Pour le mois d’avril, le journal le Ravi sortait un dossier sur le survivalisme. Au sommaire la montée des eaux, la disparition des espèces, les stages de survie… Mais aucun sujet sur une espèce pourtant rodée à la vie en milieu hostile : le salarié du Ravi.
Les 4 P (Presse Pas Pareille Provençale)
Le Ravi, éponyme d’un personnage de la crèche provençale qui a toujours les mains en l’air, est un mensuel de satire et de caricature régional. Malgré une trésorerie restreinte, à l’image de ses 1500 ventes par mois, il assume un pari audacieux : balader son irrévérence uniquement en région PACA, dans laquelle il est diffusé au format papier, et ne pas courir derrière l’actualité.
« On va moins vite, mais on va plus loin et ailleurs », commente le rédacteur en chef Michel Gairaud. Le constat fait par les initiateurs du journal il y a 16 ans était une absence de médiatisation des politiques publiques en Provence. « On avait plein d’infos sur les bras mais aucun canal de diffusion » se rappelle Guillaume Hollard, économiste universitaire. Aujourd’hui l’irréductible Ravi milite encore et toujours en Provence pour une presse pas pareille dans les milieux participatifs, associatifs et institutionnels.
Sa force, c’est son ancrage territorial. C’est donc pour les unes locales qu’il enregistre ses meilleures ventes. L’affichage permet de rappeler le mensuel satirique local au souvenir des habitués des kiosques lorsqu’ils passent récupérer leur presse nationale. Mais impossible d’embaucher un colleur d’affiche à la journée, ou d’en faire à chaque parution l’activité exclusive d’employés déjà bien occupés. Avec un total de 5 temps-pleins et demi, et malgré le dopage au café, difficile d’animer les ateliers d’éducation à la presse, écrire les 24 pages (ou plus), gérer l’administratif, la communication, la diffusion, etc. Comme dans d’autres titres, l’embauche de stagiaires bénévoles permet à peine de souffler.
Le modèle des pigistes : « c’est peut-être plus efficace, […] mais ce n’est pas ce qu’on veut faire »
Mais face au modèle répandu des pigistes, sortes d’intérimaires de rédaction, le choix est fait. « C’est moins cher, c’est plus souple [rire], c’est peut-être plus efficace, […] mais ce n’est pas ce qu’on veut faire. Nous on a toujours créé des postes un peu précaires, mal payés, des contrats aidés et on les a toujours pérennisés » explique le rédacteur en chef. Pas ubérisés, donc, mais pas archaïques non plus. Pour s’adapter à une presse écrite où fleurissent les versions en ligne et où la loi de l’actu fait rage, le mensuel papier travaille sur la refondation de son site Internet. Afin d’éviter par exemple de se faire voler la vedette à quelque jours de la sortie d’une exclu par un site d’info ou un quotidien. Ou d’avoir à compter exclusivement sur des points de vente de plus en plus rares, et où l’affichage libre n’est pas la norme.
Satire à balles réelles
Pour pérenniser une espèce, c’est bien connu, il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier. Alors afin de ne jamais avoir à compter sur un autre 7 janvier 2015 pour atteindre ses records de ventes, le Ravi s’appuie aussi sur la pub et les subventions publiques. Cela pose des questions : quand l’organisme culturel marseillais La Friche de la Belle de Mai prend de la publicité dans ses pages, le Ravi doit-il s’abstenir de rétorquer qu’elle est la marionnette de la gentrification de l’arrondissement le plus pauvre de France ? Ou encore, faut-il réfléchir à deux fois avant d’attaquer la présidente d’une collectivité locale pourvoyeuse de subventions ? Michel Gairaud le rédacteur en chef est catégorique « Non sinon on est morts ! […] Il faut se discipliner ». L’impertinence aux dépens, si il le faut, de la santé financière.
D’ailleurs, en 2014, le conseil général des Bouches-du-Rhône cessait de subventionner le Ravi dans le cadre de l’aide aux médias associatifs. Étonnamment, Jean-Noël Guérini, à l’époque président du même conseil général des Bouches-du-Rhône, reprochait aux journalistes « leurs sarcasmes, leurs critiques et leurs attaques ». Interpellé directement sur le sujet, le président du CG13 avait répondu « Je vous propose d’être principal actionnaire de votre journal. […] Avec la liberté absolue ! ». Le satirique local détenu uniquement par une association loi 1901, a dû faire la grimace. Invité récemment à un débat organisé par Libération, Michel Gairaud plaidait alors : « Il y a un lien direct entre à qui appartiennent les journaux et ce que l’on lit dedans, c’est évident ! ».
Enfin, en PACA, quand les journalistes titillent les élus sur leurs casseroles, certains sont surpris. Au point de vouloir savoir « qui [les] paye pour écrire ça ! », en rigole l’économiste Guillaume Hollard. Les plus susceptibles répondent par des attaques judiciaires en diffamation, pour assécher financièrement les curieux. Après une multitude de procès-bâillon depuis 2003, le Ravi va bientôt inaugurer sa première cassation pour avoir qualifié de « pieuvre » un organisme public varois. Les offusqués réclament 32 000 euros, de quoi remplir pendant deux ans l’assiette de la journaliste qui a mené l’enquête. La survie au Ravi, c’est « Pasta o Plomo ».