Argentine, spéculations sur la présidentielle

Pesos argentins
© Arnaud Brunetière

Alors que l’image des arbres enflammés de l’Amazonie voisine imprègne encore tous les esprits, d’autres pyromanes ont de nouveau mis le feu à l’Argentine, provisoirement déclarée en « défaut sélectif » par Standard & Poor’s mercredi 28 août, moins de 20 ans après la crise de 2001 et deux mois avant la prochaine élection présidentielle. La crise a révélé les faiblesses de l’économie argentine, soumise à des réformes néolibérales à marche forcée, depuis l’élection de Mauricio Macri en 2015. Elle témoigne également de la pression que les marchés financiers sont prêts à exercer sur un peuple récalcitrant. Retour sur un mois d’août incendiaire pour l’économie … et la démocratie argentine.


Les « PASO », une répétition générale de la présidentielle du 27 octobre

Les PASO – primaires ouvertes simultanées obligatoires – jouent, en Argentine, la double fonction de primaire des partis politiques, qui souhaitent présenter des candidats à une élection nationale, et d’habilitation de ces partis pour le scrutin (le seuil de 1,5% des suffrages exprimés étant la condition requise pour leur participation). Mais les résultats obtenus par les différents partis donnent aussi une idée des capacités des candidats à rassembler les électeurs en leurs noms.

La crise n’est pas vécue de la même manière par tous les Argentins. Les plus aisés peuvent ainsi spéculer sur le prix de la monnaie et réaliser des gains dépassant les meilleurs taux d’intérêts bancaires imaginables.

Ainsi, dimanche 11 août, c’est le couple péroniste formé par Alberto Fernández (candidat pour la présidence de la nation) et Cristina Kirchner (vice-présidence) qui l’a emporté, avec 47% des suffrages exprimés, devant celui du président libéral actuel, Mauricio Macri (32%). La marge de 15 points donnée par les urnes laisse dès lors envisager une victoire, dès le premier tour, d’Alberto Fernández à la présidentielle du 27 octobre prochain1.

Ce suffrage constitue un camouflet pour le président sortant, désormais condamné à présider un pays en terminant une campagne déjà perdue. Pire, ce résultat, s’il se confirmait en octobre, ramènerait au pouvoir le « kirchnerisme »2 dont il s’était fait le pourfendeur depuis des années.

La « macrise » sanctionnée

L’effondrement de la monnaie argentine, accompagné des remèdes néolibéraux classiques (libéralisation des marchés, baisses des dépenses liées à la fonction publique, des aides sociales, etc.) et de nouveaux prêts du FMI – conditionnés à ses sempiternels ajustements structurels – ont fait exploser les inégalités. Roberto Lavagna – arrivé troisième aux PASO avec 8% des voix – et l’Église argentine demandaient ainsi au gouvernement, fin août, un programme « d’urgence alimentaire », à destination des plus pauvres, comme cela avait été fait suite à la crise de 2001. La brèche, sans cesse croissante, entre le prix de la monnaie et le prix réel des biens de consommation courants rend la vie aussi difficile pour les Argentins les plus précaires, qu’avantageuse pour les plus aisés.

En effet, la macrise n’est pas vécue de la même manière par tous les Argentins. Ainsi, si l’euro valait 17 pesos, en janvier 2017, une bouteille de vin argentin correct pouvait alors s’acheter pour 70 à 80 pesos dans un supermarché. Aujourd’hui, avec un euro à 65 pesos, le même vin coûte, dans le même supermarché, entre 140 et 180 pesos. Il y a deux ans, un touriste européen qui allait en Argentine avec 100 euros pouvait alors acheter – en moyenne – 22 bouteilles. Aujourd’hui, avec ces mêmes 100 euros, il peut en acheter une quarantaine.

Les Argentins aisés peuvent ainsi spéculer sur le prix de la monnaie et réaliser des gains dépassant les meilleurs taux d’intérêts bancaires imaginables. Mesure phare du gouvernement Macri, prise moins d’une semaine après son élection, l’annulation du cepo – contrôle étatique créé en 2011 par Cristina Kirchner, pour freiner la chute du peso argentin, limitant l’achat de devises étrangères à 2000 dollars mensuels – a en effet autorisé les plus fortunés à changer jusqu’à 2 millions de dollars par mois. La macrise profite ainsi aux personnes disposant d’économies en monnaies étrangères. Ce qui explique, en partie, que 32% des électeurs aient apporté leur voix au président actuel, malgré l’état désastreux de l’économie du pays.

Confusion entre marchés et démocratie

Face à la victoire d’Alberto Fernández le 11 août dernier, les marchés ont répondu, dès le lendemain, par une nouvelle baisse de la monnaie argentine. Celle-ci est passée à 59 pesos l’euro avant d’atteindre 67 pesos deux jours plus tard et de revenir à 60 en fin de semaine. Mauricio Macri a alors pris note, dès le 12 août, de cette réaction, en affirmant que « le problème majeur [qu’ont], aujourd’hui, les Argentins, c’est que l’alternative au gouvernement, l’alternative kirchneriste, n’a pas de crédibilité dans le monde (…) elle n’a pas la confiance nécessaire pour que les gens veuillent venir investir dans le pays ».

Plusieurs patrons ont ainsi reconnu avoir promis une prime à leurs employés, dans le cas où Mauricio Macri accéderait au ballottage (second tour). Un intérêt de classe, que l’actuel président – lui-même homme d’affaires – confirme régulièrement.

Ainsi, Mauricio Macri fait de son adversaire – le  kirchnerisme – le responsable de tous les maux de l’Argentine. La crainte du retour supposé des méthodes kirchneristes – qui ont mené l’Argentine à sortir de la crise de 2001 et à poursuivre une croissance de son PIB dont sont pourtant, généralement, friands les libéraux – pesant, selon lui, plus lourd dans la balance des marchés que les politiques du président en exercice.

Renvoyant sans cesse son adversaire à un « passé », selon lui révolu, Mauricio Macri oublie avec empressement qu’avant Néstor et Cristina Kirchner, c’étaient, déjà, les politiques très libérales de Carlos Menem, puis les saignées exigées par le FMI, sous le mandat de Fernando de la Rúa, qui avaient mené l’Argentine dans le gouffre en 2001 … Si le kirchnerisme évoque un passé révolu, que dire, alors, du libéralisme et des « Plans d’ajustement structurel » du FMI ?

Quoiqu’il en soit, cette désignation de la possibilité d’une alternance comme responsable d’un effondrement économique et l’insistance de Mauricio Macri sur le fait que « les marchés espéraient [des PASO] une information qui valide que le changement [entrepris par son gouvernement] avait plus d’appui chez les Argentins » posent question quant à la possibilité de refuser démocratiquement le libéralisme.

La position, toute en nuances, des partisans du président, est claire : le marché a ses raisons que le peuple ignore. Plusieurs patrons ont ainsi reconnu avoir promis une prime à leurs employés, dans le cas où Mauricio Macri accéderait au ballottage (second tour) contre Alberto Fernández3. Un intérêt de classe, que l’actuel président – lui-même homme d’affaires – confirme régulièrement. Fin août, il recevait ainsi des représentants du grand patronat au palais présidentiel pour leur expliquer personnellement ses projets pour reconquérir l’électorat perdu.

Accusation de manipulation des marchés et démission du ministre de l’économie

Dans ce contexte très tendu, l’accusation, par l’ex-président de la Banque Centrale Argentine, Martín Redrado, vendredi 16 août, d’une « instruction politique [par le gouvernement Macri], pour laisser courir le titre de change » ordonnant « à la Banque centrale de s’écarter du marché » contre les engagements pris auprès du FMI, a fait l’effet d’une bombe. Les ministres Nicolás Dujovne (Économie) et Dante Sica (Production et travail) se sont alors hâtés de la désamorcer en qualifiant cette insinuation « d’irresponsable ». Avant que, le lendemain, le premier donne sa lettre de démission et conclue ainsi une semaine apocalyptique pour la deuxième puissance économique d’Amérique du sud.

Refusant toutefois de se reconnaître vaincu, le très libéral gouvernement Macri annonce depuis lors des mesures interventionnistes – toutes kirchneristes – qu’il décriait depuis des années.

Depuis, le FMI est venu rencontrer le nouveau ministre de l’Économie ainsi que le candidat sorti vainqueur des PASO, identifié par l’institution – comme par l’ensemble des observateurs argentins et internationaux … à l’exception notable de Mauricio Macri et de son équipe – comme le futur président du pays. Le gouvernement a ensuite annoncé unilatéralement un rééchelonnement de la dette, qui a mené l’agence Standard & Poor’s à déclarer, mercredi 28 août, l’Argentine en « défaut sélectif », avant de se rétracter.4

Les « mesures d’allègements » de Mauricio Macri : l’hommage du vice à la vertu ?

Anéanti par les résultats des PASO, Mauricio Macri est, depuis, condamné à gouverner les 3 mois restants jusqu’à la passation de pouvoir, en sachant que ses politiques ne seront pas reconduites par son successeur. Refusant toutefois de se reconnaître vaincu, le très libéral gouvernement Macri annonce depuis lors des mesures interventionnistes – toutes kirchneristes – qu’il décriait depuis des années.

Ainsi, il annonçait le 14 août : 2 000 pesos de plus pour les plus pauvres et une réduction équivalente des cotisations sociales de certains salariés, 5 000 pesos supplémentaires pour les fonctionnaires, une augmentation du salaire minimum, une hausse de 40% de la bourse pour les étudiants, le gel du prix de l’essence sur les trois prochains mois, etc.

Puis, c’était au tour, dimanche 1er septembre, du monstre honni – le cepo tant décrié – de ressusciter. « Après avoir critiqué pendant des années un régime d’administration du marché des changes, ce qui avait été dénoncé par les économistes et une grande partie des médias comme un « cepo » (carcan), le gouvernement de Macri termine en imposant des contrôles sur l’accès aux dollars pour essayer de parvenir jusqu’au 10 décembre », écrivait ainsi Alfredo Zaiat, lundi dernier, dans Página12.

Se posera donc le problème, pour le futur président, de la sortie de crise. Les méthodes de 2003 pourront-elles être répétées par le couple kirchneriste ? Les réévaluations des pensions et du salaire minimum (aujourd’hui de 12 500 pesos, pour un panier de base chiffré à 31 000 pesos) souhaitées par Alberto Fernández, pour relancer la consommation, la production et le travail, semblent répondre à « l’urgence alimentaire ».

Rien ne garantit, cependant, que celui-ci marquerait une rupture franche avec son prédécesseur. Connu pour sa modération au sein du camp péroniste, Alberto Fernández n’a cessé de jurer qu’il romprait avec les « excès » du kirchnerisme – comprendre des dépenses publiques trop élevées et un interventionnisme économique trop fort. Une posture qui laisse présager une continuation du paradigme dominant, à l’heure où les cendres de l’Amazonie confirment funestement sa nocivité et celle du productivisme.

 

Notes :

1 Les candidats réunissant plus de 45% des voix, ou 40% avec plus de 10% de différence avec le second, étaient déclarés élus dès le premier tour.

2 Cristina Kirchner, présidente aade l’Argentine de 2007 à 2015, avait succédé à ce poste à son mari Néstor Kirchner, élu en 2003. Ce dernier étant le premier président argentin à terminer son mandat suite à la crise économique de 2001 qui avait vu le départ en hélicoptère du président Fernando de la Rúa et la succession de 6 présidents en 18 mois.

3 Voir, notamment : Melisa Molina, « Los patrones compran votos para Macri », dans Página12, 27 août 2019, ou El destape, « Elecciones 2019 : un legislador macrista también prometió pagar $5000 si Macri llega al balotaje », dans El destape, 28 août 2019

4 Ces catégorisations, ayant un pouvoir éminemment important sur des dizaines de millions de personnes, sont régulièrement critiquées. Voir notamment : L’Économiste, « Le diagnostic de Standard & Poor’s débattu », dans L’Économiste, 14 novembre 2011 ou Anna Villechenon, « Standard & Poor’s : erreurs et tremblements », dans Le Monde, 5 février 2013.

Que faut-il changer dans les traités européens en matière monétaire ?

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©EU2017EE Estonian Presidency

La sortie ou non de l’euro est devenu un champ de bataille idéologique et politique dans lequel s’entretient une confusion entre le rôle de l’unité monétaire et les règles de fonctionnement de la politique monétaire. Cette distinction est importante : certains pensent en effet que le retour aux monnaies nationales, c’est-à-dire à une unité de compte nationale, permettrait de corriger les déséquilibres de change qui affectent les pays européens, sans qu’il soit nécessaire de revoir les principes fondamentaux de la politique monétaire, que ce soit l’indépendance de la banque centrale ou l’objectif de stabilité des prix. D’autres soulignent en revanche que le retour aux monnaies nationales ne suffit pas, voire que l’enjeu central ne réside pas tant dans le rétablissement d’une unité de compte nationale que dans les principes et l’idéologie qui marquent le fonctionnement concret de la politique monétaire. Par Nicolas Dufrêne, administrateur au sein de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Selon que l’on place l’accent sur l’une ou l’autre de ces approches, la perspective intellectuelle et les propositions de réforme concrètes diffèrent considérablement. Un simple retour au franc s’accompagnerait certes probablement d’une période de turbulence sur le marché des changes mais il n’implique pas par lui-même de rupture idéologique dans la définition des paramètres de la politique monétaire. Après tout, la stabilité des prix et l’indépendance caractérisaient déjà l’action de la Banque de France avant l’adoption de l’euro, quoique sous une forme nettement atténuée par rapport à ce que l’on connaît aujourd’hui. En revanche, si l’on privilégie la nécessité d’une réforme radicale de la politique monétaire, de nouvelles questions émergent. Est-il en effet nécessaire de prévoir une sortie de l’euro si celle-ci ne modifie en rien la conduite de la politique monétaire ? Y’a-t-il de meilleures chances de parvenir à une réforme radicale de la politique monétaire dans le cadre de l’euro ou en dehors de celui-ci ? Et dans l’hypothèse d’une autre politique monétaire, plus favorable à l’emploi et au développement durable, dans le cadre de l’euro, quelles seraient les dispositions des traités à modifier et de quelle manière ?

L’objectif de cet article est double. Il s’agit en premier lieu d’identifier les principes et les dispositions juridiques du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui forment actuellement le canevas juridique et institutionnel de la politique monétaire. Certaines dispositions sont bien connues, à l’instar de l’objectif principal de stabilité des prix et des dispositions interdisant le financement monétaire des États. D’autres principes, comme celui de neutralité de la politique monétaire, sont en revanche moins bien identifiés, malgré le fait qu’ils soient tout aussi fondamentaux. Ils apparaissent en effet à la croisée des dispositions spécifiquement monétaires et des grands principes économiques de l’Union européenne, au premier rang desquels « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » selon l’article 119 du TFUE, qui se transpose également en matière monétaire.

Une fois accompli ce travail d’analyse, la question des scénarios de réforme occupera la seconde partie de l’article. Quatre scénarios seront principalement étudiés :

La transformation de l’euro en monnaie commune (nous verrons en quoi ce scénario souffre de grandes insuffisances).

Une réforme simple du mandat de la banque centrale lui adjoignant l’emploi et le développement durable aux côtés de la stabilité des prix.

Une réforme du mandat de la BCE accompagnée de dispositions prescriptives la forçant à participer à une politique de relance au niveau européen.

Un scénario « maximaliste », impliquant non seulement de changer le mandat de la BCE mais également de rétablir une autorité politique sur la conduite de la politique monétaire, tout en abolissant les interdictions de principe de financement monétaire des autorités publiques.

L’étude de ces différents scénarios permet ainsi de mieux comprendre quelles formes pourrait prendre une « option A », à savoir commencer par proposer une réforme des traités avant d’en envisager la sortie, en matière monétaire. Il n’entre toutefois pas ici dans notre propos de débattre de la probabilité ou non de parvenir à cette révision des traités, qui suppose une unanimité difficile à obtenir. Cet article se concentre uniquement sur ce qui pourrait être proposé dans ce cadre.

 

Une politique monétaire européenne qui organise la neutralité, l’indépendance mais aussi l’impuissance de la Banque centrale

En matière monétaire, l’essentiel des articles qui forment le droit européen sont inscrits au titre VIII du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), à partir de l’article 119. Ce titre contient un premier chapitre relatif à la politique budgétaire (articles 120 à 126), lequel comporte également des dispositions relatives aux liens réciproques entre la Banque centrale et l’État mais aussi entre les organismes privés de crédit et l’État, tandis que le chapitre 2 (articles 127 à 133) est consacré uniquement aux questions monétaires. Les dispositions du traité sont en outre complétées par un protocole n°4 relatif aux statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne.

Ces différents articles (moins d’une dizaine au total) constituent le cadre idéologique et institutionnel de la politique monétaire européenne. Il repose sur quatre principes fondamentaux :

Principe n°1: une politique monétaire centrée sur l’objectif de stabilité des prix.

Principe n°2 : une banque centrale indépendante des États tant en termes de fonctionnement que de choix de ses moyens d’action.

Principe n°3: une interdiction de financement des États ou des institutions publiques par la Banque centrale européenne (mais aussi le refus de tout financement préférentiel des institutions publiques par les banques privées selon l’article 124 du TFUE).

Principe n°4 : Une action qui doit respecter le principe d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre», ce qui signifie un principe intangible, quoique jamais affirmé de manière explicite, de neutralité de la politique monétaire.

Sur ces quatre principes, deux sont affirmés dès le second alinéa de l’article 119 du TFUE qui prévoit « la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques générales dans l’Union, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Le premier principe et le quatrième principe sont ainsi tirés de cet article, repris plus loin par l’article 127 TFUE.

Leur importance est avérée. L’objectif de stabilité des prix a été largement commenté et est le biais le plus connu de la politique monétaire européenne. Il inciterait à mener une politique de chômage au lieu d’une politique de croissance et d’emploi (si l’on se réfère à la très contestable courbe de Philipps qui suppose que le plein-emploi entraînerait nécessairement de l’inflation, sans même tenir compte, entre autres, du niveau d’utilisation des capacités productives). Il convient de rappeler que la question des prix est elle-même biaisée puisque les indicateurs de l’inflation excluent les prix de l’immobilier et des actifs financiers. Or, nous nous trouvons, depuis presque trois décennies, dans cette situation paradoxale dans laquelle les prix des actifs financiers et immobiliers ne cessent d’exploser à la hausse, alors même que les prix des biens et des services connaissent, dans leur ensemble, de puissantes tendances déflationnistes (mondialisation, innovation technique, numérisation de l’économie, etc…). L’objectif de stabilité des prix apparaît donc particulièrement inadapté à la période actuelle.

Le quatrième principe, la neutralité de la politique monétaire, mérite un commentaire plus approfondi. L’ordre économique de l’UE est en effet bâti, pour l’ensemble de ses composantes, y compris la composante monétaire, sur la recherche d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. Ce principe de liberté de la concurrence est au fondement, par exemple, de l’interdiction des aides d’État (article 107 TFUE) car elles risquent de « fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Ce même principe se transpose en matière monétaire d’une manière insidieuse et jamais clairement affirmée dans les traités ou dans le quatrième protocole. Il n’en est pas moins au fondement de toutes les actions entreprises par la BCE. Il suppose en effet que la politique monétaire doit être conduite de manière à ne jamais entraîner de distorsions sur le marché. De quelle manière pourrait-elle le faire le cas échéant ? Un petit détour technique est nécessaire pour l’expliquer.

La banque centrale dispose d’un pouvoir de création monétaire qui s’exerce uniquement au profit des banques privées (par la mise à disposition de liquidités) et toujours en échange de garanties (« collatéraux »). C’est ce qui lui permet de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort et d’influer sur les taux d’intérêt dans l’économie. Imaginons désormais que, au lieu d’un taux d’intérêt unique, la Banque centrale fixe des taux d’intérêts différents en fonction de la nature des actifs qu’on lui apporte en contrepartie (par exemple des actifs verts) ou bien qu’elle contrôle l’emploi des liquidités qu’elle accorde aux banques privées. Elle pourrait alors favoriser l’achat et stimuler ainsi le prix des actifs qu’elle souhaite (actifs verts) et, au contraire, renchérir le coût et décourager l’achat d’autres actifs (par exemple des actifs issus d’entreprises polluantes). Même chose concernant sa politique d’achat direct d’actifs (les actifs seraient ainsi affectés d’une surcote ou d’une décote en fonction de leur nature et non plus seulement en fonction de leur notation financière). Mais ce faisant, elle exercerait une influence directe sur la structure économique et sur les formes de l’activité économique. En d’autres termes, elle exercerait une « politique » monétaire, au sens d’une activité décisionnelle fondée sur l’atteinte d’objectifs préalablement discutés et définis de manière « arbitraire ».

Une telle politique entrerait en contradiction directe avec l’idée d’une concurrence libre et non faussée. On touche ici le cœur du problème : contrairement à ce que son nom indique, le TFUE ne fait pas que prévoir le fonctionnement des institutions. Il est prescripteur autant qu’organisateur. Il assume que la liberté de toute politique conduite par un État ou par une banque centrale s’arrête au seuil de la préservation des mécanismes de la concurrence libre et non faussée. Par conséquent, la politique monétaire doit éviter de chercher à influer sur les formes de l’activité économique et ne peut agir que sur son niveau (toujours avec le souci d’éviter un emballement des prix).

A son corps défendant, cela peut conduire la banque centrale à devenir un puissant instrument de reproduction de la structure économique et sociale. En s’efforçant de rester neutre dans ses interventions, la BCE peut ainsi être amenée à reproduire les défauts du marché, voire à les entretenir.  Récemment, une étude de Positive Money et de l’Institut Veblen a par exemple montré que le programme CSPP (Corporate Sector Purchase Program de la BCE) a consacré 63 % des 110 milliards d’euros débloqués par la BCE au profit d’entreprises privées à des activités polluantes, lesquelles dominent naturellement le marché obligataire à l’heure actuelle[1]. Mais peut-on réellement le lui reprocher ? En effet, quelle serait la légitimité de la banque centrale à conduire une autre politique, voire à conduire une « politique » tout court ?

On comprend ici que le second grand principe de la politique monétaire dans l’UE, à savoir l’indépendance de la banque centrale, lui pose un problème de légitimité pour faire des choix qui iraient au-delà de la seule lutte contre l’inflation qui est prévue par le traité. Ce principe d’indépendance de la Banque centrale repose sur l’article 130 du TFUE qui dispose que : « dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par les traités et les statuts du SEBC et de la BCE, ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme ». Le TFUE organise donc la rupture de toute possibilité d’influence du politique sur le monétaire. Et il y réussit à tel point que l’indépendance de la Banque centrale se traduit souvent par son impuissance. Impuissance à faire des choix, impuissance à utiliser l’arme monétaire pour modifier les formes de l’activité économique et même impuissance à définir la voie qui lui permettrait de sortir de son impuissance.

Cette impuissance à agir seule se double d’ailleurs d’une impuissance à mettre la politique monétaire au service des États ou des institutions publiques. Il s’agit du troisième grand principe, qui concerne l’interdiction du financement des États par la BCE. Il est principalement inscrit à l’article 123 TFUE qui dispose, dans son premier alinéa, qu’ « il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite ». Cet article essentiel mérite de s’y attarder quelque peu car il comporte en réalité deux dimensions.

La première est qu’il est interdit à la Banque centrale et aux banques centrales nationales d’accorder des crédits ou des avances aux États et à l’ensemble des autorités publiques. Ces dispositions, inscrites dès le traité de Maastricht en 1992, entraînent l’impossibilité de tout mécanisme préférentiel de financement des États par la Banque centrale. On songe aux mécanismes d’avances remboursables qui permettaient par exemple à l’État français, jusqu’à la fin des années 80, de bénéficier d’avances à des taux nuls ou très faibles, directement de la part de la Banque centrale. Notons toutefois que ces avances n’étaient pas des dons : elles devaient être remboursées. En outre, le volume financier de ces avances n’était pas illimité : dans les années 80, cela correspondait à un volume annuel d’environ 20 milliards de francs, dont 10,5 milliards à taux zéro. A partir de 1992, ce genre de dispositif est explicitement prohibé. Contrairement à ce que l’on a parfois pu lire, la loi du 3 janvier 1973 portant statuts de la Banque de France n’y est pour rien[2].

On aurait cependant pu imaginer que, sans recourir à des financements préférentiels de ce type, la Banque centrale puisse acquérir directement auprès des États leurs titres de dette publique. C’est notamment ce qui se pratique aux États-Unis. Mais la seconde spécificité de cet article 123 tient au fait que les acquisitions directes de titres de dette publique par le système européen des banques centrales (SEBC) sont explicitement interdites. Par conséquent, seuls les acteurs privés, en particulier les acteurs bancaires, peuvent se porter acquéreurs des titres de dette publique sur le marché primaire. Théoriquement, cela peut poser un problème : que se passerait-il si les acteurs privés, en proie à de grandes difficultés financières, ne pouvaient plus souscrire aux émissions de dette publique ? Il en résulterait un mécanisme de rationnement du crédit très préjudiciable à l’État et à l’ensemble du système économique. Même sans aller jusque-là, le fait de pouvoir souscrire aux émissions primaires de la dette publique confère en théorie deux avantages qui résident dans le fait de stimuler automatiquement le gonflement de la masse monétaire (en injectant des liquidités dans l’économie sans effet de substitution) et le fait de peser directement sur la formation des taux d’intérêt lors des émissions primaires des titres obligataires publics.

Cependant, le « détour » imposé à la banque centrale pour acheter les titres de dette publique sur le marché secondaire n’est pas aussi déterminant que l’on pourrait croire à première vue. Dans la conduite de sa politique monétaire non-conventionnelle, la BCE, en agissant sur le marché secondaire, a finalement obtenu des résultats assez proches de ceux de la Fed. En outre, la Fed elle-même agit le plus souvent sur le marché secondaire et non sur le marché primaire, bien qu’elle en ait le pouvoir.

Les quatre principes fondamentaux de la politique monétaire européenne traduisent donc une orientation idéologique proche du monétarisme, laquelle consiste à découpler au maximum États et banques centrales, à privilégier une conception neutre du rôle de la monnaie dans l’économie et à faire primer l’objectif de stabilité des prix sur tout autre objectif. Face à ce bloc idéologiquement cohérent, que faut-il changer ?

 

Des scenarii de réforme monétaire de nature et d’ampleur différentes

Plusieurs scénarios sont régulièrement évoqués dans le débat public pour permettre une politique monétaire davantage tournée vers l’intérêt général. On peut regrouper les principales propositions sous la forme de quatre grands scénarios, de nature et d’ampleur variées.

Le premier de ces scénarios est la transformation de l’euro en monnaie commune. Ici, la question de l’unité de compte prime sur les paramètres de la politique monétaire. Ce scénario implique en effet un système bi-monétaire : chaque pays de la zone euro disposerait de sa propre monnaie nationale, utilisée dans les échanges internes et dans les échanges entre pays de la zone euro, et d’une monnaie commune, l’euro, qui ne serait plus utilisée que dans les échanges avec les pays hors zone UE. Ainsi, tout achat effectué en dollars par une entreprise américaine auprès d’une entreprise française, par exemple, supposerait que le dollar soit converti en euros puis que l’euro soit converti en euro-franc. En revanche, un échange entre une entreprise allemande et une entreprise italienne engendrerait un échange entre l’euro-mark et l’euro-lire, à un taux de conversion fixé à l’avance entre les pays et qui soit régulièrement révisable en fonction des conditions d’échange entre ces pays. L’avantage supposé de ce système est qu’au lieu d’avoir un taux de change fixe entre les pays de l’UE, les taux de change entre les monnaies nationales seraient ajustables.

Cette solution présente toutefois plusieurs difficultés pratiques et conceptuelles. Elle suppose en effet un haut degré de coordination entre les banques centrales nationales pour fonctionner efficacement. L’expérience du serpent monétaire européen puis du système monétaire européen (SME), instaurés dans les années 70 et 80 pour mettre fin aux politiques de dévaluation compétitive, montre que ce résultat n’est pas aisé à atteindre. Pour espérer un fonctionnement positif, les banques centrales de l’eurosystème devront s’engager sur la possibilité de créer autant de monnaie qu’il est nécessaire pour maintenir la parité décidée entre les monnaies dans des engagements réciproques. En outre, pour maintenir la parité décidée entre les monnaies, il faudrait des taux d’intérêts différents dans chaque pays. La politique monétaire ne serait donc pas totalement libre (cf. triangle d’incompatibilité de Mundell).

Par ailleurs, par quels mécanismes pourra-t-on assurer la conversion des monnaies nationales dans la monnaie commune ? Le taux de change serait-il flottant ou fixe ? Si les taux de change sont fixes mais ajustables entre les monnaies des différents pays, il devrait en être de même vis-à-vis de la monnaie commune. En effet, s’il est flottant, il est à craindre qu’en cas de difficulté propre à un pays, la monnaie nationale de ce dernier soit abusivement convertie en monnaie internationale. Et s’il est fixe, la dévaluation ne sera pas possible. Mais si le taux de change est fixe mais ajustable, alors les jeux spéculatifs des marchés risquent de forcer les ajustements, jusqu’à les faire sauter définitivement, comme cela a toujours été le cas avec les systèmes d’ancrage. Un espace de monnaie commune deviendrait ainsi un paradis pour les spéculateurs à travers des stratégies de carry-trade, surtout dans une zone dans laquelle la liberté de circulation des capitaux est garantie par les traités.

Enfin, l’instauration d’une monnaie commune, même réussie, ne résoudrait que très partiellement les problèmes monétaires de la zone euro. Elle ne ferait qu’agir sur l’accentuation des déséquilibres entre les pays de la zone mais ne permettrait en aucun cas de résoudre la faiblesse de la demande, la crise d’endettement généralisé ou bien la coupure entre politique monétaire et politique budgétaire, qui constituent les autres défis de la monnaie unique.

Le second scénario, ainsi que les scénarios suivants, consisterait donc à mettre l’accent sur la question de la réforme de la politique monétaire plutôt que sur la transformation de l’unité de compte. Une première réponse pourrait être de changer le mandat de la BCE, c’est-à-dire ses objectifs, sans toucher à ses principes de fonctionnement et à son indépendance. Il s’agirait ainsi de s’inspirer du mandat de la Federal reserve qui, aux côtés de l’objectif de stabilité des prix, comporte également un objectif de plein emploi et des taux d’intérêts à long terme peu élevés. Dans le cadre de ce scénario, la politique monétaire ne serait pas véritablement bouleversée : il suffirait d’ajouter quelques mots aux articles 119 et 127 du TFUE. Cependant, adjoindre un objectif de plein-emploi au mandat de la BCE, sans pour autant abolir les dispositions interdisant le financement monétaire des États ou le principe de neutralité de la politique monétaire, risque de se révéler d’une efficacité limitée. En effet, comment la BCE pourra-t-elle davantage qu’aujourd’hui stimuler l’emploi, une fois le taux directeur fixé à 0, sans recourir à des outils innovants et tout en respectant les équilibres du marché ?

C’est pourquoi le troisième scénario est plus ambitieux. Il s’agirait d’une réforme du mandat de la BCE, comme dans le premier scénario, mais cette réforme serait accompagnée de dispositions explicites visant à permettre une création monétaire ciblée de la BCE en faveur d’objets précis (on prend ici l’exemple de la transition écologique en raison du large consensus qui l’entoure). On remarquera à ce titre que, dans le TFUE sous sa forme actuelle, les institutions publiques ne peuvent bénéficier de financements de la part du SEBC, à l’exception notable des banques publiques d’investissement qui peuvent accéder, dans les mêmes conditions que les banques privées, au guichet de la BCE (article 123-2 du TFUE).

Pour permettre l’épanouissement d’un green new deal, l’alinéa 2 de l’article 123 pourrait ainsi être modifié afin de prévoir l’obligation pour la BCE d’acquérir des titres de dette des banques publiques d’investissement dans des volumes significatifs. Le second alinéa pourrait dès lors être complété par la phrase suivante : « Par dérogation à ce qui précède, la Banque centrale européenne est autorisée à acquérir, dans des volumes significatifs et selon des conditions préférentielles, les instruments de dette émis par la Banque européenne d’investissement en faveur d’investissements dans la transition écologique ». Par exception au principe de neutralité monétaire, on autoriserait ainsi la BCE à agir massivement pour le financement de la transition énergétique en utilisant son pouvoir de création monétaire. En revanche, ce scénario ne nécessiterait pas de revenir sur l’interdiction du financement monétaire des États et pourrait être compatible avec la continuité du principe d’indépendance de la Banque centrale. Il constituerait ainsi une voie de réforme moyenne.

Enfin, le quatrième scénario serait constitué par une réforme de grande ampleur de la politique monétaire. Dans sa version maximaliste, il modifierait chacun des quatre principes fondamentaux de la politique monétaire européenne. Au-delà de la modification du mandat et de l’introduction de mécanismes de création monétaire ciblés, l’indépendance de la BCE serait également réformée : l’article 130 pourrait ainsi prévoir un alinéa disposant que « le Conseil européen fixe les grandes orientations de la politique monétaire par un vote à la majorité qualifiée ». Il s’agirait ainsi de rétablir un processus de décision politique dans la conduite de la politique monétaire. Par ailleurs, l’article 123 prohibant le financement monétaire des États pourrait être assoupli en introduisant la capacité pour le Parlement européen de décider, dans le cadre de l’examen annuel du budget, de rétablir un système d’avances aux États nationaux, avec des mécanismes de péréquation propres à favoriser la convergence des économies. Il s’agirait ici de réduire le phénomène de divergence qui mine la cohésion européenne sur le plan économique.

Ces quelques scénarios sont ici exposés dans les grandes lignes et chacun d’eux pourrait être approfondi sur des dizaines de pages. Ils ont néanmoins le mérite de tenter une définition plus concrète de ce que pourrait recouvrer un « plan A » en matière monétaire.

[1] https://www.veblen-institute.org/IMG/pdf/aligner_la_politique_monetaire_sur_les_objectifs_climatiques_europeens.pdf

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/18/la-loi-de-1973-et-la-legende-urbaine_1686805_3232.html

Pourquoi le monétarisme n’arrive pas à relancer l’économie : la réponse de Kaldor

©CHARLES WEISS

Né en 1908 en Hongrie, Nicholas Kaldor rejoint à la fin des années 1920 la London School of Economics. Il est dans un premier temps le disciple de Friedrich Hayek, avant de rejoindre, comme Joan Robinson, le Circus de John Maynard Keynes. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il est membre de la commission de William Beveridge, dont les rapports constitueront les bases de l’État Providence britannique à l’issue de la guerre, et se rapproche du parti travailliste. Il s’opposera vigoureusement aux « keynésiens de la synthèse » (notamment Robert Solow et Paul Samuelson) dans les années 1950 et 1960 avant de combattre les thèses monétaristes dans les années 1970 et 1980, et devient une des figures centrales de l’économie post-keynésienne, aux côtés de Joan Robinson et de Michal Kalecki. Nous présenterons ici une de ses contributions majeures, à savoir sa critique du monétarisme. L’actualité de cette contribution est criante compte tenu de la relative inefficacité des politiques monétaires dites « non-conventionnelles » mises en place par la Banque Centrale Européenne quelques années après la crise des subprimes.


À la suite des bouleversements des années 1970 – fin du système monétaire de Bretton Woods, chocs pétroliers et remise en cause du modèle de production fordiste – les théories keynésiennes semblent a priori incapables d’apporter des réponses aux nouveaux problèmes des économies occidentales. Le courant monétariste, dont la figure de proue est Milton Friedman, s’engouffre dans la brèche et séduit de plus en plus d’économistes et de dirigeants politiques en quête de solutions. Un des principes au cœur de la théorie monétariste consiste à concevoir l’inflation comme étant la conséquence d’une croissance excessive de la masse monétaire. L’inflation, qui est « partout et toujours un phénomène monétaire » (Friedman), doit être jugulée par le biais d’une baisse de l’offre de monnaie. De plus, les variations de la masse monétaire ne sauraient affecter les facteurs réels de la croissance : le progrès technique, la croissance de l’offre de travail ou bien encore le taux de formation du capital sont le fruit du libre jeu du marché dans une économie qui s’autorégule. La monnaie est « exogène », neutre, un « voile jeté sur les échanges ». Il s’agit donc d’une réactualisation de la très ancienne théorie quantitative de la monnaie.

Or, pour Nicholas Kaldor, cette conception du fonctionnement de l’économie est purement imaginaire. Cela le conduit à publier en 1982 Le Fléau du Monétarisme, un ouvrage ayant pour objet la remise en cause de la théorie monétariste. Selon lui, l’offre de monnaie est endogène : elle trouve son origine dans la demande de crédit des entreprises. La banque centrale ne pouvant refuser de refinancer les banques de second rang au risque de mettre en danger le système bancaire, l’offre de monnaie et la masse monétaire ne sont donc pas directement contrôlables. Dès lors, on comprend pourquoi les monétaristes ont prôné des politiques visant à réduire la demande de monnaie, via une hausse des taux d’intérêt. Mais, selon Kaldor, une telle mesure pour juguler l’inflation s’avère bien souvent inefficace, du moins tant que la demande de crédit n’est pas trop sensible au taux d’intérêt.[i]

Dès lors, comment expliquer l’inflation ? Pour Kaldor, les phénomènes inflationnistes des années 1970 sont avant tout dus à un renchérissement des coûts (matières premières, hausse des salaires, etc.). Et si la hausse des taux d’intérêt parvient parfois à juguler l’inflation, ce n’est pas parce qu’elle produit une baisse de la demande de monnaie, mais plutôt parce qu’elle engendre, via le canal du taux de change, une surévaluation monétaire sur le marché des changes qui rend instantanément les exportations moins rentables. Par conséquent, les entreprises du pays où les taux d’intérêt ont augmenté sont livrées à une féroce concurrence et se voient obligées de baisser au maximum leurs prix (en comprimant les salaires ou leurs marges) pour survivre. Les entreprises qui ne peuvent pas supporter le choc disparaissent, ce qui engendre du chômage et une récession. D’autre part, une augmentation des taux d’intérêt tend à « calmer » les revendications salariales, car les entreprises dans lesquelles elles surgissent ne peuvent plus se permettre de telles augmentations.

C’est précisément via cet enchaînement causal que Margaret Thatcher est parvenue à juguler l’inflation après son arrivée au pouvoir en 1979. La hausse des taux d’intérêt peut donc être efficace pour lutter contre l’inflation, mais ceci n’a rien à voir avec la masse monétaire. Nicholas Kaldor écrit ainsi[ii] :

« […] après l’explosion inattendue des prix et des salaires britanniques en 1980-1981, le monétarisme strict fut mis au placard… Á la place de Milton Friedman, le gouvernement s’est tourné vers une politique keynésienne inversée »

Exemple de keynésianisme inversé sous Thatcher
©Raphaël Ibgui

Si les politiques dites « non-conventionnelles » mises en œuvre par les Banques centrales après la crise économique de 2007-2008 ont eu une efficacité limitée, c’est précisément parce qu’elles n’intègrent pas le caractère endogène de la monnaie. Dès lors, un pan entier de la critique kaldorienne de la théorie monétariste reste, comme nous allons le voir, d’actualité.

La politique « d’assouplissement quantitatif » avait pour objectif de racheter certains actifs illiquides des banques privées (titres de créance publique ou titres adossés à des créances hypothécaires), ce qui permettait à celles-ci d’accroître leurs liquidités et leurs réserves. Ces dernières reconstituées, il devait logiquement en résulter une reprise des prêts bancaires et de l’investissement via une baisse des taux d’intérêt. L’activité économique aurait donc été stimulée.

“En réalité, si les banques ne prêtent pas autant qu’escompté, c’est avant tout parce qu’elles estiment que la solvabilité des agents économiques n’est pas suffisante. Autrement dit, cela signifie que l’activité économique est trop faible en l’absence de politique budgétaire volontariste.”

Or, plutôt que d’utiliser ces réserves pour augmenter le nombre de prêts, les banques de second rang ont bien souvent préféré les placer auprès des banques centrales et être rémunérées pour cela, et ce malgré l’instauration d’une taxe sur les réserves comme ce fut le cas en Suisse. Dès lors, les politiques non-conventionnelles telles que l’assouplissement quantitatif ont généré une hausse de la base monétaire bien plus rapide que celle de la masse monétaire en circulation : les bilans des banques centrales ont augmenté bien plus rapidement que la croissance du PIB. A titre d’exemple, le bilan de la BCE est passé de près de 2200 Md€ en mars 2015, date du début de la politique d’assouplissement quantitatif, à 4600 Md€ mi 2018.

En réalité, si les banques ne prêtent pas autant qu’escompté, c’est avant tout parce qu’elles estiment que la solvabilité des agents économiques n’est pas suffisante. Autrement dit, cela signifie que l’activité économique est trop faible en l’absence de politique budgétaire volontariste.  En effet, les réserves des banques de second rang n’étant pas la cause de l’accroissement des prêts, mais leur conséquence, les augmenter artificiellement via la politique d’assouplissement quantitatif n’est pas efficace si l’activité économique n’est pas stimulée simultanément.

Comme le laissait déjà entendre Keynes, la politique monétaire ne peut donc se substituer à la politique budgétaire. Elles sont complémentaires. En ne permettant pas le prêt direct aux États, et en interdisant le recours au déficit public pour stimuler l’économie, le cadre institutionnel de l’Union européenne constitue donc un obstacle à une reprise économique solide.


[i] En réalité, la hausse des taux d’intérêt engendre une hausse de la masse monétaire. Voir les explications dans cet article par en 1983 dans le Monde Diplomatique: https://www.monde-diplomatique.fr/1983/12/VERGARA/37736

[ii] Nicholas Kaldor, The Economic Consequences of Mrs. Thatcher , Duckworth, Londres, 1983.

Comment la gouvernance de la zone euro creuse les écarts de richesses entre pays européens

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Jean-claude Juncker, ex-président de la commission et ex-Premier Ministre luxembourgeois, symbole de la concurrence fiscale en Europe

Alors que la monnaie unique était attendue comme un élément de convergence économique entre les différents pays de l’eurozone, ses règles de gouvernance fondées sur l’extension ininterrompue de la concurrence et la lutte contre l’inflation ont achevé d’accentuer les écarts de richesse entre pays, rendant toujours plus hypothétique une éventuelle réforme de la construction européenne.


Au moment de la formation de la zone euro, les économistes libéraux s’évertuaient à défendre les mérites d’une zone monétaire unique. Dans la droite ligne des partis de gouvernements, ces économistes voyaient en l’euro le point terminal de l’intégration européenne. La fin des monnaies nationales promettait deux choses : d’une part un approfondissement des échanges commerciaux intra-européens, et d’autre part une profonde convergence des niveaux de richesse entre États membres. Cependant, les règles de gouvernance propres à l’eurozone ont très vite mis à mal les mécanismes susceptibles de satisfaire ces deux promesses, conduisant à la satisfaction exclusive de la première, le libre-échange, au mépris de la seconde, l’harmonisation des richesses.

Trois éléments de la gouvernance européenne participent au creusement des divergences économiques entre pays membres : la liberté de circulation des capitaux, le taux de change de la monnaie unique et la politique anti-inflation de la Banque Centrale Européenne (BCE).

La liberté des capitaux, cœur de la polarisation industrielle en Europe

La liberté des capitaux fut longtemps perçue comme un élément clé de la résorption des écarts de développement entre pays européens. La théorie économique dominante en la matière au tournant des années 2000 était celle des économistes Frankel et Rose : d’après eux, le partage d’une monnaie unique entre pays possédant des taux d’intérêts nationaux divergents devait conduire les investisseurs institutionnels à orienter leurs capitaux vers les pays à taux d’intérêt élevé. Ces pays a priori en retard auraient ainsi bénéficié d’un afflux de capitaux à même de financer l’investissement et de générer davantage de croissance économique. Toutefois, les faits ont démontré que si un afflux de capitaux des pays du Nord vers ceux du Sud de l’Union Européenne a bien eu lieu au cours des années 2000, l’écrasante majorité de ces nouveaux capitaux étrangers était de nature dite « improductive », composée d’investissements spéculatifs sur le marché immobilier et financier. Ce large mouvement de capitaux, loin de contribuer à rééquilibrer le pouvoir économique au sein de la zone euro, a au contraire été générateur d’instabilité économique majeure dans les pays d’Europe du Sud, la grave crise de l’immobilier espagnol en 2008 en étant l’exemple le plus révélateur. À l’inverse, la liberté de circulation des capitaux a contribué à concentrer davantage les investissements internationaux dits “productifs” dans l’industrie ou les services hors-financiers au cœur de l’Europe (Allemagne, Benelux voire en France), ces investisseurs profitant de la centralité géographique de ces régions pour s’implanter plus aisément sur le marché intérieur.

« Si un afflux de capitaux des pays du Nord vers ceux du Sud a bien eu lieu au cours des années 2000, l’écrasante majorité de ces nouveaux capitaux étrangers était de nature « improductive », composés d’investissements spéculatifs sur le marché immobilier et financier »

L’euro fort, conséquence d’une politique monétariste de la BCE

Avec le choix politique d’assumer un euro fort, l’Europe avantage mécaniquement les pays à spécialisation industrielle portant sur des marchés haut de gamme, notamment l’Allemagne, au détriment des pays d’Europe du Sud spécialisés sur des filières industrielles de milieu de gamme comme la France, l’Italie et l’Espagne. L’Allemagne a de fait fondé son modèle économique sur une politique mercantiliste d’exportation de biens industriels (l’exportation représente 47,2% du PIB allemand, contre 30,9% pour la France). L’euro fort permet à l’Allemagne d’exporter ses véhicules, machines-outils et produits chimiques à des prix supérieurs sur des marchés relativement moins sensibles au prix que les marchés à l’export des entreprises françaises, italiennes ou espagnoles. Simultanément, l’euro fort a précarisé les industries des pays du Sud en dégradant leur compétitivité-prix, renforçant ainsi la polarisation industrielle de l’Europe autour de l’axe rhénan.

Au-delà de la simple augmentation générale des prix, l’inflation possède dans le domaine financier la propriété d’alléger nominalement la dette des débiteurs au détriment des créanciers. En plafonnant la cible d’inflation à 2%, la BCE a mené pendant des années des politiques monétaires restrictives qui, par l’assèchement du crédit bancaire, ont maintenu la zone euro dans une phase économique difficile. La comparaison avec la FED ou la Bank of England au moment de la crise de 2008 démontre les effets économiques néfastes de l’acharnement de la BCE sur la question inflationniste : ces deux autres banques centrales ont immédiatement redescendu leur taux d’intérêt directeur à un niveau proche de 0% et lancé dans la foulée des politiques monétaires non conventionnelles dites de « quantitative easing » en faisant massivement tourner la planche à billets pour recapitaliser les banques, injecter de la liquidité sur les marchés financiers et relancer le crédit.

À l’inverse, la zone euro s’est distinguée par son respect de la croyance ordo-libérale allemande par son refus de créer en masse de la monnaie et l’injonction faite aux pays  budgétairement considérés comme laxistes de pratiquer de sévères politiques de rigueur. Ces politiques pro-cycliques ont généré chômage de masse, pauvreté endémique, émigration de la jeunesse et troubles institutionnels récurrents.

« À l’inverse, la zone euro s’est distinguée par son respect de la croyance ordo-libérale allemande par son refus de créer en masse de la monnaie et l’injonction faite aux pays dits budgétairement laxistes de pratiquer de sévères politiques de rigueur »

Alors que bon nombre d’économistes libéraux sont persuadés que la crise de l’euro est derrière nous, l’inefficacité de la gouvernance européenne constitue un risque structurel susceptible de replonger l’eurozone dans la récession. Le caractère inégal des règles du jeu européen a déjà incité de nombreuses régions de l’Europe à entrer dans l’engrenage de la concurrence fiscale et sociale :

  • Fiscale tout d’abord, car l’Europe abrite en son sein un nombre considérable de paradis fiscaux qui, en aspirant les capitaux des riches contribuables et des grands groupes, affaiblissent toujours plus la capacité d’action et de réforme des États.
  • Sociale ensuite, car la disparition définitive de toute possibilité de dévaluation de la monnaie a suscité l’émergence de ce que les économistes et grands médias nomment poliment « des dévaluation internes », à savoir des baisses drastiques de salaires apparus entre 2011 et 2013 au moment de la crise de l’euro dans les pays du Sud de l’eurozone.

« Le caractère inégal des règles du jeu européen a déjà incité de nombreuses régions de l’Europe à entrer dans l’engrenage de la concurrence fiscale et sociale »

Face à ce constat sombre sur l’échec actuel de la convergence économique européenne, le courant européiste poursuit sa défense politique de l’Europe actuelle, supportant pour l’Europe un horizon fédéral synonyme à leurs yeux de promesses infinies. Toutefois, les écarts économiques régionaux, en forte hausse sous l’impulsion d’une gouvernance économique européenne inopérante, ont généré partout des tensions sociales et politiques de plus en plus fortes contre l’Europe, réduisant l’horizon fédéral au rang de simple utopie européiste.

 

 

Retour du FMI en Argentine : Le fossoyeur à la rescousse

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Rencontre entre Mauricio Macri et Christine Lagarde le 16 mars 2018. ©Casa Rosada

17 ans après la pire crise économique de son histoire et l’intervention du Fonds Monétaire International, l’Argentine fait de nouveau appel au FMI. Si pendant les années Kirchner toute nouvelle mission du FMI avait été refusée, leur successeur de droite Mauricio Macri a annoncé le 8 mai dernier vouloir entamer des discussions pour un soutien financier face à la dépréciation brutale du peso argentin. Un retour de l’institution financière que les Argentins ne voient pas de bon augure.


Appel à l’aide

« De manière préventive, j’ai décidé d’entamer des discussions avec le FMI pour qu’il nous accorde une ligne de soutien financier » annonce Mauricio Macri le 8 mai, en réagissant à la chute du peso et à l’appréciation du dollar. Le peso a perdu 18 % de sa valeur depuis le début de l’année et a chuté brutalement début mai malgré des injections massives de la Banque centrale et le relèvement à 40 % de son taux d’intérêt. Le pays fait face à une inflation élevée et l’appréciation du dollar (25% en deux semaines) affecte particulièrement les Argentins, détenant principalement leur épargne dans cette devise. De même, la dette argentine étant contractée en dollars, son appréciation ne fait que renchérir le coût de la dette. Ayant pour objectif de calmer les marchés, le Président Macri cherche à rectifier le tir en obtenant un crédit du FMI d’une valeur de 30 milliards de dollars.

Une décision que les Etats-Unis n’ont pas tardé à féliciter : “Les Etats-Unis approuvent le programme de réforme économique du président Mauricio Macri, qui est orienté vers les marchés, centré sur la croissance et devrait améliorer l’avenir de l’Argentine. Le président Macri possède une vision juste pour l’économie argentine et a réalisé d’importantes avancées pour la modernisation de la politique économique du pays” a annoncé Sarah Huckabee Sanders, la porte-parole de la maison blanche. La déclaration en dit long sur la vision dite « juste » de l’économie du gouvernement Macri.

Toute crise a ses causes

En effet, l’appel à l’aide ne vient pas de nulle part. Si la dimension conjoncturelle de la crise, dans un contexte de méfiance envers les devises émergentes, y a bien sûr sa part, la « modernisation de la politique économique du pays » mise en place par le nouveau gouvernement depuis 2015 n’est pas pour rien dans la situation actuelle.

Tout juste arrivé au pouvoir, Mauricio Macri a laissé de côté la méthode Kirchner de financement de la dette par l’émission de pesos et la planche à billet. A ce moment-là, il est l’heure de la libéralisation financière et de l’ouverture sur le marché international du refinancement. L’objectif : rassurer et attirer les investisseurs étrangers et redonner à l’Argentine sa place sur les marchés financiers internationaux. Pour cela, Macri supprime le contrôle des capitaux instauré par sa prédecesseure Kirchner en 2011 et paie les fameux fonds vautours qui réclament toujours leur part de dette de 2001.

Si l’ouverture du marché des capitaux peut permettre une entrée rapide de capitaux elle facilite également sa fuite, ce qui explique aujourd’hui le manque de devises en Argentine, d’où le recours au FMI. A la question de savoir si Macri avait une alternative possible au FMI pour résoudre la situation, le sociologue Gabriel Roca répond : « Bien sûr qu’il existe d’autres manières de faire face à cette crise mais cela impliquerait de récupérer un certain nombre d’outils et de régulations que le gouvernement à démonter une par une ».

Une relation tumultueuse entre les Argentins et le Fonds

« Dans ce pays polarisé on s’unit par l’amour de la sélection nationale et la haine de l’institution multilatérale » résume Catalina Oquendo, journaliste à El Tiempo. L’intervention du FMI dans les années 90 et pendant la crise de 2001 a profondément marqué les esprits. Entre 1998 et 2001, sept plans d’austérité en échange d’aides financières ont été imposés par le FMI en Argentine dans la lignée du Consensus de Washington. Au lieu de résoudre la récession en cours, les mesures voulues par le FMI ne font alors que l’amplifier et ont conduit à une situation sociale plus que douloureuse. Celle-ci reste dans la mémoire des Argentins.

Le 25 mai dernier, jour de la patrie en Argentine et symbole de la révolution indépendantiste de 1810 face au Royaume d’Espagne, la rancœur de 2001 encore présente des argentins s’est matérialisée dans la rue. Avec des slogans tels que « Non au FMI », « La Patrie est en danger » des milliers de personnes ont exprimé leur rejet de l’aide financière. Organisée par différents syndicats et groupes politiques sociaux opposés au gouvernement de Macri, la manifestation s’est terminée par la lecture d’un document commun à la tribune : « Nous savons de quoi il s’agit, le colonialisme néolibéral offre seulement la misère ». En bref, pour les argentins, FMI est égal à crise. Tant bien que mal, Mauricio Macri tente de rassurer : « Le FMI a changé, ce n’est plus le même que celui des années 90 ».

Quelles contreparties ?

Il reste que faire appel au FMI revient presque systématiquement à obtenir une aide financière en échange de contreparties en termes de politique économique. Une relation que les Kirchner avaient pris soin de rompre en remboursant en une seule fois la dette de 9,6 milliards de dollars en 2006 et en refusant toute mission du FMI sur le territoire.

L’objectif de Mauricio Macri est d’arriver à un Stand-By Agreement qui permet selon le FMI de « répondre rapidement aux besoins de financement extérieur des pays et d’accompagner les politiques destinées à sortir des situations de crise et à rétablir une croissance durable ». L’accord, prévu pour le 20 juin sera finalement de 50 milliards de dollars.  Pour motiver l’obtention du prêt, une lettre d’intention et un mémorandum sur les politiques économiques ont été remis. Les négociations avec le FMI pour obtenir le crédit continuent et les contreparties possibles apparaissent. Bien plus qu’un simple financement, l’aide s’annonce une nouvelle fois comme un programme de « bonne conduite » économique. Le ministre des finances Nicolas Dujovne a déjà annoncé des coupes dans les travaux publics et une réduction de 15% des fonds aux entreprises publiques. Le FMI a également demandé une dévaluation du peso argentin pour financer le déficit extérieur. La directrice de l’institution s’en réjouit déjà : le programme « établit d’ambitieux objectifs budgétaires à moyen terme et des objectifs d’inflation réalistes ». Il y a de grandes chances qu’on connaisse la suite : un programme austéritaire qui n’annonce rien de bon dans un pays où les conditions sociales se dégradent déjà depuis plusieurs années. Les marchés sont rassurés, les Argentins peut-être un peu moins.

Auteur : Malo Jan

Crédits photos : ©Casa Rosada