Cour de justice de l’Union européenne : le gouvernement des juges pour étendre l’empire du marché ?

Depuis une quarantaine d’années, l’ordolibéralisme est devenu la doctrine principale de l’Union européenne (UE). Apparu dans les années 1930, ce courant de pensée se fonde sur le droit pour construire un marché régi par les règles de la concurrence « pure et parfaite ». L’UE a profité de la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux pour reproduire ce modèle à l’échelle continentale. La Commission et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), au fil de leurs arrêtés et directives, veillent à ce que les États ne s’écartent pas du vertueux chemin de l’orthodoxie. Cet entrelacs institutionnel, mal connu en raison de sa complexité, a cependant acquis une influence déterminante sur les politiques économiques nationales.

Aux origines de l’ordolibéralisme

Né dans la Freiburg School durant les années 30, l’ordolibéralisme est le produit de la rencontre de trois universitaires : un économiste, Walter Eucken, et deux juristes, Franz Böhm et Hans Grossmann-Doerth. Contrairement aux libéraux classiques, ils estimaient qu’un marché concurrentiel n’émergerait pas spontanément de l’interaction des agents économiques. Pour construire un tel marché, il fallait un cadre juridique qui institutionnalise les règles de la concurrence « pure et parfaite ». À cette fin, ils ont élaboré un programme articulé autour de la notion de l’ordre (Ordnung), compris « à la fois comme constitution économique et comme règle du jeu ».1 L’État doit « consciemment construire les structures, l’ordre dans lesquels l’économie fonctionne » mais « il ne doit pas pas diriger le processus économique lui-même » (Walter Eucken).

Lire sur LVSL l’article de Jean-Baptiste Bonnet : « Ordolibéralisme : comprendre l’idéologie allemande »

En effet, les gouvernements risquent souvent d’intervenir confusément car influencés par les revendications irrationnelles (contrariant la science économique) de la population. Pour limiter cette possibilité, les ordolibéraux ont songé à constitutionnaliser des règles économiques très strictes, que les gouvernements seront contraints de respecter2. Mais plus que la Constitution, c’est tout le corpus du droit qui doit être utilisé pour stabiliser et soutenir l’économie concurrentielle. La loi devient un « compagnon nécessaire du marché »3.

En 1957, deux lois essentielles sont votées en Allemagne de l’Ouest : l’une consacre l’indépendance de la Bundesbank, tandis que l’autre met fin aux limitations de la concurrence. La marche sur les voies sûres de l’ordolibéralisme peut commencer.

Le Cour de justice de l’Union européenne, pointe avancée de cette judiciarisation compétitive de l’économie

Grâce à sa promotion quasi-continue par l’Allemagne, l’ordolibéralisme devient progressivement la doctrine d’union. C’est ce que reconnaît volontiers Jens Weidmann, président de la Bundesbank, qui a déclaré que « tout le cadre de Maastricht reflète les principes centraux de l’ordolibéralisme ».4

La Cour de justice de l’Union européenne se pose comme la gardienne de l’esprit des traités, « autonome du droit national », lui permettant d’être son unique exégète.

L’exemple le plus frappant réside dans le Pacte de stabilité et de croissance intégré dans l’accord de Maastricht (articles 121 et 126) qui impose un déficit public inférieur à 3% du PIB et à 60% de la dette publique. Dès lors, l’Union européenne interviendra principalement pour assurer un ordre économique stable et structuré. Pour éviter qu’il soit contrarié, la délibération est tenue à bonne distance du processus de décision, la grande majorité des institutions européennes étant non-démocratiques – que l’on pense à la Commission européenne, à la CJUE ou bien évidemment à la Banque centrale européenne, indépendante.

Pour s’assurer du respect de ces orientations politiques, l’élite européenne a profité d’un soubassement juridique facilitant la domination légale des institutions européennes sur les gouvernements. En 1963 et en 1964, deux arrêts de la CJUE basée à Luxembourg bouleversent la hiérarchie des normes. Le premier, l’arrêt van Gend en Loos, déclare que les traités européens s’appliquent directement aux citoyens. Cela signifie qu’il n’y a plus le filtre traditionnel du droit international, où un traité signé par un État doit d’abord passer par le parlement. L’effet d’une loi européenne devient donc immédiat. Le second va plus loin encore : l’arrêt Costa contre ENEL affirme que toutes les règles juridiques européennes supplantent le droit national, y compris les Constitutions. Selon la Cour : « le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du Traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté ».5

La suprématie du droit européen n’en demeure pas là : c’est à partir de cet arrêt que la CJUE multiplie les références à « l’esprit » des traités pour justifier ses arrêts, « passant ainsi d’un examen juridique à une interprétation téléologique, d’une mission juridictionnelle à une dimension politique »6. La CJUE se pose depuis comme la gardienne de cet esprit « autonome du droit national », lui permettant ensuite d’être son unique exégète. Comme nous l’explique l’Institut Thomas More dans un rapport datant de mai 2019 : « ce ne sont plus les États membres qui, titulaires en droit international de la souveraineté, disposent d’une compétence générale qu’ils peuvent déléguer à un organe de coopération mais un ordre constitutionnel dans lequel ledit organe, et plus précisément l’outil juridictionnel interne à celui-ci, serait devenu, au titre d’un “esprit” et d’une primauté visant à une Union européenne sans cesse plus étroite7, le maître de la compétence, définissant les principes que les États n’ont plus le pouvoir de mettre en œuvre »8.

Alors que, du moins officiellement, les démocraties fondent la légitimité de la constitution et des institutions judiciaires sur la nation souveraine, voilà que la Cour européenne justifie ses arrêts à partir d’un « esprit » qui dépend d’elle-même.9

Cette réalité juridique contribue non seulement à la réputation d’opacité de la CJUE, mais aussi aux doutes émis quant à son indépendance vis-à-vis des institutions communautaires. Par exemple, en 2010, une journaliste de Bloomberg demande à la Banque centrale européenne des documents relatifs aux transactions financières illégales du gouvernement grec pour cacher sa dette publique. Ces documents auraient montré comment la Banque centrale était au courant bien avant 2009 de ces mesures illégales, et auraient probablement révélé l’implication de Goldman Sachs, et, donc, du futur Gouverneur de la banque centrale, Mario Draghi (ancien dirigeant de Goldman Sachs).10 Ils auraient démontré que, loin d’avoir pris les dirigeants de l’UE de court, l’ampleur du déficit public de la Grèce était en réalité bien connu. La BCE a refusé la demande de la journaliste, qui a décidé de faire appel à la CJUE. Malgré l’article 15, qui indique noir sur blanc le « droit d’accès aux documents des institutions », la CJUE décide en 2014 de donner raison à la BCE. Gunnar Beck, professeur de droit européen et député européen depuis mai 2019, conclut : « la CJUE a préféré interpréter les traités pour protéger les institutions au lieu de promouvoir la démocratie et la transparence ».11

Le libéralisme par le droit

Ce cadre politico-juridique a facilité l’instauration d’un ordre libéral en Europe. Les « quatre libertés » – de circulation des biens, des capitaux, des services, et des personnes – sont garanties par la Commission et la CJUE. La Commission utilise des outils que l’on pourrait qualifier d’indirects : les directives et les décisions. La directive résulte d’abord d’une proposition de la Commission devant le parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Ces deux dernières instances peuvent certes intervenir de différentes manières sur la directive finale, mais elles ne peuvent pas elles-mêmes en proposer. Dans certains cas, le parlement n’a qu’un rôle consultatif.

Récemment, la justice européenne a condamné l’État belge à deux millions d’euros d’amende et 7.500 euros d’astreinte par jour à cause d’une fiscalité avantageuse pour les Belges qui achètent une résidence secondaire en Belgique plutôt qu’à l’étranger.

La directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens »12. Elle fixe le but à atteindre, mais laisse aux États un délai de transposition – de 6 mois à parfois 3 ans – afin de leur laisser le choix des moyens pour y parvenir. La Commission s’assure ensuite de la bonne application de ces directives, n’hésitant pas à mobiliser les procédures d’infraction. Ces procédures n’impliquent pas toujours des amendes écrasantes, mais elles semblent fonctionner sur le long terme. En octobre 2003, la Commission a lancé 135 procédures contre la France, en novembre 2019, seulement 3413.

Au total, ce sont plusieurs centaines de directives qui ont été émises afin de démanteler les obstacles de toute nature qui pourraient se dresser sur le chemin de l’unification du marché. Par exemple, en 2000, la directive 2000/36/CE relative aux chocolatiers règle une longue dispute entre fabricants de chocolat traditionnel, qui utilisent du beurre de cacao, et ceux qui emploient des matières grasses végétales. Les premiers réclamaient la protection de l’État, et l’interdiction de l’usage de matières grasses végétales, perçu comme vecteur d’une concurrence déloyale. Mais ce sont les seconds qui l’emportent en faisant « valoir la libre circulation des marchandises ».14 La directive force les différents pays européens à autoriser l’adjonction de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao dans la limite de 5% du produit fini.

Aux directives s’ajoutent les « décisions », autre instrument juridique utilisé principalement par la Commission, et qui, dans beaucoup de cas, n’implique pas les procédures législatives décrites précédemment. Ainsi, la Commission peut prendre un acte juridique contraignant pour un gouvernement sans en passer par le parlement. En 2012, en conséquence d’une décision de la Commission, la France a été condamnée à reprendre 642 millions d’euros accordés à SNCF mobilités parce que certains financements étaient jugés incompatibles avec le marché intérieur.15

La Cour, quant à elle, sert, en général, à légitimer les directives et les décisions de la Commission. En mars 2018, elle confirme la décision de la Commission relative à SNCF mobilités. La même année, elle entérine aussi « la décision de la Commission ordonnant à la France de récupérer 1,37 milliards d’euros dans le cadre d’une aide d’État accordée à EDF ». Au nom du marché commun, ces deux subventions étatiques ont été déclarées contraires aux règles de la concurrence.

Plus important encore, la CJUE s’assure du respect des traités européens (Traité de Maastricht, Traité de Lisbonne, Pacte budgétaire européen de 2012) qui ont l’ascendant sur les lois nationales grâce à l’arrêt Costa : on assiste donc à un constitutionnalisme à l’échelle européenne. Récemment, la justice européenne a condamné l’État belge à deux millions d’euros d’amende et 7.500 euros d’astreinte par jour à cause d’une fiscalité avantageuse pour les Belges qui achètent une résidence secondaire en Belgique plutôt qu’à l’étranger16. Cela irait, selon la CJUE, à l’encontre de la « libre circulation des capitaux ».

De quoi poser la question de la compatibilité entre un programme de rupture avec le libéralisme économique et le maintien dans les institutions européennes ?

Sources :

1 DENORD F., KNAEBEL R., et RIMBERT P., « L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le Vieux Continent », Le Monde diplomatique, août 2015, disponible ici.

2 GERBER D.J., « Constitutionalizing the Economy: German Neo-liberalism, Competition Law and the “New” Europe » , 42 Am. J. Comp. L.25, Janvier 1994, disponible ici. « Here the concept of an economic constitution was central because if a constitutional choice regarding the economy acquired the same status as a political constitution, adherence to its dictates would be mandated. Any governmental action that does not conform to constitutional economic principles should be overturned by the courts, they argued, just as if it had violated the political constitution. »

3 Ibid.

4 Conférence à l’institut Walter-Eucken, Fribourg-en-Brisgau, 11 février 2013.

5 Cour de justice des Communautés européennes, disponible ici.

6 Institut Thomas More, Principes, institutions, compétences : Recentrer l’Union européenne, mai 2019, p. 20, disponible ici.

7 Référence au préambule du Traité sur l’Union européenne : « résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe. »

8 Institut Thomas More, Principes, institutions, compétences : Recentrer l’Union européenne, mai 2019, p.21, disponible ici.

9 article 3 de la Déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen : « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane essentiellement. »

10 BODONI S., MARTINUZZI E., « ECB Wins Court Ruling to Keep Greek Swap Information Secret, Bloomberg, 20 février 2014, disponible ici.

11 Vox Pop – A quoi sert la Cour de justice de l’Union européenne?, disponible ici.

12 Article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

13 European Commission, Performance per governance tool: Infringements, disponible ici.

14 AZOULAI, L., Chapitre 5 : « Le marché intérieur » dans Politiques européennes, 2009, disponible ici.

15 ADDEN AVOCATS, « La garantie implicite illimitée en faveur de La Poste résultant de son statut d’établissement public est qualifiée d’aide d’État par la CJUE », CJUE 3 avril 2014 République française contre Commission européenne, aff. C-559/12, disponible ici.

16 GALLOY P., « L’État belge frappé d’astreinte pour sa fiscalité sur les immeubles étrangers », L’Echo, 12 novembre 2020, disponible ici.

Intégration du CETA dans le droit européen : une victoire décisive des multinationales

© CETA Vote Action Strasbourg

Bien qu’il semble que la nouvelle n’ait pas mobilisé une grande partie des médias, un pas décisif a été franchi ce mardi 30 avril en marge des négociations sur le CETA (Comprehensive economic and trade agreement). La Cour de justice de l’Union européenne a jugé le mécanisme ICS (Investment Court System), régisseur des litiges entre firmes et États promu dans le cadre du traité commercial, comme étant « compatible avec le droit primaire de l’Union européenne ». Une décision qui en dit long sans pour autant surprendre outre-mesure lorsque l’on se penche sur le droit européen.


Un contournement de l’intérêt public et souverain au profit des intérêts privés

« Vous pourrez réglementer mais vous devrez parfois payer », voici comment un représentant canadien aurait répondu aux inquiétudes des députés wallons sur l’application de l’ICS, mécanisme qui prévoit le court-circuitage en règle de toute décision de justice nationale ou norme nouvelle qui met à mal les profits d’un investisseur étranger en lui donnant les moyens juridiques de contester une décision d’ordre public et de demander réparation. L’inverse n’est pas vrai, l’ICS ne permet pas qu’un État puisse attaquer en retour un investisseur étranger pour violation de normes nationales. Les compensations financières exigées ne sont pas plafonnées et peuvent comprendre à la fois le dédommagement d’un investissement réalisé comme le rattrapage de profits anticipés et avortés.

« vous pourrez réglementer mais vous devrez parfois payer », voici comment un représentant canadien aurait répondu aux inquiétudes des députés wallons sur l’application de l’ICS.

L’impact le plus attendu pour les investisseurs étrangers est d’ordre dissuasif. L’ICS leur permet d’éviter toute mesure protectionniste avant même qu’elle ne soit envisagée. Devant les risques encourus pour les États-membres ou pour les autorités locales, ces tribunaux d’arbitrages menacent d’abaisser encore un peu plus les standards de régulation nationale. D’autant plus qu’il serait trompeur de réduire la crainte que ces leviers d’arbitrages investisseur-État suscitent aux seuls investisseurs canadiens, puisqu’il y a une interconnexion qui existe entre les deux économies nord-américaines voisines que sont les États-Unis et le Canada, notamment à travers de nombreuses filiales.

Ces tribunaux spécialisés arbitrés par des juges privés, dont il serait de bon droit de préjuger de l’impartialité, et par des avocats d’affaires, s’inscrivent dans la nouvelle stratégie des multinationales pour attaquer les États en justice. L’objectif est de tuer dans l’oeuf toute mesure de rétorsion et de rogner sur les normes sanitaires, environnementales ou autres qui sont celles des États concernés.

Une justice parallèle d’exception en faveur des investisseurs

En érigeant leur droit de façon prioritaire par rapport aux considérations socio-environnementales, ces nouvelles normes assorties de sanctions pour les États membres tournent à l’avantage des investisseurs et d’un impératif de rentabilité. Il s’agit en cela d’un traitement juridique exceptionnel à au moins deux égards. Tout d’abord parce que ce mécanisme, conçu pour encourager les investissements étrangers, fait bénéficier l’investisseur d’une jurisprudence privilégiée par rapport aux États membres, aux ONG ou aux syndicats. Ensuite parce que ce mécanisme est en conflit direct avec les règles du droit international. Ainsi, tout État membre qui se contenterait de faire appliquer des conventions internationales aussi orthodoxes que les accords de Paris, pour faire respecter des normes environnementales, seront passibles de poursuites en cas de perte de profit d’un investisseur étranger. Ce mécanisme ne tolère en outre aucune exception, ni d’ordre sanitaire, ni d’ordre culturel ou social.

Mais ce n’est pas tout, ces tribunaux d’arbitrages ne respectent pas non plus les exigences en matière d’indépendance et d’impartialité judiciaire. Ces mesures d’exceptions en faveur des entreprises constituent une orientation politique que l’Union européenne ne saurait camoufler derrière une apparente neutralité légaliste. Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit d’un choix radicalement idéologique dont la légalité ne saurait susciter un sentiment de légitimité sinon le sentiment d’une judiciarisation de l’injustice. L’impuissance des citoyens européens à faire entendre leurs revendications d’intérêt général se voit un peu plus renforcée par cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

Cette décision est par ailleurs à contre-courant des négociations en cours à l’ONU, auxquelles l’Union européenne a subitement suspendu sa participation, qui concernent la protection des droits humains et environnementaux en responsabilisant juridiquement les entreprises multinationales. Car si l’ICS ne respecte pas les standards internationaux en matière de commerce et de justice, il ne faudrait pas croire pour autant qu’un tel mécanisme ne soit pas en accord avec le droit européen. Un droit européen dont le paradigme juridico-économique semble être celui d’un marché concurrentiel en vase clos juridique qui se soucie davantage de reproduire les conditions parfaites du libre-échange que celui de l’intérêt général des populations européennes.

Une décision logique

Le plus étonnant dans cette affaire ne devrait pas être de considérer que cette décision serait en rupture avec les principes de l’Union européenne ou qu’elle constituerait une quelconque trahison. Le plus marquant, c’est bien qu’elle s’inscrive en droite ligne de ce qu’est l’Union européenne, au moins depuis Maastricht. D’un point de vue légal, le système de règlement ICS est tout à fait conforme au droit européen, et c’est bien là le problème.

Le mécanisme ICS est sans aucun doute un scandale sanitaire, écologique, économique, public, politique, mais en aucun cas un scandale juridique, du moins du point de vue du droit communautaire européen.

L’autre dimension que recouvre le dispositif ICS est l’accroissement de la souveraineté européenne sur les États membres, en tant qu’elle neutralise un peu plus la capacité des États à contrôler et à restreindre les flux économiques. Mais cette conséquence s’inscrit en conformité avec la libre circulation des bien et des capitaux, parmi les quatre libertés fondamentales du marché unique européen, et entre en résonance avec l’arrêt Sandoz GmbH 1999, même si jusqu’ici la logique inscrite dans l’article 65 du TFUE [ndlr, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne] ne s’étendait pas aux mesures d’ordre public. Le fait est qu’avec ce dispositif, les citoyens européens auront encore moins leur mot à dire sur des retombées qui vont pourtant impacter leur quotidien de façon significative.

Le mécanisme ICS est sans aucun doute un scandale sanitaire, écologique, économique, public, politique, mais en aucun cas un scandale juridique, du moins du point de vue du droit communautaire européen. Au vu des accords déjà signés avec Singapour, et bientôt avec le Vietnam, on aurait tort de croire que l’Union européenne s’arrêtera en si bon chemin avant d’avoir étendu ce dispositif à d’autres parties du globe.

Ismaël Omarjee : «On assiste à une évolution préoccupante des instruments juridiques européens».

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Le droit communautaire est assez mal connu. Il est pourtant très important, au sein d’une Europe conçue avant tout comme un ensemble économico-juridique. L’intégration s’est faite d’abord par le droit, comme le rappelle ci-dessous Ismaël Omarjee, maître de conférence à l’université de Nanterre, co-directeur de M2 “juriste européen” et spécialiste de ces questions. Ce dernier revient ci-dessous sur la primauté du droit communautaire, sur les implications de l’appartenance européenne sur l’identité constitutionnelle de la France, sur les entorses à la charte des droits fondamentaux dans certains pays au nom de l’austérité, et sur bien d’autres points encore. 

***

 

Deux arrêts fondateurs de la Cour de Justice des communautés européennes de 1963 et 1964 ont posé, en droit européen des principes essentiels que sont « l’effet direct » et la primauté du droit européen sur les droits nationaux. Pouvez-vous expliquer en quoi ces jurisprudences, très peu connues du grand public, sont fondamentales à connaître ?

Par ses arrêts rendus le 5 février 1963 (Van Gen en Loos) et le 15 juillet 1964 (Costa Enel), la Cour de justice a en effet consacré ces deux principes fondamentaux que sont l’effet direct et la primauté. L’importance de ces principes tient à ce qu’ils sont constitutifs de l’ordre juridique communautaire c’est à-dire qu’ils confèrent à la Communauté européenne (aujourd’hui Union européenne) d’une part, sa spécificité au regard des autres organisations internationales d’autre part, son autonomie à l’égard des Etats membres. Leur compréhension est indispensable si l’on veut saisir le fonctionnement de l’Union européenne notamment dans ses rapports avec les Etats membres.

Evoquons d’abord le principe de primauté. Ce principe a été consacré par l’arrêt Costa Enel du 15 juillet 1964 alors même qu’il n’était pas inscrit dans le Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne ! Au terme d’une lecture particulièrement audacieuse de ce traité, s’appuyant davantage sur son esprit que sur sa lettre, la Cour de justice a considéré que les Etats « ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux mêmes ». Elle en a tiré comme conséquence que « le droit du Traité ne pourrait (…) se voir judiciairement opposé un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire, et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle même ». Autrement dit, le droit communautaire prime le droit interne des Etats. En cas de conflit, le juge national doit nécessairement écarter la règle nationale au profit de la règle interne.

L’importance de ce principe a par la suite été redoublée par l’extension progressive des compétences de la Communauté et par son application non plus aux seules dispositions du Traité mais également aux dispositions prises pour leur application : règlements et directives notamment.

L’effectivité de ce principe repose sur les sanctions dont sont passibles les Etats s’ils manquent à son respect. En particulier, le recours en manquement permet à la Commission de saisir la Cour de justice contre un Etat récalcitrant.

Il est vraiment important de comprendre que ce principe de primauté, sur lequel l’Europe s’est construite – construction essentiellement par le droit – a été imposé par le juge européen alors que les pères fondateurs, en dépit de leur engagement supra national, n’avaient pas osé l’inscrire dans les traités. D’un point de vue démocratique, cela n’est pas sans poser problème car il s’agit d’une mise sous tutelle des droits nationaux.

Aujourd’hui, le principe de primauté ne figure toujours dans les Traités. Une déclaration annexée au Traité de Lisbonne (Déclaration n°17) en rappelle la substance « Les Traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des Etats membres …».

Le principe de l’effet direct a, pour sa part, été consacré par l’arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963. Il désigne l’aptitude qu’à la règle européenne à créer directement des droits ou des obligations dans le chef des particuliers et la possibilité pour ces derniers de les invoquer devant le juge national. Pour cette raison, le juge national est considéré comme le garant de l’application du droit de l’Union.

Le principe de l’effet direct est important car il permet au particulier de se prévaloir contre son Etat l’application d’une règle européenne devant le juge s’il estime que cette règle n’a pas été respectée. L’effet direct est alors vertical.

Le principe peut aussi être invoqué dans des litiges entre particuliers. Par exemple, entre un employeur et son salarié. L’effet direct est alors horizontal. Cet effet horizontal ne concerne cependant pas les directives.

Pour qu’une norme soit reconnue d’effet direct, elle doit cependant remplir certaines conditions : être suffisamment précise et inconditionnelle. Suffisamment précise, en ce sens qu’elle doit énoncer un droit ou une obligation dans des termes non équivoques ; inconditionnelle en ce sens qu’elle n’est pas assortie de conditions et ne requiert pas une mesure ou un acte complémentaire.

 

Les juridictions nationales françaises ont longtemps résisté à l’idée d’entériner la primauté du droit communautaire. Mais la Cour de cassation l’a fait en 1975, et le Conseil d’État en 1989 avec l’arrêt Nicolo. Ce dernier est un « grand arrêt » très connu, qui fait disparaître le principe de la « loi écran ». Qu’est-ce que cela signifie ? Contourner ainsi le législateur national au nom de l’Europe ne pose-t-il pas un problème démocratique ?

La reconnaissance de la primauté en France a été, en effet, tardive pour des raisons tenant à la tradition juridique française, plutôt réticente à accepter la supériorité des normes internationales, et au silence de la version initiale de Constitution de 1958 sur le phénomène communautaire.

L’article 55 de la constitution qui, faut-il le rappeler, affirme la supériorité des traités internationaux sur la loi française sous réserve de réciprocité aurait pu fonder, dès l’origine, la reconnaissance du principe de primauté. Mais pendant longtemps, les juridictions françaises ont privilégié une application a minima de l’article 55 de la Constitution, considérant que cette disposition ne s’imposait qu’au législateur. Si elles reconnaissaient la supériorité d’un Traité sur une loi antérieure contraire, elles considéraient que le Traité devait s’incliner devant une loi postérieure contraire compte tenu de la volonté souveraine du législateur.

L’évolution est venue d’abord de la Cour de Cassation à l’occasion d’un arrêt Société des cafés Jacques Vabre rendu le 24 mai 1975. Appelée à se prononcer sur la compatibilité d’une loi française avec certaines dispositions du Traité de Rome, la Cour de Cassation reconnaît la primauté du droit communautaire en se fondant tant sur la spécificité de l’ordre juridique communautaire que sur l’article 55 de la Constitution. S’agissant de cette dernière disposition, elle estime que la condition de réciprocité qu’elle contient doit être écartée pour l’application des Traités de l’Union.

Le Conseil d’Etat a mis davantage de temps à reconnaître le principe de primauté arguant dans un premier temps de la souveraineté du législateur français et de l’inopposabilité de l’article 55 de la Constitution au juge national. Comme vous le soulignez, la rupture est venue de l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989. Etait en cause la compatibilité d’une loi française organisant les élections au Parlement européen avec les dispositions du Traité de Rome relatives à son champ d’application, notamment outre-mer. Opérant un revirement complet, donnant effet à l’article 55 de la Constitution, le Conseil d’Etat reconnaît la primauté des dispositions du Traité de Rome sur la loi française y compris lorsque celle-ci est postérieure au Traité. C’est en ce sens que le principe dit de la « loi écran » a disparu puisqu’aucune loi, qu’elle soit antérieure ou postérieure au Traité, ne peut plus s’opposer à l’application des traités.

On peut y voir une restriction au pouvoir du législateur mais cela n’est pas propre aux Traités européens. Les décisions du Conseil d’Etat se réclament moins de la spécificité de l’ordre juridique européen que d’une application bien comprise de l’article 55 de la Constitution. La primauté vaut ainsi pour tous les Traités et pas seulement pour les Traités européens.

Il est vrai cependant que pour les autres Traités, la primauté reste soumise à une condition de réciprocité alors qu’elle est inopposable aux Traités européens.

La reconnaissance de la primauté par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat est complète : elle s’étend aux règlements, aux directives et aux arrêts de la Cour de justice.

 

A l’occasion de son arrêt « Lisbonne » de 2009, qui étudiait le traité du même nom, la Cour constitutionnelle allemande a renforcé les pouvoirs du Bundestag. Désormais, celui-ci est davantage consulté sur la question de l’Europe. De son côté, le Conseil constitutionnel français a posé pour la toute première fois une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union en 2013, semblant valider de fait la supériorité du droit de l’Union sur la loi fondamentale française. Il semble que selon les pays, le principe de la primauté du droit européen soit vécu différemment, et que certaines Cours constitutionnelles préservent mieux que d’autres la souveraineté de leur pays. Qu’en pensez-vous ?

Il ne faut pas se méprendre sur la position des juges français quant aux rapports entre la Constitution française et le droit de l’Union européenne.

Il faut distinguer l’attitude du juge et celle du Constituant. Rappelons d’abord les termes de l’article 54 de la Constitution : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ». De cette disposition, il résulte qu’un Traité contraire à la Constitution ne peut être ratifié qu’après une révision de la Constitution. En l’absence d’une telle révision, il convient soit de renoncer à la ratification soit de renégocier le Traité afin de l’expurger des termes inconciliables avec la Constitution. Cette disposition pose, à sa manière, la supériorité de la Constitution au Traité puisque la contrariété de ce dernier à la Constitution est un obstacle à sa ratification.

L’application de ce principe aux Traités européens devrait empêcher la ratification de Traités dont les dispositions heurtent les dispositions constitutionnelles. Or, à chaque fois que la question s’est posée, le Constituant français s’est résolu à modifier la Constitution pour permettre la ratification des traités européens. Ce fut le cas en 1992, en 1999 en 2008 pour la ratification des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne. Ces modifications successives de la Constitution – texte fondamental s’il en est – contribuent à sa banalisation et trahissent une attitude du Constituant peu respectueuse de l’identité constitutionnelle de la France.

La position des juges est nettement plus nuancée. Le Conseil d’Etat comme la Cour de Cassation dénient toute primauté de la règle européenne face aux normes constitutionnelles. En cas de conflit, ces juridictions appliquent les normes constitutionnelles. Ainsi en a-t-il été dans les affaires Sarran (CE, 30 octobre 1998) et Fraisse (Cass. A.P, 2 juin 2000) relatifs à la mise en œuvre des accords de Nouméa. De même, le Conseil constitutionnel a jugé que la primauté du droit dérivé de l’Union – règlements, directives – cédait devant une disposition contraire de la Constitution (Décisions du 10 juin et du 1er juillet 2004).

Il est vrai cependant que pour tenir compte de la participation de la République à l’Union européenne, le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la constitutionnalité des lois de transposition d’une directive, estimant que « la transposition en droit interne d’une directive résulte d’une exigence constitutionnelle ». Ce signe d’ouverture vers le droit de l’Union européenne résulte directement de l’article 88-1 de la Constitution selon lequel « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».

Faut-il pour autant conclure à l’immunité constitutionnelle des lois de transposition d’une directive ? La situation est plus complexe qu’elle n’y parait car le Conseil constitutionnel considère que la transposition d’une directive « ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (Cons. Const 27 juillet 2006 ; 30 novembre 2006). Cette référence à l’identité constitutionnelle nationale n’est pas propre au Conseil Constitutionnel français. On la retrouve aussi chez le juge constitutionnel allemand et traduit l’idée, exprimée par nombre de Cours constitutionnelles (allemande, polonaise, espagnole, italienne) que le droit de l’Union européenne n’a pas la primauté sur les exigences constitutionnelles définissant une identité nationale.

A la lumière de ces observations, on ne peut conclure que le Conseil Constitutionnel français préserve moins bien que ses homologues étrangers la souveraineté du pays. Ce constat n’est pas remis en cause par la saisine de la Cour de justice à titre préjudiciel : celle-ci ne peut être perçue comme un acte de soumission de la Loi fondamentale au droit de l’Union européenne. Si elle traduit certes, incontestablement, une plus grande ouverture du vers le droit de l’Union européenne, elle ne signe pas le renoncement à assurer la suprématie de la Constitution française.

Il n’en demeure pas moins – et je vous suis sur ce point – que cette plus grande ouverture du Conseil constitutionnel vers le droit européen tranche avec la position plus hésitante de la Cour constitutionnelle allemande compte tenu de l’importance que ce pays accorde à la protection des droits fondamentaux. Longtemps méfiante vis à vis du droit communautaire, la Cour de Karlsruhe a semblé plus ouverte à partir des années quatre-vingt prenant acte de la volonté croissante des institutions communautaires, notamment de la Cour de justice, d’assurer protection des droits fondamentaux. Toutefois, la période récente, initiée en 1992 semble marquer le retour sinon d’une méfiance du moins d’une certaine vigilance. La jurisprudence récente met en avant une « clause d’éternité », noyau identitaire auquel le droit de l’Union ne saurait porter atteinte. Par ailleurs, la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 30 juin 2009 sur la ratification du Traité de Lisbonne a renforcé le contrôle démocratique de la Cour sur les Traités inaugurant à bien des égards une nouvelle ère dans les relations entre l’Union et les Etats. Cette décision peut être résumée en quelques points :

– comme « organisation internationale », l’Union ne peut se prévaloir d’une souveraineté comparable à celle des Etats qui la composent. Aussi, le Parlement national doit se voir reconnaître des pouvoirs suffisants dans la participation à la procédure législative et à la procédure d’amendement des traités.

– il appartient au juge constitutionnel de faire obstacle à l’application en Allemagne de dispositions européennes incompatibles avec la Constitution.

– Il n’existe pas de « peuple européen » souverain, par conséquent la souveraineté primordiale demeure aux mains des peuples et il s’ensuit que le Parlement européen n’a pas la même légitimité que les Parlements nationaux.

 

La Constitution française a été réformée plusieurs fois pour y intégrer les traités européens. Elle possède désormais un titre XV intitulé « de l’Union européenne ». Dans ce cadre et si la France devait un jour sortir de l’Union européenne à l’instar de la Grande-Bretagne, n’y aurait-il pas un laps de temps où le gouvernement devrait agir de manière inconstitutionnelle ? Comment réagiraient les différentes juridictions nationales ?

C’est une question difficile. La probabilité d’une sortie de la France de l’Union européenne me paraît assez faible surtout depuis le résultat des dernières élections françaises.

En se plaçant dans cette hypothèse, je ne perçois pas ce laps de temps ou le gouvernement devrait agir de manière inconstitutionnelle. Le titre XV de la Constitution ne fait que tirer les conséquences de la participation de la République à l’Union européenne. Il n’impose nullement cette participation. Il va de soi cependant que l’officialisation d’une éventuelle sortie de l’Union s’accompagnerait nécessairement de la suppression du titre XV de la Constitution. De même, elle serait nécessairement accompagnée d’un acte transitoire pour le règlement des situations en cours. C’est l’usage en matière d’adhésion ou de sortie d’une organisation. Les solutions restent à imaginer et le Brexit pourrait valoir d’exemple. Il faudra suivre attentivement les modalités de sa concrétisation.

 

Récemment, le président de la Commission Jean-Claude Juncker a expliqué que le traitement économique actuellement infligé à la Grèce n’était certes pas conforme à la Charte des droits fondamentaux de l’Europe, mais que ce n’était pas si grave puisque la Troïka est une structure ad hoc qui agit hors cadre juridique. N’est-ce pas là, précisément, la définition de l’arbitraire et du droit du plus fort ?

Oui, je partage votre sentiment sur la brutalité et le caractère arbitraire d’une telle déclaration qui n’est, cependant, ni le fruit du hasard ni le signe d’une maladresse. La position défendue par Jean-Claude Juncker fait écho à la gouvernance économique et en particulier au schéma imaginé lors de l’adoption du Mécanisme européen de stabilité qui, à dessein, a été conçu en dehors du droit de l’Union européenne et donc de la Charte des droits fondamentaux.

A plusieurs reprises, la Cour de justice a été saisie de la conformité à la Charte des mesures nationales d’austérité exigées par l’Union ou contenues dans les accords de facilité d’assistance financière conçus dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité. Qu’il s’agisse des mesures adoptées en Grèce, au Portugal, à Chypre, en Roumanie ou en Irlande, la Cour a constamment jugé que ces mesures ne pouvaient être soumises au contrôle de la Charte car elles ne relevaient pas du droit de l’Union.

On assiste là à une évolution assez préoccupante consistant à créer des instruments en dehors du cadre juridique de l’Union pour ensuite les soustraire au contrôle juridictionnel ou aux textes fondamentaux. Encore récemment, le tribunal de l’Union s’est déclaré incompétent pour connaître des recours de demandeurs d’asile à l’encontre de la déclaration UE-Turquie tendant à résoudre la crise migratoire au prétexte que cet acte n’a pas été adopté par l’une des institutions de l’Union européenne.

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