“Le Canada doit réduire sa dépendance au pétrole” – Entretien avec Alexandre Boulerice

Alexandre Boulerice (45 ans) est un syndicaliste, journaliste et homme politique canadien. Il est militant du Nouveau Parti Démocratique (NPD). Député fédéral de la circonscription de Rosemont-La Petite Patrie depuis 2011, il est également porte-parole du NPD sur les questions d’environnement.

LVSL – En 2015, Justin Trudeau a fait campagne sur un programme plutôt progressiste. Quelle est l’analyse du Nouveau Parti Démocratique (NPD) sur le bilan à mi-mandat de Justin Trudeau ?

Alexandre Boulerice – Le gouvernement Trudeau est un gouvernement des apparences, un gouvernement que je qualifierais de la tromperie et de l’hypocrisie. Il est beaucoup plus difficile à démasquer que le gouvernement conservateur précédent de Stephen Harper, qui était clairement favorable aux pipelines, aux entreprises privées, contre les services publics et contre les syndicats. Monsieur Trudeau a fait campagne avec un vernis social-démocrate, certains de ses propos sont assez justes et semblent être du côté des travailleurs, des classes moyennes, des plus démunis, etc. Mais lorsqu’on regarde les actions, soit elles ne suivent pas, soit elles sont complètement contradictoires avec les promesses de campagne.

La réforme du mode de scrutin est une des premières grandes promesses brisées du mandat. Justin Trudeau avait promis que l’année 2015 serait la dernière élection avec le mode de scrutin injuste que nous connaissons : uninominal majoritaire à un tour. Il a organisé de grandes consultations publiques. Finalement, il a dit qu’il n’y avait pas de consensus ; ce qui était tout à fait faux. Il a dit aussi qu’il allait faire la “lutte à l’évasion fiscale”. Le NPD a présenté une motion au Parlement invitant à prendre des mesures sérieuses contre les paradis fiscaux. Les libéraux ont voté pour, mais par la suite ils ont signé deux conventions avec des paradis fiscaux, dont les îles Cook.  

Troisième et dernier exemple, l’environnement. Quand Trudeau et les libéraux ont été élus, ils prétendaient mettre fin aux “années noires du pétrole sale” de Harper, et quitter peu à peu l’extraction de combustibles fossiles. Ils disaient vouloir faire la transition énergétique, signer les accords de Paris, développer la nouvelle économie, etc.  Et ce dont on se rend compte en réalité, c’est qu’il conservent les mêmes cibles de réduction de l’effet de serre que le gouvernement Harper, le même plan de marche.

Et qu’en plus de cela, ils ont décidé de racheter avec de l’argent public un pipeline dans l’Ouest Canadien (entre l’Alberta et la Colombie-Britannique) appartenant à Kinder Morgan. A l’origine, la compagnie Kinder Morgan voulait multiplier par trois les capacités de transport du pétrole de l’Alberta, qui est un pétrole extrêmement dangereux, à base de bitume brut. Il y a eu beaucoup de contestations du gouvernement de Colombie-Britannique, des Premières Nations, des environnementalistes, etc. Entretemps, Kinder Morgan a renoncé au projet. Le gouvernement fédéral a décidé de racheter l’oléoduc à Kinder Morgan pour 4,5 milliards de dollars, ce qui donne un taux de profit pour Kinder Morgan de 637%.

LVSL –  A l’acquisition du pipeline s’ajoutait le coût des travaux…

Alexandre Boulerice – Exact. Kinder Morgan a estimé le coût des travaux à 7,4 milliards de dollars. Donc, on parle d’à peu près 12 milliards de dollars au minimum d’argent public. Et l’objectif c’est d’être capable de revendre ce pipeline tout neuf à l’entreprise privée. Le NPD a pris position contre ce projet. C’est un projet qui crée très peu d’emplois (300 à 400 emplois par an). Il augmente nos émissions de gaz à effet de serre. Il est extrêmement dangereux pour les côtes de Colombie Britannique. Le bitume, contrairement à d’autres genres de pétrole, tombe dans le fond en cas de déversement dans l’eau. Il ne flotte pas. Donc on ne sait pas comment le ramasser. Et en plus de cela, la demande mondiale de pétrole va commencer à diminuer, dans les prochaines années, parce que tous les investissements dans les différentes énergies renouvelables vont faire en sorte que cela va être de moins en moins en demande. Et le premier pétrole qui va être abandonné par les marchés, c’est celui qui coûte le plus cher à produire. Et c’est celui-là.

LVSL – Dans la presse française, Justin Trudeau est souvent comparé au Président Macron. Ils sont qualifiés de “deux jumeaux de la politique”, et sont tous deux “confrontés à un hiatus entre la communication et l’action politique”. Est-ce un constat que vous partagez ?

Alexandre Boulerice – En termes de comparaison, c’est sûr que dans la génération, dans le style, dans la capacité à communiquer, il y a des ressemblances entre les deux. J’ai l’impression que Monsieur Macron a voulu rassembler des gens de gauche, des gens du centre et des gens de droite. J’imagine que les gens de gauche doivent être particulièrement déçus d’avoir cru en Macron. S’agissant du droit du travail, il a une position sociale-libérale voire néolibérale, et qui n’est pas tellement favorable à la classe ouvrière. Ici, c’est un peu la même chose. Monsieur Trudeau a posé quelques gestes, au départ, pour rassurer les grands syndicats. Mais, par la suite, les mandats de négociation avec la fonction publique fédérale n’ont pas été modifiés par rapport au gouvernement Harper. Il continue dans la même veine de rapports difficiles avec les organisations de la fonction publique fédérale. Mais quand même, Monsieur Macron et Monsieur Trudeau ne sont pas dans la provocation comme Monsieur Trump.

“Monsieur Trudeau bénéficie de l’effet de contraste avec Monsieur Trump.  C’est-à-dire, qu’il a l’air beaucoup plus posé et raisonnable que le président américain. Cet effet de comparaison est bon pour lui. Vous, vous avez toute une panoplie de leaders en Europe. Nous, il y a juste le Président américain, qui est notre voisin, et qui sert d’épouvantail.”

Monsieur Trudeau bénéficie de l’effet de contraste avec Monsieur Trump. C’est-à-dire, qu’il a l’air beaucoup plus posé et raisonnable que le président américain. Cet effet de comparaison est bon pour lui. Vous, vous avez toute une panoplie de leaders en Europe. Nous, il y a juste le Président américain, qui est notre voisin, et qui sert d’épouvantail.

LVSL – Les élections fédérales de 2015, ont provoqué un certain nombre de remises en cause au sein du NPD : la destitution de votre chef de parti (Thomas Mulcair) en 2016 et des modifications de la ligne politique lors du congrès de 2018 en particulier. Qu’est-ce qui a changé fondamentalement dans votre orientation politique ?

Alexandre Boulerice – Je pense qu’on est revenu un peu plus à ce qu’était le Nouveau Parti Démocratique des années de Jack Layton (NDLR : le chef précédent du NPD). On a voulu être extrêmement rassurants en 2015. On était aux portes du pouvoir. Donc on avait une plateforme très raisonnable, qui manquait d’audace. Le mode de scrutin actuel ne nous a pas aidés aussi, avec l’effet du “vote stratégique”.  Au début de la campagne, les sondages nous étaient favorables, et en fin de campagne, c’était le parti de Monsieur Trudeau qui était en avance. Il a mené une campagne plus sociale-démocrate, plus keynésienne que nous, qui avions promis l’équilibre budgétaire. Monsieur Trudeau, au contraire, n’avait pas peur de promettre une politique de relance ; ce qu’on n’avait pas osé faire, et qu’on aurait dû faire, dans l’objectif de susciter une reprise de la croissance et des créations d’emplois.

Alexandre Boulerice et Jagmeet Singh, nouveau Chef du NPD

Nous avons élu un nouveau leader, Jagmeet Singh, qui représente une nouvelle génération, qui est le premier leader, fils d’immigré, issu d’une minorité visible de l’histoire du Canada.

Du point de vue programmatique, nous sommes sur une nouvelle dynamique. Nous voulons mettre en l’avant trois piliers : l’environnement, la lutte contre les inégalités et la démocratie. Entre autres, avec un nouveau mode de scrutin, mais également en favorisant d’autres formes de mise en commun, notamment l’économie sociale et les coopératives. Parce que cela fait partie de notre histoire et de nos valeurs, de sortir de la dichotomie entre entreprises publiques et entreprises privées.

LVSL – Quel regard portez-vous sur la campagne et le programme de Bernie Sanders et de son mouvement “Our Revolution” ?

Alexandre Boulerice – On voit cela d’un oeil favorable et inspirant. Une des choses qui est remarquable avec la jeune génération, aux Etats-Unis, mais aussi dans une certaine mesure au Québec et au Canada, c’est cette espèce de décrispation sur l’utilisation du mot “socialiste”. On dirait que les nouvelles générations n’ont pas de craintes à utiliser un mot comme le “socialisme”, pour définir leur projet politique ; celui d’une économie beaucoup plus égalitaire, redistributive, participative et démocratique. Et je pense que c’est ce qu’on voit avec l’élection de toutes ces jeunes femmes dans les primaires démocrates, qui mettent dehors les vieux bonzes centristes. Je pense que c’est une espèce d’appétit et de désir d’une société plus juste. Et je suis content que notre nouveau chef Jagmeet voit également cela d’un oeil favorable.

LVSL – Vous parliez de la question de l’environnement et de l’extraction pétrolière. Quelles sont les propositions du NPD pour sortir de la dépendance au pétrole, pour mettre en oeuvre la transition énergétique ? Sachant que vous êtes porte-parole du NPD sur l’environnement.

Alexandre Boulerice – Je suis effectivement porte-parole du NPD sur l’environnement, mais je ne vais pas être capable d’être extrêmement précis sur ce sujet là, car c’est justement une de mes tâches de l’automne prochain que d’élaborer ce plan de transition énergétique, qu’on appelle ici “plan de transition juste”.  C’est un plan sur lequel beaucoup de groupes environnementalistes et de syndicats réfléchissent déjà. Je participe à différents colloques, à différents congrès.

Evidemment, nous avons des pistes qu’il va falloir explorer davantage et détailler, mais nous souhaitons élaborer une plateforme de transition énergétique robuste, crédible et ambitieuse pour l’élection de 2019. Nous nous engagerons probablement en faveur d’un moratoire sur l’extraction de sables bitumineux. Je pense que c’est incontournable. On ne peut pas diminuer nos émissions de gaz à effet de serre tout en continuant à augmenter l’extraction de ce pétrole qui est extrêmement polluant. Ensuite, il va falloir mettre en place des investissements publics pour soutenir la création d’emplois dans les énergies renouvelables et l’utilisation de ces énergies. Par exemple, en Californie, toutes les nouvelles maisons doivent être équipées de panneaux solaires. Est ce qu’ici au Canada, les panneaux solaires sont la meilleure solution ? Je ne sais pas. Mais c’est le genre de mesure qui pourrait aider les gens dans leur maison, dans leur coopérative d’habitation, ou dans leur HLM, à accéder aux énergies renouvelables.

Troisième chose qui est très importante, c’est la formation de la main d’oeuvre. Il va falloir démontrer aux travailleurs des secteurs gaziers et pétroliers de l’Alberta qu’il y a des débouchés d’emplois réalistes dans le secteur des énergies renouvelables. Il faudra accompagner ces travailleurs, les payer durant cette reconversion personnelle.

“Et puis, j’ai fini par comprendre que quand on dénonce les sables bitumineux, si on le fait sans nuances, sans parler en faveur des travailleurs, ces gens-là se sentent attaqués personnellement. Parce que c’est pas juste leur gagne-pain, c’est aussi leur identité.” 

Et puis, j’ai fini par comprendre que quand on dénonce les sables bitumineux, si on le fait sans nuances, sans parler en faveur des travailleurs, ces gens-là se sentent attaqués personnellement. Parce que c’est pas juste leur gagne-pain, c’est aussi leur identité. Il faut leur dire, “C’est pas contre vous. On n’est pas contre votre famille et puis contre votre emploi. C’est juste qu’on va vous accompagner pour être capables de passer à autre chose.”

Il y a une grosse résistance des travailleurs en Alberta. C’est également un sujet épineux du point de vue politique : le gouvernement de l’Alberta actuel est un gouvernement NPD, le gouvernement de Colombie-Britannique est un gouvernement NPD. Et ils s’affrontent sur le sujet du pipeline Kinder Morgan, parce qu’ils n’ont pas du tout la même perspective. Et au départ, nous [NDLR : La direction nationale du NPD] étions dans une situation inconfortable. Nous considérions que les deux provinces faisaient leur travail, qu’elles défendaient leurs intérêts. A la fin, nous avons pris le parti de la Colombie-Britannique, pour des raisons de respect des peuples Autochtones, des citoyens et de l’environnement. C’était la meilleure position à prendre.

LVSL – Trump a décidé de soumettre les productions étrangères d’aluminium et d’acier (dont celles du Canada) à des mesures protectionnistes. Dans le même temps, l’Italie a annoncé récemment qu’elle se refusait à ratifier le CETA. Est-ce qu’il n’y aurait pas là une fenêtre d’opportunité pour remettre en cause, d’un point de vue progressiste, les traités de libre-échange ? Autrement dit, doit-on laisser aux néo-conservateurs le monopole de la critique du libre-échange ?

Alexandre Boulerice – Le NPD a traditionnellement été extrêmement critique au sujet des traités de libre-échange. Nous sommes en faveur du “fair trade” et non pas du “free trade”. Parce que la liberté économique, quand on est de droite ou néolibéral, c’est la liberté de s’enrichir sans aucune limite, et puis la liberté pour les travailleurs de crever de faim s’ils ne sont pas assez productifs. 

Le NPD a toujours été opposé aux clauses permettant aux multinationales de poursuivre les gouvernements devant les tribunaux d’arbitrage parce que c’est un affront à la souveraineté nationale. Ces traités deviennent des chartes des droits des “grandes corporations” [NDLR : terme désignant les multinationales] et non pas des citoyens et des travailleurs.

J’ai rencontré récemment une délégation de membres du Congrès des USA, et nous faisions le constat commun que le meilleur moyen de protéger l’emploi des travailleurs Américains et Canadiens, c’est d’augmenter les salaires au Mexique. Et la gauche canadienne et la gauche américaine sont très critiques du gouvernement mexicain précédent, qui n’a pas augmenté le salaire minimum. Ils ont fait en sorte que leur “cheap labor” continue à être une force d’attraction pour les délocalisations des entreprises Canadiennes et Américaines. Le meilleur moyen de garder de bons emplois ici, c’est que les emplois deviennent meilleurs au Mexique. Cela fait partie des promesses de campagne d’AMLO. Ce serait une bonne nouvelle pour les Mexicains, mais ce serait aussi une bonne nouvelle pour nous.

Deuxièmement, quand on regarde du côté de l’Europe, quand on regarde le “filet social”, la protection des travailleurs, les services publics, les règles sur l’environnement, ce qui existe en Europe est soit équivalent soit supérieur à ce que l’on connait au Canada. Donc ça devrait être naturel d’avoir des accords commerciaux avec les pays Européens, puisqu’il y a moins de chances d’avoir du dumping social, de l’utilisation de “cheap labor” ou de lois environnementales complaisantes. Malheureusement, les gouvernements n’ont pas réussi à négocier un CETA qui respecte la démocratie et les peuples. C’est une occasion manquée. Mais peut-être que là, il y a une occasion que l’on pourrait saisir, si les débats continuent au sein de l’Union européenne, pour amender le CETA. Pour l’amender ! Parce que d’un point de vue Québécois ou Canadien, on est coincés avec notre géant américain comme presque seul marché d’exportation : 90% de nos exportations vont aux Etats-Unis. Alors, une des options serait de réduire notre dépendance au commerce américain et de diversifier nos échanges commerciaux. Et l’Europe devrait être à la tête de cette liste-là. C’est un peu dommage qu’avec le CETA, on ait manqué cette occasion. 

“Quant aux mesures protectionnistes décidées par Monsieur Trump sur l’aluminium et l’acier, elles sont tout simplement irrationnelles, contre-productives, pour les Américains comme pour les Canadiens ; mais Monsieur Trump ne fait pas de la rationalité sa vertu principale.”

Quant aux mesures protectionnistes décidées par Monsieur Trump sur l’aluminium et l’acier, elles sont tout simplement irrationnelles, contre-productives, pour les Américains comme pour les Canadiens ; mais Monsieur Trump ne fait pas de la rationalité sa vertu principale. Parfois, il est convaincu de quelque chose, et veut punir les gens. Que ce soit les Mexicains avec le mur ou les Canadiens avec notre “système de gestion de l’offre”, qui protège les producteurs de lait, de volaille et d’oeufs [NDLR : ce système est basé sur des quotas de production, des prix garantis et des droits de douane protégeant le marché intérieur du Canada]. Monsieur Trump est très fâché contre ce système  qui garantit des revenus à nos fermiers, et qui limite l’accès des productions Américaines au Québec et au Canada. C’est un bon système, mais il a décidé de l’attaquer, alors que cela ne le prive pas de grand-chose, en fait.

LVSL – Est ce que le NPD, dans le cadre de ces accords commerciaux, serait prêt à défendre le principe de souveraineté alimentaire ?

Alexandre Boulerice – Oui, absolument. Par exemple, le système de gestion de l’offre qui existe au Canada est conçu dans cette logique-là. Le Canada a mis en place ce système dans le but d’occuper le territoire. C’est-à-dire qu’on ne veut pas d’une agriculture industrielle massive, qui serait concentrée dans quelques petits endroits. Toutes les régions du Québec doivent disposer de leur propre production locale et régionale. Qu’elle soit vendue principalement ici également, pour éviter qu’on soit dépendants. J’aime beaucoup les kiwis, mais c’est un petit peu absurde de faire venir des fruits de l’autre bout de la planète. 1) C’est très polluant, 2) on pourrait peut-être avoir des fruits en serre ici, qui seraient bons pour la santé, mais qui créent des emplois ici et qui feraient en sorte qu’il y aurait moins de transports autour de la planète.

LVSL – Vous parliez des élections, il y aura un certain nombre d’échéances électorales qui vont être étroitement imbriquées. Comment les appréhendez-vous ?

Alexandre Boulerice – Les USA ont leurs élections de mi-mandat cet automne. Les élections provinciales au Québec auront lieu également en automne. Le Parti Libéral du Québec risque de perdre les élections, au profit d’un parti de la droite conservatrice, la Coalition Avenir Québec. On vient d’avoir des élections en Ontario où les libéraux ont perdu. Le NPD a gagné 20 députés, mais c’est la droite conservatrice de Monsieur Ford qui l’a emporté. Au printemps prochain, la droite a également de bonnes chances de revenir au pouvoir en Alberta. Donc d’ici les élections fédérales de l’automne 2019 au Canada, il y a plusieurs élections intermédiaires au Canada et à l’étranger qui vont redéfinir la carte dans laquelle on va devoir évoluer et élaborer nos stratégies.

Entretien réalisé par Sebastien Polveche pour LVSL

Scandale de la privatisation des barrages : une retenue sur le bon sens

Le gouvernement a donc annoncé la privatisation des 150 plus grands barrages hydrauliques de France. Cela fait plus de 10 ans que la Commission européenne fait pression sur Paris pour en finir avec la gestion publique du secteur hydroélectrique, sans succès. Avec Macron, Bruxelles est rapidement satisfaite. Cette décision est pourtant lourde de conséquences, tant pour la bonne gestion du réseau électrique national et la facture du consommateur que pour la sécurité du territoire.


Le 12 mars, des salariés d’EDF hydroélectricité manifestaient devant le parlement européen à l’appel de l’intersyndicale CGT-CFDT-CGC-FO. Ils exigent l’abandon de l’ouverture à la concurrence de la gestion des barrages, annoncée officiellement le 31 janvier 2018 par l’entourage du Premier ministre dans une lettre à la Commission européenne.

Jusqu’à présent, une très grande majorité des 2 300 barrages métropolitains étaient de fait propriété publique. EDF gère directement 85% des 433 concessions du pays (1 ou plusieurs barrages relié.s à une même centrale électrique), le reste est gérée par Engie et des structures régionales, comme la Compagnie Nationale du Rhône ou encore la Société Hydro-Electrique du Midi. Les 150 plus grands barrages (plus de 20 mètres de haut) vont être privatisés d’ici 2022. C’est l’équivalent d’une puissance électrique de 4.3 GW, soit trois réacteurs nucléaires nouvelle-génération. L’ensemble des barrages (20 GW) devraient être privatisés d’ici 2050.  Les appels d’offres vont commencer à la fin de l’année 2018 et des firmes de 6 pays se sont déjà montrées intéressées.

Cela fait maintenant dix ans que la Commission européenne exige de la France qu’elle ouvre son secteur hydroélectrique selon les règles d’« une concurrence pure et parfaite ». Bruxelles en veut à EDF (géré à 83.5% par l’État) pour sa position trop «dominante» sur le marché global de l’électricité. Comme il était impossible d’exiger la privatisation des centrales nucléaires françaises (ces dernières relèvent des «activités d’importance vitale»), c’est l’hydraulique, deuxième source de production électrique du pays, qui a été ciblée par Margrethe Vestager (commissaire européenne à la concurrence). Or, au vu de la structure du réseau français, les ouvrages hydrauliques relèvent tout autant d’une « importance vitale »…

Les barrages sont un gage de résilience énergétique, et pas seulement…

Les centrales hydroélectriques sont une pièce maîtresse dans le réseau électrique national, car elles pallient très rapidement les pics de consommation. À ce titre, privatiser ces centrales, c’est défaire la cohérence d’une gestion centralisée. Mais c’est aussi une menace sur les factures, et sur la sûreté du territoire :

Les barrages fournissent 12.5% de l’électricité française (70% des énergies renouvelables). C’est l’électricité la moins chère : 20 à 30 €/MWh alors que le prix moyen, indexé sur le prix du nucléaire, oscille entre 33 et 46 €/MWh.  Un opérateur privé pourrait facilement maintenir les valves du barrage fermées et attendre que le pic de consommation fasse frôler la pénurie d’électricité pour faire monter les prix. Ainsi, le prix spot devrait globalement augmenter, et donc les factures d’électricité… Sur le plan juridique, rien ne l’empêcherait.

Les barrages protègent le réseau, car ils lissent la consommation: lorsqu’il y a un pic de consommation (par exemple le matin à 8h quand tout le monde prépare son petit-déjeuner) les vannes sont ouvertes et en quelques minutes l’énergie supplémentaire est fournie. Les barrages représentent ainsi 66 % de cette « capacité de pointe », le reste étant assuré par des centrales thermiques. Dans les périodes creuses, le surplus d’énergie nucléaire est utilisé pour remplir certains barrages (les centrales STEP qui représentent 10% des ouvrages) en repompant l’eau en aval.

Pour cette même raison, ils sont essentiels dans la transition énergétique, car ils peuvent compenser l’intermittence des énergies renouvelables: quand il y a du vent ou du soleil, on pompe de l’eau vers le barrage et on ouvre les vannes dans le cas inverse : c’est un moyen de stocker de l’énergie. Si l’installation de nouveaux barrages doit être évitée pour des questions écologiques (protection des rivières naturelles et des cycles de sédiments), de nouveaux types d’ouvrages hydrauliques sont à l’étude. À Madère par exemple où l’on se rapproche des 100% d’énergie renouvelable, des mini réseaux de barrages en circuit fermé remontent l’eau quand il y a surproduction éolienne et la turbine quand il n’y a pas de vents. Ce type d’installation représente d’ailleurs de nouveaux débouchés pour l’industrie, nous y reviendrons.

L’eau est essentielle pour refroidir les centrales nucléaires. Ces dernières sont majoritairement disposées sur des cours d’eau comprenant des barrages. Or combien un prestataire privé pourrait monnayer une eau essentielle pour éviter une catastrophe, a fortiori en été quand l’eau se fait rare ? À ceux qui pensent que le bon sens est plus fort que les intérêts pécuniers quand il s’agit d’éviter un tel drame, il est intéressant de se documenter sur les pratiques de l’Américain General Electric (GE) dans notre pays. Après avoir racheté Alstom énergie, GE organise en juin 2016 une grève de la maintenance dans les centrales nucléaires françaises pour obtenir d’EDF des conditions plus avantageuses (moins de responsabilités en cas d’incidents). Résultats : plusieurs centaines d’incidents et une direction d’EDF contrainte à plier .

“Les barrages fournissent 12.5% de l’électricité française (70% des énergies renouvelables). C’est l’électricité la moins chère : 20 à 30 €/MWh alors que le prix moyen, indexé sur le prix du nucléaire, oscille entre 33 et 46 €/MWh.  Un opérateur privé pourrait facilement maintenir les valves du barrage fermées et attendre que le pic de consommation fasse frôler la pénurie d’électricité pour faire monter les prix.”

Outre l’aspect énergétique, les barrages retiennent de l’eau pour les cultures, les activités de loisir ou pour abreuver les villes. Un opérateur privé va-t-il daigner relâcher de l’eau gratuitement en fonction des besoins de la vallée, comme c’était toujours le cas ? Si ce « service »  est payant, d’une part l’eau n’est définitivement plus un bien commun, et de l’autre, les prix de l’eau potable vont augmenter. Beaucoup d’agriculteurs seront tentés de prélever davantage dans les nappes phréatiques, dont la plupart sont déjà mal en point.

Avec le changement climatique, les sécheresses et les pluies violentes vont se multiplier en France. Les barrages servent à tamponner ces événements en faisant des réserves pouvant durer des mois. Il n’est pas sûr qu’une entreprise privée daigne prévoir des plans de remplissage à long terme dans le simple but de limiter les dégâts d’une sécheresse… Comment les convaincre d’adapter également les infrastructures au futur des besoins locaux ? Le témoignage de Jean-Louis Chauz, président du Conseil économique, social et environnemental d’Occitanie, illustre bien le ressentiment qui gagne peu à peu les collectivités : « En 2035, le déficit de stockage d’eau pour la nouvelle démographie de la région et les besoins de l’agriculture, des écosystèmes, de la préservation de la biodiversité, sera de 1 milliard de m3. EDF et Engie ont provisionné les budgets nécessaires pour engager les travaux pour le stockage d’eau. À l’heure où l’Occitanie est confrontée à un problème majeur de ressources en eau dans les années à venir, à même de compromettre son développement voire sa sécurité sanitaire, il est incompréhensible et dangereux de chercher à complexifier une organisation de la gestion de l’eau…».

Alors que plusieurs barrages présentent des risques, souvent en raison de leur grand âge, les investisseurs auront-ils envie de dépenser de l’argent pour les entretenir convenablement ? Pour rappel, EDF investit 400 millions d’euros par an dans le renforcement de ses ouvrages. « Les incertitudes quant au devenir des concessions hydrauliques pourraient obérer certains investissements», a d’ailleurs prévenu le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy. Pas question pour EDF de financer de nouveaux équipements si c’est pour s’en faire dépouiller dans la foulée par un concurrent, en somme. Cette réaction peut sembler normale, mais quid des travaux de rénovation entre temps, dont certains sont urgents ?

Socialiser les pertes, faire turbiner les profits

L’excédent brut des concessions est de 2,5 milliards € par an, dont la moitié revient aux collectivités territoriales. Ce qu’on appelle la « rente hydroélectrique », c’est-à-dire le bénéfice final, est donc d’au moins 1,25 milliard €. Globalement, le secteur est très excédentaire, y compris parce que la masse salariale n’est pas très importante : 21 000 pour tout le secteur hydraulique. Les coûts sont surtout liés à l’entretien des infrastructures. «Un GW d’hydraulique coûte 1 milliard d’euros à construire, mais tous nos barrages sont déjà amortis depuis longtemps, tout ce qui est turbiné aujourd’hui c’est du pur bénéfice, ce sera la poule aux œufs d’or pour le repreneur», explique Laurent Heredia, de la FNME-CGT.

L’Etat espère tirer 520 millions € de redevances par an (Cours des Comptes), soit presque 5 fois moins que l’excédent brut des concessions actuelles…  Cela semble donc une très mauvaise opération financière. Alors pourquoi une telle décision ?

La France est le seul pays d’Europe auquel on ait demandé la privatisation des barrages. En Allemagne par exemple, les concessions ont été déléguées aux Landers. En Norvège, qui tire 99% de son électricité des barrages (certes non membre de l’UE) les licences hydrauliques ne sont ouvertes qu’à des opérateurs publics. La Slovénie a quant à elle constitutionnalisé «un grand service public de l’eau».

« Un GW d’hydraulique coûte 1 milliard d’euros à construire, mais tous nos barrages sont déjà amortis depuis longtemps, tout ce qui est turbiné aujourd’hui c’est du pur bénéfice, ce sera la poule aux œufs d’or pour le repreneur », explique Laurent Heredia, de la FNME-CGT.

Avant Emmanuel Macron, les gouvernements avaient cherché à gagner du temps sur la question, malgré les pressions de Bruxelles. Les ministres socialistes Delphine Batho et Ségolène Royal avaient par exemple essayé de trouver un équilibre en créant des sociétés d’économie mixte pour opérer des petits barrages : le public y conserverait une minorité de blocage de 34 % pour cadrer les éventuels repreneurs privés.  En juin 2015, la Commission européenne juge que cela n’a rien à voir avec une concurrence « libre et non faussée » et met en demeure Paris « d’accélérer l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques».

La France «aurait pu classer son hydroélectricité comme service d’intérêt général échappant à la concurrence, mais n’en a rien fait», s’étonne Alexandre Grillat de la CFE-Energies. En effet, comme on l’a vu, contrôler un barrage peut avoir des répercussions jusque dans l’intégrité des centrales nucléaires…

Pour ne pas être accusé de « brader » les barrages à des étrangers, le gouvernement a laissé entendre qu’une priorité serait donnée aux repreneurs français. Total et Engie espèrent ainsi rafler la mise, mais des firmes allemandes, espagnoles, italiennes, norvégiennes, suisses, canadiennes et chinoises se sont déjà montrées intéressées. Un pas de plus sur le chemin de l’intrusion de puissances étrangères au cœur du réseau énergétique ?

Une filière sabotée qui témoigne de l’hypocrisie gouvernementale

Toute la filière hydroélectrique, de la manufacture à l’usage, est attaquée par le gouvernement Macron. Quand Macron était ministre de l’Économie (2014-2016), il s’est arrangé pour permettre la vente d’Alstom à General Electric. GE est désormais actionnaire à 50%  de la branche énergie d’Alstom qui construit différentes pièces essentielles pour les centrales nucléaires (les fameuses turbines Arabelle de Belfort), et les barrages…

Dans l’usine GE-hydro de Grenoble, un plan social de 345 postes (sur 800) laisse entrevoir un avenir incertain pour l’ensemble du site. Depuis plus d’un siècle, cette usine fabriquait et réparait sur mesure les turbines des grands barrages français avec un savoir-faire unique, mondialement reconnu. En plus d’avoir fourni 25% de la puissance hydraulique installée dans le monde (dont le barrage des Trois gorges en Chine) et avoir permis l’essor industriel des Alpes françaises, ses carnets de commandes sont pleins. Dès lors, comment comprendre cette décision ? En effet, pouvoir fournir des pièces de rechange est une activité stratégique essentielle… Et la transition écologique tant « priorisée » par Macron ne peut se faire sans l’hydraulique.

Impossible de trouver une raison rationnelle valable, y compris sur le plan strictement économique… Dès lors, ce sabotage organisé d’une activité stratégique (parmi tant d’autres) questionne sérieusement sur le bon sens du gouvernement. Le manque de transparence sur des changements aussi structurants pour la vie du pays est un déni de démocratie.

Du côté des salariés, la résistance s’organise. À l’appel de l’intersyndicale CGT-CFDT-CGC-FO, les hydrauliciens vont multiplier les arrêts de travail et déployer leurs banderoles sur les grands barrages d’EDF.

Photo de couverture : le barrage de Monteynard, Wikimedia Commons, ©David Monniaux

Vague de froid, changement climatique et impuissance publique

Alors que les photos de Paris sous la neige envahissent les réseaux sociaux et que les polémiques s’accumulent autour des « naufragés de la route », la question de la capacité de l’État à gérer les épisodes climatiques extrêmes se pose concrètement. S’il ne faut pas confondre météo et climat, le changement climatique est bien responsable de l’intensification des vagues de froid que nous traversons en ce moment.


 

Précis de climatologie facile : le Jet-stream devient fou

Le changement climatique est déjà à l’origine de violentes perturbations météorologiques et leur fréquence risque fortement de s’intensifier. Dès lors, connaître les ressorts climatiques qui les sous-tendent peut se révéler particulièrement utile pour comprendre que l’adaptation n’est pas une option parmi d’autres. Mais alors, comment expliquer de telles vagues de froid ?

La température n’augmente pas de manière uniforme sur Terre avec le réchauffement climatique. Les pôles, par exemple, se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la planète. En effet, la neige blanche possède un indice « albédo » fort, de 0,9 sur 1, c’est-à-dire qu’elle réfléchit 90% de l’énergie qu’elle reçoit du soleil. Avec la fonte des glaces, elle est de plus en plus remplacée par de grandes étendues de mer sombre, d’un indice de 0,05, qui absorbent 95% de l’énergie solaire, ce qui provoque une accélération de ce phénomène.

L’Arctique est particulièrement victime de ce cercle vicieux. Les températures y ont grimpé de plus de 2°C en moyenne depuis le XIXème siècle et la surface recouverte par la glace en été y a diminué de 50%. La différence de température entre le Pôle Nord et l’équateur a tendance à diminuer, ce qui perturbe le cours normal des vents dominants. L’air chaud est plus léger que l’air froid. Il a donc tendance à monter et ce faisant, il provoque un phénomène d’aspiration par le bas. La différence de température entre l’équateur et les pôles actionne donc des vents considérables : les alizés.

Au niveau du cercle arctique, l’air froid entre en contact avec les alizés chauds et la rencontre crée un ascenseur thermique : l’air chaud monte et l’air froid descend selon un axe vertical. En tournant, la Terre transforme ce mouvement vertical en mouvement horizontal, c’est la « force de Coriolis ». C’est ainsi que naît le Jet-stream, vent froid puissant se déplaçant d’ouest en est.

Avec le changement climatique, ce vent est moins « maintenu », puisqu’il y a moins de tension thermique. Il se déplace donc de manière plus sinueuse, ce qui permet d’une part à des vagues de froid polaire de s’enfoncer vers le sud, et d’autre part à des vagues de chaleur de pénétrer plus au nord.

Des pouvoirs publics incapables de s’adapter ?

En décembre dernier, l’Amérique du Nord a connu une vague de froid particulièrement extrême (-40°C à New-York, de la neige en Floride), tandis que début février, le Maghreb s’est retrouvé sous la neige, avec pour conséquence une paralysie des zones rurales. Ces derniers jours, c’est la Ville Lumière qui s’est voilée de blanc, avec les conséquences que l’on connait : des bouchons en Ile-de-France (jusqu’à 739 kilomètres km le 6 février), des perturbations dans les transports publics (arrêt des bus RATP, TGV ralentis pour « éviter les projections de glace ») et des entreprises en difficulté. Vendredi 9 février, elles étaient plus d’une centaine à être sérieusement empêchées dans leur fonctionnement, a fortiori celles qui dépendent des transports routiers et des livraisons.

La question de savoir si cela aurait pu se passer autrement est légitime. Le gouvernement semble nier une réaction insuffisante, ou trop tardive, de sa part. La ministre des transports Elisabeth Borne accuse la fatalité et déclare que “lorsque de telles quantités de neige tombent, le sel n’agit plus et la neige tient au sol. Il devient alors extrêmement compliqué pour les engins d’intervenir car les routes sont pleines d’automobilistes”. De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb évoque, avec sa franchise caractéristique, une réalité plus « crue », sans mauvais jeu de mots : “Il faudrait acheter beaucoup de matériel, qu’on utilise une fois tous les trois ans. Lorsque vous êtes au Canada, il tombe 60 centimètres et tout le monde roule parce qu’ils ont investi des milliards et des milliards”.

Certes, il y a toujours pire ailleurs. Début janvier, avec 2cm de neige seulement – contre 18 à Paris -, une pagaille a envahi la métropole madrilène, entraînant des annulations de vols, des fermetures d’écoles et la prise d’assaut des stations-service. L’armée a même dû secourir des milliers d’automobilistes coincés toute la nuit dans leurs véhicules sur l’autoroute reliant Madrid et Ségovie.

Les villes qui ne sont pas habituées la neige sont donc confrontées à un dilemme : s’équiper coûte cher et la probabilité d’occurrence de chutes importantes est jugée faible. A l’heure où les services publics sont diminués sous prétexte d’économies budgétaires, de tels investissements ne semblent pas à l’ordre du jour. Comme souvent, les pouvoirs publics préfèrent en appeler à la responsabilité individuelle – beaucoup moins coûteuse -, comme en témoignent les propos de l’ancien ministre des transports Dominique Bussereau : « Peut-être que nous [les automobilistes] n’avons pas forcément les bons réflexes. Nous sommes dans une région, la région parisienne, où nous ne sommes pas habitués à ces conditions comme nos amis du Jura, des Vosges ou d’Auvergne, qui savent rouler sur la neige”. Pourtant, les dégâts coûtent souvent plus cher que la prévention, surtout en vie humaine.

Inondations, crues et même canicules… ce que laisse envisager le bouleversement du Jet-stream.

Le Jet-stream apporte beaucoup d’humidité car la différence de température entre les vents qui le font naître provoque des phénomènes de condensation. En hiver donc, il apporte souvent de la neige. Lorsque le redoux survient, cette dernière fond et gonfle les cours d’eau. Avec l’augmentation de la fréquence des vagues de froids et de redoux, la quantité globale d’eau de fonte peut s’avérer bien supérieure aux moyennes annuelles. Si les sols sont en surcapacité d’absorption, alors les fleuves finissent par déborder. L’artificialisation des terres et le tassement des sols agricoles n’aident évidemment pas à prévenir ces phénomènes. Un sol forestier peut absorber 400 mm d’eau par heure alors qu’un sol agricole labouré n’en absorbe qu’1 ou 2 mm en moyenne.

Selon l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU), 100 000 établissements et 745 000 salariés seraient touchés en cas de crue centennale en Île-de-France, c’est-à-dire une hauteur de 8,62 mètres comme en 1910 (le 29 janvier 2018, nous étions rendus à 5.85 mètres). Mais avec l’érosion des sols, bien supérieure qu’au début du siècle en raison de l’évolution des pratiques agricoles, la densité de l’eau est très importante (car chargée en terre), ce qui augmente son pouvoir abrasif et destructeur. Ce phénomène ne diminuera pas sans un changement radical des pratiques agricoles et un boisement des bassins versants.

En été, le Jet-stream remonte vers le nord. Mais à cause du changement climatique, il peut s’enrailler et s’arrêter. En effet, si les températures sont trop hautes dans l’Arctique, il y a moins de conflit avec les vents chauds du sud et donc moins d’énergie disponible. Lorsque le Jet-stream ralentit fortement, l’Europe de l’Ouest n’est plus « ventilée » et les températures augmentent fortement : c’est la canicule. Globalement, entre 2002 et 2012, le nombre de canicules importantes enregistrées sur la planète a été trois fois supérieur à celui relevé lors des périodes 1980-1990 et 1991-2001, et le phénomène s’accélère. D’après le GIEC, la France connaîtra en 2050 un épisode caniculaire équivalent à celui de 2003 en moyenne 2 années sur 3.

Personne ne sera épargné par l’intensification des épisodes climatiques extrêmes. Il n’y a pas de tergiversation possible sur ce fait d’un point de vue scientifique. Dès lors, investir dans la résilience est une adaptation nécessaire, qui entre d’ailleurs dans le domaine des responsabilités régaliennes de l’État. Or, la démission de l’État diminue de fait sa capacité à planifier une stratégie d’adaptation, au dépend de la sûreté des citoyens.

 

Crédit photo : Matis Brasca

Brésil : le triste anniversaire de la catastrophe de Samarco

©Senado Federal. Rogério Alves/TV Senado. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.

Le 5 novembre 2015, la rupture d’un barrage de rétention de déchets miniers appartenant à la société Samarco provoquait une coulée de boue toxique et dévastait le village de Bento Rodrigues. Deux ans après, le feuilleton judiciaire de cette catastrophe environnementale historique n’en finit plus, et les effets de la pollution continuent de faire de nouvelles victimes collatérales.

C’est un funeste anniversaire qui a réuni les habitants des Etats brésiliens du Minas Gerais et d’Espirito Santo, le 5 novembre dernier. Couverts du noir du deuil, plusieurs milliers de Brésiliens sont descendus dans les rues de toute la région, située à une dizaine d’heures de voiture au nord de Rio de Janeiro. Deux années après les gigantesques coulées de boues toxiques qui ont ravagé la région, les manifestants dénoncent l’absence de distribution des compensations pourtant promises, et la lenteur de la justice à condamner clairement les responsables. En cause, un puissant lobby minier qui cache à peine sa proximité avec les milieux politiques locaux et nationaux.

La plus grande catastrophe écologique de l’histoire brésilienne

Crédits : Romerito Pontes. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic

Le 5 novembre 2015, un barrage de rétention de déchets appartenant à la compagnie minière Samarco (copropriété du groupe brésilien Vale, premier producteur mondial de minerai de fer, et de l’Australien BHP Billiton) rompait, déversant une coulée de cinquante millions de mètres cubes de boue toxique (contenant de très hautes doses de fer, mercure, manganèse et arsenic) sur Bento Rodrigues, 600 habitants. Le village était totalement rayé de la carte par ce qui reste la plus grosse catastrophe écologique de l’histoire du Brésil. Dix-neuf personnes y trouvent la mort (quinze employés de la mine et quatre habitants de Bento Rodrigues).

Un écosystème dévasté, des populations contaminées

La coulée a également contaminé le Rio Doce, l’un des plus importants fleuves d’Amérique du Sud. La catastrophe y a provoqué un véritable écocide sur la faune et la flore aquatiques. Le fleuve est dorénavant un bras mort, tous les poissons ayant été intoxiqués, et les scientifiques estiment qu’il faudra au minimum un demi-siècle pour un retour à la normale. À cela s’ajoute un scandale sanitaire. Les autorités et les sociétés exploitantes ont peu communiqué sur les risques collatéraux, et des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup d’Amérindiens, continuent de consommer l’eau du fleuve, où des taux dangereusement élevés de fer ont pourtant été relevés. Ceux qui ont décidé de ne plus toucher à l’eau contaminée ont dû quitter la région ou déménager, car sa toxicité pénètre les élevages et l’agriculture.

Un drame à ce jour encore impuni

Crédits : Felipe Werneck/Ibama. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic

L’enquête avait rapidement montrée que le drame n’était pas un simple accident. Des témoignages concordants ont pointé du doigt la gestion des bassins de rétention, dans lesquels sont stockés les résidus de l’extraction de fer, et qui avaient plus que dépassé la limite de leurs capacités. Au-delà, Samarco s’est vu accusé de négligences, notamment pour son absence de contrôle technique afin de vérifier la solidité du barrage.

Le volet judiciaire de l’affaire a connu un nouveau rebondissement cet été, quand un juge a suspendu les poursuites contre vingt-deux personnes pour vice de procédure, entraînant une quasi-annulation de l’instruction à leur encontre. Ainsi, à l’heure actuelle, aucune personne n’a été jugée responsable pénalement. Certes, l’Etat du Minas Gerais et d’Espirito Santo ont imposé une soixantaine d’amendes de dédommagement à BHP et Vale, pour un montant total de 522 millions de reais. Mais selon Reporterre, aujourd’hui, seulement 1 % de cette somme a été effectivement versée par les deux compagnies minières.

Les entreprises minières ont la main  

L’affaire Samarco atteste de la puissance des lobbys miniers au Brésil. Le journal Folha de Sao Paulo a notamment montré en 2015 que les parlementaires chargés de durcir le code minier pour prévenir les accidents de ce type avaient pour principaux donateurs de campagne les gros bonnets du secteur. Forts de leur influence, Vale et BHP ont ainsi obtenu de pouvoir fixer eux-mêmes les critères qui définissent qui est une victime collatérale de la catastrophe et qui ne l’est pas, ce qui explique le grand nombre d’habitants qui n’auront le droit à aucune compensation.

Pour donner le change, les deux propriétaires de Samarco financent la fondation publique Renova, chargée de décontaminer la région et d’y favoriser le retour de la faune et de la flore. Sauf que Renova est également vivement critiquée, car seules des personnes liées à Vale ou BHP sont représentées dans les processus de décision. La fondation Renova s’est par exemple engagée à reconstruire à l’identique Bento Rodrigues d’ici 2019, à l’emplacement exact de l’ancien village. Comme s’il ne s’était jamais rien passé, et qu’aucune leçon n’avait été tirée.

Pour aller plus loin sur les problématiques environnementales au Brésil : “Temer fait exploser la déforestation en Amazonie”

Crédits Une :©Senado Federal. Rogério Alves/TV Senado. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.

« Pour André Gorz, les optiques marxiste et décroissante sont convergentes » – Entretien avec Willy Gianinazzi

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Légende : André Gorz, philosophe de l’émancipation entre marxisme et décroissance. ©Youtube. André Gorz – Vers la société libérée.

Il y a dix ans, André Gorz se donnait la mort avec sa femme Dorine, à l’âge de 84 ans. Ecologiste des premières heures, marxiste dissident et précurseur de la Décroissance, ce philosophe d’origine autrichienne nous lègue une pensée qui résonne comme une ôde à l’émancipation et reste d’une pertinence rare. L’anniversaire de sa disparition marque l’occasion de mettre en avant la richesse et l’actualité de l’approche gorzienne, dans un entretien avec Willy Gianinazzi, auteur de la biographie André Gorz, une vie (2016, éditions La Découverte).

Vous avez travaillé durant des années à la construction de la première biographie d’André Gorz, Une vie, publiée en 2016 aux éditions La Découverte. Quels épisodes de la vie de Gorz vous semblent les plus marquants, caractéristiques et déterminants pour la pensée politique qu’il déploie au fil du temps ? Comment sa pensée a-t-elle évolué ?

La formation intellectuelle de Gorz est marquée par quatre étapes. Tout d’abord, la rencontre avec Sartre en 1946 qui est déterminante : la philosophie existentialiste restera pour toute sa vie le substrat philosophique de sa réflexion. Puis, il y a le marxisme, culturellement hégémonique à gauche dans les années cinquante et soixante, avec lequel il prendra ses libertés en 1980 avec son ouvrage iconoclaste Adieux au prolétariat. Enfin, en parallèle, il y a son adhésion à l’écologie politique qui l’amènera petit à petit à une critique du travail visant l’émancipation en dehors de celui-ci.

À partir de l’existentialisme sartrien, Gorz développe une philosophie du sujet. Comment aborde-t-il donc les effets du capitalisme sur les individus, et de manière plus générale sur la vie en société ?

Pour Gorz, le sujet est toujours en quête de son autonomie et de sa liberté, en se battant contre les mécanismes d’intégration et de soumission que le capitalisme développe. À rebours de la tradition marxiste, il souligne que la division technique du travail (comme plus tard la sous-traitance, la filialisation et la mondialisation) accroît l’impuissance du sujet à comprendre et à maîtriser ce qu’il est contraint de faire dans le cadre de son travail, et que la seule socialisation des moyens de production ne peut plus apporter de solutions à cette situation.

Mais il a toujours été convaincu que le sujet n’est jamais réduit à sa socialisation, qu’il garde un « moi » intime qui lui permet d’exploiter des marges de rébellion. Les évènements de mai 68, qu’il interprète comme une contestation du travail, lui donnent raison.

La pensée de Gorz a beaucoup irrigué la philosophie du travail. Comment l’évolution de sa pensée, notamment par son éloignement progressif de l’orientation marxiste dominante, marque-t-elle ses positions, et constitue les spécificités de sa réflexion sur le sujet ?

En 1980, il publie ses Adieux au prolétariat, qui choquent toute la gauche. Il y explique que le marxisme, en tant que philosophie de l’histoire qui assigne au Prolétariat un rôle historique de transformation sociale, doit être abandonné. Pour lui, la classe ouvrière ne peut plus opérer car elle a été décimée par la désindustrialisation, le chômage, mais aussi par l’accroissement des emplois de services qui l’atomise. Pour autant, il précise que l’analyse de Marx du capitalisme et du machinisme reste visionnaire, c’est-à-dire que la logique du profit pousse à utiliser toujours plus de machines, à automatiser au maximum la production pour réduire le nombre des ouvriers et ainsi réduire les coûts. C’est ce point qui est au centre d’Adieux au prolétariat : l’évolution du capitalisme fait qu’on ne peut plus compter sur la classe ouvrière comme facteur d’émancipation. Au contraire, l’alternative peut jaillir des individus qui en ont assez des jobs aliénants et précarisés, voire qui en sont entièrement exclus, comme les chômeurs. « Il ne s’agit donc plus, comme il l’écrit, de conquérir du pouvoir comme travailleur, mais de conquérir le pouvoir de ne plus fonctionner comme travailleur. »

Il s’inquiète cependant des méthodes modernes de management développées depuis une trentaine d’années. Tout est fait pour mobiliser l’esprit créatif, innovant, les savoir-faire appris au gré de la vie, les capacités cognitives et de réaction aux problèmes… L’ensemble de la personne doit être investie dans le travail à tout moment du jour comme de la nuit. Un exemple frappant est sans doute celui du cadre à qui on demande d’être disponible pour répondre à ses mails à 23 heures. Ainsi, le capitalisme dans son « nouvel esprit », pour reprendre l’expression de Boltanski et Chiapello, demande que la personne se produise elle-même en s’impliquant totalement, en se formant perpétuellement, en faisant disparaître la limite entre vie et travail. C’est extrêmement aliénant et ça bouffe la vie des gens.

Dans les années 70, on assiste à la création de mouvements d’écologie politique, auxquels les idées de Gorz se rattachent. Comment lie-t-il sa philosophie du travail à ses idées écologistes ?

Gorz reste toute sa vie marxiste et décroissant, il considère que les deux types d’analyse sont convergents. D’un côté, il estime que le capitalisme court à sa perte, que l’automatisation de la production ouvre irrémédiablement la voie à une baisse du temps de travail et des marges de profit, selon la théorie marxiste. D’un autre côté, l’écologie politique intègre une attention nécessaire à la qualité de vie tout en récusant les obsessions de la croissance et du productivisme.

Il suggère de penser l’émancipation au-delà du cadre restreint du travail. C’est une façon de vivre dans son ensemble qu’il faut envisager, par exemple dans le rapport aux choses et à la nature. À la logique économique, que n’entament d’ailleurs pas les politiques de développement durable, il oppose la rationalité écologique : « Satisfaire les besoins matériels au mieux avec une quantité aussi faible que possible de biens, à valeur d’usage et à durabilité élevées, avec un minimum de travail, de capital et de ressources naturelles. » Il s’agit de limiter au maximum l’engagement des facteurs de production pour bâtir une « société du temps libéré », et non plus pour maximiser le profit. De plus, il comprend la défense de l’environnement comme la défense du milieu de vie. Celui-ci comprend le cadre naturel, mais aussi le « monde vécu » (qu’il appelle aussi « la culture du quotidien »), c’est-à-dire tout ce qui a trait au quotidien de la vie en société. C’est par exemple l’urbanisme, les transports, l’alimentation, mais aussi le rythme de vie, les liens sociaux, les savoir-faire vernaculaires et la médication. Il est donc d’emblée un écologiste à la trempe sociale et radicale.

Gorz a été une référence importante pour la naissance de l’écologie politique en France dans les années soixante-dix. Je pense notamment à son ouvrage Écologie et liberté qui était une sorte de manifeste, mais aussi à l’influence qu’il a eue sur Brice Lalonde, les Amis de la Terre, les militants anti-nucléaires, et enfin au journal La Gueule ouverte qui lui ouvrit ses colonnes et recensa régulièrement ses écrits. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les idées de Gorz étaient amplement discutées chez Les Verts. Il participa donc directement à la naissance de l’écologie politique en France. 

Par son approche philosophique qui l’éloigne du marxisme traditionnel, André Gorz ne pense pas le prolétariat ni le travail comme des fronts uniques pour opérer un renversement social. Alors comment opposer un rapport de force social sans investir le front du travail ? Les syndicats ont-ils encore un rôle à jouer ?

Gorz n’envisage pas de stratégie politique particulière. Il essaie plutôt de déceler les mouvements dans la société qui vont dans le sens d’une plus grande autonomie des individus et qui ne sont pas forcément présents à l’intérieur du monde du travail.

Il a toujours espéré que les gens s’activent et suscitent des dynamiques que les politiques devraient, de fait, prendre en compte. Il est très favorable au mouvement altermondialiste par exemple. Il imagine l’essor de coopératives au niveau local qui profiteraient des nouvelles technologies, en lesquelles il croit.

Il pense donc que les syndicats gardent un rôle dans la lutte sociale, mais qu’ils doivent élargir leurs horizons. Ils ne peuvent pas rester axés sur les salariés qui ont un travail mais doivent aussi s’occuper des chômeurs et des précaires, par la création de sections qui leurs sont dédiées. C’est d’ailleurs ce qui a lieu dans les années 1990. Pour lui, la soustraction des travailleurs au salariat et donc à la logique croissanciste du capitalisme est une condition indispensable pour concevoir un mode de vie et de production décroissants.

Vous dites que Gorz fonde un optimisme important dans le développement des nouvelles technologies. Comment propose-t-il de contrôler ces outils ? Et cette technophilie n’est-elle pas contraire à une pensée décroissante technosceptique, intrinsèquement méfiante des dérives mercantiles et sécuritaires, et consciente de l’impact écologique de l’outil informatique ?

En fait, Gorz a été critique vis-à-vis de la technique dès la fin des années soixante, par exemple à l’égard de l’automobile qui favorise l’éloignement du lieu de travail du lieu de vie, et aliène les individus. Cependant, il n’est pas radicalement technophobe. Il pense que la technique est toujours au service de l’économie, mais que les individus peuvent se la réapproprier en lui conférant un usage émancipateur non prévu initialement.

Il est enthousiaste des possibilités qu’offre Internet. Il y voit une possibilité de mise en réseau, qui permettrait de favoriser l’économie de la gratuité et la coopération mutuelle hors marché. Par les logiciels libres ou les imprimantes 3D, il pense que des coopératives locales de réparation ou de création d’objets peuvent émerger. Il est aussi favorable à la technologie qui permet la captation de l’énergie solaire, et il ne voit pas tous les problèmes que peut poser la consommation de matière, comme la pollution induite par ce qu’on appelle l’énergie propre.

Il était pourtant armé théoriquement pour être critique face aux dérives de ces technologies. Sauf que son combat pour « la société du temps libéré » lui fait désirer l’automatisation, qui permet de « travailler moins pour vivre mieux ». Il essaye donc de profiter de ce que la technologie peut apporter. C’est le point essentiel de divergence avec certains décroissants qui se posent cette question : si on veut décroître, désindustrialiser et limiter l’usage des énergies, fussent-elles plus propres, ne faudra-t-il pas compter davantage sur le travail manuel ?

L’approche gorzienne, également nourrie par son statut de journaliste, a souvent épousé l’actualité, lui faisant livrer des analyses de circonstances ancrées dans le réel. Quelles politiques propose-t-il concrètement, pour faire advenir sa « société du temps libéré » ?

Il propose la réduction massive du temps de travail, couplée à un revenu d’existence. Pour lui, ces outils sont des démultiplicateurs d’activités. C’est pourquoi, inséparable des deux premières mesures, il faut aussi stimuler tout ce qui concourt à amplifier les initiatives de coopération non marchande, sans quoi le revenu inconditionnel d’existence perd à la fois son sens et son pouvoir d’impulsion.

Gorz réfléchit précocement à des formes de revenus de base. En 1983, sa première idée est de donner un revenu à vie aux gens en échange d’un nombre d’heures travaillées sur la vie, à répartir comme les individus le désirent. Il n’échappe pas au constat que certains travaux demeureront hétéronomes, pénibles, mais nécessaires. Il concevait la multi-activité des gens qui auraient réparti librement leur temps entre le travail hétéronome nécessaire et les activités autonomes.

En 1996, il se saisit à nouveau de ce débat et adhère à l’idée du revenu inconditionnel : avec le capitalisme cognitif et la porosité grandissante entre travail et vie privée, les gens sont sollicités en permanence et il devient très difficile et inadéquat de mesurer les temps de travail. Ce revenu d’existence doit être suffisant pour pouvoir vivre dignement, et pour que l’on puisse arbitrer librement entre travail et libre activité.

À la fin de sa vie, sa pensée évolue et Gorz pense que le revenu d’existence n’a de sens que dans une société qui est déjà post-capitaliste. Il ne peut être financé par une redistribution de la richesse par l’impôt, parce que la monnaie qui domine à l’époque du capitalisme financier est fondée sur des actifs fictifs. Ce revenu d’existence pourrait être distribué sous forme de monnaie locale pour échanger ce dont on a besoin à l’échelle d’un territoire relocalisé. Il ne voyait donc plus le revenu d’existence comme un moyen transitoire, mais comme un aboutissement.

Pour de nombreux partisans de la Décroissance, l’héritage de Gorz est fondamental. Influencé par les travaux du mathématicien et économiste Nicholas Georgescu-Roegen sur les limites physiques de l’économie croissanciste, comment aborde-t-il ce mouvement, et la diversité des approches qui le nourrissent ?

Gorz est décroissant parce qu’il estime que le capitalisme provoque une destruction environnementale, et plus globalement, civilisationnelle. En 1972, il est le premier à utiliser le mot « décroissance », lors d’un débat. Il n’en revendique pas la paternité par la suite, bien qu’il l’utilise quelques fois pendant sa vie.

Il partage l’analyse de Nicholas Georgescu-Roegen, économiste considéré comme penseur clé dans le mouvement de la décroissance, sur les limites physiques de la croissance économique. Le début des années 1970 marque un moment assez inouï de prise de conscience vis-à-vis des dangers liés à la pollution et l’épuisement des ressources. Le rapport Meadows sur les limites de la croissance, commandé par le Club de Rome, influence beaucoup André Gorz comme tous les écologistes d’alors. Cette étude est pilotée par des dirigeants de l’automobile et des financiers, sérieusement inquiets de l’impact de leurs activités. Même le président de la Commission européenne de l’époque, Sicco Mansholt, prônait la croissance zéro ! Il faisait le tour des capitales européennes pour expliquer que ce système économique n’était que folie.

En plus de ce constat des limites physiques du modèle de croissance, Gorz construit sa perspective avec une réflexion profonde sur l’émancipation, fil rouge de sa pensée. L’autolimitation qu’il défend signifie la soustraction à la pression consumériste, avec pour but le rétablissement de l’arbitrage individuel qui prévalait avant le capitalisme. Dans quelle mesure dois-je travailler pour satisfaire mes besoins véritables ? Et vice versa, dans quelle mesure dois-je limiter mes besoins pour éviter de trop travailler ? C’est un point de vue proprement épicurien. Il met l’accent sur la richesse qualitative que représentent les relations familiales, amoureuses, sociales, le temps libre, la liberté de créer sans fins utilitaires, plutôt que la richesse quantitative et matérielle.

Pourtant, la création de la mouvance de la Décroissance dans les années 2000 se fait sans référence à sa pensée. Gorz rédige néanmoins un article en 2006 dans la revue Entropia, et éclaircit à cette occasion ses positions vis-à-vis du mouvement. Pour lui, il ne peut y avoir de décroissance sans fin du capitalisme, sinon il ne s’agit que de chômage, dépression et austérité. Il demande ouvertement aux décroissants de développer leur projet dans un cadre post-capitaliste, puisque l’exigence de croissance est au cœur même du productivisme capitaliste. La mise en valeur de l’héritage de la pensée de Gorz dans les discours décroissants actuels montre que cette exigence a été intégrée aux propositions du mouvement.

Gianinazzi Willy,  André Gorz. Une vie, La Découverte, 2016.

 

Entretien réalisé par Margot Besson, Jérôme Cardinal et Valentine Porche

Crédits photos : Légende : André Gorz, philosophe de l’émancipation entre marxisme et décroissance. ©Youtube.
André Gorz – Vers la société libérée.

Plan Climat : Ce que Hulot fait, Macron le défait

©patrick janicek; Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

#MakeFranceGreatAgain. Emmanuel Macron a lancé un vaste plan de communication suite à la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris. Habile façon de verdir son image. Mais à l’image de l’invitation incohérente de Trump au 14 juillet, après l’avoir raillé copieusement, pour l’environnement c’est “faites ce que je dis, pas ce je fais”. Une semaine seulement après sa capitulation face à l’Europe sur les perturbateurs endocriniens, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire vient de rendre public un Plan Climat – Horizon 2040. Ce Plan Climat « n’est pas une fin en soi », mais une « colonne vertébrale à laquelle on pourra ajouter des vertèbres ». Et il va falloir en ajouter plus d’une ! En clair, rien ne va (ou presque).

De belles intentions pour le climat

Ce plan climat annonce un cap pour la France de neutralité carbone à l’horizon 2050 et d’une action européenne pour engager d’autres pays autour de cet objectif. Viser la neutralité carbone est plus ambitieux que la volonté de simplement diviser par quatre les émissions de Gaz à Effet de Serre. L’objectif annoncé est de « trouver un équilibre entre les émissions de GES de l’homme et la capacité des écosystèmes à les absorber ». Vaste programme, mais qui ne précise rien de sa mise en œuvre concrète. D’autant qu’il ne s’agira pas, sur ce principe, de remettre en question nos modes de consommation et de production, mais bien d’investir encore plus dans le système libéral de “compensation carbone”.

Dans cette droite ligne s’inscrit l’idée d’aligner le prix du diesel sur celui de l’essence. Nicolas Hulot vise à terme l’interdiction de la vente des voitures diesel et essence d’ici à 2040. Et entre temps on continue à polluer, c’est bien cela ? Interdire leur « vente » n’empêchera pas l’utilisation des 38 millions de véhicules qui fonctionnent pour une durée indéterminée qui ira bien au-delà de 2040. Et quelle quantité astronomique de métaux et terres rares pour renouveler le parc automobile faudra-t-il ? La solution n’est elle pas “moins de voitures” tout simplement ?

Les effets du changement climatique sont bien réels et l’urgence est vitale. Si l’on souhaite réellement freiner la crise écologique, c’est à l’ère exigeante du post-pétrole et du post-nucléaire qu’il faut passer de manière urgente et radicale. Le Plan Climat détaillé par N. Hulot ne fait pourtant aucunement mention concrète de la fermeture des centrales nucléaires. Il a a posteriori précisé ce lundi 10 juillet qu’il allait étudier la situation de 17 réacteurs. Est-ce que Monsieur Le Ministre a été mis au courant ? Et d’ajouter qu’il s’agit de “planifier” la transition, à juste titre, quand la France Insoumise faisait se dresser les barricades anti-soviétiques par ce terme il y a quelques mois à peine.

Le plan de développement des énergies renouvelables sera quant à lui présenté d’ici un an. Sont annoncées la fermeture des centrales à charbon, et  la sortie des hydrocarbures promises par Emmanuel Macron. Un projet de loi sera présenté à l’automne pour interdire les nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures, y compris les gaz et pétrole de schiste, ainsi que le non-renouvellement des concessions d’exploitation existantes. Les gisements d’énergies fossiles exploités aujourd’hui étant amenés à se tarir, « mécaniquement, en 2040, il en sera terminé » de la production d’hydrocarbures en France. Nous irons donc chercher les hydrocarbures ailleurs. Révolution écologique au-revoir.

Ce que l’on peut appeler simple feuille de route, prévoit également de travailler sur la thématique logement. Le gouvernement projette la rénovation d’ici à 2025 des 8 millions de passoires énergétiques. Le ministre a confirmé un financement de 4 milliards d’euros pour ce chantier. Les audits énergétiques obligatoires et payants dans le cadre du programme « Habiter mieux » pour les ménages modestes seront rendus gratuits.  Bon point décerné pour la décision de mise en place d’un « contrat de transition énergétique » pour les salariés des secteurs fragilisés par les politiques de la transition écologique. Mais reste à surveiller la qualité de cet accompagnement… Encore une fois, il s’agit, plutôt que de faire de belles promesses, de prendre le mal à la racine. Pas la peine de prétendre lutter contre la précarité énergétique et les effets de la transition énergétique sur l’emploi, si c’est pour démanteler en silence le code du travail.

Qui cachent une série de renoncements et d’échecs

Ce plan climat est un peu l’arbre qui cache la forêt… des renoncements. Une conférence de presse en grande pompe pourrait nous donner l’impression que ce gouvernement est écologiste. Mais il faut bien se garder de penser que ces belles promesses seront toutes réalisées. L’interdiction des nouvelles exploitations d’hydrocarbures et du non-renouvellement des permis en vigueur serait un grand pas. Mais cela signifie qu’il n’est pas question de remettre en cause les permis en cause. Ne nous fâchons pas avec les entreprises ! Pas touche donc aux 54 permis de recherche actifs et aux 130 demandes de permis de recherche (chiffres au 1er juillet 2015). Et depuis cette date, le Ministère de l’Intérieur ne communique d’ailleurs plus les chiffres…. Les intentions de réforme du code minier ont jusque ici échoué. Ainsi, pour l’heure, il est impossible de refuser des demandes de titres miniers en cas de conséquence grave pour l’environnement. Pire, l’actuel Président de la République a répété durant la campagne son intention de développer des mines responsables grâce à la refonte de ce code minier. Quoi de plus mensonger et absurde que des “mines responsables” ? De manière générale, la charte de l’environnement met sur le même plan l’intérêt environnemental et l’intérêt économique (notamment la question de l’emploi). On vous laisser deviner qui l’emporte le plus souvent.

Autre limite de l’action ministérielle, et qui a de quoi nous faire redescendre sur terre : les perturbateurs endocriniens.  Il y a quelques jours, le gouvernement avait accepté la définition au rabais des perturbateurs endocriniens imposée par la Commission Européenne compromise avec les lobbies industriels. Jusque-là, la France avait résisté en votant contre les 5 précédentes propositions de la Commission. Il a suffit d’un changement de pouvoir pour que les lobbies de l’industrie chimique aient raison des illusions naïves de Nicolas Hulot. Et de l’intérêt hypocrite du gouvernement actuel pour ces thématiques. A partir de maintenant, il faudrait redoubler d’effort pour prouver le niveau de risque de ces perturbateurs endocriniens, les exigences ayant été rehaussées. Ce qui, inévitablement, retardera, voir empêchera l’interdiction de nombreux produits contenant des perturbateurs endocriniens.

Énième recul malgré une promesse de campagne, la taxe sur les transactions financières européennes, promise par Emmanuel Macron. Le plan climat énoncé par N. Hulot fait l’impasse sur la solidarité climatique alors qu’elle est la clé de voûte de la lutte contre le réchauffement climatique. Selon la plateforme MakeFranceGreenAgain, une telle taxe pourrait rapporter 22 milliards d’euros chaque année. Ces financements considérables peuvent aider les pays les plus vulnérables à mener la bataille contre les changements climatiques. C’est donc un aspect incontournable pour maintenir la dynamique de l’accord de Paris à l’échelle internationale. Pourtant, lors du Conseil européen qui s’est tenu les 22 et 23 juin, M. Macron a opéré un nouveau revirement en remettant en question sa volonté de conclure cette taxe cet été, à cause du Brexit. Les lobbies financiers continuent de s’opposer à la taxation des transactions financières. Cette mesure est pourtant soutenue par une large partie de l’opinion publique. Au vu de son parcours, comment ne pas imaginer qu’Emmanuel Macron se fasse souffler les réponses à l’oreille par le monde obscur de la finance ?

Où sont les mesures concrètes ?

De nombreuses intentions restent vagues. Nicolas Hulot va convoquer courant juillet 2017 les “Etats-généraux de l’Agriculture et de l’alimentation”. Cinq axes seront discutés, entre autres les pratiques de consommation alimentaire et la réduction des quantités d’engrais. Mais aussi un plan d’action pour la protection des sols, la lutte contre leur artificialisation (bétonisation) et la souveraineté alimentaire. Nicolas Hulot prévoit également des « Assises de la mobilité » pour plancher sur l’enjeu majeur des transports. Il annonce par ailleurs un gel des grands projets tant que la loi Mobilité qui découlera des ces Assises ne sera pas adoptée. Cela ne signifie pas pour autant d’engagement immédiat sur l’arrêt des infrastructures routières et aéroportuaires nocives. D’autant que la Loi sur les cars Macron constitue un antécédent grave en matière de pollution et de non-sens écologique. Qui croire ? Le ministre de la transition écologique, a été interrogé sur le projet de méga-centre commercial et de loisirs Europacity. Ce projet prévoit la bétonisation de 300 hectares de terres agricoles très fertiles sur le triangle de Gonesse (Val-d’Oise). Nicolas Hulot à répondu que « cette gourmandise à artificialiser nos sols est incompatible avec nos objectifs. Nous devons garder en tête un objectif de zéro artificialisation nette des sols et cesser d’avoir la folie des grandeurs ». Discutons, discutons. L’on verra bien dans quelle mesure les lobbies de l’industrie agro-alimentaire et du BTP acquiesceront. Et qui de Nicolas Hulot ou bien d’Emmanuel Macron aura le dernier mot.

En clair, où sont les mesures concrètes face à l’urgence climatique ? Attac pointe le silence du texte sur les traités internationaux de libre-échange (Ceta, Tafta, Jefta), soutenus par Emmanuel Macron et son gouvernement. Ces traités vont pourtant à l’encontre de considérations écologiques, et sont les symboles même de la globalisation sauvage du monde. Souffler le chaud et le froid. Donner à croire qu’un semblant de démocratie réside en son sein en développant des argumentaires et des faits qui s’opposent. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Voilà bien des incohérences. Alors, ce gouvernement est-il réellement écologiste ? Sans doute, mais à la mode Macron : en même temps néolibéral « progressiste » et écologiste défenseur de la planète. Comment cela est-il possible ? Vous avez 4 heures.

Crédit photo : ©patrick janicek; Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

 

R.I.P. – L’écologie, grand perdant du débat d’entre-deux-tours

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Pas de crédit. Creative commons

Le grand débat d’entre deux tours aura au moins eu le mérite de clarifier les choses pour les écolos qui pensaient trouver en la personne d’Emmanuel Macron une bouée de sauvetage, un kit de survie minimal face aux crises environnementales et face à la pseudo-écologie rétrograde du Front National. Pas un mot, pas une proposition, pas un geste pour les électeurs de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ; un seul mot d’ordre, tacitement accepté par les deux protagonistes : l’écologie, ça commence à bien faire.

Certes, on ne peut pas parler de tout en deux heures et demie; mais ce n’est pas un prétexte pour ne parler de rien la plupart de temps, et que Le Pen ait voulu en découdre bien salement n’empêchait pas son technocrate d’adversaire d’essayer de parler un peu du fond, plutôt que de se faire courtoisement piétiner. Certes, bien d’autres thèmes essentiels (culture, enseignement supérieur et recherche, défense, logement…) sont purement et simplement passés à la trappe. Mais était-ce si difficile d’essayer d’en placer une sur la transition énergétique, le nucléaire, les pesticides, le modèle alimentaire, la bio, les filières courtes ? Macron, faisant preuve d’un rare sens du ridicule, ne pouvait s’empêcher de qualifier chaque sujet de “priorité”. L’écologie n’en est visiblement pas une.

Il a longuement été question de l’Europe. De transposition de normes, d’Europe “qui protège”. Contre des migrants, des terroristes, ça on avait compris. Et contre le glyphosate ? Contre les perturbateurs endocriniens, dont un éditorialiste avait dénoncé, quelques jours avant le premier tour, le fait qu’ils avaient “perturbé” le débat électoral (mais quel humour !) ? Et de cette Europe qui empêche les États de contraindre les géants de l’agroalimentaire à adopter l’étiquetage nutritionnel, dont l’une des vertus serait de mettre au pilori les seigneurs de l’huile de palme ? De cette Europe qui fait obstacle à toute forme de protectionnisme écologique ? De cette Europe-là, bien sûr, il n’a pas été question.

Un point de détail de la vie des Français, comme dirait l’autre (agirpourlenvironnement.org)

Il a été question d’emploi. Le Grand Marcheur, d’ordinaire si prompt à nous régaler de promesses d’emploi liés au numérique, s’est abstenu d’évoquer les emplois liés à la transition énergétique, à la rénovation thermique des logements (il est vrai que les “passoires énergétiques” sont rarement habitées par des banquiers d’affaires…), au développement de l’agro-écologie, de la permaculture, des recycleries. Pas un mot non plus sur les récentes crises agricoles : il va donc falloir s’attendre à des mesures-sparadraps d’urgence, pour accompagner la fuite en avant d’un modèle productiviste, aux ravages économiques, sociaux et environnementaux sans nombre.

Il a bien sûr été question de migrations. Mais pas des migrations climatiques, alors qu’elles concernent 250 millions d’hommes, de femmes et d’enfants d’ici 2050 (selon l’ONU), et déjà plus de 83 millions entre 2011 et 2014. Des “déplacés” qui n’ont pas encore de statut unifié au niveau du droit international. À croire que le changement d’échelle est tellement important qu’il en devient aveuglant.

Bilan des migrations climatiques en 2012 (d’après le rapport “Global Estimates 2012”, de l’International Displacement Monitoring Centre et du Norwegian Refugee Council)

Il a été question d’école, de savoirs fondamentaux, de lecture et d’écriture, mais pas du rôle clé qu’elle peut jouer dans la prévention et la sensibilisation au gaspillage, à l’éco-responsabilité en matière d’alimentation, de manière à la fois ludique et exigeante. Il a été question de santé : pas des milliers de victimes des particules fines, mais plutôt de montures de lunettes (sujet, il est vrai, autrement plus important !). Il a été question d’espérance de vie : pas de l’espérance de vie en bonne santé, qui baisse depuis deux ans, notamment en raison de l’explosion des maladies chroniques, de la hausse des cancers infantiles, fortement corrélés à des facteurs environnementaux. Il a été question d’atlantisme. Pas des négociations avec Trump à propos du massacre environnemental délirant dont il est l’auteur cynique, des mesures à prendre pour l’empêcher de traîner dans la boue, avec sa glorieuse “nouvelle révolution énergétique”, les engagements (même superficiels) pris au moment de la COP21, en matière de réduction des émissions de GES, de protection des espaces marins, compte-tenu de l’effet que peuvent avoir sur les pays émergents des mesures courageuses prises par les acteurs historiques du dérèglement climatique.

Sale temps pour les écologistes, donc. Alors même que le dernier scénario néga-Watt, ou le rapport “Pour une agriculture innovante à impacts positifs” de Fermes d’avenir confirment l’urgence et la crédibilité d’une vraie transition, pas d’un bricolage en carton-pâte. Le message est clair : la start-up Macron et la PME Le Pen n’ont pas, dans leur feuille de route, de stratégie à l’échelle de la civilisation humaine. D’autres devront assumer cette tâche.

2ème débat : Où est passée l’Ecologie ?

Capture d’écran

Le chômage, la sécurité, le rapport aux autres. Et l’Ecologie alors ? Les 3 heures de débat ont été l’occasion de mettre sur la table ce qui préoccupe (vraiment) les français. Comprenons : Les chômeurs, les terroristes, les musulmans. Ce sont vos priorités, nos priorités. Puisqu’on vous le dit ! Mais le format, certes complexe à gérer, aurait pu voir émerger une question importante : celle de la crise écologique et de ses solutions. Échec.

Les chômeurs, les terroristes, les musulmans 

            En bref, et comme on s’y attendait, le débat a été polarisé autour de ces 3 catégories. L’occasion une fois de plus de jeter de l’huile sur le feu pour certains, voire de chercher le buzz. Dans les faits, de permettre à l’élite économique, politique et médiatique en place d’employer les vieilles recettes de la division. Quand on a des choses à se reprocher et des intérêts à défendre, le meilleur moyen de détourner l’attention étant de jeter la pierre sur quelqu’un d’autre. Le bon vieux théorème attribué à C. Pasqua : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »

            L’occasion pour Marine Le Pen de qualifier la France d’ « université des djihadistes », pour Fillon de réaffirmer son ambition de “vaincre le totalitarisme islamique”, pour Macron de trouver un entre-deux habituel sur tous les sujets, fustigeant la guerre économique à laquelle mènerait le protectionnisme tout en louant une Union Européenne plus « juste » où l’harmonisation fiscale est pourtant impossible. Certains candidats ont bien tenté d’imposer une visée alternative aux priorités fixées par les deux journalistes animatrices du débat. Sortez des sentiers battus et vous vous ferez vite rappeler à l’ordre par Ruth Elkrief. Il ne faudrait quand même pas nommer les candidats en cause quand on parle de moralisation de la vie publique. Et les éditorialistes de BFMTV de s’insurger au matin : « Je trouve que c’est un candidat (Philippe Poutou) qui, par moment, n’a pas le respect qu’il faut pour être candidat à la présidentielle. » (Bruno Jeudy, journaliste à BFMTV).

Vrais ou faux écolos ?

Une majorité de candidats ont intégré des thématiques environnementales dans leur programme. Mais davantage dans un opportunisme marketing que par conscience assumée. Et cela s’est confirmé sur le plateau. Alors que le sujet « Comment protéger les français ? » offrait l’opportunité d’aborder la pollution, le nucléaire, les pesticides, (etc.), une bonne partie d’entre eux est restée focalisée sur le terrorisme. Oubli ou omission révélatrice ?

            Difficile sans pour autant impossible, avec ce format imposé, d’avancer des considérations écologistes. Le mérite revient donc d’autant plus à ceux qui ont essayé de porter haut le cœur de leur programme. Jean-Luc Mélenchon a exprimé la place centrale de l’Ecologie dans L’Avenir en Commun en insistant sur l’opportunité et la nécessité de mettre en œuvre une grande transition écologique pourvoyeuse d’emplois et garantie de paix. Philippe Poutou, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se sont distingués dans cet intérêt commun. Les transports gratuits pour Philippe Poutou, le passage au « mode de production et de consommation écologiste » pour le candidat de la France Insoumise. Chacun disposait de 17 minutes pour exprimer les fondamentaux de son programme, et il est clair que pour d’autres, l’Ecologie est visiblement loin d’être une priorité. Au mieux, une variable d’ajustement.

L’ Ecologie, un truc de bobo ?

74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle[1]. Chez les 18-35 ans,  98% des 55 000 interrogés répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains.[2] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés.

Ainsi, il s’agit de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Les catastrophes en cours et à venir rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. Notre système de santé, notre système agricole et notre économie sont en jeu. On estime par exemple à 48 000, le nombre de décès liés à la pollution atmosphérique en France.[3] A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale à laquelle on appartient ou le pays dans lequel on vit. Les pauvres sont et seront bien plus touchés par les catastrophes, la pollution, l’alimentation industrielle, les pesticides, les conflits liés à l’accès aux ressources naturelles… Et la liste est longue.

Embrasser l’écologie c’est donc envisager les luttes sociales sous un nouveau jour. Au contraire, ne pas parler d’écologie revient à ignorer ces conséquences irréversibles de long-terme qui affecteront principalement les plus démunis. Ne pas parler d’Ecologie sert à préserver les intérêts de ceux qui ont tout à gagner à ce que le système ne change pas. C’est taire le besoin impératif de renverser la table. Ou bien penser que la solution réside dans l’accablement de plus pauvre que soit. Voilà de quoi nous aider à choisir un candidat.


[1] Sondage YouGov, septembre 2016.

[2] Enquête de GénérationCobayes, décembre 2016.

[3] Agence Santé Publique France, 2016.

En savoir plus :

Accord PS-EELV : et l’écologie dans tout ça ?

Jadot se rallie. Mélenchon et Hamon se quittent bons amis. La séquence des tentatives de construction d’une candidature unique de ce que d’aucun appelle la gauche se referme. L’occasion de revenir sur le contenu de l’accord ayant conduit Jadot à prendre, seul, la décision de se rallier au candidat PS avant que les électeurs écologistes ne soient consultés. Une alliance qu’il refusait catégoriquement il y a quelques mois.  

Un accord ambitieux… sur le papier !

Sur le papier, l’accord est agréablement surprenant. Sur la transition énergétique, l’accord prévoit une sortie du nucléaire en 25 ans avec la fermeture des premières centrales pendant le mandat pour tenir l’objectif d’une réduction de la part du nucléaire à 50 % d’ici 2025. L’objectif affiché est d’atteindre les 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050. Le projet d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure sera arrêté. Des études pour des solutions alternatives seront menées. En attendant, les déchets resteront en sub-surface. L’accord promet aussi d’établir une taxe carbone et la mise en place d’une fiscalité favorable aux tranports propres (le grand retour de l’éco-taxe). L’accord prévoit de coordonner cette transition énergétique par un pilotage national. Ce pilotage national devra mettre en cohérence les politiques publiques et les budgets avec les engagements pris lors de la COP 21. De la planification écologique en somme.

Sur le plan international, l’accord promet de s’opposer au CETA, au TISA et au TAFTA. L’Union Européenne devra lancer un plan de 1000 milliards d’investissements pour se mettre en conformité avec l’accord de Paris sur le climat. Une réorientation des mesures de quantitative easing de la BCE vers la transition énergétique est aussi demandée.

Concernant l’agriculture et la santé, le projet est également ambitieux. On nous promet l’interdiction des pertubateurs endocriniens et des pesticides, et la sortie du diesel d’ici 2025 pour les véhicules légers. Un grenelle de l’agriculture est annoncé. La PAC devra être réformée pour en faire un outil de reconversion des exploitations vers l’agriculture biologique. Le développement intensif du bio dans les cantines accompagnera cette transition. Petite cerise sur le gâteau : une législation protectrice des animaux accompagnera la fin des exploitations d’élevage industriel.

Même dans nos rêves les plus fous, on n’aurait pas imaginé le PS prendre un tel tournant écologiste. Parti productiviste s’il en est, le PS se trouva le plus souvent du côté des lobbys ces 5 dernières années. Face à un tel demi-tour, il convient d’en venir à la raison pour savoir si c’est un tournant sincère ou si l’on assiste au remake écolo du discours du bourget.

Qui rappelle les trahisons du PS…

Car en la matière, il y a un précédent : l’accord entre les socialistes et les Verts en 2012. La comparaison ne plaide pas en faveur du PS. Furent promis et ne furent pas apppliqués : la loi de séparation bancaire, l’interdiction du travail de nuit et des tâches physiques pour les travailleurs de plus de 55 ans (le PS a préféré reculer l’âge de la retraite), le rétablissement de la hiérarchie des normes (coucou la loi El Khomri), la présence des salariés et de leurs représentants dans les instances de décision et de rémunérations des grandes entreprises, le rétablissement du repos dominical (coucou la loi Macron), l’égalité salariale femmes-homme, le passage à 20% de la surface agricole utilisée en bio (6 % aujourd’hui!), une taxe européenne sur les transactions financières de 0,05 %, autoriser la BCE à racheter des emprunts d’États, le salaire minimum européen, la reconnaissance de l’État de Palestine et le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales pour les étrangers résidant en France depuis cinq ans et plus. Et j’en passe ! Lire l’accord de 2011 nous donne d’ailleurs une idée, par contraste, du niveau d’impréparation et de droitisation avec lesquels le PS affronte l’élection de 2017.

Le feuilleton Fessenheim : les preuves du renoncement du PS. Crédits photo : http://www.sortirdunucleaire.org/Accord-PS-EELV-un-renoncement-sous,26168
Le feuilleton Fessenheim : les preuves du renoncement du PS. Crédits photo : http://www.sortirdunucleaire.org/Accord-PS-EELV-un-renoncement-sous,26168

Que vous êtes tatillons ! Le gouvernement n’a-t-il pas oeuvré au service de la COP 21 ? On ne crachera pas sur un accord international signé par tous les pays de la planète ou presque. On ne pourra s’empêcher, cependant, de noter que, si l’accord a pour objectif de maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2 degrés, les contributions des Etats laissent entrevoir une limitation du réchauffement climatique à 3 degrés. La catastrophe ! Avec un Trump qui pourrait retirer la signature américaine du traite et un CETA, soutenu par le gouvernement PS, qui ne mentionne même pas l’accord de Paris et remet en cause les engagements de baisse d’émissions de gaz à effet de serre en faisant exploser les échanges internationaux, les progrès de la COP 21 seront vite caducs. Pour le reste, le bilan du PS en matière d’écologie n’est pas fameux. Aucune centrale nucléaire n’a été fermée pendant le quinquenat, alors que l’accord de 2012 promettait la fermeture de 24 réacteurs d’ici 2025. En matière d’énergies renouvelables, pour ne citer que cet exemple, on n’atteindra pas les 3,5 Gigawatts produits par les éoliennes en mer avant 2025 alors que le grenelle de l’Environnement en prévoyait 6 à l’horizon … 2020. Et la situation ne risque pas de s’arranger : les deux entreprises fabricants des éoliennes off-shores ont été vendues à General Electric et Siemens de sorte que l’on a aucune espèce de contrôle sur la construction des éoliennes off-shores. Cela semble mal parti pour le pilotage national de la transition écologique.

Côté agriculture, ce n’est pas mieux. Il faudra attendre 2018 pour voir les néonicotinoïdes tueurs d’abeille interdits, avec des dérogations jusqu’en 2020 ! La Commission Européenne ne cesse de maneuvrer pour empêcher d’une façon ou d’une autre, les pertubateurs endocriniens d’être interdits. Dernier épisode : le 28 décembre dernier, l’ordonnance qui devait mettre en place le « certificat d’économie de pesticides », qui aurait contraint les vendeurs de pesticides à réduire leurs ventes de 20 % d’ici 2020, a été annulée. Pourtant, « l’usage des pesticides a augmenté notablement de 9.7% en 2014 par rapport au chiffre de l’année précédente. On est très loin de l’objectif du Grenelle de diviser par 2 la consommation en 2018 », note France Nature Environnement.

Et en augure de nouvelles… 

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Capture d’écran Twitter

Un accord non respecté, une mandature anti-écologiste au possible : on se demande bien comment on peut faire confiance au PS pour respecter un tel accord. D’autant que les conditions politiques ne sont pas vraiments réunies. Les investitures données jusqu’à présent par le PS bénéficient majoritairement à des députés “légitimistes” réinvestis. On se demande comment les mêmes qui ont voté une politique anti-écologiste vont pouvoir soutenir une politique de rupture. Inversement, on se demande comment un électeur pourra faire confiance à un député qui, après avoir soutenu la politique de F.Hollande, promettra de soutenir le contraire pendant 5 ans. Quand aux circonscriptions promises, elles sont bien maigres. En 2012, les Verts avaient obtenu le soutien du PS dans 61 circonscriptions. Résultat : 17 députés. Si tant est qu’un deputé EELV offre une plus grande garantie de respect des promesses qu’un député PS, EELV obtient à peine 43 circonscriptions. Évidemment, ceux qui ont negocié l’accord sont récompensés. Au passage, le PS a donné des circonscriptions où se retrouvent des députés soutenant Macron. Pas sûr qu’ils se retirent dans ces conditions.

Enfin, si on y regarde de près, le contenu de l’accord est flou. On nous promet le refus du CETA. Donc le candidat du PS et le parti qui le soutient refuseraient un CETA que leur gouvernement a signé, que le parlement européen a adopté grâce aux députés socio-démocrates européens et qui s’appliquera provisoirement sans qu’aucun pays ne l’ait ratifié ? On peut douter de la parole du PS quand, dans le même temps, son candidat, Benoît Hamon, n’a pas daigné se déplacer à l’Assemblée Nationale lorsque les communistes ont soumis une proposition de loi pour soumettre le CETA au référendum du peuple français. Pire, du fait du désaccord entre les députés socialistes, le groupe PS s’est abstenu. L’EPR de Flamanville, qui ruine EDF, n’est même pas mentionné. Contrairement à l’accord de 2012 qui prévoyait la fermeture de 24 réacteurs d’ici 2025 en commençant par Fessenheim et les sites les plus dangereux, aucun calendrier précis n’est prévu. Fessenheim n’est même pas mentionné ! Pire, on promet la fermeture du nucléaire en 25 ans, soit en 2042. Comme les réacteurs ont une durée de vie de 40 ans, il faudra soit prolonger la durée de vie de certains réacteurs soit lancer l’EPR de Flamanville ! Pour les grands projets inutiles, des conférences de consensus sont prévues. On sait que ce genre de formules creuses cache de grands renoncements. D’ailleurs, on ne promet même pas l’abandon du projet NDDL, juste l’abandon de son site. Le grand plan d’efficacité et de sobriété énergétique ne mentionne aucun objectif chiffré, quand l’accord de 2012 prévoyait la rénovation d’un million de logements par an. De nombreux éléments manquent à l’accord : rien sur l’indépendance de la BCE ni sur les traités européens alors que ceux-ci empêchent les investissements nécessaires à la transition écologique. Hors de question de parler de protectionnisme alors même qu’il est nécessaire pour relocaliser la production. Rien n’est dit sur la libéralisation des services publics non plus.

Malgré les bonnes attentions affichées, il semble bien que cet accord ne soit condamné à n’être qu’un affichage de bonnes attentions. De belles couleuvres en perspectives pour les Verts.

Ecologie : Macron veut ouvrir des mines !

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Montage par ©GuillaumeTC

Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.


Réalité écologique 3.0

« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.

Une révolution énergétique ?

En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?

Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.

 Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?

Contradictions et belles paroles

Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?

Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.

 

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