« Le géomimétisme consiste à avoir un impact global sur le climat en imitant la nature » – Entretien avec Pierre Gilbert

Pierre Gilbert © Le Vent Se Lève

Pierre Gilbert est le jeune auteur du livre « Géomimétisme : réguler le changement climatique grâce à la nature », préfacé par l’économiste et directeur de recherche au CNRS Gaël Giraud et publié aux éditions Les Petits Matins. Il est par ailleurs l’ancien responsable de la rubrique Écologie de Le Vent Se Lève. Nous avons donc souhaité l’interroger sur les méthodes naturelles de lutte contre le changement climatique. Nous évoquons également les conclusions politiques que Pierre Gilbert en tire, quant au le rôle de l’État, de la diplomatie, des technologies, etc. Plus que tout autre sujet, le climat impose d’adopter une approche holistique, sous peine d’oublier des enjeux sociaux ou encore géopolitiques fondamentaux. Entretien réalisé par César Bouvet.


LVSL – Qu’est-ce que le Géomimétisme ?

P. G. – Le géomimétisme désigne la partie du biomimétisme qui concerne le climat. Il s’agit d’un néologisme issu de la contraction entre la géo-ingénierie, c’est-à-dire l’idée d’avoir un impact global sur le climat grâce à la technique, et le bio-mimétisme qui vise à s’inspirer de la nature dans nos techniques. Donc le géomimétisme consiste à avoir un impact global sur le climat en imitant la nature.

C’était important d’avoir un terme pour qualifier cette idée, car dans le champ scientifique, on parle souvent de solutions basées sur la nature (nature based solution). Cependant, ce concept concerne beaucoup de domaines très différents : on peut se baser sur la nature pour inspirer des procédés industriels, des formules médicinales, même des modes d’organisation. Il n’y n’avait pas de terme spécifique en ce qui concerne le climat, c’est-à-dire pour désigner facilement les solutions naturelles pour absorber du CO2 atmosphérique par exemple. Ce flou sémantique nous a amené à voir se multiplier des cas qui parfois posent problème. Par exemple, on observe généralement que la reforestation à grande échelle, dans certains pays, se fait par des monocultures d’arbres. On plante une seule espèce – comme des eucalyptus, des pins douglas – sur des centaines d’hectares, car ces essences poussent vite. Derrière, on a généralement des entreprises qui vendent des « solutions compensation carbone » à d’autres entreprises qui veulent verdir leur bilan. Cette façon de reforester ne s’inspire pas de la nature. Il n’y a pas de monoculture dans la nature. Ces cultures assèchent donc les sols et perturbent l’équilibre forestier à tel point que les entreprises forestières utilisent des pesticides, herbicides (comme du glyphosate) et même des engrais. La biodiversité de la forêt n’est pas présente pour protéger les arbres et entretenir les cycles de nutriments.

À l’inverse, le géomimétisme appliqué à la reforestation consisterait à reproduire un écosystème forestier complexe en mélangeant des essences locales, capables par ailleurs de résister au réchauffement climatique des prochaines décennies, de sorte à recréer un écosystème durable dans lequel chaque élément de biodiversité puisse jouer son rôle dans le cycle du carbone.

Autre exemple, le géomimétisme est extrêmement pertinent pour ralentir le dégel du pergélisol. Quelques scientifiques ont proposé ainsi de s’appuyer sur la mégafaune à l’instar du chercheur russe Sergeï Zimov, qui propose de réintroduire de grands troupeaux d’animaux dans la toundra (grande plaine sibérienne gelée). Il a en effet remarqué qu’en absence d’animaux sur certaines zones, la neige venait s’accumuler sur le sol. Or, la neige est un isolant thermique qui va se positionner entre le sol et l’air qui lui est à -40°C. Le manteau neigeux va ainsi empêcher l’air glacial de refroidir en profondeur le sol. Le permafrost sera donc moins « fort » pour passer l’été. Lorsque l’on fait pâturer de grands troupeaux, les animaux vont gratter la neige pour trouver leurs aliments et par conséquent exposer le sol directement à l’air froid.

En augmentant le cheptel sibérien, on pourrait également imaginer des débouchés économiques nouveaux pour la Russie, via la vente de la viande. Dans un contexte d’urgence climatique, la Russie ne peut pas continuer à baser son économie sur les exports de gaz et autres hydrocarbures. Elle doit diversifier ses sources de devises à l’export. Pour l’Europe – même s’il faut globalement réduire sensiblement notre consommation de protéines carnées – c’est aussi une solution pour stopper les flux de viande en provenance de l’Amérique latine.

“J’insiste sur les perspectives géopolitiques à la fin de mes différents chapitres, car pour être à la fois réaliste et ambitieux – ce qu’il faut pour le climat – dans les pistes de politiques publiques qu’on propose, il faut faire « matcher » les cycles naturels et les cycles sociaux.”

J’insiste un peu sur ce genre de perspectives géopolitiques à la fin de mes différents chapitres, car pour être à la fois réaliste et ambitieux – ce qu’il faut pour le climat – dans les pistes de politiques publiques qu’on propose, il faut faire « matcher » les cycles naturels et les cycles sociaux. Le géomimétisme propose des façons de capturer du carbone atmosphérique de manière durable, donc capable de fournir durablement des services et des biens aux collectivités humaines – pourvu qu’elles sortent du consumérisme, évidemment.

LVSL – Est-ce que finalement la géo-ingénierie ne s’insère pas dans cette même optique : à travers la main de l’Homme, reproduire les réactions d’un cycle naturel ?

P. G. – Le géomimétisme est l’antithèse de la géo-ingénierie. Cette dernière cherche à déclencher des effets globaux sur le climat, en effet, mais sans s’intéresser à la pérennité des différents cycles naturels.

Quand on parle de climat, il faut s’intéresser à la notion de « cycle ». Dans la nature, il existe différents grands cycles. Il y a le cycle de l’eau, le cycle du carbone, mais aussi de l’azote, du phosphore et d’autres nutriments essentiels pour la biodiversité. Chaque élément de l’écosystème a un rôle essentiel dans ces cycles-là ! Du plus petit animal jusqu’à la plus grande plante. La géo-ingénierie ne s’intéresse pas à la biodiversité, et aux conséquences en chaîne qu’elle pourrait provoquer.

Il y a deux grands types de géo-ingénierie : celle qui consiste à renvoyer les rayons du soleil vers l’espace pour « refroidir la terre », et celle qui consiste à absorber massivement du CO2 grâce à des machines. Si l’on dévie des rayons du soleil – comme le font les très grandes éruptions volcaniques en envoyant des panaches de cendres dans la haute atmosphère, créant un effet miroir -, on perturbe tout. L’ensemble des vents, du cycle de l’eau, de croissance des plantes… dépend de l’énergie solaire qui arrive sur Terre. Le climat terrestre est une montre suisse, si on en retire un tout petit engrenage parce qu’on diminue l’apport d’énergie solaire à un endroit, c’est toute la machine que l’on peut gripper. C’est ainsi que la gigantesque éruption du volcan islandais Laki en 1783 empêche les rayons solaires de faire mûrir les cultures d’Europe de l’Ouest pendant 3 ans, ce qui entraîne des tensions sur la nourriture, aggravées par les « accapareurs » et la mauvaise gestion publique… Ce sont les conditions de la Révolution française de 1789 qui se mettent en place, comme l’explique l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie. Bref, notre écosystème est un ensemble d’interactions environnementales et humaines infinies, beaucoup trop complexes à modéliser, donc à maintenir loin des petits apprentis sorciers de la géo-ingénierie !

Concernant ce qu’elle nous propose pour capturer du carbone, ce n’est pour l’instant pas très abouti… Actuellement, on nous propose des procédés de capture directe du CO2 dans l’air (DAC – Direct Air Capture), par l’intermédiaire de grands filtres énergivores, et de compresseurs pour envoyer du CO2 dans des couches géologiques profondes – en espérant qu’un mouvement sismique ne vienne pas y créer des fuites. On nous parle aussi de brûler de la matière organique pour en récupérer le CO2 (BECCS – Bio-energy with carbon capture and storage). Petit problème : Si on ne compte que sur le BECCS pour rester sur notre trajectoire de réduction d’émissions, il faudrait multiplier par deux les surfaces agricoles mondiales pour en extraire suffisamment de CO2. On est sur du « toutes choses égales par ailleurs», certes, mais on voit quand même que les ordres de grandeur discréditent complètement ce genre de pistes.

Pierre Gilbert © Le Vent Se Lève

LVSL  Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce livre ?

P. G. – Outre le fait qu’il fallait un terme pour définir le biomimétisme au service du climat, on voit apparaître dans le débat public de plus en plus de controverses sur la géo-ingénierie, dont on vient de parler. Dans le dernier rapport spécial du GIEC remis aux décideurs, on observe que plus de 80% des scénarios proposés intègrent des solutions de capture du CO2 pour atteindre la neutralité carbone, notamment des technologies de captation. Cependant, le GIEC est incapable de dire quelle technologie et dans quelles proportions. C’est bien normal, puisque rien n’est vraiment sorti du stade expérimental en matière de géo-ingénierie. Alors pourquoi le GIEC fait-il cela ? Tout simplement, car sa mission est de compiler les articles scientifiques qui traitent du climat, dont ceux qui traitent de géo-ingénierie. Or, on observe qu’il y a justement de plus en plus d’articles qui traitent de la géo-ingénierie, et dont les auteurs sont étrangement peu nombreux. Or derrière ces quelques scientifiques (dont beaucoup sont rattachés à Harvard), on retrouve des acteurs pivots comme de grands pétroliers ou des gens comme Bill Gates. Si l’on remonte la piste de qui fait quoi en étant financé par qui – c’est l’objet d’une partie du premier chapitre – on finit étrangement par tomber sur des acteurs qui finançaient autrefois le lobby du climato-scepticisme, et à qui l’on doit l’impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement, a fortiori aux États-Unis. Les excellents travaux de Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil ( L’événement Anthropocène, éditions du Seuil, 2013) ou encore Nataniel Rich ( Perdre la Terre, éditions du Seuil, 2019) reviennent bien sur cet épisode dramatique des années 80-90.

Ce lobby de la géo-ingénierie est de plus en plus actif, notamment en France. Quand je m’en suis rendu compte, grâce à des amis qui m’ont fait remonter des informations en provenance de certains milieux (dont le monde parlementaire, notamment), j’ai voulu poser les bases d’une controverse sur la géo-ingénierie avant qu’elle prenne l’offensive. L’idée qui en a découlé est de proposer un contre modèle : le géomimétisme, qui s’inscrit entièrement dans les cycles naturels.

Le risque est clair : il n’est pas de voir des machines de géo-ingénierie apparaître – ce n’est pas près d’arriver – mais que les décideurs puissent imaginer qu’une solution technique miraculeuse les préserve de faire les efforts qu’il faut faire d’urgence. Le lobby climatosceptique nous a donné une bonne leçon là-dessus !

Quand les industriels commencent leur lobby anti-climat dans les années 1980, ils ont déjà des modélisations extrêmement précises du réchauffement climatique. A l’époque, la société et les dirigeants occidentaux étaient très conscients du problème environnemental, et très engagés ! Le président Carter a même fait installer des panneaux solaires sur la Maison Blanche (rapidement déboulonnés par l’administration Reagan). Le lobby ne va donc pas attaquer frontalement, en disant que le changement climatique n’existe pas, mais va premièrement chercher à disséminer du doute : est-ce que le climat se réchauffe aussi vite que ce que l’on croit ? Est-ce que l’Homme est totalement responsable de ce réchauffement ou est-ce que ce ne sont pas juste des cycles solaires ? etc. Et ils vont être surpris de leur succès, car les décideurs politiques vont de fait s’agripper à ce petit espoir pour se dédouaner de leurs responsabilités et continuer le business as usual. Voyant ce succès-là, le lobby du doute climatique décide d’enfoncer le clou et se transforme en lobby du climato-scepticisme. La suite nous la connaissons : l’administration Trump, la sortie de l’accord de Paris, etc. Le lobby a su alimenter la recherche très naturelle du déni chez les individus pour réduire leur dissonance cognitive. Le vrai risque est là : perdre du temps, créer du déni de l’urgence, car sentiment d’une solution technique.

LVSL  Pourquoi avez-vous choisi Gaël Giraud pour la préface ?

P. G. – Gaël Giraud est avant tout un économiste hétérodoxe que je trouve brillant, capable de porter une voix singulière dans ce contexte de crise économique inédite et de démontrer facilement comment la finance bloque la transition écologique. Il est également directeur de recherche au CNRS et travaille notamment avec l’institut de climatologie Pierre Simon-Laplace, qui alimente énormément les travaux du GIEC. Il travaille sur des modélisations économico-climatiques très poussées. C’est donc quelqu’un qui a une vision assez dynamique des enjeux et conséquences économiques (donc sociales) et des phénomènes climatiques. Ce qui recoupe évidemment le thème du géomimétisme. Le géomimétisme veut s’inscrire dans les cycles naturels, mais également humains et sociaux. C’est pour cette raison que le géomimétisme doit, lorsqu’il traite d’agriculture par exemple, subvenir aux besoins alimentaires d’une population. Lorsque je parle, dans mon dernier chapitre, du rôle climatique de la pompe océanique (des animaux marins !), on arrive à la conclusion qu’il faut repeupler les océans pour leur donner une capacité de capture de carbone, mais il faut aussi que les centaines de millions de personnes qui vivent de la mer puissent continuer à le faire de manière durable, les petits pêcheurs en premier lieu.

Ce que j’apprécie particulièrement chez Gaël Giraud également, c’est qu’il arrive constamment à articuler approche holistique et expertise pointue.

LVSL  Dans ce livre, vous parlez beaucoup d’un État stratège qui serait l’architecte du géomimétisme. Mais comment s’articulerait-il avec un géomimétisme à l’ancrage résolument local ?

P. G. – Si j’avais été allemand, j’aurais peut-être parlé de Länder stratèges, puisque ces grandes régions disposent de plus de compétences que l’État fédéral sur beaucoup de dossiers structurants. Si je parle autant d’État stratège, c’est parce que nous sommes en France et il se trouve que l’État, dans le cadre de la Vème République, dispose de beaucoup de leviers – ce qu’on peut très bien critiquer par ailleurs. Et des leviers essentiellement locaux ! Il ne faut pas opposer les échelles. L’État produit une norme, un cadre juridique que les collectivités territoriales adoptent. Elles conservent par ailleurs une marge de manœuvre importante avec les compétences dont elles disposent (quid de leur octroyer les dotations qui suivent, d’ailleurs !). L’ADEME estime qu’une commune standard peut diminuer de 15% ses émissions globales en jouant sur son fonctionnement direct (voiture de fonction, isolation du bâti public, etc.). Mais elle peut influencer jusqu’à 50% des émissions de son territoire de manière indirecte, par la façon dont elle motive ses administrés à changer de pratiques par ses choix d’aménagement par exemple. Il est possible qu’une collectivité territoriale décide de se lancer dans des chantiers de géomimétisme (remettre en eaux des anciennes zones humides, reforester, etc.), il y a même énormément à faire sur ce plan !

Seulement, quand on parle de climat, on parle d’urgence. On ne peut pas attendre que les élus locaux, partout en France, se conscientisent tranquillement, qui plus est dans un contexte de restrictions budgétaires (n’oublions pas que les dotations des collectivités ont été largement diminuées, à compétences égales voir étendues). Il faut selon moi que l’État impulse vigoureusement cette transition jusqu’au niveau local, tout en encourageant les initiatives écologiques impulsées par le local. Opposer les deux n’a pas de sens, il faut juste permettre au cadre institutionnel de produire des synergies et ne brider aucune bonne volonté.

“Il faut selon moi que l’État impulse vigoureusement cette transition jusqu’au niveau local, tout en encourageant les initiatives écologiques impulsées par le local. Opposer les deux n’a pas de sens, il faut juste permettre au cadre institutionnel de produire des synergies et ne brider aucune bonne volonté.”

L’État stratège en France peut aussi avoir une influence globale via sa diplomatie. Les accords bilatéraux peuvent être un formidable levier pour accélérer la lutte contre le changement climatique. En conditionnant nos accords commerciaux à des objectifs écologiques par exemple. La France a récemment vendu des Rafales à l’Indonésie en échange d’une augmentation des quotas d’huile de palme à importer. L’idée serait typiquement d’inverser la logique : conditionner les ventes à des objectifs climatiques – et pousser toute l’Europe à faire de même (l’UE étant le premier marché du monde…), sous peine de pratiquer la chaise vide. Un excellent exemple de ce que serait un gaullisme vert (rires) !  Il faudra évidement remettre la France au service du multilatéralisme – et des COP en premiers lieux.

Pierre Gilbert © Le Vent Se Lève

LVSL Vous avez parlé de pistes de politiques publiques dans ce livre et parfois de façon très précise comme lorsque vous parlez d’une taxe sur la viande industrielle pour financer la sécurité sociale. Quels sont les objectifs politiques de ce livre ?

P. G. – J’ai essayé de faire des propositions de politiques publiques ambitieuses et pragmatiques. Par conséquent, elles sortent du cadre budgétaire strictement court-termiste tel que l’appréhende les différents gouvernements néolibéraux. Lorsque l’on fait de l’agroforesterie, c’est extrêmement rentable à l’échelle macroéconomique. On utilise moins d’intrants, car les arbres enrichissent les sols et les haies abritent une biodiversité auxiliaire qui élimine les parasites. C’est également moins d’érosions des sols, donc moins de pollution des eaux. C’est donc des coûts moindres de traitement des eaux pour la collectivité, mais également une alimentation de meilleure qualité, donc des économies pour la sécurité sociale. On peut multiplier les exemples d’externalités positives… Le coût initial de la mise en place des arbres agricoles peut être élevé, le retour sur investissement sera très largement positif quelques années plus tard, à l’échelle macroéconomique du moins. C’est le cas de la plupart des pratiques géomimétiques, puisqu’elles renforcent par définition les « services » environnementaux rendus par les écosystèmes.

Le tout, est donc de faire en sorte que le macro et le micro convergent au sein des politiques publiques. C’est pourquoi il faut un État stratège capable d’émanciper les acteurs (les agriculteurs si l’on file l’exemple) du court-termisme, et faire ruisseler vers eux une partie de l’argent qu’ils font gagner à la société. L’idée serait alors de mettre en place des caisses de transition, qui rémunèrent les bonnes pratiques agroécologiques avec les pénalités des mauvaises, tout en fournissant des dispositifs d’accompagnement public proactifs. Cela présuppose d’évaluer finement le coût des externalités négatives agricoles, mais également de ne pas faire payer des publics captifs. Il faut toujours offrir une voie de sortie par le haut à l’ensemble des acteurs : si un agriculteur « conventionnel » exprime le désir d’amorcer une reconversion, ses pertes de revenus liées à la période de latence (il faut 3 ans pour passer un champ en bio) doivent être intégralement compensées directement et facilement par une caisse publique de transition.

LVSL Faut il rompre définitivement avec l’idée d’une technologie qui pourrait nous sauver ?

P. G. – Il n’y aura jamais une technologie – ni même une technique – unique pour sauver quoi que ce soit. Le besoin de résilience – face aux effets du changement climatique notamment – impose de pousser une véritable « biodiversité de solutions ».

La question n’est pas d’être pour ou contre la technologie. L’agroécologie par exemple nécessite un très haut niveau de connaissances techniques, donc des recherches agronomiques de pointes (qu’il faut d’ailleurs savoir articuler avec l’empirisme paysan). La transition écologique n’ira pas sans un effort accru de R&D. C’est d’ailleurs le rôle d’un État stratège que de réussir à coordonner la recherche publique, privée et citoyenne (pair-à-pair) pour accélérer les transitions. Nous avons besoin de progrès technologiques pour les énergies renouvelables, les systèmes de propulsions propres, etc. Cependant, progrès technologique ne doit pas forcément dire complexification technologique. Il faut à la fois faire du low-tech avec des technologies plus durables, mais également du high-tech pour optimiser au maximum notre consommation énergétique via les smart grids par exemple. Il ne faut pas être dogmatique sur la question de la technologie.

En ce qui concerne l’absorption du carbone, si la géo-ingénierie pose aujourd’hui plus de problèmes qu’elle n’en résout, les technologies de captation de CO2 en sortie de cheminée d’usine ou de pots d’échappement (là où le CO2 est très concentré) sont pertinentes et même fortement souhaitables. C’est du bon sens. Sauf que le bon sens, c’est un projet politique en soi. Par opposition à un projet politique fondé sur des dogmes, comme peut l’être le dogme libertarien ou néolibéral.


Dans cette vidéo, Pierre Gilbert revient notamment sur le contenu de l’ouvrage.

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