Bruno Retailleau à Beauvau : le Cheval de Troie de la droite réactionnaire

Bruno Retailleau © UMP – Octobre 2013

L’annonce du gouvernement Barnier a scellé officiellement une alliance entre une macronie radicalisée et une droite en quête de pouvoir, après sept années d’absence. Une coalition désormais sous l’influence du Rassemblement National, la députée Laure Lavalette (RN) n’ayant pas hésité à affirmer sur le plateau de BFMTV : « Quand on écoute Bruno Retailleau, (…) on a l’impression que c’est un porte-parole du Rassemblement national. » À Beauvau, l’arrivée de Bruno Retailleau, sénateur traditionaliste attaché à un imaginaire du passé glorifié et défenseur d’une conception autoritaire de la société, marque ainsi une étape décisive dans la progression de l’extrême-droite. Les figures issues des rangs de cette dernière ont néanmoins le mérite de faire ressurgir une alternative décisive, héritée des lendemains de la Révolution française : la République monarchique de l’ordre contre le mouvement d’une République démocratique et sociale. Retour sur le parcours du nouveau ministre de l’Intérieur et décryptage de « la politique de la majorité nationale»fondamentalement réactionnaire qui s’annonce.

Ce matin du 23 septembre, le personnel du ministère de l’Intérieur se rassemble pour assister à la passation de pouvoir entre Gérald Darmanin et son successeur. Bruno Retailleau, leader des sénateurs de droite au palais du Luxembourg, dans son style de sévérité monastique, s’installe au pupitre pour remercier celui qu’il critiquait hier encore, lorsqu’il jurait qu’aucune alliance ne serait tolérée avec le « Jupiter » de l’Élysée. Le voilà aujourd’hui son collaborateur de l’Intérieur en plus d’être la nouvelle caution auprès de l’extrême-droite, qui se félicite de sa nomination. Après des mots élogieux pour le ministre sortant, devenant celui que « n’a jamais faibli », le nouveau visage de Beauvau donne un cap on ne peut plus clair : ne rien céder, ne rien tolérer, aucune offense, aucune atteinte – répétant par trois fois l’impératif du rétablissement de l’ordre.
 
Ces derniers jours, même les médias « dominants » ont fait état des positions très conservatrices du nouveau « premier flic de France ». Les journalistes rappellent ainsi ses outrances lors de la grande loi consacrant le Mariage pour Tous, sa signature d’une tribune en 2015 demandant un référendum pour revenir sur la loi qu’il jugeait contraire aux « valeurs fondamentales » de la famille traditionnelle, sa critique ouverte de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, perçue comme une rupture dans la dualité des sexes, son opposition à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ou encore son vote contre l’interdiction des « thérapies de conversion », qui visent à changer par la contrainte l’orientation sexuelle des homosexuels. Des titres de presse qui ne l’ont pourtant pas ébranlé puisqu’il n’a pas tardé à s’affirmer toujours plus clivant sur la scène médiatique, multipliant les apparitions sur Cnews, l’antenne de Vincent Bolloré, ou au 20h de TF1, en reprenant à son compte la stratégie des années sarkozystes : capter l’électorat d’extrême-droite par ses thèses anti-immigrationnistes.
 
Au-delà de ces effets d’annonce et des commentaires médiatiques, cette nomination marque une étape décisive dans le basculement vers l’extrême-droite des représentants de la droite historique et du macronisme. Avec la prise de Beauvau, Bruno Retailleau incarne le retour au pouvoir d’un courant réactionnaire, catholique traditionaliste et libéral, sous l’œil bienveillant, et toujours en embuscade, du bloc mené par Marine Le Pen.

L’ancrage réactionnaire : le parcours d’un notable

C’est au sein du microcosme du Puy du Fou que Bruno Retailleau commence sa carrière auprès de son ex-mentor Philippe De Villiers, imprégné de la romance d’une France traditionaliste et chrétienne. Il prend rapidement des responsabilités au sein de l’entreprise de divertissement vendéenne et devient responsable de l’un des principaux spectacles, dont plusieurs historiens ont pointé le révisionnisme historique.
 
À partir de ce milieu, dont il sera exclu en 2010 suite à l’éclatement de différends politiques, l’homme se construit une carrière de notable, tout d’abord au sein des directions de radio locale ou d’une école de commerce privée puis en tant que professionnel de la politique. Son assise acquise grâce au parti traditionaliste du Mouvement Pour la France (MRP) lui permet de monter rapidement au sommet des instances du Conseil départemental de la Vendée. En 2004, il fait une apparition à l’échelle nationale en devenant sénateur de Vendée.
 
La politique locale le rattrape très vite. Après le retrait de la vie politique de Philippe De Villiers, il prend en 2010 sa succession à la tête du département de Vendée. Il se rapproche alors de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) et y adhère en février 2012 pour se rapprocher de l’autre branche conservatrice du grand ouest, portée en Sarthe par la figure de François Fillon. À la tête de l’exécutif vendéen, il promeut une vision d’autonomie locale sous la forme de l’activité entrepreneuriale qu’il oppose à l’assistanat économique. Sa politique s’ancre dans la lignée historique d’un tissu économique qui promeut les petites entreprises familiales, valorisant le capitalisme local en lien avec les intérêts des divers groupes confessionnels ou agricoles, comme la puissante FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles).

À la tête de l’exécutif vendéen, il promeut une vision d’autonomie locale sous la forme de l’activité entrepreneuriale qu’il oppose à l’assistanat économique.

Ce modèle est présenté comme une forme de conservatisme social mais relève bien plus souvent des logiques clientélistes du bocage tout en reposant sur un affrontement surjoué avec l’État central. Lors de son arrivée à la présidence de la région des Pays de la Loire en 2016, Bruno Retailleau oppose ainsi sa nouvelle équipe aux administrations décentralisées des sous-préfectures qui recevaient alors les directives des gouvernements hollandistes ; et n’hésite pas alors à s’en prendre aux politiques « trop sociales » mises en œuvre depuis l’Élysée.
 
Cet ancrage de notable lui permet de se faire réélire à deux reprises au poste de sénateur dans un territoire sans réelle adversité politique organisée – sa liste remporte environ 70% des votes des grands électeurs. À partir de 2014, il prend le poste de président de groupe de la droite conservatrice au Sénat, devenant ainsi un personnage incontournable dans la construction de la loi au sein de la haute chambre du parlement. L’assise étant assez solide, Bruno Retailleau peut alors porter à l’échelon national, d’abord comme bras droit du candidat Fillon à la présidentielle de 2017 puis sous son propre nom, un projet réactionnaire au sens littéral du terme, c’est-à-dire défendant un retour à un état social antérieur, inscrit dans la tradition contre-révolutionnaire.

La République d’un monarchiste

À suivre les positions du nouveau locataire de Beauvau, il n’y a donc pas l’ombre d’un doute : la République dans sa bouche n’est « autre chose que la monarchie couronnée par le bonnet phrygien », pour reprendre une formule de Marx dans son texte Les Luttes des classes en France (1850). Le sénateur vendéen défend ainsi une République transcendantale portée par une figure forte et directrice au sommet de l’État : « Un peuple a besoin d’un chef, et un chef a besoin d’autorité », affirme-il à plusieurs reprises, notamment lors des primaires de son parti (LR), en vue des élections présidentielles de 2022.

Une République de l’ordre, qui n’est pas sans rappeler la réaction de la bourgeoisie à chaque fois qu’un élan progressiste remet en cause sa domination. Dans son livre Les droites en France, René Rémond avait en ce sens théorisé les trois courants des droites (légitimiste, orléaniste, bonapartiste), conformément au rapport qu’elles entretenaient avec la Révolution française. Les conservateurs rejetaient à des degrés divers la souveraineté populaire ainsi que les nouvelles institutions qui la consacraient. Deux siècles plus tard, si les droites françaises ont stratégiquement épousé la voie parlementaire, elles continuent néanmoins de contester la souveraineté populaire – autorité autrement légitime, qu’elles comptent bien définitivement continuer à museler.
 
Si l’on considère aujourd’hui les trois courants de la droite et de l’extrême-droite contemporaines – le macronisme, fondé sur un néolibéralisme mondialisé ; une droite conservatrice récemment intégrée au gouvernement ; et enfin le bloc nationaliste aux portes du pouvoir –, toutes entendent ainsi, à des degrés divers, radicaliser le bonapartisme propre à la Ve République, consacrant un président-monarque censé garantir l’ordre. La souveraineté populaire est quant à elle largement confisquée au nom d’une autorité supérieure, supposée défendre une « République » en danger. Qu’on retrouve au sein de ces trois mouvances une orientation commune pour l’ordre institutionnel trouve alors à s’expliquer : toute remise en question de la concentration du pouvoir et du culte du chef est ainsi rapidement perçue comme une attitude hostile envers la République, sacrée de la même auréole que le trône des anciennes monarchies.

Syndicalistes, militants pour les droits sociaux ou encore activistes pour le climat sont dès lors dépeints en figures du désordre afin de légitimer les mesures liberticides et répressives. Ce fut le cas lors de l’adoption au sénat en 2019 de la « loi anticasseurs », dont Bruno Retailleau a été l’un des principaux artisans, qui instaura la création de périmètres de contrôle policier à l’entrée des manifestations et, surtout, prévoyait de permettre aux préfets de s’opposer au droit à manifester pour des individus considérés comme dangereux. Le nouveau ministre de l’Intérieur avait également appelé avec sa collègue Laurence Garnier à ne rien céder « face au totalitarisme vert », tout en allant jusqu’à dépenser 60.000 euros d’argent public pour une campagne de publicité de la région Pays de la Loire réclamant l’expulsion des écologistes installés à Notre-Dame-des-Landes.
 
La séquence de ces dernières semaines a par ailleurs illustré la restriction systématique de la démocratie – même dans sa forme représentative – au sein de la République de l’Ordre. Dans son discours de passation, Bruno Retailleau s’est ainsi appuyé sur le nouvel argument favori des chefs minoritaires : « Il y a eu des élections législatives et nous sommes en démocratie. » Or, c’est oublier que l’actuel gouvernement s’appuie sur une poignée d’élites dont les diverses parties tentent de théoriser le « nécessaire » piétinement du suffrage universel. On justifie de la sorte que le bloc en tête des élections ne soit pas appelé à former un gouvernement et que le Premier ministre soit choisi au sein de la force politique, qui sort seulement quatrième du scrutin.

Le nouveau ministre de l’Intérieur, s’octroyant l’incarnation de « la volonté des Français », assure de protéger la population aux moyens policiers de l’État, à condition que celle-ci reste passive et indifférente à l’exercice de sa souveraineté.

Deux orientations droitières trouvent même s’exprimer au sommet de l’État pour normaliser l’usurpation des élections. La première s’inscrit dans la tradition technocratique classique, invoquant la nécessité d’un « gouvernement technique » pour assurer la gestion des affaires courantes, mais surtout pour rassurer les institutions internationales et européennes ; tandis que la seconde orientation, portée par Bruno Retailleau, se caractérise par une pratique sécuritaire du pouvoir, légitimée par un prétendu plébiscite en faveur du retour à l’Ordre. Le nouveau ministre de l’Intérieur, s’octroyant l’incarnation de « la volonté des Français », assure de protéger la population aux moyens policiers de l’État, à condition que celle-ci reste passive et indifférente à l’exercice de sa souveraineté. Ces deux orientations, bien que divergentes en apparence, convergent pourtant sur un point essentiel : le maintien du statu quo en matière de politique économique.

Un positionnement libéral et antisocial

Bien que certaines positions de Bruno Retailleau – son opposition en 2005 à la privatisation des autoroutes, ou encore son ralliement dans le camp du « non » lors du vote du traité de Maastricht – pourraient laisser croire qu’il défend une forme de souverainisme social, ses multiples faits d’armes démontrent le contraire. En 2023, lors de la réforme des retraites, alors que la France connaît l’un de ses plus grands mouvements de revendication sociale depuis la sortie de la guerre, il soutient l’action macroniste et plaide même pour une réforme encore plus dure, critiquant à l’époque ses alliés d’aujourd’hui qui n’allaient pas assez loin. De même en 2018, lorsqu’il s’oppose frontalement au mouvement des « Gilets jaunes » et se montre inflexible à l’égard des manifestations populaires, considérant comme illégitimes les revendications des ronds-points.

La droite réactionnaire et libérale poursuit par là son offensive contre l’un des acquis du socialisme républicain : l’État social. Depuis plusieurs années, les votes de Bruno Retailleau à la chambre haute se sont généralement orientés sur des coupes drastiques de la dépense publique et de baisse du nombre de fonctionnaires : après avoir fortement soutenu l’objectif de suppression de 500.000 postes durant la campagne de François Fillon en 2017, l’ex-chef de file des conservateurs au Sénat a fait inscrire un objectif de 120.000 postes en moins d’ici à 2027 dans la loi de programmation des finances publiques. Quant aux questions posées par le budget 2025, sur lequel pèse l’ouverture d’une procédure par la Commission européenne pour déficit public excessif contre sept pays dont la France, nul doute que le nouveau ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à conjuguer l’autorité à l’austérité – au nom d’un nouvel « effort national ».

Quant aux questions posées par le budget 2025, nul doute que le nouveau ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à conjuguer l’autorité à l’austérité – au nom d’un nouvel « effort national ».

Aurons nous encore de la lumière en hiver ? s’interroge même le nouveau ministre de l’Intérieur dans le livre qu’il a fait paraître en 2021, à la recherche d’une « écologie du réel ». On ne trouvera pourtant aucune solution d’usage à protéger les chaînes d’approvisionnement énergétiques, ni de mesures concrètes capables de financer la transition écologique, mais l’éloge des prétendues « lois » immuables de la nature, redoublé d’une critique d’une prétendue déliquescence morale et spirituelle. Un positionnement qui n’est pas sans rappeler les écrits du théoricien de l’écologie d’extrême droite, Alain de Benoist et qui légitime, à l’appui d’un nouveau substrat idéologique, la thèse du désordre social. On voit donc rapidement réapparaître le fondement même de la pensée réactionnaire : la volonté de restaurer une organisation sociale désormais révolue, à rebours des aspirations progressistes de la société présente.

L’autre séparatisme à Beauvau

Autre facette du nouveau locataire de la place Beauvau : la revendication d’un catholicisme conservateur qui n’accepte pas la relégation de sa croyance dans la sphère privée. Sur les questions de laïcité, Bruno Retailleau tient par conséquent des positions à géométrie variable. S’il a été très actif en 2021 lors du passage au parlement de la loi dite « Contre le séparatisme » qui visait à encadrer strictement les associations recevant des subventions publiques et à contrôler l’activité des lieux de cultes2, c’est moins pour défendre « les valeurs de la République », fondamentalement anticléricales, que pour protéger « les racines chrétiennes de la France », conformément à l’idéologie d’extrême-droite.

Preuve en est : celui qui ne cesse d’appeler à un durcissement des sanctions contre le séparatisme s’était lui-même opposé, en 2014, au tribunal administratif de Nantes, lorsque ce dernier avait interdit l’installation d’une crèche dans le hall du Conseil départemental de la Vendée au nom du principe de la loi de 1905. Après une victoire en cour d’appel, Bruno Retailleau avait salué une « décision de bon sens » qui ne faisait pas du principe de « laïcité un principe d’absurdité ». C’est ce même bon sens qui légitime toutes ses positions en la matière : il s’oppose aux mesures visant à renforcer le contrôle de l’État sur les contenus éducatifs religieux, ou encore à l’interdiction des écoles privées religieuses hors contrat.
 
Lors des deux présidences locales de Bruno Retailleau, la part belle avait ainsi été donnée aux écoles catholiques. Par deux fois en 2016, la région Pays de la Loire a augmenté les aides aux établissements privés – ce qui avait suscité de nombreuses critiques au sein des oppositions2. Dans une enquête de Médiapart d’août 2024, on apprend également que la politique conduite par la majorité régionale, aujourd’hui aux mains de son ex-protégée Christelle Morançais, a versé entre 2016 et 2023, plus de 234 millions d’euros de subventions facultatives aux lycées privés. Celui qui a affirmé ces derniers jours qu’il défendait « les Français les plus modestes » au titre « qu’ils n’ont pas assez d’argent pour mettre leurs enfants dans les bonnes écoles » était jusqu’ici l’un des principaux lobbyistes de l’enseignement catholique au sein du Parlement.

La macronie a participé à faire rentrer au gouvernement un fidèle des derniers prêtres réfractaires, à l’opposé de l’idée hugolienne d’une Église chez elle et d’un État chez lui.

En somme, la macronie a participé à faire rentrer au gouvernement un fidèle des derniers prêtres réfractaires, à l’opposé de l’idée hugolienne d’une Église chez elle et d’un État chez lui. Pour ce nouveau cartel des droites, la laïcité n’est donc plus un principe républicain, au sens historique du terme, permettant de garantir l’expression pacifiée des différents cultes ; mais un principe au service d’une certaine conception traditionnelle de la société aux pratiques catholiques. Une usurpation de la loi de 1905 largement dénoncée par l’ancien Observatoire de la laïcité, dissout en juin 2021 par le gouvernement Castex.

Le peuple civilisationnel contre le peuple républicain

Dans les déclarations du ministre de l’Intérieur, les notions de « décivilisation » ou « d’ensauvagement de la société » sont enfin très présentes. En mobilisant ces dernières, il perpétue l’idée d’une dégradation morale et culturelle de la France, causée par l’arrivée massive de populations étrangères, idée pourtant démentie par les chiffres. Ses récents propos sur Sud Radio au sujet de l’époque de la colonisation, renvoyant à « des heures qui ont été belles » ou encore l’existence selon lui d’une « haine de cette civilisation, que certains veulent nourrir dans l’Occident » contribuent à normaliser cette ligne de clivage culturel et à renforcer l’imaginaire d’un peuple civilisationnel. Ainsi, la stratégie réactionnaire est double : elle construit un ennemi de l’intérieur et présente le pays comme une citadelle assiégée.

La stratégie réactionnaire est double : elle construit un ennemi de l’intérieur et présente le pays comme une citadelle assiégée.

Lors de sa prise de fonction, Bruno Retailleau a déclaré vouloir défendre une « politique de la majorité nationale » tout en sachant très bien que cette majorité ne pouvait se trouver dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, qui n’a jamais été aussi émiettée. Il en appelle plutôt à un hypothétique pays profond, où sommeillerait une France du passé, imprégné d’une morale catholique traditionaliste. Cette grammaire rappelle l’idée de « pays réel » développée par Charles Mauras, l’homme de l’Action française, qui entendait défendre à travers ce vocable « l’immense masse française dépositaire des vertus de la race »3. À l’inverse, le « pays légal », celui des institutions et des représentants, était perçu comme un obstacle à l’expression du peuple. De quoi mieux comprendre les propos du nouveau ministre au sujet de l’État de droit qui, dans la droite lignée de cette tradition nationaliste, n’a jamais effectivement été considéré comme « sacré ».

Reste alors une question en suspens : quelle différence de fond existe-t-il désormais entre une « politique de la majorité nationale » présentée comme telle et la politique « de la préférence nationale » portée par le parti de Marine Le Pen ? De la réponse donnée à cette question dépend, en partie, le réarmement du camp authentiquement républicain, démocrate et social, face aux droites réactionnaires. Les forces de gauche ne peuvent plus se contenter d’étiqueter « extrême-droite » tout ce qui s’oppose à leur projet émancipateur.

Il importe de saisir la particularité du moment, de relire la restructuration actuelle des blocs au regard de la longue histoire sociale du pays, de reconnaître les différentes nuances de droite, d’identifier leurs références culturelles, leurs sources de financement et leurs réseaux militants, afin de mieux appréhender « le processus d’extrême-droitisation » qui a cours aujourd’hui. C’est ici ce que propose cet article en souhaitant réhabiliter l’idée d’un parti de l’ordre4, émergeant d’une nouvelle alliance de la bourgeoisie libérale (Macronie, Droite LR et FN/RN) contre le bloc progressiste et social, dans un contexte de profonde crise de régime.

Quant à l’homme de Beauvau qui s’octroie le mot de République à tout va et se rêve en nouveau Clémenceau, il ne finira pas mieux que le député royaliste de Vendée Baudry d’Asson : du bruit, du bruit, avant de retourner usé dans son fief pour regarder lentement une société nouvelle apparaître. L’affaire serait comique si elle n’avait pas déjà de graves conséquences quotidiennes sur la vie d’une partie de la population et qu’elle n’annonçait pas déjà le pire.

Notes :

(1) Dans de nombreux appels et tribunes des organisations de défense des droits s’étaient alors alarmées d’une remise en cause des libertés fondamentales au sujet de la pratique du culte et du droit d’association. Voir par exemple : Loi séparatisme : une grave atteinte aux libertés associatives, Libération, 21 janvier 2021.

(2) Documents de délibérations du conseil : délibérations en avril 2016 4 – Enseignement secondaire – 336 – Subventions d’investissement aux établissements privés sous contrat d’association (digitechcloud.fr), délibérations en octobre 2016 4 – Enseignement secondaire – 336 – Subventions d’investissement aux établissements privés sous contrat d’association (digitechcloud.fr)

(3) Courrier royal, 10 juillet 1935.

(4) Une dénomination qui fait directement référence au groupe des conservateurs rassemblant des figures qui mirent un terme à la Révolution de 1848 puis participèrent au massacre de la Commune de Paris en 1871.

« Project 2025 » : une plateforme pour réconcilier Trump et l’establishment

Trump Heritage Foundation Le Vent Se Lève
© Joseph Édouard pour LVSL

Contrairement à 2016, la campagne de Donald Trump est activement soutenue par l’establishment du Parti républicain. Une institution a joué un rôle central dans ce rapprochement : la Heritage Foundation. Ce think tank rassemble un bataillon « d’experts » et d’hommes d’influence qui avaient obtenu des postes de premier plan dans l’administration Trump. Avec son « Project 2025 », programme de 922 pages qui a défrayé la chronique médiatique, il entend imprimer sa marque sur le candidat Trump. Et le mener vers un agenda plus nettement interventionniste sur les questions de politique étrangère.

Le 15 juillet 2024 démarrait dans l’État du Wisconsin la convention du Parti républicain. C’est sans surprises que Donald Trump fut investi candidat. Victime d’une récente tentative d’assassinat, il se trouvait sous l’œil des caméras. Sous les radars médiatiques, des présentations étaient organisées par les think tanks liés au Parti républicain : la Faith and Freedom Coalition, l’America First Policy Institute et bien sûr l’incontournable Heritage Foundation.

Ces trois think tanks sont emblématiques de l’évolution du parti. Si la Heritage Foundation est le laboratoire historique des conservateurs, Faith and Freedom ne remonte qu’à 2009 quand l’America First Policy Institute a été créé en 2021. Le premier est une plateforme unissant la droite chrétienne et des groupes proches du Tea Party, quand le second est le bras armé du trumpisme (dans son conseil d’administration on trouve Ivanka Trump, fille de l’ancien président).

À chaque groupe de pression son think tank. Pour le complexe militaro-industriel, c’est la RAND Corporation. Pour l’aviation, c’est l’American Enterprise Institute. Au départ, la Heritage Foundation tire ses financements du secteur agro-alimentaire.

Ces think tanks constituent un véritable écosystème autour du Parti républicain. En 2016, la victoire de Donald Trump aux primaires républicaines avait constitué un séisme : sa campagne populiste et ses propos erratiques avaient violemment divisé les think tanks conservateurs. La Heritage fut le seul à réellement tirer profit de la situation.

Depuis sa défaite de 2020, la mainmise de Donald Trump sur le camp conservateur n’a fait que s’accroître. Mais dans le même temps, les think tanks entendaient bien imprimer leur marque sur l’opposant à Joe Biden, plutôt que de devoir s’adapter à une situation nouvelle, comme ce fut le cas en 2016.

Aux origines de la « Heritage »

C’est la fin de la Seconde guerre mondiale qui marque la première explosion de « think tanks ». Il s’agit alors de fournir des synthèses d’experts à des élus. Sous la tutelle du secteur privé ; ainsi, la Douglas Aircraft Company accouche de la RAND Corporation en 1946, avec pour objectif de travailler sur les conflits internationaux et la balistique transcontinentale. Fonds privés, expertise et liens avec le pouvoir politique : la recette devait faire mouche. Et la Heritage Foundation allait devenir son produit le plus emblématique.

Elle naît d’une conversation entre deux assistants parlementaires, Edwin Feulner et Paul Weyrich, à la cafétéria du Congrès des think tanks conservateurs en 1971. L’American Enterprise Institute (AEI) avait alors renoncé à publier un rapport concernant l’aviation, craignant que celui-ci influence les votes au Congrès. Or, Feulner et Weyrich, qui perçoivent le potentiel politique des think tanks, entendent justement peser sur les votes. Ils appellent de leurs voeux un organisme qui proposerait des argumentaires aux élus du Congrès.

La Heritage Foundation voit ainsi le jour, avec le soutien du groupe industriel Coors. Elle accompagne une dynamique plus générale de politisation des think tanks et d’accaparement par les lobbys, qui cherchent à les instrumentaliser. À chaque groupe de pression son think tank. Pour le complexe militaro-industriel, c’est la RAND Corporation. Pour l’aviation, c’est l’AEI. Au départ, la Heritage Foundation tire ses financements du secteur agro-alimentaire.

La Heritage Foundation adopte une approche résolument activiste. Son bras armé, « Heritage Action », rassemble ses « analystes » qui vont directement au contact des élus, au Congrès ou dans les États, afin de les convaincre d’adopter les positions de l’institut. Un artifice qui permet aux lobbyistes présents au sein du think tanks d’être maquillés en « analystes » lors des auditions du Congrès…

Le think tank connaît son heure de gloire en 1980, avec la publication d’un « Mandate for Leadership ». Mastodonte de 3000 pages, le document synthétise les propositions du camp conservateur pour l’élection présidentielle. Une fois élu, Ronald Reagan devait fournir à chacun de ses ministres une version abrégée du document (de 1100 pages). 60% des propositions du think tank seront ainsi reprises par le président.

La Heritage Foundation connaîtra des relations plus difficiles avec H. W. Bush, notamment sur la question des hausses d’impôts. Quelques années plus tard, c’est finalement un président démocrate que l’organisation soutient et conseille. Bill Clinton défend en effet des accords de libre-échange, notamment l’ALENA [entre le Canada, les États-Unis et le Mexique NDLR], en accord avec le positionnement libre-échangiste du think tank. Acteur clef de la nébuleuse conservatrice, la Heritage Foundation était en butte à la concurrence de deux autres géants : le Cato Institute et l’AEI.

Concurrence libertarienne et néoconservatrice

Le Cato Institute voit officiellement le jour en 1976, mais sa création, sous le nom de « Charles Koch Foundation », est antérieure de deux ans. Le nom des frères Koch continue de figurer en haut de la liste des donateurs réguliers, aux côtés de ceux du milliardaire Sheldon Adelson ou de la famille Mercer. La Koch Industry est spécialisée dans le secteur primaire, l’extraction de ressources minières et de transformation des matière premières. La ligne libertarienne défendue par l’institut recoupe assez largement les intérêts des frères, lorsqu’il s’agit de prôner un adoucissement des normes – notamment environnementales – sur ces secteurs d’activités.

Si les fonds du Cato Institute proviennent majoritairement de l’industrie du tabac et du pétrole, le think tank – fait notable pour un institut conservateur – ne boude pas les financements d’entreprises « progressistes » de la Silicon Valley, notamment Facebook ou Google. Une porosité peu surprenante si l’on considère la sensibilité libertarienne du think tank.

Conséquent dans son libertarianisme, il s’est ainsi opposé aux politiques bellicistes des présidents Bush, en particulier à une occupation de long terme de l’Afghanistan et de l’Irak. Et il se prononce en faveur de la disparition des barrières douanières et de la libéralisation complète des marchés, ce qui lui permet notamment de bénéficier du financement de CME, groupe financier qui détient la bourse de Chicago…

L’AEI, quant à lui, prétend s’inscrire dans le sillage du philosophe Leo Strauss et se spécialise dans la production de rapports. Influent depuis les années 1940, il connaît une perte de vitesse consécutive à l’apparition de la Heritage Foundation, et il faudra attendre les années 2000 pour qu’il regagne en importance. Il est alors proche de l’extrême-droite – avec des auteurs comme Richard Murray, eugéniste, ou encore Dinesh D’Souza, qui défend que l’antiracisme est une réaction pathologique et que les esclaves afro-américains étaient plutôt bien traités…

Ici encore, le lien entre financements et rapports est de plus directs. Financée par l’industrie du tabac, l’AEI produit de nombreuses études pour tempérer sa nocivité ; financée par le secteur des télécommunications, elle s’oppose à la neutralité d’internet.

À l’écart du vivier républicain classique, Trump devait accueillir à bras ouverts les hiérarques de la Heritage Foundation – et la remercier une fois élu. Ainsi, le vice-président Mike Pence est proche de l’institut.

Surtout, l’institut est le principal pourvoyeur de l’administration Bush – à tel point que peu après son élection, le président s’est rendu au siège de l’AEI pour remercier ses membres. Hébergé par l’AEI, on trouve le Project for the New American Century de Dick Cheney, dont l’influence sur la politique étrangère de George W. Bush a été conséquente. Sans surprises ici également : l’AEI est abondamment financé par les entreprises du complexe militaro-industriel…

#NeverTrump : la ligne de fracture au sein des think tanks

L’investiture de Donald Trump comme candidat républicain et sa victoire de 2016 devaient marquer un séisme dans les relations traditionnelles entre partis et think tanks. La campagne erratique et populiste du candidat n’était pas du goût des organisations conservatrices, qui lui préféraient largement un Jeb Bush. De nombreux cadres du Parti républicain et de think-tanks conservateurs se sont refusés à soutenir Trump – sans résoudre à rallier ouvertement une candidature démocrate. Dans les signatures des tribunes rédigées pour critiquer sa campagne, on trouvait les noms de plusieurs figures des think tanks liés au Parti républicain. Une seule exception : la Heritage Foundation.

L’AEI ne prend que timidement position pour Trump en février 2016 – par le biais d’une tribune publiée par Charles Murray, co-auteur du livre The Bell Curve, livre qui lie « race » et intelligence. Le Cato Institute, au contraire, s’oppose publiquement au président nouvellement élu. Il s’attaque notamment au décret présidentiel 13769, surnommé Muslim Ban. Celui-ci suspend des programmes d’accueil des réfugiés, interdit à tous les Syriens d’être accueillis aux États-Unis. Il a conduit à la détention de 700 voyageurs et à la remise en cause de 50.000 visas. Cette prise de position heurte les plus libertariens des conservateurs qui sont, pour la majorité d’entre eux, favorables à l’immigration – perçue comme le prolongement d’une libéralisation du marché du travail. De même, les mesures protectionnistes de Trump sont vivement critiquées par l’Institut ; il faut dire que la mise en place d’une taxe sur l’acier l’acier menaçait directement les profits des entreprises Koch…

C’est la Heritage Foundation qui profite de la conjoncture. Edwin Feulner, son ancien président, est nommé dans l’équipe de transition du candidat. Dès son élection, ce sont pas moins de soixante-six anciens analystes ou salariés du think tank qui occupent des postes à responsabilité dans la nouvelle administration. À l’écart du vivier républicain classique, Trump devait accueillir à bras ouverts les hiérarques de la Heritage Foundation – et la remercier une fois élu. Ainsi, le vice-président Mike Pence et le Procureur général Jeff Sessions sont tous deux proches de l’institut.

Jim DeMint, le président du think tank, décide de pousser l’avantage. L’institut adopte la même stratégie qu’en 1980 et publie un document au titre similaire : « Mandate For Leadership ». Il s’agit de 321 propositions conservatrices à destination du nouveau président. En un an de mandat, la Heritage Foundation affirmait que 64 propositions ont été totalement reprises par l’administration Trump. Ce dernier a même eu recours à l’organisme pour lui fournir une liste de juges conservateurs en vue d’une future nomination à la Cour Suprême.

Le fait que la Heritage Foundation se positionne sur l’ensemble des prérogatives de l’État et l’abreuve de recrues la rend incontournable. Pourtant, en mai 2017, le conseil d’administration retire son poste de président à Jim DeMint, dénonçant une trop grande complicité avec l’administration Trump. Une inflexion qui ne devait pas empêcher la Heritage Foundation de demeurer centrale dans la nébuleuse trumpienne…

L’agenda militariste du « Project 2025 »

« Nous allons connaître une seconde révolution américaine », déclarait le président du think tank Kevin Roberts. « Et elle sera pacifique si la gauche se mêle de ses affaires » devait-il ajouter. En ce début de juillet 2024, il est interviewé par Steve Bannon et s’affiche aux côtés des Républicains tendance « MAGA » [Make America Great Again, slogan de Donald Trump NDLR]. Qu’un président de think tank soit interviewé au micro de l’un des soutiens de la tentative de putsch du 6 janvier peut sembler incongru. Mais la scène est emblématique du chemin parcouru par le Heritage Foundation dans la nébuleuse conservatrice.

Le positionnement central du think tank permet de lancer le « Project 2025 » sur le modèle de « Mandate For Leadership », financé à hauteur d’un million de dollars. Peu à peu, le projet agrège d’autres think tanks et lobbies. Aujourd’hui, pas moins de 110 organisations gravitent autour de la Heritage Foundation – 40% d’entre elles bénéficiant du fonds DonorsTrust alimenté par Leonard Leo. Cet avocat et connaisseur du système judiciaire américain organise des dîners somptueux où il se plaît à jouer les faiseur de rois dans le domaine juridique – jusqu’à la Cour Suprême. On compte d’importants sponsors pour le DonorsTrust : outres les financiers traditionnels de la Heritage Foundation, on trouve… les frères Koch. La présence de ces noms résume à elle seule l’évolution des rapports de force entre ses concurrents et la Heritage Foundation…

Le « Project 2025 » contient des directives tout sauf anodines en matière de politique étrangère. Qui jurent avec les proclamations isolationnistes – vagues et incohérentes – du candidat Trump.

Celle-ci espère désormais forcer la main de Donald Trump. Elle a accouché des 922 pages du « Project 2025 », qui a d’abord scandalisé les démocrates par sa proposition d’accroissement des pouvoirs de l’exécutif. Elle fait écho à la tentative, durant le mandat de Trump, de permettre le licenciement de milliers de fonctionnaires fédéraux – le décret avait été remis en cause par Joe Biden. À travers le « Project 2025 », la Heritage Foundation propose de substituer, à la loyauté envers l’État, celle à l’égard du président et à son projet politique.

Au-delà de cet aspect, qui génère des craintes d’une dérive illibérale, le « Project 2025 » contient des directives tout sauf anodines en matière de politique étrangère. Qui jurent avec les proclamations isolationnistes – vagues et incohérentes – du candidat Trump. Celui-ci tente, en 2024, de rejouer la partition de 2016, critiquant le complexe militaro-industriel et les faucons du Pentagone. Il faut rappeler combien son arrivée au pouvoir avait alors sidéré le camp néoconservateur. Les déclarations de Trump à propos de l’OTAN et ses promesses de rapprochement avec la Russie avaient fait l’effet d’un séisme. S’il avait par la suite mené une politique étrangère en contradiction complète avec ces proclamations – jusqu’à adopter la posture « la plus dure à l’égard de la Russie depuis la Guerre froide », selon les termes de son administration – et en accord total avec le complexe militaro-industriel, Trump est, encore aujourd’hui, perçu avec méfiance par une partie de l’establishment néoconservateur.

Avec le « Project 2025 », la Heritage Foundation tente d’appuyer l’aile la plus interventionniste et militariste du trumpisme. De nombreuses préconisations ne surprennent guère, notamment concernant l’accroissement du budget militaire et l’intensification de la guerre économique avec la République populaire de Chine. D’autres sont en contradiction avec le discours du candidat : le « Project 2025 » prône un approfondissement du soutien à l’État d’Israël, quand Donald Trump critique timidement les massacres à Gaza.

À rebours de ses déclarations isolationnistes, le « Project 2025 » prône une course aux armements et un accroissement tous azimuts des sanctions financières pour contrer les « menaces » russe et chinoise. Alors que Donald Trump promet de « mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures », le « Project 2025 » envisage de poursuivre le soutien miliaire à Kiev, en échange d’une décrue de l’aide humanitaire. Le document précise qu’il s’agit d’un compromis entre les diverses sensibilités du camp conservateur, des plus russophiles – qui souhaitent un abandon de l’Ukraine – aux plus néoconservatrices – qui envisagent un engagement militaire plus direct. Une synthèse pas très éloignée de la politique actuelle du président Biden…

Sur les questions de société et les réformes institutionnelles, le Projet 2025 s’inscrit dans le conservatisme religieux qui avait caractérisé le mandat de Donald Trump. La Heritage Foundation propose ainsi de faire disparaître le service fédéral de l’éducation, qui serait dévolu aux États. À l’inverse, il est prévu d’étendre à l’échelle fédérale la possibilité de censurer une série de livres (accusés de propager la « culture woke ») dans les espaces scolaires et universitaires – expérimentée par le gouverneur de Floride Ron de Santis.

Enfin, on trouve une série de prescriptions prévisibles sur le plan économique, qui oscillent entre réformes néolibérales et fantaisies libertariennes. Certaines – réduction du budget de l’éducation au profit de coupons permettant aux enfants pauvres de s’inscrire dans les écoles privées – pourraient être directement traduites en politiques publiques par une administration Trump ultérieure. D’autres – abolition de la Réserve fédérale et du dollar comme monnaie internationale – constituent de simples slogans destinés à flatter la phobie anti-étatiste de sa base électorale.

Un simple fantasme des démocrates ?

Quelle importance accorder au « Project 2025 » ? Donald Trump lui-même s’en est distancié, face aux attaques incessantes des démocrates, déclarant « Je ne sais pas qui est derrière ça. Je suis en désaccord avec certaines choses, et certaines propositions qu’ils avancent sont profondément ridicules. Quoi qu’ils fassent, je leur souhaite bonne chance, mais je n’ai rien à voir avec eux ». Des paroles que contredisent frontalement ses liens fusionnels, passés et présents, avec le think tank.

Si Donald Trump devait, en novembre prochain, retrouver le chemin de la Maison Blanche, il est difficile de concevoir que la Heritage Foundation n’aurait pas son mot à dire sur son administration. La liste toute prête « d’experts » prêts à la rejoindre et à gouverner en suivant un plan structuré constitue un indéniable atout. Surtout, si l’on considère la position plus centrale que jamais acquise par la Heritage Foundation, qui est parvenue à satelliser de nombreuses organisations autrefois rivales. La composition de ses principaux donateurs a également changé. Là où les grands groupes pétroliers et les chaînes de supermarchés soutenaient la Heritage Foundation à sa création, les donateurs actuels représentent désormais un pan très large des classes dominantes américaines…

Pour un patriotisme vert

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Champ de lavande de Provence. ©Leniners

La situation politique en Europe occidentale est en train de muter rapidement sous l’effet d’une sensibilité accrue à l’urgence écologique. Celle-ci se manifeste de plus en plus concrètement, et vient s’installer dans le sens commun comme un phénomène palpable : canicules, sécheresses et pollutions. Si les effets du changement climatique étaient déjà perceptibles, leur visibilité démultipliée et la généralisation du processus viennent bousculer les représentations, de telle sorte que le changement climatique est désormais une menace bien présente dans les esprits, et que celle-ci s’ajoute aux autres menaces générées par la mondialisation. La dégradation accélérée de l’environnement est un élément supplémentaire du tout fout le camp généralisé perçu par les citoyens. L’ampleur du phénomène ouvre la voie pour un patriotisme vert.


Aux yeux des électeurs, l’imaginaire écologique a jusqu’ici toujours été celui du cosmopolitisme et de l’ouverture à la mondialisation. Cette caractéristique se traduisait par une forte pénétration chez les CSP+, les urbains et les diplômés. Que ce soit sur le plan militant ou sur le plan électoral, l’engagement écologiste marquait une nette préférence pour le global et le local, tout en mettant de côté l’échelon national, considéré comme non pertinent au regard de l’échelle des défis du changement climatique. Si cet imaginaire reste extrêmement présent, comme le démontrent les slogans des manifestations telles que « Fridays for Future » et les différentes pancartes qu’on peut apercevoir ici et là dans le mouvement climat, l’accroissement tendanciel de l’urgence climatique vient ouvrir de nouvelles possibilités de discours écologique. En effet, si l’espoir de mettre tout le monde d’accord au niveau international et d’aboutir à des traités juridiquement contraignants reste présent, le besoin d’agir d’urgence pour lutter à la fois contre le changement climatique et se préparer à celui-ci vient réhabiliter l’échelon national comme échelon immédiat au sein duquel il est possible d’agir et comme levier d’une diplomatie écologique prioritaire.

Par ailleurs, la question du changement climatique prenait jusqu’ici l’aspect d’une abstraction, d’un engagement pour une cause lointaine et déconnectée de la vie quotidienne. Lorsque l’écologie s’inscrivait au quotidien, c’était pour prendre l’aspect d’un lifestyle individuel tout à fait compatible avec le fonctionnement de l’économie de marché : produits bio, déplacements à vélo, alimentation non carnée, etc. Bref, l’écologie, c’était le truc des gagnants de la mondialisation, pas tellement des plus fragiles pour qui ce mode de vie était au mieux un luxe, au pire un marqueur de distinction sociale et morale. Cependant, on s’aperçoit progressivement que les premières victimes du changement climatique seront précisément les classes paupérisées, déjà exposées à de nombreuses menaces et incertitudes. Ce sont celles qui ont été les plus affectées par les changements qui se sont manifestés dernièrement.

Le début d’une mutation

Ce fait politiquement nouveau – mais scientifiquement connu depuis longtemps – provoque de plus en plus de débats autour de la nécessaire articulation entre le social et l’écologique. Les slogans qui appellent à une écologie populaire viennent synthétiser cette double exigence : ancrer l’écologie chez les CSP- comme une priorité politique ; répondre aux besoins de ces catégories qui vont être les plus exposées au changement climatique. Au regard de la prégnance du discours individualiste sur les nécessaires changements de comportement de la population, et du caractère parfois punitif du discours écologiste, les obstacles sont encore nombreux avant qu’une écologie populaire puisse devenir hégémonique dans le champ politique. La faible porosité sociologique entre le mouvement des gilets jaunes et le mouvement climat démontre clairement qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Néanmoins, la montée en puissance du discours anti-élites au sein du mouvement climat, ou des personnalités qui incarnent la demande écologique, ouvre des possibilités nouvelles.

La première condition pour construire une écologie de ceux d’en bas est en premier lieu de désigner ceux d’en haut comme les coupables de l’inaction face au changement climatique. Ce déplacement de la frontière antagonique, qui passe de la dénonciation des comportements individuels à la dénonciation de l’absence de changements macro-sociaux mis en œuvre par les gouvernements, est un premier pas vers l’extension de l’écologie en direction des classes populaires. Le risque reste cependant que l’inaction dénoncée soit celle de l’absence de mesures qui modifieraient les simples comportements individuels, comme une taxe carbone par exemple – qui est, on le sait, particulièrement impopulaire. Il faut donc aller beaucoup plus loin. L’enjeu est de faire muter l’écologie pour qu’elle intègre les différentes demandes populaires hostiles à l’égard de la mondialisation.

Répondre aux menaces de la mondialisation

Les demandes les plus fortes chez les classes populaires sont d’une part la demande de protection face aux désordres provoqués par la mondialisation, et, d’autre part, la demande de démocratie et de souveraineté, qui consiste à reprendre le contrôle. La prégnance de ces demandes est le produit d’une longue évolution historique de démantèlement de l’État social et d’entrée dans une ère postdémocratique. En effet, l’intégration européenne et l’ouverture au libre-échange mondialisé ont provoqué une désindustrialisation massive et désertifié de nombreux territoires. Les systèmes nationaux d’État social ont été mis sous pression par la dégradation de l’emploi et la discipline imposée par le financement de la dette sur les marchés financiers. Les services publics ont subi l’imposition du new public management et une privatisation rampante. Quant aux effets de polarisation de la zone euro et du marché unique, ils ont consacré la victoire de l’industrie la plus puissante de la zone, celle de l’Allemagne, et affaibli fortement les autres industries nationales qui n’étaient pas prêtes à évoluer dans la même zone monétaire que celle d’Outre-Rhin. La conséquence en a été une reconversion accélérée vers une économie de service concentrée dans les métropoles et fortement segmentée entre d’une part des services à faible rentabilité et faibles gains de productivité, et d’autre part des activités à haute valeur ajoutée. La congruence de ces causes a conduit à une rupture politique, économique et culturelle de plus en plus nette entre une France reléguée peu mobile et en pleine désaffiliation, et une France des métropoles plus dynamique et connectée, malgré ses banlieues reléguées dont la situation sociale est équivalente à celle des territoires périphériques.

C’est la raison pour laquelle les classes populaires sont particulièrement sensibles aux discours qui leur promettent de les protéger de la mondialisation et de balayer les élites en place. Cette demande s’apparente à une volonté de réencastrer le capitalisme dans l’État-nation et ses mécanismes de solidarité, alors qu’il s’en émancipe chaque jour un peu plus. Cela se traduit notamment par une forte demande de rapatriement de la souveraineté vers l’échelon national et une aversion particulière à l’égard de l’approfondissement de l’intégration européenne. Pour cette France, les menaces extérieures se multiplient. C’est pourquoi le patriotisme anti-élites y rencontre un écho important, qu’il prenne la forme du nationalisme réactionnaire porté par le Front national, ou qu’il prenne la forme d’un patriotisme progressiste porté par exemple par la France insoumise en 2017. Même si l’imaginaire de l’écologie se projette essentiellement au niveau européen jusqu’à présent, la construction d’un patriotisme vert à l’échelle nationale, sans virer à l’europhobie, n’a rien d’inenvisageable et dispose de solides points d’appui.

Vers un patriotisme vert

Les territoires périphériques sont particulièrement exposés aux changements climatiques tels que les épisodes de sécheresse qui détruisent paysages, écosystèmes locaux et dégradent les nappes phréatiques. La distance avec les services publics y complique les interventions de l’État, notamment pendant les séquences de canicule qui se multiplient. De la même façon, les zones de fortes pollutions et d’excès de bétonisation sont localisées dans les banlieues défavorisées. L’urgence écologique se présente donc sous la forme d’une menace qui va se faire toujours plus précise envers les classes populaires.

La construction d’un patriotisme vert pourrait donc avoir une double fonction. D’une part, faire de l’exemplarité en matière de transition écologique et de lutte contre le changement climatique un élément de fierté nationale. C’est un levier pour démondialiser notre économie, rétablir des protections et refaire de la France un pays qui porte un message universel. D’autre part, il permet de poser la question écologique comme un enjeu fondamentalement collectif et ancré dans un destin commun. Cela permettrait de contrecarrer les tendances à réduire les efforts à réaliser aux seuls comportements individuels. C’est un moyen d’éviter la construction d’une écologie élitaire qui se résumerait à un mode de vie individuel, même si celui-ci est un levier esthétique précieux pour faire passer le discours écologique. Il est même stratégiquement important de s’appuyer sur cette dimension désirable et séductrice pour provoquer des changements culturels. Il n’y a donc pas de contradiction entre le fait de faire de l’écologie quelque chose de branché et la construction d’un discours patriotique autour de cet enjeu. Ce dernier doit s’hybrider aux demandes des classes populaires en matière de protection face aux désordres engendrés par la mondialisation.

Par ailleurs, la synthèse entre l’imaginaire cosmopolite et moderne de l’écologie politique et l’imaginaire de la protection du patriotisme est une garantie contre la construction d’un nationalisme régressif tel que le RN cherche à le faire à travers son localisme anti-immigrés. Mais c’est aussi un levier pour un retour de l’État dans l’économie, un programme de démondialisation et une sortie des traités de libre-échange qui ont un impact écologique négatif.

Si cette articulation n’est pas évidente, il est possible de s’appuyer sur des éléments du sens commun écologiste pour les lier au retour d’une communauté nationale qui protège : la préférence pour le local et les circuits-courts ; la protection du patrimoine naturel national ; la valorisation du tourisme non polluant, et donc à courte distance ; etc. Les exemples ne manquent pas pour illustrer la jonction possible de ces imaginaires : la défense d’industries fondamentales pour mener la transition écologique comme Alstom, dont la branche énergie a été cédée de façon scandaleuse à General Electric, ou la protection de services publics comme Aéroports de Paris qui permet à l’État d’avoir un contrôle direct sur l’industrie très polluante du transport aérien.

Le patriotisme vert ne peut être autre chose qu’un discours fondé sur le fait de prendre soin de notre communauté nationale comme de notre environnement. Bien loin d’un nationalisme régressif, il s’agit d’étendre l’élan d’amour des siens et de protection du bien commun qui définissent le patriotisme vers notre environnement. À l’heure de l’atomisation néolibérale, c’est un levier précieux pour reconstruire un lien collectif.

La séquence récente des incendies de l’Amazonie démontre qu’il est possible de s’appuyer sur des instincts de conservation et de protection pour leur donner un sens progressiste. C’est une des manifestations, mondiale cette fois, de l’articulation possible entre un discours de démondialisation et de transition écologique. Cette séquence a obligé Emmanuel Macron à reculer sur l’accord commercial UE-Mercosur, dévastateur sur le plan écologique, et à mettre un veto français. Même si, une fois la séquence médiatique éloignée, l’Élysée a annoncé vouloir améliorer l’accord et non l’abandonner complètement.

Un outil avec et contre l’hégémonie néolibérale

Sur le plan électoral, et à condition d’être incarné, ce patriotisme vert pourrait séduire une large coalition qui va de la France des oubliés à des secteurs de la population qui font partie des gagnants de la mondialisation. Pour le dire plus clairement, cette coalition pourrait réunir le chômeur du Nord et le jeune diplômé urbain Macron-compatible soucieux d’écologie. Même si ce dernier n’est pas forcément un socialiste forcené, l’urgence écologique est un levier pour faire admettre à ce type d’électorat la nécessité d’une forte impulsion de l’État en matière de transition et de reprise en main des grandes entreprises polluantes.

La question écologique est un des maillons faibles de l’hégémonie néolibérale. Son propre socle électoral, celui des gagnants de la mondialisation, émet une forte demande en faveur d’une politique verte. Cependant, toute politique écologique à la hauteur des enjeux devra nécessairement en passer par une confrontation sévère avec les piliers du néolibéralisme : le libre-échange, la croissance indiscriminée sur le plan qualitatif[1], la prédominance des multinationales financiarisées, l’atomisation individualiste, etc. Dès lors, l’enjeu écologique est facteur de contradictions au sein du bloc historique qui maintient en place le système existant.

La tâche d’un patriotisme vert et plébéien doit être d’appuyer au maximum sur ces contradictions lorsqu’elles monteront en puissance[2] afin de détacher une partie du bloc néolibéral et de faire advenir un nouveau bloc historique majoritaire. Une stratégie contre-hégémonique est en effet nécessairement interclassiste. Elle ne repose pas sur une simple opposition au système, mais sur un double mouvement : la désarticulation et la subversion interne de certains de ses éléments constitutifs d’une part, l’attraction vers un nouveau modèle qui rompt avec l’ancien d’autre part. La demande écologique cristallise cet entre-deux et cette ambiguïté à partir de laquelle il est possible d’étirer les pôles internes au régime néolibéral.

Si cette hypothèse devait se matérialiser, le processus de constitution de ce patriotisme vert passerait nécessairement par une incarnation électorale qui dynamitera les identités politiques existantes pour les réordonner.


[1] C’est-à-dire l’absence de choix collectifs autres que les mécanismes marchands pour établir ce que l’on doit produire ou non, alors qu’on sait pertinemment que de nombreuses activités humaines doivent décroître si l’on veut faire face au défi du réchauffement. À l’inverse, d’autres activités doivent croître, mais le marché ne fournit pas les incitations pertinentes pour que ce soit le cas.

[2] Pour l’instant, ces contradictions restent politiquement gérables par le système en place.

Triomphe du Brexit Party : jusqu’où ira Nigel Farage ?

Nigel Farage en 2017. © Gage Skidmore via Wikimedia Commons

Il y a quelques semaines, Nigel Farage faisait son grand retour au Parlement européen où il promettait « de revenir encore plus nombreux » avec ses soutiens. Son Brexit Party, surgi de nulle part seulement 6 semaines avant le scrutin du 26 mai, a emporté haut la main des élections européennes qui ne devaient pas avoir lieu, avec près d’un tiers des voix. Alors que le discours des travaillistes sur le Brexit ne convainc pas et que les conservateurs sont occupés à se choisir un nouveau leader pour remplacer Theresa May, Farage semble avoir un boulevard devant lui. Mais d’où vient un tel succès et quelles en sont les conséquences sur l’avenir du Royaume-Uni ?


Aux origines du Brexit Party

Sans Nigel Farage, le Brexit Party n’existerait pas. Le grand retour de l’ancien leader du UKIP n’a lieu qu’en début d’année, alors que Theresa May essuie les défaites les unes après les autres et finit par implorer Bruxelles de lui accorder plus de temps. Le parlement de Westminster est incapable de réunir une majorité sur un quelconque projet (second référendum, accord de Theresa May, sortie sans accord, union douanière, etc.) et de plus en plus de voix s’élèvent pour annuler purement et simplement le Brexit. Les Britanniques qui ont voté pour le Brexit perdent patience et se sentent trahis. Farage sent son heure venue : pendant qu’il prépare la création du Brexit Party, il renouvelle son image.

En décembre 2018, il quitte le UKIP, devenu un parti rabougri, en proie aux difficultés financières et sans leader stable. Surtout, il souhaite prendre ses distances avec le tropisme anti-musulman notoire du UKIP, qui n’a cessé de dériver toujours plus à l’extrême-droite et s’est rapproché du nationaliste Tommy Robinson, le fondateur de la milice English Defence League, plusieurs fois condamné pour ses actes. Il participe ensuite à l’organisation de la Brexit Betrayal march, qui aboutit à Londres le 29 Mars 2019, jour où la Grande-Bretagne est censée sortir de l’UE. Cette marche de deux semaines, qu’il n’effectue qu’en partie, lui permet d’attirer l’attention des caméras et de s’opposer aux parlementaires qui cherchent un compromis capable de réunir une majorité de voix. Enfin, il annonce la création du Brexit Party le 12 Avril et présente une liste de 70 candidats pour les élections européennes sur laquelle figure Annunziata Rees-Mogg, la soeur du très eurosceptique député conservateur Jacob Rees-Mogg. Le Brexit Party a également su jouer habilement de l’image confuse de Claire Fox, une ancienne militante du Revolutionary Communist Party devenue fervente défenseur des marchés libres et de la liberté d’expression, qui a été présentée comme un soutien de Nigel Farage venu de la gauche.

Les élections européennes non prévues de mai 2019 permettant aux Britanniques d’exprimer tout le mal qu’ils pensaient du Brexit ou de l’absence de sortie effective, Farage savait qu’il n’avait nullement besoin de programme. Le même message a donc été répété en boucle : la démocratie britannique est en train de mourir, les élites politiques conservatrices et travaillistes ont trahi le vote de la majorité de 2016 et préfèrent rester dans une Union européenne anti-démocratique, tandis que les alliés traditionnels de la Grande Bretagne s’attristent de voir ce grand pays être devenu si faible. Ce message très simple d’invocation de la souveraineté, du patriotisme et de la démocratie, associé à la figure emblématique de Farage, a suffi à réunir 31,6% des voix, reléguant le Labour Party de Jeremy Corbyn à la 3ème place et les conservateurs de Theresa May à la 5ème. Pour parvenir à ce résultat, Farage a complètement siphonné le UKIP (qui avait déjà réuni 26,6% des voix en 2014) et bénéficié du soutien de nombreux sympathisants conservateurs et d’une partie des électeurs travaillistes. Le discours anti-élites de Farage, lui-même élu au Parlement européen depuis 1999 et ancien trader, semble donc avoir fonctionné à plein régime. Il faut dire que l’homme n’est pas avare de critiques percutantes sur les technocrates européens non-élus, comme dans ce célèbre discours de 2010 où il accuse Herman Van Rompuy, président du Conseil européen sans aucun mandat démocratique, d’avoir le « charisme d’une serpillière humide et l’apparence d’un petit employé de banque ».

La démocratie digitale, cache-sexe du césarisme

Jusqu’à présent, Nigel Farage a très bien joué ses cartes, en focalisant son discours sur l’exigence d’un Brexit rapide et sans accord, et en se présentant comme le recours contre le bipartisme traditionnel auxquels les électeurs avaient largement fait confiance en 2017. Exit les discours anti-musulmans, anti-immigration ou pro-austérité qui caractérisaient le UKIP : le Brexit Party se pose en parti attrape-tout capable de séduire tous les soutiens du dégagisme et du Hard Brexit, quelles que soit leur affiliation idéologique. Pour y parvenir, le Brexit Party maintient le flou sur tous les autres enjeux auquel le Royaume-Uni est confronté : pauvreté galopante, désindustrialisation, logement hors-de-prix, services publics détruits… Si le parcours professionnel et politique de Farage se situe clairement du côté de la finance et du thatchérisme, il préfère donc ne plus en parler afin de maximiser ses voix.

Exit les discours anti-musulmans, anti-immigration ou pro-austérité: le Brexit Party se pose en parti attrape-tout capable de séduire tous les soutiens du dégagisme et du Hard Brexit, quel que soit leur affiliation idéologique.

En attendant la première convention du parti le 30 Juin à Birmingham où la ligne politique sur de nombreux enjeux devrait être définie, Nigel Farage fait miroiter un système de démocratie participative en ligne à ses sympathisants, de façon similaire à ce que fait le Mouvement 5 Étoiles en Italie. Non concrétisée pour l’instant, cette démocratie digitale, probablement limitée à des sujets secondaires, devrait surtout servir de façade pour dissimuler le contrôle total de Farage sur le Brexit Party, comme l’explique le chercheur Paolo Gerbaudo, déjà interrogé dans nos colonnes. Ce parti est en réalité enregistré sous le nom de l’entreprise The Brexit Party Limited et ne compte que des soutiens, pas des membres, de la même manière que le PVV de Geert Wilders. La direction du parti ne peut échapper des mains de Farage que si un conseil nommé par ses soins (qui compte actuellement 3 personnes dont Nigel Farage), le décide. Ce cadenassage absolu de l’appareil partisan lui permet de s’isoler de toute menace interne, notamment si des figures dissidentes ou trop ambitieuses émergeaient au sein de son parti, pour l’instant bâti autour de la seule personnalité de son leader. Un leader tout puissant donc, mais pas nécessairement indépendant.

Un Hard Brexit pour milliardaires

Derrière cette façade de combat pour la souveraineté et la démocratie se cache cependant la défense d’intérêts très particuliers: ceux de quelques grandes fortunes qui espèrent profiter d’un Hard Brexit pour s’enrichir. Un nom revient en particulier, celui d’Arron Banks, homme d’affaire multimillionnaire qui a fait le plus gros don de toute l’histoire politique britannique, 8,4 millions de livres sterling (environ 9 millions et demi d’euros), à la campagne Leave.EU en 2016. Après avoir déjà offert 1 million de livres à UKIP en 2014, ce spécialiste de l’évasion fiscale cité dans les Panama Papers a également financé le luxueux train de vie de Farage à hauteur d’un demi-million de livres. Chauffeur, garde du corps, voyages aux États-Unis pour rencontrer Donald Trump, maison estimée à 4 millions de livres, voiture ou encore bureau proche du Parlement : rien n’est trop beau pour son ami de longue date forcé de vivre avec les près de 9000 euros mensuels de son mandat de parlementaire européen. Farage est également proche de Tim Martin, propriétaire de la chaîne de pubs Wetherspoon qui compte 900 établissements à travers le pays. Martin, qualifié de « Brexit legend » par Farage, ne cesse lui aussi de promouvoir un Brexit dur, en distribuant des dessous de verres et un magazine gratuit (400.000 exemplaires) en faveur du Leave, mais aussi en éliminant les alcools européens de ses bars et en prenant fréquemment position pour des accords de libre-échange sauvages avec le reste du monde.

Contrairement aux élites économiques sur le continent européen, les grandes fortunes britanniques sont nombreuses à soutenir le Brexit dur défendu par Farage, mais aussi nombre de conservateurs dont Boris Johnson, favori à la succession de Theresa May. Ces ultra-riches rêvent de transformer le Royaume-Uni en « Singapour sous stéroïdes », c’est-à-dire en paradis pour businessmen, enfin débarrassés de toute régulation, notamment financière, et des rares précautions (sanitaires en particulier) qu’impose l’UE dans les accords de libre-échange qu’elle signe. En somme, une ouverture totale aux flux de la mondialisation sauvage qui achèverait ce qu’il reste de l’industrie britannique et ferait du pays un immense paradis fiscal. Le projet phare de ces Brexiters ultralibéraux est un accord de libre-échange avec les USA de Donald Trump. Le patriotisme des grandes fortunes pro-Brexit est tel que Jim Ratcliffe, magnat de la pétrochimie et homme le plus riche de Grande-Bretagne avec 21 milliards de livres qui a soutenu la sortie de l’UE, s’est récemment installé à Monaco. Pendant longtemps, ces grandes fortunes eurosceptiques construisaient leur réseau au sein des Tories, notamment à travers l’European Research Group de Jacob Rees-Mogg (la fraction la plus europhobe des parlementaires conservateurs), un excentrique héritier qui a lui aussi ouvert 2 fonds d’investissements en Irlande récemment. Désormais, ces ploutocrates préfèrent de plus en plus le Brexit Party de Farage aux conservateurs en pleine perte de vitesse.

Après les européennes, quelles conséquences à Westminster ?

Si le Brexit Party n’a pour l’instant aucun élu au Parlement britannique, cela ne l’empêche pas de peser désormais très lourd dans le jeu politique outre-Manche. Les conservateurs se savent très menacés par Farage dont le logiciel idéologique, économiquement libéral et conservateur sur les questions de société, est proche du leur. Le successeur de Theresa May, qui qu’il soit, va devoir une issue rapide à l’enlisement du Brexit qui exaspère ses électeurs s’il ne souhaite pas voir son parti marginalisé pour longtemps. Bien que le Labour Party ait moins à perdre dans l’immédiat, grâce à la ferveur de ses militants et à la confiance envers Jeremy Corbyn pour sortir du néolibéralisme, son socle électoral s’érode également. Près des deux tiers des sièges de députés travaillistes sont dans des circonscriptions qui ont choisi la sortie de l’UE en 2016, ce qui explique la poussée du Brexit Party dans les terres représentées par le Labour. Toutefois, l’hémorragie électorale des travaillistes aux européennes s’est aussi faite au profit des libéraux-démocrates, largement rejetés pour leur alliance avec David Cameron entre 2010 et 2015 et désormais fer de lance du maintien dans l’UE, et du Green Party, une formation europhile. Toutes les cartes du jeu politique sont donc en train d’être rebattues autour d’un clivage sur le Brexit où dominent les opinions radicales (maintien dans l’UE et sortie sans accord). Tant que le Brexit n’a pas eu lieu, le Brexit Party et les Lib-Dems devraient donc continuer à affaiblir le bipartisme traditionnel revenu en force à Westminster aux élections de Juin 2017.

On ne saurait toutefois être trop prudent en termes d’impact du Brexit sur le nouveau paysage politique à Westminster. D’abord car les élections européennes, et en particulier au vu du contexte dans lequel elles se sont tenues en Grande-Bretagne, ne sont jamais représentatives des intentions de vote au niveau national. Ensuite parce que le Brexit peut advenir dans les mois qui viennent, notamment si Boris Johnson accède au 10 Downing Street et parvient à trouver une majorité législative, et refermer la phase de chaos politique ouverte par Theresa May. Mais surtout, le système électoral britannique, un scrutin à un tour qui offre la victoire au candidat en tête, complique les prédictions. Certes, l’élection législative partielle de Peterborough du 6 juin dernier, où le député travailliste sortant a dû démissionner, a vu la candidate Labour l’emporter, par seulement 2 points d’avance sur son rival du Brexit Party, et a permis à Jeremy Corbyn de réaffirmer son positionnement : unir le pays autour d’une politique écosocialiste. Mais ce scrutin très médiatisé n’a même pas mobilisé la moitié des inscrits et ne peut servir de base à une stratégie électorale. Même si le socle électoral du Labour est moins exposé que celui des Tories à la menace Farage, il n’est en réalité guère plus solide, tant le mécontentement envers la position molle de Corbyn (ni no-deal, ni Remain, mais une union douanière avec l’UE) est fort. Tant qu’il se refuse à choisir entre son électorat jeune et urbain pro-Remain et son électorat populaire pro-Brexit, Jeremy Corbyn ne sera pas plus audible qu’aujourd’hui. Or, vu le succès inquiétant de Nigel Farage et l’hostilité notoire de l’Union européenne envers toute politique alternative au néolibéralisme, il est surprenant que le choix paraisse si compliqué.

Vous avez dit progressiste ?

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©U.S. Air Force photo by Senior Airman Joshua R. M. Dewberry/RELEASED

L’adjectif est furieusement à la mode. On l’entend sur toutes les ondes, dans les meetings, les interviews, les réunions. Jean-Christophe Cambadélis, Manuel Valls et, surtout, Emmanuel Macron, s’en sont, entre autres, faits les chantres. “Progressiste”. Elle est comment, ta politique ? Elle est progressiste. Cela sonnerait presque comme un un slogan du MJS ; c’est désormais un leitmotiv chez bon nombres d’hommes et de femmes politiques tantôt classés à gauche de l’échiquier, tantôt plus hybrides (suivez mon regard). On ne le rappellera jamais assez : en politique, les mots ont toujours un sens et leur utilisation est souvent révélatrice de certaines logiques. Que se cache-t-il donc derrière cette notion si floue qui, sous couvert d’une infaillible modernité, ne date pas d’hier ? De quelles manoeuvres politiques est-elle le symptôme ? De quoi le progressisme version XXIème siècle est-il le nom ?

 

L’héritage ambigu des Lumières

Le Progrès, cette grande idée. Le XVIIIème siècle, les Lumières, ont provoqué un séisme dans la vie des idées dont les répliques se sont enchaînées durant les siècles suivants. Parmi elles, cette idée de progrès, que l’humanité avance inexorablement vers du meilleur, que toute avancée est bonne à prendre puisqu’elle témoigne d’une marche incessante et salutaire : progrès de la science, de “l’esprit humain” (formule empruntée à l’ouvrage de Condorcet[1]) avant tout. Lentement, mais sûrement, l’Homme – en tant qu’individu bien plus qu’en tant qu’élément d’une société – s’acheminerait vers un environnement plus clément, des conditions de vie améliorées et toujours perfectibles. Séduisant, et pour cause : le progrès en tant qu’amélioration nous apparaît presque naturellement comme quelque chose de souhaitable. Ne vivons-nous pas mieux qu’il y a deux cents ans ?

Le progressisme s’incarne pourtant dans une ambiguïté absolue. Le cas français est à cet égard particulièrement intéressant. Depuis la IIIème République, la notion est mobilisée par des familles politiques très éloignées les unes des autres, englobant de façon apparemment surprenante les libéraux les plus forcenés et les staliniens les plus convaincus. L’historien Maurice Agulhon a parfaitement montré que les Républicains modérés de la IIIe République se réclament constamment de cette idée de progrès[2]. En parcourant ainsi les discours de Léon Gambetta, on s’aperçoit qu’il n’a de cesse de se référer au progrès, porté, évidemment, par l’instruction publique. Les radicaux, le centre, en tant que famille politique qui s’est voulue héritière de cette tradition, tout en épousant entièrement le libéralisme, a totalement adopté cette notion de progressisme – Emmanuel Macron en est aujourd’hui l’exemple le plus saillant.

Parallèlement, et de plus en plus dans le premier XXème siècle, le progressisme s’incarne dans une gauche plus affirmée : on le retrouve fièrement porté par les communistes et les socialistes. Précisons néanmoins tout de suite les choses : ici, le progrès n’est pas érigé comme une valeur en soi ; ce qui compte, c’est le progrès social. On attribue forcément un adjectif à la notion, on la précise. On se bat certes pour le progrès, mais pas n’importe lequel : celui qui se façonne en faveur des plus faibles, des couches populaires, des ouvriers. Ainsi, seront qualifiés de “progressistes” les politiques ou les actions qui prennent position en faveur de l’émancipation du peuple. Littérature prolétarienne, réalisme socialiste (Aragon, Nizan, Barbusse…), tous ces écrits qui fleurissent notamment dans l’entre-deux-guerres sont par exemple regroupés sous l’expression “littérature progressiste” par le PCF et ses proches en France. Cette vision du progressisme s’est solidement ancrée dans la culture politique française, plaçant le concept à gauche de manière visiblement durable, l’associant même le plus souvent dans l’entre-deux-guerres et durant la Guerre froide aux partisans de l’Union soviétique et de ses zones d’influence. Je suis progressiste car je défends le progrès social, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs : rien de plus naturel pour un homme ou une femme de gauche.

Un écran de fumée pour masquer l’abdication face au néolibéralisme

Et pourtant, l’ambiguïté ne s’est pas évaporée ; aujourd’hui, plus la notion est mobilisée, plus l’opacité de son sens s’épaissit. Une grande partie de la gauche non-radicale la brandit comme un étendard, dans des formules préconçues et vides de sens. Cette soupe sémantique nous est servie pour masquer (inefficacement) les concessions et renoncements réguliers d’une partie de la gauche face au rouleau-compresseur du libéralisme économique. Mais quel progrès nous vendent ces autoproclamés progressistes ? Il ne faut pas chercher bien loin pour le trouver : ce progrès se traduit dans les “réformes”, constamment présentées comme des nécessités asbolues, qu’il faut mettre en place pour faire avancer le pays. Être progressiste, ce serait donc soutenir la loi El-Khomri, au nom de la réforme, au nom du mouvement. Comme si la réforme était une valeur en soi, et non pas une notion neutre qui peut s’incarner à droite comme à gauche. A cet égard, l’exemple de Macron est encore une fois emblématique : il multiplie les envolées lyriques totalement creuses sur la nécessité de réformer, de se mettre en marche, et brille parallèlement par son absence de programme. On assiste alors à la naissance d’une étrange idéologie qui manque cruellement de substance puisqu’elle poursuit un objectif précis : ne pas affirmer trop fort son affiliation au libéralisme afin de ne pas brusquer à gauche. Mais le message demeure clair : le progressisme, c’est la réforme, c’est le mouvement, quelle qu’en soit la direction. Vous vous battez contre la réforme ? Vous êtes donc un méchant et obscur conservateur – on flirte avec le sophisme.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la tentative de déplacement du clivage politique – ou du moins de ses représentations – d’une division “droite-gauche” à une dualité “conservateurs-progressistes”, qui ne résiste pas à une étude plus approfondie des forces en présence. La réalité politique est autrement plus complexe : on peut évidemment être très conservateur sur les plans social et sociétal, et libéral à l’extrême économiquement (François Fillon l’illustre parfaitement) ; à l’inverse,  il est tout à fait possible et cohérent de défendre le progrès social tout en refusant le système économique libéral. Cette tendance va de pair avec une déstabilisation profonde de la gauche, de son identité et de son socle de valeurs. Elle constitue surtout un véritable écran de fumée qui occulte l’opposition de plus en plus saillante entre, d’un côté, ceux qui s’accommodent de la pensée néolibérale dominante voire la promeuvent, et, de l’autre, ceux qui pensent qu’il est encore possible de la combattre pour transformer la société (ne touche-t-on pas ici à l’essence de la gauche ?). Le progressisme, en tant que notion fourre-tout, imprécise qui remplace peu-à-peu l’utilisation du terme “gauche” comme identification politique des individus, symbolise parfaitement la confusion qui règne dans cette famille politique ; il est l’autel sur lequel une partie de la gauche sacrifie ses idéaux en renforçant la position hégémonique du néolibéralisme.

La gauche doit renouer avec elle-même pour retrouver son électorat

Mais pourquoi cette notion semble-t-elle rencontrer une telle popularité ? Le progressisme est à certains égards efficace car il semble porter en lui l’idée d’un rassemblement de diverses forces politiques qui se retrouvent dans leur volonté d’une amélioration de la société. Cependant, il oublie l’essentiel, c’est-à-dire de préciser quel progrès, quelles améliorations nous voulons. Le progrès, est-ce baisser les “charges” ou obtenir de nouveaux droits pour les travailleurs ? Le progressisme, si tant est qu’il incarne un projet politique, peut séduire un électorat sociologiquement défini, celui des grandes villes, d’une partie des classes moyennes et supérieures, des “gagnants de la mondialisation” pour qui le progrès social n’est pas nécessairement une priorité par rapport au progrès sociétal par exemple. Notion floue, mais toujours connotée positivement, le progressisme séduit ceux qui se reconnaissent dans certaines valeurs perçues comme liées à la gauche tout en s’accommodant plutôt bien des effets du néolibéralisme. Bref, une fraction de la population relativement éloignée de ce qui est à l’origine l’électorat des forces de gauche, électorat abandonné qui vote aujourd’hui pour le clan Le Pen.

Il ne s’agit pas ici de rejeter catégoriquement la notion de progrès – laissons à Christopher Lasch et Jean-Claude Michéa l’analyse approfondie des rapports entre progrès et abandon de la lutte contre le système capitaliste à gauche[3]. Leurs travaux ont notamment mis en lumière la nécessité de remettre en cause le progrès en tant que valeur suprême pour sa participation à l’avènement de l’ère individualiste, au démantèlement de certaines solidarités : on retrouve ici l’importance de l’individu au coeur d’une certaine philosophie des Lumières.

Mais l’urgence réside ailleurs : ce que la gauche doit entreprendre, c’est la réaffirmation du progrès qu’elle vise et pour lequel elle se bat ; un objectif qui est le produit de décennies de luttes sociales pour l’amélioration des conditions de vie des classes populaires et intermédiaires et la réduction des inégalités qui deviennent de plus en plus criantes. Que la gauche ne s’excuse plus d’être elle-même ; qu’elle abandonne les sophismes et les terminologies vides de sens, qu’elle réaffirme son identité et elle renouera avec son électorat. On lui conseillerait bien, pour cela, de se replonger dans sa propre histoire pour y puiser son inaltérable richesse. Au risque d’être traitée de conservatrice.

[1] Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, 1795.

[2] La République de 1880 à nos jours (I), 1990.

[3] Michéa, Les Mystères de la gauche : de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, 2013 

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