Boom du crédit à la consommation : une bombe à retardement

© Dylan Gillis

Longtemps boudé car considéré comme stigmatisant, le crédit à la consommation connaît un regain d’intérêt. Les banques en quête de rentabilité investissent ce produit, tandis que de nouveaux acteurs l’encouragent, profitant d’un flou juridique. Dans un contexte de forte incertitude économique, la bombe du crédit à la consommation s’apprête t-elle exploser ?

Vous n’avez besoin de rien ? Une banque sera forcément prête à vous le financer. Si aucun établissement bancaire n’arbore ce slogan, c’est bel et bien la philosophie qui anime désormais le secteur. Sous la pression de la course à la rentabilité, ce secteur de service est devenu un distributeur de produits. Ainsi, alors que traditionnellement les banques répondaient aux demandes de leurs clients, il n’est désormais pas rare qu’elles s’adonnent au démarchage pour tenter de commercialiser ces prêts.

Au premier trimestre 2022, le recours au crédit à la consommation a explosé. Les volumes de crédit affichent une progression de 15,9 % par rapport à l’année passée. La hausse atteint même 18 % par rapport à 2019, soit avant les confinements. Particulièrement inquiétante, cette hausse est portée par le crédit renouvelable, une ligne de crédit mise à disposition du client. Or ce segment est caractérisé par son risque de dérive, et des intérêts cumulatifs dans le temps. Au point d’alerter les associations de consommateurs.

Un endettement en plein essor

Pourquoi un tel engouement ? Longtemps le crédit à la consommation a été le mouton noir de la finance. Perçu comme un stigmate par ceux qui y avaient recours, et jugé peu lucratif par les établissements bancaires en raison de ses montants, plutôt faibles, et de sa durée limitée. Le contexte de bas taux d’intérêt a permis de le rétablir comme une source de rentabilité, poussant son expansion. En effet, les crédits à la consommation étant moins longs et plus risqués, leurs taux sont généralement plus élevés.

Dans le même temps, les banques ont bénéficié du retrait d’autres acteurs sur le marché, en particulier ceux issus de la grande distribution. Faute d’avoir atteint une taille suffisante, et en raison des contraintes légales liées à cette activité, les grandes firmes ont renoncé à l’activité de prêt. Carrefour a ainsi mis fin à son offre de carte de crédit à destination de ses clients. Tandis le groupe BPCE (Banque Populaire – Caisse d’Epargne vient de finaliser le rachat d’Oney, la filiale de financement d’Auchan.

En complément, ce secteur a bénéficié du développement de nouvelles habitudes, telle que la pratique du leasing (ou crédit-bail en français), qui complète le crédit automobile classique. Cette dernière a connu un essor massif au cours des dernières années. En effet, elle représente désormais la moitié des immatriculations en 2021. Toutefois, à moyen terme, le secteur doit se réformer pour tenir compte de la baisse tendancielle du marché automobile. En effet, l’urbanisation de la population et les nouveaux usages vont contraindre les banques à trouver des relais de croissance. Pour compenser cette baisse, il faudra se résoudre à voir se développer les crédits non affectés, c’est-à-dire non pas liés à un projet, comme l’acquisition d’un véhicule avec une valeur de revente, mais à destination de la consommation courante.

À ce jour, les statistiques du surendettement ne sont pas alarmantes. Mais elles s’appuient sur les données de 2021. Or, le confinement, en réduisant les occasions de dépenses et en protégeant les revenus, a épargné les ménages. Pourtant trois signaux d’alertes apparaissent, qui risquent de fragiliser les emprunteurs. En effet, la sortie de la période COVID produit deux effets. Tout d’abord l’arrêt du soutien aux revenus par l’Etat peut confronter des ménages déjà endettés à des difficultés de remboursement (perte d’emploi, santé fragilisée par un COVID long, …). Dans un second temps, la libération de la consommation associée aux difficultés d’approvisionnement et à la spéculation ont fait grimper les prix en flèche. Face à cette inflation, et dans l’attente d’un éventuel ajustement des salaires, de nombreux ménages risquent d’être tentés, si ce n’est contraints, de recourir au crédit pour équilibrer leurs dépenses courantes. Enfin, avec le relèvement des taux d’intérêt, les ménages ayant souscrit des crédits renouvelables, avec des taux révisables, sont particulièrement exposés. Habitués à des taux bas, ils risquent d’être confrontés à des frais financiers de plus en plus importants, risquant, à court terme, de compromettre leur capacité de remboursement.

Des nouvelles pratiques inquiétantes

À cette tendance de fond s’ajoute un renouvellement de forme du crédit à la consommation. En effet, il sort désormais du schéma traditionnel, c’est-à-dire un prêt de quelques milliers d’euros, souscrit dans une agence bancaire. Tout d’abord, sous l’effet de l’explosion du commerce en ligne, se développent les solutions de paiement fractionné. Ces plateformes proposent, modulant une contribution du commerçant, de payer en plusieurs fois ses achats en ligne. Ces pratiques, déjà très développées aux États-Unis, sont particulièrement dangereuses. Elles sont certes rarement la cause d’un surendettement, mais viennent s’ajouter à des crédits déjà existants. Or, les plateformes se positionnent comme des services de paiement et non de crédit, compte tenu des durées inférieures à 3 mois. Ainsi, elles ne sont pas soumises aux obligations de vérification de la solvabilité de leurs clients, bien que les montants puissent atteindre jusqu’à 6 000€. En outre, en cas de manquement dans le remboursement, les pénalités sont particulièrement élevées. Ceci contribue largement au modèle économique du secteur. Cette activité n’est pas marginale, et même en pleine progression. À titre d’illustration, l’un des géants du secteur vient de lever 650 millions de dollars. Et le géant Apple, attiré par ce marché, va développer sa propre solution deBuy now, pay later“.

En parallèle, se sont développées des pratiques de micro-crédit en ligne, via des applications comme Lydia, Bling ou Finfrog. Profitant d’une publicité mal encadrée sur les réseaux sociaux, et se situant hors des seuils légaux, ceux-ci permettent de s’endetter en quelques clics. Les montants en jeu sont certes faibles, mais ils peuvent suffire à mettre en difficulté les profils ciblés, souvent exclus du système bancaire classique. En outre, en mettant rapidement à disposition des fonds quasiment sans conditions, ils participent à une banalisation du crédit à la consommation. Dans ce cas, les taux pratiqués sont importants, inférieurs mais proches du taux d’usure, représentant in fine une charge financière lourde. Ces pratiques représentent un danger croissant, au point d’avoir motivé une alerte de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le gendarme des banques.

Pour répondre à cette nouvelle concurrence, les établissements bancaires leur emboîtent le pas. De leur côté, ils promettent désormais des crédits avec réponse immédiate. Bien que s’appuyant sur des critères restrictifs, ce processus n’offre pas une vision globale sur la situation ou les besoins du client. En outre, il légitime les pratiques précédemment décrites, qui se développent au détriment de la protection élémentaire des clients.

Face à ces nouvelles dérives, la Commission européenne a consenti à agir en proposant une nouvelle directive. Toutefois, la réglementation reste en retard sur la capacité d’innovation des acteurs du marché. Ceci pose une difficulté, vu le délai de production législatif, en laissant le champs libre à des acteurs mal contrôlés. En outre, elle reste d’une portée coercitive limitée. Elle cherche à responsabiliser les acteurs du marché ou bien à renforcer l’éducation financière des particuliers, au détriment des décisions restrictives susceptibles de compromettre une activité en plein essor. Or, au regard du risque de surendettement, la logique qui considère que les agents rationnels doivent être responsables de leur propre situation financière est aussi insuffisante que dangereuse. Face à l’engouement commercial et financier des banques et acteurs financiers, des garde-fous stricts sont plus que jamais nécessaires.