Ecologie : Macron veut ouvrir des mines !

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Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.


Réalité écologique 3.0

« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.

Une révolution énergétique ?

En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?

Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.

 Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?

Contradictions et belles paroles

Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?

Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.

 

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Quels vœux pour 2017 ? Entrer en Décroissance

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Chroniques de l’urgence écologique

         L’an 2017 est là. C’est l’occasion de présenter mes vœux à ceux qui me lisent. Mais aussi d’engager le dialogue sur la Décroissance, en réponse à un précédent article publié sur Le Vent se Lève.

Décroissance : un mot choc pour lutter

         J’aime répéter que l’urgence écologique qui met en péril notre écosystème et notre humanité est le plus grand défi auquel nous devrons faire face. Attentats à répétition, écocides, exploitation des ressources au détriment des peuples autochtones, licenciements, suicides, croissance exponentielle des dividendes et des revenus du capital, réchauffement climatique… Autant d’indicateurs qui appellent à bouleverser notre vision du monde et à changer nos référentiels. S’il est une solution à nos problèmes, celle-ci ne peut être que politique. Mais on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique qu’Hans Jonas nomme « éthique du futur ». C’est-à-dire une éthique qui veut préserver la possibilité d’un avenir pour l’être humain. Réalisons que « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement et […] économiquement. »1 Admettons que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de penser une alternative concrète et radicale à un système cancéreux. La convergence des crises nous plonge dans un état d’urgence écologique. Et si la réponse à cet état d’urgence était la Décroissance ? Ce mot « Décroissance » suscite beaucoup d’effroi chez les novices. Certains ont pris l’habitude de développer un argumentaire d’opposition considérant que puisque le mot est absurde, nul besoin de s’intéresser aux idées qu’il contient. Ce terme « décroissance » est-il pertinent ? Puisqu’il faut prendre parti, je rejoins ceux qui l’envisagent comme un slogan provocateur qui suscite les passions, plutôt qu’un mot-écran qui empêche le débat. Véritable « mot-obus », « poil à gratter idéologique », il affirme un projet politique à part entière, un mouvement politique. Il s’agit concrètement de s’opposer frontalement au culte de la Croissance et à la religion de l’économie. Il s’agit « de ne pas revenir en arrière vers un pseudo paradis perdu, il s’agit de collectivement bifurquer »2 , de faire un “pas de côté”. Mais comment ?

Décoloniser les imaginaires, changer de logiciel

         Pour les décroissants, le dogme du tout-croissance est à l’origine de la crise multi-dimensionnelle qui nous atteint. Cette crise écologique englobe ainsi un effondrement environnemental (dérèglement climatique, crise de la biodiversité, exploitation des ressources, altération des milieux), une crise sociale (montée des inégalités, crise de la dette et du système financier), une crise politique et démocratique (désaffection et dérive de la démocratie) ainsi qu’une crise atteignant la personne humaine (perte de sens, délitement des liens sociaux). Entrer en décroissance serait donc prendre conscience des ramifications de cette crise écologique et de ses conséquences. C’est opérer une « décolonisation de nos imaginaires » qui aboutirait à la remise en cause du système capitaliste, financier et techno-scientiste. Entrer en décroissance c’est changer de logiciel, se défaire de nos référentiels poussiéreux. La décroissance réside ainsi dans l’élaboration d’un projet politique profondément optimiste : celui d’une vie humaine indissociable de la préservation des écosystèmes. C’est reconnaître une valeur intrinsèque à la nature, lutter contre toute glorification anthropocentriste. A ce titre, notre développement passerait par un réencastrement du social et de l’économie dans une vision écologique globale. La seule voie plausible résiderait ainsi dans la définition de besoins sociaux cohérents avec les limites de la planète, une « auto-limitation » collective au sens de Gorz. La tâche n’est point aisée, rétorquerez-vous. Une première pierre ne serait-elle pas celle d’une profonde transformation de notre système économique et démocratique ? En d’autres termes, prôner une « relocalisation ouverte », une décentralisation radicale qui ancre la dynamique sociale et environnementale au cœur des territoires. La décroissance nous permettrait ainsi de donner un cade conceptuel cohérent à toutes les initiatives de transition. Transports collectifs ou doux (vélo, marche à pied), réorganisation du système alimentaire (permaculture, réduction de l’alimentation carnée). Mais aussi redéfinition de nos besoins énergétiques et abandon des énergies fossiles, monnaies locales, biens communs, etc. En somme, mettre en branle une évolution de nos modes de consommation et de production qui s’inscrirait dans une démondialisation maîtrisée et voulue, une réorganisation à toutes les échelles de notre schéma sociétal.

Quelle transition ? Une responsabilité collective

         Nombre de politiques déclarent aujourd’hui ne plus compter sur la croissance. J’ose espérer que cette apparente prise de conscience ne soit pas pure stratégie électorale. De Benoît Hamon à Yannick Jadot en passant par Jean-Luc Mélenchon, des propositions émergent.3 Mais gare aux leurres ! La décroissance est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de renverser la table, de construire un nouveau projet. La transition ne peut être qu’écologique, mais tout investissement écologique n’est pas forcément une transition radicale. Ainsi, force est de constater que consommation d’énergie et hausse du PIB sont encore étroitement corrélées à l’échelle mondiale. Ainsi, comme le souligne Fabrice Flipo, « la forte croissance du secteur des énergies renouvelables pourrait bien n’être à ce titre qu’une fausse bonne nouvelle. Cela tient à ce que certains appellent le « cannibalisme énergétique ». La fabrication de renouvelables nécessite de l’énergie. Au-delà d’un certain taux de croissance de ces technologies, celles-ci en consomment plus qu’elles n’en produisent. Dans ces conditions, le déploiement des renouvelables tend donc à entraîner une augmentation de la production de gaz à effet de serre. » 4 En d’autres termes, un virage technologique ne résout pas la question de la surconsommation. La question qui se pose réellement est de savoir comment subvenir à nos besoins sans utiliser davantage de ressources. Cette réponse passe obligatoirement par une réflexion et une redéfinition collectives de notre projet de société. Cet exemple est à l’image de la logique décroissante. Il convient de s’éloigner d’une simple logique de « destruction créatrice » schumpéterienne qui n’est qu’une supplantation linéaire des technologies : du milliard de voitures diesel au milliard de voitures électriques, quel changement ? Il s’agit en conscience de faire un pas de côté, d’envisager la croissance de l’être par la décroissance de l’avoir. En temps d’élections présidentielles et législatives, il revient à chacun de bien peser le poids de ces mots.

        Loin d’être une vision pessimiste, terne et dépassée du monde, la décroissance s’oppose à tout conservatisme aveugle d’un système cancéreux et cancérigène. La décroissance comme mouvement politique et projet sociétal est une écologie politique radicale. Écologique car elle envisage les symptômes et les solutions comme interdépendantes. Politique car elle propose de refonder les bases d’un nouveau monde, de bâtir des référentiels neufs avec enthousiasme. Radicale car nul ne saurait l’accuser de petits arrangements avec le Capitalisme. « Le monde n’est pas complètement asservi. Nous ne sommes pas encore vaincus. Il reste un intervalle, et, depuis cet intervalle, tout est possible. » 5 Que vous souhaiter de mieux pour 2017 que d’entrer en décroissance ? Quel meilleur vœux que celui de refuser toute résignation face à l’état d’urgence ?

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1La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

2Paul Ariès, La décroissance, un mot-obus, La Décroissance, n°26, avril 2005

3Manon Drv, Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne, 19 décembre 2016, LVSL.

4Fabrice Flipo, l’urgence de la décroissance, Le Monde, 9 décembre 2015.

5Yannick Haenel, Les renards pâles, 2013.

Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne

Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

Chroniques de l’urgence écologique #3

           Le 15 décembre 2016, l’Ecologie et la transition écologique ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Il était temps, direz-vous ! Dominique Méda et Dominique Bourg, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », posaient la même question aux candidats. Les deux intellectuels ont émis avec force et justesse le constat selon lequel l’idéologie du « tout croissance » et l’obsession consommatrice et productiviste comme but économique, ne répondent plus aux besoins humains fondamentaux. Ils nous font courir à notre propre perte. Comment envisagez-vous la transition écologique ? Tout un programme qui permet de faire la lumière sur la viabilité des projets des candidats. Sans aucun doute les échanges les plus instructifs de toute la campagne à venir ! Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés. Ceux-ci rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. D’une gestion purement utilitariste de l’environnement sans renier le triptyque « croissance – production – consommation », il s’agirait de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Le plus pertinent et censé des candidats serait donc celui ou celle qui s’engagerait dans cette voie, logique non ?

           Il n’y avait finalement pas 9 personnalités politiques en présence. Seulement deux visons du monde et de l’avenir qui s’opposent, et des nuances d’intensité en leur sein. Commençons par les abonnés absents : Emmanuel Macron et Manuel Valls, pas concernés par l’urgence écologique ? Ensuite, si nous saluons le courage de Serge Grouard (représentant de François Fillon), le ton était donné dès l’introduction : « Je vais vous parler d’environnement ». Et non d’écologie donc ? Et la suite sans surprise : refus du principe de précaution, éloge du nucléaire mais quand même quelques petites éoliennes pour faire joli… Les Républicains ont compris qu’il y avait un souci avec l’environnement, bon point, de là à leur en demander davantage… Viennent ensuite ceux que nous appellerons les « opportunistes ». Ceux qui, bien qu’ayant flairé le potentiel de la marque ‘écolo’ ne sont pas vraiment crédibles. Vincent Peillon, tout d’abord, s’est cantonné à une glorification du quinquennat de François Hollande. Dans une logique parfaitement gouvernementale, il s’est évertué à parler de « croissance verte » et de « développement durable ». En parfait « réformiste passionné », il ne faut pas pour lui « que les bobos-écolos fustigent les campagnes qui roulent au diesel ». Oui mais encore ? François de Rugy a martelé que les écologistes doivent abandonner leur rôle de contre-pouvoir pour se placer « au cœur des responsabilités ». Agir au cœur dudit système qu’ils dénoncent donc ? Il a expliqué que la dette et la non-croissance empêchent les investissements écologiques. Pas facile de défendre l’écologie et la majorité tout en étant cohérent ! Arnaud Montebourg, très éloquent, a su montrer son intérêt pour une transition décarbonée. Mais notre œil averti a su déceler un ‘réalisme’ qui fleure bon le nucléaire et la relance économique productiviste. « Il s’agit de faire entrer l’écologie dans chacun des termes de la vie quotidienne, dans l’économie dans son entier ». Intégrer l’écologie dans l’économie, est-ce très écologiste monsieur Montebourg ?

            Trois candidats ont su s’inscrire selon nous dans la perspective réelle de l’écologie. A savoir celle qui revendique d’intégrer l’économie et le social dans l’écologie dans son entier. Celle qui prône de refonder totalement les bases d’un système qui n’est plus viable ni pour l’environnement ni pour l’homme. Nous reconnaitrons tout d’abord la prise de conscience de Benoît Hamon. Citant Habermas, il a pointé du doigt un « problème de légitimité quand le cercle de ceux qui décident ne recouvre pas le cercle de ceux qui subissent ». Il « ne croit plus en un modèle de développement qui se fixe sur la Croissance.” Pour lui, “Il faut changer de paradigme et de modèle de développement. » Cela supposerait donc de repenser notre rapport au travail en intégrant des indicateurs qualitatifs (taux de pauvreté, inégalités, impact de l’activité sur les écosystèmes) autres que le PIB. Mais aussi en sortant du nucléaire et en respectant le principe de précaution. Pour autant, si il a convoqué des choix politiques radicaux, il a protesté contre une brutalité des transformations. Mais la crise écologique nous permet-elle ce luxe ? Yannick Jadot, fidèle à ses idées, a exposé la nécessité d’un changement complet de modèle de société. Il a développé un programme de transition énergétique couplé à une transition démocratique. Evoluant sur son terrain favori, il a martelé que le coût le plus important résidait dans le fait de s’obstiner dans le tout nucléaire, non pas dans le fait d’en sortir. Enfin, Martine Billard, au nom de Jean-Luc Mélenchon, a exposé le programme de la France Insoumise. Dans une perspective écologiste, « l’avenir en commun » implique que l’urgence écologique conditionne toutes les politiques à venir. Constitutionnalisation de la règle verte (c’est-à-dire empêcher de prélever davantage que les capacités de renouvellement des ressources naturelles), planification écologique et démocratique qui encadreraient une relocalisation de l’économie sous le nom de protectionnisme solidaire sont les maîtres mots. Un projet global qui amène à interroger nos besoins autant que nos modes de consommation et de production.

            En tout état de cause, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[2] Un état d’urgence qui implique de s’orienter définitivement vers la transition écologique. L’avenir de l’humanité est-il dans nos bulletins de vote ?

 

Crédits photos: Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

[1] D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ? Entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007.

[2] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

Vous avez dit urgence ? Écologie, primaire et sparadrap

@adege

Ces 6  et 7 décembre, en raison d’un pic de pollution qui s’étend de Paris à Budapest, en passant par Hanovre, le gouvernement français impose la circulation alternée et rend les transports publics gratuits pour la journée. Belle décision direz-vous, mais qui relève davantage d’un sparadrap sur une hémorragie que d’une véritable politique d’adaptation écologique. Si nous voulions vraiment respirer, les transports devraient être gratuits et le nombre de voitures réduit sans attendre de voir poindre la catastrophe. Étrange attitude propre aux hommes que ce « décalage prométhéen » théorisé par Günther Anders, à savoir l’impossibilité pour la conscience humaine d’appréhender et de comprendre toutes les conséquences possibles de notre usage des technologies, brandissant sans relâche et sans recul l’argument de la modernité.

Pics de pollution à répétition, disparition de 58% des espèces animales en 40 ans, Fukushima, conséquences des pesticides sur la santé humaine, artificialisation massive des sols, rupture nette en 2016 du cycle de glaciation hivernale du Pôle Nord et faille de plus de 110 km qui formera à terme un iceberg grand comme l’Etat du Delaware… Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet événement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Tant d’écocides à répétition, et pourtant l’urgence écologique est toujours la grande absente de l’échiquier politique français, de Marine Le Pen à Emmanuel Macron en passant par François Fillon. Les primaires, parlons-en ! Débat de l’entre-deux tours : ils ont parlé fonctionnaires feignants, dette, suppression de l’ISF, chômeurs, terrorisme, famille, identité. Deux heures de débat puis une heure d’ « analyse » sans mentionner les mots clés des enjeux du 21e siècle : Europe, précarité, pauvreté, migrants, tous liés par des questions primordiales d’inégalités, de climat et d’écologie. Sur le terrain, à droite, Wauquiez « fait la chasse aux écolos »[2] en région Auvergne-Rhône-Alpes, confie l’agriculture bio aux productivistes de la FNSEA et l’éducation au développement durable aux seuls chasseurs. Ce qui est en place au niveau régional est déjà catastrophique, ce qui s’annonce à l’échelle nationale, apocalyptique. Penchons-nous sur le programme de François Fillon[3], plébiscité par les électeurs de droite, dont la moitié sont retraités, et par leur seul vote peuvent conditionner l’avenir des générations futures. On y découvre un véritable amour pour la filière nucléaire française, les OGM, le projet symbole de l’anti-écologie qu’est Notre-Dame-Des-Landes et surtout la remise en cause du principe de précaution, partagée avec Emmanuel Macron, vécu comme un abominable obstacle au capitalisme rampant.

Comment expliquer, et tolérer encore, l’omniprésence du débat sur la dimension géopolitique, économique et techno-scientiste de l’énergie comme fondement du modèle de croissance et l’ajournement concomitant de la crise écologique ? Plus précisément, pourquoi vanter encore les mérites de la filière nucléaire et honnir le principe de précaution quand quinze réacteurs (sur 58) sont à l’arrêt et que l’Agence de Sûreté Nucléaire alerte sur les irrégularités du parc français ? Plus que la préservation des espaces et des espèces, l’écologie se doit d’être un socle politique qui conditionne les aspirations d’une société, ses projets à long-terme, les finalités de son projet démocratique. Ainsi, tel que Hans Jonas l’a conçu, la solution à nos problèmes, s’il en est une, ne peut être que politique. Mais l’on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique nommée « éthique du futur », c’est-à-dire l’éthique qui a vocation de préserver la possibilité d’un avenir pour l’homme. Cette éthique ne peut se dispenser d’un principe de précaution qui tend à imposer un temps de réflexion sur nos actes. Comme le dit si juste à propos Günther Anders, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[4]

Cet état d’urgence écologique recouvre les dimensions sociales, économiques, techniques et environnementales d’un système que l’élite politique avec le concours des médias dominants a décidé de passer sous silence. Et F. Lordon[5] d’analyser et dénoncer avec brio l’articulation du « politique post-vérité » et du « journalisme post-politique », ou la misère de la pensée éditorialiste, avec pour symbole le culte du fact-checking et « le spasme de dégoût que suscite immanquablement le mot d’idéologie ». Car le paroxysme de la réalité comme argument choc, la bataille des chiffres de fonctionnaires à limoger, l’obsession monomaniaque pour les « faits » que l’on nous fait croire lavés de toute (mauvaise) intention, tend à voiler le « temps de l’idéologie, c’est-à-dire le temps des choix, le désir d’en finir avec toutes ces absurdes discussions ignorantes de la ‘réalité’ dont il nous est enjoint de comprendre qu’elle ne changera pas. » Amener l’écologie politique sur la table, forcer journalistes et partis politiques traditionnels à laisser la place à ceux qui revendiquent, non pas de négocier des variables d’ajustements internes au système mais d’en changer le cadre par une transition forte, sera assurément la première étape d’une considération de l’urgence écologique qui nous mène à la ruine.

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[1] “D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ?”, entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007 (http://www.esprit.presse.fr/article/dupuy-jean-pierre/d-ivan-illich-aux-nanotechnologies-prevenir-la-catastrophe-entretien-13958)

[2] “Comment Wauquiez fait la chasse au bio et aux écolos”, L’Obs, novembre 2016 (http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20161122.OBS1574/auvergne-rhone-alpes-comment-wauquiez-fait-la-chasse-au-bio-et-aux-ecolos.html)

[3] “Fillon et Juppé : deux programmes contre l’écologie”, Reporterre, 22 novembre 2016 (https://reporterre.net/Fillon-et-Juppe-deux-programmes-contre-l-ecologie)

[4] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

[5] “Politique post-vérité ou journalisme post-politique”, Frédéric Lordon, 22 novembre 2016, Le Monde Diplomatique (http://blog.mondediplo.net/2016-11-22-Politique-post-vérite-ou-journalisme-post)