Taxation de l’héritage : le retour d’un clivage de classes

© Bastien Mazouyer pour LVSL

Suite à plusieurs rapports d’économistes et à des propositions politiques venues de la gauche, le débat sur la taxation de l’héritage a été propulsé sur le devant de la scène à l’occasion des présidentielles. Tous les principaux candidats ont pris position sur la question et un véritable clivage de classes apparaît nettement. D’un côté, les partis libéraux – LREM en tête – utilisent la méconnaissance des Français sur la question pour le présenter comme un impôt confiscatoire. De l’autre côté, leurs adversaires avancent des propositions pour diminuer les inégalités de patrimoine en taxant les plus grosses successions, tout en améliorant la situation de l’immense majorité des Français.

Le sujet de la taxation de l’héritage s’est imposé comme l’un des thèmes de cette campagne présidentielle 2022, à tel point que tous les principaux candidats ont désormais émis des propositions, y compris le candidat-Président Macron. Cela peut paraître étonnant tant les sujets économiques peinent à trouver leur place dans cette campagne davantage tournée vers les questions régaliennes et identitaires. Et au sein même de ces sujets économiques, la fiscalité, à tort considérée comme un sujet technique, fait rarement l’objet de débats, qui concernent alors généralement l’impôt sur le revenu ou l’ISF, mais, bien plus rarement la fiscalité sur l’héritage.

Et pour cause. Tous les sondages le montrent : cet impôt est honni par les Français. L’enquête Crédoc « Conditions de vie et aspirations des Français » conduite à l’été 2017 montre ainsi que 87 % des Français déclarent que « l’impôt sur l’héritage devrait diminuer, car il faut permettre aux parents de transmettre le plus de patrimoine possible à leurs enfants ». Rares sont donc les candidats à vouloir s’aventurer sur ce terrain risqué pour s’opposer à cette écrasante majorité. La droite a toujours proposé de baisser cette fiscalité, certes, mais n’a jamais rencontré de véritable opposition, la gauche n’osant pas souvent défendre la position inverse.

Alors fin du débat ? Pas tout à fait, car, comme le montrent également les enquêtes, si cet impôt est si impopulaire, c’est aussi parce qu’il est fortement méconnu ! Ainsi, l’immense majorité des Français ne connaît véritablement ni son mode de fonctionnement, ni son barème. Ne pas savoir « à quelle sauce on va être mangé » inquiète donc légitimement les citoyens. Il n’y a pourtant pas vraiment de quoi…

85 % des transmissions en ligne directe sont exonérées

Dans un entretien à LVSL, l’économiste Nicolas Frémeaux rappelait ainsi qu’ « environ 85-90 % des transmissions en ligne directe, entre parents et enfants, sont exonérées ». En effet, dans le système actuel, chaque parent peut ainsi donner à chaque enfant 100 000 euros tous les 15 ans en toute franchise d’impôt, et le même abattement s’applique au moment du décès. Cet abattement exonère de fait une grande majorité des Français de cet impôt, l’héritage médian s’élevant à 70 000 euros.

Dans le système actuel, chaque parent peut donner à chaque enfant 100 000 euros tous les 15 ans en toute franchise d’impôt.

De plus, un grand nombre d’abattements peuvent se cumuler entre eux, mais aussi s’additionner dans le temps puisque tous sont « remis à zéro » tous les 15 ans. En plus de l’abattement de 100 000 euros pour chaque parent, il existe un abattement de 31 865 euros de chaque grand-parent à chaque petit-enfant. Et d’autres abattements viennent encore s’y rajouter en fonction du type de biens. Ainsi, 31 865 euros peuvent s’ajouter à cela s’il s’agit de « dons familiaux de sommes d’argent » pour chaque parent et grand-parent.

Ainsi, en commençant à lui donner dès sa naissance (ce qui arrive dans les familles riches anticipant leurs transmissions), un individu peut avoir reçu à 45 ans 1,3 million d’euros en toute franchise d’impôt. Si on ajoute à cela l’abattement sur les « dons familiaux de sommes d’argent » (uniquement valables pour les majeurs), on frôle même les 1,7 million d’euros reçus de la part de ses parents et grands-parents à 45 ans sans aucune imposition. Cela permet donc à un individu de faire partie des 1 % les plus riches, sans avoir travaillé ni payé le moindre euro d’impôt ! On comprend mieux pourquoi l’impôt sur les donations et les successions a un rendement si faible en France : ses recettes sont de 17 milliards d’euros, ce qui représente seulement 0,7 % du PIB alors que les transmissions patrimoniales représentent chaque année 15 % du PIB !

Les régimes dérogatoires ne profitent qu’aux plus riches

Mais la fête n’est pas finie. La résidence principale pourra aussi bénéficier de 20 % d’abattement sous certaines conditions (relativement restrictives). Dans les autres cas, le démembrement de propriété pourra être effectué : ce mécanisme permet de transmettre à ses héritiers un bien immobilier tout en continuant à l’habiter. Le bien immobilier est alors sous-évalué, en moyenne de 30 %, du fait de cette occupation par les donataires. Le Conseil d’analyse économique (CAE), un service rattaché à Matignon mais réunissant des universitaires indépendants, évalue le coût de ce mécanisme entre 2 et 3 milliards d’euros. Pour l’immobilier, rajoutons enfin l’effacement des plus-values latentes : ainsi, la plus-value, parfois colossale, réalisée sur un appartement parisien sera « effacée » lors de la transmission, alors que ce surplus de revenu devrait logiquement être d’autant plus taxé qu’il est obtenu sans grand effort…

Le cumul des abattements et des régimes dérogatoires permet de réduire à portion congrue la fiscalité des transmissions.

Il faut ajouter à cela des régimes dérogatoires : celui de l’assurance-vie, complexe, mais qui permet de réduire drastiquement, voire d’annuler complètement, l’impôt sur les transmissions de contrats d’assurance-vie, même lorsque ces derniers sont très fournis (coût de 4 à 5 milliards en ne comptabilisant que les contrats supérieurs à 152 500 euros selon le CAE). Mais aussi le Pacte Dutreil pour les transmissions d’entreprises. Partant d’une justification louable – pouvoir transmettre l’outil de travail d’une génération à une autre sans être obligé de le revendre à la découpe – celui-ci constitue toutefois « probablement le dispositif fiscal dont les effets sont les plus concentrés dans le haut de la distribution des héritages » selon le CAE. Par étonnant, puisque les biens professionnels représentent moins de 10 % du patrimoine total jusqu’au seuil des 0,1 % les plus fortunés, 30 % au seuil des 0,01 % et plus de 60 % pour les 0,001 % les plus fortunés (soit 380 foyers fiscaux). Ainsi, plus on est riche, plus l’on bénéficie de cette niche au coût estimé entre 2 et 3 milliards d’euros. Elle permet par exemple de transmettre une entreprise à 100 millions d’euros en ne payant que 5,3 % d’impôt dessus ! D’autant plus que du point de vue de l’efficacité économique, les héritiers ne sont que rarement les meilleurs dirigeants pour l’entreprise transmise

Nul n’est censé ignorer la loi… fiscale !

Ainsi, le cumul des abattements et des régimes dérogatoires permet de réduire à portion congrue la fiscalité des transmissions. Mais cela complexifie grandement le système fiscal, ce qui a un effet doublement négatif.

D’une part, du fait de cette complexité, les Français connaissent très mal la réalité de cet impôt. D’après une étude de France Stratégie, la majorité des personnes interrogées pense que le taux moyen de l’impôt sur l’héritage payé est supérieur à 10 % et plus d’un tiers (36 %) l’estiment supérieur à 20 %. Seuls 9 % des répondants estiment qu’il est inférieur à 5 %, ce qui correspond pourtant à la réalité : le taux payé est en moyenne de seulement 5 %, et même de 3 % si l’on compte uniquement les héritages en ligne directe. Si la plupart des citoyens surestiment largement le taux d’imposition de l’héritage, il peut leur paraître juste de vouloir le baisser.

Si la plupart des citoyens surestiment largement le taux d’imposition de l’héritage, il peut leur paraître juste de vouloir le baisser.

D’autre part, la complexité fiscale bénéficie toujours à ceux qui connaissent le mieux le système, ou plutôt à ceux qui ont les moyens de payer des experts pour les conseiller. Ainsi, les comptables de nos compatriotes les plus aisés n’auront aucun mal à jongler avec les différentes niches fiscales afin de leur assurer un impôt minimal. À l’inverse, une personne n’ayant pas anticipé son héritage, pourra payer 18 000 € d’impôts sur une petite maison à 200 000 euros que lui léguerait son père, une somme pas toujours évidente à débourser sans économies préalables. De même, beaucoup de Français ont en tête des exemples de transmission en ligne indirecte, mais à une personne proche (par exemple à son filleul) qui ont été très injustement taxées : on devra ainsi payer par exemple plus de 5 000 euros d’impôts pour recevoir une voiture dont la valeur est estimée à 10 000 euros… De tels exemples ne peuvent que conforter les français dans leur sentiment d’injustice vis-à-vis de cet impôt.

Il ne faut pas non plus négliger l’affect entourant cet impôt : les milieux conservateurs, dans une stratégie de diabolisation de cet impôt, le surnomment « l’impôt sur la mort », expression importée des républicains américains. Cela peut trouver un écho chez certains de nos concitoyens pour qui le paiement de cet impôt et les démarches administratives l’accompagnant surviennent à un moment compliqué de leur vie. Ce questionnement dépasse ainsi le monde des économistes et on retrouve étonnamment cette volonté de transmettre le fruit de son travail à ses descendants jusque dans la pop culture, comme le montre par exemple ces paroles du rappeur belge Damso « Mes meilleurs amis sont mes appartements, j’meurs, ils s’ront là pour mon fils ». Il serait donc abusif de réduire le ressentiment des citoyens à l’égard de cet impôt à sa seule méconnaissance, même si cela a bien sûr un effet non négligeable.

À l’inverse, la quasi-totalité des économistes, quelles que soient leurs écoles de pensées, prônent une refonte en profondeur de cet impôt, et surtout le durcissement de son barème afin de générer des recettes fiscales supplémentaires. Les rapports de think tanks et d’instituts reconnus se sont ainsi succédés sur le sujet : France Stratégie, Commission Blanchard-Tirole, OCDE, Intérêt général et plus récemment le Conseil d’analyse économique. Des personnalités du monde économique, comme Thomas Piketty, et de la sphère politique, comme Jean-Luc Mélenchon, ont également avancé des propositions de réforme en ce sens. À tel point que le sujet s’est immiscé dans la campagne présidentielle, obligeant tous les candidats à prendre position sur la fiscalité de l’héritage.

A droite, jouer sur les peurs pour réduire l’imposition des riches

Les lignes de fracture autour de cette question sont bien nettes : on observe un véritable clivage gauche-droite. À droite, dans une perspective clairement électoraliste, les candidats veulent profiter du fait que les Français détestent l’impôt sur l’héritage et proposent des mesures d’allègement de la fiscalité des transmissions. Ils entretiennent les peurs fantasmées et alimentent l’imaginaire des électeurs, en le décrivant par exemple comme un « impôt sur la mort » ou en faisant miroiter l’impossibilité de transmettre la maison familiale ou les revenus d’une vie de travail, jouant souvent de la méconnaissance des électeurs : contrairement à ce que veulent faire croire les partis de droite, les patrimoines imposés ne sont que très rarement issus du travail mais bien plus souvent des capitaux immobiliers et financiers des plus riches.

Contrairement à ce que veulent faire croire les partis de droite, les patrimoines imposés ne sont que très rarement issus du travail mais bien plus souvent des capitaux immobiliers et financiers des plus riches.

Ainsi, Valérie Pécresse et Éric Zemmour s’accordent pour augmenter les montants transmissibles sans frais à 200 000 euros, tandis que la candidate LR est d’accord avec Marine Le Pen pour diminuer la fréquence à laquelle l’abattement est réinitialisé : de tous les quinze ans actuellement, elles souhaitent la diminuer à six ans et dix ans respectivement. Le montant transmis sans imposition serait ainsi largement augmenté, mais ne profiterait qu’à ceux qui utilisent le maximum des défiscalisations actuelles, c’est-à-dire uniquement les grosses transmissions. En souhaitant « supprimer les droits de successions pour 95% des Français » alors que 85 % en est déjà exonéré, c’est bien les classes supérieures aisées que Valérie Pécresse veut avantager, à savoir une part non négligeable de son électorat.

De fait, cette suppression des droits sur 95 % des Français profitera surtout aux 5 % les plus riches, qui pourront se débrouiller pour transmettre 200 000 euros à chaque enfant tous les six ans (donc par exemple 1,2 million tous les six ans pour un couple avec trois enfants). Or, les plus riches sont aussi ceux qui connaissent le mieux les règles pour optimiser leurs impôts. Ils n’auront donc aucun mal à anticiper leur transmission en jouant avec ces abattements tous les six ans pour ne jamais payer d’impôt, ni de leur vivant, ni à leur mort. Car bien sûr, aucun candidat à droite ne souhaite modifier le barème supérieur de cette fiscalité, ni les niches existantes qui profitent essentiellement aux plus hauts patrimoines d’après le rapport du CAE précité, entretenant de fait les multiples exonérations dont bénéficient les très hautes transmissions, et exacerbant ainsi les inégalités de patrimoine. Valérie Pécresse, qui est en tête des patrimoines parmi les candidats à l’élection présidentielle, n’aura par exemple aucun mal à transmettre ses 9,3 millions de patrimoine à ses enfants sans payer le moindre euro d’impôt, si son programme venait à s’appliquer.

Emmanuel Macron : des propositions clairement positionnées à droite

Ces positions apparaissent pourtant en contradiction même avec l’idéologie économique libérale portée par les candidats de droite : l’héritage constitue en effet une rente, qui échappe à l’allocation optimale des actifs et empêche les entrepreneurs privés de celle-ci d’utiliser leur talent. La méritocratie se retrouve mise à mal : quel mérite y-a-t-il à hériter d’une immense fortune ? Même les rapports des économistes orthodoxes précités (CAE, Blanchard-Tirole), loin de pouvoir être qualifiés de marxistes, se sont prononcés en faveur d’une plus forte taxation des hautes successions.

Aujourd’hui, le président-candidat a changé son fusil d’épaule, se classant sans contestation possible dans les candidats de droite, puisqu’il propose d’augmenter l’abattement sur les successions en ligne directe.

Emmanuel Macron lui-même l’énonçait en 2016 : « si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer par exemple la taxation sur la succession aux impôts de type ISF. » Aujourd’hui, le président-candidat a changé son fusil d’épaule, se classant sans contestation possible dans les candidats de droite, puisqu’il propose d’augmenter l’abattement sur les successions en ligne directe à 150 000 euros, contre 100 000 euros aujourd’hui. Pour les lignes indirectes, il propose d’unifier l’abattement à 100 000 euros, alors que celui varie entre 1 594 et 15 932 euros actuellement. Cette réforme s’inscrit donc dans la droite ligne de sa politique fiscale en faveur des plus riches depuis cinq ans, mais il le justifie en indiquant qu’il faut pouvoir « transmettre les fruits de son travail » ou encore comme une réforme « pragmatique » et de « bon sens ». Il continue son travail de détournement du sens des mots entrepris depuis cinq ans : cette réforme permettra un peu plus de perpétuer les dynasties familiales qui n’ont rien à voir avec la transmission du fruit d’un quelconque travail et elle n’a rien de « bon sens » puisque les experts du sujet recommandent justement tout l’inverse.

Les propositions à gauche : réduire les inégalités en taxant les hauts héritages

À gauche, les candidats s’entendent sur un principe directeur : taxer davantage les grosses successions afin de réduire les inégalités. Anne Hidalgo, qui reprend le projet de loi de la député Christine Pirès-Beaune, Fabien Roussel et Yannick Jadot disposent de plusieurs leviers pour accomplir cet objectif. Tout d’abord, le barème des taux d’imposition peut être modifié, en augmentant le taux d’imposition de la tranche la plus élevée comme propose Anne Hidalgo (de 45 % actuellement à 60 %) ou en effectuant une refonte du barème : Fabien Roussel souhaite accentuer la progressivité en doublant le nombre de tranches et fondant le montant de l’imposition à la fois sur la valeur des biens transmis mais aussi sur les capacités financières des donataires et héritiers. Ensuite, une partie des niches fiscales serait supprimée pour éviter que les plus riches ne puissent échapper à l’imposition par l’optimisation fiscale, à l’image de ce que proposent, sur le principe, Fabien Roussel ou Yannick Jadot, ainsi que Christine Pirès-Beaune en voulant supprimer les exonérations liées à l’assurance-vie et en calculant le montant taxé sur les successions reçues tout au long de la vie, et non seulement sur une période de quinze ans. Concernant les facilités de transmission des entreprises, via le pacte Dutreil notamment, seul Fabien Roussel semble vouloir les supprimer. Ces mesures pourraient alors permettre de rapporter à l’État entre 7 et 10 milliards d’euros, qui pourraient être utilisés à de nombreuses fins.

Afin de rendre ces mesures plus acceptables auprès des Français, le second volet des propositions des candidats de gauche vise à élargir les donations non taxées, notamment en augmentant le seuil d’abattement, avec toutefois des différences selon les candidats : de 100 000 euros actuellement, il atteindrait 170 000 euros pour Fabien Roussel, 200 000 euros pour Yannick Jadot et 300 000 euros pour Anne Hidalgo. Yannick Jadot propose de plus de pouvoir transmettre avec ce même barème à ses petits-enfants, tandis que la proposition PS défend la suppression de barèmes différents entre ligne directe ou indirecte.

Jean-Luc Mélenchon : une réforme à la hauteur des enjeux

Premier candidat à l’élection présidentielle à s’être positionné sur le sujet, Jean-Luc Mélenchon apporte la proposition la plus construite et la plus ambitieuse, correspondant aux grands principes défendus dans ces colonnes il y a quelques mois et dans la note numéro 11 du laboratoire d’idées Intérêt Général. Le principe de taxer les plus grosses donations s’incarnerait par la mesure emblématique d’un plafond maximum d’héritage de 12 millions d’euros, soit 100 fois le patrimoine médian en France ; mesure qui peut apparaître comme radicale mais qui permet toujours de transmettre d’importantes fortunes, équivalentes à 8 siècles de SMIC. Ensuite, l’Avenir en commun propose d’harmoniser la fiscalité des donations et des héritages en supprimant les remises à zéro des abattements tous les quinze ans existant actuellement. Finalement, l’abattement serait augmenté, à 120 000 euros dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, mais les transmissions seraient ensuite taxées plus progressivement afin de profiter à 99 % de la population ; avec cette réforme, seul 1 % des français verrait son taux augmenter. Mais la fiscalité augmenterait très fortement sur ces 1 %, afin de financer la baisse sur les plus petits patrimoines mais aussi pour augmenter les recettes fiscales générales de cet impôt.

La fiscalité augmenterait très fortement sur les 1 % les plus riches, afin de financer la baisse sur les plus petits patrimoines mais aussi pour augmenter les recettes fiscales générales de cet impôt.

Outre cette baisse d’impôt pour l’immense majorité des Français, le programme du candidat de l’Union Populaire favorise son acceptation par la population en augmentant le choix possible des héritiers, puisqu’il serait possible de transmettre avec le même barème qu’à ses enfants en ligne directe aux bénéficiaires de « l’adoption sociales », forme de contrat d’entraide entre deux personnes. Les sommes récoltées grâce à cette réforme de la fiscalité de l’héritage, autour de 17 milliards d’euros au total, permettraient par exemple de financer la « garantie autonomie » proposée par Jean-Luc Mélenchon pour les jeunes de plus de 18 ans détachés du foyer fiscal de leurs parents, c’est-à-dire une allocation mensuelle d’un peu plus de 1000 euros.

Les enjeux liés à la fiscalité des transmissions, et à ses conséquences sur l’évolution des inégalités de richesse dans notre société, nécessitent ainsi un véritable débat démocratique, reposant sur la confrontation de ces projets antagonistes. En effet, en l’absence de contradicteur, il est facile pour les candidats de jouer sur l’affect des Français et de leur promettre de pouvoir transmettre le « fruit de leur travail », insinuant qu’ils ne pourraient pas le faire avec les autres candidats, ce qui est parfaitement faux. Nous l’avons vu, tous les candidats ont des propositions concrètes sur le sujet et devraient être en mesure de confronter leurs projets devant les Français, afin que ceux-ci, pleinement conscients des modalités et des enjeux, puissent se faire un avis réfléchi et éclairé sur la question.

Pour favoriser la redistribution, taxer les grosses donations

© Mathieu Stern

Alors que l’épargne des Français a significativement augmenté en 2020 et que de nombreux jeunes se trouvent en grande précarité, le ministre de l’Économie prétend avoir trouvé la solution : défiscaliser les donations pour faire circuler cette épargne. Pourtant, aujourd’hui, un couple peut déjà transmettre près d’un million d’euros à ses deux enfants sans payer d’impôts. La défiscalisation supplémentaire proposée par Bruno Le Maire ne profiterait donc qu’à une poignée de jeunes « bien nés », qui ne consommeraient même pas cet afflux d’argent supplémentaire dont ils n’avaient pas besoin. Sans impact sur la relance de l’économie, cette mesure s’apparente donc à un énième cadeau pour les riches.

Les restrictions liées à la crise sanitaire ont bouleversé la situation financière des ménages français : puisqu’ils ne pouvaient plus consommer que des biens de « première nécessité », les Français ont beaucoup moins dépensé, et ce, quel que soit leur niveau de richesse. À l’inverse, les revenus ont été préservés pour la majorité des personnes, notamment grâce au télétravail et aux dispositifs d’aide comme le chômage partiel et les fonds de solidarité. Mécaniquement, cette baisse des dépenses et ce maintien des revenus ont donc provoqué une hausse de l’épargne des ménages, comme le documente le Conseil d’Analyse Économique. La Banque de France estime ainsi le surcroît d’épargne à hauteur de 110 milliards d’euros pour 2020, auxquels devraient s’ajouter environ 55 milliards en 2021. Des chiffres très souvent évoqués dans les médias, mais rarement analysés de plus près.

En 2020, un surcroît d’épargne… chez les ménages aisés et âgés

Certes, l’épargne globale a augmenté, mais les montants varient fortement selon le niveau de revenu, en raison de comportements de consommation différents. Dans une note de conjoncture, l’INSEE montre en effet que la baisse de la consommation en 2020 a davantage touché les plus riches, en particulier au moment du premier confinement : en avril 2020, les 10 % des ménages les plus aisés ont ainsi réduit leur consommation de 55 %, alors que les 30 % les plus pauvres l’ont réduite de 40 %. Ensuite, la consommation des ménages plus modestes a fortement rebondi à l’été, alors que cette reprise a été plus modérée pour les ménages les plus riches qui continuaient donc d’accumuler de l’épargne supplémentaire. Au second confinement, des tendances similaires ont à nouveau été observées, mais dans une moindre mesure. Ces différences s’expliquent par la structure de consommation des ménages : la majorité des dépenses des plus pauvres est nécessaire ou contrainte (loyers, nourriture, électricité, forfaits, etc.) tandis que ces dépenses imposées pèsent moins lourd dans le budget des plus riches, qui dépensent davantage en proportion pour des activités récréatives (vacances, sorties, etc.) très affectées par les restrictions.

Les 10 % les plus riches concentrent la moitié du surcroît d’épargne en 2020.

Ces différences de consommation entre riches et pauvres s’ajoutent aux inégalités de revenus : l’épargne accumulée pendant le confinement est donc répartie de manière très inégalitaire. Le Conseil d’Analyse Économique estime ainsi que 70 % du surcroît d’épargne est détenu par 20 % des ménages les plus aisés, les 10 % les plus riches concentrant même la moitié de ce magot. En terme de sommes épargnées, cela revient à plus de 10 000 euros mis de côté pour les 25 % les plus riches en 2020, alors que l’épargne des 20 % les plus pauvres avait même légèrement diminué entre mars et août 2020 !

Les inégalités d’épargne apparaissent également entre générations. Plus exposés aux dangers du virus et sortant donc moins, les plus de soixante ans ont davantage réduit leur consommation, même hors périodes de confinement. Les ménages de plus de 60 ans, qui ont davantage tendance à posséder de l’épargne financiarisée, ont par ailleurs bénéficié de la hausse des cours boursiers en 2020. De la même façon, les plus de 40 ans, qui ont généralement des revenus salariaux supérieurs et des emplois moins exposés que les plus jeunes, ont eux aussi davantage mis de côté. L’épargne accumulée pendant les périodes de confinement se trouve donc principalement entre les mains des ménages riches et âgés.

La réponse du gouvernement pour relancer la consommation

Afin de relancer la croissance de l’économie française, le gouvernement souhaite transformer cette épargne inactive, généralement accumulée sur des comptes courants et des livrets d’épargne, en consommation des ménages. En effet, avec la levée des restrictions sanitaires, la consommation devrait constituer le moteur de la reprise économique en France, dont la dépense de ces dizaines de milliards épargnés serait alors un levier important. Cependant, la répartition de cette épargne ne paraît pas optimale, puisqu’elle est détenue principalement par des personnes riches et âgées, dont la propension marginale à consommer, c’est-à-dire la probabilité de consommer plus, est relativement faible.

L’idée, avancée notamment par Bruno Le Maire, est donc de faire circuler cet argent à destination des jeunes, dont l’épargne accumulée a été plus faible en 2020 et qui dépenseraient ou investiraient cet argent de manière plus importante que leurs aînés. À cette fin, la piste évoquée vise à encourager les transmissions d’argent entre générations par un allègement de la fiscalité des droits des donations : de nouvelles exemptions pourraient être mises en place et les niveaux d’abattement seraient relevés. Cette mesure aurait également pour but de compenser les sacrifices auxquels les jeunes se sont astreints pendant la crise sanitaire pour protéger en premier lieu les personnes âgées : « Ça me paraîtrait juste. Les jeunes sont ceux qui ont le plus trinqué dans cette crise » indique ainsi le ministre de l’Économie.

Le gouvernement souhaite donc poursuivre une opération entamée à l’été 2020 : face à l’urgence de la crise, la majorité présidentielle avait voté une réduction d’impôt sur les donations sous la forme d’un abattement supplémentaire. Supposée temporaire, elle devait normalement s’arrêter en juin 2021. Mais elle sera vraisemblablement prolongée…

Des donations déjà largement défiscalisées, au bénéfice des plus riches

Cette proposition gouvernementale défiscaliserait donc encore davantage les donations, pourtant déjà largement exonérées d’impôt en France. Dans un entretien à LVSL, l’économiste Nicolas Frémeaux rappelait ainsi qu’ « environ 85-90 % des transmissions en ligne directe, entre parents et enfants, sont exonérées ». Les enfants peuvent en effet recevoir jusqu’à 100 000 euros par parent sans avoir à payer d’impôt sur cette donation, avec une remise à zéro du compteur tous les 15 ans. Depuis l’été 2020, les parents peuvent même donner 100 000 euros supplémentaires non imposables à leurs enfants pour créer ou développer leur entreprise, ou pour construire ou rénover leur résidence principale. Et 31 865 euros peuvent s’ajouter via des dons familiaux de sommes d’argent pour chaque parent et grand-parent. Au total, un couple avec deux enfants peut donc transmettre en une seule fois près d’un million d’euros en toute franchise d’impôt !

Alors oui, les jeunes ont « trinqué ». Mais pas celles et ceux qui peuvent déjà recevoir 463 730 euros « seulement » de leurs parents (pour chacun des parents, 100 000 + 100 000 + 31 865 = 231 865 euros ; à noter que certains de ces abattements sont en plus remis à zéro au bout de 15 ans, ce qui permet aisément au cours d’une vie de transmettre plus d’un million à chacun de ses enfants en toute franchise d’impôt), auxquels peuvent s’ajouter 127 460 euros des grands-parents (31 865 euros pour chacun des grands-parents), soit un total de près de 600 000 euros en toute franchise d’impôt ! Une étude de l’institut Élabe a montré qu’un jeune sur deux a réduit ses dépenses alimentaires ou sauté un repas au deuxième semestre de 2020, souvent parce que ses parents n’ont pas pu l’aider. Changer la fiscalité des donations ne résoudra aucunement les problèmes de précarité de la jeunesse. En effet, selon le laboratoire d’idées Intérêt général, les trois quarts des ménages n’ont jamais reçu de donations et plus de la moitié s’attend à ne jamais recevoir ni héritage, ni donations. Les jeunes en difficulté économique font partie de cette catégorie pour laquelle les modalités de taxation des donations importent peu, les parents n’ayant malheureusement aucun patrimoine à transmettre.

En favorisant les dons entre générations, les mesures proposées par le gouvernement auront pour seule conséquence de faire circuler le patrimoine entre les « vieux riches » et les « jeunes riches ».

Par ailleurs, l’efficacité économique d’une telle mesure apparaît très incertaine. Les jeunes héritiers qui bénéficieraient de ces donations supplémentaires ne transformeraient pas ce nouvel afflux d’épargne en consommation, mais auraient davantage tendance à augmenter encore leur patrimoine. Loin d’être dans le besoin, ces jeunes investiraient l’argent en immobilier ou sur les marchés financiers, comme le fait déjà une partie d’entre eux, creusant encore plus les inégalités au sein des générations. De plus, un cadeau fiscal sans contrepartie pour relancer la consommation des jeunes riches n’assure pas que ces dépenses s’inscrivent dans une logique de croissance économique durable. En favorisant les dons entre générations, les mesures proposées par le gouvernement auront pour seule conséquence de faire circuler le patrimoine entre les « vieux riches » et les « jeunes riches ».

En outre, les donations sont davantage reçues par les jeunes hommes que par les jeunes femmes, comme le montrent les travaux de Céline Bessière et Sibylle Gollac, également interrogées dans nos colonnes. Augmenter la défiscalisation des donations renforcerait donc les inégalités de genre existant déjà au sein de la jeunesse, tout en créant un effet d’aubaine pour les plus riches.

La nécessité d’une fiscalité redistributrice

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, l’allègement de la fiscalité des donations ne permettra donc pas le rebond de la consommation ; pour cela, il faudrait plutôt prendre des mesures ciblant les classes populaires et moyennes. Si ces dernières épargnent, c’est surtout en raison d’un profond déficit de confiance en l’avenir : les incertitudes autour du chômage en hausse, de la situation sanitaire ou environnementale n’incitent pas les classes moyennes à dépenser leur argent. Dans ces circonstances, on comprend leur volonté de se protéger de futures menaces pour leur niveau de vie. Pour restaurer cette confiance et leur consommation, le gouvernement doit leur montrer un soutien particulièrement fort, en garantissant par exemple la prolongation du chômage partiel, un maintien élevé des allocations chômage, la création d’emplois publics et de projets d’investissement pour renforcer l’emploi dans les entreprises de manière compatible avec la transition écologique. Tout l’inverse de la direction prise actuellement. Ce sont pourtant les conditions pour stimuler la consommation des classes moyennes, en mobilisant notamment l’épargne accumulée.

Pour les ménages les plus pauvres, la situation économique est plus compliquée encore puisqu’ils n’ont pas du tout pu épargner pendant la crise sanitaire. Face à la hausse de la précarité engendrée par la crise, un soutien financier supplémentaire apparaît nécessaire, soutien dont il est certain qu’il sera réinjecté sous forme de consommation dans la relance de l’économie française. Puisque, par ailleurs, des milliards ont été épargnés par les plus riches et ne contribuent pas à la reprise économique, la fiscalité redistributive apparaît à la fois efficace économiquement et juste socialement. Des économistes, tels que Thomas Piketty, défendent une meilleure circulation des montants épargnés, non pas à destination uniquement des jeunes les plus aisés comme le propose le gouvernement, mais à destination de tous les jeunes. Cela répond avant tout à un enjeu de justice sociale : pourquoi les seuls jeunes à s’en sortir seraient ceux ayant la chance d’être bien nés ?

Ce soutien pourrait par exemple prendre la forme de « chèques verts », défendus par les économistes Daniel Cohen, Philippe Martin, Madeleine Péron et Thierry Pech : avec ces chèques « valables pour une période limitée permettant d’acheter exclusivement des biens et services jugés respectueux de l’environnement », la consommation des ménages les plus modestes pourrait être stimulée de manière compatible avec la transition écologique. Une taxe unique sur l’épargne accumulée par les ménages les plus aisés pendant les confinements, redistribuée aux plus pauvres, pourrait donc mieux répondre aux objectifs du gouvernement de reprise de la consommation qu’un allègement de la fiscalité sur les donations.

Taxer l’épargne COVID pour la redistribuer répond avant tout à un enjeu de justice sociale : pourquoi les seuls jeunes à s’en sortir seraient ceux ayant la chance d’être bien nés ?

Au contraire de la proposition du gouvernement qui s’apparenterait à un nouveau cadeau aux plus riches, une autre réforme de la taxation des transmissions est envisageable, à la fois plus juste et plus efficace économiquement. En premier lieu, il s’agirait d’harmoniser la fiscalité des donations et des héritages, pour prendre en compte l’ensemble des sommes reçues tout au long de la vie par une même personne, comme le détaille la note numéro 11 du laboratoire d’idées Intérêt général. Les montants transmis pourraient alors être exonérés d’impôt jusqu’à 117 000 euros (patrimoine net médian), puis taxés progressivement au-delà. De plus, le barème actuel est grevé de diverses exonérations, qui ne profitent qu’aux plus riches, puisqu’elles ne s’appliquent que pour des montants de transmissions élevés ; ces niches fiscales devraient simplement être supprimées. Même les « Jeunes avec Macron » proposent de taxer davantage les gros héritages, à rebours des propositions de leur ministre de l’économie !

Le barème progressif permettrait de récolter des recettes fiscales supplémentaires, de façon à les redistribuer à la jeunesse durement frappée par la crise. Un collectif de chercheurs, parmi lesquels Thomas Piketty et Camille Herlin-Giret, a par exemple proposé de financer un RSA jeunes avec de telles mesures. En outre, cette réforme correspondrait à l’efficacité économique recherchée par le ministre de l’Économie : si l’épargne, les donations et l’héritage étaient davantage imposés, les gros épargnants seraient en effet plus incités à consommer leur argent, ce qui le ferait circuler dans l’économie. Les sommes prélevées seraient redistribuées à tous, favorisant l’économie française, réduisant les inégalités de patrimoine et améliorant la condition financière des ménages les plus modestes. Il s’agirait d’une réforme juste et efficace, à l’inverse de celle actuellement proposée.

La gauche américaine à l’assaut de la justice fiscale

Manifestation des Democratic Socialists of America, Minneapolis, 2018.

Galvanisée par sa récente victoire aux élections de mi-mandat et par ses candidats à la Maison Blanche, la gauche américaine investit les débats et multiplie les propositions fiscales. Portées par les figures de proue de l’aile gauche démocrate, elles se veulent des réponses concrètes et réalistes à la problématique des inégalités, au risque d’être mises au ban par un establishment acquis à l’ultralibéralisme. Hémisphère gauche détaille les principales mesures qui peuvent éclairer le débat français. En partenariat avec Hémisphère Gauche


Le socialisme démocratique au chevet de la progressivité fiscale : retour au taux marginal d’imposition sur le revenu à 70%

« Une fois que vous arrivez au sommet — sur votre 10 millionième dollar — vous voyez parfois des taux d’imposition aussi élevés que 60 ou 70 %. Cela ne veut pas dire que les 10 millions de dollars sont imposés à un taux extrêmement élevé, mais cela signifie qu’au fur et à mesure que vous gravissez cette échelle, vous devriez contribuer davantage. »[1]

Portrait officiel de la Rep. (D) du 14e district de New-York, Alexandria Ocasio-Cortez

Schématisant de manière prosaïque la progressivité de l’impôt sur le revenu à l’antenne de CBS, Alexandria Ocasio-Cortez – surnommée AOC – a remis au cœur du débat politique un impôt dont le taux marginal maximum n’a guère plus évolué depuis les Reaganomics : de 69,125 % en 1981, celui-ci sera à 28 % au terme de son second mandat. Aujourd’hui fixé à 37% au-delà de 500 000 dollars, la jeune élue socialiste propose d’ajouter une huitième tranche à 70 % pour les revenus excédant 10 millions de dollars. Concrètement, cela signifie que la taxation des dix premiers millions resterait inchangée puisque seuls les revenus au-dessus desdits 10 millions seraient taxés à 70 %. Il nous faut remonter en 1970 pour trouver une trente-troisième et dernière tranche d’impôt fixée à 70 % pour les revenus dépassant 1,29 million de dollars, inflation prise en compte.[2]

Taux marginaux les plus élevés de l’impôt sur le revenu dans les pays riches entre 1900 et 2017 (Piketty and WID, 2014)

En dépit de ces éléments qui tendent à nuancer le qualificatif radical accolé à la proposition, cette dernière n’a pas été particulièrement bien accueillie dans les rangs du Parti démocrate. L’élu du New Jersey Bill Pascrell, qui est ex-membre du Way and Means Committee chargé des questions fiscales, a qualifié la proposition de « comique » quand l’ancien chef de file démocrate au Sénat Harry Reid s’est reposé sur l’opinion publique pour rejeter l’idée : « Nous devons être prudents parce que le peuple américain est très conservateur dans le sens où il ne veut pas d’un changement radical rapide. »[3]

Selon le think tank Tax Foundation[4], la proposition d’Alexandria Ocasio-Cortez, limitée au revenu ordinaire, rapporterait 291 milliards de dollars en dix ans. À contrario, en s’appliquant également aux revenus du capital, ce montant serait négatif les deux premières années pour aboutir, au terme de la même décennie, à 63,5 milliards de dollars. Cette différence s’explique par l’actuelle loi sur la taxation des capitaux aux États-Unis. En effet, à l’heure actuelle, les gains ne sont imposés que lorsqu’ils sont réalisés, c’est-à-dire lorsque les actifs sont vendus. Reporter une vente d’actifs permet donc de repousser d’autant le règlement de l’impôt.

Ni vraiment radicale, ni vraiment novatrice, la taxe à 70 % qu’appelle de ses vœux la jeune élue socialiste du quatorzième district de New York a le mérite de remettre au cœur du débat la question de la justice fiscale tout en s’assurant, au regard de l’Histoire, de ne pas être prise en défaut sur le terrain de la constitutionnalité. Un écueil qui a agité les débats autour de la proposition d’Elizabeth Warren.

Elizabeth Warren ou l’ISF à l’américaine ?

Elizabeth Warren, sénatrice (D) du Massachusetts, en campagne à Auburn (MA), 2 novembre 2012. Photo : Tim Pierce

« Ultra-millionaire tax », c’est le nom qu’a donné Elizabeth Warren a sa proposition de taxation qui concernerait les 0,1 % des ménages les plus riches du pays, lesquels détiennent un patrimoine net égal ou supérieur à 50 millions de dollars. Divisée en deux tranches, la première impliquerait une taxation de 2 % du patrimoine dépassant les 50 millions de dollars et 3 % pour les patrimoines supérieurs à un milliard de dollars.

À titre d’exemple, un ménage qui dispose d’un patrimoine de 60 millions de dollars serait assujetti à un impôt de 2 % sur cet excédent de 10 millions de dollars au-dessus du seuil fixé à 50 millions de dollars – soit un impôt de 200 000 dollars. Quant à la deuxième tranche, un ménage qui dispose d’un patrimoine de 4 milliards de dollars paierait 2 % pour les 950 millions de dollars de la première tranche, soit 50 millions de dollars moins 1 milliard et 3 % sur les 3 milliards restants, soit un impôt de 109 millions de dollars.

Chiffré par Emmanuel Saez et Gabriel Zucman[5], ce projet d’ISF étasunien comprend également une exit tax égale à 40 % du patrimoine pour celles et ceux qui quitteraient le pays et abandonneraient leur nationalité américaine. Ainsi, l’impôt sur la fortune d’Elizabeth Warren accroîtrait les ressources de l’État fédéral d’approximativement 2750 milliards de dollars en dix ans.[6] La sénatrice du Massachussetts prend ainsi à contre-pied la majorité de l’establishment républicain et démocrate qui n’a cessé d’agiter la question morale autour de la forte taxation des plus riches. Sa version de l’ISF matérialise ainsi ce qu’elle disait dans un clip devenu viral et dans lequel elle reprenait à sa manière les arguments défendus par Thomas Nagel et Liam Murphy dans leur ouvrage The Myth of Ownership [7] :

« Il n’y a personne dans ce pays qui ne soit devenu riche par lui-même — personne. Vous avez construit une usine ici ? Tant mieux pour vous. Mais je vais être claire. Vous mettez vos marchandises sur le marché en utilisant les routes que nous autres avons financées. Vous embauchez de la main d’œuvre dont nous autres avons financée l’éducation. Vous êtes en sécurité dans votre usine parce que nous autres finançons une police et des pompiers. Vous n’avez pas à vous inquiéter des bandes de maraudeurs qui pourraient venir et tout vous prendre — et embaucher quelqu’un pour vous protéger contre cela — en raison du travail que nous autres avons accompli. »[8]

À sa manière, Elizabeth Warren prend à contre-pied une antienne que les deux philosophes qualifient de « libertarianisme de tous les jours », à savoir que la taxation est un vol et que le gouvernement use de la coercition pour spolier les individus de leur propriété. À cela, Nagel et Murphy rétorquent que « Les citoyens ne possèdent rien autrement que grâce aux lois promulguées et appliquées par l’État ». Toutefois, si la question fiscale restera au cœur des débats entre sociaux-démocrates et libertariens, respectivement tenants du positivisme et du jusnaturalisme, la taxe Warren n’échappe pas non plus aux nombreuses questions de constitutionnalité.

En effet, bien que validée par des constitutionnalistes réputés comme Ackerman ou Alstott[9], la proposition phare de Warren soulève selon les voix contemptrices de nombreux risques d’inconstitutionnalité. Dans un article du Washington Post daté du 15 février 2019, Jonathan Turley, professeur de public interest law à l’université George Washington et proche du parti libertarien, s’appuie sur la décision historique de la Cour suprême Pollock c. Farmers’ Loan and Trust Company pour démontrer l’inconstitutionnalité de l’impôt sur la fortune proposé par Elizabeth Warren. Déclarant contraire à la Constitution le Income Tax Act de 1894, la décision Pollock sera ensuite contournée par la promulgation du seizième amendement de la Constitution des États-Unis, lequel autorise le gouvernement fédéral à collecter un impôt sur le revenu. Ainsi, selon le professeur Turley, la proposition Warren « constituerait une expansion radicale de l’autorité fiscale fédérale ». L’avis de M.Turley reste toutefois hypothétique, puisqu’il reconnaît qu’une présidence Warren pourrait s’assurer d’une majorité à la Cour suprême afin de valider la proposition. Dans leur lettre, les constitutionnalistes consultés par Warren avancent que le gouvernement fédéral a le pouvoir de « fixer et de percevoir des impôts […] pour la défense commune et le bien-être général des États-Unis ».

Bernie Sanders, l’héritage en ligne de mire

Bernie Sanders, sénateur (I) du Vermont, NYC, 18 septembre 2015. Photo : Michael Vadon

Outre des propositions désormais classiques comme la taxe sur les transactions financières de 0.5% sur les actions et de 0.1% sur les obligations, proposée conjointement avec Kirsten Gillibrand, le sénateur du Vermont et candidat à la Maison Blanche a ouvert outre-Atlantique un débat lancé en France par Terra Nova[10] : celui de la taxation de l’héritage.

Taux marginaux les plus élevés de l’impôt sur les successions dans les pays riches entre 1900 et 2017 (Piketty and WID, 2014)

Voulant renouer avec les taux des années 1941 à 1976, le candidat démocrate socialiste ferme le ban d’une gauche américaine devenue offensive sur la question de la justice fiscale. Bernie Sanders a ainsi présenté, mardi 29 janvier, sa proposition sur l’estate tax, laquelle prévoit quatre tranches d’imposition.

Couplée à une taxe sur le patrimoine immobilier supérieur à 3,5 millions de dollars, cette proposition fait office de rempart contre la concentration des richesses et la société d’héritiers, d’outil de lutte contre les inégalités et en faveur de l’égalité au point de départ. L’impôt sur les successions est tout à la fois un instrument de justice sociale pour la gauche et un impôt sur la mort pour la droite.

Dans cette même optique, Sanders prône une limitation des rachats d’actions par les entreprises qui n’augmentent pas les salaires de leurs employés. Cette pratique, qui vise in fine à augmenter la richesse des actionnaires, nuit de fait durablement à l’investissement productif des entreprises ainsi qu’à la dynamique salariale. Cette contrainte, immédiatement attaquée par L. Blankfein, ex-PDG de la banque Goldman Sachs, qui inciterait les entreprises à augmenter la rémunération de leurs employés plutôt que celles de leurs actionnaires, porte en elle-même une critique plus profonde du fonctionnement du capitalisme financier actuel, tel que décrit par T. Auvray dans son ouvrage L’entreprise liquidée.

Rompant avec ce débat qui agite les deux hémisphères de la classe politique, l’économiste Branko Milanovic appelle de ses vœux de nouveaux instruments pour lutter contre les inégalités[11] et l’économiste Anthony Atkinson a formulé l’idée d’un revenu de base – basic income[12] qui fait encore débat tant sur la question de sa moralité que sur son hypothétique financement. La plateforme française Hémisphère Gauche, plus récemment, a quant à elle plaidé pour l’instauration d’un Patrimoine républicain qui offrirait à chaque personne devenue majeure les moyens de réaliser ses projets, dans une optique de « asset-based welfare ».

Ce que la droite américaine voit comme un « agenda radical » n’est, au final, qu’un ensemble de propositions ambitieuses qui utilise des instruments éprouvés. La gauche peut néanmoins s’appuyer sur la popularité du trio AOC/Warren/Sanders pour porter une vision morale de l’imposition progressive et, à terme, mettre au cœur du débat politique outre-Atlantique des propositions novatrices. C’est peu ou prou ce qu’a commencé à faire Alexandria Ocasio-Cortez avec son Green New Deal, sur lequel Hémisphère gauche reviendra prochainement.


[1] 60 Minutes, CBS News
[2] Personal Exemptions and Individual Income Tax Rates, 1913-2002, IRS.gov
[3] Harry Reid unplugged, The Nevada Independant
[4] 70% tax analysis, Tax Foundation
[5] Lettre d’Emmanuel Saez et Gabriel Zucman à Elizabeth Warren, 18 janvier 2019
[6] Ibid.
[7] AOC’s 70% Tax plan is just the beginning, Jacobinmag.com
[8] Elizabeth Warren on debt crisis, fair taxation. Youtube.com
[9] Constitutionality letters, Warren.senate.gov
[10] Réformer l’impôt sur les successions, Terra Nova, 4 janvier 2019
[11] Branko Milanovic in Global inequality: a new approach for the age of globalization
[12] Sir Anthony Atkinson in Basic Income: Ethics, Statistics and Economics

“Moins de taxes”, “plus d’État” : deux revendications complémentaires

Une émeute à Londres en 1990 contre la “poll tax” de Margaret Thatcher. © James Bourne

Né spontanément et toujours largement soutenu, le mouvement des gilets jaunes a révélé au grand jour un sentiment d’exaspération fiscale d’une large partie du pays qui couvait depuis longtemps. Les radars, les péages autoroutiers, les banques … Tous ces symboles d’un racket institutionnalisé ont été attaqués par les gilets jaunes. La sociologie de ce mouvement confirme que les gilets jaunes sont avant tout des précaires, chez qui la contestation de l’impôt est la plus forte et non seulement des petits patrons ou routiers comme c’était le cas des bonnets rouges. Cette révolte fiscale légitime, qui s’apparente à celles du Moyen Âge et de l’Ancien Régime, doit nous interroger sur la structure de plus en plus inégalitaire de notre fiscalité. Faute de quoi, le civisme fiscal pourrait bien être sérieusement remis en question.


Dans un ouvrage prémonitoire – Résistances à l’impôt, attachement à l’État. Enquête sur les contribuables français publié en septembre 2018, le sociologue Alexis Spire explique le « ras-le-bol fiscal » des classes populaires par trois types de raisons : la difficulté accrue à frauder le fisc, la montée en puissance des impôts proportionnels comme la TVA et la taxe sur les carburants et l’incapacité à bénéficier de la grande majorité des crédits d’impôts. Selon lui, « Pour ces contribuables, ce sont essentiellement la TVA, la CSG, la redevance télévisuelle et les taxes sur les carburants qui constituent l’essentiel de leurs prélèvements et, dans ces cas-là, il n’y a guère d’accommodements ou de dispositifs dérogatoires ».

Certes, les plus défavorisés échappent à certains impôts – dont celui sur le revenu qui  touche moins d’un Français sur deux – mais ils subissent de plein fouet les hausses de ces taxes. Dans le même temps, ils constatent la fraude en col blanc rendue célèbre par les affaires Cahuzac, Luxleaks, Panama Papers, etc., et réalisent le deux-poids-deux-mesures de l’administration fiscale. Le système fiscal et social français est également peu redistributif, comparé à d’autres pays européens, en particulier pour les ménages au niveau de vie situé entre 1200 et 1600 euros par mois et par personne  – c’est-à-dire globalement entre le SMIC et le salaire médian, selon une étude du CREDOC de 2013. Il n’est donc guère surprenant d’apprendre que les employés, ouvriers et autres populations plutôt précaires se soient mobilisées en premier parmi les gilets jaunes.

©CREDOC

En ce qui concerne les classes moyennes, elles subissent certes les hausses de taxes, mais les nombreuses niches fiscales – rénovation thermique, emplois à domicile, dons etc. – leur permettent de réduire leur imposition, ce qui rend la critique de la fiscalité beaucoup moins importante auprès de cette population. Selon Spire, « les contribuables bénéficiant d’au moins une niche fiscale ont 1,4 fois moins de chances que ceux qui n’en bénéficient pas d’estimer que « la France est un pays où l’on paie trop d’impôts ».

Pourtant, la critique de l’impôt est également présente dans la classe moyenne, notamment pour décrier que tous les foyers en dessous de 9807 euros par part ne paient pas l’impôt sur le revenu. Contre cette sempiternelle critique, il faut pourtant rappeler que pour les plus démunis, chaque euro compte et que la machinerie bureaucratique à mettre en place pour récupérer quelques euros de plus chez ces millions de Français exemptés de l’impôt sur le revenu rapporterait bien moins qu’elle ne risque de coûter.

En réalité, l’impôt sur le revenu, qui ne compte que quatre tranches d’imposition, ne représente qu’environ un quart des recettes de l’État, soit 72 milliards d’euros. La TVA, impôt indirect car acquittée tout au long de la revente de biens et de services, fournit à elle seule la moitié du budget de l’État ! Cet impôt dégressif, établi à différents taux fixes proportionnels au prix de vente, a connu plusieurs hausses majeures depuis sa création en 1954 et son taux normal évolue autour des 20% depuis déjà une vingtaine d’années.

Pour des dirigeants politiques néolibéraux à la recherche de nouvelles recettes fiscales, il risque d’être tentant d’augmenter la TVA tant la consommation est immobile dans nombre de domaines et ce d’autant que le taux normal de 20% demeure en dessous de la plupart de ceux de nos « partenaires européens ». L’Autriche et l’Italie envisagent par exemple des hausses de taux de TVA. Et en Hongrie, où il n’existe qu’une seule tranche d’impôt sur le revenu, à 15%, et où l’impôt sur les sociétés est un des plus bas de l’Union européenne, le taux de TVA atteint le record de 27% !

©CREDOC

Sur le long terme et notamment depuis le tournant néolibéral des années 1980, la tendance est incontestablement à la hausse de l’imposition indirecte – c’est-à-dire perçue par l’État au travers d’un tiers – et forfaitaire – c’est-à-dire des sommes fixes pour tous les individus, comme les timbres fiscaux, le coût du permis de conduire ou de certaines vignettes obligatoires – et à la baisse de l’imposition directe. L’explication est simple : la suppression ou la baisse d’impôts directs, comme la taxe d’habitation ou l’impôt sur le revenu est une mesure aisément perceptible par les électeurs désireux de davantage de pouvoir d’achat. L’autre objectif souvent mis en avant est celui de la compétitivité via l’abaissement du coût du travail et l’encouragement à l’investissement, à travers la baisse de l’impôt sur les sociétés et la suppression de l’ISF.

Sur le long terme, et notamment depuis le tournant néolibéral des années 1980, la tendance est incontestablement à la hausse de l’imposition indirecte et forfaitaire et à la baisse de l’imposition directe.

La suppression d’impôts progressifs et l’instauration d’impôts proportionnels se retrouvent, sans surprise, dans la politique d’Emmanuel Macron. C’est le cas avec la suppression de la taxe d’habitation qui n’était d’ores-et-déjà pas appliquée à bon nombre de ménages et bénéficiera donc excessivement aux ménages les plus aisés. Selon l’enquête d’Alexis Spire, c’est avant tout la taxe foncière qui est décriée pour son caractère injuste puisqu’elle s’applique à tous de la même manière, peu importe les revenus et l’endettement, souvent nécessaire pour devenir propriétaire.

En outre, le barème sur lequel se fondent la taxe d’habitation et la taxe foncière n’a pas été mis à jour depuis 1970, donnant lieu à des inégalités aberrantes : certains immeubles décrépis des centres-villes – depuis rénovés en appartements cossus – sont couramment assujettis à une taxe foncière plus faible que des immeubles type « grands ensembles » qui bénéficiaient à l’époque de tout le confort moderne. Guère étonnant que les enquêtés interrogés par Spire jugent cette dernière bien plus durement que la taxe d’habitation.

De même, Macron a choisi d’introduire une flat tax au taux unique de 30% sur les revenus du capital dès sa première année au pouvoir. Une mesure qui risque de coûter jusqu’à dix fois ce qui était initialement annoncé et qui taxe moins les revenus du capital que ceux issus du travail. Un comble pour un gouvernement qui dit se battre « pour que le travail paie », une vraie inégalité pour les Français les plus pauvres qui n’ont aucune épargne et placements. Ce nouvel impôt proportionnel, sous couvert d’égalité de traitement, impose jusqu’à moitié moins les plus gros patrimoines, alors que ceux qui ont souscrit à des plans d’épargne-logement (PEL) et ou à de l’assurance-vie sont davantage imposés.

Ces fortes inégalités entre petits et gros se retrouvent aussi entre entreprises : il est de notoriété commune que les grandes entreprises, grâce à des montages fiscaux très élaborés, échappent à presque tout impôt sur les sociétés. D’ailleurs, lorsque des grands groupes grossissent via des fusions ou des rachats de concurrents, ils prennent souvent soin de déménager le siège social de l’entreprise là où l’imposition est la plus faible, tel le cimentier Lafarge, qui, lors de sa fusion avec Holcim en 2015, a déplacé son siège en Suisse. Sans volonté politique réelle de combattre l’évasion fiscale, l’État a tenté différentes approches toutes aussi vaines les unes que les autres : pointer du doigt les fraudeurs dans le discours public, négocier des accords creux au niveau international, ou cette année la création d’une police fiscale de… 50 agents, alors même que le nombre de contrôles fiscaux est en chute libre depuis des années.

Par ailleurs, les retards de paiement constituent, loin devant le coût du travail ou la baisse des ventes, la première cause des problèmes de trésorerie des PME, venant remettre en cause le discours anti-fiscalité. Désormais, le gouvernement ne souhaite plus s’embarrasser avec des contrôles rigoureux des montages financiers des multinationales, mais préfèrent négocier à l’amiable avec les fraudeurs, qui n’ont même plus à faire face à un procès public et à reconnaître leur culpabilité. Dans la pratique, tous les enquêtes instruites ne donnent même pas lieu à des perquisitions et l’amende négociée est systématiquement plus faible que l’impayé dû à l’État.

Cette fiscalité à deux vitesses entre TPE-PME et grandes entreprises se retrouve aussi au niveau de la capacité à bénéficier des avantages fiscaux, de manière similaire au phénomène d’injustice fiscale décrit par Alexis Spire pour les ménages. Ainsi, le Crédit Impôt Recherche, dont le coût a explosé depuis sa réforme par Nicolas Sarkozy, bénéficie outrageusement plus aux grandes entreprises qu’aux plus petites et finance des innovations dont l’usage réel a lieu à l’étranger. Cette niche fiscale unique au monde par son laxisme encourage également la fraude, qui représenterait environ 15% des montants reversés par l’État et ne parvient même pas à stopper des destructions d’emplois dans la recherche comme chez Intel ou chez Sanofi. Pourtant, alors que ce soutien financier massif et inégalitaire aux entreprises n’est pas du tout efficace, aucune réforme n’aboutit depuis des années.

Si la baisse de la fiscalité a permis de séduire une partie de l’électorat populaire, notamment dans le cas de Nicolas Sarkozy en 2007, rien n’assure que cette stratégie perdurera sur le long terme.

Pour la France en déclassement ou proche de l’être, la pression fiscale est donc devenue une préoccupation clef. Du point de vue de la droite, cette réticence à l’impôt des classes populaire est une aubaine, car elle permet de mettre en avant son agenda de baisses d’impôts et donc de la supposée hausse du pouvoir d’achat qui en découle. Comme le note le sociologue Alexis Spire « En 2007, le slogan de M. Nicolas Sarkozy « Travailler plus pour gagner plus » et son projet de défiscalisation des heures supplémentaires ont séduit de nombreux employés et ouvriers ». Une stratégie électorale payante, imitée par Emmanuel Macron en 2017 par la promesse de la suppression de la taxe d’habitation, puis dans ses réponses aux gilets jaunes, via la défiscalisation des primes exceptionnelles versées par les rares entreprises prêtes à consentir ce geste.

Des gilets jaunes bloquant un McDonalds pour protester contre l’évasion fiscale à Grenoble le 15 décembre 2018.

Si la baisse de la fiscalité a permis de séduire une partie de l’électorat populaire, notamment dans le cas de Nicolas Sarkozy en 2007, rien n’assure que cette stratégie perdurera sur le long terme. En effet, le mouvement des gilets jaunes, s’il émerge autour d’une revendication fiscale, fait souvent le lien entre fiscalité élevée et évasion fiscale ou suppression de l’ISF ou de l’exit tax. Pas sûr que la stratégie sarkozyste soit encore efficace après les innombrables scandales d’évasion et de fraude : Panama Papers, Luxleaks, Paradise Papers, Football Leaks…

L’une des mesures fiscales marquantes de Nicolas Sarkozy, le bouclier fiscal – qui plafonne le taux d’imposition des contribuables – aura certes aidé quelques contribuables modestes mais propriétaires soumis à une forte taxe foncière et d’habitation, mais ceux-ci n’auront récupéré que 1% du montant de ce bouclier conçu pour les super-riches.

Les opérations de péage autoroutier gratuit, les blocages de certaines banques ou de lieux appartenant à des entreprises ne payant pas ou très peu d’impôts un peu partout en France témoignent de la prise de conscience du racket des contribuables par une partie du secteur privé qui se soustrait à l’impôt. De même, la méfiance, puis le sentiment d’être « pris pour des imbéciles » de nombreux gilets jaunes suite aux annonces du Président, semble indiquer que l’anti-fiscalisme le plus primaire ne suffira pas à éteindre l’incendie. Au-delà du dégagisme et des rumeurs de listes électorales de gilets jaunes pour s’opposer au bloc bourgeois réuni autour d’Emmanuel Macron, le mouvement des gilets jaunes, première grande révolte fiscale du XXIème siècle, est donc surtout l’expression d’une exigence de justice fiscale et sociale.

Gilets jaunes : Le soulèvement de la France d’en-bas

Le mouvement des gilets jaunes se résumerait-il à une “grogne” des Français moyens, qui regardent Auto-Moto et Téléfoot le week-end en attendant le retour de la saison des barbecues ? C’est l’image qu’en donne la majorité des médias et des commentateurs politiques. Cette “grogne” n’est en réalité que la partie émergée d’un iceberg : celui d’une crise profonde qui fracture la société et le territoire français.


Lorsque les journalistes de C’est à Vous ont demandé à Jacline Mouraud ce qui pouvait apaiser la colère dont elle s’était faite la porte-parole, celle-ci avait répondu qu’il fallait que le président « rétablisse l’ISF ». Dès lors, les médias, commentateurs et analystes qui n’avaient vu dans la journée du 17 novembre que la manifestation d’une révolte contre la hausse du prix du diesel ont soit feint de ne pas comprendre ce qui se passait réellement, soit témoigné une fois de plus de la déconnexion entre le peuple et ses élites – alors même que Benjamin Griveaux s’illustrait dans la maladresse en voulant réconcilier le “pays légal” et le “pays réel”, pensant paraphraser Marc Bloch alors qu’il citait en réalité Charles Maurras.

Tout d’abord, le prix du gasoil à la pompe a bien augmenté de 23% et le prix de l’essence de 14% à cause de l’envolée du prix du baril de pétrole cette année ; cela est indéniable. Que les Français se préparent, l’essence et le gasoil verront encore leur prix augmenter au 1er janvier 2019 (la première sera taxée 4 centimes de plus au litre et 7 centimes pour le second). Le tout pour prétendument financer l’écologie et la transition énergétique comme se sont plu à le marteler les membres du gouvernement.

Premier problème, Libération a montré que dans le prochain budget, 1 milliard d’euros supplémentaires viendraient financer des mesures écologiques : sauf que cela demeure quatre fois moins important que les hausses de taxes prévues par le gouvernement. Les Français seraient donc taxés sans savoir à quoi sert leur argent ? Pire : le gouvernement se servirait de la question de la transition énergétique pour prélever davantage d’argent à une population qui paye toujours plus, sans faire preuve de la moindre transparence.

L’essence n’est pourtant que « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », comme l’ont martelé les gilets jaunes et les soutiens du mouvement pour tenter de se légitimer dans un débat où le simple fait de n’être issu d’aucune organisation politique, de vouloir bloquer un village ou un segment de route, suffisait à jeter l’opprobre sur le bien-fondé du mouvement et donnait l’autorisation aux commentateurs d’user des termes de « beauf » ou de « Français moyen » encore et encore.

Le carburant n’est que l’élément déclencheur de la colère d’un peuple qui subit depuis 20 à 30 ans des réformes économiques désastreuses.

Injustice et incompréhension : les piliers du 17 novembre

Non, mesdames et messieurs les commentateurs, alliés du pouvoir, les gilets jaunes ne sont pas uniquement des beaufs qui se promenaient une canette de bière à la main dès samedi matin sur leur rond-point communal comme certains ont tenté de le faire croire sur les réseaux sociaux. Le problème est bien plus profond.

Oui, mesdames et messieurs les commentateurs, les Françaises et les Français sont pour la plupart dépendants de leur voiture et ont besoin de rouler. La faute à qui ? A quoi ? A ceux qui ont encouragé par des politiques urbaines insensées et polluantes la déconnexion du lieu de vie et du lieu de travail. A ceux qui ont pensé que dévitaliser les métropoles pour construire des supermarchés en-dehors des villes était une idée viable et pérenne.

Oui, mesdames et messieurs, il serait bien que l’usage de la voiture diminue en France. Proposez d’abord aux Françaises et aux Français des moyens de transport alternatifs : nationalisez la SNCF au lieu de la démanteler, re-densifiez le réseau du rail français, développez les transports en commun sur de larges amplitudes horaires…

Tant que nous y sommes, si vraiment vous tenez à l’avenir de la planète, interdisez les vols intérieurs, puisque 20% des vols quotidiens sont des vols métropolitains et qu’un trajet en avion émet quarante fois plus qu’un trajet en train. Somme toute, permettez à ceux que vous vous plaisez à mépriser de se déplacer autrement, ensuite nous discuterons des taxes sur l’essence.

Un révélateur des fractures françaises

Surtout, c’est ce qui reste du consentement à l’impôt qu’Emmanuel Macron est en train de briser, il est le principal responsable du ras-le-bol fiscal actuel. Contrairement à ce que prétendent ceux qui font une analogie rapide avec le poujadisme, ce n’est pas pour moins d’Etat que se battent les gilets jaunes. Au contraire. A refuser de comprendre cela, les élites refusent de voir la dislocation de la société qui se prépare. Alexis Spire, directeur de recherche au CNRS et auteur de Résistances à l’impôt, attachement à l’Etat a mené une enquête sur 2 700 contribuables.

Il démontre que c’est le rapport à l’Etat et aux services publics qui traverse aujourd’hui une crise profonde. Ceux qui se situent « en bas de l’échelle » ne voient en effet plus la contrepartie de ce qu’ils payent. Ce n’est donc pas par hasard que le mouvement a pris forme dans les villes moyennes et les zones rurales. Ce sont ces territoires qui ont pâti de la dégradation des services publics organisée par les gouvernements successifs depuis maintenant plus d’une décennie. A fermer les hôpitaux, les tribunaux, les gares, c’est la contrepartie même de l’impôt qui n’est plus tangible et donc le sentiment de redevabilité qui s’estompe.

“Avec la disparition des services publics de proximité, la crise de confiance qui est placée en ces derniers, les politiques de dérégulation, c’est cette redevabilité qui s’effrite : pourquoi payer si on ne sait pas où va l’argent ?”

C’est un type de relation sociale qui est en danger. Mauss fondait son contrat social sur la logique de don/contre-don, c’est pour lui le principe de réciprocité qui fonde l’appartenance à une société : « une prestation obligeant mutuellement donneur et receveur et qui, de fait, les unit par une forme de contrat social ».

Ce n’est pas de l’altruisme, il rend en fait redevable celui qui reçoit. Mauss écrit ainsi que « le travailleur a donné sa vie et son labeur à la collectivité d’une part, à ses patrons d’autre part. (…) L’Etat lui-même, représentant la communauté, lui doit, avec ses patrons et avec son concours à lui, une certaine sécurité dans la vie, contre le chômage, contre la maladie, contre la vieillesse, la mort » (Essai sur le don).

La collecte de l’impôt par l’Etat nourrit un monopole : si un citoyen accepte de donner, c’est en attente d’une protection et de services. L’Etat est redevable. Avec la disparition des services publics de proximité, la crise de confiance qui est placée en ces derniers, les politiques de dérégulation, c’est cette redevabilité qui s’effrite : pourquoi payer si on ne sait pas où va l’argent ?

A cette injustice s’ajoute un sentiment de décalage sur fond de scandales fiscaux qui creusent la fracture entre le peuple et une élite privilégiée, chouchoutée par le gouvernement. Rappelons-nous : en musique de fond de la vie politique, l’affaire Bettencourt, l’affaire Thévenoud, l’affaire Cahuzac. Plus grave encore : la suppression de l’ISF et la baisse des cotisations sociales.

Souvenons-nous encore : en octobre 2017, c’était « la fin d’un totem vieux de 35 ans, qui était devenu inefficace et complexe » selon Bruno Le Maire ; c’était la fin de l’Impôt sur la Fortune, originellement appelé impôt de solidarité sur la fortune. Cet impôt progressif puisait ses fondements dans l’impôt de solidarité nationale assis sur le capital crée en 1945 pour ensuite voir renaître l’impôt sur les grandes fortunes en 1982 sous l’égide du gouvernement Mauroy. Crée en 1989, l’ISF avait pour finalité de financer le revenu minimum d’insertion (RMI). Il était basé chaque année sur la valeur du patrimoine des personnes imposées et avait par exemple rapporté 4,2 milliards d’euros en 2008, c’est-à-dire 1,5% des recettes de l’Etat.

Quand François Ruffin avait déclaré à l’Assemblée nationale que le gouvernement prenait « aux pauvres pour donner aux riches » et que c’était « eux les violents, la classe des riches », Amélie de Montchalin, députée LREM indiquait que cette mesure n’était « pas un cadeau » mais « un pacte pour l’investissement, que les entreprises trouvent des capitaux quand elles veulent grandir, exporter et surtout embaucher ».

Ce vœu pieu de voir un retour positif de la part des entreprises à chaque cadeau qui leur est fait est souvent plein de déception : rappelons-nous du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2012 et du pacte de responsabilité. Pierre Gattaz avait à l’époque promis que les baisses des cotisations permettraient de donner naissance à « 1 million d’emploi ». En 2017, France Stratégie évoquait une « fourchette large de 10 000 à 200 000 emplois » sauvegardés ou créés sur le quinquennat. A 800 000 ou 990 000 emplois près, la promesse était donc tenue !

Le retour de Jacques Bonhomme paysan ?

L’existence même de cette révolte populaire s’inscrit dans une filiation. Ceux qui souhaitent la discréditer limiteront la comparaison avec le poujadisme. Avec un peu de bonne volonté ou quitte à assumer la comparaison, il est possible de remonter aux jacqueries paysannes du Moyen-Age, la Grande Jacquerie de 1358 en premier lieu. Les Jacques se sont insurgés contre la noblesse et le régime seigneurial dans les campagnes.

Ces mouvements insurrectionnels durement réprimés s’opposaient notamment aux hausses d’impôt qui avaient pour objectif de financer la libération du roi Jean II qui avait été fait prisonnier par les Anglais et remettaient plus largement en cause de le fonctionnement du système seigneurial.

« On peut voir une parenté avec les jacqueries dans le sens où elles étaient des explosions populaires qui rassemblaient dans les campagnes bien au-delà des seuls travailleurs agricoles et qui n’avaient pas de représentant mandaté ni de vision cohérente de l’émancipation. Autre point commun, ces mouvements étaient dirigés contre la noblesse qui était vue comme une caste sourde aux difficultés rencontrées par le peuple », indique le sociologue Alexis Spire.

Cet épisode n’est pas le seul à puiser son origine dans les campagnes françaises. Avant la Révolution française, ces dernières sont secouées par la guerre des farines, des insurrections paysannes après de mauvaises récoles successives entre 1773 et 1774 qui avaient engendré une hausse du prix du blé. Les “jacques” avaient été réprimés. Cette question de prix demeura néanmoins la cause structurelle d’un malaise profond : pendant la Révolution, la baisse du prix du pain figurait de nouveau parmi les revendications d’une partie des révolutionnaires. Aux origines de la Révolution française, on trouve déjà les questions fiscales. Le tiers état est le seul à payer l’impôt. Il revient à la classe la plus nombreuse de nourrir et financer les extravagances de la noblesse et du clergé. Si Louis XVI convoque les Etats généraux, c’est pour obtenir le consentement à l’impôt dans un royaume accablé par sa dette.

« Une caste sourde aux difficultés rencontrées par le peuple »

Regarder plus en arrière permet de réhabiliter une démarche qui n’est pas une exception historique. Oui, les campagnes françaises, les territoires périphériques ont su à différents moments de l’histoire proposer des mobilisations.

Pendant les jacqueries, les insurgés percevaient la noblesse « comme une caste sourde aux difficultés rencontrées par le peuple » précise Alexis Spire. N’est-ce pas à un nouveau moment populiste de ce type que nous assistons aujourd’hui ?

Les 5% des ménages les plus riches paient proportionnellement moins d’impôts que les autres comme le rappellent Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez dans Pour une révolution fiscale, un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle. A l’heure où l’impôt ne joue plus son rôle de gardien de la justice sociale. A l’heure où les plus hauts revenus sont toujours moins imposés alors que ceux d’en-bas subissent une injonction à toujours plus travailler et payer. Comment en effet justifier des taxes supplémentaires alors qu’il n’y a pas de taxe sur le capital et que l’ISF a été supprimé ? Comment donner confiance par exemple aux enseignants qui voient que leur point d’indice est gelé de manière presque continue depuis 2010 et que le jour de carence a été rétabli ?

Pour pallier ce mécontentement profond et légitime qui traverse également le pays, ce sont des mesures courageuses qui devraient être pensées. Au hasard, une revalorisation du SMIC et un plafonnement des revenus les plus élevés ? Au sein d’une entreprise, le salaire le plus élevé pourrait correspondre à 20 fois le salaire le plus bas, entraînant une hausse mécanique de ce dernier si le premier devait augmenter.

Pour l’impôt sur le revenu, pourquoi ne pas envisager un barème progressif avec davantage de tranches dont la dernière serait imposée à hauteur de 100%, instaurant de fait un revenu maximum là où le taux maximum d’imposition de l’impôt sur le revenu est de 45% ! L’héritage étant vecteur d’un accaparement des ressources sans aucune autre considération que la famille d’où l’on vient, pourquoi ne pas taxer davantage les héritages au-dessus d’un certain seuil ? Pourquoi ne pas moduler l’impôt sur les sociétés, alors qu’aujourd’hui les PME paient largement plus que les grandes entreprises ?

L’association Tax Justice Network mandatée en 2012 évaluait ce manque à gagner à hauteur de 200 milliards d’euros en additionnant fraude fiscale et fraude sociale.

Surtout, pourquoi faire peser davantage de taxes qui étouffent ceux qui ont à les supporter alors que l’évasion fiscale se fait de plus en plus importante chaque année ? Selon un rapport du syndicat Solidaires-Finances publiques la fraude fiscale atteint aujourd’hui 100 milliards d’euros, soit 20 milliards de plus que ce qui avait été montré lors de la précédente étude parue il y a cinq ans. L’association Tax Justice Network, mandatée en 2012, évaluait quant à elle ce manque à gagner à hauteur de 200 milliards d’euros en additionnant fraude fiscale et fraude sociale.

Ces 100 milliards d’euros représentent 1,5 fois ce que doivent payer les Français avec l’impôt sur le revenu. Il faut ajouter, car cela n’est pas suffisant, le patrimoine off-shore détenu par les ménages. Selon l’économiste Gabriel Zuckman, « 3 500 ménages français détiendraient 50 millions d’euros chacun en moyenne à l’étranger » et concentreraient à eux-seuls une fraude de 5 milliards d’euros chaque année. Rappelons-nous ici de Patrick Mulliez qui n’avait payé en 2012 que 135 euros d’impôt à l’Etat français sur 1,68 million d’actifs qu’il possédait car il résidait dans la charmante bourgade de Néchin en Belgique.

Si Uber, Apple, la famille Mulliez (groupe Auchan) peuvent user de montages fiscaux pourtant connus de tous, les Françaises et les Français qui sont à l’origine de leurs bénéfices payent, eux. Pourquoi ne pas prendre à ces derniers ?

Pour aller plus loin :

La France des déserts médicaux – Le Monde