Autorisation du Roundup : à quoi jouent les autorités sanitaires ?

Le glyphosate est le principe actif du Roundup, le désherbant le plus vendu au monde, commercialisé par la marque Monsanto depuis 1974.

Alors que le plagiat des documents de Monsanto par l’Institut fédéral d’évaluation des risques allemand (BfR) défraie la chronique, en France aussi, l’expertise et l’impartialité des agences sanitaires sont mises en doute. Mardi 15 janvier, le tribunal administratif de Lyon a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Round Up Pro 360 délivrée par l’ANSES. Retour sur une affaire particulière qui, au-delà de l’acte fort que représente l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché d’un pesticide, questionne le système d’évaluation de la toxicité par les agences compétentes.


Pour résumer brièvement, l’affaire débute le 6 mars 2017 avec l’autorisation de mise sur le marché du Round up Pro 360 par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) présente alors une requête au tribunal administratif de Melun contre cette décision. En mai 2017, la présidente du tribunal de Melun transmet le dossier au tribunal administratif de Lyon, qui, le 15 janvier 2019, annule la décision de l’ANSES pour méconnaissance du principe de précaution. Explications.

Le CRIIGEN, à l’origine du recours, est un groupe d’experts fondé en 1999 par Corinne Lepage[1]. Un de leurs buts historique autodéclaré était notamment de “semer le doute sur l’innocuité des OGM et de fournir des arguments avec le label «scientifique et indépendant» aux militants anti-OGM”. Il s’est notamment fait connaitre pour ses publications contre l’Autorité européenne de sécurité des aliments dans le dossier du maïs génétiquement modifié MON 863.

Le CRIIGEN considère les autorisations de mise sur le marché comme uniquement effectuées sur la base d’informations délivrées par les firmes. Son combat principal porte sur la transparence et la publicisation des études scientifiques sur la toxicité des produits. Aujourd’hui, on oppose à la publication de ces études les considérations légales de droits d’auteurs et de secret des affaires.

Dans le cas du Round Up Pro, le comité a adressé deux demandes au tribunal administratif de Melun. D’abord l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché du Round Up Pro précedemment évoquée, mais également la saisie de la Cour de justice de l’Union européenne sur les modalités de conditions d’approbation de la substance active glyphosate.

La sécurité alimentaire, un droit

En effet, notre sécurité alimentaire est régie par le droit européen ; les conditions de mise sur le marché et d’utilisation des produits phyto pharmaceutiques sont définies par le règlement européen n°1107/2009. Une fois ces conditions remplies, les décisions finales d’autorisation, de modification ou de renouvellement reviennent à l’agence sanitaire nationale, en l’occurence l’ANSES, qui doit s’appuyer pour ce faire sur une évaluation du produit qu’elle a elle-même conduite[2] dans un de ses onze laboratoires.

Le principe de précaution est très important puisqu’il permet l’action, l’interdiction d’un produit par exemple, sur la base d’un risque non prouvé.

Le droit national n’est tout de même pas inexistant, et le droit de l’environnement a pris, en France, une importance croissante depuis 15 ans. La Charte de l’environnement, charte à valeur constitutionnelle, protège depuis 2004 le droit pour chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Cette charte a notamment consacré le « principe de précaution ».

Ce principe est très important puisqu’il permet l’action, l’interdiction d’un produit par exemple, sur la base d’un risque non prouvé. Selon l’article 5 « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent […] à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation de ce dommage. ». En d’autres termes, le doute suffit à justifier des mesures publiques de protection.

C’est sur la base de ce principe que le CRIIGEN a attaqué l’ANSES. En effet, pour le Comité, il existait des doutes certains sur la dangerosité du produit. Ces doutes auraient dû suffire à l’ANSES pour ne pas délivrer l’autorisation de mise sur le marché.

Parmi les exemples cités par le requêrant, on trouve une étude du Centre International de recherche sur le cancer (CIRC). Ce dernier avait mené une étude en amont de la mise sur le marché du Round Up Pro, et avait estimé que le glyphosate était « probablement cancérogène »[3]. Le CIRC est un organe reconnu, branche de l’OMS, à l’expertise scientifique avérée.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ne classe, elle, le glyphosate que comme une substance « suspectée d’être cancérogène ». l’EFSA s’est d’ailleurs exprimée sur cette différence après la publication de l’étude du CIRC. Pour l’agence européenne, la différence de résultat vient du fait que le CIRC s’intéresse aux préparations à base de glyphosate et non juste au glyphosate lui-même, comme le fait l’EFSA.

Or le glyphosate n’est jamais utilisé pur. Il est un principe actif que l’on trouve dans de nombreux désherbants de différentes marques, toujours mélangé à d’autres produits. De plus, les agriculteurs sont susceptibles d’utiliser plusieurs produits phytosanitaires.

« Effet cocktail »

L’un des principaux problèmes de l’évaluation officielle se trouve sur ce point précis, autrement appelé « effet cocktail ». En effet, la dangerosité du glyphosate n’est pas prouvée. Par contre sa dangerosité lorsqu’il est mélangé, ou au contact de d’autres produits, fait déjà beaucoup plus l’unanimité.

Autrement dit, si le glyphosate comme substance active n’est pas officiellement cancérogène, les mélanges en contenant peuvent l’être.

A fortiori, l’utilisation de d’autres adjuvants, et les différentes combinaisons possibles, sont une lacune avérée de la recherche en matière de toxicité. Ce paramètre est pris en compte dans le droit européen depuis 2009, mais les tests ne semblent pas être systématiques. C’est notamment le cas du Round Up Pro 360 justement.

Une autorisation douteuse

Dans le cas du Round up Pro, l’ANSES n’a pas testé la dangerosité du produit. Elle a autorisé sa mise sur le marché au motif que la composition était identique à celle du Typhon, autre produit phytosanitaire à base de glyphosate et autorisé à la vente en 2008.

Selon le CRIIGEN,  l’évaluation des risques et dangers du produit Typhon est caduque. L’autorisation du Typhon se basait sur les doses journalières admissibles de glyphosate et non sur une analyse de la préparation du Typhon. Autrement dit, la proportion de glyphosate qu’il contenant était jugé suffisament faible pour ne pas présenter une risque avéré dans des conditions normales d’utilisation.

Or, comme nous l’avons vu, ce mode d’évaluation ne permet pas de prendre en compte “l’effet cocktail”. Le règlement européen n°1107/2009 a permis de faire évoluer la législation en matière de test. Désormais, pour permettre une mise sur le marché, un contrôle doit être effectué sur l’interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et coformulants. Il semblerait que ce test n’ait pas eu lieu au moment de la reconduction de l’autorisation du Typhon. Or, cette reconduction a servi de base à la décision d’autoriser le Round Up Pro.

Donc, au regard de ses nouveaux éléments sur « l’effet cocktail », le doute est plus que permis sur la dangerosité et le caractère cancérogène des deux produits, Typhon et Round Up.

La compétence du juge administratif

Cette démonstration est directement tirée de l’arrêt du tribunal administratif de Lyon.

La juridiciton mobilise également d’autres études menées en parallèle à celle du CIRC pour justifier sa décision. Elle fait notamment état d’une étude de l’INSERM Pesticides/effets sur la santé publiée en 2013 sur le lien entre glyphosate et morts fœtales, pour conclure à la dangerosité suspectée du produit.

Mais le tribunal ne considère pas uniquement le risque pour la santé humaine, il ouvre également une porte pour juger de l’impact sur l’écosystème au regard des études menées. Et là aussi, le « laxisme » supposé par le CRIIGEN dans l’évaluation de l’ANSES est validé par le tribunal.

Le tribunal administratif de Lyon conclut de tous ces éléments que « l’utilisation du Round Up Pro 360 porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé.»

En effet, un règlement européen de 2008 classe le glyphosate dans la catégorie « toxique pour les organismes aquatiques ». Mais le Round up Pro est également composé d’ammonium quaternaire à 9.5%. Cet autre composé a, au regard du même règlement « une toxicité chronique aquatique ».

Un avis de l’ANSES avait d’ailleurs été rendu au sujet du Typhon, qui, rappelons-le, a la même composition que le Round up 360, disant que le Typhon était 12 fois plus toxiques pour les organismes aquatiques que le seul glyphosate ». Le risque était donc connu.

Le tribunal administratif de Lyon conclut de tous ces éléments que « l’utilisation du Round Up Pro 360 porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Par suite, l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Round Up Pro 360. ».

Affaire à suivre

L’ANSES a réagi dans un très bref communiqué le 17 janvier. Elle conteste toute erreur d’appréciation dans l’application de la réglementation nationale et européenne.

Cette affaire doit être comprise comme l’extension de la compétence du juge administratif sur l’expertise scientifique d’une autorité indépendante comme l’Anses. A travers ce jugement, c’est bien l’impartialité et la compétence de l’autorité sanitaire qui sont mises en doute.

Le principe de précaution est également inscrit dans le droit européen. [4] Un raisonnement similaire n’est pas à exclure à cette échelle, ce qui ouvre de nombreuses portes aux associations et à la société civile.

Le droit semble être le nouveau terrain de protection de l’environnement. Cette décision intervient notamment après le lancement de la très médiatique « Affaire du siècle », et dans un contexte de recours croissant des associations contre les tribunaux. Reste à mesurer la concrétisation de ces décisions.

[1] Ministre de l’environnement sous Jacques Chirac et députée européenne jusqu’en 2014

[2] Principes uniformes d’évaluation et d’autorisation mentionnés au paragraphe 6 de l’article 29 du règlement CE n°1107/2009

[3] Classification 1B, Classification 2 correspondant aux substances « suspectées d’être cancérogènes »

[4] Paragraphe 2 article 191 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne. Article 35 de la charte sur les droits fondamentaux de l’Union européenne.

Ce qu’une agriculture sans pesticides veut dire

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Coquelicots du peintre Robert Vonnoh, photographe ©Exhibition Catalogue Americans in Paris, Metropolitan Museum

De la démission de Nicolas Hulot aux marches pour le climat organisées dans de nombreuses villes de France, les voix portant l’urgence d’une transition écologique de grande ampleur semblent ces jours-ci plus nombreuses et plus audibles. Dernières en date, celles des signataires de la pétition “Nous Voulons des Coquelicots”. Rallié par des personnalités de tous horizons et présenté dans plusieurs médias par le journaliste Fabrice Nicolino, l’Appel des Coquelicots se donne un objectif simple et ambitieux : débarrasser les sols et les assiettes françaises des pesticides de synthèse. Un combat qui a vocation à s’inscrire dans le temps, puisqu’un changement de modèle agricole ne saurait se faire en quelques jours, mais pour lequel on peut déjà identifier de sérieux défis à relever.


Depuis dix ans l’échec des petits pas

Interdire tous les pesticides : pourquoi un tel impératif catégorique ? Sans doute l’urgence de la situation le commande. Mais plus encore, c’est à notre impuissance collective et plus précisément à l’échec des politiques publiques environnementales que s’adresse l’appel. Comment en effet ne pas faire le constat d’un problème récurent de méthode dans la manière qu’ont les gouvernements d’envisager la question environnementale ?

Chiffres désormais répétés partout, les conclusions des dernières études sur la biodiversité sont radicales [1]. En quinze ans, un tiers des espèces d’oiseaux ont disparus en France. Sur les trente dernières années, ce sont près de trois quarts des espèces d’insectes volants qui se sont éteintes en Europe. Les sols français n’ont jamais été aussi dégradés et la surface de terre arable en France ne cesse de diminuer.

Et la transition vers une agriculture durable se fait toujours attendre. Malgré une vraie progression, l’agriculture biologique reste marginale [2] et ne parvient pas à répondre à la totalité de la demande des consommateurs, pourtant enclins à acheter local. Dix ans après le Grenelle Environnement du quinquennat Sarkozy, nous en sommes peu ou prou au même point. L’inefficacité et l’inadéquation de la méthode dite des « petits pas » est aujourd’hui criante. Bien souvent inatteignables aux vues des moyens qu’on leur consacre, les propositions ponctuelles et sporadiques, sans vision d’ensemble et sans réflexion structurelle ont perdu toute crédibilité. Les capacités d’adaptation des filières – éventuellement aidées par un peu de réglementation – et les mécanismes commerciaux usuels ne sont guère plus convaincants. Si les marchés étaient réellement capables d’intégrer la contrainte climatique dans leurs fonctionnements, qu’ont-ils attendu et qu’attendent-ils encore ? L’agriculture productiviste et mondialisée, pourtant en première ligne sur la question puisqu’elle voit ses rendements menacés par l’augmentation des températures [3], ne semble pas particulièrement pressée d’engager une transition.

“Dix ans après le Grenelle Environnement du quinquennat Sarkozy, nous en sommes peu ou prou au même point, l’inefficacité et l’inadéquation de la méthode dite des « petits pas » est aujourd’hui criante”

L’inertie et le ridicule dont est frappée la dernière décennie d’action climatique dans les sociétés occidentales achève ainsi de nous convaincre d’une chose : si ce n’est le marché, ce sera donc l’État qui fera la transition. Seule une intervention conséquente, coordonnée et intelligente de la puissance publique est susceptible d’inverser la tendance, en matière climatique comme en matière de biodiversité. L’invention d’un modèle d’agriculture durable est avant toute chose une question de volonté politique. Plutôt qu’une énième compilation d’articles scientifiques, l’Appel des Coquelicots adopte un ton résolument lyrique, taillé pour l’action et le rêve d’un « soulèvement pacifique de la société française » contre l’extraordinaire puissance de blocage que représentent aujourd’hui les lobbies pro-pesticides – en témoignent les récentes péripéties parlementaires du glyphosate, pour ne donner qu’un exemple. Le cadre explicitement national de la mobilisation annoncée contre les pesticides participe également à ce souci d’efficacité politique : ne pas disperser ses forces dans des batailles trop vastes et identifier clairement un responsable politique principal à travers le gouvernement français actuel.

Que l’on parte à la conquête du pouvoir ou que l’on ambitionne de contraindre l’actuel à agir selon les exigences d’un puissant mouvement social, gageons que la lutte sera âpre, longue et que ses éventuelles victoires ne se feront pas sentir avant plusieurs années. Il parait alors d’autant plus utile de prendre la mesure des changements que supposent une agriculture débarrassée des intrants dérivés du pétrole. L’ampleur de la tâche est immense et les points de résistance nombreux. La colossale quantité d’énergie politique qu’il faudrait y déployer incite de fait à identifier au préalable les principaux freins à la transformation qu’il s’agit de faire sauter. Et sans grande surprise, ceux-ci ne sont pas tant techniques que socio-économiques.

Le défi commercial

Parler d’agriculture en France, c’est parler de commerce et d’échanges internationaux. D’abord pensé comme un remède à la dépendance européenne aux importations alimentaires, la lente conversion de l’agriculture française au productivisme d’après guerre débouche dans les années 1970 sur un excédent de production qui – associé aux débuts de mondialisation des échanges et appuyé par la Politique agricole commune (PAC) – amorce la réorientation de la production vers le commerce international. Ainsi, pour l’année 2017, la France exporte pour 58 milliards d’euros de produits agro-alimentaires, pour une production avoisinant les 78 milliards d’euros, soit près des trois quart de la production tournés vers l’exportation ! [4] Réciproquement le marché français importe pour près de 52 milliards de produits agro-alimentaires, soit plus des deux tiers de la valeur de la production nationale. Cas emblématique, la production céréalière – qui occupe en France 52% des terres arables – exporte la moitié de ses récoltes [5] notamment vers le Maghreb et l’Afrique. C’est donc une agriculture taillée pour la concurrence internationale qu’organise le modèle français. Or, si les promesses des marchés internationaux peuvent séduire à court terme (la consommation de viande baisse en Europe mais elle augmente en Chine), elles s’appuient sur une organisation de la production à l’opposée de ce que pourrait être une agriculture raisonnable. Favorisant les grandes exploitations en monoculture intensives en pétrolifères, l’hyper-industrialisation d’élevage et la multiplication des trajets d’acheminement et de distribution, l’agriculture d’exportation constitue bien plus un accélérateur qu’une solution à l’effondrement de la biodiversité. D’autre part, une telle organisation commerciale complique la perspective d’un contrôle stricte de la diffusion des pesticides puisqu’elle découple la question de la consommation de celle de la production. Le consommateur français achetant en effet un grand nombre de produits alimentaires étrangers, il faudrait pouvoir en contrôler les conditions de productions pour chaque pays producteur ! Tandis qu’une amélioration sensible des pratiques productives des agriculteurs français serait sans impact sur le consommateur si les récoltes partent à l’autre bout du monde.

“Favorisant les grandes exploitations en monoculture intensive en pétrolifères, l’hyper-industrialisation d’élevage et la multiplication des trajets d’acheminement et de distribution, l’agriculture d’exportation constitue bien plus un accélérateur qu’une solution à l’effondrement de la biodiversité”

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Silos à grain

La réduction drastique des pesticides dans les sols et les assiettes appelle donc un régime commercial différent où la puissance publique – qu’elle soit ici française ou, rêvons un peu, européenne – puisse encadrer à la fois les pratiques de production et de consommation sur un même territoire. Il s’agirait alors de réorganiser en profondeur la production pour la réorienter vers le marché intérieur. Pour cela, il sera difficile d’échapper à une certaine dose de protectionnisme visant, soit par taxe prohibitive soit par interdiction pure et simple, les produits externes issus d’agricultures intensives en produits de synthèses.

La nécessité d’une réorientation de la production vers un marché intérieur n’aurait pas lieu d’être dans un monde idéal où tous les acteurs se lanceraient au même moment et d’un commun accord dans une transition agricole. Toutefois l’organisation de notre monde actuel fait peser une partie importante du coût du changement sur le premier qui en a l’initiative. Le coût d’une transition aussi complexe ne pouvant être déterminé avec certitude, celle-ci représente, pour l’économie du pays qui s’y engage, un risque important d’y laisser quelques plumes. Aussi existe-il une chance non négligeable, pour le pays candidat à la transition, de se retrouver un moment seul dans la compétition mondiale à appliquer ses nouveaux standards de production, ne pouvant compter dans un premier temps que sur lui-même. C’est la raison pour laquelle il n’aurait que sa production intérieure pour y appliquer une interdiction des pesticides et assurer à ses citoyens une nourriture plus saine. Un minimum de protectionnisme serait ainsi indispensable pour réduire les importations de denrées traitées chimiquement mais surtout pour soutenir nos agriculteurs contre la concurrence désormais déloyale – car obéissant à des critères de production moins strictes – de l’agriculture conventionnelle.

Le défi géopolitique

Se pose également la question de l’échelle du territoire que l’on se proposerait de mettre en transition par la mobilisation politique. Si l’échelle de la planète, ou même du monde occidental, est à exclure pour l’instant, le niveau européen serait évidement le levier idéal pour amorcer un mouvement capable de produire un réel impact sur le monde. D’autant qu’à travers la PAC, l’ancienne CEE avait dans un premier temps joué la carte de l’autosuffisance alimentaire à travers la préférence communautaire. Toutefois, les récents déboires historiques de l’Union Européenne ne peuvent qu’inciter à la prudence, voire au scepticisme sur le sujet. D’abord en raison du profond attachement des institutions européennes au libre-échange qui laisse présager une résistance à tout type de taxations, même minimes, des produits des agricultures conventionnelles étrangères [6]. Ensuite, par la lenteur et la complexité du processus de décision européen qui, à l’évidence, se marie très mal avec l’urgence écologique. Le combat le plus logique à mener dans le cadre européen serait alors la demande vive et insistante de redirection massive des subventions de la PAC vers les exploitations développants des techniques de culture écologique.

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Agriculture in Volgograd – CC-BY-SA 3.0 Unported and GNU Free Documentation License 1.3

“Il y a sans doute une diplomatie agricole à inventer, un jeu subtil d’inclusion et de contournement des institutions européennes, un équilibre à trouver entre relations bilatérales et vision continentale”

Reste le cadre national choisi par les partisans du coquelicot. Plus naturel et politiquement plus réceptif, celui-ci ne saurait cependant se passer d’une réflexion géopolitique. En particulier sur la question européenne puisqu’une transformation de grande ampleur se heurterait aux dispositions des traités européens. L’importance des investissements publics à engager risque en effet de porter bien au-delà des fameux 3% les déficits budgétaires. De plus un protectionnisme écologique remettrait en cause le principe du marché unique et les accords de libre échange signés avec des pays tiers. En même temps, le poids de la France dans la production agricole européenne lui laisse peut-être une chance de susciter un effet d’entrainement sur les autres pays d’Europe, ce qui lui éviterait la solitude des pionniers. Il y a sans doute une diplomatie agricole à inventer, un jeu subtil d’inclusion et de contournement des institutions européennes, un équilibre à trouver entre relations bilatérales et vision continentale. Si le libre-échangisme pur jus n’a pas d’avenir, sans doute les relations commerciales intenses sont elles possibles avec des partenaires privilégiés – des voisins géographiques, par exemple, dont la proximité rend bien plus crédible une garantie mutuelle sur la qualité des produits échangés.

Le retour à une agriculture « localiste » peut enfin avoir des conséquences vis à vis des pays les plus dépendants des exportations françaises – comme l’Algérie dont c’est le cas pour le blé bien qu’elle ne manque pas d’offre de substitution. Conséquences dont les effets géopolitiques et humanitaires ne manqueraient pas de se faire sentir s’ils étaient mal anticipés.

Le défi économique

Le productivisme d’après guerre puis la mondialisation des échanges agricoles ont ainsi fait émerger un modèle économique spécifique, dont le fonctionnement est aujourd’hui l’une des causes du désastre écologique. Pourtant régulièrement pointés du doigt dans les opinions européennes, beaucoup d’agriculteurs semblent encore attachés à leur modèle économique productiviste et n’y voient pas forcément d’alternative. C’est qu’il existe comme partout ailleurs une certaine inertie des structures et des hommes qui les rendent partiellement réfractaires aux ruptures historiques. Même protégé par un régime commercial adéquat, l’appareil de production agricole français n’en serait pas forcément adapté aux nouvelles contraintes écologiques. Privées de pesticides, les exploitations organisées pour la monoculture intensive pourraient perdre leur viabilité économique. Le modèle dominant étant imposé par la concurrence mondiale et reposant sur l’écrasement maximum des coûts de productions fait que tout changement de pratique risque de les augmenter. En d’autre termes : l’agriculture conventionnelle étant pensée pour produire pour le moins cher possible, une agriculture sans pesticides couterait sans doute plus cher à la production. Ainsi les mérites de l’agroécologie en matière de créations d’emplois [7] sont aussi synonymes de charge financière supplémentaire : remplacer les désherbants de synthèse par des ouvriers agricoles payés au smic – ou plus – à organisation de production constante coûte plus cher. A cet égard, le récent débat sur l’utilisation du glyphosate – désherbant plébiscité par les agriculteurs français [8] – est caractéristique. Substance très efficace pour la destruction des « mauvaises herbes » (et le reste de l’écosystème qui va avec), c’est surtout son prix bon marché, au regard du service rendu, qui a été mis en avant par ses utilisateurs. Car les différentes alternatives existantes à ce jour supposent toutes un renchérissement du service de désherbage et/ou une réorganisation importante de l’exploitation agricole.

“Un grand nombre d’exploitations biologiques survivent en France dans un marché pourtant concurrentiel, [ce qui] se traduit cependant par des prix à la consommation sensiblement plus élevés que la moyenne qui empêchent pour l’instant sa généralisation”

La transition vers une agriculture massivement biologique suppose donc l’invention d’un nouveau modèle économique de production et de distribution agricole où l’essentiel des paramètres de production actuels sont à revoir (taille et diversité d’exploitation, niveau de mécanisation, intensité en emplois, prix à la production, prix à la consommation etc. ). On tiendrait ainsi compte tant des coûts structurels de production que du coût de transformation des exploitations conventionnelles en cultures écologiques. Un tel modèle existe certes déjà partiellement : un grand nombre d’exploitations biologiques survivent en France dans un marché pourtant concurrentiel. Ce modèle se traduit cependant par des prix à la consommation sensiblement plus élevés que la moyenne qui empêchent pour l’instant sa généralisation. On voit mal comment un tel processus pourrait se faire rapidement et efficacement sans un solide système de subventions soutenant le coût d’une transition que ni les agriculteurs ni les consommateurs semblent vouloir assumer. Le redéploiement massif des aides existantes vers les secteurs bio ou agroécologique et l’invention d’une fiscalité taillée à leur mesure – comme le demandait récemment le professeur Claude Henry [9] dans une tribune dans « Le Monde » – représentent à cet égard un impératif.

Le défi social

De même que la révolution agricole productiviste, fortement subventionnée en Europe lors de ses débuts, la nouvelle révolution agroécologique ne se fera pas sans intervention publique sur le niveau des prix. Car dans les conditions actuelles, la situation sociale des agriculteurs français laisse imaginer une marge de manœuvre quasi nulle, sans capacité aucune d’intégration de quelconques nouveaux coûts. De moins en moins nombreuses et de plus en plus endettées, les exploitations agricoles françaises font face ces dernières années à une multiplication des faillites. Les menaces que font peser le réchauffement climatique et la surexploitation des sols sur les rendements achèvent de fragiliser un contexte déjà très tendu. En dehors de quelques champions de l’export – peu portés à l’abandon du régime pétrolifère – les agriculteurs français vivent de moins en moins bien et s’enfoncent toujours plus dans une crise sociale durable, tant économique que métaphysique, en attestent le niveaux des suicides enregistrés pour la profession [10].

“La nouvelle révolution agroécologique ne se fera pas sans intervention publique sur le niveau des prix”

Côté consommateurs, les débats récurrents sur le pouvoir d’achat et la place fondamentale qu’ils prennent à chaque échéance électorale montrent assez l’incapacité de la majorité des citoyens à encaisser une augmentation significative des prix alimentaires. Sans doute existe-t-il des solutions du côté de la distribution, notamment par un meilleur encadrement des marges des grandes enseignes. Mais on doute que cela suffise pour atteindre le niveau des premiers prix de supermarchés, déjà très tirés vers le bas et dont un nombre croissant de Français sont aujourd’hui dépendants.

Une transition agricole ne serait donc socialement viable que par la mise en place d’un système social à double objectif. Un soutien aux agriculteurs, en leur garantissant des prix planchers de ventes, des solutions de financement de transition (prêts à taux zéro, rachat de dettes etc.) et une priorité d’accès aux marchés publics pour la production biologique. Cette dernière idée est souvent évoquée pour les cantines scolaire, mais pour l’instant que très marginalement mise en œuvre. Et un soutien aux consommateurs les plus pauvres, par la distribution d’allocations alimentaires ciblées via des chèques alimentaires réservés à l’achat de produits biologiques, entre autres.

Un tel programme social nécessiterait sans doute d’importantes sommes d’argent public, qui ne manquerait pas de nous mettre en porte-à-faux à l’égard des règles européennes et qui plus largement ne peut que nous inciter à repenser nos outils de financement publics. Sujet tout aussi kafkaïen.

Le défi technique

Confrontés depuis des décennies aux nécessités de l’expérimentation, les agriculteurs non conventionnels du monde entier ont inventé une grande diversité de solutions dont un certain nombre sont sans doute applicables dès aujourd’hui sur le sol français. Au centre des débats, la question de la productivité de ces nouvelles agricultures qui accuseraient, selon certaines études, des rendements moindres que ceux de l’agriculture intensive et qui, à production égale, demanderait ainsi plus de surface cultivable [11]. Or, si la question productive ne peut être complètement écartée, elle est cependant beaucoup moins centrale qu’elle a pu l’être au début des années 1950. Compte tenu de la forte évolution de nos pratiques de consommation, celles-ci nous offrent – pour peu qu’on en pense la transformation – de sérieuses marges de manœuvres. Les modes d’alimentation pratiqués dans les pays dits « développés » n’ont ainsi plus grand chose avec nos besoins caloriques réels. Le développement de maladies liées à la « malbouffe », obésité, diabète pour ne citer qu’elles étant en forte hausse.

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Maraîchages biologiques

Au-delà du cas de l’industrie agro-alimentaire et de son impact sur la santé publique, deux leviers de réduction de la consommation alimentaire française sont à notre portée : la lutte contre le gaspillage alimentaire et la raréfaction de la consommation de viande. Création du quinquennat Hollande, la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire du 11 février 2016 semble apporter un début de résultat. Dans un pays où le gaspillage est évalué à près du quart des produits alimentaires vendus, les conditions de sa diminution restent toutefois encore largement à inventer. De même, une éventuelle limitation de la production de viande libérait mécaniquement une partie des surfaces cultivées pour la nourriture des animaux d’élevage.

“Le principal défi technique de la nouvelle agriculture ne consiste donc à pas rechercher la productivité à tout prix, mais plutôt à trouver les configurations d’exploitation qui permettront d’assurer des rendements relativement stables et avec eux une sécurité alimentaire”

Par ailleurs, la Food and Agriculture Organisation qui est l’organisme en charge de la question agricole au sein des Nations Unies estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir à ce jour 12 milliards d’individus, soit presque le double de la population planétaire actuelle [12]. Les sociétés humaines contemporaines sont ainsi capables de supporter une certaines baisse des rendements agricoles – baisse que l’on finira par subir d’une manière ou d’une autre dans le siècle à cause du changement climatique et dont il faudra bien s’accommoder.

Le principal défi technique de la nouvelle agriculture ne consiste donc pas  à rechercher la productivité à tout prix, mais plutôt à trouver les configurations d’exploitation qui permettront d’assurer des rendements relativement stables et avec eux une sécurité alimentaire. Il s’agit en effet de faire face à la multiplication des événements météorologiques extrêmes et aux grandes variations de températures que nous promettent les scientifiques du GIEC tout en maintenant la longévité biologique de sols. L’équation de la production agricole est donc aujourd’hui différente. A l’opposé du colosse aux pieds d’argile qu’est l’agriculture productiviste, les nouveaux modèles agricoles devront se tourner davantage vers la solidité et la résilience. Les ressorts d’une telle invention résident sans doute pour partie dans les savoirs de plus en plus précis des agronomes et des biologistes sur les propriétés agricoles des écosystèmes : complémentarités des cultures, utilisation de la biodiversité comme moyen de luttes contre les prédateurs etc., mais sont peut-être également dans la combinaison des différents modèles de productions eux-mêmes.

À ce titre, une réflexion systémique sur l’organisation du territoire agricole à grande échelle devient nécessaire. Compte tenu de la vitesse et de l’ampleur de la transition à mener, un minimum de coordination publique s’impose. Recenser et diffuser les nouveaux savoirs agricoles, penser leurs articulations avec les savoirs existants, identifier les territoires capables d’amorcer la transition, choisir ceux qui serviront au contraire de « pivots », évaluer régulièrement la trajectoire de transition, trouver les moyens de la corriger si besoin etc. Autant de tâches nécessitant la réunion et la coopération de tous les acteurs du secteur (agriculteurs, filières de distributions, ingénieurs-agronomes, biologistes, météorologues, consommateurs), ce qui à coup sûr posera d’inévitables questions politiques : sincérité de l’institution, mise à l’écart des lobbies, fidélité de la représentation des acteurs… soit une profonde transformation du Ministère de l’agriculture actuel.

Le défi politique

L’impérieuse et incontestable nécessité de stopper l’utilisation des pesticides dans nos champs se révèle ainsi être une boite de Pandore d’où s’échappent tous les autres problèmes auxquels font face aujourd’hui les agriculteurs. La complexité de la situation agricole exige, lorsque l’on projette d’en modifier un paramètre, que l’on repense également tous les autres. Ceux-ci tiennent bien plus à l’organisation du commerce mondial qu’aux questions de productivité à proprement parler. A cet égard, tous les projets de transition qui se proposent de « raisonner » l’agriculture « et en même temps » d’améliorer la compétitivité de l’agriculture biologique font fausse route [13]. La compétition internationale n’est plus un moyen de stimulation du développement agricole. Elle est devenue au contraire un facteur d’immobilisme et le plus sérieux frein à une transition dont le besoin fait aujourd’hui consensus. Celle-ci passera donc par la réinvention d’un modèle commercial qui sache redonner aux agriculteurs souplesse et indépendance, tant sur le plan international (protectionnisme écologique) que national ou européen (garanties de financement, prix planchers etc.).

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Bannière du mouvement des Coquelicots

 

D’autre part, si elle doit se faire rapidement à l’échelle de l’histoire humaine, la nouvelle révolution agricole ne se fera pas en quelques mois. À titre d’exemple de transition crédible, Fabrice Nicolino évoquait ainsi « un plan de sortie en quinze ans », soit une temporalité dont ni le marché, ni la « société civile » ne sont objectivement capables [14]. Malgré des défauts régulièrement décriés (bureaucratie, potentiel autoritarisme, hermétisme structurel aux « réalités de terrain »), l’État parait être la seule force collective pouvant assurer le coût et la durée d’une transition via un type de planification publique. La nature et le volume des investissements à engager impose également une clarification collective de nos priorités politiques. Désobéir frontalement aux engagements européens de maîtrise budgétaire et amorcer un contrôle strict des importations des denrées « à pesticides », c’est prendre le risque d’un conflit avec l’Union Européenne déjà bien fragile. C’est aussi mettre une sacré quantité d’eau dans le gaz du couple franco-allemand, un risque pas forcément compensé par l’éventuel effet d’entrainement sur les autres États membres que pourrait produire une telle rupture. De même, si une certaine « neutralité partisane » peut se justifier par la recherche d’une transversalité la plus grande possible, un mouvement citoyen d’une telle nature – a fortiori s’il imagine infléchir la politique d’un gouvernement de manière aussi frontale – ne peut faire l’économie d’une forme dialogue ou de coordination avec tous ceux qui partagent ses ambitions : partis politiques, syndicats, associations, ONG, médias etc. Autant dire un vrai panier à crabes de récupérations politiciennes et autres rivalités institutionnelles, dans lequel on devra bien, pourtant, se résoudre à mettre quelque fois la main. Après tout, si l’on rêve d’un début d’union nationale sur le sujet, il faut d’abord que ses éventuels membres se parlent (et s’écoutent).

“Le succès d’une transition se fera autant sur le contenu que sur la manière (rythme, relations entre les acteurs, valeurs sociales mobilisées…)”

Évidemment la simple analyse des conditions actuelles d’une transition agricole ne saurait suffire à déterminer un futur (celles-ci pouvant évoluer de bien des manières), ni surtout remplacer un discours politique et l’énergie humaine qu’il se propose de rassembler. Le succès d’une transition se fera autant sur le contenu que sur la manière (rythme, relations entre les acteurs, valeurs sociales mobilisées…). On peut penser que l’interdiction effective des pesticides constituera un moteur de créativité agricole bien plus puissant que toutes les compilations et soporifiques recensements d’alternatives potentielles. Et l’on aura bien raison. Mis au pied du mur, les sociétés humaines se montrent sensiblement plus dynamiques qu’à l’écoute de dissertations pleines de conditionnel. De surcroit, les grandes ruptures historiques demandent parfois un « saut dans le vide » qu’aucune intellectualisation ne saurait définitivement éclairer.

Mais l’enjeu essentiel d’un mouvement politique n’est-il pas justement d’articuler connaissance et transformation du monde, de manière à ce que chacune se nourrisse l’une de l’autre ? En fixant un objectif simple, concret et poétique (le retour des fleurs sauvages dans nos campagnes), en s’inscrivant dans le temps long – deux ans c’est très long en politique – , le mouvement des Coquelicots s’est donné les moyens d’une mobilisation du corps social que l’on espère la plus large possible. Reste à en faire le catalyseur d’une volonté de transition bien plus large dont nous pourrions, au fil des mois et des semaines, nous faire une idée de plus en plus précise.


[1] Sur la disparition des oiseaux, l’étude du Muséum d’Histoire Naturelle : https://www.mnhn.fr/fr/recherche-expertise/actualites/printemps-2018-s-annonce-silencieux-campagnes-francaises

Sur la disparition des insectes, une sur les zones protégées européennes : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0185809

[2] Autour de 6,5% de la surface agricole utile française : http://www.agencebio.org/le-marche-de-la-bio-en-france

[3] Désertifications, multiplications des événements extrêmes   …  Sur la baisse des rendements due au réchauffement : http://www.pnas.org/content/114/35/9326

[4] Sur le niveau des exportations agricoles françaises : http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Gaf2017p110-116.pdf

[5] Quelques chiffres sur la filière filière céréalière française : https://www.passioncereales.fr/la-filiere/la-filiere-en-chiffres

[6] l’UE a d’ailleurs fait tout l’inverse en signant le CETA : https://www.france24.com/fr/20170921-ceta-traite-conteste-ong-application-provisoire-canada-europe-ue

[7] Que l’on décrit souvent comme plus intensive en main d’œuvre : https://www.cairn.info/revue-projet-2013-4-page-76.htm

[8] Sur un certain attachement des agriculteurs au glyphosate https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/glyphosate-les-agriculteurs-du-puy-de-dome-ne-comprennent-pas-1527596758 ; et sur les éventuelles alternatives : https://reporterre.net/Se-passer-du-glyphosate-C-est-possible

[9] La tribune en question : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/05/claude-henry-trois-mesures-pour-sortir-du-desastre-ecologique_5350348_3232.html

[10] Sur la situation sociale des agriculteurs : https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/10/14/baisse-des-revenus-suicides-la-crise-des-agriculteurs-fait-beaucoup-moins-de-bruit-que-l-affaire-alstom_5013945_3234.html

[11] Sur l’état du débat sur la productivité du bio : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/le-bio-peut-il-nourrir-le-monde_17672

[12] Sur les capacités productives agricoles de la planète, l’émission d’Arte Le Dessous des Cartes :  https://www.youtube.com/watch?v=jt0jWmJopE0

[13] Notamment le rapport de l’INRA : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/rapport-INRA-pour-CGSP-VOLUME-1-web07102013.pdf

[14] Voir l’entretien de Fabrice Nicolino lors d’une matinale de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/environnement-lheure-de-la-mobilisation-generale

Pourquoi inscrire la protection de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution ?

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Nicolas Hulot ©COP PARIS

« La République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le réchauffement climatique ». Telle pourrait être la formulation inscrite dans l’article 1er de la Constitution française, si sont adoptés les projets de lois pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, présentés en mai 2018 par le gouvernement Edouard PhilippeD’abord attendue à l’article 34, qui définit les domaines où le Parlement peut légiférer, cette mesure symbolique, lancée par Nicolas Hulot, a été accueillie avec agréable surprise par les militants et les associations environnementales. Alors concrètement, qu’est-ce que cela change, et plus encore, cela change-t-il vraiment quelque chose ?


L’article 1er de la Constitution définit les principes fondamentaux de la République, comme l’égalité ou la laïcité. En y inscrivant la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique, le gouvernement instaure ces notions comme un socle, comme un principe fondamental qui supplanterait les autres, y compris l’économie. Il s’agit donc d’un symbole fort.

Mais au-delà du symbole, il offre également une base juridique pour la rédaction et le vote de nouvelles lois, et tend à prévenir les retours en arrière, car les législateurs, sous peine de censure, ne peuvent proposer de lois explicitement contraires à l’article 1er. À l’examen des lois, il permet aussi de justifier une opposition devant le Conseil constitutionnel. Il sera donc désormais plus facile de défendre le principe de protection de l’environnement en s’appuyant clairement sur la Constitution. Dans un communiqué de presse, WWF explique ainsi que « cette décision permettra à l’environnement, au climat et à la biodiversité de peser davantage dans la balance qu’opère le juge constitutionnel entre les différents principes inscrits dans la Constitution, tels que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété». Il s’agit donc d’établir un équilibre.

Cependant, cette annonce ne fait pas l’unanimité au sein des militants écologistes et des députés. Certains décrient tout d’abord la formulation, et auraient préféré au verbe « agir » une formulation comme « assurer » ou « garantir »,  plus contraignante pour l’État. D’autres restent prudents quant aux conséquences réelles de cette décision tandis que des députés LR déplorent une perte de temps avec cette idée « d’enfoncer des portes déjà ouvertes ». Les associations se réjouissent, mais Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’Université Paris-Ouest Nanterre, déplore quant à elle un progrès en demi-teinte avec l’abandon de l’article 34.

Si l’inscription dans l’article 1er relève d’un caractère symbolique important, y ajouter parallèlement une modification de l’article 34, en instaurant le principe de respect du bien commun, aurait permis de donner un cadre plus strict aux interventions et aux missions parlementaires. Qu’en sera-t-il également des projets déjà signés ou en cours ? Il est ainsi possible d’évoquer cette récente controverse concernant l’importation d’huile de palme sur le site Total de Mède, autorisée car résultant d’un accord signé avec le gouvernement précèdent, impossible à rompre malgré la contestation organisée par le secteur agricole en juin dernier. Sera-t-il désormais possible de s’y opposer frontalement, au nom de l’article 1er de la Constitution ? Cela semble encore difficile à dire, car les conséquences ne seront visibles qu’à partir de 2019, lorsque l’adjonction aura pris effet.

Un greenwashing gouvernemental ?

Mais alors comment expliquer un tel regain d’intérêt des députés pour l’environnement après les récentes déconvenues de Nicolas Hulot ? En refusant fin mai l’interdiction de l’utilisation du glyphosate, herbicide classé cancérigène probable par l’Organisation Mondiale de la Santé, d’ici à 2021, les députés se sont vus contestés tant par les militants écologistes que par l’opinion publique qui a, contre toute attente, pris la question très au sérieux. L’image du ministre de la Transition écologique et solidaire s’est vue écornée et le Make our planet great again du président Emmanuel Macron en a définitivement pris un coup. Apaiser le feu des tensions et engager une réhabilitation, donc ?

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Depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Il ne s’agit pas d’une rupture. La France a déjà intégré en 2004 la Charte de l’environnement dans la Constitution, et ce n’est pas le premier pays à se lancer dans cette voie verte, au contraire. Le mouvement pour la constitutionnalisation du droit de l’environnement est lancé depuis les années 70. Les constitutions grecque, espagnole et suédoise mentionnent par exemple la protection de l’environnement. En Allemagne, l’article 20a souligne la responsabilité de l’État pour les générations futures. Au Brésil et au Portugal, la Constitution décrit précisément les devoirs des pouvoirs publics afin de garantir le droit à un environnement écologiquement équilibré. D’autres pays sont allés encore plus loin : depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Cette victoire arrive donc à point nommé pour Nicolas Hulot. Celle-ci a certes plus de poids que l’inscription à l’article 34 ou que la Charte de l’environnement,  et possède un caractère plus astreignant. Cependant, elle n’offre aucune garantie. Les « Sages » posséderont toujours une marge de manœuvre, et cet ajout constitue avant tout un appui et une assise pour les défenseurs de l’environnement déjà ralliés à la cause, ce qui peut être prometteur si de nouveaux députés, davantage tournés vers ces problématiques, remplacent les membres actuels.

Mais inscrire une notion dans la Constitution, puisse-t-elle être au 1er article, ne la préserve pas des interprétations sur sa portée et sa signification, en sont ainsi les témoins les éternels débats autour de la laïcité et de l’égalité. La définition même de développement durable est sujette à discussion au sein des communautés scientifiques. Il s’agit donc d’une avancée porteuse d’espoir, sans aucun doute, mais dont les résultats sont encore incertains.

Photo de couverture : © COP PARIS

Oeufs contaminés : l’agrobusiness nous empoisonne !

©Buecherwurm_65. Licence : CC0 Creative Commons.

Sept pays européens sont (pour le moment) concernés par le scandale des œufs contaminés au Fipronil. Le 1er août 2017, l’organisme néerlandais chargé de la sécurité alimentaire et sanitaire a annoncé discrètement qu’une substance toxique a été détectée dans des œufs vendus à la consommation. Décryptage d’un nouveau scandale d’anthologie pour l’agrobusiness.  

Scandale estival sur les œufs

Peut-être comptaient-ils sur l’effet vacances pour étouffer le scandale dans l’œuf. Manque de chance, les associations et les médias relaient l’affaire. Après l’annonce néerlandaise, le ministère allemand de l’Agriculture confirme le 3 août, qu’au moins trois millions d’œufs contaminés ont été livrés et commercialisés en Allemagne. Le lendemain, la chaîne de supermarchés Aldi retire tous les œufs de ses 4 000 magasins implantés en Allemagne. En France, le ministère de l’Agriculture fait l’autruche et minimise les conséquences. Une enquête nationale est en cours chez et cinq entreprises ont été identifiées comme ayant importé des œufs contaminés. En France, d’après le ministère, “aucun œuf issu de cet élevage n’a été mis sur le marché”. Nous referait-on le coup de Tchernobyl et du nuage qui s’arrête à la frontière ? 

La vérité sur le Fipronil

Le pesticide en cause s’appelle le Fipronil. Les experts tombent d’accord sur sa faible toxicité, mais seulement sur les animaux à sang chaud (dont l’Homme) quand il est « présent dans l’enrobage de semences et utilisé dans de bonnes conditions ». On réalise à ce stade que l’on en ingère allègrement au quotidien, mais puisque l’on nous dit que tout va bien… Respirez.  Une controverse s’est pourtant développée dans les années 2000 quant à sa nocivité pour les abeilles et autres pollinisateurs. Depuis 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) considère qu’il présente “un risque aigu élevé” pour la survie des abeilles quand il est utilisé comme traitement des semences de maïs. Cette utilisation a donc été interdite en juillet 2013 par la Commission européenne. Si son usage est partiellement limité, il continue d’être utilisé comme insecticide, notamment contre les puces des animaux domestiques. Oui, c’est celui dont vous aspergez votre chat sous le nom-déposé « Frontline ». Utilisé également contre les termites, une étude réalisée en Inde a montré que le Fipronil persistait encore dans le sol 56 mois (oui, plus de quatre ans) après son application jusqu’à 30 cm de profondeur, et des résidus de Fipronil ont été retrouvés jusqu’à 60 cm de profondeur. Alors, rassurés ?

Cafouillage européen

Si l’affaire est révélée au grand public en août 2017, on réalise rapidement qu’elle couve depuis plusieurs mois. En Belgique, la première alerte est donnée à l’agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) le 2 juin, par un exploitant qui constate lui-même la présence de Fipronil dans ses œufs. L’Afsca lance une série de tests et d’investigations pour remonter à la source de la contamination. S’agit-il d’un problème d’alimentation ou d’un problème de traitement antiparasites ? Le lien avec une entreprise basée aux Pays-Bas est fait et la Belgique demande des comptes. La réponse n’arrive qu’un mois plus tard, le 13 juillet. Le gouvernement belge notifie ensuite la Commission européenne via un système d’alerte mis en place en cas de risque pour la santé des consommateurs le 20 juillet. Les Pays-Bas font de même le 26 juillet, et l’Allemagne le 31. Deux mois ont passé. Cerise sur le gâteau : le ministre belge de l’Agriculture annonce le 9 août que : “L’Afsca, […] s’est vue transmettre par hasard des informations internes, […] un rapport de l’agence néerlandaise (de la sécurité alimentaire) transmis à son ministre néerlandais […] qui fait état du constat de présence de Fipronil au niveau des œufs néerlandais dès la fin novembre 2016. » Le gouvernement néerlandais dément, les états se renvoient la responsabilité ; et vous réalisez que pendant tout ce temps vous vous êtes innocemment gavés de pâtes fraîches à la Carbonara et de crèmes aux œufs.

Le consommateur, dindon de la farce

Côté français, on nous apprend qu’un seul élevage est pour l’instant mis en cause, après avoir lui-même signalé l’utilisation du fameux Fipronil. Si les analyses qui y ont été menées se sont révélées positives, soyez bien sûrs qu’ « aucun œuf issu de cet élevage n’a été mis sur le marché », nous dit le ministère de l’Agriculture. Les expressions françaises sont nombreuses pour exprimer le fait que l’on nous prend pour des naïfs tout juste sortis de l’œuf.  Pour nous rassurer deux fois plus, le ministère s’engage même à ce que ces œufs soient « détruits ». Encore heureux, faut-il les remercier pour cela ?

Le ministère souligne par ailleurs que la toxicité de ce produit est « peu élevée », d’autant qu’il n’est présent qu’à l’état de traces, suivant les constats de l’OMS qui le juge “modérément toxique”. Peut-on faire confiance aux autorités quand on sait que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), sous-financée et dépendante de donateurs privés, avait fait l’objet de vives critiques suite à ses prises de positions sur le Glyphosate ? En mars 2015, le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) de l’OMS avait jugé le risque pour la santé humaine “probable” en cas de très forte exposition. Puis, le 16 mai 2016, estimait qu’il était “peu probable” que l’exposition alimentaire au Glyphosate soit cancérogène pour finalement classer le produit comme « cancérogène probable » en 2017. Ces hésitations n’ont par ailleurs pas empêché les deux agences européennes (celle des produits chimiques et celles de la sécurité des aliments) de considérer que le Glyphosate n’est ni cancérogène ni mutagène, ouvrant la porte à une nouvelle autorisation de commercialisation en Europe de celui-ci, et ce pour 10 années supplémentaires. Ces grandes agences et organismes ne sont-elles pas devenues les pantins des lobbyistes [1] de l’industrie agroalimentaire ?

Les ovoproduits : moins chers et plus pratiques

Le problème c’est le système dans son ensemble. A savoir la production intensive d’œufs consommés par millions en Europe sous toutes leurs formes. Ainsi que la multiplication des étapes de fabrication et d’intermédiaires : éleveurs, grossistes, casseries, usines diverses, grande distribution, etc. Notamment pour alimenter les besoins de la chaîne des ovoproduits, c’est-à-dire la base tous les produits transformés vendus dans nos rayons de supermarchés. Pâtisseries, glaces, plats cuisinés… Les ovoproduits sont partout. Chaque Français consomme ainsi en moyenne 216 œufs par an, dont 40% sous forme d’ovoproduits, d’après les chiffres du Conseil national pour la promotion de l’œuf. En 2013, quelque 290 000 tonnes d’ovoproduits ont étés fabriqués en France par une soixantaine d’industriels, selon France AgriMer. Et leur utilisation s’est fortement accrue ces dernières années. Pourquoi ? Car ils seraient bien plus simples d’utilisation pour les professionnels. Meilleur stockage et une conservation plus longue des produits, quoi de plus merveilleux pour la grande distribution !

Par ailleurs, on peut se demander pourquoi acheter des œufs dans d’autres pays alors que la France est la première productrice d’œufs de consommation dans l’Union européenne ? L’argument économique est mis en avant par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) : “Les usines s’approvisionnent en priorité dans les pays du nord de l’Europe, essentiellement la Belgique et les Pays-Bas, car ils coûtent moins cher” [2], explique Christine Lambert, présidente. On touche du doigt l’absurde du ” jeu naturel de l’offre et la demande”. Si la France produit suffisamment pour subvenir à sa consommation, le grand déménagement permanent des produits est ridicule, surtout pour une économie de 2 centimes par œuf au détriment de la santé des citoyens. Si la production ne suffit pas, alors peut-être faut-il questionner notre consommation excessive ? Ce scandale n’est pas le premier du genre. N’est-il pas temps d’arrêter le massacre ? Relocaliser des productions de qualité semble plus que jamais une priorité. 

L’agrobusiness nous empoisonne

Tout ce cinéma a vite fait de faire oublier au consommateur que le problème n’est pas le degré de toxicité élevé ou non de tel ou tel produit, mais leur utilisation tout court dans nos circuits alimentaires. Pourquoi diable utiliser un produit pareil ? Ce que les autorités évitent de vous expliquer, c’est que ce produit est utilisé dans l’agroalimentaire pour traiter les invasions de poux rouges dans les élevages de volailles. Hors, si toutes les poules peuvent y être sujettes, les conditions d’élevage en cages (promiscuité, saleté, nombre de poules) favorisent leur développement.L’élevage en batterie est réglementé en Union Européenne depuis 2012. Pourtant, en 2015 en France, sur 47 millions de poules pondeuses, 32 millions sont en cages.[3] En élevage intensif, on compte 13 poules au mètre carré. Chaque poule dispose donc de moins d’espace que la taille de votre écran d’ordinateur. Cette proximité accentue les invasions d’insectes mais provoque également des maladies.  A commencer par la grippe aviaire, qui oblige à abattre régulièrement des milliers de bêtes. Le député écologiste belge Jean-Marc Nollet affirme avoir reçu “le témoignage d’un éleveur de poules belge qui a été démarché dès le mois de janvier 2017 par une entreprise hollandaise qui vendait un produit antiparasitaire soi-disant miracle”.[4] Plus il y a de virus et d’insectes, plus on vend de traitements. L’industrie pharmaceutique n’aurait-elle pas elle aussi des intérêts à ce que l’élevage intensif perdure ?

Ainsi, sont fabriqués des hectolitres d’ovoproduits issus de la production d’élevages intensifs, aromatisés aux pesticides-miracles dont l’utilisation fait la joie (et le compte en banque) de l’industrie pharmaceutique. Et qui empoisonnent jusqu’à la glace à l’italienne que vous savourez au bord de l’eau, par une chaude après-midi d’août.


[1] Pour en savoir plus, voir le documentaire d’Arte “L’OMS dans les griffes des lobbyistes”

[2] Crise des oeufs contaminés, les ovoproduits dans le collimateurLe Parisien, 8 août 2017

[3] Plongée dans l’univers sordide des élevages en batterie de poules pondeuses, Le Monde, 17 septembre 2014

[4] Oeufs contaminés, les lourdes accusations d’un député belge, Le Parisien, 9 août 2017

Crédits photos : ©Buecherwurm_65. Licence : CC0 Creative Commons.

Fillon, candidat de l’agro-business

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Fin du principe de précaution, développement des OGM et des pesticides meurtriers : Fillon cède aux lobbys de l’agro-business et leur livre notre santé et notre écosystème. 

-Bruno Retailleau : “Ce qui est terrible, c’est que le conservatisme est devenu péjoratif. On a des choses à conserver. L’écologie va à une forme de patrimoine qu’il faut conserver, pour pouvoir le transmettre.”

– Natacha Polony : “Pourquoi on en a jamais entendu parler pendant la campagne ?”

-Bruno Retailleau : “D’abord parce qu’il y a 7 candidats. Les temps de débat sont très courts.”

-Natacha Polony : “Vous êtes en train de me dire qu’on va le découvrir candidat écologiste ?”

-Bruno Retailleau : “Je pense que c’est sa sensibilité mais de façon non-ostentatoire. Il n’est jamais dans l’exhibition”.

NDDL : L’aveuglement de M. Fillon

A la lecture du programme du Sarthois, qui a visiblement perdu son bon sens, on comprend l’air mi-sidéré, mi-amusé de Natacha Polony lorsque Retailleau lui annonce que Fillon a une “sensibilité écologiste”. De la part d’un Président de Conseil Régional des Pays de la Loire qui endosse régulièrement son costume de croisé pour demander au gouvernement de chasser les zadistes de Notre-Dame-Des-Landes, c’est assez cocasse. Fillon ne dit pas autre chose. Il veut « évacuer de façon musclée […] les hors-la-loi qui occupent un territoire de la République ». On comprend la position de Fillon. C’est lorsqu’il était Premier Ministre que le préfet Bernard Hagelsteen fut nommé. Cette nomination allait à l’encontre d’une pétition lancée par ses collègues : une première en France. Quel rapport me direz-vous ? C’est la suite de l’histoire qui est intéressante : en tant que préfet de Loire-Atlantique et de la région Pays-de-la-Loire (2007-2009), il pilotait localement le projet d’aéroport, en collaboration avec la Direction générale de l’aviation civile (DGAC). Or, dans le cadre de la délégation de service public, l’appel d’offres a été lancé en 2009 pour choisir le concessionnaire de l’aéroport, pour une durée de 55 ans. En 2010, le ministre de l’Écologie et du Développement durable tranche en faveur de Vinci. Cela n’empêche pas l’ancien préfet de se faire embaucher un an plus tard par ASF (Autoroutes du Sud de la France), filiale de Vinci. En 2012, il devient conseiller de Pierre Coppey, président de Vinci-Autoroutes. La position ferme de Fillon n’est peut-être pas étrangère à ce renvoi d’ascenceur entre membres de la caste.

Suppression du principe de précaution : les pesticides menacent l’écosystème et notre santé

La probabilité du conflit d’intérêt ne doit pas, ici, nous faire oublier la foi aveugle du frère Fillon dans un productivisme d’un autre temps, destructeur pour le seul écosystème compatible avec la vie humaine. Ainsi, le candidat de la droite se déclare favorable à la suppression du principe de précaution. La raison ? Il l’exprime dans une tribune publiée sur le site professionnel Wikiagri : « Osons relancer les recherches qui ont été interrompues au nom du principe de précaution, notamment en génétique ». En clair, si Fillon veut supprimer le principe de précaution, c’est pour ouvrir la boîte de Pandore des OGM. Fillon refuse également l’interdiction des néonicotinoïdes (conquise de haute lutte par les militants écologistes et les apiculteurs à l’occasion de la récente loi biodiversité) et des glyphosates. Rappelons tout de même que le Centre International de recherche sur le Cancer (CIRC), agence de l’OMS, considère le glyphosate (contenu dans l’un des herbicides le plus utilisé au monde : le Round Up ) comme probablement cancérigène pour l’être humain (mars 2015). Le cas des néonicotinoïdes est encore plus grave. En effet, le Conseil de l’académie des sciences européenne (Easac) a remis un rapport accablant à la Commission européenne en mai 2015. Se basant sur près d’une centaine d’études, les auteurs du rapport soulignent le fait que « l’utilisation généralisée des néonicotinoïdes a des effets graves sur une série d’organismes » qui sont responsables de la pollinisation et de la lutte naturelle contre les parasites ainsi que sur la biodiversité. Ces éléments contenus dans de nombreux pesticides ont de terribles effets sur les insectes pollinisateurs (les abeilles bien sûr mais aussi les bourdons, les bombyles ou les papillons). Les effets concernent principalement le système nerveux de ces insectes : désorientation, perte de fonctions cognitives, longévité des reines en baisse, synergie avec des pathogènes existants. Par ailleurs, véritables sirènes homériques, les néonicotinoïdes attirent les insectes pour leur donner un baiser de la mort. Dernier élément : ces pesticides sont présents dans la plante durant toute sa durée de vie, et restent ensuite dans les sols pendant de nombreuses années. C’est autant d’occasions de tuer les insectes qui ingèrent ces substances. “On s’en moque après tout. Ce ne sont que des abeilles” nous répondrons quelques benêts qui passent leur temps à regarder le bout de leurs chaussures. Sauf qu’au-delà de la destruction de l’activité apicole et de la production de miel, la destruction des abeilles a tout une série de conséquences criminelles sur des activités essentielles que remplissent les pollinisateurs pour l’écosystème, pour la pollinisation de la flore ou pour la production de fruits et légumes.

Les OGM : une boîte de pandore dévastatrice à coup sûr

Fillon va encore plus loin dans sa folie pro-pesticides. Pour lui, l’agriculture est « au bord de l’overdose normative ». Vu toutes les victoires que remportent régulièrement le lobby productiviste, on se pince en entendant cela. Fillon propose donc « d’abroger par ordonnances toutes les normes ajoutées aux textes européens ». Vu le zèle avec lequel la Commission européenne sert les lobbys qui suent sang et eau pour garder les perturbateurs endocriniens, les néonicotinoïdes et le glyphosate, on peut craindre pour notre santé et la survie de l’écosystème, si on s’en remet aux seules normes européennes pour les protéger. Concrètement, quelles conséquences implique la proposition de Fillon ?  La France a fait jouer la clause de sauvegarde pour permettre l’interdiction des OGM. Si Fillon abolit toutes les normes qui s’ajoutent aux normes européennes, c’est open-bar sur les OGM pour l’agro-business qui pourrit tout : la terre, l’air, l’eau, notre santé et la vie des paysans.

Il est temps que le lobby productiviste desserre l’étau dans lequel il tient les paysans. Il est temps d’en finir avec cette agriculture productiviste bourrée de pesticides qui pourrit notre santé, détruit la fertilité des sols (et des êtres humains), dégrade la valeur nutritive des aliments et conduit un paysan à se suicider tous les deux jours. Il est peut-être temps d’en finir avec ces médecins de Molière et d’engager la mutation vers une agriculture relocalisée, débarrassée des pesticides, s’attachant à respecter les critères de l’agriculture biologique afin que les paysans cessent de survivre pour enfin vivre.

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