“Notre objectif ultime est la prise du pouvoir” – Entretien avec Adrien Quatennens

Crédit Photo
Exclusif. Portrait de Adrien Quatennens, depute de la 1e circonscription du Nord, membre du groupe France insoumise. Lille. Le 20 aout 2017. Credit: Sarah ALCALAY/Sipa

Adrien Quatennens est député France Insoumise de la première circonscription du Nord. A seulement 27 ans, il est une des figures montantes du mouvement et s’est notamment illustré par son discours en séance extraordinaire sur la réforme du Code du travail. A l’occasion de notre couverture des universités d’été de la France insoumise, nous avons souhaité l’interroger. Au programme : sa circonscription d’origine, le rôle de l’État, la loi travail et les mobilisations à venir, le FN et la question européenne.

 

LVSL : Vous êtes député de la première circonscription du Nord, située dans l’agglomération lilloise, qui est une circonscription populaire, à l’image du département du Nord hors métropole lilloise. Comment percevez-vous le fait d’être député de cette “France des oubliés”, ravagée à la fois par la désindustrialisation, le chômage, et la poussée du vote Front National ? Est-ce une responsabilité particulière ?

Tout d’abord, en soi, le fait d’être député, et de surcroit jeune député et député de la France Insoumise, est déjà une grande responsabilité, car nous sommes 17 dans cette Assemblée et nous avons été élus avec l’objectif clair d’incarner l’opposition écologique et sociale à Macron et à sa majorité, qui est écrasante dans l’Assemblée. Certains auraient pu penser que notre nombre ne nous donnait pas les moyens d’avoir prise sur le débat parlementaire, mais la session extraordinaire a démontré que même à 17, nous réussissions à nous faire davantage entendre et comprendre que les 300 députés de la majorité présents en face de nous. De ce point de vue, la « pente » qui a été prise par le début du quinquennat Macron laisse penser qu’à mesure que le temps va s’écouler, notre responsabilité va aller en grandissant. Car au-delà de la force d’opposition, nous devons être en capacité de démontrer que nous sommes prêts à être l’alternative pour la suite : c’est notre objectif premier.

Sur la question du territoire, la circonscription à laquelle j’appartiens est, certes, en quelque sorte à l’image du département, mais pas seulement. Le département du Nord est caractérisé par le fait que sa partie sud, celle qui jouxte le Pas-de-Calais, se compose d’anciennes zones industrielles sinistrées où le Front National fait des scores élevés — sur les 8 députés FN, 5 viennent de la grande région Hauts de France. Il est également marqué par l’abstention qui est un fait politique dans le pays. Mais c’est un territoire qui regorge d’énergie et de possibilités.

“Au-delà de la force d’opposition, nous devons être en capacité de démontrer que nous sommes prêts à être l’alternative pour la suite : c’est notre objectif premier.”

Plus précisément, lorsque l’on parle de la première circonscription du Nord, il s’agit du centre-ville de Lille et des quartiers sud. Lille est l’une des villes françaises qui subit le plus le phénomène de ségrégation : le centre urbain abrite des quartiers où habite une population plutôt favorisée que d’aucuns appelleraient « bobos », tandis que dans le sud de la ville sont ancrés les quartiers populaires — Lille sud, Wazemmes, Moulins — qui sont à la fois marqués par une plus forte abstention mais aussi par un vote plus important en faveur de la France Insoumise. Il est assez intéressant d’observer la carte électorale de Lille : si on trace la sociologie du vote à grands traits, on remarque que plus on monte vers le nord, plus les gens votent mais moins ils votent pour nous. A l’inverse, plus on descend, moins ils votent mais plus ils votent pour nous. Cela dit, le vote France Insoumise est fort dans toute la ville, la présidentielle l’a démontré.

La circonscription se compose également de deux autres villes, que l’on pourrait être tenté de considérer de façon précipitée comme des « villes dortoirs », alors qu’elles ont leur propre dynamisme : il s’agit de Faches-Thumesnil et de Loos. Faches-Thumesnil est une ville dirigée depuis le début des années 2000 par un maire de droite, Nicolas Lebas. A l’Assemblée, il serait plutôt « Constructifs » que « LR ». La ville de Loos est davantage marquée par la présence du FN — bien que ce vote reste contenu par le vote lillois. Le FN y a notamment réalisé de beaux scores à la présidentielle, mais c’est aussi une ville où nous avons prouvé notre capacité à convaincre l’électorat FN de venir vers nous. Nous veillons particulièrement à nous attaquer à la montée du vote FN, qui s’est par exemple développé dans Lille sud, mais il est très clair que dans l’entre-deux tour de la législative, les électeurs qui dans un premier temps avaient exprimé leur colère en votant FN, réalisent que LFI est aussi l’expression d’une colère, bien qu’elle n’ait pas le même aboutissement politique : il y a donc eu un report de voix assez net, notamment à Loos.

Personnellement, je suis satisfait chaque fois que j’entends « J’ai hésité à voter Le Pen ou Mélenchon, et finalement j’ai voté Mélenchon » : quelle plus grande satisfaction que d’avoir réussi à convaincre que c’est vers cette colère-là qu’il fallait se tourner ? Aux journalistes qui me disent alors que c’est la preuve de la porosité entre nos électorats, que nos thématiques sont finalement assez proches, je réponds, « Expliquez-moi comment vous faites pour faire tomber ou baisser le FN si ce n’est en lui prenant des électeurs ? »

Adrien Quatennens à l’Assemblée nationale. Crédit : Bertrand Guay/AFP

LVSL : De façon assez surprenante, vous avez été élu avec le soutien du candidat PS/MRC perdant, et avec les éloges du candidat FN Eric Dillies dans l’entre-deux tours. Votre victoire s’est faite d’une courte tête (46 voix). Ces soutiens, qui ne sont pas forcément désirés – notamment en ce qui concerne le candidat du Front National – révèlent en creux l’enjeu principal pour La France Insoumise : convaincre les classes moyennes urbaines et diplômées qui votaient traditionnellement PS et convaincre les classes populaires tentées par le vote FN. Comment aller plus loin dans ce sens ? Autrement dit, comment aller chercher ceux qui ne sont pas encore là ?

En effet, ce soutien n’était clairement pas désiré. Ce qui est très net est que sur une circonscription telle que celle-ci, c’est-à-dire une circonscription qui était le bastion du PS local, on remarque bien que la façon de fonctionner du PS, y compris dans sa mobilisation des réseaux municipaux, n’a plus la prise qu’elle avait auparavant, et c’est ce que j’ai pu vérifier avec les législatives. J’ai pu craindre pendant la campagne, malgré le désarroi du PS et le fait que leurs électeurs nous disaient depuis longtemps qu’ils ne voulaient plus de ce parti, que l’activation de leurs réseaux et de ce qu’ils avaient réussi à monter au sein de la municipalité ne fasse tout de même leur bénéfice. Finalement, cela n’a pas du tout été le cas. Les gens en ont définitivement soupé.

Ensuite, on a effectivement le vote de droite, mais qui dans cette circonscription reste minoritaire. Le phénomène numéro un demeure l’abstention criante. Enfin, il y a la question du FN : dans les débats du premier tour, notamment télévisés, le candidat FN n’était pas sur la posture ethniciste de son parti mais davantage sur une posture souverainiste, et je voyais bien que notre argumentaire ne lui déplaisait pas totalement, quand bien même les finalités politiques s’opposent : alors que le FN veut que La France retrouve son indépendance pour opérer un repli identitaire promis à l’impasse, nous voulons que la France retrouve son indépendance pour affirmer son caractère universaliste et marcher aux avant-postes des grands défis humains à relever comme la planification écologique. L’appel à voter pour nous du FN, nous ne l’avons certainement pas demandé, et plus qu’autre chose, il a surtout permis à notre adversaire principal, à savoir En Marche, de créditer la thèse selon laquelle il y avait bien une alliance des deux extrêmes, une porosité dans l’argumentaire et le programme politique, alors que c’est tout à fait sans fondements. L’essentiel pour nous est de convaincre, et nous ne faisons pas le tri pour savoir qui nous cherchons à convaincre.

“Alors que le FN veut opérer un repli identitaire promis à l’impasse, nous voulons que la France retrouve son indépendance pour marcher aux avant-postes des grands défis humains à relever comme la planification écologique.”

Selon moi, le principal chantier qui s’ouvre devant nous, et donc le principal enjeu, est de juguler l’abstention. Le fait qu’on soit à présent dans un temps qui n’est plus contraint par un calendrier électoral serré permet de faire de cet enjeu une priorité : l’idée est de réussir, hors temps électoral, à créer des méthodes qui localement permettent de réduire l’abstention. C’est évidemment un problème qui nous préoccupe depuis un moment puisque nous avons été très présents dans les quartiers populaires depuis le début de la campagne, en lançant notamment les caravanes insoumises dès début 2016 pour amener la question des droits.

Il me semble que LFI doit permettre de continuer à mener la bataille culturelle à travers les campagnes thématiques et apporter le contenu politique qui est le nôtre. Mais dans le même temps, nous devons être capables de nous dire que ce n’est pas seulement en allant dans les quartiers populaires qu’on va réussir à les faire revenir à la politique : il faut que nous, les militants politiques, soyons conscients des problématiques auxquelles sont confrontées les gens et que nous soyons en capacité d’y répondre, en étant des facilitateurs de l’auto-organisation. Je disais par exemple à mes camarades à Lille que s’ils voient un quartier où il leur semble qu’il y a un besoin criant en soutien scolaire, ils pourraient organiser les conditions de création de ce soutien scolaire. Cela reviendrait à répondre directement à des problématiques pour faire en sorte que la politique ne soit pas vécue comme hors sol : ainsi, notamment dans un contexte où les municipalités ont de moins en moins de marges de manoeuvre financières, cela démontrerait une capacité des citoyens à s’auto-organiser. Je pense qu’il y a là un coup double à jouer : à la fois mener les campagnes thématiques, et en même temps se mettre au service de la population pour recréer le lien entre la politique et les citoyens.

En ce qui concerne le FN, j’ai toujours considéré que son électorat n’était pas sa propriété, qu’il ne lui appartient pas, que les électeurs du FN ne sont pas le FN, et cela fait longtemps que de notre côté, nous ne répondons plus de la caricature qui veut que ces électeurs soient d’affreux fascistes. Certes, il y en a, mais le vote FN dans notre pays est d’abord et avant tout un vote qui exprime une colère, un ras-le-bol, une volonté de donner un coup de pied dans la fourmilière, et charge à nous de faire la démonstration que le vote FI est aussi l’expression d’une colère : ce qu’il faut alors prouver est que la question n’est pas d’engendrer une colère pour la colère, mais de savoir ce que l’on fait de cette colère. Au projet ethniciste du FN s’oppose ici le projet propulsif de LFI qui permet d’ailleurs bien souvent de répondre au terreau qui crée la montée du FN, à savoir notamment les problématiques sociales. Pour résumer, il y a véritablement deux enjeux primordiaux : Ne pas céder un pouce à Macron et sa majorité, et faire la démonstration que l’on peut incarner la suite.

LVSL : Parmi les causes de la montée du FN dans le Nord et le Pas-de-Calais, on revient souvent sur le fort taux de chômage des zones concernées. On parle moins souvent du recul généralisé de l’État et des services publics, de la perte de lien social qui va avec. Pourquoi l’État a-t-il abandonné ces territoires ? Comment les réinvestir, et selon quelle vision de l’État ?

Très clairement, on voit bien qu’après l’ère des Trente Glorieuses, avec l’émergence de l’économie libérale, les dirigeants ont particulièrement misé sur le tertiaire dans le Nord. Or, il y a divers endroits où ce n’était absolument pas adapté, et cela a participé de cette ségrégation que l’on retrouve notamment dans des villes comme Lille.

Sur la question de l’emploi, il est nécessaire de réaffirmer le fait que le problème du chômage n’est pas celui du « chômage volontaire », contrairement à ce que les gouvernements successifs ont cherché à démontrer. Sous Hollande par exemple, le gouvernement ressassait en permanence la musique des emplois non pourvus. Nous sommes sans cesse dans l’obligation de rappeler ce qu’est la réalité statistique sur les emplois non pourvus : aujourd’hui, si je ne me trompe pas, on a affaire à 1 emploi non pourvu pour 300 chômeurs, ce qui correspond véritablement à une situation de pénurie d’emplois. A la France Insoumise, nous prônons un modèle de relance de l’activité qui serait nécessairement centralisé par l’Etat, car l’Etat est la courroie de transmission de grandes politiques de relance permettant de réactiver le levier de l’emploi. La planification économique que nous proposons permettrait de créer des centaines de milliers d’emplois, ce qui est une nécessité absolue.

“Là où l’Etat cède du terrain, deux forces avancent essentiellement : la logique de privatisation et le pouvoir de l’argent d’abord, puis la misère sociale.”

On aurait tort de croire que c’est en rabotant le modèle social français par des lois telles que la Loi Travail que l’on va créer de l’emploi : ce type de politiques est mené depuis longtemps, même bien avant Sarkozy. Elles se fondent sur l’idée que flexibiliser davantage le marché du travail et augmenter la compétitivité va créer de l’emploi, alors que l’on voit bien qu’il n’y a pas de corrélation entre le droit du travail et la baisse du chômage. Il faut donc commencer par battre en brèche cet argumentaire politique majoritaire qui provoque un sentiment de culpabilité chez les gens. La seconde étape sera d’expliquer que le principal problème est la relance de l’activité. En ce sens, stratégiquement, nous considérons par exemple que l’Etat français a davantage intérêt à conserver des boîtes comme Alcatel et les grands secteurs stratégiques, plutôt qu’à batailler pour flexibiliser davantage le marché du travail, car la première option apportera bien plus d’emplois à long terme. Il est nécessaire d’annihiler l’idée selon laquelle le seul objectif est la politique de l’offre, la concurrence libre et non faussée entre tous, et qu’à la fin le moins disant social remporte la bataille.

De fait, là où l’Etat cède du terrain, deux forces avancent essentiellement : la logique de privatisation et le pouvoir de l’argent d’abord, puis la misère sociale. Les politiques libérales menées depuis les années 1980 ont toujours été suivies par la montée du chômage. Très clairement, il y a un lien de cause à effet entre le désengagement de l’Etat, dicté notamment par les politiques budgétaires impulsées par l’Union européenne, et la montée du chômage, provoquant un cercle qui s’auto-entretient. Plutôt que de jouer une compétition perdue d’avance et qui pousse au moins-disant social, nous pourrions faire tant d’autres choses qui nécessitent des compétences et des énergies dont la France regorge.

 

LVSL : La vieille gauche radicale a longtemps été très méfiante vis-à-vis de la fonction tribunicienne, associée au culte de la personnalité et aux pires dérives du XXème siècle. A tel point que l’émergence de nouvelles figures politiques avec la création du groupe LFI en a surpris plus d’un : François Ruffin ; Ugo Bernalicis ; ou encore vous-même. Vous étiez-vous préparé à jouer ce type de rôle ? La présence de tribuns est-elle la clé du succès pour les mouvements progressistes auparavant en mal de visibilité ?

Le fait d’avoir un groupe à l’Assemblée qui a attiré l’intérêt des médias a permis au public ainsi qu’aux milieux politiques et médiatiques de découvrir quelque chose qu’ils ignoraient, c’est-à-dire que LFI ne se cristallise pas uniquement autour de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier est de longue date soucieux des compétences des gens qui l’entourent et de faire en sorte que d’autres figures émergent. Il est intéressant de remarquer que nous sommes passés sous leurs radars pendant longtemps, jusqu’à aujourd’hui. Ugo, moi, et tant d’autres, malgré notre jeune âge, avions depuis des années des responsabilités locales comme bénévoles, nous prenions la parole en public, nous faisions des campagnes et nous nous rendions visibles sur les places publiques, ce qui ne nous a pas empêchés de passer inaperçus — les médias locaux nous reprenaient de temps en temps sans toutefois s’intéresser à nous dans le détail.

Personnellement, depuis que je milite, il me tient à coeur, mais c’est aussi le propre de notre courant, d’être dans la formation permanente, de beaucoup lire et d’écrire également, d’avoir la capacité de prendre la parole en public et de savoir construire un discours : quand on sait qu’on a une demi-heure et un objectif fixé, il faut faire en sorte de ciseler son propos de manière à aller droit au but. Nous sommes donc rompus à l’exercice.

Prenons le cas de la Loi Travail : je me suis trouvé au premier plan uniquement parce que j’avais choisi de travailler dans la Commission d’Affaires Sociales qui se penchait en premier sur ce texte, puisque nous nous étions répartis les commissions entre les 17 députés que nous sommes. Lorsque nous avons décidé de déposer une motion de rejet et que notre motion a été tirée au sort — puisque plusieurs groupes en avaient déposé une également —, il a fallu choisir un orateur pour prendre la parole. Le groupe fonctionne en collectif. Le but n’est pas de se singulariser les uns des autres, au contraire. Or, compte tenu de ce qui avait été fait en Commission d’Affaires Sociales et étant donné que mes deux camarades de commission étaient d’accord pour que je m’y colle le premier, il a été décidé que je défendrais cette motion.

Je suis donc rentré chez moi le week-end, j’ai préparé le discours, et très honnêtement, lorsque je l’ai achevé, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir fait quelque chose d’exceptionnel, mais simplement d’avoir accompli ma tâche qui était de produire un discours respectant les trente minutes de parole et visant un objectif clair. Puis je suis monté à la tribune, et j’ai prononcé mon discours comme tout un chacun dans ce mouvement l’aurait fait à ma place et sans me dire que ce que je faisais était formidable. Pourtant, lorsque je suis descendu de la tribune et que j’ai rallumé mon téléphone, jai réalisé l’ouragan que ce discours avait provoqué : les médias nous découvraient.

J’ai compris que pour les députés de la majorité mais aussi pour les communistes, cela représentait l’arrivée d’un OVNI qu’ils n’avaient pas vu venir, c’est-à-dire cette génération montante de gens entre vingt et trente ans, très soucieuse de se former — vous en faites sûrement partie d’ailleurs — et capable de monter en puissance. C’est pour cette raison que Jean-Luc disait déjà depuis un moment : « Ne croyez pas que lorsque vous en aurez fini avec moi, vous en aurez terminé, parce qu’avec eux, vous en prenez pour quarante ans ». Je l’entendais aussi répéter aux gens du groupe : « Je suis ravi qu’on vous entende davantage ». Il faut réussir à amplifier ce mouvement collectif.

Cela me permet aussi de rebondir sur l’analyse que Lenny Benbara fait dans l’article que vous avez publié lorsqu’il dit que le niveau atteint lors de la session extraordinaire doit être maintenu, et que pour cela, il faut engranger une logique qui incarne l’alternative. Je pense que le discrédit de Macron va se poursuivre voire s’accélérer, et à mesure qu’il tombe, nous devons symboliser le changement et la capacité à prendre la relève.

 

LVSL : La France Insoumise a réalisé de très bons scores dans la métropole lilloise, et a été capable de faire élire deux députés dans le département. Ces résultats constituent à l’évidence un point d’appui pour le futur, notamment pour les élections municipales de 2020. Quelle stratégie de long terme comptez-vous mettre en place pour asseoir votre implantation ? La mairie de Lille est-elle un objectif ? Cela posera à terme, la question des alliances éventuelles que le mouvement peut nouer s’il veut prendre des mairies…

Il est évident que la mairie de Lille ainsi que d’autres mairies d’envergure nationale sont un objectif très clair pour le mouvement, objectif qui se place dans la continuité de notre stratégie. Dire le contraire serait mentir. Mon état d’esprit, qui est d’ailleurs assez partagé dans LFI, est que tous nos actes politiques, que ce soit dans l’Assemblée ou au sein du mouvement en ce qui concerne les campagnes thématiques ou encore les élections intermédiaires, sont des étapes intermédiaires vers notre objectif ultime qui demeurera toujours la prise du pouvoir dans ce pays. Certains groupes politiques peuvent considérer qu’avoir un groupe parlementaire est déjà un accomplissement en soi et qu’ils peuvent en rester là, mais ce n’est en rien notre cas : pour nous, l’Assemblée n’est qu’une étape de plus.

Avant les municipales, il y a les Européennes, et le pari que je fais d’ici là est que l’illusion Macron va s’éroder plus vite que prévu. Actuellement, nous tendons à prouver que le renouveau qu’il semble incarner, parce qu’il est un jeune président qui prétend mettre à la porte la vieille classe politique et parce qu’il prône de nouvelles pratiques, n’est qu’illusoire. On remarque déjà dans son gouvernement les mêmes fêlures, des gens liés par les mêmes affaires — quand on voit qu’en plein débat sur la confiance, Pénicaud se fait prendre la main dans le sac des stock options… Notre but est donc de mettre à jour le continuum qui existe entre les politiques de droite de Sarkozy, les politiques prétendument de gauche de Hollande, et les politiques centristes de Macron : il faut faire la démonstration, bien qu’elle se fasse d’elle-même, que ces gens-là, derrière des oppositions qui sont feintes pour pouvoir se partager le pouvoir politique, ont un socle idéologique de l’ordre de 70 à 80% de commun – si l’on met de côté les questions sociétales – car c’est la commission européenne qui se tient derrière eux.

Deux hypothèses se présentent alors concernant l’avenir : soit la situation reste telle qu’elle est aujourd’hui et les élections intermédiaires dictent la suite. Soit un événement fortuit bouscule les choses et nous devons alors nous tenir prêts à tout moment. Si c’est le calendrier électoral qui dicte la suite, voyons : les premières élections intermédiaires sont les européennes, qui seront un moment idéologiquement intéressant pour nous où il faudra faire la preuve que nous sommes bien là face au « grossiste » [la commission européenne, NDLR] qui impulse les politiques nationales depuis trop longtemps. L’élection européenne devra être la traduction dans les urnes de la déflagration contre Macron. C’est aussi l’occasion pour nous d’avoir davantage d’élus, donc de monter en crédibilité et de gagner en visibilité afin de pouvoir s’exprimer.

Puis arrivent les élections municipales — il se peut d’ailleurs qu’elles aient lieu en 2021 et non en 2020, et qu’elles viennent s’ajouter aux régionales et aux départementales. Nous devons donc être préparés à décrocher le plus de positions possibles. Ainsi, pour revenir à votre question après ce passage de contextualisation, il apparaît que oui, dans la métropole lilloise, étant donné que LFI a été capable de décrocher deux anciens bastions socialistes avec la première et la deuxième circonscription du Nord, il y a clairement plusieurs villes de la métropole que nous pouvons remporter aux élections municipales. Cela nous ferait arriver à la veille de la présidentielle dans une position totalement différente de celle où se trouvait Jean-Luc Mélenchon en 2016 lorsqu’il a lancé le mouvement, avec la force de dire que nous incarnons l’alternative, face à un Front National qui à l’inverse est d’ores et déjà en difficulté. A l’Assemblée, les frontistes sont presque inaudibles, et leur parti est rongé par des guerres intestines. Je crois qu’ils sont assez durablement enlisés.

En ce qui concerne la question des alliances aux municipales, tout va dépendre des européennes. Je souscris totalement à l’idée que nous ne devons plus mettre le doigt dans des stratégies qui nous latéralisent avec la tambouille des chapelles à gauche, et qu’il faut refuser les assises de refondation et autres potages qui semblent se profiler. Ces gens sont en cendres et pensent que l’on va pouvoir faire renaître le phénix, alors que pour notre part, nous avons plutôt intérêt à poursuivre la stratégie qui a fonctionné lors des présidentielles et des législatives, c’est-à-dire celle qui consiste à opposer peuple et oligarchie, le « nous » et le « eux » que théorise Chantal Mouffe. Cela s’incarne d’ailleurs dans les nouvelles têtes du mouvement et au sein de notre électorat : plusieurs fois, lors de la campagne, des gens sont venus me voir en me disant que si Mélenchon avait été candidat du Front de gauche en 2017, jamais ils ne l’auraient ne serait-ce qu’écouté.

“Nous cherchons donc à élargir notre électorat en refusant les codes politiques par lesquels on essaie de nous enfermer dans une position minoritaire.”

La campagne de Mélenchon en 2012 par exemple restait très ancrée dans les codes traditionnels de la gauche radicale, notamment dans l’imagerie politique. C’’était déjà un premier filtre qui a fait que certaines personnes ne sont pas allées plus loin. En effet, même si nous avons raison d’être attachés à nos drapeaux rouges, lorsqu’il s’agit de convaincre la majorité de la population nous ne pouvons plus nous présenter comme la gauche radicale, ce qui implique de mettre les drapeaux au placard. De la même manière que lorsque Benoît Hamon ouvre un meeting en disant qu’il s’adresse à la gauche socialiste, comment peut-il prétendre gouverner le pays s’il commence par parler à une stricte minorité ? Nous cherchons donc à élargir notre électorat en refusant les codes politiques par lesquels on essaie de nous enfermer dans une position minoritaire.

Les alliances dépendent donc moins de LFI que de la manière dont les autres vont se positionner. Certains continuent à avoir des œillères et à penser que le choix qu’a fait Mélenchon en 2016 était de se lancer dans une grande aventure en solitaire pour avoir le contrôle, alors que c’était un choix tout à fait réfléchi, fruit d’une réflexion politique profonde. Aujourd’hui, ils commencent à réaliser qu’ils avaient tort. Dès lors, soit ils se rapprochent de l’espace de discussion dans lequel nous les accueillons à bras ouverts, soit ils décident de continuer à alimenter la sclérose de cette gauche déclinante. Ainsi, selon leur positionnement, nous ferons nos propres choix de discussion. Il faut notamment les appeler à la cohérence. Par exemple, lorsque mon adversaire socialiste – François Lamy, l’ancien ministre – critiquait la potentielle Loi Travail de Macron en se posant comme la caution de gauche à cette loi,  que je lui répondais que c’était le PS qui avait ouvert la brèche et qu’il répliquait « oui mais moi c’est différent », il y avait clairement un problème de cohérence entre lui et son propre parti. Nous leur demandons simplement une clarification. C’est-à-dire, par exemple, de voter contre la confiance au gouvernement, et cela ne dépend alors que d’eux. S’ils l’avaient fait, ils nous trouvaient à la table de discussion sans aucun problème.

LVSL : En Espagne, Podemos aussi refusait la latéralisation, mais pour gouverner Barcelone, Madrid et d’autres villes, ils ont dû passer des accords avec le PSOE bien qu’ils se fassent la guerre au niveau national. Peut-être est-il possible de trouver des gens mieux disposés au niveau local…

Nous verrons bien ce qu’il en est. Pour ma part, je suis désormais convaincu qu’il faut de la clarté et qu’il faut pour cela se tenir éloigné des tambouilles. Laissons les autres faire leur travail de réflexion propre. Ils doivent encore comprendre notamment que la langue qu’ils parlent est bien souvent une langue morte. Nous devons de notre côté faire ce dont nous sommes capables par nous-mêmes. Si nous utilisons véritablement les ressources dont nous disposons à l’action, nous pouvons lever de grands espoirs.

Pour le moment, on voit bien que l’on est dans un grand moment de recomposition des partis politiques, et c’est d’ailleurs aussi le cas à droite car En Marche vient marcher sur les plates-bandes des Républicains, ce qui déclenche des débats houleux chez ces derniers. Nous n’avons pas ce problème-là : le travail de construction idéologique et stratégique est fait, et nous avons donc un temps d’avance car nous sommes déjà dans le moment où nous pouvons discuter avec les autres et envisager la manière dont il faut avancer.

 

LVSL : Lors de la session extraordinaire, l’Assemblée nationale a adopté la loi d’habilitation qui permet au gouvernement de réformer le code du Travail par ordonnances. La réforme devrait permettre d’inverser la hiérarchie des normes, de précariser le CDI, de revoir le périmètre du licenciement économique ou encore d’outrepasser les syndicats (référendum, négociation sans délégué syndical mandaté). Pouvez-vous exposer plus concrètement les intentions du gouvernement ? En quoi cette loi diffère-t-elle de la loi El Khomri ?

Cette loi et les précédentes sont la traduction directe de directives européennes qui tracent les contours de la législation du Travail, avec pour logique de fond l’idée que le principal problème est celui du coût du travail et de son manque de flexibilité et de compétitivité. Il faut ici répéter qu’il n’y a pas de corrélation entre le droit du travail et la baisse du chômage, ce qui a été démontré par l’OCDE, mais aussi par le bilan du quinquennat Hollande. Pour notre part, la première étape est donc de démontrer que l’analyse de la question de l’emploi n’est pas bonne, et par la suite de prouver que ces lois ne profitent qu’au secteur des actionnaires d’entreprise, car sous couvert de dialogue social on renforce l’arbitraire patronal.

Sur la loi en tant que telle, la différence avec les précédentes, qui précisaient leur contenu, est que celle-ci est une loi dite « d’habilitation à légiférer par ordonnance sur » c’est-à-dire une loi qui délimite un périmètre à l’intérieur duquel le gouvernement pourra, disons-le franchement, faire à peu près ce qu’il voudra. Ce périmètre pose la suprématie des accords d’entreprise dans la hiérarchie des normes : Jean-Luc Mélenchon utilise donc à raison l’expression de « un code du Travail par entreprise », car c’est bien l’objectif du gouvernement qui souhaite que tout se fasse, dixit la ministre du travail, « au plus près du terrain ». Cela signifie qu’on rompt avec le cadre républicain d’une loi qui s’applique à tous. Selon le lieu où l’on travaille, on peut être soumis à un ordre juridique différent.

Rassemblement de la France Insoumise sur la place de la République à Paris, le 3 juillet 2017.

En ce qui concerne les points importants de la loi, on peut évoquer la question des instances représentatives du personnel — le comité d’entreprise, le CHSCT, les délégués du personnel — qui ont actuellement des compétences et des délégations propres, et que, sous prétexte d’archaïsme et de manque d’efficacité, on veut faire fusionner pour créer une instance unique. Il peut en résulter une perte de levier d’action pour les syndicats. La philosophie générale de la loi, en résumé, est de faire en sorte que toute autre personne que celles qui étaient habilitées à négocier aujourd’hui puisse le faire. Il s’agit de contourner les syndicats. On nous vend entre autres les bénéfices du référendum d’entreprise en prétendant que cela donne la parole au salarié, alors que l’on sait très bien que cela se déroule sous chantage, comme le montre par exemple le cas de Smart où les employés ont accepté une augmentation du temps de travail dans des conditions lamentables par crainte de licenciement et de délocalisation : référendum, certes, mais sous la forme d’un pistolet sur la tempe.

Il y a quelques éléments sur lesquels il faut également insister, comme la barémisation, non pas des indemnités prudhommales comme on le croit, mais des dommages et intérêts aux prudhommes, qui permettrait dorénavant à un patron de savoir combien va lui coûter un licenciement abusif. La loi préconise aussi l’extension du contrat de chantier à d’autres domaines que le bâtiment, c’est-à-dire qu’il pourra y avoir des chantiers dans tous les domaines : le contrat de chantier est présenté juridiquement comme un CDI alors qu’en réalité, il s’agit d’une mission, donc d’un CDD qui de surcroît ne comprend pas d’indemnités de précarité. Cela correspond à une véritable précarisation de l’emploi.

Un autre point important est que le texte du gouvernement dit qu’il faut revoir le périmètre d’appréciation des difficultés économiques des entreprises, mais il ne dit pas que ce sera le cas au périmètre national. Or, quand le texte passe au Sénat, celui-ci précise qu’il veut que ce soit un périmètre national. Il y a donc tout un jeu politique du « passe-moi le sel, je te passe le poivre » entre les uns et les autres, c’est-à-dire qu’une majorité ouvre une brèche en disant qu’elle ne souhaite pas aller plus loin, puis le Sénat qui est à droite passe derrière pour marquer le pli, et En Marche repasse finalement afin d’entériner le projet. J’ai personnellement assisté à la lecture à l’Assemblée du texte qui s’était durci en passant par le Sénat, suite à laquelle a été mise en place une commission mixte paritaire — c’est-à-dire sept députés et sept sénateurs — qui avait pour objectif de partir du texte du Sénat afin de trouver un compromis sur les points de désaccords : j’ai alors pensé que ce serait à nouveau une guerre de tranchées interminable, mais le travail a été expédié en une heure car ils s’étaient accordés sur à peu près tout, notamment sur les concessions faites à la droite et surtout sur un point central de la loi qui est l’appréciation du périmètre économique. C’est donc dans un jeu d’alliance objective entre la majorité et son opposition que le texte se trouve durci.

“La loi actuelle ne fait donc qu’achever de retourner l’ordre juridique et social qui régit les salariés du privé, à savoir environ 18 à 20 millions de personnes (…) Le projet d’Emmanuel Macron, c’est le remplacement du chômage de masse par l’emploi précaire.”

Néanmoins, ce texte n’est qu’un processus d’aboutissement de ce que l’on observe depuis des années, car la loi El Khomri avait déjà fait l’essentiel, et c’est une logique qui est valable dans plein d’autres secteurs. Prenez par exemple la privatisation des secteurs stratégiques comme EDF, où la législation n’a jamais été bouleversée d’un seul coup car les acteurs de ce changement savaient que cela serait impossible. Ils entreprennent donc toujours de « saucissonner » l’objectif en diverses lois qui passent à mesure que les quinquennats avancent, et si l’on rassemble tout — par exemple l’ensemble des lois comprenant notamment la loi de sécurisation de l’emploi, la loi Rebsamen, la loi Macron, la loi El Khomri et la loi Pénicaud —, on se retrouve face au saucisson dans son entier.

La loi actuelle ne fait donc qu’achever de retourner l’ordre juridique et social qui régit les salariés du privé, à savoir environ 18 à 20 millions de personnes. Le choix de l’été 2017 comme moment pour faire passer cette loi n’était d’ailleurs pas anodin, puisque l’Assemblée n’était pas encore tout à fait installée, et je caricature à peine lorsque je dis que nous devions étudier le texte dans les escaliers : nous avions trois ou quatre jours pour le lire et déposer l’amendement dans des conditions délétères. Tout a été pensé méthodiquement pour être sûr qu’il n’y ait pas de contestation possible. Le projet d’Emmanuel Macron, c’est le remplacement du chômage de masse par l’emploi précaire.

LVSL : Comment envisagez-vous la contestation sociale contre cette nouvelle loi Travail ? Ne craignez-vous pas une léthargie populaire liée à la période post-électorale et à la rapidité avec laquelle cette réforme est menée ?

Comme je le disais, tout a été calculé pour que la contestation sociale soit minorée, entre la venue de l’été et une session extraordinaire dans un moment où le Parlement n’était pas encore aguerri. Je considère même que la convocation du Congrès de Versailles le lundi où les amendements étaient attendus en Commission d’affaires sociales a contribué à freiner le travail d’amendement — même si je n’irais pas jusqu’à dire que le Congrès a été convoqué dans ce but.

Il est clair, étant donné ce que je viens d’expliquer, que le moment pourrait ne pas être favorable à une contestation sociale. Néanmoins, il y a un réveil attendu, notamment de l’opposition syndicale, puisque nous avons par exemple des syndicats comme la CFE-CGC qui ne sont pourtant pas les plus virulents et qui clament leur mécontentement. D’ailleurs, pour revenir au texte de loi, le fait de séparer les différents syndicats pour qu’ils ne s’assoient pas à la même table, tout en cachant cela sous une multiplicité de réunions, est aussi un choix stratégique. Toutefois, bien que nous ayons chez LFI notre propre analyse du texte de loi, nous nous gardons bien de commenter les stratégies syndicales et de prendre position sur les décisions des syndicats. En tous cas, j’entends de nombreux syndiqués autour de moi qui affirment qu’ils vont débrayer comme il se doit à la rentrée.

LVSL : A l’occasion de ces contestations, la France Insoumise va encore apparaître comme le camp de la résistance. Dans ces conditions, comment peut-elle faire émerger un ordre alternatif à la pagaille néolibérale ?

Nous avons autour de nous des gens qui ont rédigé un code du Travail alternatif, en collaboration avec un comité de recherche : il s’agit d’un code qui serait réellement émancipateur et protecteur, et que l’on voudrait faire prévaloir aujourd’hui car il permettait à l’employé d’être un véritable citoyen dans l’entreprise. On peut donc aussi, en disant que l’on défend le code du Travail, en proposer une version améliorée.

Pour revenir sur la mobilisation, je peux vous assurer que nous allons y contribuer. Nous avons commencé à nous préparer dès la session parlementaire, notamment en répandant les débats dans le pays afin qu’ils ne restent pas cloisonnés à l’Assemblée : il y a ainsi déjà eu des actions organisées par des militants de LFI afin d’expliquer les enjeux de la loi. Néanmoins, il est certain qu’il faut que le mouvement se réveille. Je suis inquiet de constater le décalage qui existe entre la gravité de ce qui se passe à l’Assemblée et le climat dans le pays : nous sommes face à une véritable liquidation d’un siècle d’acquis sociaux. Mais nous nous trouvons au terme d’un processus où tous les rapports au travail ont été individualisés, et il est donc très compliqué de mobiliser les gens pour engranger un phénomène collectif qui permettrait de défendre le modèle social que nos opposants sont en train de démonter méthodiquement, sachant qu’ils sont bien organisés pour le faire.

Pour l’instant, nous allons faire en sorte que la mobilisation syndicale du 12 septembre soit la plus importante possible. Notre initiative de mouvement politique sera le 23 septembre, durant laquelle le mot d’ordre sera « Contre le coup d’état social », car nous lions aussi à cela d’autres éléments qui participent de la même logique libérale, comme le fait que le CETA sera appliqué dès le 21 septembre transitoirement sans vote du Parlement. Cette marche du 23 septembre n’est pas celle de La France Insoumise. C’est notre initiative mais tout le monde peut s’en saisir.

Meeting du candidat Jean-Luc Mélenchon, le 18 mars 2017, sur la place de la République à Paris.

LVSL : A l’occasion des élections européennes, quelle ligne doit tenir LFI ? En effet, votre électorat ne souhaite pas forcément sortir de l’UE, même s’il est très critique et qu’il veut récupérer des parts de souveraineté, tandis que l’électorat FN est le plus eurosceptique. Allez-vous rester sur l’idée du plan A/plan B ? Allez-vous accentuer le rapport de force et envisager de sortir de l’euro en cas d’échec des négociations ?

La préparation de la sortie de l’euro est incluse dans le plan B. Le FN est pétri de contradictions sur cette question, mais en tout cas jusqu’à présent, dans son projet politique, il incluait la sortie de l’Union européenne. Ce que nous disons est différent. Nous souscrivons à l’idéal européen tel que conçu à sa création, c’est-à-dire un idéal de coopération entre les peuples pour éviter que la guerre ne revienne. Mais on remarque rapidement qu’une fois que les bonnes intentions ont été dictées, la construction européenne a été une construction libérale où l’économie a tout dirigé, et il en résulte aujourd’hui un paquet bien ficelé de pays qui n’ont pas les modèles sociaux ni les mêmes niveaux fiscaux et auxquels on a dit : « que le meilleur gagne ». Cela crée d’importantes tensions économiques qui contredisent largement les motivations pacifiques premières de la création de l’UE. Il y a donc un dévoiement complet de l’idéal européen.

“Si LFI arrive au pouvoir, et nous nous y préparons, elle s’assiéra à la table des négociations en disant que la France, pays fondateur de l’UE, refuse que le système se maintienne tel qu’il est : il sera alors temps de renégocier les traités.”

Aujourd’hui, nous considérons qu’il faut lutter contre l’Europe libérale qui nous enferme dans des directives, et il faut donc assumer un rapport de force, notamment face à l’Allemagne qui a des intérêts économiques totalement divergents des nôtres. L’Allemagne est un pays vieillissant là où la France rajeunit et sera bientôt la première puissance démographique d’Europe ; l’Allemagne est sur un système de retraite par capitalisation alors que nous avons un système par répartition, ce qui ne nécessite pas un euro fort contrairement à eux.

Si LFI arrive au pouvoir, et nous nous y préparons, elle s’assiéra à la table des négociations en disant que la France, pays fondateur de l’UE, refuse que le système se maintienne tel qu’il est : il sera alors temps de renégocier les traités. Nous avons la liste, dans le plan A, des revendications que nous souhaitons faire entendre. Nous savons bien que les pays à qui nous allons soumettre cela, l’Allemagne en tête, n’y ont pas intérêt, bien que d’autres pays seront très probablement de notre côté, tels que l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Si la réponse est positive, nous pourrons avancer vers la construction d’une autre Europe. Si la réponse est négative, il sera temps d’appliquer le plan B : nous commencerons par désobéir et nous organiserons une sortie unilatéralement.

Mais la menace du plan B n’est pas un objectif politique en soi, et il participe même d’une manière à rendre crédible le plan A. C’est parce que nous avons un plan B, que nous pouvons mettre en avant avec force le plan A. En ce sens, Alexis Tsipras, en Grèce, a fini par plier car il a cru que le plan A suffirait. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, croit véritablement que si Merkel et les autres lui opposaient une fin de non recevoir et qu’il tentait de s’en aller, ils ne le laisseraient pas quitter la salle car ils feraient le calcul de ce que cela leur coûterait. En effet, si la France sort de l’Europe, cela aurait pour conséquence la dislocation de l’Europe. Le pari que nous faisons est que l’Europe ne peut tenir sans la France. Toutefois, si nous devons en arriver à appuyer sur le bouton nucléaire, nous le ferons. Ce n’est pas une menace en l’air. Mélenchon l’a dit, dans ces formules lapidaires : « Entre l’application de notre programme, et l’Union européenne, nous choisirons toujours le programme. Entre la souveraineté du peuple français et le respect des traités européens, nous choisirons toujours la souveraineté ». Mais il est important de rappeler que le problème n’est pas « l’europe en soi » mais « cette europe là ».

Entretien réalisé par Antoine Cargoet, Sarah Mallah et Lenny Benbara

 

Crédits photo :

Sarah ALCALAY

http://www.lejdd.fr/politique/comment-les-deputes-de-la-france-insoumise-saisissent-le-leadership-de-lopposition-3386561

http://www.europe1.fr/politique/la-photo-comme-un-bachelier-qui-a-reussi-son-examen-3389120

Découvrez Fincome, l'outil ultime pour la gestion des abonnements et des finances SaaS