Le retrait de Joe Biden sauvera-t-il le Parti démocrate ?

Biden Harris Le vent se lève

Le retrait de Joe Biden est-elle une bonne nouvelle pour le Parti démocrate ? Au-delà de son âge, le candidat avait abandonné ce qui avait permis le succès de sa campagne quatre ans plus tôt : la défense d’un programme politique de redistribution. Celui-ci avait permis, en 2020, la mobilisation de la base militante et de l’aile progressiste du Parti démocrate. En 2024, Joe Biden avait renoué avec une stratégie plus traditionnelle, focalisée sur la dénonciation du danger trumpiste, et centrée sur les classes moyennes. Une voie dont Kamala Harris ne déviera sans doute pas, et qui rappelle tristement celle empruntée par Hillary Clinton en 2016…

La dynamique en faveur de l’éviction de Joe Biden s’était renforcée parmi les démocrates au vu des mauvais sondages qui avaient fait suite à sa prestation ratée lors du dernier débat avec Donald Trump. La tentative d’assassinat contre ce dernier ayant fait exploser sa popularité, le retrait de Biden s’imposait. La succession de Kamala Harris est-elle pour autant une bonne nouvelle pour les démocrates ?

Le retrait de Joe Biden aurait pu être l’occasion, pour le Parti démocrate, de faire son aggiornamento sur la direction dans laquelle il l’avait entraîné au cours des dix-huit derniers mois. D’autant que ces deux dernières années étaient riches en enseignement quant aux stratégies efficaces et perdantes.

La stratégie du barrage au trumpisme, qui avait prévalu en 2016, consistait à répéter aux électeurs qu’il n’y avait pas d’alternative entre le Parti démocrate et le chaos. Elle a manifestement échoué. En 2020, une stratégie alternative avait été couronnée de succès : il s’agissait de faire cause commune avec les progressistes afin de proposer un programme ambitieux en matière sociale favorable aux classes populaires.

D’innombrables facteurs ont bien sûr joué dans les deux résultats – notamment l’impopularité de Trump, l’indignation et la lassitude que sa présidence chaotique avait suscitées. Mais comme de nombreux commentateurs l’ont souligné à l’époque et depuis, les efforts de Joe Biden – sans commune mesure avec ceux de Hillary Clinton – pour séduire les progressistes et unifier le parti ont permis de rassurer les sceptiques, de dynamiser les électeurs progressistes et les classes populaires et de motiver les militants de base à faire du porte-à-porte. Joe Biden avait ainsi offert un contrepoids à la stratégie cynique de Donald Trump consistant à dégeler des aides sociales éphémères et à effectuer des injections monétaires de dernière minute – qui lui ont cependant permis d’obtenir des résultats finaux assez surprenants.

Pourtant, quand bien même ces événements se sont déroulés il y a tout juste quatre ans – et quand bien même il s’agissait de leur propre stratégie gagnante – Joe Biden et son camp ont inexplicablement décidé de réitérer la stratégie de 2016.

Le jour de sa démission, le candidat Biden n’avait toujours pas de programme politique ; lors de ses apparitions publiques ou sur son site Internet, c’est à peine s’il mentionnait ce qu’il comptait accomplir au cours de son second mandat. Il semblait avoir renoncé aux propositions populaires qu’il avait échoué à imposer, comme la gratuité de l’enseignement supérieur ou l’abaissement de l’âge d’éligibilité à l’assurance-maladie. Face aux préoccupations croissantes des Américains, le président et son entourage ont simplement refusé de prendre au sérieux leurs inquiétudes.

Selon plusieurs sources, il s’agirait d’un choix délibéré de Biden et de ses conseillers, convaincus qu’il leur suffisait de ressasser que Donald Trump représente une menace pour gagner en novembre – même si cette approche a vu Joe Biden constamment distancé dans les sondages, malgré la condamnation pénale de l’ancien président et ses projets de plus en plus fous en vue d’un second mandat. Joe Biden et son équipe attendaient-ils que de bonnes nouvelles tombent du ciel – comme un hypothétique abaissement des taux de la FED – pour inverser les courbes ?

Pire encore : c’est vers les électeurs les plus conservateurs que Joe Biden avait manifestement décidé de se tourner, partant du principe que les électeurs de gauche n’auraient d’autres choix que de lui donner leur suffrage.

Cette année, Joe Biden a arraché deux victoires politiques, pour lesquelles il a remué ciel et terre : Les deux principaux combats politiques qu’il a arrachés cette année – remuant ciel et terre – ont été une nouvelle restriction du droit d’asile et l’affectation de 100 milliards de dollars à des guerres à l’étranger – après avoir depuis longtemps rompu avec son vœu d’une « politique étrangère en faveur de la classe moyenne ». Ces mesures ne l’ont manifestement pas aidé à gagner la confiance des électeurs républicains et, dans le cas de la guerre hautement impopulaire contre Gaza, elles ont déchiré son parti – et provoqué des levers de boucliers de la part d’un large éventail d’électeurs autrement fidèles aux démocrates.

Écarter le candidat Biden de l’équation permettra-il le retour à une stratégie similaire à celle de 2020 ? Cela nécessiterait de s’appuyer sur un programme audacieux, qui mettrait l’accent sur la lutte contre la précarisation économique dont souffrent les Américains. Le travail est déjà pré-mâché : il suffirait aux démocrates de défendre les idées les plus populaires que Biden a abandonnées après 2021 : salaire minimum à 15 dollars, programme universel d’éducation préscolaire, subventions pour la garde d’enfants, formule d’assurance maladie publique, dont il a d’ailleurs cessé de parler depuis son élection. La question du logement, préoccupation majeure pour les jeunes électeurs démocrates, pourrait constituer un axe stratégie central – l’occasion de défendre des mesures de plafonnement national des loyers, comme l’a proposé Bernie Sanders en 2020. Ce sont de telles mesures qui ont permis à Claudia Scheinbaum, successeur du président mexicain d’Andrés Manuel López Obrador (« AMLO ») de remporter une victoire écrasante lors du premier tour des dernières élections.

Plus urgent encore peut-être : un changement radical de cap sur la question de Gaza pourrait relancer la dynamique en faveur des démocrates. La politique israélienne du camp Biden – soutien inconditionnel à l’État d’Israël – s’est avérée catastrophique sur le plan électoral. Outre qu’il est devenu une figure détestée dans une partie de l’opinion publique – au point d’être physiquement empêché de faire campagne sur les campus universitaires -, le conflit menace d’éclater à tout moment en une guerre régionale calamiteuse, qui pourrait entraîner les États-Unis vers une énième confrontation militaire, que la majorité des Américains ne souhaitent pas. Au successeur de Joe Biden revient la lourde tâche d’éviter un nouveau bourbier au Moyen-Orient, et de laver l’honneur des démocrates sur la question palestinienne.

Un changement de cap improbable si l’on considère le curriculum de Kamala Harris – sauf si la force des choses contraint les démocrates à renouer avec une stratégie victorieuse ?