Venezuela : l’indulgence de la presse française pour la violence d’extrême-droite

Une voiture de la police scientifique brûle pendant une lutte manifestation anti-Maduro. en février 2014. ©Diariocritico de Venezuela. TOPSHOTS-VENEZUELA-DEMO-VIOLENCE TOPSHOTS. AFP PHOTO / LEO

Au Mexique, la prétendue guerre totale contre les cartels de drogue lancée en 2006 par le président Felipe Calderón et poursuivie par son successeur Enrique Peña Nieto aurait déjà fait entre 70 000 et 100 000 morts et disparus et le bilan macabre continue de s’alourdir. Cependant, la situation au Mexique ne fait pas les gros titres de la presse française ; c’est un autre pays latino-américain traversant une profonde crise économique, sociale et politique, qui retient l’attention des médias de masse : le Venezuela.

Quel est le ressort de cet effet médiatique de miroir grossissant sur les convulsions vénézuéliennes et d’invisibilisation des autres pays latino-américains ? C’est qu’au-delà du parti pris atlantiste de la classe dominante française, le Venezuela est également instrumentalisé à des fins de politique intérieure. Autrement dit, avec le Venezuela, le camp néolibéral fait d’une pierre, deux coups : relayer l’agenda géopolitique de Washington qui n’exclut pas une intervention militaire et donner des uppercuts à la gauche de transformation sociale (FI et PCF), quitte à banaliser l’aile la plus radicale de la droite vénézuélienne qui est aujourd’hui en position de force au sein de la MUD, la large et composite coalition d’opposition au chavisme. Il ne s’agit pas de prétendre ici que les forces de l’ordre vénézuéliennes ne seraient responsables de rien, qu’Hugo Chávez  Frías et son successeur seraient irréprochables et n’auraient commis aucune erreur, notamment en matière de diversification économique ou de lutte contre l’inflation ou bien encore que le “chavisme” ne compterait pas, dans ses rangs, des éléments corrompus ou radicaux. Il s’agit de mettre en lumière que le parti pris médiatique majoritaire en faveur de l’opposition vénézuélienne, y compris de l’extrême-droite, répond à la volonté de marteler, ici comme là-bas, qu’il n’y a pas d’alternative au modèle néolibéral et à ses avatars, pour reprendre la formule consacrée et popularisée en son temps par Margaret Thatcher, fidèle soutien de l’ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet.

 

Le Venezuela bolivarien, une pierre dans la chaussure des Etats-Unis d’Amérique

 

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez , devenu rapidement une figure mondiale de la lutte antiimpérialiste, les relations entre le Venezuela, qui dispose des premières réserves de pétrole brut au monde et les Etats-Unis d’Amérique, première puissance et plus grand consommateur de pétrole mondial, se sont notoirement détériorées. Il y a, d’ailleurs, une certaine continuité dans la politique agressive des Etats-Unis envers le Venezuela bolivarien entre les administrations Bush, Obama et Trump.  En avril 2002, le gouvernement Bush reconnait de facto le gouvernement Caldera, issu d’un putsch militaire contre Hugo Chávez  puis finit par se rétracter lorsque le coup d’état est mis en échec par un soulèvement populaire et une partie de l’armée restée fidèle au président démocratiquement élu. Du reste, le rôle des Etats-Unis d’Amérique dans ce coup d’état ne s’est pas limité à une simple reconnaissance du gouvernement putschiste. Dès lors, les relations ne cesseront plus de se détériorer entre les deux pays. En 2015, Barack Obama prend un décret qualifiant ni plus, ni moins, le Venezuela de « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des Etats-Unis ». Qui peut sérieusement croire que les troupes bolivariennes s’apprêtent à envahir le pays disposant du premier budget militaire au monde ? Ce décret ahurissant sera prolongé et est toujours en vigueur aujourd’hui. En décembre 2016, Donald Trump, nomme Rex Tillerson au poste de secrétaire d’état, un homme qui a eu de lourds contentieux avec le gouvernement vénézuélien lorsqu’il était PDG de la compagnie pétrolière Exxon Mobil. La nouvelle administration annonce rapidement la couleur en multipliant les déclarations hostiles à l’égard de Caracas et en prenant, en février 2017, des sanctions financières contre le vice-président vénézuélien Tarik El Aissami, accusé de trafic de drogue. Bien entendu, aucune preuve ne sera apportée quant au présumé trafic de drogue et les sanctions consistent en un gel de ses avoirs éventuels aux Etats-Unis sans que l’on sache s’il a effectivement des avoirs aux Etats-Unis, l’idée étant avant tout de décrédibiliser le dirigeant vénézuélien aux yeux de l’opinion publique vénézuélienne et internationale. Tout change pour que rien ne change. Les médias français se sont contentés de relayer la propagande américaine sans la questionner.

La droite réactionnaire vénézuélienne jugée respectable dans la presse française

 

Fait inquiétant : la frange la plus extrême et « golpiste » de la droite vénézuélienne semble avoir les faveurs de l’administration Trump. La veille de l’élection de l’assemblée nationale constituante, le vice-président Mike Pence a téléphoné à Leopoldo López, figure de cette frange radicale, pour le féliciter pour « son courage et sa défense de la démocratie vénézuélienne ». Lilian Tintori, l’épouse de López, accompagnée de Marco Rubio, un sénateur républicain partisan de la ligne dure et de l’ingérence contre Cuba et le Venezuela, avait été reçue à la Maison Blanche par Donald Trump, quelques mois plus tôt. Qui se ressemble, s’assemble. Pourtant, après avoir largement pris parti pour la campagne d’Hillary Clinton au profil bien plus rassurant que Donald Trump, la presse française dominante, y compris celle qui se réclame de la « gauche » sociale-démocrate (Libération, L’Obs), ne semble guère s’émouvoir, aujourd’hui, de cette internationale de la droite réactionnaire entre les Etats-Unis d’Amérique et le Venezuela. Nous avons pourtant connu notre presse dominante plus engagée contre l’extrême-droite comme, par exemple, lorsqu’il s’agissait de faire campagne pour Emmanuel Macron au nom du vote utile contre Marine Le Pen.

Leopoldo Lopez. ©Danieldominguez19. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

Il faut dire que la presse dominante a mis beaucoup d’eau dans son vin en ce qui concerne ses critiques à l’encontre de Trump depuis qu’il est à la tête de l’Etat nord-américain, comme on a pu notamment le constater lors de sa visite officielle le 14 juillet dernier. De plus, notre presse entretient de longue date un flou bien plus artistique que journalistique sur la véritable nature politique d’une partie de l’opposition vénézuélienne voire sur l’opposition tout court. Ainsi dans un article du Monde, on peut lire que la « Table de l’Unité Démocratique » (MUD) est une « coalition d’opposants qui va de l’extrême-gauche à la droite ». S’il existe bien une extrême-gauche et un « chavisme critique » au Venezuela comme Marea Socialista ou le journal Aporrea, ce courant politique n’a jamais fait partie de la MUD qui est une coalition qui va d’Acción Democratica, le parti social-démocrate historique converti au néolibéralisme dans les décennies 80-90 à la droite extrême de Vente Venezuela de Maria Corina Machado et de Voluntad Popular de Leopoldo López. En février 2014, L’Obs publie un portrait dithyrambique de Leopoldo López. Sous la plume de la journaliste Sarah Diffalah, on peut lire que « sur la forme, comme sur le fond, Leopoldo López est plutôt brillant », que c’est un « homme de terrain », « combattif », qu’il a une « hauteur intellectuelle certaine », qu’il « peut se targuer d’une solide connaissance dans le domaine économique », que « la résistance à l’oppression et la lutte pour l’égalité, il y est tombé dedans tout petit », qu’il est un « époux modèle », qu’il a une « belle allure » et qu’il est devenu « le héros de toute une frange de la population ». On y apprend également que Leopoldo López est « de centre-gauche » ; Henrique Capriles, un autre leader de l’opposition, serait ainsi « plus à droite que lui ». Pourtant, dans le dernier portrait que L’Obs consacre à Leopoldo López, on lit bien qu’il « présente l’aile la plus radicale de la coalition d’opposition » ! Leopoldo López n’a pourtant pas évolué idéologiquement depuis 2014… et L’Obs non plus. Cherchez l’erreur.

Le magazine américain Foreign Policy, peu suspect de sympathie pour le chavisme, a publié, en 2015, un article sur la fabrication médiatique du personnage de Leopoldo López intitulé « The making of Leopoldo López » qui dresse un portrait de l’homme bien moins élogieux que celui de L’Obs. L’article répertorie notamment tous les éléments qui prouvent que Leopoldo López, à l’époque maire de la localité huppée de Chacao (Caracas), a joué un rôle dans le coup d’état d’avril 2002 quand bien même, par la suite, la campagne médiatique lancée par ses troupes a prétendu le contraire. L’article rappelle également qu’il est issu de l’une des familles les plus élitaires du Venezuela. Adolescent, il a confié au journal étudiant de la Hun School de Princeton qu’il appartient « au 1% de gens privilégiés ». Sa mère est une des dirigeantes du Groupe Cisnero, un conglomérat médiatique international et son père, homme d’affaires et restaurateur, siège au comité de rédaction de El Nacional, quotidien vénézuélien de référence d’opposition.  Ce n’est pas franchement ce qu’on appelle un homme du peuple. Après ses études aux Etats-Unis – au Kenyon College puis à la Kennedy School of Government de l’université d’Harvard -, il rentre au Venezuela où il travaille pour la compagnie pétrolière nationale PDVSA. Une enquête conclura plus tard que López et sa mère, qui travaillait également au sein de PDVSA, ont détourné des fonds de l’entreprise pour financer le parti Primero Justicia au sein duquel il militait. L’Humanité rappelle ses liens anciens et privilégiés avec les cercles du pouvoir à Washington ; en 2002, il rencontre la famille Bush puis rend visite à l’International Republican Institute, qui fait partie de la NED (National Endowment for Democracy) qui a injecté des millions de dollars dans les groupes d’opposition tels que Primero Justicia.

En 2015, Leopoldo López est condamné par la justice vénézuélienne à 13 ans et neuf mois de prison pour commission de délits d’incendie volontaire, incitation au trouble à l’ordre public, atteintes à la propriété publique et association de malfaiteurs. Il est condamné par la justice de son pays pour son rôle d’instigateur de violences de rue en 2014, connues sous le nom de « guarimbas » (barricades), pendant la campagne de la « salida » (la sortie) qui visait à « sortir » Nicolás Maduro du pouvoir, élu démocratiquement un an auparavant. Ces violence se solderont par 43 morts au total dont la moitié a été causée par les actions des groupes de choc de l’opposition et dont 5 décès impliquent les forces de l’ordre, selon le site indépendant Venezuelanalysis. L’opposition, les Etats-Unis et ses plus proches alliés vont s’employer à dénoncer un procès politique et vont lancer une vaste campagne médiatique internationale pour demander la libération de celui qui est désormais, à leurs yeux, un prisonnier politique (#FreeLeopoldo). La presse française dominante embraye le pas et prend fait et cause pour Leopoldo López. Pour le Monde, il est tout bonnement le prisonnier politique numéro 1 au Venezuela.

Pourtant, à l’époque, la procureure générale Luisa Ortega Diaz, qui, depuis qu’elle critique le gouvernement Maduro, est devenue la nouvelle coqueluche des médias occidentaux et suscite désormais l’admiration de Paulo Paranagua du Monde qui loue son « indépendance »,  estimait que ces « manifestations » « [étaient] violentes, agressives et [mettaient] en danger la liberté de ceux qui n’y participent pas ». Paulo Paranagua parlait, quant à lui, de « manifestations d’étudiants et d’opposants [sous-entendues pacifiques, ndlr], durement réprimées » dans un portrait à la gloire de Maria Corina Machado, très proche alliée politique de Leopoldo López, présentée comme la « pasionaria de la contestation au Venezuela » comme l’indique le titre de l’article. Notons que si Luisa Ortega est aujourd’hui très critique du gouvernement Maduro, elle n’a, en revanche, pas changé d’avis sur la culpabilité de Leopoldo López et la nature des faits qui lui ont valu sa condamnation. Dans l’article de Sarah Diffalah de l’Obs, la stratégie insurrectionnelle de la « salida » est qualifiée de « franche confrontation au pouvoir » qui constitue néanmoins « une petite ombre au tableau » de López, non pas pour son caractère antidémocratique et violent mais parce qu’ elle a créé des remous au sein de la coalition d’opposition car, selon la journaliste, « certains goûtent moyennement à sa nouvelle médiatisation ». Et la journaliste de se demander s’il ne ferait pas « des jaloux  ». Cette explication psychologisante s’explique peut-être par le fait que Leopoldo López avait déclaré à L’Obs, de passage à Paris, qu’il entendait trouver des « luttes non-violentes, à la façon de Martin Luther King » et que Sarah Diffalah a bu ses paroles au lieu de faire son travail de journaliste.

Des opposants armés et violents dans les quartiers riches de Caracas repeints volontiers en combattants de la liberté et de la démocratie

Le chiffre incontestable de plus de 120 morts depuis le mois d’avril, date à laquelle l’opposition radicale a renoué avec la stratégie insurrectionnelle, est largement relayé dans la presse hexagonale sauf que l’on oublie souvent de préciser  que « des candidats à la constituante et des militants chavistes ont été assassinés tandis que les forces de l’ordre ont enregistré nombre de morts et de blessés » comme le rappelle José Fort, ancien chef du service Monde de l’Humanité, sur son blog. Par exemple, la mort d’Orlando José Figuera, 21 ans, poignardé puis brûlé vif par des partisans de l’opposition qui le suspectaient d’être chaviste en raison de la couleur noire de sa peau, en marge d’une « manifestation » dans le quartier cossu d’Altamira (Caracas), n’a pas fait les gros titres en France. On dénombre plusieurs cas similaires dans le décompte des morts.

Exemple typique de ce qui s’apparente à un mensonge par omission : dans un article de Libération, on peut lire que « ces nouvelles violences portent à plus de 120 morts le bilan de quatre mois de mobilisation pour réclamer le départ de Nicolás Maduro » sans qu’aucune précision ne soit apportée quant à la cause de ces morts. On lit tout de même plus loin qu’« entre samedi et dimanche, quatre personnes, dont deux adolescents et un militaire, sont mortes dans l’Etat de Tachira, trois hommes dans celui de Merida, un dans celui de Lara, un autre dans celui de Zulia et un dirigeant étudiant dans l’état de Sucre, selon un bilan officiel. » Le journaliste omet cependant de mentionner que parmi ces morts, il y a celle de José Félix Pineda, candidat chaviste à l’assemblée constituante, tué par balle à son domicile. La manipulation médiatique consiste en un raccourci qui insinue que toutes les morts seraient causées par un usage disproportionné et illégitime de la force par les gardes nationaux et les policiers, et qu’il y aurait donc, au Venezuela, une répression systématique, meurtrière et indistincte des manifestants anti-Maduro forcément pacifiques. L’information partielle devient partiale. L’article de Libération est en outre illustré par une photo de gardes nationaux, accompagnée de la légende « des policiers vénézuéliens affrontent des manifestants le 30 juillet 2017 ». Les images jouent en effet un rôle central dans la construction d’une matrice médiatique.

Les titres d’articles jouent également un rôle fondamental dans la propagation de la matrice médiatique « Maduro = dictateur vs manifestants = démocrates réprimés dans le sang ». Et Marianne de titrer sur « l’assemblée constituante, élue dans un bain de sang », faisant écho au titre d’une vidéo de 20 minutes « Venezuela : après l’élection dans le sang de l’Assemblée constituante, l’avenir du pays est incertain », au titre de l’article du Dauphiné « après le bain de sang, le dictateur Maduro jette ses opposants en prison », à celui de L’express « Maduro saigne le Venezuela » ou encore au titre d’un article du Monde « Au Venezuela, une assemblée constituante élue dans le sang », signé par Paulo Paranagua, le journaliste chargé du suivi de l’Amérique Latine du quotidien, particulièrement décrié pour sa couverture de l’actualité vénézuélienne. A cet égard, Thierry Deronne, un belge installé de longue date au Venezuela, a écrit et publié, cette année, sur son blog, un article décryptant le traitement pour le moins discutable du Venezuela par Le Monde et Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, s’était fendu, en 2014, d’un courrier au médiateur du Monde à ce sujet.

Au micro de la radio suisse RTS (07/07/2017), le même Maurice Lemoine s’insurge contre ces raccourcis médiatiques : « J’y suis allé pendant trois semaines [au Venezuela, ndlr]. Les manifestations de l’opposition sont extrêmement violentes, c’est-à-dire que vous avez une opposition qui défile de 10h du matin jusqu’à 1h de l’après-midi et, ensuite, elle est remplacée par des groupes de choc de l’extrême-droite avec des délinquants. […] Ils sont très équipés et c’est une violence qui n’a strictement rien à avoir avec les manifestations que nous avons ici en Europe. On vous dit « répression des manifestations au Venezuela, 90 morts ». C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! […] En tant que journaliste, je m’insurge et je suis très en colère. Dans les 90 morts, vous avez 8 policiers et gardes nationaux qui ont été tués par balle. Vous avez, la semaine dernière, deux jeunes manifestants qui se sont fait péter avec des explosifs artisanaux. Vous avez des gens, des chavistes, qui essayent de passer une barricade et qui sont tués par balle, c’est-à-dire que la majorité des victimes ne sont pas des opposants tués par les forces de l’ordre et, y compris dans les cas – parce qu’il y en a eu – de grosses bavures et de manifestants qui sont victimes des forces de l’ordre, les gardes nationaux ou les policiers sont actuellement entre les mains de la justice. Il y a une présentation du phénomène qui, de mon point de vue de journaliste, est très manipulatrice. »

En outre, la presse mainstream insiste lourdement sur la « polarisation politique », certes incontestable, au Venezuela pour mieux cacher une polarisation sociale à la base du conflit politique. Comme le souligne Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique Latine, dans une interview à L’Obs, « l’opposition peut se targuer d’avoir le soutien d’une partie de la population mais il ne s’agit sûrement pas du peuple « populaire ». Principalement, ce sont des classes moyennes, aisées, jusqu’à l’oligarchie locale tandis que le chavisme s’appuie sur des classes plus populaires, voire pauvres. En fait, le conflit politique qui se joue aujourd’hui cache une sorte de lutte des classes. L’opposition a donc un appui populaire en termes de population mais pas dans les classes populaires. » Les manifestations de l’opposition se concentrent, en effet, dans les localités cossues de l’est de la capitale (Chacao, Altamira) gouvernées par l’opposition tandis que les barrios populaires de l’ouest de la capitale restent calmes. La base sociale de l’opposition est un détail qui semble déranger la presse mainstream dans la construction du récit médiatique d’un peuple tout entier, d’un côté, dressé contre le « régime » de Nicolás Maduro et sa « bolibourgeoisie » qui le martyrise en retour, de l’autre côté. Ainsi, les manifestations pro-chavistes qui se déroulent d’ordinaire dans le centre de Caracas sont souvent invisibilisées dans les médias français. Le 1er septembre 2016, l’opposition avait appelé à une manifestation baptisée « la prise de Caracas » et les chavistes avaient organisé, le même jour, une contre-manifestation baptisée « marée rouge pour la paix ». Une journée de double-mobilisation donc. Le Monde titrera sur « la démonstration de force des opposants au président Maduro » en ne mentionnant qu’en toute fin d’article que les chavistes avaient organisé une manifestation le même jour qui « a réuni quelques milliers de personnes ». Ces quelques milliers de chavistes, n’auront pas le droit, eux, à une photo et une vidéo de leur manifestation… D’autant plus qu’ils étaient sans doute plus nombreux que ce que veut bien en dire le quotidien. Dans un article relatant une manifestation d’opposition de vénézuéliens installés à Madrid qui a eu lieu quelques jours plus tard,  Le Monde mentionne la « prise de Caracas » du 1er septembre mais réussit le tour de force de ne pas mentionner une seule fois la « marée rouge » chaviste. En réalité, les deux camps politiques avaient réuni beaucoup de monde, chacun de leur côté, illustrant ainsi la polarisation politique et sociale du Venezuela.

A gauche, des guarimberos trop souvent présentés dans notre presse comme des manifestants non violents. A droite, des militaires blessés par une explosion, le jour de l’élection pour la constituante. Une vidéo de l’attaque relayée par le Times : https://www.youtube.com/watch?v=_aZeqpD4ggM

Les photos des manifestations de l’opposition et des heurts avec les forces de l’ordre sont largement diffusées et les événements sont traités comme un tout indistinct alors que ces mobilisations d’opposition se déroulent en deux temps, comme l’explique Maurice Lemoine et que les manifestants pacifiques de la matinée ne sont pas les mêmes « manifestants » qui, encagoulés, casqués et armés, s’en prennent aux forces de l’ordre dans l’après-midi. Cet amalgame rappelle le traitement médiatique des mobilisations sociales contre la Loi Travail sauf que, dans le cas français, les médias de masse avaient pris fait et cause pour le gouvernement et les forces de l’ordre et avaient stigmatisé le mouvement social, en amalgamant manifestants et casseurs qui passeraient, soit dit en passant, pour des enfants de chœur à côté des groupes de choc de l’opposition vénézuélienne. Ce parti pris médiatique majoritaire s’explique sans doute parce qu’au Venezuela, le gouvernement est antilibéral et l’opposition est néolibérale, conservatrice voire réactionnaire tandis qu’en France, c’est précisément l’inverse. Sous couvert de dénoncer la violence, la presse de la classe dominante défend, en réalité, à Paris comme à Caracas, les intérêts de la classe dominante.

 

Le Venezuela devient un sujet de politique intérieure en France

Un dessin du caricaturiste Plantu pour L’Express

Après avoir publié  une interview de Christophe Ventura en contradiction avec sa ligne éditoriale, certes relayée sur sa page Facebook à une heure creuse et tardive (lundi 31/07/2017 à 21h41) et sans véritable accroche, L’Obs renoue avec la stratégie d’instrumentalisation du dossier vénézuélien pour faire le procès de la gauche antilibérale française en relayant sur Facebook le surlendemain, cette fois-ci à une heure de pointe (18h30 pétantes), un article intitulé « Venezuela : La France Insoumise peine à expliquer sa position sur Maduro », agrémenté de la photo choc d’une accolade entre Hugo Chávez et Jean-Luc Mélenchon. Le texte introductif précise qu’un tweet a refait surface. Un tweet qui date de… 2013. Plutôt que d’informer les lecteurs sur la situation au Venezuela, la priorité semble donc être de mettre l’accent sur des enjeux purement intérieurs. Une avalanche d’articles dénonçant les « ambiguïtés » de la France Insoumise s’abat sur la presse hexagonale. Le Lab d’Europe 1 se demande « comment la France Insoumise justifie les positions pro-Maduro de Mélenchon ». A France Info, on semble avoir la réponse : « désinformation », situation « compliquée » : comment des députés de La France Insoumise analysent la crise vénézuélienne ».

L’hebdomadaire Marianne, quant à lui, parle des « positions équilibristes de la France Insoumise et du PCF ». LCI titre sur le « malaise de la France Insoumise au sujet de Maduro » puis publie une sorte de dossier sur « Jean-Luc Mélenchon et le régime chaviste : économie, Poutine, constituante, les points communs, les différences ». Une partie de la presse alternative et indépendante de gauche n’est pas en reste non plus, à l’instar de Mediapart qui se fait depuis plusieurs mois le relai médiatique en France du « chavisme critique », un courant politique qui participe depuis longtemps au débat d’idées au Venezuela et qui n’est pas dénué d’intérêt pour comprendre la réalité complexe du pays et de sa “révolution bolivarienne”. Ainsi, le journal d’Edwy Plenel, très modérément alternatif sur l’international et sur Mélenchon, en profite pour régler ses comptes avec la FI et le PCF en dénonçant leurs « pudeurs de gazelle pour le Venezuela ». Les députés insoumis sont sommés de s’expliquer à l’instar d’Eric Coquerel face aux journalistes d’Europe 1 qui ne lui ont posé presque que des questions sur le Venezuela alors qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une émission spéciale sur le pays latino-américain. Ce déploiement médiatique ressemble furieusement à une injonction morale faite à la France Insoumise et à son chef de file dont on reproche avec insistance le silence sur le sujet, de condamner, bien entendu, ce « régime » honni et de souscrire au discours dominant. Les insoumis et les communistes français ne sont pas seuls au monde dans cette galère médiatique. Unidos Podemos, en Espagne, fait face au même procès médiatique depuis des années. Outre-Manche, c’est Jeremy Corbyn et ses camarades qui sont, en ce moment, sur la sellette.

Florilège de tweets d’hier et d’aujourd’hui

Cette instrumentalisation franco-française du Venezuela ne date pas d’hier. On se souvient par exemple de la polémique lancée par Patrick Cohen, à 10 jours du 1er tour des élections présidentielles, sur l’ALBA, de la manchette du Figaro du 12 avril « Mélenchon : le délirant projet du Chavez français » et des nombreux parallèles à charge entre le Venezuela bolivarien et le projet politique du candidat qui ont émaillé la campagne. La rengaine a continué pendant les élections législatives avec un article du Point sobrement intitulé  « Venezuela, l’enfer mélenchoniste », publié la veille du second tour. Aujourd’hui, le coup de projecteur médiatique sur l’élection de l’assemblée constituante vénézuélienne est, une fois encore, l’occasion d’instruire le procès des mouvements antilibéraux français : ainsi, pour Eric Le Boucher (Slate), le Venezuela est « la vitrine de l’échec du mélenchonisme. En réalité, la FI et le PCF, ont tort, aux yeux du parti médiatique, de ne pas adhérer au manichéisme ambiant sur une situation aussi grave et complexe et à sa décontextualisation géopolitique. Ils refusent également d’alimenter la diabolisation et le vieux procès en dictature que se traîne le chavisme depuis presque toujours alors qu’en 18 ans de « révolution bolivarienne », 25 scrutins reconnus comme transparents par les observateurs internationaux ont été organisés, que l’opposition contrôle d’importantes villes, des États et l’Assemblée Nationale et que les médias privés d’opposition sont majoritaires (El Universal, Tal Cual, El Nuevo País, Revista Zeta, El Nacional  Venevision, Televen, Globovision, etc.). Que la gauche antilibérale puisse considérer le chavisme comme une source d’inspiration pour ses politiques de redistribution des richesses et non pas un modèle « exportable » en France, contrairement à ce que bon nombre de journalistes tentent d’insinuer (Nicolas Prissette à Eric Coquerel, sur un ton emporté, « franchement, est-ce que c’est ça, le modèle vénézuélien que vous défendez ? » sur Europe 1) semble être un délit d’opinion dans notre pays.

Puisque le Venezuela est en passe de devenir un véritable sujet de politique intérieure, rappelons aux éditorialistes de tout poil et autres tenants de l’ordre établi que, par leur atlantisme aveugle et leur libéralisme économique forcené, ils se persuadent qu’ils défendent la liberté et la démocratie au Venezuela alors qu’ils sont tout simplement en train d’apporter un soutien médiatique et politique international décisif à la stratégie violente de l’extrême-droite vénézuélienne et ce, quelles que soient les critiques légitimes que l’on puisse faire à l’exécutif vénézuélien et aux chavistes. Leur crédibilité risque d’être sérieusement entamée la prochaine fois qu’ils ressortiront l’épouvantail électoral du Front National pour faire voter « utile ».

Crédits photo :

Une voiture de la police scientifique brûle pendant une lutte manifestation anti-Maduro. en février 2014. ©Diariocritico de Venezuela. TOPSHOTS-VENEZUELA-DEMO-VIOLENCE
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Entretien avec Ugo Bernalicis : un député insoumis contre l’état d’urgence

Le 18 juin dernier, Ugo Bernalicis, 27 ans, a été élu à l’Assemblée Nationale avec 64,15 % des voix. Le député France Insoumise de la 2ème circonscription du Nord mène en ce moment la fronde contre l’inscription des mesures d’état d’urgence dans le droit commun. Avant d’être élu, Ugo Bernalicis était attaché d’administration au Ministère de l’Intérieur. C’est ce qui l’a amené à travailler sur le livret sécurité, complément du programme de la France Insoumise. Membre du Parti de Gauche depuis sa création fin 2008, il a été militant UNEF. Toujours syndiqué, il a aussi fait un passage express par le Mouvement des Jeunes Socialistes, “pas très fructueux parce que j’en suis parti pour aller fonder le Parti de Gauche” , explique-t-il. “Que dire de plus ? Que je regarde la dernière saison de Game of Thrones et que j’ai joué à Assassin Screed Unity même si c’est pas trop dans la ligne politique”. Avec lui, nous avons parlé du rôle du groupe parlementaire de la France Insoumise, de son expérience à l’Assemblée Nationale, et dans un deuxième temps de l’état d’urgence et du projet de loi anti-terroriste que cherche à faire adopter le gouvernement. 

LVSL – La France Insoumise (FI) a adopté une stratégie dite du “dedans/dehors” : un pied à l’assemblée, un autre dans la rue. Comment articuler la stratégie visant la construction d’une hégémonie culturelle dans ce champ politique en recomposition ? Quel doit être le rôle du groupe parlementaire de la FI ?

Ugo Bernalicis –  Le rôle du groupe et le rôle d’un parlementaire étaient définis dans la charte de la FI, ce n’est pas une nouveauté, pas plus que la stratégie un pied dedans et un pied dehors. Notre programme politique, dans tous les cas, demande l’implication populaire sur tout un tas de sujets parce qu‘il y a des rapports de force dans la société et que des votes à l’assemblée ne résolvent pas l’équation de ces rapports de force. Ce n’est pas parce que 308 députés En Marche votent comme un seul homme que la réforme est majoritairement acceptée et voulue par les Français. Sous la Vème République, l’Assemblée Nationale n’est pas forcément très représentative du peuple français, du fait de l’abstention et du système électoral.

La stratégie un pied dedans/un pied dehors était une double stratégie, qu’on gagne ou qu’on perde. Quand on est minoritaires, le travail parlementaire n’est pas inutile, mais factuellement l’impact de nos amendements est proche du néant. Le travail que nous faisons, nous le faisons pour la suite. Demain, quand nous arriverons au pouvoir, nous pourrons continuer ce travail législatif, nous aurons des propositions de lois prêtes pour la législature suivante. Nous disposerons d’un groupe politique homogène, qui aura réussi à travailler et à faire face aux aspects concrets du travail demandé à l’Assemblée Nationale. Nous pouvons déjà dire que nous avons des textes qui sont opérationnels. Par le travail d’amendements, on comprend que ce qu’on a proposé dans les livrets thématiques nécessite parfois une loi organique plutôt qu’une loi ordinaire, ou alors une révision constitutionnelle…

“Demain, quand nous arriverons au pouvoir, nous pourrons continuer ce travail législatif, nous aurons des propositions de lois prêtes pour la législature suivante.”

Le pied en dehors est possible parce qu’on est en 2017, qu’il y a YouTube, qu’il y a Facebook, que les séances sont filmées et qu’on peut les retransmettre. Il y a dix ans, les séances étaient déjà filmées à l’Assemblée Nationale, mais personne ne regardait, rien ne permettait d’extraire les vidéos… Aujourd’hui cela fonctionne grâce à l’axe de la campagne : s’il n’y avait pas eu la campagne présidentielle avec la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon, nous n’aurions pas cet impact. La preuve, c’est que les autres le font aussi, Les Républicains font des vidéos mais elles n’ont que 50 vues et tout le monde s’en fout, contrairement aux nôtres.

Pour l’instant, on parle essentiellement aux nôtres, aux insoumis qui ont fait la campagne, mais les algorithmes permettent de déborder cette audience à partir d’un seuil élevé de vues. Cela enclenche l’impact dans le réel et aide à la mobilisation. Quand je vais dans ma circonscription les gens me disent : “Ah j’ai vu votre intervention, c’est cool tout ça, c’est bien ce que vous faites, continuez, lâchez rien”. Voilà la stratégie du pied dedans et du pied dehors. Tous les amendements, toutes les interventions réalisées à l’Assemblée Nationale, ce n’est pas pour rien. Cela ne sert à rien dans le travail législatif parce que nos amendements sont retoqués, mais c’est utile dans la bataille politique.

LVSL – Vous ne vous adressez donc pas aux députés En Marche qui vous font face, mais pratiquez plutôt une stratégie de rupture ?

On s’adresse tout de même aux députés En Marche, notre objectif c’est de les faire imploser là où ça achoppe. Ce sont des gens qui n’ont pas de structuration politique pour la plupart et qui n’ont pas forcément de convictions solidement ancrées. Leurs convictions se résument au dénominateur commun de l’hégémonie culturelle actuelle. Durant tout le débat sur les ordonnances, les interventions des gens d’En Marche ont été une logorrhée de mots-valise, de mots qui ne veulent rien dire, utilisables pour renverser la dialectique. Notre avis, c’est que cela finira par imploser, cela ne peut pas tenir. Sur la question de la loi de moralisation de la vie publique, le groupe La République En Marche n’est pas si homogène que cela. Autant sur l’état d’urgence il n’y a pas trop de débat – on proroge ou on ne proroge pas – autant sur des textes comme celui-là on s’aperçoit que cela commence à se fracturer. Donc nous nous adressons à eux, et on s’adresse aussi à l’extérieur. Le discours de Jean-Luc Mélenchon pour clôturer le débat sur la loi sur les ordonnances les a surpris parce qu’il s’adressait aux gens : “Les gens, le 12 septembre il va falloir se mobiliser…”. Il y avait une sorte de flottement, de malaise chez eux, ils semblaient se demander “mais à qui il parle ?”. Je ne suis pas sûr qu’ils se rendent bien compte que nos interventions s’adressent autant à eux qu’à l’extérieur de l’hémicycle. 

LVSL – Le capital politique acquis sur les réseaux sociaux pendant la campagne trouve donc son prolongement à l’Assemblée Nationale ? On a vu que les vidéos de vos interventions étaient beaucoup relayées, visionnées des dizaines voire des centaines de milliers de fois…

C’est exactement ça. Une action hors-sol sans le travail de fond pour rationaliser la pratique n’a aucune chance d’aboutir. Il y a quelques vidéos d’En Marche qui ont tourné parce qu’elles ont été reprises par leurs comptes officiels, mais dès qu’on sort de la verticalité chez En Marche, il n’y a plus personne. Alors qu’au contraire, nous avons été très horizontaux dans notre mode d’organisation.

La consigne à la France Insoumise pendant la présidentielle était celle-ci : tous ceux qui veulent faire une vidéo, un détournement, un visuel, vous le faites, parfois cela sera retransmis par le canal officiel, mais sinon ce sont les insoumis qui relaient eux-mêmes par leurs propres moyens de communication. Quand je fais une vidéo, les insoumis la relaient et j’ai mes propres moyens de diffusion. Il n’est pas nécessaire que Jean-Luc Mélenchon relaie ma vidéo pour que des gens la regardent. Quand Adrien [Quatennens] fait son discours à la tribune sur les ordonnances et qu’il obtient 400 000 vues, cela a un impact colossal, alors que ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui s’exprime.

LVSL – Vous tenez une chaîne YouTube, dont la principale émission s’intitule “Le Topo d’Ugo”, quel rôle lui accordez-vous ?

Au départ, j’avais eu l’idée bien avant la campagne des législatives. Cela faisait longtemps que je voulais faire des vidéos. C’est un outil qui nous permet d’aborder des thématiques qu’on n’aborde pas habituellement dans les tracts et d’atteindre des publics qu’on ne touche pas d’ordinaire. 

Depuis que je suis élu député, cela me sert de fil pour tenir au courant de mes activités à l’Assemblée, une sorte de compte-rendu régulier de mon activité parlementaire. Ma chaîne sera amenée à évoluer, je réfléchis au développement de nouveaux outils, j’aimerais sortir du face caméra, adopter une démarche visant à mettre en avant des initiatives, des gens qui sont sur des mobilisations, des luttes, plutôt sur le mode de l’interview. Tout en restant sur un format 4-5 minutes, qui diffère de celui que peut adopter Jean-Luc avec sa revue de la semaine, ou dans son émission “Pas vu à la télé” , qui prend la forme d’un entretien d’une heure. C’est un format qui ne touche pas le même public que les vidéos de 5 minutes. 

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[ETAT D’URGENCE] L’état d’urgence en vigueur en France depuis le 14 Novembre 2015 est le plus long de l’histoire de la Ve République, davantage que durant la guerre d’Algérie. De nombreuses voix, notamment de juristes, universitaires et chercheurs, d’associations, d’ONG, d’autorités administratives indépendantes, ainsi que le défenseur des droits Jacques Toubon, se sont élevées contre cet état de fait. La situation paraît perverse, les politiques semblent comprendre son inefficacité dans la durée, mais peu osent le critiquer et assumer une sortie de l’état d’urgence. Emmanuel Macron a quant à lui annoncé sa fin prochaine mais compte le remplacer par un projet de loi anti-terroriste qui fait entrer les dispositifs d’état d’urgence dans le droit commun. Ugo Bernalicis a été chargé par son groupe de dénoncer la prorogation de l’état d’urgence.

LVSL – Que pensez-vous de l’idée d’inscrire dans le droit commun les mesures qui caractérisent l’état d’urgence ? Selon le gouvernement, elles devraient paradoxalement permettre de sortir de l’état d’urgence. Cette rhétorique vous parait-elle crédible ? 

C’est un sophisme, c’est un magnifique sophisme. Je m’en suis d’ailleurs amusé dès la loi prorogeant l’état d’urgence dans l’hémicycle. J’ai présenté la motion de rejet préalable, ce qui m’a permis de faire un discours qui avait à voir avec l’état d’urgence et la loi contre laquelle on va voter. J’ai fini mon discours en citant Emmanuel Macron au congrès de Versailles. A Versailles, Emmanuel Macron s’est livré à un magnifique argumentaire nous expliquant que l’état d’urgence permanent ne servait à rien, qu’il remettait en cause les libertés individuelles, et donc qu’il faudrait en sortir. Et surtout, il y a tout ce qu’il faut dans le code de procédure pénale, à partir du moment où on a les magistrats et les services qu’il faut, on peut – il le dit – “anéantir nos adversaires”, ni plus ni moins. C’est un sophisme, comme en a fait Emmanuel Macron durant toute la campagne : je suis d’accord avec la gauche, je suis d’accord avec la droite… 

“Nous n’avons pas assez de juges anti-terroristes, et nous avons misé sur le renseignement technologique sans accorder davantage de moyens au renseignement de terrain.”

Il existe sans doute un lobby de hauts fonctionnaires au sein du ministère de l’intérieur, qui a poussé pour qu’on inscrive l’état d’urgence dans le droit commun. Ils ont dû dire à Emmanuel Macron : comme vous avez promis de sortir de l’état d’urgence, on va le faire, factuellement. Mais il nous faut tout de même les moyens juridiques pour avoir des procédures rapides parce que nous n’avons pas les moyens humains pour assurer des procédures normales. C’est là le fond de l’affaire. Si vous ne faites pas la transcription de l’état d’urgence dans le droit commun, demain on ne sera pas en mesure de faire face à la menace. Parce que nous n’avons pas assez de juges anti-terroristes, parce que nous avons misé sur le renseignement technologique sans accorder davantage de moyens au renseignement de terrain. Ils ne font pas l’effort de mettre des moyens sur la table, mais débloquent des moyens juridiques pour court-circuiter la procédure judiciaire. On peut les croire de bonne foi, croire qu’ils ne feront pas comme le quinquennat précédent, qui a utilisé les dispositifs de l’état d’urgence contre les manifestants. Peut-être qu’ils ne le feront pas. Le problème, c’est que la loi le permettra quand même.

LVSL – On se rend compte que l’austérité est également dangereuse  pour les libertés individuelles, que les libéraux prétendent pourtant défendre…

Gérald Darmanin [Ministre de l’Action et des Comptes publics, ndlr] cherche 4 milliards. Il dit qu’il prend 526 millions d’euros sur le ministère de l’intérieur et 160 millions sur le ministère de la justice, au moment même où on explique qu’il faut plus de moyens, notamment pour lutter contre le terrorisme ! Ces coupes budgétaires porteraient essentiellement sur les dépenses de fonctionnement, parce qu’ils ne peuvent pas dire qu’ils vont réduire le nombre de fonctionnaires, sinon ils se feraient étrangler. Cela signifie malgré tout qu’on ne va pas en recruter, même pas des contractuels. Concrètement on aura des fonctionnaires qui n’auront pas les moyens de fonctionner. C’est une stupidité ! Surtout dans le cas du ministère de l’intérieur et des missions de sécurité. Moi qui travaillais dans ce domaine il y a un mois encore, je payais dans mon service les factures de police et de gendarmerie : chaque année, on utilise le dégel pour boucler les dernières factures, on n’a même pas assez de moyens pour payer les factures de l’année courante. Et quand je parle des factures, je veux parler du carburant, de l’électricité, de l’eau, du gaz, qui sont les principales dépenses, qu’on peut difficilement réduire. Ce qui va se passer, c’est qu’on n’arrivera pas à finir l’année, qu’on ne parviendra pas à payer toutes les factures. C’est bien beau de faire des textes pour donner de nouveaux droits aux préfets, aux policiers, etc. mais s’ils n’ont pas les moyens matériels pour les mettre en pratique sur le terrain, cela ne sert à rien, c’est un coup d’épée dans l’eau.

LVSL – Que pensez-vous de l’idée du gouvernement de renommer les perquisitions en “visites” et les assignations à résidence en “mesures de surveillance individuelles” ?

Je garde ces éléments sous le coude pour me moquer d’eux à la rentrée. Que les communicants en viennent à passer un coup de rabot jusque sur les textes antiterroristes est assez hallucinant. Mais cela caractérise bien le malaise dans lequel ils se trouvent. Ils se sentent obligés de changer le terme de “perquisition administrative” en “visite” pour que l’idée ait l’air plus sympa… Je n’ai jamais vu de perquisition administrative qui se voulait sympa, ce n’est pas le but d’ailleurs… Cela prouve qu’ils n’assument pas leurs actes politiques. C’est la même chose pour la loi sur les ordonnances. Notre rôle consiste aussi à remettre les bons mots sur les bonnes choses afin que les gens prennent conscience de ce qui est en jeu. 

LVSL – La procédure d’adoption du texte est une procédure accélérée. Comment percevez-vous la prise en compte ou la non-prise en compte des enjeux démocratiques et du débat parlementaire ? La méthode d’En Marche sur ce projet de loi est-elle semblable à celle qui guide l’adoption de la loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances pour le code du travail ?

C’est la même chose. Ils veulent aller vite pour deux raisons. D’une part pour une raison qui peut être louable politiquement : aller vite pour obtenir des résultats et montrer que l’action politique sert à quelque-chose. Je ne dis pas qu’on aurait gouverné par ordonnances si on avait été élus, mais il y a un certain nombre d’actes politiques qu’on aurait posés très rapidement parce qu’ils sont du niveau du décret d’application, par exemple pour augmenter le SMIC. C’est un décret, ça va vite, c’est efficace. On aurait enclenché plein de choses.

Ils ont des députés qui sont novices, et l’exécutif ne souhaite pas qu’ils prennent conscience qu’il y a un enjeu. Il vaut mieux qu’ils restent dans le flou et dans les mots-valise, dans le gloubiboulga ambiant, de sorte qu’ils n’aient pas le temps de déceler le vrai du faux et qu’ils ne commencent pas à se dire “Ah, peut-être que je vote n’importe quoi, peut-être que ce n’est pas cela l’intérêt général”. C’est pour cela qu’on adopte cette stratégie qui consiste à toujours essayer de les convaincre. Je suis très étonné de voir les résultats qu’a pu avoir mon intervention de 30 minutes sur la motion de rejet, où plusieurs députés d’En Marche sont venus me voir, discuter, me féliciter en me disant que mes propos étaient pertinents, mes arguments intéressants… Ce qui ne les a pas empêché de voter tous comme un seul homme par la suite, mais ce type de situation augure de bonnes choses pour l’étape suivante. Surtout qu’il y a parmi eux beaucoup d’avocats, d’anciens magistrats, de juristes qui, je pense, s’ils n’avaient pas été élus En Marche, se seraient opposés comme toute leur corporation à l’introduction de l’état d’urgence dans le droit commun. Aujourd’hui, ils sont dans une autre posture, mais mon rôle consistera à leur rappeler tout cela, à leur dire que c’est sérieux, qu’on est à l’Assemblée Nationale et qu’on vote des lois qui s’appliquent à l’ensemble du pays.

La question n’est pas de savoir si le groupe En Marche restera ou non uni jusqu’à la fin. Non, on est sûrs qu’il ne le sera pas. Il s’agit de savoir quand le groupe commencera à se fissurer, et nous sommes là pour provoquer cela le plus rapidement possible. 

LVSL – Concernant le projet de loi anti-terroriste, pensez-vous que l’on rentre, avec cette volonté de normaliser l’exceptionnel, dans une logique de justice prédictive qui veut tendre au risque zéro et privilégier une intervention en amont plutôt que la répression pénale ?

On va s’avancer tout doucement vers du minority report. Ils veulent basculer du pénal à l’administratif d’abord et avant tout pour des raisons cyniques, c’est-à-dire budgétaires, économiques. Ils considèrent que la justice pénale coûte cher, parce qu’il y a des procédures, les droits de la défense, et que tout cela prend du temps… Voilà leur ambition court-termiste actuelle. Je ne suis même pas sûr qu’ils soient mus par une volonté philosophique de remettre en cause la philosophie pénale ; je pense même qu’ils sont globalement d’accord avec. Ce sont des pragmatiques cyniques. Ils ne sont pas si pragmatiques que cela d’ailleurs : leur projet est porteur de dérives, et en plus de cela, il ne fonctionne pas.

“L’une des raisons qui permet d’expliquer le départ des jeunes en Syrie et ailleurs, c’est le fait qu’il n’y ait plus d’objectif collectif qui donne envie d’être patriote, d’être républicain, le fait que ce soit le chacun pour soi, le marché, le démerdez-vous, qu’on ne réenchante plus la politique et le monde.”

LVSL – D’autant que le lien entre l’administratif et le pouvoir politique est plus évident que le lien entre pouvoir politique et autorité judiciaire. Ce qui ouvre la voie à l’arbitraire…

On voit toutes les dérives qui existent sur tout ce qui concerne le droit d’asile, le droit des étrangers, qui relèvent de l’administratif. Ces positions politiciennes ne garantissent pas la sûreté. Pire, on dérive vers des positions arbitraires, s’agissant de l’état d’urgence c’est l’arbitraire qui est en cause ! On peut bien dire qu’il y aura peu de dérives, d’accord, mais il y aura des dérives quand même. C’était la question que j’ai posée à Eric Ciotti sur les portes fracassées : premièrement est-ce qu’on est prêts à payer le prix de l’arbitraire pour empêcher les terroristes d’agir ? Et deuxièmement n’a-t-on vraiment aucune alternative, sommes-nous vraiment obligés d’en passer par là pour lutter contre le terrorisme ? Je réponds non aux deux questions.

LVSL – Justement, que propose la France Insoumise comme solutions alternatives en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme ?

Toutes nos réponses sont regroupées dans un très beau livret Sécurité : retour à la raison, que j’ai offert au Ministre de l’intérieur, j’espère qu’il le lira, peut-être qu’il lui donnera des idées étant donné qu’il en manque visiblement et qu’il se laisse porter par l’inertie des hauts fonctionnaires qui l’entourent.

Ce qui est au cœur de notre programme en matière de lutte anti-terorriste, c’est l’Humain d’abord. On a repris le slogan de la campagne de 2012, qui prend ici tout son sens, parce qu’en matière de renseignement, c’est aujourd’hui le tout technologique qui prévaut. Or les écoutes sur les lignes téléphoniques et sur les réseaux ont leurs limites : à la fin, il faut toujours quelqu’un pour les analyser, premièrement. Deuxièmement, c’est souvent utile a posteriori, après l’acte terroriste, mais pas a priori. Ce qui est utile a priori, c’est le renseignement humain de terrain qui permet de capter les “signaux faibles”, précisément car les terroristes sont un peu malins et savent parfaitement qu’il ne faut pas envoyer de SMS ou poster un message sur Facebook pour annoncer qu’ils vont commettre un attentat… Cela peut faire sourire, mais on se demande parfois si ce n’est pas ce que croit le gouvernement, au regard de ce qu’on vote et de la direction qu’on prend. Cela me rappelle l’affaire de Saint Etienne du Rouvray où le terroriste, pour préparer son attentat, a chatté avec ses complices sur Telegram, une application cryptée, de telle sorte que les services de renseignement n’ont pas intercepté les messages. C’est normal, c’est le principe d’une messagerie cryptée. Si on avait eu du renseignement de terrain, peut-être aurait-on pu éviter l’attentat.

Mais ce qu’il faut dire aussi, c’est qu’on ne pourra pas éviter tous les attentats, ce n’est pas possible. C’est ce que j’ai dit à mes collègues députés : vous ne pouvez pas dire qu’avec l’état d’urgence il n’y aura aucun attentat, tout comme vous ne pouvez pas défendre que sans l’état d’urgence il y aura des attentats partout. Ce n’est pas vrai.

On propose par ailleurs la création d’une réelle police de proximité, qui permettrait d’avoir un maillage fin et d’apporter une réponse de premier niveau : à la fois en termes de renseignement pour capter ces signaux faibles et les transmettre aux services concernés, et de réponse policière opérationnelle en cas d’agression et d’attaque.

Il faut le dire, l’objectif politique de Daech consiste à remettre en cause notre démocratie, notre République, notre état de droit. L’une des raisons qui permet d’expliquer le départ des jeunes en Syrie et ailleurs, c’est le fait qu’il n’y ait plus d’objectif collectif qui donne envie d’être patriote, d’être républicain, le fait que ce soit le chacun pour soi, le marché, le démerdez-vous, qu’on ne réenchante plus la politique et le monde. C’est ce qui explique certains de ces comportements, il n’y a pas que des barjots. Il faut en avoir conscience et, surtout, bien voir que la religion en elle-même n’a souvent pas grand chose à voir dans cette histoire. La religion, c’est un faire-valoir pour terroriste en herbe. Pour moi cela n’a aucun rapport. 

LVSL – Réenchanter la politique et le monde ?

C’est ce qu’on a essayé de faire avec le programme L’Avenir en Commun, nous donner un objectif politique qui nous dépasse. On va lutter contre le réchauffement climatique, mettre l’humanisme au plus haut point, éradiquer la misère… Des points qui représentent un défi humain et technique. La règle verte par exemple, c’est un défi technique. Tout cela permet de réenchanter le politique, de se dire qu’on fait sens tous ensemble. Alors que le marché et la compétition créent de l’anomie, à telle point que les gens finissent par se suicider ! Le suicide c’est un pendant de ce système, on a l’impression de ne servir à rien dans la société, ce qui crée de la détresse et des situations instables. Cela peut provoquer des burn-out, de l’anxiété… quand on voit qu’on a le plus fort taux de consommation de psychotropes en Europe, légaux et illégaux, cela me paraît essentiel. C’est aussi ce qui nous amène à proposer un service civique obligatoire, dans le but de créer du commun.

Entretien réalisé par Baptiste Peyrat et Antoine Cargoet pour LVSL.

Crédits photo : LVSL

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Quand le clan Valls déverse sa haine de classe sur les électeurs de Farida Amrani (France Insoumise)

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Suite à l’élection contestée de Manuel Valls dans la première circonscription de l’Essonne, l’ancien premier ministre et ses soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer dans les médias « la campagne de haine » qu’aurait menée Farida Amrani, la candidate investie par la France Insoumise, à son encontre. A les écouter, les électeurs-type de sa concurrente seraient des délinquants stupides, brutaux, haineux, violents voire antisémites et islamistes. C’est en tout cas le portrait-robot qu’ils dressent, en reprenant les pires préjugés de classe à l’égard des habitants des quartiers populaires. L’accusation de compromission avec “l’Islam politique voire avec les islamistes” ne manque en tout cas pas de sel puisque Manuel Valls, sur ce sujet, est loin de pouvoir montrer patte blanche …

Manuel Valls, apôtre du blairisme, de la troisième voie, du social-libéralisme ou du libéralisme tout court, premier ministre de « gauche » qui déclarait sa flamme au grand patronat dans toutes les langues et sous tous les toits de Paris, Londres ou Berlin, est l’homme qu’on ne présente plus mais qui continue à se présenter. Candidat malheureux aux primaires du PS, rallié à Macron dès le premier tour, il cherche à obtenir l’investiture LREM puis PS mais n’obtient aucune des deux pour se présenter aux élections législatives dans la 1ère circonscription de l’Essonne dont il était le député de 2002 à 2012.  Lot de consolation : ni LREM ni le PS n’investissent de candidat face à lui. Le voilà donc candidat estampillé Divers Gauche « majorité présidentielle », En Marche pour un nouveau mandat. Face à lui, on ne dénombre pas moins de 22 candidats parmi lesquels Farida Amrani, soutenue par la France Insoumise.

Forts de leur ancrage local et de la dynamique présidentielle de Jean-Luc Mélenchon arrivé largement en tête sur la circonscription, Farida Amrani, ancienne candidate aux élections municipales d’Evry et son suppléant Ulysse Rabaté, conseiller municipal d’opposition dans la ville voisine de Corbeil-Essonnes et candidat aux législatives de 2012, mènent, loin des caméras, une campagne de terrain tambour battant et s’avèrent être de sérieux concurrents pour le député sortant. Un sondage réalisé avant le premier tour donne en effet Manuel Valls et Farida Amrani au coude-à-coude au second tour. Manuel Valls remporte l’élection d’une centaine de voix mais Farida Amrani ne reconnait pas le résultat et dépose finalement un recours auprès du conseil constitutionnel.

La cour et la plèbe

La soirée du second tour a donné lieu à des scènes de confusion et d’extrême tension à la mairie d’Evry comme l’a notamment relaté une équipe de Quotidien présente sur place. Manuel Valls, retranché dans la mairie qu’il a dirigée de 2001 à 2012 et entouré de ses soutiens qui comptent notamment l’actuel maire d’Evry, proche d’entre les proches et ami intime de l’impétrant, déclare sa victoire tandis que les policiers municipaux repoussent énergiquement les soutiens de la candidate de la FI à l’entrée de l’édifice. Cette dernière, flanquée de son suppléant et de ses militants, déclare dans la foulée qu’elle revendique la victoire et qu’elle souhaite un recompte des voix.

Classe laborieuse, classe dangereuse

Dans les jours qui suivent, alors que Farida Amrani et ses avocats préparent un recours devant le conseil constitutionnel, Manuel Valls et ses soutiens tant politiques que médiatiques s’emploieront à bestialiser Farida Amrani, ses militants et ses électeurs en dénonçant la « campagne de haine » que ces derniers auraient menée contre le vertueux et très républicain citoyen Valls. Les chevaliers blancs de Valls dénoncent la « haine » de la part de la France Insoumise, en déversant au passage leur propre haine de classe sans aucune retenue. En effet, les arguments et les termes employés par certains défenseurs de Valls relèvent d’un véritable mépris de classe, dans la plus pure tradition de l’animalisation et de la diabolisation des classes populaires de la part de la bonne société. Rappelons que le vote FI dans une circonscription comme celle-ci est un vote de classe ; c’est principalement celui des quartiers populaires.

Ainsi, dans une tribune intitulée «  Ce que révèle l’inquiétante soirée électorale à Evry »,  publiée par Le Figaro, propriété de Serge Dassault, l’ancien sénateur-maire de Corbeil-Essonnes qui a apporté un soutien appuyé à Valls pour cette élection, l’essayiste et ex-élue PS Céline Pina vole au secours de Manuel Valls et tente de laver l’honneur de son champion. On peut notamment lire, sous sa plume que « si l’idéal du barbare peut être l’homme fruste, violent et sans limite, réduit à ses besoins et ses appétits, l’idéal du citoyen réclame, lui, hauteur de vue, empathie et tenue. Sans capacité à s’empêcher et à s’élever, c’est la bête humaine qui prend toute sa place et elle a le visage de la bêtise et de la brutalité. » Il n’est point besoin ici de faire une explication de texte tant l’animalisation des électeurs de Farida Amrani y est explicite et littérale. Céline Pina poursuit : « Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé à Évry, en cette soirée de second tour des législatives. Voir des caïds, dont il serait intéressant de savoir si beaucoup d’entre eux ont voté, contester un scrutin à coups de poing devrait faire rougir de honte la candidate de la France insoumise. » Elle ajoute plus loin, toujours à propos de Farida Amrani, qu’ « avoir dans son entourage pas mal de casseurs potentiels mais pas d’assesseurs mobilisables n’est pas un bon signe quand on croit en la démocratie. » Les « adeptes » de la France Insoumise, comme Céline Pina les nomme, sont donc tout bonnement accusés d’être des caïds et des casseurs potentiels. A moins que Madame Pina ait accès par on ne sait quel miracle aux casiers judiciaires des personnes présentes à l’entrée de la mairie d’Evry, ces accusations sont entièrement gratuites et relèvent de la stigmatisation pure et simple et du bon vieux “délit de sale gueule” à l’encontre des habitants des quartiers populaires.

La rengaine de « la classe laborieuse, classe dangereuse » ne date pas d’hier. Les similitudes entre les allégations de Madame Pina et les propos tenus par certains représentants de la bourgeoisie du XIXème siècle contre les communards sont, à cet égard, saisissantes. Jules Favre, le ministre des affaires étrangères de l’époque, dans une circulaire diplomatique, écrivait que « les vieux codes barbares sont dépassés par le banditisme qui, sous le nom de Commune, se donne carrière à Paris » tandis que le poète Leconte de Lisle déclarait : « La Commune ? Ce fut la ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs. »

Il est intéressant enfin de noter que Céline Pina établit un parallèle entre la soirée électorale d’Evry et l’épisode de la « chemise déchirée » d’Air France, autre événement qui avait déchaîné un flot ininterrompu de haine de classe dans les médias de masse.

Accusations d’islamogauchisme et soupçons d’antisémitisme

Quelques jours après l’élection, Manuel Valls déclare à Christine Angot dans les colonnes de Libération que « la France insoumise se compromet avec l’islam politique, voire avec les islamistes. » () sans avancer la moindre de preuve d’une telle affirmation. La directrice de La Revue des deux mondes, Valérie Toranian, abonde dans ce sens en évoquant l’islamo-gauchisme, sur le plateau de BFMTV, le 27 juin 2017 : « La violence de la haine contre Manuel Vals me donnerait plutôt envie de dire : “Ça suffit ! Trop c’est trop !” Autant d’acharnement, qui vient souvent-toujours des réseaux sociaux, des islamo-gauchistes… » . Céline Pina n’est pas en reste non plus dans sa tribune : « Ajoutons à cela qu’à Évry comme ailleurs, entre vision clientéliste du rapport au politique, montée en puissance de l’idéologie islamiste dans les esprits et replis identitaires, la victimisation est devenue une deuxième identité dans les quartiers et elle justifie tous les débordements et tous les refus de respecter la règle. »

Pourtant, le programme « L’avenir en commun » de la France Insoumise est clair et sans appel en la matière puisqu’il appelle à « combattre tous les communautarismes et l’usage politique de la religion ». De la même manière, aucune prise de position ou déclaration connue de Farida Amrani qui se présente avant tout comme une citoyenne, parent d’élève et syndicaliste ne laisse présager une quelconque complaisance avec l’islam politique. Rien ne justifie donc de telles allégations mais, dans un climat d’amalgames ambiants, personne ne semble demander aux vallsistes d’étayer des preuves de ce qu’ils avancent. Manuel Valls réitère ses propos sur le plateau de BFMTV le 4 juillet 2017 en répondant à Jean Jacques Bourdin qui lui demande s’il y a compromission entre la France Insoumise et les islamistes : « Oui, souvent, je l’ai vu en tout cas sur le terrain, en tout cas, un déni de refus d’un certain nombre de soutiens. Nous l’avons vu au cours de cette campagne. » sans que son contradicteur n’y trouve rien à redire. En raison de l’ampleur de la matrice médiatique, la charge de la preuve s’inverserait même : c’est à Farida Amrani qu’il reviendrait maintenant de se justifier, de montrer patte blanche et de prouver sa bonne foi au sens propre comme au sens figuré.

Pour compléter le tableau, Manuel Valls rajoute le soupçon de l’antisémitisme. Dans le même entretien à Libération, Manuel Valls déplore le fait que Farida Amrani « n’a rien dit » quand Dieudonné, candidat dans la circonscription battu, a appelé à voter pour elle au second tour. Il enfonce le clou : « C’est presque un angle mort. Comme on est du côté des plus faibles, on dit “ce sont des victimes”, on croit qu’il faut se mettre de leur côté, et on prend les voix. On est mal à l’aise, et on se retrouve à légitimer Dieudonné. » Même son de cloche et mêmes insinuations chez la journaliste Judith Waintraub (Figaro) qui estime sur BFMTV  qu’« il avait contre lui une coalition de mélenchonistes et de dieudonnistes. ». Les candidats qualifiés au second tour ne peuvent pas être tenus pour responsables des soutiens qu’ils engrangent à moins qu’ils les aient sollicités ou qu’ils les revendiquent par la suite. Ce n’est pas le cas de Farida Amrani en ce qui concerne Dieudonné. Peut-être Manuel Valls aurait-il apprécié que celle-ci appelle les électeurs de Dieudonné à ne pas voter pour elle, ce qui n’a aucun sens électoral. Dans un scrutin, chaque voix compte surtout lorsque le résultat s’annonce aussi serré. Manuel Valls le sait très bien et, d’ailleurs, il n’a rien dit non plus lorsque Serge Dassault, l’ancien sénateur-maire de Corbeil-Essonnes, vendeur d’armes de père en fils, condamné à 5 ans d’inéligibilité pour avoir caché des dizaine de millions d’euros au fisc et actuellement mis en examen pour achats de votes, lui a apporté son soutien.

Du reste, chez Manuel Valls, la dénonciation de l’islam politique est à géométrie variable. En effet, c’est sous son gouvernement que la France a remis la légion d’honneur à Mohammed Ben Nayef al Saoud, prince-héritier et ministre de l’intérieur d’Arabie Saoudite. C’est Manuel Valls qui s’enorgueillissait d’annoncer la signature de 10 milliards d’euros de contrats avec Riyad et qui ne trouvait pas indécent de faire des affaires avec l’Arabie Saoudite au nom de la défense de l’économie, de l’industrie et des emplois en France. En 2015, c’est bien son gouvernement qui a conclu avec le Qatar, une vente de 24 rafales  produits … par le Groupe Dassault. Le monde des puissants est petit et ne soucie guère de l’islam politique en son sein. La solidarité de classe dont ils font preuve n’a en revanche d’égal que leur mépris de classe à l’égard des habitants des quartiers populaires.

Crédits photo :© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

Tribune : Le changement, ce n’est pas maintenant

Raphaëlle Martinez, candidate dans la 5e circonscription du Val de Marne.

Raphaëlle Martinez est candidate pour La France Insoumise dans la 5ème circonscription du Val de Marne. Elle prend ici la parole pour expliquer son choix de vote au second tour.

Le monde que nous voulons pour demain, nous le connaissons. Nous le rêvons, l’imaginons et tentons tant bien que mal de le construire. Un monde avec plus de justice sociale, plus de démocratie, moins d’inégalités de genre, d’orientation sexuelle ou d’origine, un air et des terres moins polluées, plus aucun danger nucléaire ou belliqueux, bref au monde où chacun serait en sécurité, écouté et respecté.

Au vu des candidats présents au second tour, cela va être (encore) plus compliqué que prévu. Les rêveurs s’en sont pris un coup. J’en ai pris un gros moi-même. Mais le moment est venu de se relever. J’ai ainsi décidé de partager avec vous ma réflexion et ma décision pour le 7 mai prochain.

Pour commencer, deux désintox : 

  • Quel que soit le niveau d’abstention ou de vote blanc, l’élection ne sera pas annulée
  • Le FN n’a pas perdu d’avance

Ainsi, 2 issues sont possibles au scrutin du 7 mai prochain : 

Marine Le Pen au pouvoir. Certains disent qu’elle ne fera rien. D’autres qu’elle fera le pire. Quoi qu’il en soit, la Ve République confèrera à Marine Le Pen et à plusieurs éléments dangereux du Front National des pouvoirs extrêmement importants. Dans l’état actuel de notre constitution, ceci serait réellement inquiétant.

Le FN n’a pas changé, malgré la réussite incontestable de sa stratégie de dédiabolisation notamment avec sa vitrine sociale et progressiste pourtant en totale incohérence avec sa prise de position au Parlement Européen. Réussite également facilitée par de nombreux grands médias qui allaient jusqu’à comparer à des heures de grande antenne le programme de Marine Le Pen à celui de la France Insoumise. On en finirait par oublier que le Front National, c’est la fin de la scolarité pour les enfants étrangers, la fin du droit du sol, la fin de la cantine gratuite pour les élèves les plus pauvres comme ils l’ont déjà entrepris au Pontet (Vaucluse). Le Front National c’est la fermeture des plannings familiaux, l’abrogation du mariage pour tous, la coupure des subventions aux associations LGBT+.

Durant le quinquennat Hollande, de nombreuses dérives policières ont eu lieu. Le meurtre d’Adama, le viol de Théo. Nos chers amis socialistes ont fait passer une loi assouplissant les cas autorisant les forces de l’ordre à tirer à balles réelles, l’élargissant au-delà de la légitime défense. Ils connaissaient alors le risque que le Front National arrive au pouvoir quelques mois après.

Enfin, l’article 16 de notre constitution actuelle permet d’instaurer légalement une quasi-dictature en accordant les pleins pouvoirs sans limite de durée. François Hollande voulait réformer cet article de la constitution, il ne l’a pas fait. Le gouvernement Le Pen n’hésitera pas à user de cet article, dédié aux «situations exceptionnelles», en instrumentalisant le premier acte terroriste du quinquennat, et ainsi s’octroyer les pleins pouvoirs, à elle et sa bande d’azimutés.

La Ve République ne permet ainsi pas dans l’état actuel des choses de protéger la démocratie.

Emmanuel Macron au pouvoir. Nous savons exactement ce qui nous attend, un deuxième quinquennat Hollande. Nous ne nous faisons pas d’illusions. Macron détricotera le code du travail et toutes nos avancées sociales sans pitié par ordonnances pendant les vacances d’été. Une super-loi El Khomri. Cependant, le quinquennat calamiteux que nous venons de vivre nous a permis de nous organiser, de développer nos idées, de prendre de l’ampleur et a permis à la France Insoumise de s’imposer de manière évidente comme première force de gauche. Ce quinquennat a permis d’éveiller les consciences en ayant de parfaits exemples de ce que les citoyens ne veulent plus. Il a également permis au FN de se développer. Certes. Mais nous l’avons combattu, tenté de le contenir. Nombre d’électeurs du FN sont des dégoûtés du système politique actuel, c’est un vote contestataire. À nous de continuer notre travail de démystification le FN, continuons de montrer que cette image sociale n’est qu’une vitrine, qu’ils votent le contraire au Parlement Européen et à l’Assemblée, et surtout, surtout, à nous de continuer à combattre le racisme et l’homophobie. Continuons de porter avec fierté notre triangle rouge.

Nous connaissons les responsables de cette situation calamiteuse, un deuxième tour avec un Front National aussi fort et dédiabolisé au portes du pouvoir où on leur donnerait des clefs loin d’être démocratiques. Nous avons tout fait pour que cela n’arrive pas. Maintenant, il est de notre devoir de continuer à protéger notre pays.

La Ve République n’est pas démocratique. Nous le savons. Alors ne laissons pas l’extrême droite arriver au pouvoir dans ce contexte. Le changement, pas maintenant. Laissons les clefs de l’Elysée aux néolibéraux pour encore 5 ans plutôt que de couper tout espoir d’un avenir en commun.

Je voterai pour le néolibéral Emmanuel Macron, pour que nous ne nous éloignions pas des jours heureux qui arrivent doucement mais sûrement avec l’éveil des consciences qui se propage. Soyons positifs et continuons de construire notre avenir. Protégeons le semblant de fragile démocratie que nous avons actuellement afin de pouvoir en établir une vraie au plus vite, et que cette situation indigne de prise en otage des électeurs ne se reproduise plus jamais. Protégeons également notre unité en respectant les choix de chacun. Je vote Macron, tu votes blanc, il s’abstient. Restons unis et tournés vers l’avenir.

Et la culture dans tout ça ?

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Le site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France ©Poulpy

Tous les candidats à la présidentielle 2017, sans exception, mettent la culture au centre de leurs discours, mais pas au centre de leurs priorités. Si La France insoumise est le seul mouvement politique à avoir sorti tout un livret sur la seule question culturelle (Les Arts insoumis), tous les autres outrepassent cette thématique qui, si certains l’oublient, est aussi un secteur économique important qui génère plusieurs milliards d’euros tous les ans avec des retombées économiques directes non négligeables.

La culture comme secteur économique

Avant de comparer les programmes et propositions des différents candidats, rappelons que la culture est un secteur économique énorme. Si la France est le pays le plus touristique du monde, ce n’est pas seulement pour son vin rouge mais aussi pour le musée du Louvre, le festival d’Avignon, pour se tenir devant la cathédrale Notre-Dame-de-Fourvière ou la tombe de Georges Brassens à Sète.

En termes de chiffres, le secteur de la culture concentre 3% des emplois, à savoir 700 000 salariés et non salariés. C’est une augmentation de 50% sur vingt ans. Actuellement à 0,65% du PIB, le budget de la culture, quant à lui, n’a pas vraiment augmenté. Si on rapporte le budget de la culture aux personnels qu’elle emploie, il baisse de facto. En 2015, le poids économique direct de la culture — c’est-à-dire la valeur ajoutée de l’ensemble des branches culturelles — était de 43 milliards d’euros. La croissance des branches culturelles, depuis 2008, est en baisse. Seules certaines, comme l’audiovisuel et le patrimoine, augmentent faiblement – croissance qu’il nous faut garder à l’esprit.

En effet, si l’on avait une seule approche économique et de profit sur la culture, nous comprendrions bien vite qu’il y a intérêt à augmenter son budget. Presque tous les candidats sont d’accords pour, au moins, ne pas baisser ce budget. Quelques 180 artistes déploraient, dans un appel publié dans le Huffington Post de février, un « silence pesant sur la culture ». La grande oubliée des débats des primaires et à cinq et onze candidats, la culture, bien qu’elle apparaisse dans tous les programmes, fait figure d’ornements, là où elle devrait être un panneau de direction pour notre pays.

 

Les propositions

Nous faisons le choix d’évincer quelques candidats qui n’ont pas de réelles propositions concernant la culture (Nathalie Arthaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, et Philippe Poutou).

Nicolas Dupont-Aignan propose la gratuité des musées le dimanche pour les Français et les résidents et rehausser le budget de la culture à 1% du PIB. Maigre effort. Abrogation de la loi Hadopi, bonne idée mais partagée par tous les candidats. Sinon, il souhaite investir 400 millions d’euros mais seulement dans le patrimoine. Si l’on comprend bien, NDA souhaite investir seulement où cela rapporte plutôt que d’essayer d’équilibrer les branches entre elles.

Quant à François Fillon, déjà responsable d’un quinquennat culturel désastreux sous l’ère Sarkozy, et en totale rupture avec les Grands Travaux culturels du passé, il n’est égal qu’à lui-même. Il souhaite « réduire la fracture culturelle, soutenir la création française et faire de nos atouts culturels un vecteur de développement et de rayonnement ». C’est un peu flou, on ne comprend pas. Concrètement, il souhaite développer ce qu’il appelle la « conscience d’appartenance à la civilisation européenne » ce qu’on peut rapprocher de sa  réécriture du « grand récit national ». Dangereux. En feuilletant son programme, on tombe sur quelques mentions du statut des intermittents qu’il ne porte pas vraiment dans son cœur. De fait, il souhaite lutter contre leurs soit-disants « abus » et exclure une « forme d’emploi permanent ». Quand on sait que les intermittents du spectacle sont dans la classe des travailleurs pauvres et les plus précaires de France, on ne peut que railler ces propositions. Le candidat anti-système, pour le coup, est à contre-courant de ce que tout le monde propose concernant la Loi Hadopi. Tous s’accordent pour l’abroger, M. Fillon souhaite la renforcer. Ses propositions parlent d’elles-mêmes.

Le ministère de la Culture et de la Communication

Concernant le Parti Socialiste et Benoît Hamon, derrière un slogan « La culture partout, par tous, pour tous » et appuyés par la réalisatrice Valérie Donzelli qui a réalisé le clip de campagne, leur projet ne comporte absolument aucune nouveauté, aucune proposition concrète, aucune idée. Benoît Hamon pense sans doute qu’allouer 4 milliards d’euros supplémentaires à la culture le fera passer pour le nouveau Malraux. C’est en réalité dans la droite lignée du quinquennat culturel de Hollande, sans étincelle, sans inspiration, mais un budget qui augmente.

Étonnamment, Jean Lassalle est le seul “petit candidat“ avec des idées. Bien qu’elles aient peu de chances d’être appliquées, ses propositions concernant la culture valent le détour pour leur singularité. Il souhaite créer, sur le modèle de la Fête de la Musique, les Fêtes de la Philosophie et des Savoirs, du Sport et de l’Engagement. Même si le français serait la langue de l’administration, il souhaite protéger les langues régionales ; et rattacher la francophonie au ministère de la Culture. D’autre part, il voit d’un bon œil la création d’un circuit de salles pour décentraliser les œuvres basées à Paris vers la province. Plus cocasse, il souhaite enseigner les arts martiaux dès l’école primaire à tous les enfants.

De nombreux artistes s’engagent depuis des décennies pour combattre l’idéologie du Front National. Marine Le Pen n’a pas de programme culturel, à part celui de rendre les Français trop fiers de leur pays dans une logique de repli national, que l’on connaissait déjà chez le père Le Pen. Elle souhaite une protection nationaliste de la culture et promouvoir le « roman national ». Il y a quelques temps, elle remettait en cause la culpabilité de l’État français dans la rafle du Vel d’Hiv’. Un « roman national » négationniste, ce ne serait justement qu’un « mauvais roman » et non pas l’Histoire de France. Le FN, en voulant créer une seule culture française, se retrouve à la nier.

En Marche ! et Emmanuel Macron sont fidèles à eux-mêmes et voient la culture comme un bien marchand. Pro-Europe, ils souhaitent la création d’un « Netflix européen » de libre-circulation des artistes et des projets culturels. Le nom du projet annonce l’arnaque. Au lieu de protéger les travailleurs de la culture qui subissent déjà la concurrence européenne sur les salaires et l’austérité des politiques étatiques, M. Macron veut l’amplifier en les intégrant dans un réseau “Netflix“ pour les précariser d’autant plus. D’ailleurs, que dit M. Macron des intermittents ? Il souhaite une « adaptation de leur statut », traduire : flexibilisation. Comme s’ils n’étaient pas déjà assez assujettis aux conjonctures économiques ! Ses amis mécènes ont d’ailleurs dû lui souffler à l’oreille qu’il serait bon qu’ils soient exemptés de l’ISF — impôt de solidarité sur la fortune — car, après tout, ils sont investis d’une mission culturelle, eux aussi, de diffusion de la culture. Sauf que lorsqu’on voit les fondations privées telles que Pinault ou LVMH braquer les trésors culturels du monde entier — comme ceux de la Syrie en guerre — pour les transformer en marchandises, on évite de leur faire pareil cadeau et on leur demande plutôt de payer des impôts. Tout simplement. D’autre part, M. Macron souhaite maintenir le budget tel qu’il est, alors qu’il scande dans ses meetings « Hors d’elle [la culture] il n’est pas de véritable citoyenneté ».

Le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a consacré avec son équipe de campagne un livret de 28 pages, Les arts insoumis, la culture en commun, sur les propositions culturelles. De tous les candidats, il est celui qui consacre le plus de propositions intéressantes et nécessaires sur les politiques culturelles. Il souhaite un retour progressif de l’État pour remplacer le privé afin d’accélérer la démocratisation culturelle. Connaissant les conditions de vie des intermittents du spectacle, il souhaite mettre fin à cette précarisation et supprimer les niches fiscales des mécènes et leur faire payer l’ISF. Il propose également de rehausser le budget à 1% du PIB — et non pas du budget de l’État. L’ancien professeur de français souhaiterait aussi la gratuité des musées le dimanche, un investissement de 100 millions d’euros dans l’éducation artistique et culturelle de la maternelle jusqu’à l’université. Il souhaite également s’appuyer sur les conservatoires qu’il juge cruciaux dans la formation de l’excellence artistique française de demain. Dans les nouveautés, sur le modèle d’Arte, la chaine franco-allemande, il imagine une chaine méditerranéenne semblable pour accroitre la coopération culturelle entre les pays européens du Sud. L’homme à l’hologramme investit également le numérique dans lequel il voit un atout important pour démocratiser la culture. Entre autres, mettre en place une cotisation universelle sur un abonnement internet pour accéder à une médiathèque publique de téléchargements non-marchands et rendre la culture accessible à tous. Cela permettrait aussi de mieux rémunérer les droits d’auteurs et de protéger ces derniers.

Croire à la culture, c’est croire à un futur commun

Avant d’être sauvagement torturé et assassiné par Klaus Barbie, Jean Moulin prévoyait une grande politique culturelle d’après-guerre, baptisée « Les jours heureux ». Il avait l’ambition d’une décentralisation culturelle, d’un maillage de structure et de lieux en région, et d’un plus grand accès à tous à la chose culturelle. La guerre finit. Arriva de Gaulle et Malraux qui fondèrent les Affaires culturelles. Puis Pompidou avec le centre éponyme. Giscard d’Estaing avec le musée d’Orsay et l’Institut du Monde Arabe. Puis Mitterrand et son acolyte Jack Lang qui firent le grand Louvre, l’opéra Bastille, la grande Arche et la Bibliothèque nationale de France. Déjà sous les deux quinquennats Chirac, on observa une baisse en régime avec le seul Quai Branly. Sous  Sarkozy et Hollande, rien… Une perte d’idées, de directions, une perte d’ambition.

André Malraux, premier ministre attaché aux Affaires culturelles

La chose culturelle est bien plus qu’une marchandise dans laquelle il faut investir pour espérer des retombées économiques directes. La culture est un bien commun de l’humanité, elle est ce qui nous différencie de l’animal et ce qui nous empêche de faire la guerre — contrairement à la conception lepéniste. Justement, André Malraux disait : « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». Puis d’ajouter, au Sénat en 1959 : « Il appartient à l’université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ses pièces de les faire aimer. Notre travail, c’est de faire aimer les génies de l’humanité, et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les faire connaître. La connaissance est à l’université ; l’amour, peut-être, est à nous. »


Sources : 

Images : 

©Poulpy

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Alliance Hamon – Jadot – Mélenchon : pourquoi il faut tourner le dos au PS

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Primaires_de_la_gauche_-_janvier_2017_-SMdB_(5).JPG
© Benoît Prieur

Hacker la présidentielle. Mettre de côté les enjeux personnels. Présenter une candidature d’union au service de la France. Un projet qui fleure bon le printemps, là où tout est rose, tout est fleuri et merveilleux. L’idée est tentante… Mais cette alliance serait un piège stratégique qui ne ferait que redorer le blason du Parti Socialiste. Cette pétition qui commence à circuler sur les réseaux sociaux est à l’initiative d’un certain nombre de personnalités dont on connaît l’engagement pour un projet de société viable. Cet appel paré de toutes les belles intentions n’en constitue pas moins une grossière erreur de jugement. Et ceux qui, en la partageant, pensent faire preuve du meilleur sens politique, font en réalité le bonheur de tous les barons du système.

Le PS ne mérite aucun pardon

Le résultat du 2nd tour de la primaire est certes une bonne nouvelle. Il marque une étape supplémentaire dans l’effondrement du vieux monde politique. Deux présidents et deux premiers ministres ont été balayés par le piège des primaires. Moins de 15% des électeurs ont participé à celles du PS et de la droite. En faisant confiance aux chiffres surgonflés par M. Cambadélis, tout au plus 2 millions d’électeurs sur 48 potentiels à l’échelle nationale ont participé à la primaire du PS. Et plusieurs milliers sans doute, se sont précipités pour gifler une deuxième fois Manuel Valls. Pas nécessairement pour applaudir Hamon.

Mais les électeurs ont la mémoire courte. N’oublions pas qu’ Hamon est l’heureux héritier du bilan Hollande. Hamon est le complice de la Loi Travail, de la Loi Macron, auxquelles il s’est opposé bien mollement. Mais il est surtout responsable, alors au gouvernement, du vote du traité budgétaire européen (TSCG) en 2012 et du CICE (40 milliards offerts gracieusement au MEDEF sans contrepartie). Quelle crédibilité possède Benoît Hamon, qui prône aujourd’hui la justice sociale après avoir été membre d’un gouvernement qui l’a niée an bloc ? Il y a quelques jours, on soupçonnait le PS de manipulation des résultats au premier tour des primaires. Peu de votants, 35 000 adhérents tout au plus et un bilan catastrophique. Et soudain, au lendemain de la victoire de Benoît Hamon, un curieux bond dans les sondages, comme pour mieux rappeler au troupeau pour qui il faut voter. Le PS n’est plus qu’une coquille vide et ne mérite pas qu’on oublie son bilan. L’idée d’une convergence sous l’égide d’Hamon est tentante. Mais quelle est sa légitimité après avoir été le fossoyeur des valeurs de la gauche ?

Crédibilité et cohérence zéro 

Impossible de s’allier quand les projets sont trop différents. La pétition entend œuvrer pour un projet écologique, social et économique au service de la France. Il s’agirait de regonfler la voile de la gauche et de faire barrage aux dangers que constituent le néo-libéralisme de Fillon et Macron et la xénophobie de Marine Le Pen. Encore une fois, les électeurs ont la mémoire courte. On se remémore encore le fameux « mon ennemi c’est la finance ! » du brave Hollande. Les déclarations d’intention des candidats ne comptent pas : seules devraient nous intéresser la crédibilité des partis et la cohérence des programmes. Or, de crédibilité et de cohérence, le parti et le programme de Hamon n’en possèdent pas.

Le PS devrait d’abord commencer par résoudre ses propres incohérences en interne. On oublie vite que Myriam El Khomri dans le 18ème et Manuel Valls à Evry  sont candidats aux législatives. Cela signifie que la ministre de la Loi Travail, et le 1er ministre du 49-3 se présentent en promettant – via Hamon – d’abroger la Loi Travail et le 49-3. Sans compter les défections en cours et à venir des ténors du PS qui rejoignent Macron la queue entre les jambes, priant pour sauver leur carrière politique ! Même inconséquence pour le programme politique de Benoît Hamon : l’ex-ministre de l’Education nationale use et abuse de la communication sur un hypothétique « revenu universel » tout en jouant les européistes béats. Mais des revendications écologiques et sociales radicales ne seront pas dissociables d’une interrogation critique vis-à-vis du projet européen. Le programme de Benoît Hamon est strictement inapplicable dans le cadre de l’Union Européenne, fer de lance des politiques néolibérales et bras armé des lobbies pollueurs. Or, de son aveu même, Benoît Hamon ne croit pas à l’idée d’un “rapport de force” avec l’Union Européenne. Quelle crédibilité, dès lors, pour son programme écologique et social ?

Diviser pour régner

L’appel du pied d’Hamon et cette pétition sont un piège. Appeler à une telle convergence à moins de trois mois de l’élection présidentielle peut donner à certains l’impression d’œuvrer pour le meilleur des mondes en dénonçant le « jeu des égos » et la stratégie politicienne. C’est en réalité la manœuvre parfaite pour assurer la pérennité du système. Proposer une alliance sans avoir l’intention de, forcer les autres à la refuser, les dénoncer ensuite. Avec le renfort de la grande presse et de sondages bidonnés, huer les égoïstes et les stratèges. Le deal parfait pour semer le trouble et sauver le parti socialiste ! Classique. On nous a déjà fait le coup. Hamon, en 2012 déjà, déclarait au Figaro en parlant de Hollande : « On lui assure un flanc gauche qui évite que certains électeurs se tournent vers Mélenchon. » A moins que Hamon n’ai été touché ces 2 derniers mois par la grâce divine et la révélation écologiste, il pourrait tenir toujours le même rôle. Le risque, en définitive, à trop appeler à une convergence qui irait dans le même sens qu’en 2012, serait d’ouvrir la voie à un Macron qui siphonne d’ores et déjà des voix de tous les côtés. On apprend ce matin qu’ Hollande manifeste son soutien à Hamon. Au mieux, la preuve d’un bel aveu de filiation. Au pire, la marque de Caïn signé Hollande pour sacrifier définitivement Hamon au profit de Macron. En ce sens, et sans être défaitiste, il faut aussi s’attendre à l’éventualité d’un second tour Macron – Fillon. Dans cette perspective, aucun intérêt stratégique à se compromettre avec un parti dont les cadres abandonnent déjà le navire pour se jeter dans les bras de « monsieur Rothschild ».

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Il s’agit de refuser d’être cette fois les complices d’un PS impardonnable. Yannick Jadot refuse déjà l’idée d’une alliance, souhaitant incarner seul les idées d’ EELV, à moins qu’Hamon ne “s’émancipe du PS“. Plutôt que de s’engouffrer à nouveau dans des manœuvres d’appareil, le défi des électeurs et des candidats sera de se focaliser justement sur un programme radical. Pour redorer le blason de la gauche, engageons-nous pour un projet global de planification écologique, de relocalisation de l’économie, de fin du productivisme et de justice sociale. Le défi est bien celui d’une exigence écologique couplée à une nécessaire justice sociale. Donc ce n’est pas sur un PS compromis qu’il faudra compter ! Si penser que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare, alors il apparaît indispensable de laisser le PS mourir pour mieux préparer l’avenir. Aller vers une « démocratie collaborative » implique de ne pas renouveler notre confiance à ceux qui se sont assis à la table du gouvernement. Et si Mélenchon avait les clés en main ? Il ne tient qu’à lui de fédérer pour la gagne, celle de la vraie gauche, sans concéder sur le fond. Appeler à une convergence, sans aucun doute. Mais sans le PS.

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