Traité de libre-échange UE-MERCOSUR : la liberté de tout détruire

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Déforestation et destruction des terres indigènes dans la forêt amazonienne ©Ibima

Plus rien n’arrête la Commission européenne. Depuis la conclusion de l’accord commercial avec le Canada (AECG/CETA) en 2016, elle en a déjà signé un autre avec le Japon (JEFTA) en juillet dernier et vient d’annoncer victorieusement, après deux décennies de négociation, la signature vendredi 28 juin, d’un nouveau traité de libre-échange qui lie l’Union européenne et les pays du MERCOSUR (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay). Une course effrénée qui semble insidieusement occulter les préoccupations écologiques, démocratiques et sanitaires que recèlent ces traités.


 

Le nouvel accord commercial UE-MERCOSUR, aux allures historiques, est jugé comme faisant contrepoids au protectionnisme du président Trump[1]. La Commission européenne est fière d’annoncer qu’il prévoit des baisses de tarifs douaniers de 4 milliards d’euros annuel en faveur de l’UE faisant de lui le « traité le plus important jamais négocié par l’UE ». En effet, les taxes sur ses importations de voitures, pièces détachées, produits chimiques, vins ou encore de spiritueux en direction de l’hémisphère Sud devraient disparaître. Cependant, la création de ce marché intégré de 780 millions de citoyens-consommateurs sud-américains comme européens, a un coût.

En contrepartie, Bruxelles a notamment concédé au marché commun du Sud l’importation massive sur le territoire européen de denrées bovines en provenance de l’Argentine et du Brésil, tous deux grands producteurs d’OGM.

De surcroît, alors même que les négociations se sont déroulées dans l’opacité, le texte intégral demeure encore indisponible. Pour l’instant, il faudra se contenter d’éléments essentiels sur l’accord[2].

L’agriculture traditionnelle à l’épreuve d’une forte concurrence et d’importants problèmes sanitaires

Ce ne sont pas moins de 99 000 tonnes/an de bœuf (55% de produits frais et 45% de produits congelés), 180 000 tonnes/an de volaille et 25 000 tonnes/an de porc, qui devraient inonder le marché européen, venant fortement concurrencer les agriculteurs français, déjà accablés. Scandalisés, les agriculteurs des réseaux FNSEA et Jeunes agriculteurs se sont rassemblés mardi 2 juillet au soir dans toute la France, pour dénoncer les profondes distorsions de concurrence qu’ils craignent de subir avec l’importation de denrées agricoles d’Amérique latine produites selon des standards de moindre qualité et à moindre coût[3]. Une crainte justifiée concernant la teneur de ces denrées en hormones, antibiotiques et pesticides.

Le Brésil a homologué 239 pesticides en 6 mois, dont une forte proportion de produits classés toxiques ou hautement toxiques pour la santé et l’écologie et dont 31% sont interdits dans l’UE. Même si l’on pourrait espérer que les pays du MERCOSUR seraient obligés, au moins concernant les produits à destination de l’UE, de se conformer aux standards européens, en aucun cas l’accord incite l’UE à diminuer sa propre utilisation de ces produits et ce malgré la récente alerte de l’IPBES – Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques – sur le déclin de la biodiversité et ses recommandations quant à la réduction de l’utilisation des pesticides.

D’autant plus qu’aucun mécanisme de traçabilité des produits n’a encore été révélé. Pourtant, une aussi grande quantité de produits importés nécessite un important contrôle de la part de l’UE afin d’assurer que les produits circulants sur son territoire soient soumis aux mêmes degrés de vigilance sanitaire. Cela aurait dû faire partie des points dits essentiels de l’accord.

Après le CETA et avec l’accord EU-MERCOSUR, quoi de plus savoureux pour nous mettre en appétit que d’avoir conscience qu’il sera bientôt plus probable que l’on retrouve dans nos assiettes une viande étrangère nourrie aux hormones dont les conditions d’élevage nous seront inconnues et ayant parcouru des kilomètres plutôt qu’une viande de pâturage issue de l’agriculture française ?

La prétendue protection de l’environnement grâce au commerce, un alliage qui ne convainc plus.

A l’heure où la Commission européenne devrait s’afférer à préparer la transition écologique, l’urgence climatique ne semble pas être la priorité de son agenda. A contrario, elle imagine encore que la conclusion d’accords de libre-échange œuvre à la protection de l’environnement, énonçant sans rougir que « cet accord aura également des effets positifs sur l’environnement ». Même un paragraphe intitulé Trade and Sustainable Development figure dans la liste des éléments essentiels de l’accord[4].

Le concept de développement durable comme logique de conciliation du développement économique et protection de l’environnement, est assez ancien puisque déjà l’OMC considérait en 1994 « qu’il ne devrait pas y avoir, et qu’il n’y a pas nécessairement, de contradiction […] entre la préservation et la sauvegarde d’un système commercial multilatéral ouvert […] et les actions visant à protéger l’environnement et à promouvoir le développement durable ».[5]

« Le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques. L’amplifier ne fait qu’aggraver la situation. »

Ce discours qui tend à légitimer la libéralisation du commerce international doit désormais être révolu. Accroître la production nécessite l’accroissement des activités industrielles. Ainsi, le recours aux transports pour l’acheminement des marchandises fabriquées augment autant que l’utilisation de combustibles fossiles comme le charbon et le pétrole. Cela a pour conséquence d’aggraver la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre, ce qui concourt considérablement au réchauffement climatique.

La méprise a trop duré. Comme l’a confié Nicolas Hulot, ancien ministre de l’écologie, au journal le Monde : « le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques. L’amplifier ne fait qu’aggraver la situation. Il faudra d’ailleurs comprendre un jour qu’une des premières obligations va être de relocaliser tout ou partie de nos économies. »

Si la Commission européenne affirme que l’accord UE-MERCOSUR devra être conditionné au respect de l’accord de Paris sur le climat, aucun objectif concret visant à décarbonner les procédés et méthodes de production pour répondre aux objectifs de l’article 2 de l’Accord de Paris[6] n’est précisé dans les points essentiels.

Par ailleurs, tout comme le CETA, la procédure de règlement des différends relatifs à l’environnement et le travail prévoit seulement des « recommandations publiques » en cas d’une violation de leurs obligations en la matière. La procédure est différente de celle régissant les conflits commerciaux, qui prévoit des sanctions économiques. Cette hiérarchie de valeur fait une fois de plus prévaloir la protection du commerce sur celle de l’environnement et des conditions de travail.

Une politique de l’autruche face aux actes anti-démocratiques et écocides du Brésil

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Jair Bolsonaro © Fabio Rodrigues Pozzebom/Agência Brasil

La situation démocratique et écologique au Brésil depuis l’investiture en janvier du président d’extrême droite, Jair Bolsonaro inquiète autant les ONG environnementales que celles qui militent pour le respect des Droits de l’Homme. Greenpeace soulignait à quelques heures de la signature de l’accord que l’arrivée au pouvoir du gouvernement Bolsonaro a conduit au démantèlement de protections environnementales, toléré les incursions d’hommes armés sur les terres des peuples autochtones et supervisé une augmentation spectaculaire du taux de déforestation en Amazonie.

La participation du Brésil à cet accord de libre-échange rend complices les autres parties par leur inertie face à sa politique anti-démocratique et écocide.

Néanmoins cela ne semble pas ébranler notre président Emmanuel Macron qui a salué la conclusion de ce traité en déclarant samedi dernier en marge du G20 que « cet accord est bon à ce stade, il va dans la bonne direction ».

Et ce, tout en fustigeant la politique criminelle de Bolsonaro ou après avoir certifié en février 2018 devant l’inquiétude des agriculteurs qu’« il n’y aura jamais de bœuf aux hormones en France » ni « aucune réduction de nos standards de qualité, sociaux, environnementaux, ou sanitaires à travers cette négociation ». Encore une posture hypocrite, pourtant décriée depuis plus de 8 mois par les Gilets jaunes.

Même si l’accord UE-MERCOSUR doit encore être validé par le Conseil européen, le Parlement européen et les parlements nationaux, permettra-t-on une fois de plus que le bien commun soit sacrifié sur l’autel du libre-marché ?

 

 

[1] Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne : « Je pèse soigneusement mes mots lorsque je dis qu’il s’agit d’un moment historique. Dans un contexte de tensions commerciales internationales », Communiqué de presse de la Commission Européenne, vendredi 28 juin, 2019.

[2] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/june/tradoc_157964.pdf

[3] AFP, le 2 juillet 2019

[4] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/june/tradoc_157964.pdf, pt. 14.

[5]  Décision sur le commerce et l’environnement, adoptée par les ministres à la réunion du Comité des négociations commerciales du Cycle d’Uruguay qui s’est tenue à Marrakech le 14 avril 1994.

[6] Article 2, §1 a) : « Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C »

Intégration du CETA dans le droit européen : une victoire décisive des multinationales

© CETA Vote Action Strasbourg

Bien qu’il semble que la nouvelle n’ait pas mobilisé une grande partie des médias, un pas décisif a été franchi ce mardi 30 avril en marge des négociations sur le CETA (Comprehensive economic and trade agreement). La Cour de justice de l’Union européenne a jugé le mécanisme ICS (Investment Court System), régisseur des litiges entre firmes et États promu dans le cadre du traité commercial, comme étant « compatible avec le droit primaire de l’Union européenne ». Une décision qui en dit long sans pour autant surprendre outre-mesure lorsque l’on se penche sur le droit européen.


Un contournement de l’intérêt public et souverain au profit des intérêts privés

« Vous pourrez réglementer mais vous devrez parfois payer », voici comment un représentant canadien aurait répondu aux inquiétudes des députés wallons sur l’application de l’ICS, mécanisme qui prévoit le court-circuitage en règle de toute décision de justice nationale ou norme nouvelle qui met à mal les profits d’un investisseur étranger en lui donnant les moyens juridiques de contester une décision d’ordre public et de demander réparation. L’inverse n’est pas vrai, l’ICS ne permet pas qu’un État puisse attaquer en retour un investisseur étranger pour violation de normes nationales. Les compensations financières exigées ne sont pas plafonnées et peuvent comprendre à la fois le dédommagement d’un investissement réalisé comme le rattrapage de profits anticipés et avortés.

« vous pourrez réglementer mais vous devrez parfois payer », voici comment un représentant canadien aurait répondu aux inquiétudes des députés wallons sur l’application de l’ICS.

L’impact le plus attendu pour les investisseurs étrangers est d’ordre dissuasif. L’ICS leur permet d’éviter toute mesure protectionniste avant même qu’elle ne soit envisagée. Devant les risques encourus pour les États-membres ou pour les autorités locales, ces tribunaux d’arbitrages menacent d’abaisser encore un peu plus les standards de régulation nationale. D’autant plus qu’il serait trompeur de réduire la crainte que ces leviers d’arbitrages investisseur-État suscitent aux seuls investisseurs canadiens, puisqu’il y a une interconnexion qui existe entre les deux économies nord-américaines voisines que sont les États-Unis et le Canada, notamment à travers de nombreuses filiales.

Ces tribunaux spécialisés arbitrés par des juges privés, dont il serait de bon droit de préjuger de l’impartialité, et par des avocats d’affaires, s’inscrivent dans la nouvelle stratégie des multinationales pour attaquer les États en justice. L’objectif est de tuer dans l’oeuf toute mesure de rétorsion et de rogner sur les normes sanitaires, environnementales ou autres qui sont celles des États concernés.

Une justice parallèle d’exception en faveur des investisseurs

En érigeant leur droit de façon prioritaire par rapport aux considérations socio-environnementales, ces nouvelles normes assorties de sanctions pour les États membres tournent à l’avantage des investisseurs et d’un impératif de rentabilité. Il s’agit en cela d’un traitement juridique exceptionnel à au moins deux égards. Tout d’abord parce que ce mécanisme, conçu pour encourager les investissements étrangers, fait bénéficier l’investisseur d’une jurisprudence privilégiée par rapport aux États membres, aux ONG ou aux syndicats. Ensuite parce que ce mécanisme est en conflit direct avec les règles du droit international. Ainsi, tout État membre qui se contenterait de faire appliquer des conventions internationales aussi orthodoxes que les accords de Paris, pour faire respecter des normes environnementales, seront passibles de poursuites en cas de perte de profit d’un investisseur étranger. Ce mécanisme ne tolère en outre aucune exception, ni d’ordre sanitaire, ni d’ordre culturel ou social.

Mais ce n’est pas tout, ces tribunaux d’arbitrages ne respectent pas non plus les exigences en matière d’indépendance et d’impartialité judiciaire. Ces mesures d’exceptions en faveur des entreprises constituent une orientation politique que l’Union européenne ne saurait camoufler derrière une apparente neutralité légaliste. Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit d’un choix radicalement idéologique dont la légalité ne saurait susciter un sentiment de légitimité sinon le sentiment d’une judiciarisation de l’injustice. L’impuissance des citoyens européens à faire entendre leurs revendications d’intérêt général se voit un peu plus renforcée par cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

Cette décision est par ailleurs à contre-courant des négociations en cours à l’ONU, auxquelles l’Union européenne a subitement suspendu sa participation, qui concernent la protection des droits humains et environnementaux en responsabilisant juridiquement les entreprises multinationales. Car si l’ICS ne respecte pas les standards internationaux en matière de commerce et de justice, il ne faudrait pas croire pour autant qu’un tel mécanisme ne soit pas en accord avec le droit européen. Un droit européen dont le paradigme juridico-économique semble être celui d’un marché concurrentiel en vase clos juridique qui se soucie davantage de reproduire les conditions parfaites du libre-échange que celui de l’intérêt général des populations européennes.

Une décision logique

Le plus étonnant dans cette affaire ne devrait pas être de considérer que cette décision serait en rupture avec les principes de l’Union européenne ou qu’elle constituerait une quelconque trahison. Le plus marquant, c’est bien qu’elle s’inscrive en droite ligne de ce qu’est l’Union européenne, au moins depuis Maastricht. D’un point de vue légal, le système de règlement ICS est tout à fait conforme au droit européen, et c’est bien là le problème.

Le mécanisme ICS est sans aucun doute un scandale sanitaire, écologique, économique, public, politique, mais en aucun cas un scandale juridique, du moins du point de vue du droit communautaire européen.

L’autre dimension que recouvre le dispositif ICS est l’accroissement de la souveraineté européenne sur les États membres, en tant qu’elle neutralise un peu plus la capacité des États à contrôler et à restreindre les flux économiques. Mais cette conséquence s’inscrit en conformité avec la libre circulation des bien et des capitaux, parmi les quatre libertés fondamentales du marché unique européen, et entre en résonance avec l’arrêt Sandoz GmbH 1999, même si jusqu’ici la logique inscrite dans l’article 65 du TFUE [ndlr, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne] ne s’étendait pas aux mesures d’ordre public. Le fait est qu’avec ce dispositif, les citoyens européens auront encore moins leur mot à dire sur des retombées qui vont pourtant impacter leur quotidien de façon significative.

Le mécanisme ICS est sans aucun doute un scandale sanitaire, écologique, économique, public, politique, mais en aucun cas un scandale juridique, du moins du point de vue du droit communautaire européen. Au vu des accords déjà signés avec Singapour, et bientôt avec le Vietnam, on aurait tort de croire que l’Union européenne s’arrêtera en si bon chemin avant d’avoir étendu ce dispositif à d’autres parties du globe.

Ce 2 août, nous entrons en dette écologique

©aitoff. Licence : CC0 Creative Commons.

Les nouvelles sont de plus en plus affolantes sur le front de l’environnement.  Ce mercredi 2 août, nous entrons en dette écologique. Cela signifie que nous avons consommé tout ce que la planète était capable de produire en une année. A partir, d’aujourd’hui nous vivons à crédit. Les scientifiques nous annoncent qu’il nous reste 5% de chances de maintenir le réchauffement climatique sous le seuil fatidique des deux degrés. Et pendant ce temps là, le Conseil Constitutionnel valide le CETA et le gouvernement coupe leurs aides aux producteurs bio. 

Global Footprint Network nous annonce que nous entrons en dette écologique. A partir d’aujourd’hui, pour continuer à vivre, nous allons prendre à l’écosystème plus que ce qu’il n’est capable de reconstituer. En se basant sur 15 000 données de l’ONU, cet institut de recherche international nous apprend que l’exploitation humaine des ressources est supérieure à la capacité de la planète de reconstituer ses réserves. Cette année, nous consommerons les ressources naturelles qui pourraient être produites par 1,7 planètes en 1 an.

Depuis 40 ans, cette surconsommation des ressources naturelles évolue à un rythme exponentiel. En 1961, nous n’avions besoin que de trois quarts des ressources produites par la Terre en un an. C’est en 1970, que pour la première fois, nous avons consommé plus que ce que la planète est capable de reconstituer. Depuis, la date approche d’années en années : le 5 novembre en 1985, le 1er octobre en 1998, le 20 août en 2009. Et donc le 2 août cette année. Si nous ne mettons pas immédiatement un coup d’arrêt à cette course folle à la consommation, en 2030, nous avalerons l’équivalent de ce que peuvent produire deux planètes en une année. Et encore, de nombreuses critiques avancent que cet indicateur ne tient pas suffisamment compte de la destruction de la biodiversité, de l’épuisement des sous-sols ou de la consommation d’eau.

Évidemment, tous les être humains ne sont pas responsables de la même manière de cette énorme empreinte écologique que nous laissons. Si la civilisation humaine adoptait le mode ds vie américain – comme on nous invite régulièrement à le faire du reste – nous aurions besoin de 5 planètes. Le mode de vie Chinois requiert, lui, 2,1 planètes. Le mode de vie Indien nous demanderait seulement un peu plus d’une demie planète. Ce comptage est un peu absurde tant il est vrai que cette fête ne durera pas longtemps (et que les 10% les plus riches sont nettement plus responsables que les ménages pauvres de l’empreinte écologique) mais il nous permet de souligner ce fait : l’empreinte écologique des pays développés est cinq fois supérieure à celle des pays pauvres. Aurélien Boutaud, consultant et coauteur de L’Empreinte écologique (La Découverte, 2009) ajoute que « Si on regarde les seules émissions de gaz à effet de serre, par exemple, on peut avoir l’impression que les pays riches les ont réduites. En réalité, ils en ont délocalisé une partie vers les pays pauvres. L’empreinte carbone de la France est ainsi d’environ 40 % supérieure à ses rejets carbonés. »

Comment inverser la tendance ? Les solutions sont connues : il faut limiter les émissions de gaz à effet de serre qui représentent 60 % de l’empreinte écologique mondiale. Réduire les rejets carbonés de 50 % permettrait de reporter le jour du dépassement de près de trois mois. Pour réussir à maintenir la hausse des températures au-dessous de 2 °C – objectif inscrit dans l’accord de Paris –, l’humanité devra s’affranchir des énergies fossiles avant 2050. « L’enjeu est d’atteindre un pic des émissions d’ici à 2020″ complète Pierre Cannet, le responsable du programme climat et énergie au Fonds mondial pour la nature (WWF) France.

Autre action nécessaire : limiter l’empreinte alimentaire. « Pour cela, il est indispensable de stopper la déforestation, de diminuer notre consommation de produits dérivés des animaux, de lutter contre le gaspillage alimentaire et d’opter pour des modes de production plus durables, comme le bio, l’agroécologie ou la permaculture », avance Arnaud Gauffier, responsable de l’agriculture et de l’alimentation au WWF. S’il on veut rembourser la dette écologique, la seule qui compte pour notre survie, il faut donc nous libérer de l’obscurantisme consumériste, de l’agriculture intensive et réduire notre consommation de protéines carnées.

Il nous reste une infime chance maintenir le changement climatique sous les 2 degrés

Si l’urgence est telle, c’est que nous disposons de très peu de temps pour agir. Une étude parue ce lundi dans la revue Nature Climate Change nous fait savoir qu’il y a 5 % de chances pour que l’on atteigne l’objectif de la COP 21 soit le maintien de la hausse des températures sous les deux degrés. C’est le seuil qui permet de limiter autant que faire se peut une catastrophe climatique qui est désormais irréversible alors que l’ONU nous annonce 250 millions de réfugiés climatiques en 2050. Les chances d’atteindre l’objectif de 1,5 °C, également contenu dans le texte ne sont que d’1 %.

Pour en arriver à ce résultat, les auteurs de l’étude ont utilisé des projections de croissance de la population pour estimer les émissions de carbone. Ils prévoient donc une « augmentation de la température est probablement de 2 °C à 4,9 °C, avec une valeur médiane de 3,2 °C » ! Et encore, leurs calculs intègrent des efforts pour réduire la consommation d’énergies fossiles.

Il faut dire que nos dirigeants ne font pas grand chose pour endiguer le phénomène. Déjà, contrairement à l’accord en lui-même, les contributions volontaires des Etats donnent un réchauffement global à 3 degrés. Par ailleurs, l’accord est très flou : il prévoit un pic d’émissions de GES “dès que possible” et ne spécifie même pas la date butoir à laquelle la civilisation humaine doit s’interdire toute énergie fossile. Or, pour atteindre leurs objectifs de 2 degrés, les nations devraient en finir avec les énergies fossiles en 2050.

Le Global Footprint Network note quelques signaux encourageants cependant : l’empreinte écologique par habitant des Etats-Unis a diminué de près de 20 % entre 2005 et 2013. La Chine, plus gros pollueur mondial, affiche des objectifs très ambitieux. Tout cela est quand même bien maigre pour prévenir la catastrophe.

Pendant ce temps là, le gouvernement coupe les aides aux paysans bio et le Conseil Constitutionnel valide le CETA

Autre bon signe pour la planète : le développement du secteur bio en France. Alors que l’ensemble de l’agriculture conventionnelle est engluée dans la crise, le bio se porte à merveille. Les surfaces en agriculture biologique ont augmenté de 17 % en 2016. 21 fermes bio se créent chaque jour. D’ailleurs, la consommation de produits bio a explosé : + 22% en un an !

Mais visiblement, cela déplait au gouvernement. C’est ce qu’explique la Fédération Nationale des agriculteurs bio : « L’enveloppe versée par Bruxelles au titre de la politique agricole commune (PAC) pour soutenir ce mouvement [le développement du bio ndlr] est déjà épuisée, et nous ne sommes qu’à mi-parcours de la programmation 2015-2020. La solution serait de prendre à l’agriculture conventionnelle pour donner à l’agriculture biologique. La France reçoit chaque année 7,5 milliards d’euros au titre du 1er pilier de la PAC – aides directes pour soutenir le revenu des exploitants – et 1,5 milliard au titre du 2e pilier qui finance les zones à handicaps naturels, les mesures environnementales et climatiques et les aides au bio. Or, la réglementation européenne permet aux États membres de transférer jusqu’à 15 % du budget alloué du pilier 1 vers le pilier 2. Le gouvernement peut donc très bien décider, demain, d’augmenter la part de transfert, actuellement de 3 %.” Résultat : le ministre de l’agriculture a décidé de transférer 4,2 % du 1er pilier vers le 2nd pilier pour financer les mesures agro-environnementales et climatique, les indemnités compensatoires des handicaps naturels et les aides au bio.” Or, Le Monde nous apprend que, pour l’année prochaine : selon le ministère, cette enveloppe supplémentaire sera entièrement consacrée au surcoût du financement de l’ICHN.” Le gouvernement coupe donc purement  et simplement les aides pour le bio.

 Autre décision prise pour saper le bio : le maintien du « paiement redistributif » à 10 %. Cette mesure prévoit de majorer l’aide versée aux 52 premiers hectares. C’est un soutien aux petites exploitations alors que du fait du mécanisme de paiement à la production, les gros producteurs céréaliers bénéficient de la majeure partie des aides de la PAC. La majoration était prévue pour passer de 5 % de l’enveloppe globale en 2015 à 20 % en 2019. Il suffit que la FNSEA et les producteurs de blé éructent pour que le gouvernement lèse encore un fois les petites et moyennes exploitations.

Autre annonce irresponsable : la validation du CETA par le Conseil Constitutionnel. Ce traité qui va s’appliquer provisoirement avant même que le Parlement ait pu en débattre, va faire exploser les échanges avec le Canada : on prévoit une hausse de 23%. Les émissions liées au transport vont augmenter de la même manière notamment de méthane et d’oxyde d’azote. C’est en pure contradiction avec les engagements de réduction des gaz à effets de serre de 40% d’ici 2030 pris lors de la COP 21. Au passage, l’accord de Paris n’est pas cité une seule fois dans le texte du CETA. Ce traité facilitera aussi l’importation de sables bitumineux canadiens dont l’extraction produit une fois et demie davantage de gaz à effet de serre que les pétroles conventionnels.

Sur le terrain de l’agriculture, c’est une folie : les marchés européens seront envahis de viande produite dans des fermes pouvant concentrer jusqu’à 30 000 bêtes issues d’animaux nourris  à 90% de maïs OGM et soumis à des antibiotiques activateurs de croissance. Sur les 4 500 Indication Géographiques Protégées (IGP), seules 173 IGP sont reconnues.

Trump peut bien s’agiter et Macron jouer au sauveur, les deux ne font rien pour prévenir la catastrophe climatique qui vient.

Crédits photo : ©aitoff. Licence : CC0 Creative Commons.

Agriculture et mondialisation : déconstruire le mythe libre-échangiste

©Daniel Bachhuber. Licence : Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0)

A l’heure des luttes contre le CETA et le TAFTA, de la mobilisation sociale contre le “poulet lavé au chlore” et le “bœuf aux hormones”, nombreux sont les citoyens qui continuent de refuser l’idée de mettre en concurrence tous les agriculteurs du monde au nom du sacro-saint libre-échange. Ce dernier n’a cependant été qu’une idole servant à justifier la continuation de l’hégémonie des puissances occidentales à la suite des décolonisations.

Parler d’agriculture ne relève pas d’un folklore, ou d’une visite annuelle au Salon de l’Agriculture où l’on peut s’émerveiller devant la taille de nos beaux taureaux français, mais d’un domaine qui part de l’échelle de notre assiette à celle d’enjeux géopolitiques. Au début de la Guerre froide, les États-Unis usaient de toute leur influence sur les futurs dragons d’Asie du Sud Est pour engager d’importantes réformes agraires pour éviter la paupérisation des populations rurales qui aurait pu faire triompher des mouvements communistes, tout en maintenant leur influence en rendant les paysans dépendants des engrais et produits phytosanitaires états-uniens.

L’agriculture : un secteur à part ?

Jusque dans les années 1980, l’agriculture avait été épargnée par les domaines d’intervention du GATT, l’ancêtre de l’OMC. Les principales puissances occidentales avaient alors des politiques agricoles très interventionnistes, régulatrices et protectionnistes, avec la PAC en Europe et le Farm Bill aux États-Unis. Ces mesures semblaient efficaces avec des meilleurs rendements et une productivité grandissante, si efficaces que les marchés internes commençaient à être rapidement saturés dans les années 1970. La Communauté Économique Européenne se met alors à déverser ses excédents sur les marchés mondiaux et devient une menace pour les parts de marché étatsuniennes. Les premiers à subir les effets de ces politiques sont les pays du Sud qui récupèrent des produits agricoles bons marchés avec lesquels les paysans nationaux ne peuvent pas lutter. Les gouvernements de ces pays vont rapidement protester contre cette situation.

L’occasion est alors trop belle. Les partisans d’une mondialisation libérale proposent d’enfin intégrer l’agriculture au libre-échange et de lutter contre les politiques de régulation, les protections et les subventions qui « faussent » l’échange. Les États-Unis et la CEE voient là un moyen de résoudre leur conflit commercial. En 1992, ces deux puissances s’entendent ensemble, en contournant le processus multilatéral, pour sceller le sort de l’ouverture de l’agriculture au champ d’intervention du GATT. Cet accord, dit de Blair House, entre l’Europe et les États-Unis encourage la dérégulation des marchés, la baisse des tarifs douaniers et enfin l’entrée en jeu du libre-échange en agriculture. Mais (et ce “mais” mérite d’être en gras), les deux se gardent le droit d’octroyer des soutiens budgétaires internes qui n’affectent pas les marchés internationaux (type aide à l’export). Cette politique très coûteuse nécessite un budget conséquent alloué à l’agriculture, seuls les États-Unis et l’Europe pouvant se le permettre. En effet, la plupart des pays en développement ayant dû subir les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI dans les années 1980, ils ne disposent plus des moyens institutionnels pour aider directement leurs paysans. Ces derniers doivent néanmoins continuer d’ouvrir leurs frontières et déréguler leurs marchés agricoles.

La libéralisation, c’est bien mais chez les autres ! 

Ainsi, au nom du libre-échange et du “doux commerce”, les deux concurrents commerciaux ont réglé leur conflit en faisant peser sur le reste des pays les conséquences d’une plus grande libéralisation en matière agricole, en ouvrant des nouveaux débouchés pour leurs excédents tout en essayant de maintenir un système d’aide censé les protéger d’une concurrence potentielle. Le cas de l’agriculture nous amène à voir comment la globalisation nourrit la domination des pays exportateurs occidentaux sur les pays en développement. Ce processus n’est évidemment pas présenté de cette manière mais comme une adaptation au réel, à un monde qui bouge… C’est le libre-échange, c’est comme ça, on va tous y gagner, promis.

A partir des années 2000, lors des négociations du Cycle du Doha, les pays en développement essayent de peser face à cette situation. Certains pays regrettent que les principaux producteurs et défenseurs du libre-échange ne jouent pas selon les règles, d’autres actent l’échec de l’intégration de l’agriculture à la mondialisation. Les pays occidentaux exportateurs reconnaissant le malaise de la situation, proposent de faire un fond de soutien pour les pays en développement. Ce petit fond devait servir à donner une assistance à la transparence du commerce et la concurrence dans ces pays, dont personne n’était demandeur.

Les nouvelles menaces pour la souveraineté alimentaire 

Pour revenir aux enjeux plus contemporains, les différents projets d’accords de libre-échange, CETA, TAFTA ou encore le Traité transpacifique, s’inscrivent dans la continuité de ce que nous avons évoqué. Il faut ouvrir toujours plus les marchés nationaux au libre-échange mais également imposer les normes agricoles occidentales au monde entier, et en particulier états-uniennes, au reste du monde. Les dernières négociations montrent bien que l’enjeu est de saper les souverainetés populaires et alimentaires des pays pour favoriser les multinationales de l’agroalimentaire. La possibilité dans le TAFTA, pour ces entreprises, de poursuivre des États devant des tribunaux d’arbitrages spéciaux contre des normes sociales ou environnementales sonnerait le glas des politiques volontaristes de protection des agricultures familiales des pays en développement.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où l’on produit trop dans les pays du Nord à la fois au détriment de notre environnement, du tissu social rural, de l’emploi mais aussi au détriment des pays du Sud vers lesquels on exporte nos produits agricoles faussement peu chers empêchant le développement de leur souveraineté alimentaire. Le libre-échange, basé sur la théorie des avantages comparatifs de Ricardo dont de nombreux économistes ont soulevés les limites théoriques et empiriques, aura finalement servi d’éventail pour permettre aux puissances hégémoniques de se maintenir et d’étendre leur influence par l’agro-alimentaire.

Oui, l’agriculture est géopolitique.

 

Crédit photo : ©Daniel Bachhuber. Licence : Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0)

Le libre-échangisme est-il en train de couler ?

© Mika Baumeister

Retrait des USA du TPP, résistance wallonne au CETA, TAFTA englué de toute part, « Hard Brexit », potentielle guerre commerciale sino-américaine… Depuis quelques mois, le libre-échangisme, véritable dogme pour les dirigeants politiques de tous bords depuis la fin des 30 Glorieuses semble ne plus être un horizon indépassable.

Malgré les promesses de doper des taux de croissance atones et de créer ainsi des emplois, l’opposition aux nouveaux et aux anciens traités de libre-échange est désormais majoritaire ou en passe de le devenir dans tout l’Occident. Même en Allemagne, troisième exportateur mondial, 75% des sondés rejetaient le TAFTA/TTIP en Juin 2016 selon le Monde Diplomatique[1]. Pourquoi ?

Les accords de libre-échange ne concernent plus les droits de douane

A l’origine promu par des théoriciens économiques classiques tels que David Ricardo et Adam Smith, qui considéraient que l’ouverture au commerce extérieur était la raison de la réussite de certaines nations plutôt que d’autres, le libre-échange s’est d’abord développé de manière forcée au sein des empires coloniaux, avant de s’effondrer lors de la Première Guerre Mondiale. Les échanges internationaux ne reprennent réellement qu’après 1945, dans le cadre défini par les accords de Bretton Woods. Les droits de douane, sous l’action du GATT, diminuent progressivement. Le véritable changement intervient avec la révolution néolibérale des années 1980 : pour relancer à tout prix une croissance perçue comme le remède à tous les maux, les gouvernements occidentaux, puis du monde entier, n’ont de cesse de rabaisser leurs droits de douane et de lever les mesures protectionnistes héritées des années 1930.[2]

L'évolution des droits de douane de 1947 à 2007
Evolution des droits de douane de 1947 à 2007

Associée à la libéralisation à outrance des marchés financiers, qui profitent en outre de l’informatisation, au développement des firmes multinationales, à l’ouverture au business de pays de plus en plus nombreux (la Chine, l’ancien bloc communiste et les pays sous-développés sous les ordres du FMI et de la Banque Mondiale) et à la concurrence monétaire par la dévaluation, la baisse des tarifs douaniers impulse un mouvement de délocalisation sans précédent. Les pertes d’emplois industriels et désormais tertiaires dues à ces délocalisations ne sont d’ailleurs pas étrangères au sentiment d’abandon et de paupérisation de la majorité des populations occidentales, et à leur colère populiste actuelle…

Mais aujourd’hui, après des décennies de baisse, les droits de douane ont quasiment disparus de la surface de la planète. Dès lors, comment aller toujours plus loin dans le libre-échangisme, culte toujours aussi prégnant sur l’esprit des dirigeants politiques biberonnés au libéralisme ? En s’attaquant aux fameuses « barrières non tarifaires », c’est-à-dire à tout sauf les droits de douane : les normes de tout acabit, les quotas ou encore les formalités administratives. Comprendre TAFTA, CETA, TPP ou TISA sans comprendre le principe de barrières non tarifaires est impossible, puisqu’il s’agit de tout l’enjeu de ces divers accords. La question des normes, en particulier, est primordiale.

Dumping à tous les niveaux

Après les droits de douane, les cibles des accords de libre-échange bilatéraux ou multilatéraux qui ont succédé à l’action de l’OMC, embourbée depuis le cycle de Doha[3], s’attaquent donc aux différentes normes, garanties de qualité et lois définissant les conditions de fabrication des biens et services. Tous types de normes sont attaquées, en s’alignant quasi-systématiquement sur les plus basses des différents pays concernés par l’accord : c’est le mécanisme du moins-disant, également dénommé dumping en anglais.

Les normes alimentaires sont parmi les plus ciblées, notamment en raison du traitement d’exception souvent accordé aux productions agricoles, généreusement subventionnées pour développer les exportations et assurer la sécurité alimentaire. Les AOP et AOC (Appellation d’Origine Protégée / Contrôlée), directement visées par le CETA et le TAFTA en sont un bon exemple, tandis que les attaques américaines sur le riz japonais via le TPP prouvent que les européens ne sont pas les seuls attaqués[4]. On note également les tentatives d’introduction sur le marché européen d’animaux élevés selon les standards sanitaires nord-américains[5], beaucoup plus laxistes, même si les allégories les plus caricaturales de ces pratiques de production (bœuf aux hormones, poulet au chlore et OGM) ne sont pas concernées[6].

Mais le secteur agro-alimentaire, particulièrement surveillé par les activistes suite aux innombrables scandales, n’est pas le seul concerné par la dérégulation sauvage. Les questions de protection des droits d’auteur et de redevance sur les brevets, chères aux multinationales, sont omniprésentes et lourdes de conséquences : explosion des prix des médicaments et disparition des alternatives génériques prévue par le TPP[7], démontage des rares avancées régulatoires sur l’industrie de la finance obtenues depuis la crise[8] ou encore lutte contre le piratage ou partage informatique organisé pour servir les intérêts de producteurs de contenus de masse[9]

Un déni de démocratie sans précédent

Depuis les manifestations altermondialistes de Seattle contre un sommet de l’OMC en 1999, le peuple dérange. Les grandes négociations commerciales internationales attirent depuis ce jour leurs cortèges de contestataires et donc souvent l’usage de la répression, qui fait toujours mauvaise presse vis-à-vis de l’opinion publique. Comment éviter d’être sous le feu des projecteurs suite aux répressions de telles manifestations pacifiques tout en continuant à brader des garanties qualitatives environnementales, fiscales, salariales, alimentaires, sanitaires ou encore sociales aux intérêts des multinationales et de l’oligarchie mondiale représentées par leurs lobbyistes ? En menant des négociations au secret. Les protocoles mis en place sont draconiens : sécurité maximale contre les intrus, négociations à huis clos, interdiction des appareils électroniques, sans oublier les désormais célèbres clauses de non-confidentialité.

Reste un dernier problème : les Parlements. Même infestés de lobbyistes et gangrenés par l’idéologie néolibérale, ils demeurent l’expression de la souveraineté de la nation par le principe de la représentation. En d’autres termes, il faut que ces accords soient ratifiés par les Parlements nationaux pour rentrer en vigueur, et dans des régimes aux structures constitutionnelles complexes comme la Belgique, cela peut poser quelques complications, tel que le cas de la Wallonie l’a montré[10].

Non content de transgresser l’idéal démocratique, dont les sociétés occidentales seraient soi-disant des modèles, par des tractations au secret, et d’attaquer sévèrement en justice tout lanceur d’alerte compromettant, les négociateurs s’attaquent donc dorénavant aux pouvoirs des parlements. Pour ce faire, la méthode consiste souvent à dévoiler au dernier moment le projet d’accord en le présentant comme « à prendre ou à laisser ». A grand renfort de discours d’experts qui présentent les schémas de traités comme les meilleurs obtenus, et en agitant la menace de la compétition internationale. Les parlementaires sont mis face à des textes dont ils ont à peine le temps de connaître les tenants et les aboutissants.

Par exemple, pour les négociations du Partenariat Trans-Pacifique (TPP), Obama s’est vu conféré par le Congrès américain en Juin 2015 le pouvoir d’utiliser la procédure dite de « fast-track » qui permet de négocier en secret l’ensemble du traité, interdit les amendements potentiels du Congrès ou de bloquer les négociations, et offre simplement la possibilité aux représentants du peuple américain de rejeter le traité final.[11]

Dans le cas de l’Union Européenne, un niveau d’antidémocratisme encore supérieur est en train d’être mis en place : la Commission Européenne, dont nul n’ignore qu’elle n’est pas élue par les peuples européens et qu’elle dispose déjà de prérogatives extrêmement nombreuses et lourdes de conséquences, a, par la voix de Jean-Claude Juncker, souhaité être en mesure de signer le traité CETA avec le Canada sans l’accord des parlements, arguant qu’il relevait de ses prérogatives seules.[12] Jamais en retard d’une nouvelle invention technocratique, l’UE a imaginé l’entrée en vigueur du même traité avant même le vote des parlements nationaux dans un cadre dit « provisoire », sur le modèle de la mise en place d’autres accords avec la Corée du Sud et le Pérou.[13]

Se pose enfin la question des tribunaux d’arbitrage privés supranationaux : au départ conçus pour trancher les litiges entre différentes multinationales soumis à des droit nationaux différents, ils sont devenus le cheval de Troie démocratique le plus dangereux de l’ère contemporaine. En effet, la possibilité offerte aux multinationales d’assigner les Etats en justice lorsqu’elles estiment que leurs intérêts ont été spoliés est trop vague, et le verdict des juges peut donc être influencé par les armées de lobbyistes et d’avocats employées par les grands groupes mondiaux. Sans oublier de mentionner les parcours professionnels douteux de certains juges, tels que le très prisé Francisco Orrego Vicuña[14]

Les cas d’assignation en justice d’Etats en plein exercice de leur souveraineté par des firmes transnationales au nom du caractère défavorable de nouvelles réglementations à de prétendus investissements prévus sont nombreux : Vattenfal contre l’Allemagne après sa décision de sortir du nucléaire d’ici à 2022, Lone Pine contre le Québec suite au moratoire sur le gaz de schiste, Philip Morris contre l’Australie et l’Uruguay subséquemment à des mesures anti-tabac…[15] De tels tribunaux exercent par ailleurs un pouvoir indirect et invisible d’oppression sur les Etats, qui seront d’autant moins enclins à adopter des mesures fortes de protection de leur population face aux multinationales que celles-ci pourront leur extorquer des milliards dans des cours conçues pour leur être favorables.

La fin de la mondialisation ?

La remise en question de l’idéologie libre-échangiste a bel et bien débuté. Si les critiques de Donald Trump sur les emplois perdus aux USA suite à l’ALENA et le retrait du TPP annoncé en grande pompe dans les premiers jours de sa présidence peuvent sembler aller dans le bon sens, l’homme de l’année 2016 selon le TIME Magazine demeure ambigu sur bien des points. Sa critique des accords de libre-échange se concentre sur le contenu des traités, qu’il juge très mal négociés et défavorables aux intérêts américains, mais ne tient nullement compte des aspects environnementaux, sanitaires ou démocratiques en jeu. Le nouveau président américain s’est d’ailleurs empressé d’annoncer l’ouverture de négociations avec le Royaume-Uni pour un nouvel accord lors de sa rencontre avec Theresa May à la fin Janvier en restant flou sur les modalités mais en affirmant, argument sans nul doute à toute épreuve, qu’il serait « great ».[16] De même, le Royaume-Uni qui s’apprête à quitter l’UE redouble d’inventivité pour trouver de nouveaux « partenaires » commerciaux. Aux dernières nouvelles, la Nouvelle-Zélande serait intéressée.[17]

Il s’agit ici de ne pas être dupe : les accords commerciaux proposés depuis les 3 dernières décennies ont été conçus pour bénéficier aux multinationales et à elles seules. Ils n’ont nullement accru la mobilité des individus, mais ont mis en place une compétition profondément faussée et vicieuse entre pays développés condamnés à la désindustrialisation et pays pauvres condamnés à l’exploitation au nom du « développement » et ont fait baisser le prix de nombreux produits en diminuant la qualité et en dégradant les conditions de fabrication.

Le concept de mondialisation n’est pas à jeter dans la même poubelle que les accords actuels qui prétendent en représenter l’unique forme possible. D’autres possibilités de mondialisation, respectueuses des travailleurs, de l’environnement, des cultures locales et ayant un réel impact positif à l’échelle globale existent. Mais l’altermondialisme ne pourra advenir sans un sursaut démocratique et la reprise en main des citoyens de leur destin collectif. Les manifestations et oppositions de toutes sortes contre le CETA ou le TAFTA/TTIP, ainsi que l’effort associatif pour dévoiler, décortiquer et dénoncer le contenu précis de ces monstres juridiques donnent à penser, et, peut-être, à espérer.

Sources :

[1] http://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/WAHL/56753

[2] http://www.nordregio.se/en/Metameny/About-Nordregio/Journal-of-Nordregio/2008/Journal-of-Nordregio-no-1-2008/The-Three-Waves-of-Globalisation/

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_Doha?oldformat=true

[4] http://www.latimes.com/world/asia/la-fi-japan-tpp-20160705-snap-htmlstory.html

[5] http://www.humanite.fr/le-ceta-menace-de-destabiliser-lelevage-en-europe-631627

[6] http://www.francetvinfo.fr/economie/commerce/traite-transatlantique/six-questions-sur-le-ceta-ce-traite-de-libre-echange-auquel-vous-n-avez-pas-tout-compris_1882993.html

[7] http://www.huffingtonpost.com/john-geyman/tpp-and-the-dire-threat-t_b_11661226.html

[8] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/07/09/tisa-quand-le-liberalisme-revient-par-la-porte-de-derriere_4452691_4355770.html

[9] http://wealthofthecommons.org/essay/intellectual-property-rights-and-free-trade-agreements-never-ending-story

[10] http://www.monde-diplomatique.fr/2017/01/JENNAR/56981

[11] https://www.theguardian.com/us-news/2015/jun/24/barack-obama-fast-track-trade-deal-tpp-senate

[12] https://reporterre.net/La-Commission-europeenne-veut-signer-les-traites-de-libre-echange-sans

[13] http://transatlantique.blog.lemonde.fr/2016/02/19/laccord-ceta-europe-canada-sera-t-il-applique-avant-meme-le-feu-vert-des-parlements/

[14] http://www.monde-diplomatique.fr/2014/06/BREVILLE/50487

[15] https://www.collectifstoptafta.org/tafta/article/une-justice-privee-au-service-des

[16] http://www.telegraph.co.uk/news/2017/01/22/theresa-may-donald-trump-hold-talks-trade-deal-cuts-tariffs/

[17] http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/theresa-may-new-zealand-trade-deal-bill-english-brexit-downing-street-a7526956.html

Crédits photo:

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Scène_de_naufrage_(Louis-Philippe_Crépin).jpg

http://conversableeconomist.blogspot.fr/2011/12/new-trade-rules-for-evolving-world.html

https://citizenactionmonitor.wordpress.com/2013/10/26/ceta-what-it-is-and-why-its-bad-for-canada/

CETA, Europe, luttes sociales : Rencontre avec Raoul Hedebouw, porte-parole du PtB

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Source : site officiel du PtB. ©PTB

Le Parti du travail de Belgique a été un des fers de lance de la lutte contre le CETA sur la scène politique Belge. Rencontre avec son porte-parole.

Toute l’Europe a eu les yeux rivés sur la Wallonie, après avoir eu les yeux rivés sur la Grèce en 2015. La séquence fut courte, mais intense. Le Parti du travail de Belgique, qui est donné à plus de 18% en Wallonie, rejette fermement le CETA. Il se murmure que le PS wallon serait mis sous pression, et que cela expliquerait la résistance du parlement wallon. Pensez-vous qu’il en aurait été autrement sans un PtB aussi haut dans les sondages ?

L’élément principal qui a permis d’ouvrir cette brèche lors du débat sur le CETA c’est le développement d’un vrai mouvement social en Europe et en Belgique autour de ces accords de libre-échange et de dérégulation. Ce mouvement s’est construit autour d’un front commun totalement inédit qui rassemble non seulement les organisations syndicales mais aussi les mutuelles, les agriculteurs, le mouvement environnemental, un grand nombre d’ONG, les associations de consommateurs, des mouvements citoyens, la jeunesse et même des petits indépendants.

Il y a eu plus de 3,8 millions de signatures pour la pétition européenne et des milliers de localités qui se sont déclarées « hors-TTIP et CETA » et dans toute l’Europe des millions de gens se sont mobilisés. C’est cette union qui a fait la force du mouvement et lui a permis de montrer qu’on pouvait faire bouger des lignes. C’est très important comme leçon, car cela confirme ce que nous disons, que le changement viendra en premier lieu du mouvement social et de la rue.

Après c’est évident que la montée d’une force politique de gauche conséquente comme le PTB joue un rôle dans la prise de position d’un parti comme le Parti socialiste. Il a plus de mal à jouer un double jeu. Le précédent gouvernement, sous la direction de ce même PS, n’a absolument eu aucun problème pour mandater notre pays pour les négociations autour des accords de libre-échange avec les États-Unis et le Canada. Le Premier ministre socialiste de l’époque Di Rupo y avait même apposé sa signature. Cela, le Parti socialiste n’ose plus le faire de la même façon aujourd’hui, probablement en partie parce qu’il sent le souffle chaud du PTB dans son cou.

Le CETA, entré provisoirement en application, va revenir devant le parlement wallon pour une ratification définitive. Pensez-vous qu’il est encore possible que le traité ne soit pas ratifié ?

La classe dirigeante européenne fait tout pour étouffer le débat. On vient encore de le voir au parlement européen où la grande coalition démocrates-chrétiens-libéraux-socialistes vient de cadenasser le débat sur le CETA, tant en réunion plénière que dans les différentes commissions, et refuse de demander l’avis de la Cour européenne de justice.

Durant l’épisode wallon, les pressions ont été énormes et elles seront encore fortes pour passer en force. Le mépris à l’égard des processus démocratiques, qu’ils soient régionaux, nationaux ou même européens est énorme. Nous l’avions déjà constaté quand le « non » français à la Constitution européenne a tout simplement été jeté à la poubelle – le même texte revenant sous un autre nom et sans référendum. Et nous l’avions aussi vu avec la Grèce et le diktat qui a lui a été imposé par l’Union européenne.

Plus généralement, est-ce que le CETA passera les étapes du parlement européen et des parlements nationaux et régionaux ?

Tout dépend du rapport de force qu’on arrive à développer dans les mois à venir. Dans un passé récent on a vu avec le traité ACTA qu’il était possible d’obtenir un rejet même après la signature au Conseil européen. Nous ferons tout en tout cas pour que ce traité soit rejeté.

Votre parti n’a réellement émergé qu’avec les élections législatives de 2014, grâce à un changement de stratégie initié en 2008. Au centre de cette nouvelle stratégie se trouve la communication du PtB. Vous en êtes en quelque sorte l’incarnation. Dans d’autres pays, comme en Espagne avec Podemos, ou en France avec Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, nous avons vu émerger de nouvelles forces politiques qui mettent elles aussi les nouvelles techniques de communication au centre de leur stratégie. Pourquoi la question des modes de communication du PtB a-t-elle pris une telle importance ? Comment votre parti articule-t-il votre rôle de porte-parole et la présence dans les luttes quotidiennes qui ont lieu en Belgique ?

Avant 2008, nous sous-estimions l’importance de la communication. Nous focalisions seulement sur le fond du message, quitte à avoir besoin de 2h pour l’expliquer à une personne. Or, une personne n’a pas toujours 2h devant elle pour avoir une discussion avec nous. Nous avons donc travaillé sur la communication pour la rendre plus percutante, colorée, concrète, afin de mieux faire passer notre message. Ce qui ne veut pas dire que le message passe en arrière-plan.

Notre service d’étude continue à produire d’excellentes analyses. Les textes de notre dernier congrès font une analyse en profondeur des causes de la crise du capitalisme en Europe et du besoin d’un changement de paradigme dans les règles économiques et politiques de notre société ; c’est ce que nous appelons le socialisme 2.0. De même, la communication ne remplace évidemment pas le devoir pour des dirigeants d’un parti de gauche d’être présents sur le terrain. Si je devais rester à temps plein au sein des institutions parlementaires, je fânerais comme une fleur sans terreau.

Vous avez toujours du mal à percer politiquement en Flandre. Le PtB est donné à 3,9% selon les derniers sondages. Comment expliquez-vous ce grand écart entre la Wallonie et la Flandre ? Le problème n’est-il pas, au fond, le fait que la Belgique est une construction nationale inaboutie ?

Tous les pays sont confrontés à des régions plus combatives et d’autres qui le sont temporairement moins. Ce n’est pas un phénomène spécifique à la Belgique. Il y a des raisons historiques à cela, comme la prépondérance du développement industriel ou pas, mais il y a aussi des raisons politiques, comme la sous-estimation par la gauche de la prise en main de combats contre les discriminations linguistiques réellement présentes au début du 20ème siècle. Cette différence de combativité politique, la gauche radicale européenne la connaît aussi à l’échelle de l’ensemble du continent.

La combativité n’est pas la même en France, en Espagne, en Pologne ou en Allemagne. Le défi des gauches radicales européennes est d’arriver à unifier tout cela dans un large mouvement politique visant à lutter contre cette Union européennne capitaliste et libérale. Unifier des classes ouvrières aux traditions et aux combativités différentes n’est pas une tâche évidente et nous y sommes aussi confrontés en Belgique. Ainsi donc nous considérons plutôt la Belgique comme un laboratoire passionnant nous permettant de résoudre cet énorme défi.

Propos recueillis par Lenny Benbara pour LVSL

Crédit photo : site officiel du PtB. http://ptb.be/node/3315