Après les méga-feux à Hawaï, le spectre de la stratégie du choc

Incendie à proximité de Laihana (Hawaï). © U.S. Coast Guard photo by Petty Officer 1st Class Patrick Kelley/Released

Cet été, l’archipel d’Hawaï a été frappé par des méga-feux. Alors que les habitants tentent de reconstruire peu à peu leur vie, les appétits capitalistes s’aiguisent. A Lahaina, sur l’île de Maui, très touchée par les incendies, les braises étaient à peine retombées quand les survivants ont reçu des appels de spéculateurs fonciers espérant racheter leurs propriétés à prix cassé. Un nouvel exemple de la « théorie du choc » conceptualisée par l’essayiste altermondialiste Naomi Klein. Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Camil Mokaddem.

A partir du 8 août 2023, des feux d’une violence extrême ont décimé la ville de Lahaina, provoquant la mort de 115 personnes, et forçant des milliers d’habitants à quitter l’ancienne capitale du royaume d’Hawaï, réduite en cendres. Aussitôt, les spéculateurs fonciers, dont la catastrophe a aiguisé l’appétit, ont alors braqué les yeux sur l’île de Maui.

Quelques jours après le début des feux, des rescapés rapportaient de nombreux coups de téléphone d’investisseurs extérieurs à l’archipel, espérant racheter les propriétés hawaïennes pour une bouchée de pain. Dans un long fil publié sur Facebook, plusieurs agents immobiliers de Maui ont expliqué avoir reçu des appels similaires. L’un d’entre eux a rapporté avoir reçu un appel le 9 août, un jour seulement après le déclenchement des feux.

Les agents immobiliers de Maui, tout comme le reste de cette communauté soudée, ont été révoltés par un tel degré d’opportunisme : « Ces appels viennent de charognards qui nous demandent quels types de terrains sont disponibles », explique-t-il. « Ce n’est pas le moment, c’est incompréhensible de se renseigner de cette manière alors que les gens font face à la mort, mais il faut croire que c’est ça l’Amérique. »

La spéculation foncière suite à une catastrophe naturelle est loin d’être un phénomène strictement nouveau. En 2018, peu après le passage de l’ouragan Michael dans le Panhandle, une région au Nord-Ouest de la Floride, les ventes immobilières ont grimpé de 15 % dans le comté le plus touché. En 2017, l’incendie de Santa Rosa en Californie a donné suite à une augmentation des ventes de 17 %. Chaque fois qu’une ville est détruite, ce réflexe d’achat à bas coût ressurgit.

Le « capitalisme du désastre »

Dans son livre La stratégie du choc, paru en 2007, l’essayiste altermondialiste Naomi Klein décrivait le phénomène de « capitalisme du désastre », un terme qui décrit la façon dont le secteur privé mobilise ses ressources dans des régions dévastées par une catastrophe naturelle ou économique afin d’accaparer des terres ou différents pans des services publics. En parallèle, les élus facilitent cette captation en profitant de l’inattention de l’opinion pour faire adopter des réformes néolibérales impopulaires. Selon Naomi Klein, le « capitalisme du désastre » est un phénomène cyclique, car la consolidation de l’influence du secteur privé à la suite d’une catastrophe affaiblit les infrastructures publiques et contribue au changement climatique, augmentant dès lors le risque de voir survenir d’autres désastres.

L’exemple typique de ce phénomène est celui de la Nouvelle-Orléans (Louisiane), après le passage de l’ouragan Katrina en 2005. Peu de temps après le passage de l’ouragan, un certain Milton Friedman, alors âgé de 93 ans, publie un éditorial dans le Wall Street Journal et déclare que la catastrophe constitue « l’occasion de réformer radicalement le système éducatif ». La ville suit alors la vision du pape libertarien et engage une campagne agressive de promotion des écoles privées et à charter schools (écoles privées indépendantes financées sur fonds publics, ndlr) à travers la mise en place de vouchers, des bons distribués aux parents pour placer leurs enfants dans l’enseignement privé. Rapidement, le comté devient celui avec la grande proportion d’élèves dans le privé de tout le pays et une grande vague de licenciement s’abat sur les enseignants syndiqués. 

D’autres entrepreneurs profitent, eux, de la privatisation des logements sociaux et les remplacent par des condos (immeubles luxueux, ndlr) et des hôtels particuliers. Les prix du logement explosent et les habitants historiques, généralement afro-américains, sont contraints de partir. Dans les années qui suivent, les intérêts privés et le gouvernement de la Louisiane multiplient des mesures et les projets toujours plus favorables au privé, transformant une Nouvelle-Orléans meurtrie en une utopie néolibérale.

À Maui, les capitalistes du désastre se sont attiré les foudres quasi unanimes des habitants de l’île. Le think tank conservateur et libertarien American Institute for Economic Research est toutefois venu voler à la rescousse des entrepreneurs à travers un éditorial intitulé « Maui a besoin des spéculateurs ». Mais si la cupidité de ces investisseurs est massivement dénoncée, leurs pratiques n’ont rien d’illégales. Dans le cas d’Hawaï, elles s’inscrivent même dans une longue histoire d’exploitation et d’oppression des populations indigènes et de la classe ouvrière, qui s’est largement faite dans le respect de la loi. C’est là l’essence même du capitalisme : il tisse des relations économiques et des pratiques parfaitement légales, bien qu’allant à l’encontre des lois de la nature.

Les semences du désastre

Les feux de Lahaina sont les plus mortels jamais enregistrés en Amérique depuis plus d’un siècle, et les responsabilités sont nombreuses. Premièrement, une sirène qui aurait pu alerter les habitants et sauver de nombreuses vies est restée désactivée, sans aucune explication. Ensuite, le feu aurait été déclenché par une étincelle venant d’une ligne électrique endommagée de la compagnie Hawaiian Electric, principal fournisseur d’électricité de l’archipel. La compagnie n’avait pas rénové ses équipements, ce qui aurait pu éviter le danger. De plus, le réseau d’eau, lui aussi en mauvais état, n’a pas pu répondre à la demande des pompiers et plusieurs bouches d’incendie cruciales se sont taries alors que les soldats du feu étaient en pleine intervention. Enfin, des incendies d’une telle ampleur n’auraient pu avoir lieu sans le changement climatique.

Toutefois, la plus grande part de responsabilité revient sans doute aux propriétaires des plantations, qui ont largement dominé l’économie, l’administration et l’écologie des îles d’Hawaï depuis l’arrivée de colons américains. Des décennies durant, des plantations comme celle de la Pioneer Mill Company, à Lahaina, ont exploité l’environnement naturel et la main-d’œuvre locale, laissant derrière eux une terre aride favorisant la propagation des flammes.

Carte de l’île de Maui. © Librairy of Congress

Quand la culture de la canne à sucre et de l’ananas a émergé au milieu du 19e siècle, son fonctionnement ressemblait à s’y méprendre à celui d’une plantation esclavagiste. Les travailleurs autochtones et ou immigrés avaient des contrats de 3 ou 5 ans, et pouvaient être incarcérés en cas de « désertion ». Les employeurs de la plantation contrôlaient l’heure du coucher des travailleurs, les conduisaient dans les plantations avec des chiens, leurs imposaient des amendes en cas de retard et leur versaient un salaire dérisoire en comparaison à celui des travailleurs des autres pays. Ces barons des plantations incarnaient le capitalisme du désastre d’alors, achetant des terres à bas prix dans le sillage de la colonisation, compressant le coût du travail par tous les moyens légaux et amassant ainsi d’immenses fortunes. Leur pouvoir croissant leur permit de renverser le royaume d’Hawaï en 1893. Les Etats-Unis annexent l’île quelques années plus tard, avec le soutien de cette oligarchie.

Cherchant à jouer sur la division entre les travailleurs de différentes origines, les propriétaires des plantations faisaient en sorte de maintenir les différents groupes ethniques séparés les uns des autres. Cela n’empêcha cependant pas ces derniers de serrer les coudes et de développer un cadre multiculturel. Héritage de cette période, la mosaïque culinaire de l’archipel est largement issue des plats que partageaient les travailleurs chinois, japonais, philippins, portoricains, portugais et hawaïens. Les travailleurs finirent par former des syndicats, d’abord divisés par groupe ethnique puis rassemblant les ouvriers sous la bannière de l’International Longshore and Warehouse Union, un collectif puissant capable de transformer radicalement leurs conditions de travail.

Des décennies plus tard, alors que la production sucrière fut délocalisée aux Philippines et en Indonésie, où la main-d’œuvre était moins chère, les plantations comme celle de la Pioneer Mill Company commencèrent à fermer. Ce changement provoqua un déséquilibre dans l’économie locale et les emplois bénéficiant des protections sociales conquises par les syndicats furent remplacés par des emplois dérégulés dans le secteur touristique. Tandis que ce dernier prospérait, les plus grandes fortunes commencèrent à investir à Hawaï, excluant les locaux du marché foncier.

Ces transformations économiques ont eu des conséquences très visibles sur les terres. La régulation très laxiste des systèmes d’irrigation des plantations a fini par transformer des régions comme Lahaina, autrefois humides, en zones arides. Certaines plantations ont été transformées pour construire des centres touristiques, mais beaucoup ont été laissées à l’abandon, laissant la végétation envahir les champs. C’est cette végétation sèche qui a amplifié le brasier qui a fini par consumer Lahaina. Le mépris flagrant du capitalisme pour l’intérêt général a donc ravagé l’économie de l’archipel et conduit son milieu naturel au bord de l’effondrement. Le professeur d’études hawaïennes à la University of Hawaii Maui College, Kaleikoa Ka’eo, a résumé la situation lors d’un entretien pour Democracy Now! : « C’est le pillage de la terre est l’étincelle. » 

Investir contre les catastrophes

Alors que Lahaina s’attelle désormais à sa reconstruction, le contexte politique local apparaît bien différent de celui qu’a connu La Nouvelle-Orléans en 2005. Les pires aspects de la frénésie libérale post-Katrina pourraient être bloqués.

En effet, les pratiques de spoliation foncières par les États-Unis sont gravées dans les consciences à Hawaï. Les habitants ont donc à cœur de protéger les terres de leurs familles et ont donc organisé des réseaux de solidarité afin de protéger les survivants de la spéculation.

Le gouverneur Josh Green a annoncé qu’il prendrait plusieurs mesures positives, telles que le rachat par l’Etat de certains terrains incendiés pour en faire un usage public, ou encore un moratoire temporaire sur les ventes des propriétés frappées par les feux. 

La vigilance reste toutefois de mise : le gouverneur Green a également suspendu temporairement les règles en vigueur en matière de distribution de l’eau, ce qui pourrait bénéficier au secteur touristique, au détriment des autres usages. Les mesures promises doivent être scrutées de près, en parallèle de la reconstruction. Les ressources publiques dont disposait Lahaina, comme les logements abordables gérés par l’État, les écoles publiques, les plages, les écoles, le Department of Hawaiian Home Lands properties (chargé d’administrer les terrains publics, les terres natales hawaïennes et qui offre des baux à 1 $ par mois aux natifs Hawaïens) ou encore les précieux droits sur l’eau doivent être protégés.

Si protéger la ville de la spéculation est une nécessité, le statu quo n’est pas non plus une solution. La protection contre les catastrophes naturelles nécessite des changements de grande ampleur, qui n’ont que trop tardé. La région ouest de Maui d’où sont partis les feux était connue comme une zone propice aux incendies. Mais Hawaï alloue beaucoup moins de ressources par habitant à la prévention des incendies que les autres États vulnérables aux feux. Avec des investissements dans des solutions simples, comme le désherbage régulier, la construction de pare-feux et la création de système d’alerte plus précis, de nombreuses vies auraient pu être sauvées.

Du reste, les incendies ne sont pas le seul danger qui menace les îles d’Hawaï. Tout comme le reste des États-Unis, l’archipel souffre d’un double problème : d’une part, l’aggravation du changement climatique, d’autre part le vieillissement des infrastructures essentielles pour la population. Des ponts et des barrages défaillants, laissés à l’abandon par les politiques d’austérité menées par les élus, pourraient par exemple être à l’origine du prochain désastre mortel.

La rénovation de ces infrastructures et la préparation pour les prochaines crises climatiques nécessitent un investissement massif dans les services publics, un afflux qui devra être financé par les grandes fortunes qui achètent des milliers d’hectares de terre à Hawaï, et non les travailleurs de l’archipel. Les événements récents l’ont montré : Hawaï regorge de milliardaires, à commencer par Jeff Bezos qui s’est engagé à donner 100 millions de dollars pour la reconstruction. Mais la charité soudaine et très médiatisée après une catastrophe n’est pas une solution. Les super-riches qui accaparent les meilleures terrains de l’archipel doivent être mis à contribution. Après le capitalisme du désastre, il est temps de passer à des politiques d’intérêt général.

Incendies : quand la France de Macron brûle

Incendies : quand la France de Macron brûle
Feux de forêt – 2022 © Matt Palmer / Ed. LHB

Ces dernières semaines dans les départements de l’Isère, de la Lozère, de l’Aveyron, du Maine-et-Loire, en Gironde et en Dordogne comme dans le massif armoricain en Bretagne, une série de feux de forêts, difficilement contrôlables, a ravagé la France en dépit de très importants moyens déployés. L’explication la plus immédiate à cet embrasement est évidemment la sécheresse qui sévit depuis le début de l’été dans tout le pays, privant par intermittence un grand nombre de communes de l’accès à l’eau. Mais tout n’est pas imputable au contexte global actuel : nos forêts sont fragiles, abîmées par des décennies de politiques publiques néolibérales aux visées court-termistes et trop souvent gérées dans des logiques de production irrespectueuses de l’environnement. 

Les explications des préfets tournent en boucle sur les chaînes d’information. Ils détaillent par le menu les effectifs, les consignes, les ordres reçus. À côté d’eux, les images se succèdent, sur le petit écran comme sur les réseaux sociaux. C’est toujours la même scène : au lointain, le brasier colore le ciel d’apocalypse, pendant que les Canadairs larguent leurs eaux dans un ballet au rythme saccadé. Ici, c’est le massif de la Chartreuse en Isère, couronné de fumées, hier c’étaient les Landes de Gascogne en Gironde. Les pompiers, les gendarmes, les élus, la sécurité civile, les agriculteurs… toute la France semble mobilisée pour « fixer » ces incendies. Les services de l’État sont partout, sirènes et gyrophares en action, rassurants avec les populations évacuées, mines graves devant les caméras, familiarisant d’entretien en reportage le grand public à leur jargon technique.

Mais si l’État fait bonne figure au cœur de la catastrophe, laissant les gouvernants loin de toute vindicte, cela ne doit pas effacer la cruelle explication de la cause de ces incendies. La forêt française est affaiblie. Ce patrimoine culturel, industriel et climatique souffre d’un manque de soin patent.

Un hélicoptère “Dragon” de la sécurité civile française au large d’Etretat en 2020 - © Meax Prod
Un hélicoptère “Dragon” de la sécurité civile française au large d’Etretat en 2020 – © Meax Prod

C’est d’abord un abandon voulu de nos forêts domaniales, avec les coupes claires dans les administrations publiques, notamment dans l’Office national des forêts (ONF). Cette entité détient un triste record : près de 15 % de ses salariés ont été remerciés en dix ans, ce qui en fait l’administration publique la plus diminuée sur la période. En charge d’un quart des forêts du territoire national, premier gestionnaire d’espace naturels en France, l’ONF est pourtant un des outils qui permet de rendre nos forêts plus résilientes, en se préoccupant de l’entretien des chemins, en s’assurant du bon renouvellement et de la diversité des essences, en veillant également sur la faune. Sa mission scientifique est aussi un observatoire fin des signaux du changement climatique. Avec les gardes forestiers, c’est un des outils publics dont nous disposons pour renforcer nos forêts et les rendre plus durables, y compris face à des actes volontairement malveillants.

L’industrialisation et la financiarisation de la forêt a aussi engendré le développement d’une culture mono-essence dans la plupart de nos régions, avec un seul stade végétatif et sans mélange, ce qui met les arbres à la merci des incendies et des maladies, minimise fortement le réservoir de biodiversité qu’est habituellement cet espace, tandis que les sols se voient fragilisés, lessivés par les intempéries et acidifiés par des essences inadaptées. 

D’énormes portions de forêts privées se sont transformées au fil du temps en actifs financiers, avec des structures juridiques par part (les groupements fonciers forestiers et les groupements forestiers d’investissement), véritable oligopole dominé par des grandes sociétés de gestion de patrimoine comme Amundi et Fiducial. Sous l’intitulé alléchant de « placement vert et durable », la financiarisation de la forêt correspond en vérité à la mise en place d’une mécanique qui conduit à la ruine écologique et industrielle. Dans la logique néolibérale de l’économie déménagée, le bois devient une ressource hors filière, une matière première sans suivi cohérent, où le chêne produit en France est accaparé par la Chine, qui préfère prudemment sanctuariser ses propres forêts. Loin de vouloir freiner ce phénomène, les autorités publiques l’encouragent, arrangeant ici des niches fiscales, là des exonérations sur les droits de succession. C’est cette complaisance qui fait aujourd’hui brûler nos forêts.

Une pile de rondins de bois - © Alex Azabache
Une pile de rondins de bois – © Alex Azabache

Enfin, si l’on se félicite de la mobilisation générale des services publics face aux feux, le constat est sans appel : comme pour la gestion au long cours, les moyens pour l’urgence ne sont pas à la hauteur. La capacité totale de déploiement des pompiers a été atteinte le 11 août pour les quelque 251 900 pompiers présents sur le territoire (professionnels, militaires et volontaires confondus). Si l’on peut trouver des explications recevables sur ce point, compte tenu du caractère encore exceptionnel des feux de cet été et en dépit d’une demande répétée de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers du renforcement des effectifs, la question du matériel est beaucoup plus inquiétante.

Christophe Govillot, pilote de Canadair et porte-parole du Syndicat national du personnel navigant de l’aviation civile, témoignait en juillet dans Marianne de la fragilité du matériel volant : si l’on excepte les consignes administratives obscures clouant les appareils au sol, deux sujets au moins posent question pour les Canadairs et les Dash : d’abord le sous-effectif du personnel, et notamment des commandants de bord de Canadair, dont la formation dure cinq ans ; ensuite la question de l’entretien des appareils. Il est aujourd’hui confié à une société privée, Sabena Technics, incapable de respecter ses engagements auprès de l’État. C’est le même son de cloche du côté du matériel roulant, dont les commandes ne sont pas prioritaires sur la production à destination des particuliers, vieillissant et tendanciellement obsolète. Là encore, les logiques de dérégulation de l’économie, l’externalisation à des prestataires défaillants et le manque de hauteur de vue nous conduisent à des scénarios de tension extrême pour les acteurs de terrain.

Un Canadair et un Dash - 2020 © Eric Salard / Ed. LHB
Un Canadair et un Dash – 2020 © Eric Salard / Ed. LHB

Quand les cendres seront retombées, quand les fraîcheurs d’automne seront revenues, le gouvernement devra rompre avec ses mauvaises habitudes et travailler au long cours. Cela passe par la poursuite des investissements humains et matériels d’urgence bien sûr, sans doute aussi par des efforts de sensibilisation des populations (on sait que 9 incendies sur 10 sont d’origine humaine). Mais il faudra aussi et surtout replanter intelligemment, avec des essences diversifiées et locales, en suivant les préconisations scientifiques, dans une logique éloignée de la rentabilité financière rapide qu’on a imposé à nos sols depuis trop longtemps. Une jeune forêt, si elle suit ces principes, est un des puits de carbone les plus efficaces – on se reportera à l’ouvrage de Pierre Gilbert, Géomimetisme, publié en 2020 – : sa gestion raisonnable permettra aussi à un modèle industriel d’exploitation vertueux et durable de se mettre en place.

Les flammes n’ont donc pas emporté tout espoir, mais nous savons que les pics de chaleur et les sécheresses vont se multiplier, en intensité comme en durée, avec des phénomènes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents. Nous devons donc changer radicalement de modèle d’exploitation et de gestion des forêts pour ne pas que le phénomène se reproduise encore et encore.

Le paradoxe australien : enfer climatique et dirigeant climatosceptique

Alors que le pays est ravagé par des incendies liés au changement climatique, le Premier ministre Scott Morrison tend un morceau de charbon à l’Assemblée en soutien à l’industrie minière. Photos © CSIRO et Parliament of Australia.

Alors que l’Australie est à l’avant-poste dans ce que le changement climatique peut produire de pire, la très grande majorité des élites du pays se fourvoie paradoxalement de plus en plus dans un négationnisme climatique dramatique. Un paradoxe étrange qui témoigne d’une irrationalité crasse. Entre lobbies du charbon, accapareurs d’eau et surtout angoisse profonde du sentiment de déclin, une majorité d’Australiens choisit le camp du conservatisme climatosceptique et du repli sur soi. C’est le résultat politique de la peur dans une société atomisée, et cela devrait nous questionner, à l’heure où l’on détricote ici les structures de solidarité sociale.


Un avant-goût de l’enfer qui nous attend

En Australie, nous ne sommes qu’au début de l’été et pourtant les deux prochains mois pourraient être encore pires. Or, il fait 50°C à l’ombre et les incendies ont ravagé quelque 3 millions d’hectares de bush. 200 feux sont actuellement recensés dans le pays, dont 70 sont hors de contrôle, majoritairement dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud. Huit pompiers sont morts dans les opérations. De leur côté, les cinq millions d’habitants de Sydney respirent un air onze fois plus pollué que le seuil de dangerosité normal en raison des fumées. Les médecins ont déclaré l’état d’urgence sanitaire pour la ville.

Les scientifiques sont unanimes : les incendies ont été plus violents et plus précoces que d’habitude cette année en raison d’une sécheresse record qui dure depuis maintenant deux ans, due aux effets du changement climatique. Alors que certaines villes sont à court d’eau potable, d’immenses zones de végétation sont extrêmement sèches et offrent des conditions idéales pour la propagation des feux. Les dégâts sur la faune sont inédits : chauves-souris, oiseaux, reptiles aquatiques… et des animaux aussi emblématiques que le koala sont maintenant purement et simplement menacés de disparition.

En mars dernier, nous avions déjà écrit sur la situation dramatique du pays, au sortir d’un été particulièrement sec. Tout a commencé en septembre 2018 avec un épisode de sécheresse caniculaire qui s’est prolongé jusqu’en janvier, le mois le plus chaud de l’histoire du pays jusqu’à cette année. Des villes comme Adélaïde ou Port Augusta ont vu le thermomètre monter jusqu’à 49,5°C à l’ombre. L’État du Queensland, situé au nord-est du pays, avait été ravagé par des incendies d’une ampleur jamais observée de mémoire d’homme. Par ailleurs des millions de poissons ont été retrouvés morts le long du bassin hydrographique de Murray-Darling en raison de leur asphyxie par une bactérie mangeuse d’algues, dans le sud-est du pays. Rappelons que ce bassin concentre 40 % de toute l’activité agricole australienne.

https://firms.modaps.eosdis.nasa.gov/map/#z:4;c:147.5,-30.1;d:2019-12-26..2019-12-27
Observatoire en temps réel des incendies de la NASA / Capture

Qui dit sécheresse dit inondations, puisqu’une terre durcie par le manque d’eau absorbe très mal les pluies. Il a plu en quelques jours de février l’équivalent de plusieurs mois, ce qui a entrainé la mort de quelques 500 000 bovins. Englué dans la boue, la plupart du bétail est mort de faim et d’épuisement sur place. Pour certains fermiers du Queensland, c’est 95 % de leur cheptel qui ont été décimés pour un manque à gagner de plus d’un milliard de dollars. Pour venir en aide aux comtés touchés, le Premier ministre libéral-conservateur Scott Morrison, élu depuis août 2018 n’a débloqué que… 1 million de dollars. Ces derniers jours, alors que le pays est à feu et à cendres, il prenait des vacances à Honolulu – ce qui n’a pas manqué de déclencher une polémique. Il n’est rentré qu’en raison de la mort d’un huitième pompier dans la lutte contre les incendies. Pourtant, ça ne l’empêche pas d’être l’homme politique le plus populaire du pays : tout un paradoxe.

Le lobby du charbon tout puissant

La société australienne est de plus en plus polarisée autour des questions environnementales. D’un côté, la jeunesse et les centres urbains sont très mobilisés et manifestent par centaines de milliers lors des marches pour le climat, de l’autre, une majorité de l’opinion soutient leur Premier ministre climatosceptique. Canberra s’est d’ailleurs particulièrement illustrée lors de la COP25 en sabotant les négociations en matière d’échange de quotas carbone, à rebours de l’Histoire. La pomme de discorde, c’est évidemment l’économie, ou plutôt le court-termisme.

D’après la Brookings Institution, l’Australie serait l’un des pays qui devrait perdre le plus, avec ceux de l’OPEP, s’ils respectaient les engagements pris lors de la COP 21. Son PIB pourrait ainsi reculer de 2 % d’ici 2030, la richesse des ménages diminuer de 0,5% et le nombre d’emplois baisser de 127 000. Pourquoi ? Parce que l’Australie est quatrième producteur mondial de charbon derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde, mais surtout le premier exportateur mondial. Le charbon fournit 80 % de l’électricité nationale et rapporte environ 50 milliards de dollars à l’export. Les émissions australiennes de CO2 ont ainsi augmenté de… 46,7 % depuis 1990.

Pourtant, le rapport souligne qu’à terme l’Australie a tout à gagner à rester dans les clous de l’accord de Paris, car les catastrophes climatiques vont avoir un coût bien supérieur. Le pays commence à l’observer : en 2019, la production céréalière s’est effondrée de 50% et le pays a dû importer pour la première fois en 10 ans. Nous ne parlons même pas des autres secteurs, y compris touristique, frappés. Pourtant, Scott Morrison peut se targuer d’une croissance de quelques 3%, d’un taux de chômage de 5 %, d’une inflation maîtrisée et d’une dette publique de 40 % du PIB.

La raison en est simple : les cours du charbon et d’autres minerais montent. Cette dépendance aux exportations rend le pays extrêmement vulnérable – le fameux « syndrome hollandais »[1] : le pays se spécialise dans l’extraction minière et perd son industrie, d’autant plus rapidement que les salaires des mineurs sont très élevés, créant par la même occasion une caste extrêmement pro-conservateurs : les bogans.

Le charbon dispose de puissants défenseurs dans le pays, dont Rupert Murdoch, climatosceptique notoire qui contrôle 70 % de la presse nationale. L’organisation Transparency International a d’ailleurs rétrogradé l’Australie de la 7e place à la 13e place en termes de corruption, en raison notamment du poids du lobby du charbon. Un rôle certainement central dans la victoire surprise de Scott Morrison aux dernières législatives, alors que les travaillistes – ayant largement fait campagne sur l’environnement – étaient donnés favoris. Mais ce lien de causalité est loin de pouvoir expliquer à lui seul pourquoi, encore aujourd’hui, le Premier ministre climatosceptique est aussi populaire dans son pays.

Pourquoi l’Australie a-t-elle choisi un climatosceptique en plein drame climatique ?

Morrison s’est surtout adressé aux électeurs les plus âgés et les plus aisés, inquiets du programme de Bill Shorten, le candidat travailliste qui voulait supprimer diverses niches fiscales pour financer des dépenses en faveur de l’éducation, de la santé et du climat. Pourtant, les sondages donnaient ce dernier en tête.

Une fois dans l’isoloir, les Australiens ont donc voté en majorité pour leur portefeuille, ce qu’ils se gardaient bien de dire avant dans les enquêtes d’opinion. Un effet isoloir classique donc, qu’on a également observé avec le FN en France pendant de nombreuses années, lorsque le parti n’était pas encore aussi normalisé, ou encore avec Donald Trump. De même, au Canada, lors des élections fédérales d’octobre 2019, le Premier ministre Justin Trudeau a certes été réélu avec une majorité relative, mais les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, très dépendantes des hydrocarbures et des sables bitumineux, ont voté pour les conservateurs à 69% et 64% ! Ces derniers promettaient la suppression pure et simple de la taxe carbone et le développement des pipelines.

Lorsque le pire de chacun n’est plus canalisé par la pression morale de la société, il se déchaîne. En Australie, l’effet de masse du vote climatosceptique libère les énergies de la partie obscure des individus, et renforce les mécanismes de déni. Penser que la rationalité motive le vote est une lubie que la plupart des personnes ayant fait de hautes études – « formatées à la rationalité » – entretiennent. Le plus paradoxal, c’est que cette élite éduquée et médiatique qui met en avant la rationalité et le consensus en politique, est souvent la plus à même de basculer dans l’autoritarisme lorsque ses intérêts sont menacés. En France, on l’observe très bien vis-à-vis du mouvement des gilets jaunes et du mouvement contre la réforme des retraites : le degré d’études n’empêche pas de soutenir le tournant illibéral du gouvernement, bien au contraire.

Dans une période de déclin, la peur prend tendanciellement le pas sur la rationalité en politique, et oriente le vote davantage vers l’individualisme plutôt que vers la solidarité. Or le sentiment de déclin est inconsciemment d’autant plus partagé dans un contexte d’effondrement environnemental. Selon le sondage Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, réalisé en août 2019, 73% des Français estiment que la France est en déclin. 65% de nos compatriotes estiment que « c’était mieux avant » et seuls 40% des personnes interrogées pensent que notre avenir est « plein d’opportunités ». En Australie aussi, la confiance dans l’avenir s’étiole. Un sondage spécial de Roy Morgan montre que 40% des Australiens pensent que 2020 sera « pire » que 2019. Soit une augmentation significative de 26 points par rapport à l’année dernière et le chiffre le plus élevé depuis 1990.

https://www.roymorgan.com/findings/8236-next-year-better-or-worse-australia-2019-2020-201912200413
Source : Enquêtes Roy Morgan en Australie sur la période 1980-2019, avec une moyenne de 1 000 Australiens de 18 ans et plus interrogés chaque année. Question : “En ce qui vous concerne, pensez-vous que l’année prochaine (2020) sera meilleur, pire, ou le même que 2019 ?”

On peut expliquer ce phénomène assez simplement. Lorsqu’on est soumis à un stress, le cerveau reptilien (fonctions vitales, réactivité, coordination musculaire etc.) prend le pas sur le cortex préfrontal – la « zone de la rationalité ». L’hippocampe, un petit organe niché au cœur de notre cerveau et essentiel au fonctionnement de notre mémoire et de notre imagination, est également particulièrement sensible au cortisol, également appelé « hormone du stress ». Il peut rétrécir de près de 20 % en situation de stress, d’anxiété, ou encore à la suite d’un traumatisme. Une telle diminution, surtout si répétée dans le temps, nous rend incapables d’envisager l’avenir d’une manière positive et optimiste. C’est pourquoi la destruction des structures de solidarité sociales – ayant pour but fondamental d’émanciper le citoyen de l’angoisse du lendemain – a un effet dévastateur sur l’imagination, donc sur la possibilité d’imaginer une alternative politique.

La politique très ferme en matière migratoire conduite par Scott Morrison – qui consiste par exemple à renvoyer automatiquement les bateaux vers l’Indonésie et la Papouasie – s’articule très bien avec l’exploitation de la peur de l’effondrement environnementale.

Que faut-il conclure du paradoxe australien ?

Comme le déclin économique, perceptible dans la plupart des pays de l’OCDE entraîne davantage une peur du déclassement qu’une massification des thèses anticapitalistes, le déclin environnemental, le sentiment de voir le monde s’écrouler, exacerbe les mécanismes de déni. La peur de la paupérisation – tant pour des raisons économiques qu’environnementales – suscite des réactions d’autodéfense primaire, plutôt que de la rationalisation politique. Cette réalité qu’on observe aussi en France – dans une très moindre mesure – est largement amplifiée dans des pays anglo-saxons tels que l’Australie. Beaucoup plus individualisés, sans État social ni mécanismes de solidarités organiques ambitieux, les individus y sont beaucoup plus susceptibles au stress de la subsistance.

En conclusion, pour qu’un peuple soit mentalement disponible pour relever le défi climatique – à travers par exemple l’élection d’un gouvernement de rupture – il faut qu’il dispose d’un minimum de mécanismes de solidarité, qu’il soit globalement émancipé de la peur des aléas principaux. À ce titre, on peut prendre le raisonnement dans l’autre sens : la réforme des retraites en France n’est pas tant un facteur d’accélération des mécontentements, potentiellement cristallisable à travers une opposition politique ambitieuse, mais plutôt une difficulté supplémentaire… À moins qu’elle soit stoppée par un mouvement social victorieux.

Si la peur du déclassement fait voter les pauvres à droite, ce qu’a déjà montré Thomas Frank en 2008 dans Pourquoi les pauvres votent à droite : comment les conservateurs ont gagné le cœur des États-Unis, il faudrait désormais étudier ce que produit la peur de l’effondrement écologique dans le champ politique. Braque-t-elle les cerveaux en provoquant du déni ? Augmente-t-elle la masse critique d’électeurs susceptibles de choisir un projet écologiste et social ? En réalité, on observe les deux phénomènes contemporainement : la question environnementale est un point de scission de plus en plus important entre deux blocs. En revanche, on observe que cet antagonisme diffère en fonction de l’état d’avancement du délitement de la société par le libre marché. Dans une société anglo-saxonne individualiste comme l’Australie, la masse critique du vote autocentré et court-termiste est plus grande, même dans une situation environnementale aussi dramatique.

 

[1] Le « syndrome hollandais » (en anglais, « Dutch disease ») vient de la crise qu’a traversé l’industrie hollandaise suite à la découverte de gaz en Mer du Nord dans les années 1960. L’industrie gazière, en faisant grimper les salaires, a asphyxié l’industrie manufacturière. De nombreux pays souffrent de ce problème, notamment les pays pétroliers (Arabie Saoudite, Russie…).

Que faut-il faire pour l’Amazonie ?

Les feux de forêt en Amazonie du 15 au 22 août 2019 depuis le satellite MODIS, NASA

Michel Prieur est président du Centre international de droit comparé de l’environnement. Dans ce texte, il revient sur l’histoire du droit de l’Amazonie, et les leviers concrets qu’il permettrait potentiellement d’activer pour la protéger. Encore faudrait-il que les États redonnent ses lettres de noblesse au multilatéralisme, dont la crise est particulièrement visible avec cet écocide sans précédent.


L’actualité dramatique des incendies en Amazonie, volontaires ou non, couplée avec la politique du nouveau chef d’État brésilien qui consiste à ouvrir ce territoire à l’industrie agroalimentaire, remet l’Amazonie à la pointe des préoccupations environnementales. On ne doit pourtant pas oublier la réforme du code forestier brésilien par la présidente Dilma Rousseff en 2012 qui a modifié celui-ci et amnistié les défricheurs de la forêt amazonienne sans que la Haute cour de justice n’y voit en 2018 ni une régression, ni une violation de la Constitution.

L’Amazonie, considérée comme le poumon de la planète, est partagée entre neuf États[1] dont la France. Elle est en réalité déjà protégée par le droit de l’environnement national et international, à la condition toutefois que les instruments existants soient effectivement appliqués. Pour cela, il faut à la fois la volonté politique des États concernés et la pression continue des ONG utilisant à bon escient et en connaissance de cause les instruments juridiques à leur disposition.

L’Amazonie est d’abord protégée par les droits nationaux des pays concernés. La Cour suprême de Colombie vient à cet égard, dans une perspective environnementale, de donner en 2018 la personnalité juridique à l’Amazonie colombienne. Elle a convoqué 90 institutions de Colombie pour venir expliquer leur action devant elle en octobre 2019[2]. En Colombie, 80 % de l’Amazonie colombienne a le statut juridique de réserve indigène ou de parc naturel[3]. Le Brésil, sous la souveraineté duquel se situe la plus grande partie de l’Amazonie, a introduit dans sa Constitution de 1988 une protection constitutionnelle de l’Amazonie qualifiée de patrimoine national par l’article 225-4. L’Amazonie fait partie des biens communs préservés pour les générations présentes et futures. De plus, la Constitution prévoit que les aires protégées et territoires indigènes, qui représentent 48 % de l’Amazonie au Brésil, ne peuvent être modifiés ou supprimés que par la loi, ce qui interdit au président de prendre des décisions sans l’accord formel du parlement[4].

Le droit international doit aussi venir au secours de l’Amazonie sans qu’il soit nécessairement besoin d’inventer de nouveaux mécanismes. Les traités universels sur la diversité biologique de 1992, sur la lutte contre la désertification de 1994, sur les zones humides d’importance internationale de 1971 et sur l’interdiction du mercure de 2013 sont tous en vigueur et ont été ratifiés par le Brésil. De plus, la Convention de l’UNESCO de 1972 sur le patrimoine mondial s’impose également au Brésil. C’est ainsi que sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial sept espaces naturels brésiliens, dont une partie de l’Amazonie centrale. En effet, depuis 2000, avec une extension en 2003, six millions d’hectares de la forêt amazonienne sont sous la protection de la Convention de l’UNESCO. Ceci implique un régime national de protection, des rapports et des inspections pouvant conduire au retrait de la liste internationale ou, en cas de dégradation du milieu, à l’inscription sur la liste des espaces en péril.

Au plan régional, il existe depuis 1978 un traité entre huit États riverains de l’Amazone : le Pacte amazonien, amendé en 1998, avec l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA)[5]. Cet instrument juridique en vigueur permet de mener des actions collectives de protection et de surveillance du patrimoine amazonien. À été adopté en 2010 un Agenda stratégique de coopération amazonienne mettant en place une coopération sud-sud pour la lutte contre le changement climatique, le développement durable, la conservation des ressources naturelles, en harmonie avec l’Accord de Paris sur le climat et les Objectifs du développement durable 2030. Lors de la XIIIe réunion des ministres des Affaires étrangères des États parties fut adoptée la déclaration de Tena le 1er décembre 2017. Elle constate l’importance mondiale des services écosystémiques de l’Amazonie ; elle réaffirme leur engagement pour réduire les effets du changement climatique ; elle reconnaît que les ressources hydriques du bassin amazonien sont un patrimoine universel partagé ; elle décide de renforcer la coopération contre les incendies de forêts transfrontaliers, enfin elle salue l’initiative colombienne Amazonie 2030 d’atteindre l’objectif déforestation zéro.

Au plan financier, de nombreuses ONG internationales interviennent pour aider les populations indigènes à se défendre en justice et pour financer des opérations de conservation de la biodiversité. Le G7 et l’Union européenne ont approuvé en 1991 un programme pilote pour la protection de la forêt tropicale brésilienne (PPG7) de 250 millions de dollars gérés par la Banque mondiale à partir de 1995. Le projet GEF Amazonie de 2011 à 2014 a attribué 52,2 millions de dollars à un programme de gestion environnementale du bassin amazonien.

Au plan bilatéral, dans la mesure où la France possède en Guyane une petite partie de la forêt amazonienne, les relations franco-brésiliennes permettent des actions conjointes, tel que l’accord signé par les présidents Chirac et Lula le 15 juillet 2005 relatif à la construction du pont sur l’Oyapock à la frontière franco-brésilienne. Ce pont a été inauguré en mars 2017. L’accord prévoit des rencontres régulières à travers la commission mixte transfrontalière qui pourrait être un lieu de négociations concernant le sort de la forêt partagée.

L’activation de tous ces outils devrait faciliter une action concertée entre les États afin de mieux préserver la ressource naturelle amazonienne.

Toutefois, certains considèrent que ces outils sont insuffisants et prônent une action beaucoup plus collective au nom de la solidarité internationale en matière d’environnement et au nom de la lutte contre les effets des changements climatiques. Sur le plan scientifique, un effort avait été tenté sans succès dès 1948 par l’UNESCO. En effet, avait alors été créé l’Institut international de l’Hyléa[6] amazonienne qui avait vocation à protéger l’Amazonie par la science « pour le bien de l’humanité ». Cet institut a été abandonné en 1950. Mais l’idée selon laquelle l’Amazonie serait un bien commun de l’humanité va continuer à susciter des convoitises contradictoires. Il s’agirait d’envisager de qualifier l’Amazonie de « patrimoine commun de l’humanité », ce qui impliquerait un accord mondial inenvisageable, d’autant plus que le qualificatif juridique de « patrimoine commun de l’humanité » n’a jusqu’alors été attribué qu’à des espaces ne relevant d’aucun État (les fonds marins, la lune, l’espace extra-atmosphérique). L’internationalisation de l’Amazonie paraît de plus, selon le pape François, comme uniquement au service « des intérêts économiques de corporations multinationales »[7].  Préparant un synode des évêques pour les 6-27 octobre 2019 sur les problématiques de l’Amazonie, un document préparatoire du 8 mai 2018 insiste sur la nécessité d’une écologie intégrale pour préserver les ressources naturelles et l’identité culturelle. Lors de son voyage à Madagascar le 7 septembre 2019, le pape François a évoqué la déforestation en Amazonie à propos de la déforestation à Madagascar et réclamé d’accorder « le droit à la distribution commune des biens de la terre aux générations actuelles, mais également futures ».

En conclusion, il faut d’abord soutenir les juristes brésiliens pour qu’ils utilisent les instruments juridiques nationaux qui sont particulièrement protecteurs de l’Amazonie. Selon le cacique Raoni Metuktire, il convient de créer d’autres réserves naturelles en Amazonie[8] même si déjà 48 % de l’Amazonie est protégée, entre territoires amérindiens et unités de conservation[9]. Pourquoi ne pas demander au Brésil de solliciter de l’UNESCO une extension de 12 % de sa surface forestière amazonienne au titre de la liste du patrimoine mondial pour qu’elle représente au total 60 % de forêts protégées, comme l’a fait le Bhoutan dans sa Constitution de 2008, proclamant que 60 % des forêts du pays sont éternelles et ne peuvent donc pas être défrichées ? La France pourrait prendre l’initiative, avec les autres États amazoniens, de demander pour chacun d’entre eux l’inscription de 60 % de leur forêt amazonienne sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Ainsi, 60 % de l’ensemble du bassin amazonien serait protégé.

Dans le même temps, la communauté internationale devrait se mobiliser pour un suivi plus efficace des territoires inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et apporter un appui spécial aux États parties au Pacte amazonien[10]. Une coopération nord-sud devrait venir renforcer les actions entreprises par l’OCTA.

On doit regretter que la rencontre de Leticia du 6 septembre 2019, à l’initiative de la Colombie, avec la présence du ministre des Affaires étrangères du Brésil, n’ait pas associé tous les États amazoniens puisque n’avaient pas été invités, ou n’étaient pas présents, ni le Venezuela, ni la France, alors que l’Équateur, qui était présent, dispose de la même surface amazonienne que la France. On doit néanmoins constater l’esprit d’ouverture du « Pacte de Leticia »[11] qui réaffirme la nécessaire coopération entre les pays d’Amazonie, appelle la communauté internationale à coopérer pour la conservation et le développement durable de l’Amazonie, crée un réseau de coopération pour lutter contre les catastrophes naturelles et souhaite de pouvoir coopérer avec les autres États intéressés et les organisations internationales régionales et internationales.

Cet appel rend possible la solidarité internationale et écologique appliquée concrètement à l’Amazonie. Les neuf États concernés doivent rapidement renforcer leur coopération dans l’intérêt commun de l’humanité avec l’appui de l’ensemble de la communauté internationale, en particulier de l’Union européenne et des institutions spécialisées des Nations unies, en particulier la FAO et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). L’ensemble de ces initiatives officielles ne pourra se développer que si les citoyens consommateurs des pays du nord réduisent leur consommation de viande et les achats de soja pour leur bétail. Parallèlement, les actions juridiques et sociales en faveur des peuples indigènes d’Amazonie[12] doivent s’amplifier en mettant en application les directives de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies portant « Déclaration sur les droits des peuples autochtones » de 2007[13] adoptée par 144 voix, dont celle de la France, et en demandant la ratification de la Convention internationale n° 169 de l’Organisation Internationale du travail de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux, qui n’a été ratifiée que par 23 États. Trois États d’Amazonie ne l’ont pas encore ratifiée : Guyana, Surinam et la France. Curieusement, la France a pourtant signé cette Convention. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, le 23 février 2017 (recommandation n° 7), a demandé que cette ratification ait enfin lieu.

Michel Prieur, président du Centre international de droit comparé de l’environnement.

 

[1] 63 % au Brésil, 10 % au Pérou, 7 % en Colombie, 6% en Bolivie, 6 % au Venezuela, 3 % en Guyana, 2 % au Surinam, 1,5 % en Équateur et 1,5 % en Guyane française.

[2] Anne Proenza, « A Leticia, six pays tentent de se coordonner », Libération,  7-8 septembre 2019, p.5.

[3] Anne Proenza, idem, p. 5

[4] Edison Ferreira de Carvalho, « La protección de los bosques a la luz del derecho ambiental internacional y la constitución brasileña : serán capaces de salvar la foresta Amazónica ? », Universidad federal de Para, Naece editora, 2018.

[5] www.otca-oficial.info

[6] Signifie en grec bois et forêt.

[7] Encyclique Laudato Si, 2015, p. 30, qui cite la 5° Conférence de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes à Aparecida le 29 juin 2007, n° 84 et 86.

[8] Interview de Raoni Metuktire, « La forêt est cruciale pour le climat planétaire », Libération, 7-8 septembre 2019, p. 3.

[9] François-Michel Le Tourneau, « Faire en sorte que l’Amazonie debout rapporte plus que le déboisement du territoire », Le monde, 3 septembre 2019, p. 27.

[10] La France, en tant qu’État souverain en Amazonie, devrait pouvoir adhérer au Traité de coopération amazonienne de 1978, ce qui nécessiterait au préalable un amendement à l’art.  27. de ce Traité, qui interdit à présent les adhésions.

[11] Carlos Holmes Trujillo, ministre des relations extérieures de Colombie, adresse un message d’unité et d’espérance à la région et au monde, in « Cumbre presidencial para reafirmar el compromiso con la Amazonia », El Tiempo, Bogota, 6 de septiembre de 2019.

[12]  Ils sont trois millions de personnes représentant 390 peuples distincts et 130 peuples indigènes en isolement volontaire.

[13] Résolution 61/295, A/RES/61/295.

L’Australie part en fumée dans l’indifférence de ses gouvernants

Tourisme, croissance économique ininterrompue, faune et flore, viticulture, surf… l’Australie continue à bercer le monde tel un pays de Cocagne. La réalité, implacable, est celle d’un pays continent ravagé par les flammes, terrassé par les inondations et qui suffoque dorénavant toute l’année. Ce désastre écologique s’explique en grande partie par le réchauffement climatique. Pourtant, le gouvernement national-libéral de Scott Morrison regarde ailleurs, dans la perspective des élections fédérales prévues courant 2019 où ces derniers restent placés derrière les travaillistes.


L’été vient de se terminer en Australie, laissant place à l’automne austral. Un été interminable qui a vu le pays afficher les pires sécheresses de son histoire, atteindre les températures les plus hautes jamais enregistrées et être dévasté par des inondations et des feux de forêts qui ont ravagé ses cultures et son bétail. Tout a commencé en septembre 2018 avec un épisode de sécheresse caniculaire qui s’est prolongé en janvier. Il a été le mois le plus chaud de l’histoire du pays, avec une moyenne de température au-dessus de 30°C. Des villes comme Adélaïde ou Port Augusta ont vu le thermomètre monter jusqu’à 49,5°C à l’ombre alors qu’à Marble Bar, dans l’Ouest, le thermomètre avait déjà atteint 49,3°C fin décembre.

https://www.dailymail.co.uk/news/article-6662871/Townsville-floods-crocodiles-driveways-residents-roofs-20-000-homes-flooded-tornado-monsoon.html
Inondations à Tonwsville dans le Queensland © DailyMail.co.uk Capture / DR

Les pires inondations en Australie depuis un siècle

Dans l’État du Queensland, situé au Nord-Est du pays, d’immenses feux de brousse, pourtant légions en raison de la sécheresse habituelle dans la région, sont devenus indomptables et ont ravagé l’État, obligeant des milliers de personnes à abandonner leurs habitations. Mais cela n’a pas semblé suffire puisque des inondations terribles un mois après, de l’ordre de deux à trois mètres de précipitations, ont provoqué la mort de 300 000 à 500 000 bovins.

95% de leur cheptel ont été tués par les inondations, où les bovins, englués dans la boue, n’ont pu se nourrir à temps

D’après le syndicat des exploitants agricoles du Queensland, « le secteur va mettre des décennies à s’en remettre », avec des dégâts chiffrés à plus de un milliard de dollars australiens. Pourtant, Scott Morrison, le nouveau Premier ministre libéral australien depuis août 2018, a annoncé seulement 1 million de dollars en aide aux comtés touchés à ce stade. Après les inondations, les carcasses de bovins ont été découvertes dans les cheptels alors que les températures redevenaient très élevées. Pour certains fermiers, c’est 95% de leur cheptel qui ont été tués par les inondations, où les bovins, englués dans la boue, n’ont pu se nourrir à temps malgré le transport par hélicoptère de foin.

Pour Michael Guerin, représentant du syndicat des agriculteurs, il s’agit de la pire catastrophe qui soit arrivée dans le Queensland. L’armée australienne a même été obligée d’intervenir dans certaines zones de l’État alors que des crocodiles ont pris place dans les rues inondées de Townsville. Dans une tentative d’appel au calme et à la prudence, la Première ministre travailliste du Queensland Annastacia Palaszczuk a déclaré que « ce n’est pas un événement qui survient tous les 20 ans, c’est un événement qui survient tous les 100 ans ». Pourtant habitués à avoir 2000 millimètres de précipitations dans cette zone de moussons, les habitants ont constaté qu’il est tombé en quatre jours l’équivalent d’une année de pluie. Ils ont surnommé ce phénomène « Big Wet » ou grosse humidité.

https://www.news.com.au/finance/economy/australian-economy/floodaffected-farmers-witness-entire-cattle-herds-wiped-out-by-catastrophic-deluge/news-story/f49ee8b2d5ed0cca27283afb45bf9477
Bovins tués. Capture / DR

Comme si cela ne suffisait pas, des millions de poissons ont été retrouvés morts dans le Sud-Est du pays le long du bassin hydrographique de Murray-Darling en raison de leur asphyxie par une bactérie mangeuse d’algues. Ce bassin, très exploité pour la culture du coton, concentre 40% des besoins de toute l’agriculture australienne. La très mauvaise gestion de l’eau par les autorités locales et nationales – la rivière traversant plusieurs États – en serait davantage la cause que la sécheresse, qui est une conséquence supplémentaire. De nombreuses vidéos ont été tournées pour montrer l’ampleur du désastre, épargnant l’odeur, qualifiée de « puanteur insoutenable » par les locaux.

Les pires sécheresses de l’histoire du pays et un record de chaleur dans le Sud

https://www.buzzfeed.com/elfyscott/heres-why-a-million-fish-have-suddenly-died-in-an
Des millions de poissons tués par la bactérie mangeuse d’algues – fleuve Darling © BuzzFeed.News Capture / DR

Sur l’île de Tasmanie, une quarantaine d’incendies ont rasé pratiquement 190 000 hectares de forêts et de terres agricoles, soit l’équivalent de Paris, toute la petite couronne et le Val d’Oise réunis. D’un autre côté, les agriculteurs d’une partie des Nouvelles-Galles-du-Sud et de l’État de Victoria continuaient à se battre contre les immenses sécheresses de janvier. Dans le Sud-Est du pays, ce sont des milliers de chauve-souris et de chevaux sauvages qui ont été décimés par la sécheresse. Cette dernière a entraîné le déplacement massif des kangourous et des koalas vers les zones urbaines dans l’espoir de pouvoir s’abreuver.

Au début du mois de mars, ce sont dorénavant une dizaine de feux de forêts qui ont ravagé le sud de l’Australie. Les températures ne sont jamais réellement descendues, alors qu’est arrivé l’automne austral, puisqu’elles ont dépassé 40°C le premier week-end de mars. Le Bunyip State Park a été le plus touché en raison de la foudre qui a détruit plus de 6000 hectares en quelques heures malgré plus de 1000 pompiers mobilisés. Ces incendies ont provoqué, comme les inondations dans le Queensland, des déplacements de milliers de personnes hors de l’État de Victoria.

Le Premier ministre, ou ScotMo, comme le surnomment les Australiens, a imputé aux « conditions météorologiques » la cause de ces dévastations, se permettant de critiquer ceux qui tenteraient de politiser la question climatique comme le leader de l’opposition travailliste Bill Shorten. Il a toutefois considéré cette situation comme un « désastre écologique, un spectacle bouleversant » en parlant de la catastrophe de la rivière Darling.

Une prise de conscience tardive et limitée

Le développement de ces extrêmes climatiques est fortement corrélé au réchauffement climatique sur la planète. En Australie, les températures ont en moyenne augmenté de 1 degré ces 100 dernières années et la vague de chaleur de ce début 2019 semble n’être qu’un début. L’OCDE s’est alarmée de la situation puisque d’après l’Organisation, l’Australie n’atteindra pas son objectif de réduction des émissions de CO2 de 26% à 28% d’ici 2030 par rapport à 2005.

A la manière de la PPE en France, le gouvernement australien s’est doté de la NEG ou National energy guarantee. L’ancien Premier ministre, Malcom Turnbull, avait poussé pour qu’il y ait un rééquilibrage avec la réduction de la dépendance au charbon et le développement des énergies renouvelables tout en maintenant une croissance économique forte. Mais le gouvernement libéral a longtemps fait planer une éventuelle sortie de son pays de l’Accord de Paris après que Donald Trump l’ait fait pour les États-Unis. Scott Morrison ne s’est guère empressé de reprendre les objectifs affichés dans la NEG et a annoncé un plan de 1,26 milliards d’euros pour permettre aux agriculteurs et industries de moins dépendre des énergies fossiles, plan déjà jugé insuffisant par les associations environnementales et l’opposition.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/03/04/le-sud-de-l-australie-en-proie-a-de-violents-feux-de-foret_5431077_3244.html
Nuage de fumée pendant les incendies aux alentours de Melbourne © Le Monde Capture / DR

La question écologique est d’autant plus importante que d’après la Brookings Institution, l’Australie serait l’un des pays, avec ceux de l’OPEP, à voir son PIB reculer de 2% d’ici 2030 s’il respectait les engagements pris lors de la COP 21. Le pays verrait également une perte de 127 000 emplois et de 0,5% de la richesse des ménages. La très forte dépendance de l’Australie au charbon en tant que quatrième producteur mondial mais aussi premier exportateur mondial – 41,1 milliards d’euros -, et qui fournit 80% de l’électricité nationale, explique cette contraction du PIB, alors même que le charbon est responsable d’un tiers des émissions dans le pays. Toutefois, le rapport souligne qu’à long terme l’Australie a tout à gagner à rester dans les clous de l’Accord de Paris, les catastrophes climatiques pouvant avoir un coût encore supérieur.

L’augmentation de la préoccupation environnementale, liée aux catastrophes climatiques à répétition font peser un risque sur le gouvernement libéral de perdre les élections fédérales qui doivent avoir lieu dans le courant de l’année 2019. Les nationaux-libéraux ont en effet supprimé la taxe carbone mise en place par les travaillistes dès leur arrivée au pouvoir en 2013. L’Australie est en 2019 l’un des pays au monde qui émet le plus de CO2 par rapport à sa population totale.

Alors que le gouvernement actuel ne semble pas prendre la mesure de l’urgence, un juge du tribunal des affaires foncières et environnementales de Nouvelles-Galles-du-Sud a rejeté le projet de mine de charbon à ciel ouvert de Rocky Hill en raison du risque environnemental que faisait peser la mine. Le projet minier Carmichael est lui aussi attaqué. Les principales banques d’Australie ont également refusé de financer un projet de mine au large de la grande barrière de corail.

Paradoxalement, une autre mesure, saluée partout dans le monde, a suscité de nombreuses réserves au sein du gouvernement libéral-national, notamment celle du ministre des Ressources naturelles Matt Canavan et dans les milieux industriels économiques. Glencore, le géant suisse du minerai a décidé de ne plus augmenter sa production et d’arrêter l’achat d’entreprises dans le secteur. Enfin, la Chine, en représailles à la fermeture de la 5G par le gouvernement australien à Huawei et ZTE, a décidé de restreindre les arrivées de charbon en Chine, bien qu’elle ait indiqué que c’était dans une « volonté de protéger l’environnement ».

Les questions environnementales sont l’un des principaux enjeux pour les élections fédérales selon les Australiens.

Les excellents résultats économiques présentés par le Treasurer Josh Frydenberg – équivalent du ministre des Finances – pour l’année 2018 et les perspectives favorables de 2019, avec un taux de chômage à 5% et des baisses d’impôt ont été occultés progressivement par les questions environnementales pour les élections et ce d’autant plus que la croissance australienne a surtout été tirée par la hausse des matières premières, au premier chef le charbon.

L’immigration au cœur des préoccupations des nationaux-libéraux

La politique très ferme en matière migratoire conduite par Scott Morrison, plus à droite que son prédécesseur, qui consiste à renvoyer automatiquement les bateaux vers l’Indonésie, peut être le dernier moyen pour le gouvernement actuel de se maintenir aux élections. Lorsqu’il fut ministre de l’Immigration de 2013 à 2015, il avait appliqué une tolérance zéro avec l’opération Frontières souveraines. De plus en plus d’Australiens expriment ainsi un ressehttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:Scott_Morrison_2014.jpgntiment envers l’arrivée des réfugiés lorsqu’ils ne sont pas placés dans des centres de rétention en Papouasie ou à Nauru, dans des conditions exécrables qui ont déjà valu à l’Australie de nombreuses condamnations par les ONG.

Cela ne sera toutefois peut-être pas suffisant pour Scott Morrison, chrétien évangélique hostile au mariage gay, légalisé l’an dernier, qui avait été nommé Premier ministre suite au putsch réussi contre Malcom Turnbull en août 2018. Ce dernier souhaitait en effet inscrire dans la loi un objectif de réduction des émissions. Mais le Parti travailliste n’est pas non plus exempt de critiques. Si Bill Shorten et son parti souhaitent que 50% de l’électricité produite soit faite à partir des énergies renouvelables d’ici 2030, ils persistent également, dans une bonne part pour des raisons électoralistes, à soutenir l’industrie minière. À croire qu’à terme, les responsables politiques australiens souhaitent gouverner un pays décimé de sa faune, de sa flore mais également de ses habitants qui ne pourront plus y vivre.