Comment Macron a sacrifié la santé des Français

À l’heure du bilan du quinquennat, il est difficile de ne pas évoquer la question de la santé publique. Tandis que les hôpitaux français déclenchaient leurs plans blancs pour faire face aux vagues de contaminations et que les déprogrammations de soins se multipliaient, le gouvernement n’avait qu’une obsession : soigner sa communication « de guerre » et mandater des cabinets de conseils privés – au lieu de donner à l’expertise médicale, aux spécialistes et aux citoyens leur juste place dans la prise de décision. Niant toute forme de responsabilité dans le manque de moyens, dans la mise en difficulté des soignants et dans les nombreux dysfonctionnements du système de santé, le président s’est appliqué à entretenir un climat de tension sociale par un discours de culpabilisation et par des mesures arbitraires, au détriment des plus précaires. Ainsi, ces deux dernières années ont rendu d’autant plus tragiques le mépris du chef de l’État pour les principes fondamentaux de la santé publique et son projet de démanteler coûte que coûte ce qu’il restait encore de l’hôpital public.

La santé sous Macron : un bilan catastrophique, qui ne se résume pas à la période de la crise sanitaire

Force est de constater que les deux premières années du dernier quinquennat ont contribué à affaiblir notre système de santé publique. Ce bilan repose sur trois principales défaillances : la poursuite du démantèlement de l’hôpital public, la détérioration des conditions de travail des soignants, ainsi que les difficultés accrues d’accès aux soins pour les citoyens.

Devenue obsessionnelle depuis le tournant de la rigueur en 1983, l’austérité budgétaire soumet chaque année un peu plus l’hôpital public à la concurrence féroce des établissements privés de santé. Les hôpitaux ont ainsi subi 11,7 milliards d’euros de coupes budgétaires dans la dernière décennie. Dans ce sens, les trois projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) précédant la pandémie prévoyaient des économies sur les dépenses d’assurance-maladie dans les hôpitaux de 1,67, 1,61 et 1 milliards d’euros entre 2017 et 2019. Des moyens qui ont, par la suite, cruellement manqué.

Fin 2018, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, lançait le plan « Ma santé 2022 ». Une réforme « qui fai[sai]t la part belle au privé » comme le titrait l’Humanité, et qui prévoyait notamment de transformer les petits établissements hospitaliers en « hôpitaux de proximité », sans maternité, ni chirurgie, ni urgence. Dans le même temps, les déserts médicaux n’ont cessé de progresser sur notre territoire. Selon le géographe de la santé Emmanuel Vigneron, la diminution du nombre de médecins généralistes s’est accélérée entre 2017 et 2021. La densité médicale par département, c’est-à-dire le nombre de médecins généralistes rapporté à la population, a diminué de 1 % par an en France sur cette période, contre 0,77 % en moyenne sous le quinquennat de François Hollande. Comme le relevait alors un article du Monde, « les trois quarts des 100 départements français voient leur situation se dégrader, seuls dix-sept se trouvent en stagnation, huit en amélioration ». Or, la densité médicale est selon la Drees un « facteur aggravant » du non-recours aux soins, dans la mesure où les personnes pauvres ont huit fois plus de risques de renoncer à des soins dans les déserts médicaux. Une enquête de novembre 2019 révélait déjà que 59 % des Français ont dû renoncer à des soins, la majorité pour des raisons financières.

Face à cette situation dégradée, les dirigeants politiques se sont rendus coupables de négligence et d’irresponsabilité, en faisant la sourde oreille aux revendications des soignants qui rappelaient une évidence : l’hôpital public ne remplit plus sa mission d’accueil inconditionnel depuis des années. En janvier 2018, une grande grève dans les Ehpad de toute la France réclamait déjà « davantage de moyens humains pour plus de dignité ». En avril 2018, des personnels d’hôpitaux psychiatriques, au Rouvray, menaient une grève de la faim pendant trois semaines. Leurs collègues de l’hôpital psychiatrique du Havre ont dans la foulée occupé le toit d’un bâtiment pendant trois semaines. À l’hôpital psychiatrique d’Amiens, un campement de protestation a duré pendant près de cinq mois. En avril 2019, des services d’urgences des hôpitaux parisiens se sont mis à leur tour en grève. Un mouvement s’est structuré à travers le Collectif inter-urgences (CIU) qui a rapidement essaimé à travers le pays de telle sorte qu’en juin, 120 services étaient en grève. En août, ils étaient 200. Toujours sans que l’exécutif ne prenne au sérieux les revendications de ces soignants qui ont pourtant tiré, à de maintes reprises, le signal d’alarme.

En janvier 2020, à l’aube de la crise du Covid-19, Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, avait ému les Français en déclarant que, faute de moyens, elle était obligée de jouer le jeu de l’économie de moyens et du rationnement des soins. Avec des centaines d’autres médecins du Collectif inter-hôpitaux (CIH), elle démissionnait de ses fonctions administratives. Cette décision était symbolique du malaise de certains soignants forcés de rompre avec leur éthique médicale pour des raisons de rentabilité et de perte d’humanité au sein de leur profession. Des enjeux qui s’annonçaient d’autant plus problématiques à mesure que la pandémie devenait une réalité concrète dans les services hospitaliers.

Face à la crise, un « chef de guerre » qui continue de désarmer ses soldats

Emmanuel Macron nous l’a répété ad nauseam : face au virus, nous étions « en guerre ». Et pour mener cette guerre à ses côtés, en pleine crise hospitalière, il a fait le choix de nommer Jean Castex comme Premier ministre, à la suite de la démission d’Édouard Philippe. Si les médias se sont empressés – sans doute à raison – d’y voir l’influence de Nicolas Sarkozy sur l’actuel locataire de l’Élysée, ce choix était également révélateur du programme macronien en matière d’hôpital public. Ancien directeur de l’hospitalisation et de l’offre de soins au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale, de 2005 à 2006, Jean Castex a été le maître-d’œuvre de la réforme de la tarification à l’activité – la funeste T2A –, pilier de la transformation de l’hôpital en entreprise et des soignants en experts-comptables.

La suppression de 5 700 lits d’hospitalisation en pleine épidémie […] invite à relativiser « l’effort de guerre » et le « quoiqu’il en coûte ».

L’indicateur le plus frappant de cette fuite en avant du gouvernement reste le scandale provoqué par la suppression de lits d’hospitalisation au plus fort de la crise. Fin 2016, la France comptait plus de 404 000 lits d’hospitalisation à temps complet. Fin 2020, le chiffre était tombé à 386 835, soit plus de 17 000 lits supprimés en quatre ans. La suppression de 5 700 lits d’hospitalisation en pleine épidémie, selon la Drees, invite à relativiser « l’effort de guerre » et le « quoiqu’il en coûte » dont se sont gargarisé le chef de l’État et ses équipes gouvernementales.

Pendant que plans blancs et déprogrammations de soins se multipliaient pour faire face à la cinquième vague, une étonnante bataille de chiffres agita les autorités sanitaires en décembre 2021. En effet, alors qu’une étude du Conseil scientifique faisait état de « 20 % de lits publics fermés sur le territoire » depuis 2019, faute de soignants pour s’en occuper, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) publiait quant à elle, le 16 décembre 2021, une enquête sur les ressources humaines commandée par le ministre de la Santé Olivier Véran, qui avançait le chiffre de 2%.

Au-delà de ces éléments de langage qui visaient à rassurer les Français sur l’état de leur hôpital public, de telles stratégies de communication semblaient bien vaines face aux remontées « du terrain ». Dans un article de Marianne, Arnaud Chiche, médecin anesthésiste-réanimateur dans les Hauts-de-France et président du collectif Santé en danger, alertait sur le fait que « ces déprogrammations sont moins la conséquence d’un afflux massif de patients Covid à l’hôpital, que d’une pénurie de soignants médicaux et paramédicaux ». Contrairement à ce que nous assurait le gouvernement, la cause de l’engorgement des hôpitaux n’était pas conjoncturelle, c’est-à-dire liée à la crise du Covid, mais bien structurelle, en raison d’une aggravation des conditions de travail et d’un épuisement des personnels soignants. « Ces réorganisations incessantes ont en outre accéléré l’effondrement du système sanitaire, en désorganisant le travail du soin et en poussant les soignants, déjà épuisés par des décennies d’austérité, au découragement et à la démission », notent quant à eux Barbara Stiegler et François Alla, auteurs du tract Santé publique année zéro paru chez Gallimard.

Le ministère de la Santé a ainsi déserté la bataille pour l’hôpital public et laissé s’aggraver la santé générale des Français. Avec une baisse de 13% de séjours hospitaliers hors Covid en 2020, de nombreux Français souffrant de maladies chroniques, de cancers, d’AVC ou d’infarctus, n’ont pas pu être pris en charge. Dans une tribune parue dans Le Monde, un collectif de médecins de l’AP-HP déplore la normalisation de ces ruptures de soin et estime qu’« en imposant aux soignants de décider quel patient doit vivre, le gouvernement se déresponsabilise de façon hypocrite ».

Ce hiatus entre le discours et la réalité concrète de l’action du gouvernement fut particulièrement flagrant lorsque Emmanuel Macron décida de placer le 14 juillet 2020 sous le signe de la « reconnaissance » envers les personnels soignants, alors même que ces derniers manifestaient le même jour pour dénoncer un Ségur de la santé qualifié d’« imposture » par les syndicats. Christophe Le Tallec, vice-président du Collectif inter-urgences, dénonçait en ce sens un « hommage bling-bling » et réclamait « un soutien matériel et financier, pas juste un jeu de communication raté ». Dans le même article de Libération, Murielle, cadre en Ehpad, témoigne : « Tant que l’on continuera à faire des Ségur avec des gens qui n’y connaissent rien, sans demander directement aux soignants ce qu’ils en pensent, on ne changera jamais rien ! » Une nouvelle occasion manquée.

Un reniement historique des principes de santé publique, au détriment de celle des Français

Par-delà le démantèlement de l’hôpital, c’est le principe même de santé publique qui a été sérieusement ébranlé par la gestion gouvernementale de la crise sanitaire. S’il était presque impossible, en mars 2020, de mettre sérieusement en cause les décisions prises par l’Élysée, dans un contexte d’urgence sanitaire inédit, nul ne peut ignorer la dimension idéologique de celles-ci. Des choix politiques ont été faits. L’application uniforme des restrictions sanitaires sur l’ensemble de la population, d’une part, sans prise en compte des inégalités géographiques, économiques et de santé préexistantes. Une enquête publiée par la Drees en juillet 2020 permettait déjà d’identifier les principaux facteurs de vulnérabilité face au virus : présence de comorbidités aggravantes (obésité et diabète entre autres), forte exposition à la contamination (sur le lieu de vie ou de travail), difficultés d’accès aux soins.

À cette vulnérabilité sanitaire se sont ajoutées de nouvelles problématiques, liées au confinement et aux restrictions sanitaires : dégradation de la santé mentale, de la sécurité matérielle et physique, des conditions de logement, difficultés à maintenir une activité scolaire ou professionnelle. Refusant de reconnaître le caractère cumulatif des inégalités sociales et niant toute forme de responsabilité dans la mise en difficulté des populations les plus vulnérables, le gouvernement s’est contenté d’appliquer de façon arbitraire et selon des principes prétendument « universels » une feuille de route dictée par une poignée de proches conseillers. Se rêvant héros de guerre, le chef de l’État a laissé une partie considérable de la population basculer dans la grande précarité. En octobre 2020, un article du Monde comptait ainsi un million de personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté, par rapport aux 9,3 millions d’avant crise.

Après avoir savamment dilapidé l’hôpital et poussé une grande partie du pays dans la précarité, Macron faisait, malgré lui, le constat de son impuissance politique.

La mise au ban des réfractaires à la politique sanitaire a, d’autre part, constitué un autre point fort de cette « gestion de crise ». Accusées indistinctement de complotisme, les personnes émettant parfois de simples doutes sur le bien fondé de la stratégie du « tout vaccinal », ou hésitant à se faire vacciner, quelle qu’en soit la raison, ont enfin été qualifiées d’« irresponsables » par le président.

Cette déclaration, volontairement polémique, a permis de révéler un tournant dans la stratégie macronienne. Dépassé par l’augmentation continue des cas graves à l’hôpital et ne parvenant pas à répondre aux appels à l’aide du personnel soignant, le gouvernement a surfé sur le climat de méfiance latent, accusant lui-même les non-vaccinés d’être à l’origine de l’effondrement du système de santé. Un discours d’autant plus contre-productif qu’il a suffi à radicaliser les positionnements de chacun.

Créant ainsi un lien de causalité entre la « seule » attitude civique qui vaille – aller se faire vacciner – et le sauvetage de l’hôpital public – et, par-là, la remise en marche de la société tout entière –, le discours gouvernemental a rigoureusement établi une inversion des responsabilités. Nos responsables politiques n’étaient plus condamnables, puisqu’ils se plaçaient eux-mêmes du côté des victimes. Ils n’étaient plus tributaires de l’engorgement des hôpitaux, de l’épuisement du personnel soignant, ni même du tri des patients en réanimation. Après avoir savamment dilapidé l’hôpital et poussé une grande partie du pays dans la précarité, Emmanuel Macron faisait, malgré lui, le constat de son impuissance politique.

Pour y remédier, et en déclarant vouloir « emmerder » les non-vaccinés, Emmanuel Macron est passé du « paternalisme soft » (d’après la formule d’Henri Bergeron) à la guerre ouverte contre tous les ennemis de l’intérieur. S’il est évident que, derrière la fracturation du pays et la désignation d’un adversaire politique commun, se cachait une stratégie rhétorique rondement menée, on peut également y voir le triomphe du libéralisme autoritaire, version restaurée du libéralisme thatchérien visant à évincer du système collectif les individus inadaptés.

C’est donc une interprétation pervertie des principes républicains qui sert au gouvernement à justifier l’application indifférenciée des politiques sanitaires sur l’ensemble de la population et à imposer un schéma ami/ennemi en éliminant les seconds. À travers cette distinction entre citoyens exemplaires et citoyens de seconde zone, au cœur du dispositif du « passe sanitaire » bien que contraire aux principes les plus élémentaires de notre pacte social, Emmanuel Macron enterre définitivement toute conception d’une santé publique démocratique et inconditionnelle.

Une gestion de crise confiée aux cabinets de conseil privés au détriment de l’expertise médicale

La révélation récente de la place donnée aux cabinets de conseil privés – notamment l’américain McKinsey – dans la gestion de crise, et de l’instrumentalisation de l’expertise médicale à des fins politiques, illustre bien le cynisme du gouvernement, dont la principale bataille a été celle de l’opinion. Ainsi émancipé des avis du Conseil scientifique avec une décomplexion désarmante, Emmanuel Macron pouvait laisser libre cours à sa posture de savant et de politique. Les médias eux-mêmes ne pouvaient que souligner « comment l’entourage d’Emmanuel Macron met[tait] en scène un président qui serait devenu épidémiologiste ».

Le faible crédit accordé à l’expertise médicale témoigne ainsi d’un éloignement des enjeux de santé publique au bénéfice d’un jeu de double légitimation entre le pouvoir politique et les instances sanitaires. Après avoir démontré que dans la stratégie du gouvernement, le calcul coût/bénéfice, censé orienter toute politique de santé publique, ne relevait plus d’un raisonnement médical mais d’un calcul politique, Barbara Stiegler et François Alla expliquent que « les structures d’expertises en étaient dorénavant réduites à assurer le service après-vente d’une série de décisions déjà prises par le président de la République ou par les membres de son gouvernement ». Autrement dit, le rôle des autorités sanitaires était limité à justifier les décisions prises par Macron et une poignée de conseillers en communication, a posteriori, au lieu de les précéder. Les « recommandations » n’étaient plus que des alibis au cœur d’une « légitimation réciproque » : l’exécutif justifiait ses mesures par des avis d’experts qui justifiaient eux-mêmes leur utilité par la prise de décision politique dont ils prenaient acte.

Une telle phrase permet de percer à jour le logiciel de gouvernance d’Emmanuel Macron, pour qui les limites de la démocratie sanitaire commencent là où la prétendue rationalité du chiffre s’impose.

La mise en conflit permanente des disciplines entre elles a également conduit à l’isolement et à l’atomisation des véritables experts médicaux. L’Académie des technologies, dans un rapport intitulé « Covid-19 : modélisations et données pour la gestion des crises sanitaires », rappelait les limites de la modélisation en santé puisque « les humains ne sont ni des plantes, ni des animaux, mais des êtres sociaux ». Une vision purement biomédicale de la crise s’est pourtant imposée, focalisée sur la légitimité du chiffre, sur les courbes d’incidence et sur les taux d’occupation des lits.

Dès lors, on ne peut que s’interroger sur le bien-fondé d’une vision aussi biaisée, d’autant plus lorsqu’elle s’exprime à renfort de slogans simplistes tel celui du ministère de la Santé d’Olivier Véran qui décrétait en août dernier qu’« on peut débattre de tout sauf des chiffres ». Une telle phrase suffit à révéler le logiciel de gouvernance sous Emmanuel Macron, pour qui les limites de la démocratie sanitaire commencent là où la prétendue rationalité du chiffre s’impose.

Le recours aux cabinets de conseil a évidemment joué un rôle clé dans cette religion du chiffre qui a dicté la gestion comptable de la pandémie. La place qu’ils ont prise dans la gestion de crise, de même que leur rémunération exorbitante avec de l’argent public, quand les soignants se voyaient toujours refuser des moyens nécessaires, constituent à ce titre un grave scandale d’État. Une plainte contre les cabinets McKinsey, JLL France et Citwell pour « détournement de fonds publics, favoritisme, corruption et prise illégale d’intérêts » a d’ailleurs été déposée début avril 2022 par l’association Coeur vide 19. Par exemple, ne serait-ce qu’entre décembre 2020 et mai 2021, le ministère de la Santé a rémunéré le cabinet américain McKinsey pour près de 10 millions d’euros, pour avoir participé à l’élaboration de la stratégie vaccinale du gouvernement.

Il est dès lors compliqué de déterminer la frontière entre les fondements idéologiques et purement médicaux dans le discours gouvernemental en matière de vaccination, comme le montrent Barbara Stiegler et François Alla qui dénoncent à ce titre la « rhétorique de la promesse largement entretenue par les services de marketing des laboratoires ».

Une telle stratégie conduit in fine à un appauvrissement regrettable du débat public, qui contraint les citoyens, spectateurs de querelles entre experts et non-experts, à se positionner au sein d’un clivage artificiel : « pour » – le masque, le confinement, et finalement le vaccin, de façon indifférenciée – ou « contre », sur des enjeux politiques et non sanitaires. À l’occasion d’une campagne de communication en partenariat avec la ministère de la Santé, la radio Skyrock allait jusqu’à inciter ses jeunes auditeurs à dénoncer leurs amis « pro-virus ».

Alors qu’une lutte contre toute pandémie nécessite d’avoir recours à l’intelligence collective pour être efficace, le gouvernement condamnait délibérément le débat public à une opposition manichéenne, qui n’a fait que renforcer la défiance d’une partie croissante de la population envers les autorités politiques, médicales et scientifiques. Ainsi, il abimait définitivement la possibilité d’un consentement éclairé des citoyens et, par là même, le fonctionnement démocratique de notre société, à la veille d’une échéance électorale primordiale.

Tirer les conséquences du mandat passé, pour éviter le pire

Faire le bilan de ces cinq années de mandat, et s’efforcer de voir une cohérence politique entre toutes les décisions prises avant et pendant la crise sanitaire, permet d’esquisser quelques hypothèses sur l’évolution de notre système de santé, en cas de réélection du président Macron. À ce titre, la question de la prise en charge de nos aînés est particulièrement éloquente. Celui qui promettait, en 2017, une loi Grand âge destinée à une meilleure prise en charge de la perte d’autonomie, l’a finalement abandonnée, au plus fort de la crise sanitaire. À la place, il a condamné les personnes âgées à l’isolement social pendant plusieurs mois, entraînant, pour beaucoup, une perte définitive de leurs capacités physiques et cognitives. Comme si les nombreux témoignages en ce sens ne suffisaient pas, la série de scandales sur les conditions de vie et de travail dans les Ehpad, montre avec violence les conséquences de la négligence du gouvernement en matière de réglementation et de contrôle des établissements de soin privés.

Comment est-il possible, alors que deux ans de crise sanitaire avaient enfin mis en lumière l’urgence de repenser la prise en charge de nos aînés, qu’il ait fallu attendre la parution d’un livre – Les Fossoyeurs, en janvier 2022 – pour « découvrir » la maltraitance des résidents, les dérives bureaucratiques et les pratiques frauduleuses normalisées dans l’un des plus gros groupes d’Ehpad français ? Comment peut-on expliquer que Brigitte Bourguignon, nommée par Emmanuel Macron en juillet 2020 pour travailler sur les questions d’autonomie en fin de vie, n’ait pas jugé utile de s’assurer elle-même du bon fonctionnement de ces établissements ? Comment ne pas s’interroger, enfin, sur les réticences de cette dernière à rendre public le rapport du gouvernement sur Orpea ; une décision qualifiée de « choquante » par le sénateur LR Bernard Bonne, co-rapporteur de la commission d’enquête du Sénat, qui a dû faire preuve d’« obstination » pour se le procurer ?

Ainsi la santé n’aura plus rien de « public », puisque seules les personnes suffisamment aisées, ou ne souffrant pas de pathologies impliquant une prise en charge trop onéreuse, pourront y avoir accès.

Une chose est sûre, la réélection d’Emmanuel Macron à l’Élysée sera, pour ce dernier, la garantie de ne pas être inquiété pour la gestion douteuse de ces affaires. Il pourra donc poursuivre en toute liberté son entreprise de privatisation du service public, renforçant la mainmise des grands groupes hospitaliers sur le système de santé et faisant fi des scandales politiques et sanitaires encore brûlants. À titre d’exemple, la signature en avril 2021 d’un « protocole de coopération » entre l’hôpital public et Clinéa, une filiale d’Orpea, permettra au groupe de s’étendre encore davantage, voire de se rendre indispensable en répondant à la problématique des déserts médicaux français.

Cette extension du privé dans de nombreux territoires rendra le transfert des patients inévitable, malgré l’augmentation des frais de prise en charge. Ainsi la santé n’aura plus rien de « public », puisque seules les personnes suffisamment aisées, ou ne souffrant pas de pathologies impliquant une prise en charge trop onéreuse, pourront y avoir accès. Les soignants aussi devront s’adapter, car comme l’indiquait Philippe Gallais, ancien salarié de Clinéa et délégué à la CGT Santé privée, « là où le privé se fait le plus de marge, c’est sur la masse salariale ». Cela implique, entre autres, des évolutions de salaire et de carrière négociées au cas par cas (comme c’est déjà le cas dans la plupart des établissements privés), l’obligation de se plier aux injonctions budgétaires et de combler, continuellement, le manque d’effectifs.

Certes, l’épidémie de Covid-19, comme toutes les autres avant elle, a mis nos sociétés, partout dans le monde, en grande difficulté. Nul ne peut nier les conséquences dévastatrices engendrées par un simple virus, et probablement que nul n’aurait su apporter une réponse idéale à l’urgence sanitaire. Néanmoins, il s’agit maintenant de tirer les leçons de cet épisode, qui a eu pour – seul – mérite de mettre en lumière la fragilité de notre système de santé. Désormais, il est non seulement urgent de remettre nos dirigeants face à leurs responsabilités, mais également de retrouver nos droits et d’exercer notre devoir de citoyens en conséquence.

Scandale des dîners : la classe dominante fait bloc

Le déjeuner de chasse, Jean-François de Troy, 1737. Musée du Louvre, Paris. © RMN-Grand Palais

Ce mois d’avril s’ouvre par un nouveau scandale. Un reportage de la chaîne de télévision M6 aura mis le feu aux poudres : il dévoile des restaurants clandestins continuant de servir de luxueux dîners à un public privilégié, en dépit de toute considération sanitaire et en violation flagrante du cadre légal. Les réactions ayant suivi jettent une lumière crue sur l’abîme divisant la population.

Des tables richement décorées, des statues et portraits impériaux, et des convives de marque. Ces éléments frappent immédiatement l’imagination en évoquant une France d’Ancien Régime n’ayant pas encore aboli ses privilèges. Il faut dire que le collectionneur Pierre-Jean Chalençon, organisateur de ces soirées mondaines vite reconnu suite au documentaire diffusé le 2 avril, entretient la confusion. Ce passionné de Napoléon vante ses relations avant de se rétracter puis d’être contredit à plusieurs reprises par d’autres sources. Un ministre aurait participé, ou peut-être aurait-il été simplement invité ? Qu’importe, au fond, qui était réellement présent, quel était le prix du champagne, ou comment étaient espacées les tables. L’enjeu n’est pas là. Ou plutôt, il n’est plus là, au regard des réactions.

Un dîner (presque) parfait

La première réaction a été une indignation légitime, mêlée d’une ironie mordante. Les images diffusées en ont appelées d’autre – il faut dire que nombre de convives n’ont rien fait pour se cacher, affichant sur Instagram leur présence en bonne compagnie. Le contraste est violent. Côté face, une population confinée, ballotée entre le travail et le domicile, subissant contrôles et amendes quand elle s’écarte un instant de la règle. Et côté pile, cet entre-soi continuant comme si de rien n’était, comme si « le Covid n’existait pas », pour citer l’un des organisateurs filmé en caméra cachée. Une injustice aussi criante a suscité des commentaires acerbes et indignés. Ils étaient attendus.

Mais la seconde réaction, répondant à la première, est peut être encore plus parlante. Celle-ci a eu pour canal privilégié les plateaux télévisés. On y a vu défiler éditorialistes, ministres et personnalités publiques. Des membres du gouvernement ayant mis en place le cadre sécuritaire le plus liberticide qu’a connu la France depuis des décennies dénoncent une insupportable « ère du soupçon ».  Julie Graziani attaque sur BFM TV la « délation » – pourtant encouragée jusqu’alors comme valeur civique quand il s’agissait de soirées clandestines. Une position compréhensible puisque Le Canard enchainé révélait dans son édition du 3 mars qu’une vingtaine de journalistes de sa chaîne avaient été pris en flagrant délit attablés dans un restaurant clandestin… Quant à Eric Zemmour, il s’émeut de la « violence des réactions » et de la « méchanceté » des Français.

Deux visions irréconciliables d’un même évènement

Il serait possible de multiplier les exemples. On l’aura compris, ce qui unit ces personnalités, c’est une même position sociale. Il faut se sentir spontanément proche des invités du palais Vivienne pour exprimer son incompréhension, pour minimiser et s’indigner des critiques. La position de classe ici visible n’est pas motivée par le hasard. Elle n’est pas due non plus à une conspiration maléfique. Il s’agit du reflet cru d’une position dominante, considérant que les règles communes sont édictées à son profit. Les dirigeants ne seraient nullement tenus par les lois qu’ils édictent et promeuvent. En l’espèce, le confinement ne concernerait que les classes populaires, ces classes dangereuses soupçonnées de tous les maux. Cette arrogance se retrouve dans d’autres « affaires » récentes et se décline parmi ceux censés faire appliquer la loi : fête dans le commissariat d’Aubervilliers, vice-procureur et commissaire surpris en plein déjeuner à Carpentras, cluster suite à un barbecue policier dans les Yvelines…

Les incohérences du discours officiel au cours de l’année écoulée révèlent alors autant de failles béantes. Si « nous sommes en guerre », comme l’annonçait Emmanuel Macron en mars 2020, où sont les réquisitions, et que penser des profiteurs de guerre… ? Si la carotte et le bâton doivent être utilisés pour garder chez eux (ou au travail) des français accusés d’indiscipline toute gauloise, comment expliquer l’application très sélective des mesures répressives ? Comment célébrer ici ce que l’on traque ailleurs ? La solidarité face à la catastrophe s’accommode mal du retour des privilèges. Ceux-ci prospèrent dans les interstices d’un cadre légal soumis aux tâtonnements incertains du gouvernement. Le refus d’assumer une gestion politique démocratique de la crise sanitaire et de ses multiples conséquences conduit aujourd’hui à un aveuglement irresponsable nourrissant une colère toujours croissante.

De l’Europe à l’Asie : la démocratie comme mode de gestion de l’épidémie de Covid-19

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Le Daìl, chambre basse du Parlement Irlandais, en session d’ouverture © Johnny Bambury

En France, les décisions relatives à la gestion de l’épidémie sont prises de manière confidentielle et discrétionnaire. D’après le gouvernement et ses soutiens, cette modalité de prise de décisions se justifie par l’urgence de la situation : pour contenir la propagation du Sars-CoV-2, des réactions rapides sont nécessaires et ne peuvent s’encombrer de débats contradictoires. Or, les méthodes de gouvernement en temps de crise sanitaire retenues dans d’autres pays tendent à montrer qu’au contraire, le respect du droit ordinaire et des contre-pouvoirs débouche sur une meilleure maîtrise de la pandémie.

Ce n’est plus un secret : en France, la restriction de la liberté de mouvement se décide en Conseil de Défense, conseil spécial convoqué à la discrétion du président de la République et initialement conçu pour couvrir de la confidentialité nécessaire les réflexions ayant trait aux questions militaires sensibles. Étrange usage donc que de le convoquer pour la gestion d’une crise sanitaire, que la rhétorique guerrière utilisée par la communication gouvernementale ne saurait pleinement justifier.

L’état d’urgence sanitaire permet par ailleurs à l’exécutif de tenir l’Assemblée nationale, organe suprême du pouvoir législatif, à distance des décisions ayant trait à la gestion de la pandémie. Peut-être la considère-t-il trop occupée à débattre de sujets prioritaires à ses yeux, comme la clarification des contours d’un « séparatisme » mal défini ou le droit de filmer la police. Toujours est-il qu’il n’apprécie guère de la voir se mêler des restrictions dites « sanitaires », comme en témoigne une séquence de novembre 2020 devenue fameuse. Alors que les députés de l’opposition avaient voté un prolongement de l’état d’urgence non pas jusqu’en février comme le demandait le gouvernement, mais jusqu’au 14 décembre, Olivier Véran leur intimait de sortir de leur propre Assemblée (1).

Quels sont les résultats de cette abrogation des procédures démocratiques que la situation d’urgence sanitaire aurait réduites à des lourdeurs inutiles ? Fin 2020, la France déplorait le troisième nombre le plus élevé de morts par habitant parmi les 23 pays considérés comme des « démocraties pleines » d’après l’index de démocratie 2020 de l’Economist Intelligence Unit. Une catégorie dont la France ne fait plus partie pour l’année 2021, rétrogradée au rang de « démocratie imparfaite » (2).

graphe compilé par l'auteur
Évolution du nombre de morts du Covid19 pour 100000 habitants dans 23 démocraties – données OMS © Andy Battentier

Si l’autoritarisme constitue un facteur de réussite dans la gestion de l’épidémie, on n’ose alors imaginer l’absolutisme des dictatures aux commandes des pays dont les taux de mortalité sont les plus faibles ! Cet argument ne résiste toutefois pas à la plus sommaire des analyses ; très vite est réfutée l’idée que les méthodes prônées et appliquées par le gouvernement français soient nécessaires au contrôle de l’épidémie. Au contraire, l’étude de certains cas laisse à penser qu’en démocratie, c’est par le respect du droit normal et l’exercice effectif des contre-pouvoirs que les meilleures décisions sont prises, même en période de crise sanitaire.

En Irlande, un gouvernement qui s’appuie sur l’assemblée législative, le conseil scientifique et la population

Lors de la première vague, pendant que le président de la République convoque la nation devant le téléviseur à intervalles réguliers pour proclamer ses ordonnances face à une caméra pour seul interlocuteur, le chef du gouvernement irlandais annonçe les mesures de confinement devant la presse, le ministre de la santé à sa gauche et le chief medical officer à sa droite. Ce dernier occupe alors un poste similaire à celui de Jérôme Salomon, qu’il cumulait avec le poste de chef de la National Public Health Emergency Team (NPHET), l’équivalent fonctionnel du conseil scientifique français.

Le NPHET est toutefois bien différent : il se compose d’une dizaine de groupes de travail, rassemble plus d’une centaine de scientifiques, et son organisation relève des services compétents de l’État (3). Ces mêmes services ont été ignorés en France, le président de la République préférant s’entourer d’une douzaine de professionnels triés sur le volet, dont les avis ne sont par ailleurs que consultatifs. Ce dernier point constitue une autre différence avec le NPHET : en Irlande, les pouvoirs exceptionnels d’une forme d’état d’urgence sanitaire ont été validés par le Parlement à la condition explicite que le gouvernement agisse sur recommandation du conseil scientifique. D’où la présence de son chef lors des annonces liées au confinement, et la capacité de la presse à s’adresser directement à lui, même lorsque le chef du gouvernement est présent.

En France, le président de la République préfère s’entourer d’une douzaine de professionnels triés sur le volet, dont les avis ne sont par ailleurs que consultatifs.

Par ailleurs, pendant qu’Emmanuel Macron filait la métaphore guerrière jusqu’à discourir au milieu des tentes d’un hôpital militaire, que Christophe Castaner égrenait les menaces tout en se targuant d’avoir mis en place les « mesures les plus restrictives d’Europe », le Premier ministre irlandais tenait, là aussi, un tout autre discours. Dans la conférence de presse du 27 mars 2020 où est annoncé le confinement, il insiste sur la nécessité d’obtenir le consentement de la population quant au respect des règles. Le 10 avril, interrogé sur l’éventualité de mesures plus strictes, il répond qu’il ne souhaite pas instaurer un état policier. Lors de ces conférences, pas d’envolées lyriques sur les jours heureux ou de trémolos dans la voix, mais des objectifs chiffrés, liés à la capacité de tests ou à l’évolution des estimations du nombre de reproduction de base.

Enfin, c’est un gouvernement au ton relativement humble qui se présente chaque semaine devant le Parlement pour rendre compte de ses actions et consulter les députés. Lors des séances de questions hebdomadaires organisées pour chaque ministère, le Premier ministre comme le ministre de la Santé appellent à l’examen critique de leurs actions, aux opinions des députés de tous les bancs, et répondent aux questions qui leur sont posées sans prétendre faire de la « pédagogie ». Certes, les votes sont suspendus quand l’état d’urgence sanitaire est en place, mais l’on peut noter de réelles inflexions dans la conduite des affaires sous l’effet des réclamations des députés : ces derniers, relayant les demandes des citoyens de leur circonscription, ont par exemple accéléré le plan de déconfinement. Un scénario inenvisageable en France, où l’Assemblée nationale ne vote rien qui ne reçoive l’approbation préalable du gouvernement – quand bien même les propositions émaneraient de la majorité parlementaire.

Malgré – ou grâce – à cette relative décentralisation de la décision et aux contraintes appliquées aux actes de l’exécutif, l’Irlande comptait fin 2020 un taux de mortalité par habitant inférieur de moitié à celui de la France, fournissant ainsi un contre-exemple à l’idée que l’autoritarisme ralentit la propagation du virus. Nous allons maintenant voir qu’à cet égard, le cas de la Corée du Sud est encore plus frappant.

En Corée du Sud, une importante pression populaire et des médecins à la manœuvre

Au printemps 2020, la situation coréenne dont la presse française se faisait l’écho avait de quoi inquiéter : l’épidémie y était certes maîtrisée, mais au prix d’une restriction des libertés inconcevable en France, restriction liée à un système de traçage invasif menaçant la vie privée.

À y regarder de plus près cependant, on peut se demander à bon droit dans quel État la dérive policière a été la plus marquée. Principal malentendu à dissiper d’un point de vue français : il n’existe pas d’application-espion sur les téléphones de type StopCovid ou autre en Corée, hormis pour les cas positifs ou les voyageurs en provenance de l’étranger. Un traçage direct n’est obligatoire que pour ces seules deux exceptions – de contamination et de quarantaine –, et chacun est ensuite libre de désinstaller le dispositif au bout des deux semaines réglementaires. Non que les choix faits par la Corée ne soulèvent pas quelques graves questions pour autant, mais il s’agit de les critiquer pour ce qu’ils sont : le traçage s’y effectue, certes, mais de manière uniquement rétrospective. Quand une personne est diagnostiquée positive, des épidémiologistes reconstituent ses déplacements à la main, au cas par cas, sous la supervision d’une autorité indépendante. Les étapes de son parcours sont ensuite anonymisées pour publication, et on tente de prévenir personnellement tous ceux qui auraient pu croiser sa route (en contactant les gens qui ont laissé leur numéro à l’entrée d’un bar ou d’un restaurant par exemple). Que ce soit par les mesures de confinement, les patrouilles policières pour les faire respecter ou encore le traçage en direct des téléphones via une application dédiée, la France se rapproche bien davantage du modèle chinois que coréen.

Après un an de restrictions globalement acceptées sur la liberté d’aller et venir, et plusieurs années de nouvelles lois sécuritaires attentant à des degrés divers à la protection de la vie privée, la levée morale de boucliers français face aux mesures coréennes de traçage a de quoi laisser pensif. Par-delà l’évidente comparaison – que l’on ne fait pas – de ce traçage aux confinements ou aux couvre-feux à répétition qui sont imposés en France, on ignore de surcroît une dimension importante de la situation coréenne : la population se montre dans l’ensemble d’accord avec cette mesure de gestion de l’épidémie. Cela est visible dans les outils de contestation mis en place, largement disponibles et accessibles, et qui n’ont pas été mobilisés. Les Coréens disposent en effet d’un influent système de démocratie directe. Depuis 2017, le gouvernement héberge un système de pétitions en ligne où chaque citoyen peut déposer sa demande ; si celle-ci obtient 200 000 signatures en un mois, le gouvernement a pour obligation d’y répondre.

L’opposition, en Corée, a pris une forme qui diffère de nos habitudes : plus populaire que parlementaire, elle est centrée sur la démocratie directe.

Ce système est le fruit de décennies d’activisme démocratique contre la junte et ses héritiers. La lutte n’a jamais cessé, depuis les menées contre le dictateur Park Chung-hee dans les années soixante-dix jusqu’au rocambolesque scandale et aux immenses manifestations qui ont entraîné la chute et l’incarcération de sa fille, la présidente Park Gueun-hyé, en 2016-2017. L’opposition, en Corée, a pris une forme qui diffère de nos habitudes : plus populaire que parlementaire, elle est centrée sur la démocratie directe. De nombreuses pétitions sur des sujets liés à l’épidémie de Covid-19 sont apparues sur le site de la Maison Bleue, au point qu’une couleur spécifique permettait de les distinguer. Certaines ont reçu un soutien massif, comme celle portant sur la demande de démantèlement d’une église évangélique à l’origine du plus gros cluster du pays (1,4 million de signatures), ou une autre qui exigeait la fermeture des frontières avec la Chine (750 000 signatures). Pour ce qui concerne les mesures de traçage, les débats ont porté sur l’indépendance de l’autorité qui les supervise ainsi que sur l’anonymat des données, mais pas sur le principe lui-même.

Il est important de noter par ailleurs que la Corée du Sud n’est jamais sortie de son régime normal de gouvernement. En Corée, pas de conseil scientifique trié sur le volet, mais des agences étatiques endossant le rôle que les institutions leur attribuent en temps de crise. Jusqu’à aujourd’hui, les experts de ces agences ont gardé la main haute sur la communication autour des mesures sanitaires. La directrice de la Korean Disease Control and Prevention Agency (KCDA), le docteur Jeong Eun-kyeong, a toujours occupé le devant de la scène, à la fois physiquement et métaphoriquement. Bien que les décisions politiques aient été prises institutionnellement par le gouvernement, en lien avec les agences adéquates, les annonces de mesures sanitaires étaient réalisées par les cadres de la KCDA. Les membres du gouvernement se tenaient en retrait derrière eux, vêtus de la veste jaune des secouristes intervenant lors de catastrophes naturelles. Dans un pays miné par de récurrents scandales de népotisme, ce geste souligne qu’en temps de crise, l’implication des politiciens est subordonnée à leurs compétences effectives plutôt qu’à des faveurs indues. Il s’agit là d’un message explicitement lié à l’épidémie de MERS de 2015 : l’opinion publique avait alors été davantage choquée par les dysfonctionnements liés à ces mécanismes de népotisme que par le nombre de victimes de l’épidémie.

L’exemple proposé par la Corée se montre donc diamétralement opposé à la gestion française de l’épidémie : absence de régime d’urgence, contre-pouvoirs forts et hommes politiques en retrait. Les résultats, eux aussi, s’opposent totalement à ceux constatés en France, la Corée ayant un taux de mortalité par habitant parmi les plus faibles dans les démocraties citées en introduction.

Les différences culturelles entre l’Asie et l’Europe ne suffisent pas à rendre compte des écarts dans la propagation de l’épidémie

Quoique ce dernier exemple permette d’illustrer le poids des variables culturelles, le pays n’ayant pas connu les hécatombes du Royaume-Uni ou des États-Unis par exemple, ces variables se révèlent à double tranchant lorsqu’on y regarde de plus près. L’argument culturaliste renvoyant à une force d’inertie, il tend in fine à inspirer le fatalisme plutôt que l’action, quand il ne sert tout simplement pas d’excuse à l’impéritie. C’est justement quand on essaie de faire la part des choses en comparant des pays voisins, qu’on mesure au plus proche les effets d’une réponse politique inappropriée.

La stratégie japonaise de réponse à l’épidémie, ou plutôt son absence de réponse, représente un cas d’école. Depuis le début, elle a consisté à s’appuyer exclusivement sur la discipline collective. L’opacité est demeurée la règle au point de limiter les tests pour contenir les cas positifs, dans une tentative désespérée de sauver les Jeux prévus à Tokyo. Il a même été décidé de maintenir une campagne de soutien au tourisme intérieur (« Go to Travel »), ce qui ne manqua pas de contribuer à la propagation du virus. Ainsi le Japon déplore-t-il deux fois plus de victimes que la Corée du Sud (126 décès par million d’habitants contre 51), en dépit d’une infrastructure hospitalière mieux implantée et de normes sociales plus sévères.

La question politique se pose donc avec une urgence redoublée, précisément parce qu’elle est le seul levier qui puisse être actionné dans l’immédiat.

Des écarts non moins impressionnants s’observent par exemple entre les États-Unis et le Canada (1 541 contre 534) ou le Royaume-Uni et l’Irlande (1 822 contre 862). On peut même avancer sans crainte d’établir un paradoxe que la politique joue un rôle plus crucial en Occident qu’en Asie, puisque l’incompétence amène à multiplier des chiffres déjà considérables en soi. 

La question politique se pose donc avec une urgence redoublée, précisément parce qu’elle est le seul levier qui puisse être actionné dans l’immédiat. Or, dans les trois comparaisons que nous venons d’évoquer, c’est à chaque fois dans le pays où la décision a été la plus solitaire et la plus délibérément ignorante de la science – au Japon, aux Etats-Unis, dans le Royaume-Uni – que les résultats ont été les plus désastreux, avec des décisions prises en huis clos et annoncées en direct à la télévision, sans que les parlementaires ne les infléchissent significativement. En revanche, en Irlande, au Canada, ou en Allemagne, où les assemblées n’ont cessé de jouer leur rôle de contrôle, le nombre de contaminés par habitant est nettement inférieur.

On peut établir au moins de deux manières un lien entre l’exercice solitaire du pouvoir et les choix désastreux qui ont été faits dans plusieurs grandes démocraties. D’abord, dans le fait que l’absence de collégialité élimine les contre-pouvoirs ; pour reprendre la phrase de Montaigne que cite le président Macron, cette absence empêche de « frotter sa cervelle à celle d’autrui ». Ce danger existe dans les institutions du type Conseil de défense, dont l’exécutif fixe lui-même la composition, car il est exempt d’une opposition qui puisse renvoyer la balle et concevoir des politiques plus efficaces.

Mais un autre lien émerge, peut-être plus sérieux quand il est établi à l’intérieur d’une démocratie, celui où un peuple éprouve toutes les raisons de ne pas se sentir lié dans une décision solitaire, prise en huis clos, et dont les motifs lui demeurent obscurs. En refusant de rendre des comptes et en s’enfermant dans des comités secrets, le pouvoir exécutif prend le risque de responsabilités qui le dépassent et ce faisant, ne manque pas de compromettre l’adhésion populaire à sa stratégie – quand il en a une. Mais l’on pourrait aussi penser – et l’exemple coréen plaide en ce sens – qu’il n’est pas illégitime de rendre les citoyens comptables de leur passivité. Cette conclusion est aussi vieille que la science politique, c’était déjà celle de Machiavel méditant sur la première décade de Tite-Live : les émeutes peuvent souvent se révéler la condition de survie des républiques.

Notes :

(1) Voir sur France Bleu : https://www.francebleu.fr/infos/politique/olivier-veran-perd-son-calme-a-l-assemblee-nationale-elle-est-la-la-realite-de-nos-hopitaux-1604469887

(2) Source : https://www.lepoint.fr/monde/la-france-une-democratie-defaillante-03-02-2021-2412584_24.php

(3) Pour plus d’informations : https://www.gov.ie/en/publication/de1c30-national-public-health-emergency-team-nphet-for-covid-19-governance-/

« Sans amortisseurs sociaux, la crise sanitaire aurait été encore plus violente » – Entretien avec Éric Chenut

Eric Chenut MGEN
Eric Chenut, vice-président délégué de la MGEN et auteur de L’émancipation, horizon de nos engagements mutuels.

Vice-président délégué du groupe MGEN et militant mutualiste, Éric Chenut est l’auteur de L’émancipation, horizon de nos engagements mutuels (Fondation Jean-Jaurès / L’Aube, 2020). Dans cet entretien, il revient pour nous sur les origines et sur les fondements philosophiques du mouvement mutualiste, mais aussi sur sa conception de l’émancipation, notion au cœur de son engagement. Il y défend le rôle de l’État dans la garantie à chacun des moyens de l’émancipation. Il analyse également l’importance du numérique dans nos sociétés et dessine les contours d’une démocratie sanitaire pour renouer la confiance entre la population et les autorités, dans le contexte de la crise que nous traversons. Entretien réalisé par Léo Rosell.

LVSL – Vous vous présentez avant toute chose comme un « militant mutualiste », et exercez des responsabilités de premier plan dans la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN). Pourriez-vous revenir à la fois sur les origines et sur les fondements philosophiques du mouvement mutualiste ?

Éric Chenut – Être militant mutualiste, c’est avant tout s’inscrire dans une philosophie particulière de l’action, à la fois individuelle et collective. Une philosophie qui implique un savoir-être et un vouloir-être-ensemble pour soi et pour les autres. Une mutuelle, par définition, est un bien collectif, animé et porté par des femmes et des hommes engagés, qui partagent des convictions communes. Des convictions qui s’incarnent au quotidien dans la manière d’activer des solidarités intergénérationnelles, interprofessionnelles, interrégionales, entre actifs et retraités, entre malades et bien portants, dans le service apporté à ses adhérents ainsi que dans la gouvernance démocratique qui est la signature du mutualisme.

Nous agissons par et pour les adhérents, les bénéficiaires finaux de notre action. Le mutualisme est une manière originale, résolument moderne d’entreprendre, une forme d’économie circulaire à échelle humaine. Elle cherche à rationaliser notre action pour en maximiser l’utilité sociale, où la mesure d’impact est démocratiquement contrôlée par les représentants des adhérents. Le mutualisme induit une efficacité vertueuse s’il n’est pas dévoyé par l’hyper-concurrence qui pourrait le conduire à se banaliser pour répondre aux canons du marketing, des appels d’offres remettant en cause le fondement même de son essence solidariste et émancipatrice.

Avec l’avènement du siècle des Lumières, ces groupements, ces mouvements inspirés du principe de solidarité se détachent de la charité pour donner forme aux Sociétés de secours mutuels qui se développent concomitamment à la Révolution industrielle.

Très concrètement, le mutualisme est un modèle économique et solidaire fondé sur la Mutualité, c’est-à-dire une action de prévoyance collective par laquelle des personnes se regroupent pour s’assurer mutuellement contre des risques sociaux que sont la maladie, les accidents du travail, le chômage ou encore le décès. Nous pouvons adapter les réponses du mutualisme afin qu’il puisse se préoccuper des nouveaux fléaux sociaux, induits par des risques émergents comme l’environnement, les vies plus séquentielles ou de nouvelles crises pandémiques.

Pour ce qui est des origines philosophiques du mutualisme, plusieurs courants de pensée ont participé à sa conceptualisation, comme le mutualisme inspiré par Proudhon ou le solidarisme promu par Léon Bourgeois. Bien sûr, si on retrouve des traces d’actions de secours mutuel dans l’Antiquité, l’histoire du mutualisme en France remonte plus sûrement au Moyen-Âge avec les guildes, les confréries, les jurandes, les corporations et le compagnonnage. Avec l’avènement du siècle des Lumières, ces groupements, ces mouvements inspirés du principe de solidarité se détachent de la charité pour donner forme aux Sociétés de secours mutuel qui se développent concomitamment à la Révolution industrielle. Libérées de leur sujétion au pouvoir politique, après le Second Empire, et se développant d’abord en marge voire en opposition aux syndicats ainsi qu’aux assurances, les mutuelles proprement dites s’organisent dans un cadre juridique plusieurs fois remanié, concrétisé en France par le Code de la mutualité.

Le mouvement mutualiste continue donc d’investir et d’innover, contribuant ainsi à l’aménagement du territoire en santé en apportant des réponses de proximité.

En France, le mutualisme s’inscrit aujourd’hui dans le mouvement de l’économie sociale et solidaire qui promeut ce mode d’entreprendre à but non lucratif, ce qui ne signifie pas sans excédents. Ceux-ci sont réinvestis pour apporter aux adhérents des services nouveaux, à travers des réalisations sanitaires et sociales, des œuvres mutualistes, des services de soins et d’accompagnements mutualistes, aussi divers que des EHPAD, des cliniques de médecine, de chirurgie, d’obstétrique, des établissements de soins de suite et de réadaptation, des établissements de santé mentale, des centres de santé, des établissements médico-sociaux, des services à domicile, des centres d’optiques, dentaires ou d’audiologie, des crèches ou encore des services funéraires. Le mouvement mutualiste continue donc d’investir et d’innover, contribuant ainsi à l’aménagement du territoire en santé en apportant des réponses de proximité.

La mutualité n’est donc pas soluble dans l’assurance tant sa dimension sociale, sociétale et d’accompagnement est forte, elle concourt à la dimension sociale de la République aux côtés de la Sécurité sociale.

LVSL  Justement, à la Libération, la mise en place du régime général de la Sécurité sociale, par le ministre communiste du Travail Ambroise Croizat, et le directeur de la Sécurité sociale Pierre Laroque, a suscité l’inquiétude, voire la méfiance de la Mutualité, qui craignait de perdre le poids qu’elle avait acquis dans le mouvement social depuis plus d’un siècle. L’ordonnance portant statut de la Mutualité reconnaît toutefois que « les sociétés mutualistes sont des groupements qui, au moyen des cotisations de leurs membres, se proposent de mener, dans l’intérêt de ceux-ci ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité ou d’entraide ». Comment ont évolué, depuis, les rapports entre la Mutualité et la puissance publique ?

E. C. – L’intervention de l’État dans le domaine social a été beaucoup plus tardive en France que dans la majorité des pays européens, ce qui explique le poids qu’y ont pris les mutuelles. La Sécurité sociale n’a pas été créée ex nihilo en 1945 sur une décision du Gouvernement provisoire de la République française, elle est le résultat d’un processus historique. Elle repose sur deux lois antérieures. La première, la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, fut votée en 1910 et concerna à l’époque 2,5 millions de personnes. La seconde fut votée en 1930 et a établi les Assurances sociales, inspirées en partie du système dit bismarckien mis en place en Allemagne de 1883 à 1889.

La Sécurité sociale innove sur trois points : d’abord, elle porte une ambition universelle et prétend couvrir tous les Français. Ensuite, elle prend en charge l’ensemble des risques sociaux. Enfin, les caisses de Sécurité sociale sont gérées par les travailleurs eux-mêmes, à travers leurs représentants syndicaux élus.

La France est le dernier grand pays d’Europe à s’être inspiré de ce système et à mettre en place les Assurances sociales, en raison principalement d’une farouche opposition d’une partie du patronat et à la réticence des médecins libéraux qui avaient promu leur charte de la médecine libérale à la fin des années 1920. Les Assurances sociales ont été investies par les mutualistes : aussi notre pays compte 15 millions de mutualistes à la Libération. Le rapport de force est alors favorable à la gauche et aux syndicats.

La Sécurité sociale innove sur trois points. D’abord, à la différence des lois de 1910 et 1930, elle porte une ambition universelle et prétend couvrir tous les Français. Ensuite, elle prend en charge l’ensemble des risques sociaux, jusqu’alors gérés par des acteurs différents ; seule exception, le chômage qu’on croit avoir vaincu. Enfin, les caisses de Sécurité sociale sont gérées par les travailleurs eux-mêmes à travers leurs représentants syndicaux élus.

Il s’agit donc d’un moment difficile pour la Mutualité, qui voit son périmètre d’activité et de légitimité se réduire à mesure que la Sécurité sociale se généralise. Son modèle, parce qu’il a gagné, induit de fait son retrait. À partir de ce moment, elle doit donc se réinventer, et aller sur de nouveaux risques, que la Sécu ne couvre pas, et se développer sur des protections par des prestations en espèces, certes, mais surtout en nature et en services. S’ouvre alors une ère d’innovation et d’investissement pour apporter des réponses territoriales et accompagner la reconstruction du pays, l’accès aux soins et des actions de salubrité publique.

La Sécurité sociale couvrant les salariés, les syndicats et les mutualistes portent son élargissement aux fonctionnaires. En 1947, la loi Morice établit un accord entre l’État et la Mutualité : cette dernière, reconnaissant la Sécurité sociale, gagne le droit de gérer celle des fonctionnaires, notamment pour la MGEN, celle des enseignants.

La Mutualité a su se développer, et convaincre de son utilité sociale, alors que la Sécurité sociale se généralisait, preuve qu’il n’y a pas à les opposer.

Au sein du mouvement mutualiste une ligne de divergence exista pendant plusieurs dizaines d’années entre les défenseurs d’une alliance objective avec l’assurance maladie, et ceux estimant que la Mutualité avait été spoliée. Depuis, ces querelles ont totalement disparu, les mutualistes défendant la Sécu comme premier levier de mutualisation, le plus large possible, socle indispensable au creuset républicain.

La Mutualité a su se développer, et convaincre de son utilité sociale, alors que la Sécurité sociale se généralisait, preuve qu’il n’y a pas à les opposer. Alors qu’elle couvrait 15 millions de personnes à l’après-guerre, elle en protège aujourd’hui 38 millions et gère 2 800 services de soins et d’accompagnement mutualistes sur tout le territoire, faisant d’elle le premier réseau non lucratif de soins du pays.

À partir des années 1970, les assureurs privés, avec des objectifs lucratifs, commencent à investir le domaine de la santé, au détriment des mutualistes. Ils sont confortés par le cadre européen, qui privilégie leurs statuts, celui des mutuelles n’existant pas dans la plupart des autres pays.

La Mutualité n’a pas toujours entretenu une relation apaisée et fluide avec les syndicats. La Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF), créée en 1902 au Musée social à Paris, attendit 1971 pour engager des relations régulières avec la CFDT, la CGT et FO, sous l’impulsion des mutuelles de fonctionnaires où les relations étaient bien plus nourries et structurées.

Le mouvement mutualiste est soumis aujourd’hui à une concurrence de plus en plus sévère, induit par la doxa libérale européenne et les ordonnances de concurrence libre et non faussée qui induisent la déconstruction méthodique des cadres solidaires émancipateurs mutualistes. Les contrats groupes d’entreprises, sous couvert d’une meilleure couverture des salariés, ont déconstruit les solidarités entre actifs et retraités. Les besoins de portabilité des droits renforcent les stratégies de segmentation des marchés et d’individualisation des risques. L’hyper-concurrence engendre des coûts d’acquisition renforcés sans création de valeur sociale pour l’adhérent, les dernières modifications législatives imposant la résiliation infra-annuelle pour les complémentaires santé ayant pour principal impact une augmentation des coûts de gestion.

Nous devons jouer notre rôle de leader et rester ce que nous sommes : des militants de la protection sociale solidaire, des entrepreneurs du mieux vivre.

Alors que la question devrait être au contraire d’imposer un haut niveau de redistribution, de créer de la valeur pour les bénéficiaires finaux, les conditions de marché et un impensé politique conduisent à réglementer à outrance les contrats plutôt qu’à interroger le sens de l’action des acteurs et des opérateurs.

La Mutualité a donc intérêt aujourd’hui encore plus qu’après-guerre à se réinterroger sur son devenir, compte tenu des impacts induits par ce contexte concurrentiel, l’accélération des regroupements, aujourd’hui moins de 400 mutuelles, et la constitution de groupes mutualistes couvrant des millions de personnes. Le groupe VYV cofondé par la MGEN en 2017 protège ainsi plus de 10 millions de personnes. Comment allier taille et proximité ? Comment innover et investir pour inventer les métiers de demain de la protection sociale sans perdre de vue la préoccupation de la vie quotidienne des femmes et des hommes que l’on protège ?

Voilà une des nombreuses équations auxquelles les mutualistes ont à apporter la meilleure réponse possible. Ils doivent se réinventer pour ne pas se banaliser et préserver leurs capacités à entreprendre, à jouer l’émulation avec les autres acteurs de la protection sociale sans avoir peur d’être copiés. Nous devons jouer notre rôle de leader et rester ce que nous sommes : des militants de la protection sociale solidaire, des entrepreneurs du mieux-vivre.

Il appartient aux mutualistes de créer les conditions du rapport de force pour être entendus des pouvoirs publics et de l’État pour ce qu’il est, un employeur responsable, un investisseur de long terme dans les territoires, et un acteur contribuant au développement de l’action publique, confortant par le non lucratif les services publics de proximité.

Les mutualistes, par leur action, par le développement de leurs réponses, participent de la politique des territoires et du pays, même si ils ne sont pas toujours payés en retour. Il leur faut nouer des alliances objectives afin de pouvoir davantage peser dans le débat public à la hauteur de leur contribution sociale effective.

LVSL  L’idée d’émancipation est au cœur de votre ouvrage, comme en témoigne son titre. Quelle conception vous faites-vous de ce terme, de sa valeur philosophique et de son utilisation possible dans le domaine politique ?

E. C.  Je me suis aperçu en préparant ce livre que l’émancipation était au cœur de tous mes engagements depuis plus de 25 ans. Et cela m’a interrogé, car je n’en avais pas forcément eu conscience au moment de mes choix d’engagement successifs ou concomitants.

J’ai toujours voulu être libre, que l’on ne me réduise pas à l’image que l’on se faisait de moi. Je voulais être jugé pour ce que je faisais, et non pour ce qu’en apparence j’étais, ou ce à quoi on voulait me restreindre. Comme tout le monde, j’ai de multiples identités, elles ne peuvent suffire à me définir seules. À la différence de Kant, je crois que l’on se définit plus par ce que l’on fait que par ce que l’on pense.

Je n’oppose pas l’émancipation individuelle et collective car l’une comme l’autre se nourrissent, se renforcent. C’est parce qu’en tant qu’individu, je me sens libre, éduqué, en capacité de faire des choix, que j’ose les faire.

Je me réfère régulièrement à Montaigne, qui pose le principe d’individuation. Je suis par moi-même, et je crois que chacun l’est, femme ou homme libre. Je fais partie d’un groupe, un village, des amis, une famille, une profession, mais je suis moi-même. Je ne suis pas seulement une partie du groupe. Je concours au groupe, j’interagis avec les autres. Montaigne ne fait pas l’éloge de l’individualisme comme certains ont voulu le caricaturer, il porte le germe de l’émancipation, en ce sens qu’il pousse l’individu à se réaliser par lui-même, pour lui-même avec les autres, dans son écosystème, humain, naturel, animal. Je crois à cette nécessité de rechercher une harmonie, au fait que l’on ne se construit pas contre les autres, mais avec eux et par eux.

Je n’oppose pas l’émancipation individuelle et collective car l’une comme l’autre se nourrissent, se renforcent. C’est parce qu’en tant qu’individu, je me sens libre, éduqué, en capacité de faire des choix, que j’ose les faire. C’est parce que le groupe, la société, la nation investissent et croient en moi, me protègent de l’aléa, me donnent les outils pour que je sois un citoyen libre et éclairé, que je pourrais la défendre si une menace apparaissait.

La République a donc tout intérêt à investir massivement pour que ses filles et ses fils puissent être libres, émancipés de toute pression politique, religieuse, consumériste, et agissent en femmes et hommes libres, éclairés, car c’est ainsi qu’elle sera confortée. Elle sera questionnée, elle devra être elle-même irréprochable, car plus les gens sont formés et informés, plus leur niveau d’exigence progresse. C’est donc un cheminement exigeant, une recherche d’amélioration permanente, où le sens est d’être plus que d’avoir, où le progrès se mesure dans la concorde et aux externalités positives et non à l’accumulation, où l’essentiel est la PIBE, la participation intérieure au bien-être, et non le PIB, gage de gabegies et d’aberrations environnementales.

Pour que cette émancipation individuelle et collective prenne force et vigueur, cela suppose que différentes conditions soient remplies, que la République porte une ambition aspirationnelle, que l’État garantisse à chacun les moyens de cette émancipation par l’éducation, la culture, la santé, la solidarité et la citoyenneté.

L’émancipation, c’est donc ce qui me permet d’être moi-même, un être civilisé, connecté avec mon environnement, pouvant agir et interagir avec lui, comprenant les enjeux, et pouvant décider en toute connaissance de cause. Pour que cette émancipation individuelle et collective prenne force et vigueur, cela suppose que différentes conditions soient remplies, que la République porte une ambition aspirationnelle, que l’État garantisse à chacun les moyens de cette émancipation par l’éducation, la culture, la santé, la solidarité et la citoyenneté.

LVSL  Votre livre s’ouvre sur le constat que « la société française apparaît de plus en plus fracturée, loin du mythe révolutionnaire de la nation une et indivisible la structurant », ce qui constitue un défi considérable pour le vivre-ensemble. La croissance des inégalités sociales et territoriales a dans le même temps altéré en profondeur l’égalité des chances, réduisant ainsi ce que vous appelez « la capacité des individus à s’émanciper ». Si ce constat est souvent fait dans les champs politique et médiatique, quelles en sont la portée et la spécificité selon une perspective mutualiste ?

E. C. – Depuis les années 1980, l’évolution des inégalités est en hausse partout dans le monde, de telle sorte que même si en Europe celles-ci sont moins fortes qu’ailleurs dans le monde, notamment en raison de nos systèmes sociaux, les inégalités n’y régressent plus pour autant. Les politiques publiques permettent moins qu’avant à un enfant de réussir par son seul mérite à se hisser dans une autre classe sociale que celle de sa naissance. Cela ne peut que générer du ressentiment social, qui se traduit vite en exutoire violent, faute de débouché politique si ces frustrations ne trouvent pas de possibilité de traduction constructive.

Aujourd’hui, celles et ceux qui contribuent le plus aux solidarités proportionnelles par l’impôt et les cotisations sociales sont les classes moyennes qui, paradoxalement, voient leurs efforts moins récompensés qu’avant. En effet, l’action publique investit moins pour l’avenir à travers des infrastructures ou l’éducation permettant à leurs enfants de pouvoir avoir une vie meilleure que la leur. Depuis l’après-guerre, ma génération est la première à ne pas avoir vu sa condition s’améliorer par rapport à celle de ses parents.

Par ailleurs, celles et ceux qui bénéficient de l’action sociale se voient dans l’obligation de justifier toujours davantage les aides auxquelles ils ont droit, et ces dispositifs d’accompagnement, plutôt que de les aider à évoluer, à s’élever, leurs permettent juste de survivre.

Par conséquent, les contributeurs nets comme les bénéficiaires nets ne peuvent nourrir dans cette situation qu’une vision négative de l’action publique, des dispositifs d’aide sociale, sans que l’État ne les réinterroge en profondeur pour les refonder. Une situation qui nourrit un sentiment de gâchis, et qui alimente une perte de sens collectif, tout en nuisant à la conscience que les solidarités sont nécessaires et participent à la richesse de tous. De plus, elle est largement instrumentalisée par les tenants du tout libéral.

La crise sanitaire actuelle, qui aggrave dangereusement cette crise économique et sociale, en témoigne : sans amortisseurs sociaux, elle aurait été encore plus violente. Mais si on ne rétablit pas la pertinence des solidarités, nous aurons du mal à convaincre de l’utilité de l’impôt et des cotisations sociales.

Si le rapport à la société et aux autres n’est pas apaisé, nous, en mutualité, ne pouvons promouvoir efficacement nos constructions solidaires, nos mécanismes redistributifs. Si chacun calcule son risque a posteriori, et veut en avoir pour son argent, le mécanisme même d’assurance n’est plus possible. C’est pourquoi il faut en revenir au sens, rendre compte de l’utilisation des ressources qui nous sont confiées pour montrer le bon usage qui en est fait, et rappeler pourquoi nous avons intérêt à être solidaires les uns avec les autres en termes de prévention des risques et d’apaisement social.

La meilleure des garanties de la Mutualité est son essence démocratique. Il nous faut donc renforcer la place des adhérents dans les mutuelles et la gouvernance mutualiste.

Cette crise sanitaire a rappelé à chacun que nous étions mortels, fragiles, et que sans les autre nous n’étions rien. Même la coopération internationale et européenne, quand elle a failli au début de la pandémie, a montré à quel point nous étions vulnérables. Il faut espérer que nous ayons des femmes et des hommes politiques qui portent cette aspiration au dépassement, au sursaut républicain, pour que nous ayons à cœur l’attention de l’autre, pour éviter les tensions de demain que tout repli nationaliste induirait inexorablement.

La Mutualité est traversée par les mêmes interrogations que la société. Elle doit donc elle aussi démontrer la force de son modèle, l’efficacité de ses mécanismes de redistribution solidaire, la résilience de son économie. La meilleure des garanties de la Mutualité est son essence démocratique. Il nous faut donc renforcer la place des adhérents dans les mutuelles et la gouvernance mutualiste en utilisant notamment les nouveaux moyens de communication afin de les associer aux réflexions et de rendre compte des décisions qui sont prises.

LVSL  Vous présentez cet ouvrage comme le résultat d’un « travail d’archéologie sur [vous]-même », dévoilant votre enfance, notamment marquée par un sentiment d’injustice suscité par votre handicap, et par une scolarité dans une ville, Nancy, où l’école jouait encore « le rôle de creuset républicain », avant d’évoquer vos engagements successifs dans le milieu mutualiste et plus largement associatif, et de résumer les valeurs qui vous animent selon le triptyque suivant « humanisme, émancipation, laïcité ». Pourriez-vous revenir sur les principales étapes de votre parcours, et sur les motivations qui vous ont mené à écrire cet ouvrage ?

E. C.  J’ai débuté mon parcours en mutualité en 1993, après avoir milité dans le syndicalisme étudiant à l’UNEF ID. J’ai trouvé dans cette forme d’engagement une dimension très concrète que je ne retrouvais pas ailleurs et qui me correspondait bien. Comme je l’ai dit, je crois que l’on se réalise aussi en faisant, en étant dans l’action.

Puis, les rencontres m’ont amené à m’intéresser à d’autres questions que la prévention, l’accompagnement social. J’ai eu envie et besoin de comprendre, d’approfondir les questions sous-jacentes qui amenaient à cette situation. J’ai voulu agir en amont, et donc j’ai élargi mon champ des possibles en essayant de remonter le fil et de voir où et comment il était possible d’agir pour que chacun puisse devenir réellement l’artisan de sa propre vie, sans que personne ne soit contraint par un problème de santé, de handicap, une origine ethnique ou religieuse, une contrainte économique et sociale.

La politique fut donc une source de réflexion et d’engagement naturelle pour moi, au Parti socialiste, où j’ai réfléchi et travaillé sans vouloir prendre de responsabilités au sein de l’appareil du parti. J’ai été élu municipal et communautaire d’opposition de 2008 à 2014, mandat au cours duquel j’ai beaucoup appris, en découvrant l’action publique depuis l’intérieur. Ce fut une expérience que j’aurais probablement poursuivie si mon engagement professionnel ne m’avait pas conduit à quitter Nancy pour m’installer à Paris.

La MGEN m’a permis de m’intéresser et de me former à différents champs d’activités dans l’assurance, la prévention, la recherche en santé publique, la gestion d’établissements de santé, le numérique en santé, me donnant une vision prospective qui a nourri ma capacité à faire des propositions, et là où je suis, à la MGEN, au Groupe VYV ou à la FNMF, d’être force de propositions pour que nous nous réinterrogions quant à notre devenir, notre contribution perceptible par celles et ceux pour qui nous sommes là, les adhérents.

Nos organisations, parce qu’elles sont inscrites dans le camp du progrès, se doivent d’éclairer l’avenir et de porter une parole courageuse dans le concert du mouvement social dont nous faisons partie.

LVSL  Dans son discours lors de la réception de son prix Nobel, en 1957, Albert Camus a dit : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » En accordant une place centrale aux « enjeux de notre génération », et en rappelant que ceux-ci ont énormément évolué depuis l’après-guerre, vous semblez aussi traduire des inquiétudes qui concernent l’asservissement de l’humanité, non plus tant par les idéologies que par le numérique. Dans quelle mesure cet enjeu est-il devenu celui de notre génération, et comment faire progresser efficacement une culture scientifique et un nouvel humanisme, capables d’armer les citoyens face à cette menace qui alimente nombre de récits dystopiques ?

E. C. – Je crois que notre préoccupation est davantage de savoir quelle génération nous allons laisser au monde que de savoir quel monde nous allons laisser aux générations futures. Si nous n’armons pas ces générations à pouvoir se projeter, à pouvoir comprendre leur environnement et y agir, comment pouvons-nous imaginer leur donner la capacité de faire de bons choix pour elles-mêmes et pour les générations qui viendront après ?

Le numérique bouleverse et transforme toutes les sociétés. Aucune parcelle de l’organisation de notre monde ne semble lui échapper. L’organisation des États, des économies, des démocraties, a vu les algorithmes et aujourd’hui l’intelligence artificielle suppléer ou se substituer à l’intelligence humaine, quand ils ne sont pas des moyens de la manipuler. Nos comportements quotidiens, nos choix en tant que citoyens et consommateurs, nos rencontres, notre vie amoureuse et intime sont de plus en plus accompagnés, si ce n’est commandés, par d’habiles suggestions d’algorithmes qui nous connaissent parfois mieux que nous-mêmes. 

Il faut bien avoir conscience que l’avènement de l’ère numérique annonce une civilisation nouvelle qui se dessine sous nos yeux depuis trente ans et s’impose à une vitesse exponentielle. Aucune génération dans l’histoire n’a connu de changement si radical et si profond en un temps si court.

En me posant la question des menaces qui alimentent les récits dystopiques, vous posez la question de savoir qui du numérique ou de l’homme sert l’autre et qui du numérique ou de l’homme peut asservir l’autre ? C’est l’éternelle question de la liberté de l’homme dans son environnement, et notamment dans son environnement historique. L’ère numérique n’est ni plus ni moins qu’un fait historique majeur, le dernier développement de la révolution scientifique entamée au XVe siècle en Europe mais aussi l’aboutissement de la globalisation. 

Il faut bien avoir conscience que l’avènement de l’ère numérique annonce une civilisation nouvelle qui se dessine sous nos yeux depuis trente ans et s’impose à une vitesse exponentielle. Aucune génération dans l’Histoire n’a connu de changement si radical et si profond en un temps si court. Qui aurait pu imaginer le rôle du smartphone dans le quotidien des individus il y a seulement vingt ans ? Qui aurait pu imaginer une telle transformation dans le fonctionnement des États et de l’économie dans le même temps ? Où serons-nous dans vingt ans ? Personne n’est en mesure de le dire avec certitude. 

Il faut permettre à chacun de comprendre, apprendre, anticiper pour ne pas subir les évolutions techniques, technologiques, scientifiques et médicales.

Ainsi, nous devons accompagner cette révolution en investissant sur l’éducation et la culture pour permettre à chacun d’appréhender le visible comme l’invisible, car je crois que l’on apprend autant de ce qui existe que de ce qui manque. Il faut permettre à chacun de comprendre, apprendre, anticiper pour ne pas subir les évolutions techniques, technologiques scientifiques et médicales.

Le numérique, par ce qu’il induit de progrès, est une opportunité que nous devons saisir pour mieux la faire partager au plus grand nombre. Mais au regard des transformations consubstantielles liées aux données qui en sont le ferment, il faut apprendre aux assurés sociaux, aux patients, aux personnes malades, à savoir comment les utiliser, savoir avec qui et comment les mettre à profit.

Il est singulier de voir que de nombreux individus ne s’émeuvent pas de laisser ses données de santé en accès via leur smartphone à leur opérateur ou via les applications utilisées mais se méfient du fait que l’État puisse avoir des informations le concernant via « Tous Anti-Covid ». À ce sujet, une expérience d’un blue button à la française où chacun aurait accès à ses données, pourrait décider de les partager avec les professionnels de santé ou de participer à des programmes de recherches, me semblerait une expérimentation utile à proposer. Ainsi, chacun aurait la capacité de gérer son capital santé en pleine responsabilité.

Mais pour que cela soit possible, il faut que la confiance soit au rendez-vous, et donc que des principes clairs soient établis et que l’État soit garant de leur application. Un principe de transparence, pour que celles et ceux qui sont à l’origine des algorithmes soient connus. Un principe de loyauté, afin que l’on n’utilise pas l’intelligence artificielle à l’insu des personnes. Un principe de libre consentement qui suppose que les assurés sociaux soient formés et informés. Un principe d’égalité pour que chacun puisse avoir accès aux dispositifs, ce qui suppose de régler les problèmes liés aux zones blanches. Un principe d’inviolabilité des infrastructures, ce qui nécessite que l’État garantisse la sécurité et impose des normes élevées aux acteurs et opérateurs.

Et pour finir, un principe de garantie humaine afin que jamais une personne ne soit seule face à un algorithme ou un robot, et puisse toujours bénéficier d’une médiation humaine pour expliciter un diagnostic. À l’aune du respect de ces principes éthiques, la confiance pourra être possible, l’individu respecté et donc nous pourrons lui permettre d’être arbitre de ses choix.

LVSL  De même, vous rappelez que « l’enjeu de l’émancipation est vital pour la République », et que celle-ci doit se réarmer idéologiquement et créer un nouveau contrat social, pour reproduire un cadre collectif protecteur et émancipateur, en termes d’accès à l’éducation et à la culture, de protection sociale ou encore de laïcité. Quels devraient être, selon vous, les contours de ce nouveau contrat social ?

E. C. – Tout au long de ce livre, je plaide en filigrane pour l’engagement mutuel, qui pourrait être le socle d’une reviviscence de la citoyenneté et d’un nouveau contrat social.

Il ne peut y avoir de République si elle n’est constituée d’individus émancipés, de citoyens éclairés, de gens heureux.

Un engagement mutuel entre l’État et les structures de l’économie sociale et solidaire, entre l’État et les organisations syndicales, entre l’individu qui s’engage et l’État, entre les personnes qui s’engagent et la structure dans laquelle elles le font.

Oui, l’émancipation est vitale pour la République, nous le rappelions plus haut, et il ne peut y avoir de République si elle n’est constituée d’individus émancipés, de citoyens éclairés, de gens heureux. Je crois que c’est à l’État, parce qu’il est l’émanation et l’instrument de la société pour accompagner les transformations du monde et se transformer elle-même, de donner toutes les clés de compréhension aux individus via l’éducation nationale, la culture.

Très clairement, je ne crois pas que l’État doive tout faire, mais je ne suis pas non un adepte du tout libéral, où le marché réglerait le bonheur des gens. Je suis convaincu qu’une articulation entre la puissance publique et le champ du non lucratif serait utile et pertinente, offrant la capacité aux gens de s’engager et d’agir à l’échelle locale comme nationale à travers des associations, des fondations, des coopératives, des mutuelles et des syndicats, pour appréhender à leur façon la chose publique.

Je crois aussi fondamentalement que l’économie sociale et solidaire, par son mode d’organisation et sa façon d’entreprendre, offre des capacités à faire, à initier le faire-faire, pour que la puissance publique ne porte pas tout. Les organisations doivent permettre à leurs membres de s’investir, ainsi nous démultiplierons les espaces de coopération, de co-construction des décisions et aspirations collectives. Nous pourrons, dans cette optique, créer des espaces de concordes sociales, donner des espaces au plaisir d’être et de faire ensemble. Il faut générer des espaces vertueux démocratiquement où celles et ceux qui veulent agir puissent le faire. Ainsi on créera des remparts pour défendre la République contre ses adversaires, et ils sont nombreux.

Il faut réaffirmer la République, ses valeurs et ses principes. Elle ne doit pas être solvable dans le marché, sauf à perdre son ambition émancipatrice. Il faut redonner du lustre à l’universalisme, à la fraternité/sororité républicaine qui, trop souvent, est moins appréhendée que la liberté et l’égalité pour lesquelles les débats sont si fréquents, alors qu’elle est le ciment de la société.

Nous nous réunissons davantage par notre envie d’être ensemble que par seulement une langue, un drapeau et un hymne. La République doit donc nourrir, entretenir cette aspiration, si elle veut que la flamme républicaine ne s’éteigne pas.

LVSL  Votre dernière partie, intitulée « À l’heure des choix », sonne comme l’ébauche d’un programme politique pour repenser la question des « jours heureux », pour reprendre le titre de celui du CNR. Quels en sont les axes principaux ?

E. C.  L’époque nous impose de dramatiser les enjeux autour des choix que nous devons faire. Vous êtes vous-même historien, activement engagé dans la cité, vous savez que l’Histoire peut être sévère et que chaque génération est jugée sur les choix qu’elle fait, sur l’héritage qu’elle laisse.

Mais si le lot de notre génération peut paraître un peu lourd tant les défis sont nombreux, il n’appartient qu’à nous de nous prendre en main pour refonder le pacte social et républicain, « Liberté, égalité, fraternité », pour redonner confiance en la démocratie, pour réussir la reconstruction écologique.

Je crois que l’universalisme, qui est peut-être le plus important des héritages qu’on nous ait légués, doit être au cœur de la reconquête démocratique et sociale.

Nous ne partons non plus d’une page blanche, bien heureusement, nous avons à notre disposition quelques acquis et fondamentaux sur lesquels nous appuyer pour construire l’avenir. Je crois que l’universalisme, qui est peut-être le plus important des héritages qu’on nous ait légués, doit être au cœur de la reconquête démocratique et sociale. Nous devons nous réapproprier cette notion, la défendre, la partager, l’enseigner, la transmettre.

En effet, la puissance publique qui doit nous unir ne peut le faire que si elle promeut ce qui est commun à tous, des principes s’appliquant à toutes et tous, et surtout pour toutes et tous, garantissant un espace public fondé sur la neutralité où chacun puisse agir, s’épanouir.

Concomitamment, la laïcité doit être réaffirmée comme cadre organisationnel émancipateur, garantissant à chacun de vivre librement dans le respect des autres. Et nous rappeler aussi ce qu’est la laïcité. Si elle est un cadre juridique, l’esprit de la loi va bien plus loin : c’est un principe d’organisation de la société qui s’est imposé comme clef de voûte de l’édifice républicain. Réduite à une simple opinion par ses contempteurs, la laïcité est au contraire la liberté d’en avoir une.

La laïcité est l’essence de nos libertés individuelles et de l’égalité des droits, elle constitue le fondement indispensable de l’harmonie sociale et de l’unité de la nation […] qui offre à chacun un accès égal aux connaissances et aux responsabilités, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs. C’est, in fine, une doctrine de la liberté dans l’espace civique.

Concrètement, que garantit la laïcité en France ? Le droit absolu à la liberté de conscience, à la liberté d’expression et au libre choix. Elle est ainsi l’essence de nos libertés individuelles et de l’égalité des droits, elle constitue le fondement indispensable de l’harmonie sociale et de l’unité de la nation. Elle dessine le contour de notre civilité, une exigence à être au monde selon les codes d’un humanisme moderne qui offre à chacun un accès égal aux connaissances et aux responsabilités, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs. C’est, in fine, une doctrine de la liberté dans l’espace civique.

J’y reviens assez longuement dans la troisième partie du livre, les questions du progrès, du temps et du bonheur doivent être réinvesties par le politique, pour leur redonner un sens partagé. La technologie, l’allongement de la durée de l’existence, mille choses ont depuis quelques décennies considérablement modifié notre rapport à l’espace, au temps, à nous-même en tant qu’individus, et en tant que société.

Nous devons resituer notre action individuelle et collective à l’aune des enjeux donc au-delà de ce que nous sommes : une espèce humaine vivant dans un monde dont les ressources sont finies, dans lequel nous nous devons de vivre harmonieusement. La question du sens devient essentielle, vitale même. Nous devons redonner une vision commune et partagée, donc débattue, des aspirations collectives. Nous devons requestionner l’économie pour que celle-ci, qui n’est qu’un moyen de nous réaliser, soit plus humaine, soit bien davantage structurée pour financer la santé, le social, l’environnemental.

Il faut également que l’Europe soit une terre d’émancipation et de progrès partagés à l’échelle continentale, plus sociale et solidaire. Ce qu’est devenue l’Europe est à bien des aspects problématiques. L’Europe doit renouer avec l’ambition de préparer l’avenir, d’assurer la prospérité du continent, d’offrir demain aux nations qui la composent les moyens de leur destin et de leur liberté. La reconstruction de l’esprit européen, de la conscience commune d’appartenir à un ensemble cohérent de peuples ayant des intérêts convergents, ne se fera pas sans un puissant effort pour rebâtir un dessein dans lequel chacun pourra se reconnaître, pour une Europe souveraine et solidaire.

LVSL  Dans une tribune parue dans le journal l’Humanité, vous estimez également qu’« associer les citoyennes et les citoyens à l’élaboration d’une ambitieuse politique de santé publique permettrait non seulement à cette politique d’être largement comprise et acceptée, mais participerait également à l’éducation populaire aux questions de santé publique et lèveraient des appréhensions légitimes, en particulier sur la politique vaccinale. » Est-ce à une sorte de démocratie sanitaire que vous aspirez, dans le sens où la population aurait à la fois davantage de poids et de visibilité sur les questions de santé publique, qui nourrissent de plus en plus d’inquiétudes ?

E. C.  Je suis toujours surpris de voir que nous nous soyons collectivement accommodés des milliers de morts chaque année de la grippe saisonnière parce que nous connaissions cette maladie, ou de voir le coût considérable induit par des pathologies certes moins graves comme les gastro-entérites, alors que des gestes simples permettraient de les éviter, par de la prévention et de la responsabilité individuelle. Nous avons préféré miser sur le curatif plutôt que sur le préventif. Cela ne peut se corriger en pleine crise et il est illusoire de demander à une population d’adopter des gestes barrières qu’on ne lui a pas enseignés préalablement.

Si nous voulons que des citoyens se responsabilisent, il faut que par l’éducation, à l’école, mais aussi tout au long de leur vie personnelle et professionnelle, via la médecine scolaire, universitaire ou du travail, on leur permette de comprendre et donc d’agir.

Je propose que l’ensemble des médecins de santé publique travaillent avec les médecins scolaires, universitaires et du travail à travers des pôles d’éducation et de promotion de santé sur de la recherche, notamment interventionnelle. Ainsi, les assurés sociaux pourront être accompagnés et devenir acteurs eux-mêmes de leur parcours, ils pourront appréhender en quoi et comment, par leur comportement, leur engagement, ils contribueront à l’amélioration de l’état de santé de leur communauté territoriale.

C’est par cette émulation collective, cet engagement de toutes et tous que l’on peut donner du sens à la démocratie sanitaire, car les gens pourront mesurer leur contribution, leur impact.

La crise sanitaire que nous vivons est singulière, en ce qu’elle a induit un retrait de la place des patients ou de leur organisation à la différence de crises précédentes comme le sida, le sang contaminé ou le Médiator. C’est donc la première fois que la démocratie sanitaire recule à l’occasion d’une crise, alors que les précédentes l’avaient au contraire fait progresser.

Si l’on veut dépasser cette défiance, il convient de conforter la transparence en permettant aux citoyens ou leurs représentants de questionner notre organisation en santé publique.

Si on pouvait le comprendre au moment de la sidération du mois de mars dernier, où en situation de crise majeure il a fallu agir vite, rien ne le justifie depuis mai dernier. Alors que le professeur Delfraissy, président du comité scientifique, demande la mise en œuvre d’un comité citoyen à côté de l’instance d’experts pour accompagner l’appropriation citoyenne des enjeux de cette crise, les pouvoirs publics ne l’ont pas installé ni même validé.

C’est regrettable au regard de la défiance induite par les errements de la communication gouvernementale du mois de mars. Si l’on veut dépasser cette défiance, alors que nous entrons dans la phase de la vaccination de la population, il convient de conforter la transparence en permettant aux citoyens ou leurs représentants de questionner notre organisation en santé publique. La démocratie sanitaire pourrait permettre de conforter la participation au bien-être physique, psychique, social et environnemental auquel j’aspire, permettant à chacun d’être acteur et non sujet, voire objet de soins.

Pour rétablir la confiance, il faut rendre les citoyens acteurs de leur parcours et non les infantiliser, comme cela est fait depuis la crise de la Covid-19, en leur permettant de comprendre les enjeux et d’être en capacité de questionner les pouvoirs publics à l’allocation des moyens pour atteindre des objectifs clairement établis.

En santé comme en politique, la démocratie ne peut fonctionner que si elle est participative, et si celles et ceux en responsabilité acceptent de rendre des comptes en toute transparence, pour conforter la confiance.

Il est ainsi surprenant de voir qu’actuellement, faute de confiance dans les pouvoirs publics, nous n’avons d’autre alternative que d’imposer, d’interdire ou de rendre obligatoire certaines pratiques auprès des assurés sociaux au lieu de miser sur l’intelligence collective en matière de santé publique. Avant même cette crise, compte-tenu de la montée du sentiment vaccino-sceptique très développé dans notre pays, les autorités ont ainsi fait passer le nombre de vaccins obligatoires de 3 à 11. Je suis convaincu de la nécessité de la vaccination, mais de telles décisions ne risquent-elles pas pour autant d’être contre-productives ?

Pour gagner en efficacité et en pertinence, la santé publique doit se penser à long terme, il faut miser et investir dans le temps long, et surtout y associer les femmes et les hommes qui sont concernés, tant les professionnels de santé que les patients ou assurés sociaux. En santé comme en politique, la démocratie ne peut fonctionner que si elle est participative, et si celles et ceux en responsabilité acceptent de rendre des comptes en toute transparence, pour conforter la confiance.

Éric Chenut, L’émancipation, horizon de nos engagements mutuels, Fondation Jean-Jaurès / L’Aube, 2020.

Les États généraux de la bioéthique, un exercice de démocratie sanitaire

Avec l'accord du CCNE
Affiche des Etats généraux de la bioéthique

Lancés le 18 janvier dernier, les États généraux de la bioéthique se sont conclus avec la remise d’un rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique. Un exercice de démocratie sanitaire qui invitait les Français à se prononcer sur des sujets aussi bien scientifiques que sociétaux, comme la PMA et la fin de vie. 


Un exercice de démocratie sanitaire original

« Quel monde voulons-nous pour demain ? » Voilà la question posée par ces États généraux de la bioéthique pendant quatre mois. Pour y répondre, neuf thèmes avaient été définis par le CCNE comme périmètre de la consultation : tandis que sept de ces neuf thématiques découlaient des progrès scientifiques et technologiques, comme la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches, ou les données de santé, les deux autres thèmes entraient en résonance avec des préoccupations sociétales fortes, à savoir la PMA et la fin de vie.

Institution indépendante, le CCNE a pour mission de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Composée de membres issus de champs académiques ou institutionnels divers, tels que la médecine, la recherche, le droit, la philosophie ou la religion), il s’est vu attribué en 2011 la mission d’organiser le « débat public sous forme d’États généraux » avant la révision de la loi de bioéthique.

Dans ce cadre, plusieurs outils de consultation ont été choisis pour leur complémentarité. Un site internet des États généraux, au même titre que les débats en région, était destiné au grand public. Les auditions d’associations, de sociétés savantes, de grandes institutions et des grands courants de pensée philosophiques et religieux devaient quant à elles permettre d’écouter les groupes et les personnes directement impliquées sur ces sujets.

Une forte mobilisation centrée autour de la PMA et de la fin de vie

Ces États généraux ont suscité une participation inédite et inattendue, compte tenu de la technicité de certaines thématiques débattues. Pour autant, les neuf thématiques n’ont pas suscité le même engouement. Les problématiques autour de la fin de vie et de la PMA ont concentré plus de 60% des contributions totales. Inversement, d’autres thèmes n’ont pas réussi à mobiliser massivement les participants, en raison peut-être de la nouveauté des principales innovations, comme les neurosciences et l’intelligence artificielle, ou de la technicité de certaines thématiques, comme les cellules souches et les embryons.

À propos des deux sujets de société, malgré leur caractère polémique, les débats ont fait émerger quelques grandes orientations partagées par l’ensemble des participants. Concernant la procréation, le rapport note que la diversité actuelle des structures familiales et le désir de « faire famille » sont des évolutions reconnues par la grande majorité. Quant à la prise en charge de la fin de vie, la plupart des participants s’accordent pour reconnaître que l’on meurt mal en France en 2018, que la loi Claeys-Léonetti de 2016 n’est pas suffisamment connue et appliquée, ou encore que les moyens alloués aux soins palliatifs sont trop limités et à l’origine d’inégalités entre les territoires et les équipes médicales.

Ces remarques partagées ne sont pas pour autant synonymes de consensus autour de ces deux thèmes. Si les équipes médicales et le personnel soignant se sont unanimement prononcés en défaveur de l’ouverture de l’euthanasie ou du suicide assisté en France, les débats restent très vifs à ce sujet. L’Opinion du Comité citoyen, qui s’était saisi de cette question, reflète ces divergences : alors que les deux-tiers de ses membres prônent un recours à l’euthanasie et au suicide assisté, un tiers soutient qu’une meilleure application de la loi Claeys-Léonetti et un accès généralisé aux soins palliatifs pourraient lever l’insatisfaction entourant les conditions de la fin de vie. Par ailleurs, les opinions demeurent irréconciliables quant à une potentielle ouverture de la PMA aux couples de femmes et/ou aux femmes seules.

Une « éthique à la française » ?

Cette consultation a aussi favorisé l’émergence d’un thème nouveau et transversal que le CCNE n’avait pas anticipé : la place du citoyen dans le système de soin du futur. Face aux bouleversements introduits par le numérique dans le système de soin, la notion de consentement éclairé a suscité des interrogations, à l’heure de l’usage massif des données de santé collectées. À cette occasion, le rapport signale qu’un glissement du cœur du débat bioéthique s’opère avec une « nouvelle objectivation du corps humain où le génome et les données de santé, par exemple, s’ajoutent aux caractéristiques corporelles traditionnelles et en complexifient d’autant la question de bioéthique ».

Enfin, ces États généraux ont mis en évidence une « éthique à la française », selon l’expression du Professeur Jean-François Delfraissy, président du CCNE. Reposant sur quelques grands principes de gratuité du don ou encore de non-marchandisation du corps humain, cette éthique serait communément partagée par l’ensemble des acteurs ayant pris part à la consultation.

Malgré le succès de ce moment de démocratie sanitaire, cette consultation a manifesté un certain nombre de limites : alors que le site internet a été particulièrement investi par des discours militants, certains publics sont manifestement restés à l’écart du processus de consultation.

Suite et fin des États généraux de la bioéthique

Si cette synthèse n’est ni un sondage, ni une représentation juste de l’opinion française, elle constitue tout de même la première étape de la révision de la loi de bioéthique, qui aura lieu en automne prochain. Cette semaine, le Conseil d’État devrait rendre public un autre rapport, à forte tonalité juridique cette fois-ci, tandis que le CCNE délivrera son avis et ses principales préconisations pour la révision de la loi de bioéthique dans le courant du mois de septembre, avant qu’un projet de loi ne soit élaboré.

Ces États généraux s’étaient donnés comme défi d’arracher la bioéthique aux seuls débats d’experts, de créer les conditions d’un dialogue apaisé autour de problématiques techniques et parfois polémiques. À certains égards, ce fut réussi. En tout cas, le rapport se félicite que « quel que soit le poids contributif qu’il sera accordé à cette présente synthèse dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, ce temps de démocratie sanitaire a d’ores et déjà été un temps de santé démocratique. »

Affaire à suivre, donc.