Avignon : Macbeth joué par des détenus de la prison du Pontet dans le in

Macbeth Philosophe – Olivier Py et Enzo Verdet – © Christophe Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

Macbeth philosophe est une pièce de théâtre mise en scène par Olivier Py, directeur du festival d’Avignon et Enzo Verdet, issue d’un partenariat avec la prison du Pontet. La pièce est émouvante, forte, et donne la parole et une reconnaissance à des individus souvent rejetés et incompris par la société.

Macbeth revisité par Olivier Py et Enzo Verdet est issu d’un partenariat entre la prison du Pontet et le festival d’Avignon depuis cinq ans. Renommé Macbeth philosophe, cette pièce vibrante permet de regarder autrement ces personnes condamnées par la société. C’est une prise de liberté, une réintroduction dans la population qui s’en est pourtant protégée. Aujourd’hui la distance avec ces prisonniers n’est que de quelques mètres et la confiance règne, que ce soit du côté de l’organisation comme celui du public qui, curieux, s’est attroupé autour de la scène. Personne ne connaît leur histoire en tant qu’individu, en tant que prisonnier. Ce qui est roi est le texte, le jeu de ces comédiens et les émotions qu’ils nous procurent. Le théâtre donne une seconde chance, une porte d’entrée.

Partenariat avec la prison du Pontet

Le partenariat entre le festival d’Avignon et la prison du Pontet existe en réalité depuis quinze ans. Il a commencé par faire jouer des pièces du festival dans la prison. Il s’est poursuivi avec des sorties organisées lors de représentations à l’extérieur de la maison carcérale. Il y a cinq ans, un détenu a demandé à ce qu’un atelier soit créé. Depuis, chaque année, des détenus montent et jouent une pièce au festival d’Avignon dans le in. « Ce sont les permissionnables que nous choisissons pour jouer dans les pièces et participer aux ateliers. Ils ont dépassé la moitié de leur peine et ont entamé le cursus de réinsertion. Ce cursus inclut des sorties pour aller voir la famille, trouver du travail. Dans ce cas ils sortent seuls, cela n’entraîne pas de problèmes juridiques pour les intégrer au festival » commente Enzo Verdet, metteur en scène de la pièce.

Tout le monde est invité à participer. Les permissionnables sont privilégiés : leur peine est plus longue et permet d’aller au bout du processus. Des détenus qui seraient en maison d’arrêt pour des peines courtes ou en attente de jugement peuvent en cours d’année arrêter et bloquer le processus créatif.

Selon l’expérience, on s’aperçoit que le théâtre en prison a joué un rôle exutoire et de transition vers une nouvelle vie. Beaucoup arrêtent en sortant de prison malgré leur volonté première de continuer. « C’est dans la tête de beaucoup et beaucoup qui sont déjà sortis. Ils l’avaient en tête mais les sorties c’est souvent très prenant. Il faut avoir un boulot qui soit stable en sortant. Ceux qui me disent qu’ils veulent en faire le métier une fois leur peine terminée, je leur déconseille car obtenir le statut d’intermittence est compliqué. En revanche certains persistent. Yousseff a terminé sa dette à l’Etat et est venu jouer Macbeth, un autre s’est inscrit au conservatoire. Mais à l’extérieur il y a des priorités qui sont autres. Le théâtre est une liberté. Une fois qu’ils sont libres ils n’en ont plus forcément besoin » explique Enzo Verdet.

Le théâtre comme ouverture à la rencontre

A la fin, toute la salle est debout pour applaudir chaleureusement et longuement. Rares sont les pièces qui trouvent l’unanimité du public comme cela a été le cas cette fois ci. Les comédiens sont attachants avec leur accent du sud, ils se sont réappropriés la pièce. Macbeth, à travers eux, est au fond un personnage qui se questionne sur l’acte de tuer, de dévier et enfreindre la loi pour un gain qu’est ici devenir roi. Métaphore de leur condition, des choix qu’ils ont fait en tant qu’individu qui les a amené sur la route des hors la loi.

Macbeth est une des pièces les plus noires de Shakespeare. Ici le fond et la forme collent à la peau des comédiens. L’émotion est forte lorsque l’on sait d’où ils proviennent. On partage avec eux un moment fort de leur vie. C’est plus qu’une pièce de théâtre jouée par de professionnels, c’est un territoire de liberté, une réunion entre des fâchés, des France qui s’ignorent. Entre des français éduqués culturellement et une France cachée et retenue qui n’a jamais imaginé un jour pouvoir partager et vivre des instants de théâtre. « Ils se sont toujours dit que le théâtre ça n’était pas pour eux. Aucun n’a imaginé faire du théâtre un jour avant cet atelier » confirme Enzo Verdet.

À la fin, un des comédiens prend le micro et réunit ceux qui ont permis cette pièce et des comédiens. Il ne sait pas trop quoi dire, il improvise. C’est son moment, sa voix, ses paroles, que tout le monde écoute, peut-être pour une fois.

Avignon : Outside, une pièce de théâtre photographique

Outside © Christophe Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

Hommage à Ren Hang que le metteur en scène russe d’Outside Kirill Serebrennikov propose dans cette pièce, l’exigence d’un photographe est à la hauteur de cette création, les images aussi belles les unes que les autres se succèdent pour le bon plaisir du public.

Cette pièce jouée à Avignon est un hommage au photographe et poète chinois Ren Hang. Kirill Serebrennikov et Ren Hang devaient travailler ensemble sur une pièce. Peu après un premier contact sur les réseaux sociaux, Ren Hang se suicide. Kirill Serebrennikov, choqué décide de lui rendre hommage à travers Outside. Les deux se retrouvent représentés à travers des comédiens qui racontent cette histoire et chantent les poèmes de Ren Hang. Ren Hang, le personnage prend des photos de comédiens tout le long de la pièce. Ces derniers jouent des modèles, non pas chinois comme lui, mais russes. Le personnage qui joue Kirill Serebrennikov montre une certaine obsession de Ren Hang. « Je ne pouvais penser à rien d’autre qu’à toi », déclare-t-il.

Au-delà d’un hommage, c’est une histoire réelle, un épisode de la vie du metteur en scène qui est ici montré. La pièce, comme résilience de ce moment traumatisant pour Kirill Serebrennikov, est un chef d’œuvre. Il montre aussi un souvenir marquant dans la vie du metteur en scènce :  une perquisition qui l’a amené à être interdit de sortir de Russie. À la fin de la pièce, les comédiens arbore un tee-shirt « Free Kirill ».

À l’inverse du travail de Ren Hang, Kirill Serebrennikov rend sa pièce politique, à la fois pour lui mais aussi à la fois pour Ren Hang. On le voit avec le personnage de la mère de Ren Hang qui nie en bloc la mort de son fils. Sa mère pourrait représenter l’image de l’État chinois qui ne veut pas reconnaître le travail de Ren Hang : jusqu’à ses actions et même sa mort. Une Chine qui tait, qui cache. Voilà la dénonciation de Kirill Serebrennikov

Le personnage de Ren Hang fume tout le long de la pièce, symbole ici de liberté sur scène. C’est une situation qui a été longtemps refusé sur les planches. Aujourd’hui acceptée, elle préfigure une volonté de parler de liberté, liberté de faire devant un public. Mais aussi liberté de dénuder des corps sur scène.

La nudité comme liberté

La nudité est au centre de la pièce et du travail de Ren Hang, dans ses poèmes comme dans ses photos. La nudité ne peut être exemptée pour un hommage au travail de Ren Hang. Elle est la clé, l’identité même de ses créations. Elle apparaît dans la pièce comme un élément de liberté. Même si Ren Hang dément sa volonté de faire de la politique avec ses photos, son travail était censuré. Il était lui même en permanence persécuté. C’est une liberté pure, dégagée de revendication, qui se suffit à elle-même.

Les tabous sont jetés pour revenir à la simplicité du corps et sa beauté sublimée par la créativité de Ren Hang. Kirill Serebrennikov qui propose les images que les comédiens donnent à voir par des poses éminemment créatives. On oublie rapidement que les comédiens sont nus. Ils deviennent des créations à part entière. Les corps n’appartiennent plus aux occupants, mais à l’artiste, au public. Ses photos, considérées comme obscènes, posent problème au Parti Communiste Chinois. Pourtant, Ren Hang n’a jamais arrêté de continuer son travail, tout en restant en Chine.

L’émancipation du corps par les formes

Le corps est au centre de la pièce. Le corps est aussi libéré des mœurs à travers le personnage d’un danseur. Il a « des fesses et des jambes d’éléphant », comme dit dans la pièce, une image contraire au stéréotype du danseur professionnel. Ses gestes ne sont pas gracieux, pas laids non plus, ils sont même demandés par une compagnie. Parole d’une communauté qui reconnaît la différence et l’acceptation du corps et de soi. À l’encontre des règles implicites de la danse, qui imposent une image, une finesse du corps que ce danseur n’a pas.

Le travail de Kirill Serebrennikov s’est prêté au regard de Ren Hang et montre une pièce à travers un œil de photographe. L’esthétique est travaillée, pointue. On assiste en direct à un shooting en mouvement, vivant. Les images qui se succèdent sont belles, tant les unes que les autres. C’est un magazine de photographie vivant.

Avignon : £¥€$, plongée dans les rouages de la finance

©Festival d’Avignon

£¥€$ est une pièce de théâtre participative du in du festival d’Avignon qui s’est jouée du 5 au 14 juillet à la Chartreuse. Acteur de la pièce, le public vit et ressent ce que vit un trader au quotidien avec une puissance déconcertante. De quoi susciter une curiosité plus approfondie des mécanismes et des règles qui régissent le monde de la finance dès la sortie de la salle.


La pièce tourne dans le monde depuis 2017, elle a été jouée plus de 300 fois. Il y a une version anglaise, russe, elle a été reprise au Kazakhstan et va être prochainement réadaptée en Chine. À la manœuvre, la compagnie flamande Ontroerend Goed. Quatre comédiens/créateurs et un directeur artistique et metteur en scène, Alexander Devriendt. La comédienne Aurélie Lannoy, seule francophone de la compagnie, joue le rôle de traductrice. C’est la première entrée de cette compagnie dans le in du Festival d’Avignon, leurs dernières créations comme Fight night se jouaient à la Manufacture dans le off.

Réguler la finance

La pièce illustre une volonté d’aller toujours plus loin dans la recherche du gain par les traders. Elle présente des situations concrètes, comme lorsqu’il s’agit de payer les gouvernements pour encourager la dérégulation et offrir toujours plus de droits aux banquiers. La compagnie à l’initiative de £¥€$ propose à la fois une critique et une mise en situation permettant de se mettre à la place du spéculateur. « La première vague représente des investissements matériels qui correspondent à l’immobilier, l’agriculture, l’acier, l’énergie où il n’y a pas beaucoup de risques, puis le risque augmente pour tout ce qui est recherche, communication, technologie plus complexe et ensuite on passe aux investissements qui ne font plus partie de l’économie réelle, comme les produits dérivés. Chaque vague d’investissements correspond à une période historique allant des années 30 jusqu’au crash boursier de 2008 », explique la comédienne Aurélie Bannoy. La musique accompagne chaque période historique illustrée dans la pièce, des musiques des années 30 à de la techno. Le jeu accélère aussi, à la fin il faut faire des investissements de plus en plus rapides.

Expérience de la bourse

Le jeu prend la forme du black jack accompagné d’une narration sur la bourse. « On ne pouvait pas traiter de manière frontale notre sujet avec une scène et des gens qui regardent, précise Aurélie Lannoy. Pour nous l’économie est un sujet qui fait peur aux gens, où les idées reçues sont parfois importantes. On a des préjugés par rapport à l’économie. On a rapidement l’impression qu’on ne va pas comprendre parce que ça paraît compliqué, donc en mettant les gens à travers l’immersif, ça passe plus par l’émotion que par la tête. Ceux qui sont aux manettes de notre économie sont déconnectés de la réalité, surtout lorsqu’on parle d’investissements à haut risque, ils jouent eux aussi » commente Aurélie Lannoy.

C’est l’enjeu de cette pièce, ne pas passer par la rationalité mais par les émotions, le corps, les pulsions. Selon les personnalités des spectateurs-participants, les envies, les comportements, cette pièce variera du tout au tout. J’ai décidé d’être au plus près du jeu et d’aller au maximum des règles autorisées. Grâce à cette mise en scène, j’ai de l’empathie pour les traders, une situation que je ne pensais jamais vivre. « C’est humain », commente Aurélie Lannoy, comme le comportement excessif des traders qui prennent énormément de risques. Passer par l’émotion, être mis à la place de, fait que l’on ne prend pas de distance par rapport aux événements, ça n’est pas une réflexion froide mais un corps chaud qui danse avec le jeu. Je misais, et je sentais une pulsion dans mon corps qui voulait gagner toujours plus puis recommencer. Les traders sont-ils des accrocs au gain ? L’envie de faire plus que les autres, que mes voisins m’habitait. La compétition entre traders et l’appât du gain sont souvent dénoncés lorsque la finance est critiquée mais n’est-elle pas naturelle ? N’est-ce pas un fondement de la nature humaine ? Le pire est que l’on peut gagner sans jamais perdre. Où est donc la régulation ?

Cette pièce rentre dans une catégorie rare qu’est celles des pièces participatives. Il est difficile de trouver des pièces qui sortent du cadre des cinq actes, de la psychologie des personnages et du conflit dramaturgique. Rien que pour le pari de la participation du public, £¥€$ est une création à saluer. Au-delà, l’objectif est atteint, on comprend mieux le fonctionnement de la spéculation et le sentiment qu’un acteur de la bourse peut en retirer lorsqu’il investit. Les créations de la compagnie Ontroerend Goed sont à suivre de près.