« Cop » : aux origines de la mascarade

À Dubaï, siège de la dernière « Cop » (Conference of parties), le lobby des énergies fossiles se trouvait en position confortable. Pas moins de 2.456 participants à l’événement entretenaient des liens avec le secteur du gaz et du pétrole. Tout indique qu’il en sera de même pour la suivante. La Cop 28 avait été organisée par Sultan al-Jaber, président de la principale compagnie pétrolière des Émirats arabes unis. La Cop 29 le sera par Mukhtar Babayev, qui cumule seize années de direction à SOCAR, le géant pétro-gazier d’Azerbaïdjan. L’omniprésence des intérêts fossiles aux dernières « Cop » fait ressortir le souvenir des premiers « sommets de la Terre », convoqués avec une certaine nostalgie. Pourtant, dès la conférence de Stockholm (1972), le secteur de l’or est présent. Il bénéficie d’un allié de taille : Maurice Strong, pétrolier et sous-secrétaire général de l’ONU. Naviguant entre le Club de Rome et les énergies fossiles, il allait avoir une influence considérable dans la configuration des sommets à venir.

L’histoire se répète-t-elle ?

Le premier « sommet de la Terre » se tient en 1972 à Stockholm. Un événement d’ampleur : douze jours de débats, cent quatre-vingt pays et deux cent cinquante ONG évoquent pour la première fois ensemble l’avenir de la planète.

Signe des temps. Ce début de décennie est marqué par des préoccupations environnementales croissantes. Le sommet précède de peu la publication du « rapport Meadows » The Limits to Growth (Halte à la croissance ?). Dans ce best-seller, Donnella Meadows et son équipe cherchent à mettre en évidence l’incompatibilité entre les ressources finies de la planète et un essor économique et démographique infini. Les interactions entre diverses variables sont étudiées : accroissement démographique, niveau d’industrialisation, niveaux de pollution, choix politiques, etc, et une douzaine de scénarios futurs sont élaborés. La plupart présentent des résultats peu enviables : chute de la population provoquée par des pics de pollution, pénurie extrême de ressources1.

Le « rapport Meadows » prévoit forte augmentation des capacités industrielles (courbe en tiret), entraînerait un fort pic de pollution (courbe en pointillés) qui entraînerait à son tour une baisse de la disponibilité des ressources naturelles (courbe en traits et en points). Après un bref essor du quota alimentaire (courbe continue), celui-ci chuterait fortement, entraînant à son tour une baisse drastique de la population (courbe en gras). Il ne s’agit que d’un scénario envisagé, qui illustre, pour les auteurs du rapport, l’interdépendance entre les variables.

À Stockholm donc, ONG et militants sont conviés à participer aux négociations de ce qui apparaît comme la première chance pour une diplomatie climatique multilatérale de voir le jour. Aujourd’hui encore, on s’en souvient comme un laboratoire d’idées, que l’on convoque avec enthousiasme. Dans une archive de l’INA, le journaliste scientifique François de Closets ne tarit pas d’éloges sur l’organisation de ce sommet : « Très rarement a-t-on vu tous les pays du monde aborder un sujet aussi nouveau aussi rapidement » se réjouit-il2.

La réalité est toute autre. Aurélien Bernier, dans un article pour le Monde diplomatique, rappelle le cadre étroit dans lequel s’est tenu le sommet. En amont, vingt-sept intellectuels s’étaient réunis pour préparer ce grand rendez-vous, et avaient accouché du « rapport Founex », du nom de la ville où ils s’étaient retrouvés. Celui-ci pose que le libre-échange doit être préserve coûte que coûte : « Le principal danger, tant pour les pays développés qu’en développement, est d’éviter que l’argument environnemental ne se transforme en argument pour d’avantage de protections. Quand le sujet devient les conditions de production et plus seulement la qualité environnementale d’un produit, il faut tirer la sonnette d’alarme dans le monde entier, car ce pourrait être le début de la pire forme du protectionnisme ».3

Membre du Club de Rome, responsable onusien des événements climatiques, Maurice Strong est actionnaire de multiples géants fossiles et siège au comité exécutif de la fondation Rockefeller.

Alors que la mise en place de barrières commerciales aurait pu constituer un levier pour lutter contre la dévastation environnementale, celle-ci est jugée non conforme au cadre économique dominant. Les principaux points du « rapport Founex » sont repris sous forme de « recommandations » et présentées aux participants du sommet de Stockholm.

La recommandation 103, qui fera consensus parmi l’assemblée, assène un principe fort : « tous les États à la Conférence acceptent de ne pas invoquer leur souci de protéger l’environnement comme prétexte pour appliquer une politique commerciale discriminatoire ou réduire l’accès à leur marché ». D’emblée, la voie protectionniste était écartée ; le premier « Sommet de la Terre » pouvait-il être autre chose qu’une belle série de déclarations d’intention ?

Derrière cette adhésion au cadre économique dominant, on trouve de puissants intérêts.

Maurice Strong : un pétrolier pour diriger la diplomatie climatique

Dans son livre, Le Grand Sabotage Climatique (Les liens qui libèrent, 2023), le journaliste Fabrice Nicolino analyse le rôle du sous-secrétaire général de l’ONU Maurice Strong dans l’orientation néolibérale de nombreux sommets internationaux. Ayant analysé les questions environnementales durant trois décennies, Nicolino ne cesse d’être stupéfait de l’influence de Strong sur la diplomatie climatique. Des années 1970 à la fin des années 2000, on ne peut évoquer un événement mondial sur le climat sans que Strong soit impliqué. Il est partout.

Avant de rejoindre le Club de Rome et de devenir le responsable onusien des événements climatiques, Strong est un businessman. Vice-président du pétrolier privé Dome Corporation à seulement vingt-cinq ans, il devient par la suite actionnaire d’un nombre croissant de géants fossiles (dont Petro Canada), et siège au comité exécutif de la fondation Rockefeller. En 1972, ses multiples liens avec le secteur pétrolier sont multiples et il n’a témoigné aucun intérêt pour les questions environnementales. Et pourtant, c’est à lui que l’on confie la lourde tâche de présider le « sommet de la terre » de 1972 à Stockholm.

C’est Strong qui est à l’origine du Programme des Nations-unies pour l’environnement (PNUE) et de Organisation météorologique mondiale (OMM) pour le compte de l’ONU. Il participe également à la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il demeure l’un des organisateur du Sommet de la Terre de Rio en 1992.

Où l’on voit que, dès les années 1970, la diplomatie climatique était entre de bonnes mains…

Du « rapport Meadows » au « rapport Brundtland »

Si le « rapport Meadows » était au contre des discussions lors des sommets des années 1970, le « rapport Brundtland » sera le centre d’attention du troisième sommet de la Terre à Rio en 1992.

Du nom de l’ancienne première ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland, c’est ce document qui consacrera le terme de sustainable development – traduit en français par « développement durable ». La définition donnée dans le « rapport Brundtland » est la suivante :

« Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins. »

La conférence de Kyoto (1997) visant à faire reculer l’émission de gaz à effets de serre, est saluée comme une réussite. En 2014, loin d’avoir diminué, elles avaient connu une augmentation de 6,4%

Formulation vague et floue, que l’on trouve à chaque page du « rapport », sans danger, on le devine, pour les intérêts dominants. Fabrice Nicolino rappelle que la traduction française devait encore édulcorer la charge politique du terme : sustainable a d’abord été traduit par « soutenable », puis « durable ». Ce glissement n’est pas anodin : un écosystème est soutenable quand « il maintient, sur le long cours, malgré tous les aléas, ses équilibres et ses fonctions ». Le terme « durable », quant à lui, ne renvoie à aucun mot d’ordre écologique concret.

Quant au « développement », il devait rencontrer l’opposition d’une partie du sud du monde. Aminata D. Traoré, ancienne ministre de la Culture et du Tourisme malienne, en rappelle la teneur dans un article du Monde Diplomatique de 2002 :

« [Le concept] de développement (antinomique avec la notion de durabilité) et celui de mondialisation libérale procèdent de la même logique déshumanisante. Il s’agit, pour l’Afrique, de leur opposer des principes de vie, ainsi que des valeurs qui privilégient l’humain : l’humilité contre l’arrogance. »4

Pour Aminata Traoré, cette conception toute occidentale du « développement » était destinée à pérenniser son hégémonie.

« Toutes les précautions étaient prises pour que jamais le feu ne s’éteigne. L’alliance avec la nature, les différentes formes de solidarité étaient les garantes de cette pérennité, plus forte que la durabilité. […] Mais le développement — même durable — n’est qu’un mot-clé et un mot d’ordre de plus. Il est d’autant plus redoutable qu’il permet la poursuite de la mission « civilisatrice » des puissances coloniales. »

Le « développement durable » allait pourtant devenir l’étendard de la diplomatie climatique ultérieure.

Le défilé des COP

Lors de la dernière COP, quatre jours sur les treize de l’événement ont été accaparé par des discours de chefs d’État, se relayant à la tribune pour y prêcher leur détermination à sauver la planète. C’est le lieu privilégié des déclarations destinées à marquer l’histoire oratoire – on pense à Jacques Chirac déclamant « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » à Johannesburg en 2002. À Johannesbourg comme ailleurs, l’inflation rhétorique semble étroitement corrélée à l’inaction climatique.

La COP 3 à Kyoto, en 1997, reste aujourd’hui citée comme une référence. Elle avait pour but de contenir la hausse des émissions carbone, notamment par des mécanismes de marché. L’enjeu était de parvenir à une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 5 % en 2014 par rapport aux niveaux 1990. Les plus grands pollueurs mondiaux n’ont pas daigné se joindre à l’effort. L’Amérique d’Al Gore (que l’on devait célébrer plus tard pour ses documentaires sur le climat) a refusé de ratifier l’accord ; son voisin canadien a jeté l’éponge dès 2011 pour des raisons économiques. En 2014, loin d’avoir diminué, les gaz à effet de serre avaient connu une nette augmentation de 6,4% 5 !

Si l’on ne peut rien attendre de ces événements réunissant le gratin de l’oligarchie pétrolière, la prise stratégique qu’ils offrent pour faire avancer la prise de conscience écologique est-elle négligeable ?

Dix-huit ans plus tard, à Paris, une nouvelle COP fortement médiatisée prenait place. Les hérauts du climat Laurent Fabius, Ségolène Royal et François Hollande allaient ébranler le statu quo. Une limite, destinée à faire référence, était fixée : en aucun cas la température moyenne globale ne devrait dépasser les 2°C. Et les gouvernements proclamaient leur attachement à ce principe.

Bien sûr, ces accords n’étaient nullement contraignants pour les États, peu disposés à accepter une autorité transnationale qui menacerait leur souveraineté. La structure organisationnelle des COP favorise l’immobilisme : les décisions étant prises non pas à la majorité mais au consensus, les propositions les plus ambitieuses sont systématiquement rejetées.

Et c’est ainsi qu’à Dubaï, le terme « sortie (phase out) des énergies fossiles » a été remplacé par une vague formule qui évoque les plus grandes heures du « rapport Brundtland » « Processus de transition hors (transitioning away from) des énergies fossiles ».

Une diplomatie climatique sans COP ?

L’histoire des sommets de la Terre commence avec un pétrolier, et les COP sont fidèles à cette tradition : le président de la prochaine n’est autre que Mukhtar Babayev, qui a travaillé pendant vingt ans pour le compte de la compagnie pétrolière nationale d’Azerbaïdjan – avant, rassurons-nous, de devenir ministre de l’Environnement.

Une mascarade de plus ? Si les plus pessimistes vont jusqu’à jeter le principe même des COP, il faut relever que c’est lors de ces réunions mondiales que les questions environnementales sont mises en avant. Ils peuvent servir de catalyseurs à une prise de conscience plus globale – et de repères pour prendre les États en défaut dans leur manquement aux objectifs climatiques.

Les COP sont également des tribunes pour les pays du Sud, ainsi que le note Thomas Wagner « Les pays du Sud y viennent avec l’espoir d’y obtenir quelque chose. Ils ont bien plus de poids aux COP qu’à Davos ou à l’OMC. Oui, il faut attendre plus des COP, mais en attendre un miracle, c’est ne pas comprendre la complexité des négociations climatiques. »6

Si l’on ne peut rien attendre de ces événements réunissant le gratin de l’oligarchie pétrolière, la prise stratégique qu’ils offrent pour évoquer les questions climatiques et faire avancer la prise de conscience écologique est-elle négligeable ?

Notes :

1 On ne s’étendra pas ici sur la méthodologie de ce rapport. Fortement critiqué à sa sortie par divers économistes néolibéraux (dont Friedrich Hayek, qui mentionne Halte à la croissance ? lors de sa remise du prix de la Banque de Suède en 1974), les marxistes ne lui ont pas réservé une meilleur réception, pointant du doigt son caractère (ouvertement) malthusien.

2 Conférence de Stockholm, JT 13h, ORTF, 19/06/1972 : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf94072876/conference-de-stockholm.

3 Aurélien Bernier, « La face cachée des sommets de la Terre », Le Monde diplomatique, Juin 2022.

4 Aminata Traoré, « L’oppression du développement », Le Monde diplomatique, septembre 2002.

5 « Kyoto ou tard », Datagueule, décembre 2015.12/2015.

6 Thibault Wagner, « COP 28 : Qui aurait pu prédire une telle issue ? », BonPote, décembre 2023.

Les politiques européennes contre le changement climatique : entre progrès et hypocrisie

Marche pour le climat, Paris, 2018, Photo © Vincent Plagniol pour Le Vent se Lève

À l’occasion de la récente COP24, alors que l’Union européenne se targue d’être le leader mondial en matière de défense du climat, il convient de s’interroger sur la place accordée à cet enjeu primordial dans les politiques de l’Union. Qu’il s’agisse de négociations à l’échelle internationale ou bien au sein même de l’UE, l’histoire des politiques qui visent à protéger la planète des changements climatiques et de leurs dangers se présente comme tumultueuse et non linéaire.


 

« L’homme a été doué de raison et de force créatrice afin de multiplier ce qui lui a été donné. Mais jusqu’à présent il n’a fait… que détruire ! Il y a de moins en moins de forêts !… Les rivières se dessèchent ! Le gibier disparaît ! Le climat se détériore !… De jour en jour la terre devient de plus en plus pauvre et de plus en plus laide… », peut-on lire dans la pièce de théâtre Oncle Vania d’Anton Tchekhov. Bien que le texte soit paru en 1897, ces propos semblent faire écho à la situation actuelle : le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 8 octobre 2018, confirme que la température mondiale a augmenté de 1 °C en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle et expose les risques tragiques d’une augmentation au-delà de 1,5 °C (qui devrait intervenir d’ici 2030-2052).

L’urgence de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 45 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone avant 2050 est par conséquent de plus en plus pressante. Les scientifiques tirent – encore ! – la sonnette d’alarme, en rappelant que ce sont les activités humaines qui sont responsables du réchauffement climatique, tandis que les opinions publiques s’approprient cette lutte – face à l’inefficacité des décideurs politiques – en multipliant les initiatives citoyennes (à l’instar des Marches pour le Climat). Il nous semble pertinent, dans ce contexte, de nous pencher sur la place historique de la lutte contre le changement climatique dans les négociations politiques de l’Union européenne : longtemps (auto-)présentée comme leader mondial en matière de climat, l’Union européenne s’est-elle montré à la hauteur du drame malheureusement déjà en cours qu’est le changement climatique ?

La politique de l’Union européenne mise en œuvre pour limiter le changement climatique s’inscrit d’abord dans des négociations à l’échelle internationale. En 1972, la Conférence de Stockholm réunit les États des Nations Unies qui, pour la première fois, envisagent une coordination politique internationale en matière de protection de l’environnement et de la planète. Mais la question climatique ne sera discutée en tant que telle que 20 ans plus tard. En effet, au cours du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (3 juin-14 juin 1992), 154 pays et l’Union européenne signent la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La CCNUCC réunit annuellement 197 parties depuis 1995 au cours des fameuses COP (Conferences of the Parties). Ces conférences se tiennent à chaque fois dans une ville différente et rassemblent les dirigeants des parties ainsi que des acteurs non-gouvernementaux (ONG, scientifiques, etc.). Leur objectif est de dresser un état des lieux climatique et de s’accorder sur les impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notons que sur les 24 COP qui ont d’ores et déjà eu lieu, 11 se sont déroulées dans des villes de l’Union, ce qui témoigne d’une forte implication.

« La première pierre d’un régime juridique de la protection du climat » est posée à l’occasion de la COP3 qui s’est déroulée à Kyoto en décembre 1997. À l’issue de cette COP, le Protocole de Kyoto est signé le 11 décembre 1997. Cependant, il n’entrera en vigueur que le 16 février 2005, après que 55 parties de la Convention responsables d’au moins 55 % des émissions de CO2 aient ratifié le texte. Il s’agit du premier engagement ambitieux, parce que supposé juridiquement contraignant – bien que l’on puisse parler ici de « droit mou » -, sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les parties signataires de l’annexe 1 s’engagent à une réduction des émissions de 5 % en moyenne au cours de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 (par rapport au niveau d’émissions de l’année 1990). Notons que l’engagement de réduction de l’Union Européenne (-8 %) est le plus élevé, avant les États-Unis (-7 %), le Canada et le Japon (-6 %).

Le fait que l’Union se soit présentée comme une partie en soi au cours des négociations n’empêche en rien des divisions entre les États membres (et même au sein de ces États). Cela n’a également pas permis aux positions de l’UE de s’imposer face à celles défendues par les États-Unis, notamment en ce qui concerne les objectifs quantitatifs et les mécanismes de flexibilité qui s’articulent autour d’un système de quotas de droits à polluer. L’article 4 du Protocole permet cependant, comme le souhaitait l’Union Européenne, que des pays de l’annexe 1 puissent s’organiser en « bulle » – c’est-à-dire en organisation collective et solidaire – pour remplir les objectifs du Protocole, selon un principe d’application conjointe. Finalement, l’Union apparaît comme la bonne élève si l’on doit la comparer aux États-Unis qui ont refusé de prendre part au Protocole, bien que responsables alors de 20 % des émissions de CO2. Le 31 mai 2002, l’Union Européenne ratifie le document, tandis qu’un accord communautaire répartit les objectifs de réductions entre les différents États membres.

Plus récemment, c’est la COP21 (qui s’est tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015) qui a fait couler beaucoup d’encre : l’accord de Paris sur le climat, signé par les 196 délégations de l’ONU (195 États et l’Union Européenne, compétente pour la ratification), entre en vigueur le 4 novembre 2016. Il fixe la limite du réchauffement climatique nettement en dessous des 2 °C d’ici à 2100, avec 1,5 °C comme objectif. Mais encore une fois, c’est seulement lorsque l’on compare l’UE avec les États-Unis (Donald Trump ayant annoncé le retrait des États-Unis de l’accord de Paris le 1er juin 2017) qu’elle semble agir selon la ligne fixée par l’accord. En réalité, aucun pays membre de l’UE ne respecte à ce jour les objectifs fixés, si l’on en croit le classement du Climate Action Network (CAN), daté du 18 juin 2018. Sept pays européens se sont rassemblés à Paris fin avril 2018 pour encourager l’UE à se montrer plus ambitieuse sur ses objectifs pour l’année 2030, mais le CAN affirme qu’ils ne se montrent pas assez rigoureux quant à leur réduction nationale d’émission de gaz à effet de serre. La déception est d’autant plus grande que l’Union s’était présentée comme chef de file au moment de l’accord de Paris.

L’histoire des politiques communes au sein de l’UE concernant le changement climatique est également récente : le traité de Rome ne donnait aucune compétence à la Communauté Européenne en matière d’environnement. De plus, l’Acte unique européen de 1986 est généralement considéré comme le point de départ de la politique européenne environnementale, mais les enjeux du changement climatique deviennent une compétence de l’Union européenne seulement avec la signature du Traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007 (en vigueur le 1er janvier 2009). Un nouvel objectif commun aux États membres voit alors le jour, à savoir « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique » (article 191 du TFUE). Pour ce qui est de l’institutionnalisation nécessaire à la mise en œuvre de cet objectif, un poste de commissaire à l’Action pour le Climat est créé à la Commission européenne en 2010. Une direction générale Climat est, de plus, chargée de proposer des politiques de lutte contre le changement climatique et de représenter l’Union dans les négociations internationales pour le climat.

Concernant les dispositifs législatifs, le Paquet Énergie-Climat est signé lors du Conseil européen de Bruxelles les 11 et 12 décembre 2008 et adopté ce même mois par le Parlement européen et le Conseil des ministres. Il s’articule autour de l’objectif dit des « 3×20 », selon lequel d’ici à 2020, la part des énergies renouvelables européennes doit passer à 20 %, les émissions de CO2 doivent être réduites de 20 %, tandis que l’efficacité énergétique doit être améliorée de 20 % (ce dernier objectif n’ayant pas de nature contraignante, contrairement aux deux premiers). Cet ensemble de mesures a été complété par de nouveaux objectifs fixés pour la période 2020-2030 qui s’inscrivent dans le Cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030. L’UE s’engage alors à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, à porter la part d’énergie renouvelable à 27 % et à améliorer l’efficacité énergétique de 27 %. Notons que seul le premier de ces objectifs a une nature contraignante.

Dans le cadre de la ratification du Protocole de Kyoto, un marché européen de quotas de CO2 (Système communautaire d’échange de quotas d’émission, SCEQE-UE) a été mis en place au sein de l’Union Européenne (à partir de 2005). Cet outil propose que les entreprises de certains secteurs vendent et achètent des quotas d’émission de CO2. Il rencontre de très nombreuses critiques : comment peut-on faire confiance aux mécanismes du marché pour réduire drastiquement les émissions de carbone ? Le SCEQE s’est d’ailleurs montré inefficace à dissuader les entreprises à limiter rigoureusement leurs émissions de carbone.

Notons, pour conclure, que les négociations de la COP24 ont témoigné d’un nivellement par le bas au sein de l’UE, dont se rendent notamment responsables l’Allemagne et la Pologne, qui continuent d’investir dans le charbon. Certes, faire un détour par l’histoire nous permet de constater une volonté de l’UE de s’imposer dans les négociations internationales climatiques, tout en fixant des objectifs communs et en mettant en œuvre des dispositifs pour ses États membres. Cependant, au-delà de ce cadre purement théorique dans lequel « les dirigeants européens se sont engagés à transformer l’Europe en une économie à haute efficacité énergétique et à faible émission de carbone », il reste à voir ce qui est effectivement mis – ou non – en œuvre.

 

Crédits photo @Spielvogel, Wiki Commons

De la COP1 à la COP24 : une histoire d’avancées et de renoncements

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, lors de la COP24 de Katowice (2018), photo © Vincent Plagniol pour Le Vent se Lève

Katowice  accueille  la  24ème édition de la Conference Of the Parties, ou COP24. Historiquement, certaines COP ont plus particulièrement marqué les esprits, comme la COP3 qui a vu naître le protocole de Kyoto en 1997, ou plus récemment la COP21 avec la mise en place de l’accord de Paris sur le climat. Mais alors, qu’en est-il des autres COP, comment sont nées ces conférences annuelles internationales et que peut on retenir de ces évolutions?


Des premières inquiétudes environnementales à la naissance de la COP

Les premières inquiétudes collectives en matière d’environnement se cristallisent en 1972, avec l’organisation par l’ONU du premier Sommet de la Terre à Stockholm. Alors que partout ailleurs en Europe, les thématiques écologiques n’en sont qu’à leur balbutiement, la Suède s’est déjà largement investie dans la voie du développement durable. Les discussions s’engagent sans réelle action concrète.

Ce n’est qu’au troisième Sommet de la Terre à Rio en 1992 que les consciences s’éveillent. 182 États sont présents pour débatte de l’avenir de la planète, c’est un record. La déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement, qui souligne entre autre la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, est signée. Les pays présents s’accordent sur une définition officielle du développement durable et sur la mise en place de nouveaux accords multilatéraux. À travers la signature de la convention, les États s’engagent à se rassembler chaque année en compagnie d’acteurs non gouvernementaux (citoyens, ONG, entreprises…) pour poursuivre les débats et engager collectivement de nouvelles politiques communes en matière de développement durable. Ainsi naît la COP.

Trois ans plus tard, en 1995, la première COP voit le jour à Berlin. Des objectifs chiffrés en matière d’émissions de gaz à effet de serre sont assignés à chaque pays, sans véritable cadre contraignant. Parallèlement, le GIEC (Groupe d’Expert Intergouvernementale sur l’Evolution du Climat) publie son deuxième rapport d’évaluation et souligne que  « des preuves suggèrent une influence détectable de l’activité humaine sur le climat planétaire ». Ce rapport se retrouve par la suite au cœur des négociations, et amorce la mise en place du protocole de Kyoto.

Le protocole de Kyoto, un premier grand pas, une réussite à demi-teinte

Ce n’est qu’en 1997 à Kyoto que la COP connaît un tournant. Pour la première fois, un protocole contraignant encadre les émissions de CO2 et s’appuie sur des données chiffrées. Les pays signataires s’engagent à réduire d’au moins 5,2% les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire d’ici à 2020, avec la naissance de « permis d’émissions » qui donne lieu à un véritable marché. Le principe de « responsabilités communes mais différenciées » opère une différenciation entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés de façon à en adapter les objectifs. Le protocole de Kyoto n’entre en vigueur qu’en 2002, suite à la 55ème signature et l’assurance que l’ensemble des pays représentent au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre. Il est officiellement ratifié en 2005, lors de la COP11 de Montréal. Opposés à la présence d’un cadre contraignant, les États-Unis, alors émetteurs de 20% des émissions, refusent l’accord et proposent une alternative baptisée “Asia-Pacific Partnership for Clean development and Climate” regroupant l’Australie, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud, qui vise à mettre en place des politiques de réduction des émissions sans contraintes juridiques.

Entre 1998 et 2012, les COP de l’après- Kyoto tendent d’une part à négocier et à mettre en place les directives engagées à Kyoto, dont les systèmes d’observation, et d’autre part, à partir de 2005,  à organiser la relance du protocole en 2012. Le Canada, la Russie et le Japon refusent de signer ce deuxième engagement, dénonçant l’absence des États-Unis et de la Chine, les deux principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre. L’Europe signe l’accord de manière symbolique, les pays signataires ne représentent plus que 15% des émissions à l’échelle mondiale. Pour le premier accord à visée contraignante, il s’agit donc d’un progrès à demi-teinte.

La COP15, avec l’accord de Copenhague, s’accorde sur une limitation du réchauffement climatique à 2 degrés. Les États-Unis sont parallèlement toujours sur la réserve. En 2011 à l’occasion de la COP17, les accords de Durban se donnent pour objectif l’adoption d’un nouvel accord universel en 2015, l’accord de Paris. Des groupes de travail sont mis en place.

L’accord de Paris, un moment historique

De 2012 à 2015, les COP s’organisent autour de la mise en application des directives de Kyoto et la préparation de l’accord de 2015.

En 2015, la COP21 regroupe 195 pays, tous signataires de l’accord, y compris les États-Unis de Barack Obama qui rejoignent la communauté internationale. Il est considéré comme un moment «historique » en matière de politique environnementale puisqu’il est le premier accord universel sur le climat, et le texte le plus largement signé dans l’histoire de l’humanité. Seuls la Syrie, en pleine guerre civile, et le Nicaragua, qui estime l’accord insuffisant, restent à l’écart. L’accord entre en vigueur en novembre 2016, mais un an plus tard, alors que la Syrie appose sa signature, les États-Unis sous Donald Trump se retirent, refusant les contraintes imposées par cet engagement.

La volonté de contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés, voire de le limiter à 1,5 degrés d’ici à 2100, est entérinée. Les pays sont sommés de publier sur le site des Nations-Unis leurs objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). La France s’est ainsi engagée à réduire de 40% ses émissions d’ici à 2030. Sont aussi évoqués l’abandon progressif des énergies fossiles et la neutralité carbone.

Et après ?

Si l’accord de Paris a défini les grands principes de la nouvelle gouvernance internationale en matière de climat, les COP22 et 23 étaient chargées d’en discuter les définitions et les modalités d’application. La COP24 de Katowice s’inscrit dans cette lignée, et doit aboutir à une mise en place opérationnelle des engagements et à une définition précise des financements relatifs au climat, incluant l’assistance internationale aux victimes des changements climatiques. Surtout, l’enjeu est de s’accorder sur la mise en place de mesures contraignantes, laissées en désuétude depuis le protocole de Kyoto. Deux ans et demi après l’accord de Paris, aucun pays ne s’est encore aligné sur les objectifs fixés. Les progrès à faire sont encore considérables, et au vu des résultats, l’efficacité de ces conférences internationales est de plus en plus remise en question.

Aperçu des 24 COP, de 1995 à 2018

Année    COP      Ville, Pays
1995      COP1     Berlin , Allemagne
1996      COP2     Genève, Suisse
1997      COP3     Kyoto, Japon
1998      COP4     Buenos Aire, Argentine
1999      COP5     Bonn     Allemagne
2000      COP6     La Hague, Pays-Bas
2001      COP6     Bonn, Allemagne
2001      COP7     Marrakech, Maroc
2002      COP8     New Delhi, Inde
2003      COP9     Milan    Italie
2004      COP10  Buenos Aires, Argentine
2005      COP11  Montréal, Canada
2006      COP12  Nairobi, Kenya
2007      COP13  Bali, Indonésie
2008      COP14  Poznań, Pologne
2009      COP15  Copenhague, Danemark
2010      COP16  Cancún, Mexique
2011      COP17  Durban, Afrique du Sud
2012      COP18  Doha, Qatar
2013      COP19  Varsovie, Pologne
2014      COP20  Lima, Pérou
2015      COP21  Paris, France
2016      COP22  Marrakech, Maroc
2017       COP23  Bonn, Allemagne
2018       COP24  Katowice, Pologne