. Côté face, il refuse toute logique coercitive face aux pétroliers, et demeure dans une logique d’incitation. Pire : d’importantes concessions ont été faites aux lobbies du pétrole, du gaz et du charbon. Loi « historique » en faveur des énergies renouvelable ou cadeau offert aux pollueurs ? Ces deux versants ne sont pas contradictoires.

Les démocrates viennent d’adopter un texte majeur sur le climat, fruit d’un compromis inespéré entre l’aile droite du parti et la Maison-Blanche. Présenté comme un effort pour réduire l’inflation et le déficit public, l’« Inflation Reduction Act » ou « IRA » n’est pas seulement un clin d’œil douteux aux origines irlandaises de Joe Biden, mais un texte aux composantes multiples. Les 370 milliards de dollars d’investissement en faveur de la transition écologique sont financés par trois grandes dispositions : l’instauration d’un impôt-plancher de 15% sur les multinationales, la lutte contre l’évasion fiscale et une réforme sur le prix des médicaments. Pour un total de 740 milliards d’économies et de revenus supplémentaires, qui seront prélevés directement sur les profits des multinationales, des grands groupes pharmaceutiques et des Américains les plus aisés. La presse a logiquement salué une victoire significative de Joe Biden, susceptible de lui redonner l’ascendant aux abords des élections de mi-mandat.

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© Karsten Würth, Unsplash

Historiquement, le président en exercice perd systématiquement cette échéance électorale déterminante. De plus, la conjoncture économique, sur fond d’inflation galopante et de risque de ralentissement provoqué par la hausse des taux d’intérêt de la FED, est défavorable au Parti démocrate, qui est également structurellement handicapé par la nature des institutions américaines. Joe Biden semble pratiquement assuré de perdre sa majorité parlementaire en novembre, et avec elle, sa capacité à légiférer.

Les différentes dispositions prises par le Parti républicain (découpage partisan des circonscriptions électorales, loi visant à restreindre l’accès au vote des minorités pro-démocrates), la nature des institutions et la direction vers laquelle tend la Cour suprême rendent très improbable le fait que le Parti démocrate se retrouve de nouveau dans une configuration où il dispose de la Maison-Blanche et d’une majorité au Congrès. En clair, il s’agissait probablement de la dernière opportunité de légiférer sur le climat avant de nombreuses années.

Ceci explique le sentiment d’urgence et l’enthousiasme relatif du camp progressiste à l’annonce du deal arraché par la direction du Parti démocrate à son aile la plus conservatrice. Mais à y regarder de plus près, le texte reste insuffisant et potentiellement dangereux. Les plus critiques y voient même une manifestation chimiquement pure de l’incapacité du système capitaliste à agir de manière décisive face à l’urgence climatique.

Pour une fois, le capital passe à la caisse

La principale différence avec les autres « succès » législatifs de Biden vient du fait que ce texte est directement financé par les plus riches des Américains et les multinationales L’instauration d’un prélèvement à la source doit contraindre les entreprises américaines dégageant un profit (avant impôt) supérieur à 1 milliard de dollars à payer 15 % de taxes sur ce montant, quel que soit le pays où sont enregistrés les profits. Le Congressional Budget Office (CBO) estime que cette seule taxe va rapporter 313 milliards de dollars sur 10 ans.

Vient ensuite le renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale via une hausse drastique du budget de l’IRS, le fisc américain, censé générer un gain de quelques 280 milliards de dollars en dissuadant les très hauts revenus et les entreprises de tricher sur leur déclaration fiscale. Le parti républicain, qui avait volontairement sapé le budget de l’IRS, est vent debout contre cette mesure.

Enfin, le texte prévoit d’autoriser le régime d’assurance maladie publique Medicare (réservé aux Américains de 65 ans et plus) à négocier directement le prix d’une quinzaine de médicaments. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aux États-Unis, les groupes pharmaceutiques sont en mesure d’imposer leurs prix aux compagnies d’assurances. Autoriser Medicare, de très loin le plus gros acheteur  de médicaments, à négocier directement les prix, devrait générer près de 288 milliards d’économies sur dix ans. Autant de profits en moins pour big pharma, qui considère cette mesure comme une véritable déclaration de guerre.

Tous ces économies et revenus supplémentaires doivent permettre de réduire le déficit, de prolonger les subventions à l’Obamacare jusqu’en 2025 (évitant une hausse des tarifs de l’assurance maladie juste avant les élections de mi-mandat) et de financer le grand plan climat.

Dispositions encourageantes et concessions inquiétantes

Les investissements s’élèvent à 370 milliards de dollars sur dix ans, quatre fois plus que les montants inclus par Barack Obama en 2009 au sein de son plan de relance de l’économie. Cependant, on reste loin du Green New Deal souhaité par l’aile gauche démocrate et le Roosevelt Institute (plaidant pour un investissement à hauteur de… 10.000 milliards de dollars), ni du projet initialement négocié par Joe Biden (1500 milliards).

Les grands contours de son plan climat avaient été dessinés par son conseiller économique Brian Deese, ancien responsable de la branche investissement durable de Blackrock. Il consistait en un savant dosage entre incitations financières pour le secteur privé (la carotte), obligations et pénalités pour les pollueurs (le bâton), et investissements publics réclamés par la gauche démocrate et les militants écologistes. Il prévoyait en particulier de financer le secteur des transports en commun, la rénovation thermique des bâtiments, et envisageait la création d’un civilian corp sur le modèle de celui mis en place dans le cadre du New Deal par Roosevelt – censé servir d’embryon de garantie à l’emploi pour effectuer des travaux en lien avec la préservation et la restauration de l’environnement. Cette ambitieuse feuille de route a été passée à la moulinette par le sénateur démocrate Joe Manchin, dont le soutien était indispensable à l’adoption du plan. Seuls les incitations financières et quelques modestes programmes d’investissements publics ont survécu.

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© Matt Palmer, Unsplash

Le cœur du projet adopté repose ainsi sur des crédits d’impôt et subventions destinés à accélérer la transition énergétique. En particulier, il débloque 260 milliards pour le développement des énergies renouvelables. Ce montant inclut le prolongement des subventions existantes pour les producteurs d’électricité ENR (solaire, éolien, hydraulique…) mais également de nouvelles aides pour le nucléaire, l’hydrogène et la technologie CCS (capture et stockage de CO2). Surtout, des aides publiques sont mises en place pour favoriser la production des composants nécessaires à la transition énergétique (matières premières, éléments pour batteries, pompes à chaleur, etc.) afin de garantir l’indépendance des États-Unis et favoriser l’émergence d’un écosystème industriel de l’énergie verte. 9 milliards sont également prévus pour inciter les particuliers à installer des pompes à chaleur et procéder à l’isolation thermique de leur logement, pour un rabais pouvant aller jusqu’à 8000 dollars par foyer éligible.

Suivant la même logique, le plan débloque plus de 80 milliards pour le développement de la voiture électrique, dont des subventions pour aider les constructeurs à modifier leurs chaînes de production et des primes à l’achat de véhicules électriques (7500 dollars pour les véhicules neufs, 4500 pour les véhicules d’occasion). Les ménages gagnant moins de 150.000 dollars par adulte et par an y sont éligibles – soit 95% des Américains. Là encore, le but est de favoriser le développement de toute la filière, en subventionnant l’offre comme la demande.

La création d’une banque publique d’investissement durable (dotée d’un budget de 27 milliards) doit encourager les investissements privés en produisant un effet de levier censé atteindre jusqu’à dix fois le montant des investissements publics. 30 autres milliards sont alloués à la décarbonation de l’agriculture et l’aide à la préservation de l’environnement et des espaces sauvages.

Enfin, un volet « justice climatique » dirige une part importante des investissements vers les populations les plus exposées. 7 milliards de dollars sont prévus pour décarboner les transports en commun des quartiers défavorisés, et permettre d’électrifier la gigantesque flotte d’estafettes du service postal national USPS.  

Pour obtenir le soutien de Joe Manchin, principal opposant au plan climat de Joe Biden au sein de la courte majorité démocrate, le parti a dû faire de lourdes concessions. Les industriels du pétrole, du gaz et du charbon recevront des fonds pour boucher les puits et mines abandonnées et émettant des quantités importantes de méthane – gaz à effet de serre 20 fois plus polluant que le dioxyde de carbone. Les pénalités prévues en cas de fuite de méthane sont calibrées pour toucher d’abord les entreprises de petite et moyenne taille, les multinationales affichant déjà des objectifs ambitieux dans ce domaine. Les subventions à l’hydrogène (qui peut être produit avec du méthane) et au développement de la technologie de capture de CO2 peuvent être interprétées comme une manière de prolonger la viabilité du gaz et du charbon. Surtout, le plan s’accompagne de deux concessions décisives faites à l’industrie pétrolière.

La première est contenue dans le texte voté au Congrès. Chaque année, avant de pouvoir autoriser de nouveaux projets ENR, l’État fédéral devra ouvrir des concessions d’exploitation à l’industrie pétrolière. Le texte force ainsi le gouvernement à mettre à la vente aux enchères 8000 km2 de terres fédérales et 240 000 km2 de concessions offshores, tous les ans. Rien ne garantit que les compagnies pétrolières participeront aux enchères ou réaliseront des projets sur ces terres. Ce qui n’empêche pas David Wallace-Wells, journaliste spécialiste de l’environnement au New York Times, de parler d’un mécanisme « diabolique »…

Deuxièmement, Joe Biden s’est engagé à approuver un second texte visant à modifier un ensemble de règles concernant l’autorisation des nouveaux projets industriels, dans le but de raccourcir les délais d’autorisation et de réduire la capacité des collectivités locales et ONG à s’opposer à leurs constructions. Si cela va aider les projets ENR, c’est également un cadeau effectué aux compagnies pétrolières. D’autant plus que Joe Manchin s’est également vu promettre l’approbation d’un pipeline très controversé traversant son État de la Virginie-Occidentale. Un pacte faustien destiné à obtenir les investissements dans la transition énergétique ?

Un pari risqué aux conséquences potentiellement catastrophiques

Un premier signe inquiétant vient de la réaction des entreprises pétrolières. Un lobbyiste confiait ainsi à Politico : « Si vous prenez en compte les avantages et les inconvénients, les avantages dépassent les inconvénients. Les étrennes que Manchin a insérées dans le texte, sur les concessions pour l’exploration pétrolière, c’est significatif ». Selon le Wall Street Journal, le directeur de Shell USA a « loué le plan et souligné le fait qu’il promettait d’ouvrir de nouvelles concessions à l’exploitation pétrolière ». Pour sa part, le patron d’ExxonMobil s’est dit « satisfait du fait que le texte reconnaisse la nécessité de faire intervenir un large éventail de solutions pour réussir la transition énergétique ». Bloomberg titrait ainsi « Le PDG d’Exxon adore ce que Manchin a fait pour les groupes pétroliers ». Plus mesuré, le porte-parole de British Petroleum a « applaudi les sénateurs pour ce plan climat historique » et loué le fait que ce texte recouvrait « un éventail complet de sources d’énergie propre ».

Toute l’industrie pétrolière ne se réjouit pas pour autant. À l’annonce du plan, L’American Petroleum Institue déclarait : « Bien qu’il y ait des dispositions intéressantes, nous sommes opposés aux politiques publiques qui augmentent les impôts et découragent les investissements dans le pétrole et le gaz américain ».

Du côté des ONG, les réactions sont également mitigées. Le Sunrise Mouvement a estimé qu’en dépit de ses nombreux défauts, ce texte était préférable à l’inaction. L’organisation 350.org, au contraire, a dénoncé « une arnaque » : « les concessions faites à l’industrie pétrolière et au sénateur Joe Manchin sont si importantes qu’elles effacent tous les gains potentiels en termes de lutte contre la crise climatique ». D’autres militants et experts du climat, cités par Jacobinmag, ont qualifié le plan de « dérangé », et ajouté qu’il constituait « une prise d’otage » et une « folie ». Pour Brett Hartl, directeur des relations gouvernementales au Center for Biological Diversity, il s’agit d’un « suicide climatique ». Le porte-parole de Greenpeace, John Noël, résume ainsi le sentiment du mouvement climat : « C’est une grosse somme d’argent pour la transition énergétique. On me dit que c’est nécessaire pour débloquer la situation sur ce front. Mais si cette réforme accélère le développement des énergies carbonées, ça sera un désastre pour le climat ». Comme le précisait David Wallace-Wells, le climat se moque des énergies renouvelables : seule la réduction des émissions compte. Or, il s’agit bien d’une stratégie de développement des renouvelables couplé à un texte favorable aux énergies fossiles.

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© Alexei Scutari, Unsplash

En somme, ce grand plan climat est un pari sur l’avenir qui mise sur l’efficience des mécanismes de marché. Il parviendra à réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre si le secteur privé et les particuliers saisissent l’opportunité offerte par les subventions pour enclencher un cercle vertueux susceptible d’accélérer massivement la transition énergétique. Ces effets devront contrebalancer l’augmentation de production d’hydrocarbures qui risque de découler des dispositions particulièrement généreuses envers l’industrie pétrogazière…

Les optimistes pointent du doigt le fait que les compagnies pétrolières, en partie par anticipation de la transition énergétique, préfèrent racheter massivement leurs propres actions plutôt que d’investir dans de nouveaux projets d’extractions. Pour preuves, elles semblent peu intéressées par les concessions ouvertes par l’administration Trump en Alaska. Mais les nouvelles réglementations mises en œuvre par le plan Biden pourraient les rendre moins frileuses. D’autant plus que les ENR restent moins rentables que les projets reposant sur les énergies fossiles…

Or, rien ne garantit que les subventions aux énergies renouvelables et à la voiture électrique vont inciter les particuliers et industriels à effectuer une transition marquée vers celles-ci. Même lourdement subventionnés, l’installation d’une pompe à chaleur, des travaux d’isolations ou l’achat d’une voiture neuve coûtent cher. Et aucune obligation en direction des collectivités locales ou des entreprises ne contraint à faire ce type d’investissement.

De même, le recours massif à la technologie pour décarboner l’économie s’inscrit dans une logique de croissance verte contestable. Le plan ne comprend pas grand-chose en termes de sobriété énergétique et de politique de transports. Surtout, il ne remet pas en cause le modèle de la voiture individuelle, alors que le secteur des transports représente la principale source d’émissions aux États-Unis. Remplacer des Hummer consommant quinze litres au cent par une version électrique de quatre tonnes cinq capable de passer du 0 à 100 en trois secondes constitue une curieuse réponse à l’urgence climatique…

Un peu mieux que de ne rien faire

Selon les estimations mises en avant par le parti démocrate, le plan doit permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis de 40% d’ici 2030. Sur le papier, il s’agit d’un résultat particulièrement significatif. En réalité, les modèles ayant produit cette estimation comparent les émissions avec celle de 2005, année record aux États-Unis. Ils projettent une réduction allant de 31 à 44% (selon les hypothèses considérées en termes d’adoption des ENR et d’augmentation de la production d’hydrocarbures), alors que les s’étendent de 22 à 35 % de réduction si le plan n’est pas adopté, du fait des politiques énergétiques déjà en place et des tendances actuelles. Surtout, les réductions promises viennent essentiellement du déploiement massif des dispositifs de CCS (capture et stockage de CO2), une hypothèse peu crédible compte tenu du statut encore expérimental de cette technologie. En adoptant une lecture plus prudente, on constate que le projet ne devrait réduire les émissions qu’à la marge, alors que le respect des accords de Paris requiert une baisse de 50% d’ici 2030…

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Certains militants redoutent le fait que le Parti démocrate et l’administration Biden se contentent de cette petite avancée et renoncent à prendre d’autres mesures importantes. À l’inverse, les optimistes espèrent que cette première victoire législative crève le plafond de verre et entraîne d’autres pays dans ce mouvement.

Une leçon de capitalisme vert ?

Selon l’ONU et L’Agence internationale de l’énergie, organisation historiquement liée à l’industrie du pétrole, aucun nouveau projet d’extraction d’hydrocarbures ne doit voir le jour, sous peine de manquer l’objectif des 2 degrés de réchauffement. Autrement dit, il est impossible de satisfaire les industries de l’énergie fossile et de préserver le climat à la fois. Face à ce choix binaire, les démocrates ont pourtant décidé de ne pas choisir.

De nombreux analystes y voient le produit de la réalité politique. La majorité démocrate ne tient qu’à une seule voix et le sénateur Joe Manchin représente un État trumpiste au possible, où l’industrie du charbon figure parmi les principaux secteurs économiques. Il pourrait sembler logique que ce soit lui qui dicte le contenu d’un texte éloigné des priorités de son électorat.

Pour d’autres, cette analyse constitue une manière commode d’appréhender une situation chimiquement pure de conflit opposant les intérêts du capital avec la nécessité d’agir pour le climat.

Joe Manchin constitue lui-même une forme de caricature du système politique américain. Comme l’écrivait le New York Times il y a tout juste trois semaines : « Joe Manchin a accepté davantage de donations issues de l’industrie pétrolière que tout autre membre du Congrès, il est devenu millionnaire grâce à sa propre entreprise de charbon ». Entreprise qui lui rapporte encore un million de dollars par an. Lors de son précédent exploit législatif, Manchin avait obtenu 15 millions de dollars de subventions pour la préservation du parc naturel sur lequel se trouve sa résidence secondaire. Il discute toutes les semaines avec le lobbyiste en chef d’Exxon Mobil. Or, des enregistrements fuités de réunions qu’il tient avec ses principaux donateurs ne laissent aucun doute sur la manière dont il opère et le peu d’égards qu’il a pour ses électeurs.

Les enquêtes du Washington Post et de Politico sur les tractations ayant abouti à la version finale de cette grande loi climat évoquent différents épisodes éclairants. C’est suite à la pression d’une partie de ses donateurs et de ses amis républicains qu’il aurait décidé de mettre fin aux négociations. Puis, le défilé de nombreux industriels, donateurs, milliardaires et économistes proches des dirigeants du Parti démocrate (dont Bill Gates et Larry Summers) l’aurait convaincu de revenir à la table des négociations. Les nombreux articles négatifs de la presse mainstream et les menaces de ses collègues sénateurs auraient participé à ce revirement. L’élément déterminant semble avoir été la peur de se voir exclure de ce que Larry Summers appelle le club des insiders. Il s’agit autant d’une victoire des élites démocrates, qui semblent enfin avoir montré leurs muscles, que des militants du mouvement écologiste.

En tant que parfait représentant du capitalisme américain, Joe Manchin semble illustrer ce que les intérêts financiers du pays étaient prêts à céder pour répondre à l’urgence climatique, sociale et démocratique. En résumé : pas grand-chose.

En l’espace de dix-huit mois et avec l’aide d’une poignée d’élus démocrates, dont la sénatrice d’Arizona Kyrsten Sinema, Manchin a vidé le projet politique de Joe Biden de sa substance. Outre les dispositions du plan climat initial, les démocrates devaient mettre en place de vastes réformes sociales incluant un système d’allocation familiale, la gratuité des crèches, de l’école maternelle et des deux premières années d’études supérieures,, permettre à Medicare de négocier le prix de tous les médicaments, inclure les soins dentaires et auditifs dans ce système, instaurer des congés parentaux et un système d’aide au logement. Le tout, financé par une hausse du taux d’imposition sur les entreprises et les grandes fortunes.   

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Certes, l’Inflation Reduction Act instaure de nouveaux impôts et doit éroder les profits de BigPharma. Mais le diable est dans les détails. Le contrôle des prix des médicaments ne doit intervenir qu’en 2026, ce qui laisse du temps à l’industrie pharmaceutique pour préparer une riposte et compenser le manque à gagner par une hausse des prix sur d’autres médicaments. De même, rien dans le texte voté ne garantit que les nouveaux moyens de contrôle alloués au fisc ne se concentreront pas sur les classes moyennes et TPE. Enfin, la sénatrice Kyrsten Sinema a veillé à ce que de nouvelles niches fiscales soient intégrées au texte.

Au lieu d’utiliser sa capacité à marchander pour obtenir des choses favorables à son électorat, Kyrsten Sinema a pratiquement fait échouer le vote en imposant un amendement introduisant une niche fiscale protégeant les profits des Hedge Funds et gestionnaires de fonds privés. Au point de provoquer la stupéfaction d’un conseiller républicain.

Malgré toutes ces reculades, les principaux syndicats patronaux et Wall Street ont condamné le texte final en menaçant de représailles les sénateurs qui le voteraient. Pour les démocrates, l’« IRA » reste une victoire politique incontestable, qui va leur permettre d’aborder plus sereinement les prochaines échéances électorales. En particulier, la baisse des prix des médicaments constituait une promesse majeure du Parti, depuis 2006. Mais pour le reste, ce plan ne fournit-il pas surtout la preuve que le capitalisme est incapable de se réformer de lui-même ? Ni de nous sauver du péril climatique ?

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