Sébastien Rome : « Le phénomène majeur est la convergence ordo-libérale du centre et du RN »

Le député France Insoumise de l’Hérault (non-réélu) Sébastien Rome lors d’un salon agricole. © Julie Cutillas

En 2022, Sébastien Rome avait été élu député de la 4e circonscription de l’Hérault, sous l’étiquette de la France insoumise. Cet ancien professeur des écoles originaire de Nîmes avait gagné au second tour, d’une courte tête, face à la candidate du Rassemblement national. Deux ans plus tard, c’est l’extrême-droite qui l’emporte. L’implantation historique du RN sur le pourtour méditerranéen est désormais observable partout en France. Comment expliquer la dynamique de ce parti, la stabilisation et la diversification à la fois géographique et sociologique de son électorat ? Quelles leçons la gauche doit-elle en tirer, en dépit de sa majorité relative à l’Assemblée nationale ? Retour sur une campagne éclair dans l’ancien « Midi rouge ».

LVSL Comment expliquez-vous l’ancrage et la progression du Rassemblement national dans votre circonscription, la 4e de l’Hérault, et plus globalement dans votre région ?

Sébastien Rome – La progression du RN est nationale. Elle a commencé dans le sud, mais elle concerne aujourd’hui toute la France, tous les territoires, même les banlieues. Le RN a d’abord remplacé la droite qui a déçu, jugée trop libérale par les uns et trop laxiste avec l’immigration par les autres. Son image est alors celle d’un parti qui va rétablir l’ordre dans la société. Puis il a remporté un électorat âgé, libertaire en 1968, qui fut ensuite électeur du PS et de Bayrou, que Macron a radicalisé, qui refuse de revenir à gauche, limitant la République à lui-même pour protéger ce qu’il a acquis dans les années « glorieuses » de la France.

Les difficiles reports de voix au second tour, largement freinés par le « ni-ni », ont logiquement offert plus de sièges au RN, suivant une logique de protection du capital. Toutefois, par un travail de terrain, la gauche peut progresser et résister à la vague RN. Dans ma campagne de 2022, il y a eu 14% de votes blancs et nuls au second tour. En 2024, c’était 9% ; à 8% je gagnais. Cela s’est joué à peu.

« Le phénomène majeur des deux dernières années est la convergence ordo-libérale du centre et du RN. »

Ainsi, le phénomène majeur des deux dernières années est la convergence ordo-libérale du centre et du RN. D’un côté, le RN a abandonné le peu de mesures sociales qu’il portait pour s’attirer les bonnes grâces du pouvoir économique – qui le lui rend bien dans les médias. De l’autre, la Macronie a adopté de nombreuses mesures du RN (port de l’uniforme à l’école et classes de niveau, fin du repos hebdomadaire pour les vendangeurs, préférence nationale, loi immigration…) croyant attirer ses électeurs. Ce faisant, elle a tout simplement légitimé l’original, plutôt que la copie, et ouvert un passage des électeurs de droite et du centre vers le RN.

Enfin, les effets du tourisme de masse sont ravageurs du point de vue social, environnemental et économique. Les taux de chômage dans le sud (la zone d’emploi avec le plus de chômage en France est Pézénas-Adge, depuis des années) sont parmi les plus hauts de France. L’inflation immobilière renforce l’enrichissement de certains et prive les jeunes locaux de la possibilité de se loger sur place. Rien n’est mis en place pour accueillir les travailleurs saisonniers qui ont tant perdu avec les réformes du chômage successives. Le bilan environnemental, en termes de consommation d’espace agricole et d’eau pour trois mois d’activité, doit nous interroger. L’installation de nouvelles populations, notamment de retraités, qui n’ont pas pris les habitus locaux, sur un temps très court, coïncide avec les très hauts scores du RN.

Il est temps de penser à l’installation d’activités économiques de production et d’arrêter avec une économie de la consommation. Dans le sud, ce sont des gens qui ne sont pas d’ici qui vendent et consomment le plus de produits fabriqués ailleurs. Le côté méditerranéen est un décor, pas un support à la création de richesses.

LVSL – La campagne a été extrêmement courte : un mois si on inclut l’entre-deux-tours. Quelles
ont été les implications de cet agenda très particulier pour vous, sur le terrain ?

S.R – D’abord, l’impression d’avoir basculé dans un moment politique historique dès le dimanche soir de la dissolution. Le lundi matin, je me réunissais avec mon équipe. Le lundi après-midi, un premier tract était conçu et je lançais un appel à un premier rassemblement. Le mercredi, lors du rassemblement, les premières équipes de citoyens non encartés étaient prêtes à partir en campagne. Ils ont reçu les tracts et ont directement commencé à les distribuer.

Ce fut très efficace et rapide. Près de 400 personnes ont participé. Je les en remercie chaleureusement, car ce fut une belle expérience humaine et joyeuse. Nous avons tenu 12 réunions publiques, en plus des distributions sur le marché, des porte-à-porte, des appels téléphoniques, de la participation aux fêtes locales, la presse… La circonscription est immense. Elle englobe quatre-vingt-dix-neuf communes très espacées les unes des autres, du bassin de Thau jusqu’au Larzac avec les Cévennes, le Pic Saint Loup et la Vallée de l’Hérault. La brièveté de la campagne a catalysé les énergies du pays.

LVSL Les thèmes de la campagne étaient-ils les mêmes en 2024 qu’en 2022 ? Quels éléments
de votre mandat avez-vous mis en avant ?

S.R – Pendant cette campagne éclair, le national a tout écrasé. La candidate RN, parachutée, n’a même pas mis son visage sur les affiches, ni sur les professions de foi. Jordan Bardella et Marine le Pen étaient les seuls arguments du côté du RN.

De mon côté, j’ai tenté de « localiser » ma campagne. J’ai mis en avant mon travail de terrain reconnu par tous, même par la presse locale, pourtant peu aimable avec la France insoumise habituellement. J’ai mis en avant ma personnalité : je suis un enfant du pays, qui connait les habitudes, les manières de dire et de faire. J’ai aussi montré ma capacité à faire du consensus localement comme à l’Assemblée nationale, autour de textes d’enjeu majeur pour ce territoire : la mobilité, l’accès à la santé et la défense des services publics, le droit à l’emploi… J’ai eu un vrai bilan à défendre malgré un mandat de seulement deux ans.

LVSL – Depuis la formation du Nouveau Front Populaire, on entend dans les médias beaucoup
de commentaires sur l’hétérogénéité de cette alliance. Comment l’union de la gauche
a-t-elle été perçue dans votre circonscription ? Est-ce ou non un enjeu pour les électeurs ?

S.R – Personnellement, avant la Nupes, j’étais pour l’union de la gauche et des écologistes. Je l’ai prouvé à de nombreuses reprises comme lors des départementales de 2021 où j’étais en binôme avec Julia Mignacca, aujourd’hui présidente du conseil fédéral d’EELV. C’est la condition pour gagner ici et j’ai une fibre à chercher ce qui unit.

L’union de la gauche est une des raisons qui font que je me reconnais dans la figure de Jean Jaurès. Cette figure cherchait à unir non seulement les « sectes » socialistes mais aussi le « petit pays » du Midi Rouge, le « grand pays » qu’est la nation républicaine française, les peuples, l’humanité et…même l’humain avec la nature. Cette terre viticole est marquée par la présence de Jean Jaurès. Il y a un souhait d’union inconscient chez les électeurs de gauche.

LVSL – Les derniers scrutins ont confirmé la progression de l’extrême-droite dans la France
rurale et périurbaine. À l’exception de Nice ou de Perpignan, les grandes villes restent principalement à gauche. Pourtant, vous avez récemment exprimé votre désaccord avec l’analyse de François Ruffin autour de « la France des bourgs » et « la France des
tours ». Pourquoi son cas, en Picardie, constitue-t-il une exception, selon vous ?

S.R – La question n’est pas d’avoir des impressions vagues à des fins de communication, mais de connaître la France et la littérature scientifique sur ce sujet. La première impression vague, qui consiste à généraliser le cas de la Somme, est une erreur intellectuelle majeure. Imaginons que nous généralisions le cas des Pyrénées Orientales : la ville-centre vote RN et les villages votent NFP. L’ouest de la France donne des majorités à Renaissance et au NFP. Il n’y aurait pas d’ouvriers blancs dans l’ouest ? C’est la principale zone de création d’emploi industriel.

Géographie électorale dans l’Hérault au second tour des législatives 2024. © Compte Twitter “Les 577”

François Ruffin, malheureusement, reprend la lecture de Christophe Guilluy, largement démenti par toute la communauté scientifique. Il explique que nous [la gauche] aurions tout donné aux quartiers populaires – et donc aux immigrés – et que l’État a abandonné les territoires ruraux – et donc les blancs. La rhétorique est la même chez François Ruffin : la France insoumise ne s’occuperait que des quartiers et oublierait les territoires ruraux. Bien sûr, le RN veut désavantager les quartiers les plus pauvres pour flatter les campagnes, quand François Ruffin veut les réconcilier. Mais il accepte les règles du jeu fixées par cette grille de lecture, séparant les uns et les autres, au lieu d’inventer un autre discours.

« La relation territoriale que l’on observe fréquemment est plutôt un rapport entre la centralité, qui vote à gauche, et la périphérie, qui vote RN à toutes les échelles de territoires. »

La seconde impression vague, qui suit la première, consiste à croire que le NFP, et notamment la FI, ne progresse ou n’est devant le RN que dans les plus grandes villes. Albi, Apt, Avignon, Amiens, Abbeville, Etampes, Gap, Limoges, Le Mans, Mende, Valence…mais aussi de nombreuses petites villes autour de 10.000 habitants ont pourtant vu une progression de la gauche ! La règle est plutôt la suivante : plus grande est la ville, plus importante sera la probabilité d’un vote de gauche élevé.

La relation territoriale que l’on observe fréquemment réside plutôt dans un rapport entre la centralité, qui vote à gauche, et la périphérie, qui vote RN à toutes les échelles de territoires. Dans les petites centralités, on retrouve majoritairement le secteur public comme employeur – malgré toutes les difficultés qu’il rencontre – et des personnes aux revenus faibles (moins de 1250€ par foyer) qui ne votent pas, votent RN (38%) mais aussi NFP (35%). C’est particulièrement vrai dans l’arc méditerranéen où le RN a gagné pratiquement toutes les circonscriptions. Si on regarde de loin, seules les villes de Montpellier, Avignon et Marseille ont « résisté ». On observe là l’effet du découpage territorial et celui du tourisme de masse, dont j’ai parlé, qui pèse dans le résultat final. Si on regarde de plus près, on retrouve en Piémont, dans les montagnes et autour des petites centralités, un vote NFP.

« Dans la position de la France insoumise, il y a un angle mort pour porter des solutions dans les petites villes et les territoires ruraux qui ne se limitent pas à l’agriculture. »

Les cartographies d’Hervé le Bras analysant les aspects culturels et historiques du vote, localisés sur des terres, sont efficaces pour prédire les résultats d’une élection. C’est donc la lecture globale des villes contre les campagnes que je conteste, à partir de la recherche en sciences sociales mais aussi de mon expérience de terrain. Il y a des tours dans les bourgs. Il y a aussi des flux entre les tours et les bourgs : les habitants des tours vont vivre dans les bourgs dès qu’ils ont un emploi et inversement, quand ils vivent dans un logement insalubre de centre-ville, et qu’ils espèrent avoir une place dans une tour.

Dans la position de la FI, il y a un angle mort pour porter des solutions dans les petites villes et les territoires ruraux qui ne se limitent pas à l’agriculture. C’est tout le travail que j’ai commencé, avec d’autres, durant les deux dernières années, avec la volonté d’élargir notre espace politique. Nous avons constitué un groupe de députés ruraux et commencé un travail novateur. Ce travail continue. Mes propres travaux portaient sur les enjeux de ces territoires : réhabiliter les centres anciens, se déplacer, travailler, accéder aux services publics.

LVSL – D’après vous, le vote pour le RN est plus un vote de rejet que de pauvreté. La classe moyenne inférieure, qui vote majoritairement pour l’extrême-droite, est composée de travailleurs – dont de nombreux fonctionnaires – éprouvant des difficultés à boucler leurs fins de mois. Pourquoi la gauche ne parvient-elle pas ou plus à lui parler ?

S.R – Si l’on considère les choses à l’échelle intercommunale, les familles qui travaillent, avec des revenus leur permettant d’avoir accès au crédit pour acheter une maison en lotissement (fonctionnaires catégorie C, artisans ou ouvriers, personnels du soin, manutentionnaires, caristes, caissiers, vendeurs, retraités…) s’installent en périphérie des petites centralités. Ainsi, on retrouve souvent une sorte d’effet d’halo. Le centre plus pauvre vote à gauche et sa périphérie avec des revenus supérieurs (sans être CSP+) vote RN. Quand on parle avec ces personnes qui vivent dans la couronne des petites centralités, très clairement, il y a une volonté de se distinguer des « cas-sos » (« cas sociaux » qui vivraient bien des aides de l’État) et de ne pas se mélanger. Le racisme n’est alors jamais très loin.

« Le programme, qui est notre pierre angulaire à gauche, est un élément secondaire du vote. Ce que l’on représente, ce que l’on incarne compte bien plus. »

C’est la voiture qui permet de spécialiser les espaces sociaux (zone commerciale, zone dortoir, zone de travail). Elle implique que les nouvelles personnes installées ne se fondent pas vraiment dans le village. Le lien social se perd et les locaux ne reconnaissent plus leur village. Au final, les uns et les autres votent RN pour des raisons différentes. Dès que celles et ceux qui s’installent ont des revenus plus élevés, de plus hauts diplômes, du fait de la déconcentration de la métropole, le vote de gauche se réinstalle par réimplantation des habitudes de la ville. Il n’est pas étonnant que le RN veuille baisser le niveau de formation des jeunes et les envoyer le plus tôt possible sur le marché du travail : c’est son électorat.

Par ailleurs, à gauche nous oublions parfois que les électeurs votent plus souvent avec leurs tripes qu’avec leur tête. Le programme, qui est notre pierre angulaire à gauche, est un élément secondaire du vote. Ce que l’on représente, ce que l’on incarne, compte bien plus. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut lire nos scores, si haut dans les quartiers populaires. Nous sommes la seule force politique qui affirme que l’on ne juge pas un Français sur sa religion, sa couleur de peau, ses habitudes alimentaires, vestimentaires, sur ces manières de parler ou son accent mais sur son statut de citoyen ayant le droit de vote. C’est ce que Jean-Luc Mélenchon nomme la Nouvelle France. Or, à quelques kilomètres des grandes villes, il y a aussi des Français qui ont des habitudes, des imaginaires, des croyances différentes. L’héritage de la France des territoires est aussi une composante de cette Nouvelle France qui se grandit, comme son histoire de l’immigration l’a prouvé, par accumulation successive des cultures.

« Il est important pour les dominants de légitimer leur autorité sociale sur les dominés par l’institution d’une culture légitime, qui a pour fonction de délégitimer les cultures populaires. »

Pour le dire autrement, et avec Pierre Bourdieu, une des fonctions de la culture des musées, des livres et des spectacles est de faire croire qu’il y a des choses qui sont interdites à certains. Il est important pour les dominants de légitimer leur autorité sociale sur les dominés par l’institution d’une culture légitime, qui a pour fonction de délégitimer les cultures populaires. Or, il y a des pratiques culturelles populaires, de fêtes, de jeux, de traditions qui ont une valeur que nous recherchons à gauche : réunir la Nouvelle France et faire communauté nationale.

On ne peut pas représenter le peuple sans faire une part à sa culture. Jean Jaurès lançait à la chambre des députés en 1910 : « Oui, nous avons, nous aussi [la gauche face aux réactionnaires], le culte du passé. Ce n’est pas en vain que tous les foyers des générations humaines ont flambé, ont rayonné ; mais c’est nous, parce que nous marchons, parce que nous luttons pour un idéal nouveau, c’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre. » Le NFP est l’hérité du foyer des aïeux. Il nous faut entretenir la flamme.

LVSL – Pensez-vous néanmoins que certains thèmes ou certains positionnements de la gauche constituent des repoussoirs pour cet électorat acquis à l’extrême-droite ?

S.R – On entend beaucoup, dans les médias, que cet électorat serait « anti-tout ». C’est la surface des choses. Plus fondamentalement, le thème de l’égalité est majeur, mais il s’exprime en tout sens. Entre les riches et les pauvres bien sûr, mais aussi entre personnes de la même condition sociale ; c’est le voisin qui a eu un poste à la mairie « par piston » ou les « cas-sos », « les gris » qui ont un logement HLM en priorité… Tout cela ne repose souvent sur rien. Mais les perspectives de progrès collectif sont tellement bouchées que c’est une guérilla sociale.

Le racisme devient alors un signe de reconnaissance sociale pour les électeurs du RN. Dans les deux premières minutes d’une rencontre, un propos raciste est prononcé. Le sociologue Félicien Faury décrit bien cette réalité qui sert d’appel à l’autre où on lui dit « hein, tu es comme moi ou pas ? ». Par contre, la famille « arabe » dans le lotissement, dans la villa d’à côté, dont le mari est éducateur spécialisé et la femme infirmière, « c’est pas pareil ». Malgré ce racisme réel, nous ne pouvons pas réduire les électeurs du RN à cela. C’est encore moins vrai pour les électeurs ruraux ! Si nous refusons l’assignation sociale, nous n’avons pas à la reproduire. Les êtres humains sont des infinis, disait Émile Durkheim. Nous devons donc ouvrir des chemins positifs dans lesquels ces électeurs peuvent aussi se reconnaître.

« Nous devons saisir ce qui fait lien dans cette culture populaire. Nous ne devons pas la délégimiter. »

Je prendrai l’exemple du barbecue qui a valu beaucoup de critiques à Sandrine Rousseau. Oui, la gestion du feu est genrée, ce sont les hommes qui tiennent les pinces. Mais le barbecue, c’est aussi un rapport positif au monde : l’accès à un extérieur, à la convivialité et à l’invitation du voisin. Nous devons saisir ce qui fait lien dans cette culture populaire. Nous ne devons pas la délégimiter. L’autre aspect, c’est que la gauche ne promeut pas suffisamment d’élus issus de la diversité populaire française, pour que les électeurs se sentent représentés. Les Français doivent se voir en reflet avec leurs élus et la gauche a le devoir d’être exemplaire sur ce point.

Au final, ce qui est le plus repoussoir pour un vote de notre côté, c’est la gauche qui a déçu, c’est la gauche qui a trahi. Alors, nous ne devons pas manquer à notre devoir de tenir parole. De tenir parole, une première fois, puis la fois suivante et encore la suivante. Quand on perd la confiance d’une personne que l’on a aimé, il faut de nombreuses preuves d’amour pour refaire lien. La démocratie se définit par le contrôle des représentants par le peuple. Le NFP doit être cette occasion pour que le peuple redise à sa gauche qu’il peut lui faire à nouveau confiance, mais pas en étant simplement spectateur des décisions et des jeux des partis. Mes électeurs me le demandent. Nous nous retrouverons le 21 septembre pour prendre acte de ce nouveau contrat social. Aujourd’hui, demain ou prochainement, nous devons aboutir à ce nouveau contrat social avec la France.


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Face au RN, sortir la gauche du déni

Ouf ! On a encore eu de la chance. La victoire du Rassemblement national a été évitée, ses dix millions de voix vite oubliés, on peut enfin respirer. L’heure est à la fête même ! On a eu chaud, mais ce n’est pas une raison pour se remettre en question. Au lendemain des législatives 2022, nous alertions face aux victoires en trompe-l’œil : deux ans plus tard, il est amer de constater qu’aucune conséquence n’a été tirée. Maintenant, tout peut recommencer comme avant. Et à gauche, on danse sur les ruines. Pourtant, seule l’analyse lucide d’un bilan accablant peut permettre d’inventer une nouvelle voie pour un pays en sursis. 

C’est comme dans Game of Thrones. Qu’est-ce qu’on dit à la mort ? « Not today. » Pour Le Pen, c’est pareil. Ce ne sera pas pour cette fois, mais ça arrivera bien un jour. Et cette fois, disons-le d’emblée, on a sorti les grands moyens. Car on aime ça à gauche, se faire peur. On se sent vibrer, on se sent vivre. On se compte les uns les autres dans cet écrin de pureté qu’on appelle le « camp progressiste ». On est peu nombreux, certes. Minoritaires même. Mais le combat n’en est que plus beau. Et la lutte a été héroïque. On a scandé « No pasarán ! », on a formé une alliance allant de François Hollande à Philippe Poutou, on s’est rassemblé Place de la République et on s’est enfin désisté pour sauver Gérald Darmanin et Elisabeth Borne. En fait d’un « Front populaire », c’est un Front de la trouille qui a sauvé la situation. On a fait barrage, comme d’habitude. 

Pourquoi le peuple vote mal

Car les choses étaient mal engagées. Prenant la mesure du danger, la gauche a voulu expliquer les déterminants essentiels du vote RN pour mieux le combattre. Alors on a renoué avec la grande tradition de l’antifascisme de confort et on a su mobiliser les meilleurs arguments. Sur les plateaux, on invoque l’histoire : « Saviez-vous que le Front national avait été fondé par d’anciens Waffen-SS ? » Sur Twitter, on convoque la sociologie : « Saviez-vous que les électeurs du RN étaient les moins diplômés ? » En plus, Jordan Bardella a eu un 4/20 en géo à la fac, la boucle est bouclée. La reductio ad hitlerum et le point Godwin en bandoulière, la gauche rappelle utilement que les électeurs du parti à la flamme sont des idiots. L’électorat du Rassemblement national est donc composé de nazis et de cons, mais le raisonnement se heurte à un problème : à gauche, on aime le peuple. Comment expliquer que le peuple vote mal ? La réponse du militant de gauche tient en trois temps.

Les plus érudits mobiliseront la « fausse conscience », une notion-clé sur laquelle repose d’après eux une grande part de l’édifice théorique marxiste. Tant pis si on n’en trouve guère qu’une seule occurrence dans une lettre de Friedrich Engels à Franz Mehring, l’importance du « concept » tient à ce qu’il permet de dire que les gens se trompent tout en s’abritant derrière l’autorité du camarade de Marx, avec le vernis intellectuel qui va bien.

Les « classes populaires », soit les ouvriers et les employés qui représentent 45 % de la population, ne votent définitivement pas à gauche.

Les plus férus de statistiques interrogent quant à eux les chiffres. Le Rassemblement national fait 57 % chez les ouvriers et 44 % chez les employés1 ? Les choses sont plus compliquées. Ce ne sont que les suffrages exprimés, rapportez ces scores au nombre des inscrits, vous verrez qu’ils ne sont pas si importants. Et le militant Twitter de répéter les lieux communs des télés : « L’abstention ne serait-elle pas le premier parti des classes populaires ? » On pourrait pousser le raisonnement plus loin, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Intégrez les non-inscrits, les personnes résidant sur le territoire qui n’ont pas la nationalité et les moins de 18 ans, vous constaterez que le score du Rassemblement national baisse sensiblement.

Le troisième temps de la démonstration permet un heureux dénouement. À force de tronquer les tableaux et de sélectionner les données qui arrangent, on obtient les résultats que l’on souhaite. Car les chiffres sont trompeurs : le peuple, c’est les pauvres, et les pauvres votent bien à gauche. Au premier tour des élections législatives de 2024, le Nouveau front populaire obtient 35 % des voix chez les foyers dont le niveau de revenus mensuels est en dessous de 1 250 €, 7 points de plus par rapport aux 28 % obtenus nationalement. Même chose au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 où 30 % des plus bas revenus votaient Jean-Luc Mélenchon, soit 8 points de plus que le score général2. Une belle découverte. Une épiphanie. Quoique le Rassemblement national réalise des scores comparables – 31 % en 2022, 38 % en 2024.

C’est par ailleurs oublier un peu vite que le niveau de revenu n’est pas la classe sociale, qu’il ne dit rien du rapport à l’outil de travail et à l’appareil productif dans son ensemble. C’est oublier, donc, que cette catégorie de la population est celle qui bénéficie prioritairement des revenus de transfert et des minima sociaux, celle qui a intérêt à la dépense publique. Rien de problématique là-dedans, simplement un constat : les « classes populaires », soit les ouvriers et les employés qui représentent 45 % de la population, ne votent définitivement pas à gauche.

Mais les faits ont peu d’importance. Lorsqu’on ambitionne de transformer le réel, on ne s’arrête pas à ce genre de considérations. Seuls comptent les postulats de départ. Résumons. Lorsqu’il ne s’abstient pas, le peuple vote à gauche, sauf à être victime de l’épidémie de « fausse conscience » sciemment entretenue par des médias complices. Ces trois distorsions pouvant être complétées par l’explication initiale – et, reconnaissons-le, plus directe –, selon laquelle les électeurs du Rassemblement national sont fascistes parce qu’ils n’ont pas fait suffisamment d’études. Pourtant, le RN est aux portes du pouvoir, il importe donc de définir une stratégie. 

« Nouvelle France » : la note Terra Nova ressuscitée 

Parce qu’une analyse bancale a toutes les chances d’aboutir à un diagnostic erroné, il n’est pas étonnant que la solution déduite dudit diagnostic soit également fautive. De là l’idée de la « Nouvelle France » présentée à l’occasion des élections européennes. On croirait le bon mot de Brecht – puisque le peuple vote mal, ne serait-il pas plus simple de le dissoudre pour en élire un nouveau ? – formulé pour la circonstance. Le nouvel électorat de la gauche, celui de la France de demain, c’est cette vaste coalition rassemblant les diplômés, les jeunes, les minorités et les quartiers populaires.

En lisant cela, un ancien soutien de François Hollande pourrait croire qu’on lui parle d’autre chose. Peut-être la note Terra Nova de 2011 pourrait-elle même se rappeler à lui, tel le spectre d’un passé qu’on croyait révolu, celui d’un Parti socialiste hégémonique qui n’était pas encore devenu le cimetière des éléphants. Notre militant socialiste, un peu distrait certes, pourrait en effet trouver quelque ressemblance entre la formule actuelle et ce que présentait ledit rapport, notamment la possibilité d’un « nouvel électorat de la gauche : la France de demain », lequel électorat serait formé des diplômés, des jeunes, des minorités et des quartiers populaires.

Et Terra Nova d’insister sur la nécessité d’une « stratégie centrée sur les valeurs ». Tout en faisant le constat de la « fin de la coalition ouvrière ». Cette note a concentré les critiques de la gauche mélenchoniste pendant plus d’une décennie parce qu’elle actait l’abandon du prolétariat – comme on disait, dans le temps jadis –, parce qu’elle ne proposait aucune stratégie de reconquête de l’électorat face au Front national, parce qu’elle annonçait toutes les trahisons du quinquennat Hollande. Mais elle a été publiée il y a treize ans maintenant, sans doute que son apparente ressemblance avec l’idée de la « Nouvelle France » relève du hasard.

Il n’en reste pas moins que la stratégie actuelle fonctionne. La « Nouvelle France », c’est « le peuple des villes, des banlieues ». Toutes les cartes électorales dressées au lendemain des européennes le confirment : dans les villes et les banlieues, le succès est éclatant. Notons que c’est moins le cas dans le reste du pays, ce qu’on appelle vulgairement « la province », où le Rassemblement national arrive en tête dans 93 % des communes aux européennes. Mais à Paris, Lyon, Rennes et Toulouse, la performance mérite d’être saluée.

Une gauche coupée du pays

Traditionnellement, la France voit s’opposer le Paris révolutionnaire et les provinces conservatrices. En 1789, 1792, 1830, 1848 ou 1871, la configuration est toujours la même. À l’hiver 2018, cependant, les cartes étaient rebattues. Les provinces s’insurgeaient, Paris s’inquiétait. Cette inversion radicale du plan général de notre histoire se confirme aujourd’hui sur le plan sociologique. 

L’électorat d’Emmanuel Macron soutient toutes les réformes qui lui sont proposées pour protéger son patrimoine, garantir le versement des pensions de retraite et poursuivre toujours plus avant la dynamique de libéralisation de l’économie et son ouverture à l’international. Le point commun des catégories composant cet électorat ? Elles vivent du travail des autres et ont pour cette raison intérêt à la stabilité.

L’ensemble des forces de gauche recueillait quant à lui 53 % des intentions de vote chez les étudiants, 51 % chez les enseignants, 64 % chez les professionnels des arts et spectacles, contre 24 % chez les ouvriers qualifiés dans l’industrie, 16 % chez les ouvriers exerçant dans l’artisanat, et 16 % encore chez les chauffeurs3. La gauche d’aujourd’hui est quasi complètement coupée des classes productives, de ceux qui produisent de la richesse, de ceux qui travaillent dans le secteur privé et de plus en plus des travailleurs du secteur public. Son électorat est structurellement conservateur, au sens premier du terme, en ce qu’il a pour seule boussole la préservation de ses intérêts et de sa position privilégiée dans l’appareil productif.

Il s’accommodera d’une certaine mondialisation et d’une accélération des flux, mais contrairement à l’électorat centriste, il souhaite l’accroissement de la dépense publique et une politique de redistribution plus ambitieuse. Il n’empêche, pour la gauche, le monde du travail est devenu une terra incognita. Depuis l’enseignant payé par l’État jusqu’au travailleur de la culture dépendant des subventions, en passant par le jeune urbain ouvert d’esprit et attaché à la diversité qui est ravi de pouvoir se faire livrer son Deliveroo à moindre coût, de larges pans de la gauche ont intérêt au statu quo. Et l’on ne peut que constater avec tristesse que la volonté de renverser la table est aujourd’hui captée, non par le camp dont c’est le projet historique, mais par un parti réactionnaire parvenu à étendre sa toile sur l’ensemble du pays.

Le Rassemblement national, infiniment plus « populaire » que le Front du même nom, a engagé sa mue transclassiste, c’est-à-dire tendanciellement majoritaire.

En face, la structure du vote en faveur du Rassemblement national est d’une clarté sociologique édifiante. Après avoir conquis l’électorat ouvrier et emporté l’adhésion des employés, il a patiemment progressé dans les couches les plus précarisées des classes moyennes, les a progressivement grignotées jusqu’à atteindre des secteurs qui lui étaient jusqu’alors interdits – un enseignant sur cinq se prononçait ainsi pour le RN au premier tour des législatives de 20244. Cet alignement chimiquement pur entre la structure de classes et le vote constituait jusqu’à présent le miroir inverse du vote macroniste. C’est terminé. Le prétendu plafond de verre a volé en éclats : Jordan Bardella effectue une percée dans tous les segments de l’électorat, chez les femmes (+ 15 points entre les législatives de 2022 et celles de 2024), chez les retraités (+ 19 points) et les diplômés du supérieur (+ 11 points)5. Le Rassemblement national, infiniment plus « populaire » que le Front du même nom, a engagé sa mue transclassiste, c’est-à-dire tendanciellement majoritaire.

Sortir du déni de réalité

Malgré l’histoire du parti, malgré le nom de Le Pen, malgré le CV chargé de quantité de ses responsables, malgré l’ombre de son fondateur, malgré le racisme, malgré l’antisémitisme, malgré la nullité de ses dirigeants, malgré les reniements, les mensonges, les outrances, malgré l’opprobre : les gens votent pour le Rassemblement national. Et la question reste la même. Pourquoi ? On pense à un vote contestataire ? Ses électeurs répondent qu’ils votent contre l’immigration. Un vote anti-système peut-être ? Également. Serait-ce alors en raison d’un pessimisme foncier, d’un regard négatif porté sur l’avenir ? Toujours pareil. Quelle que soit l’hypothèse formulée, la réponse est toujours la même. Jusqu’ici, il ne semble pas avoir été envisagé de croire sur parole des électeurs qui votent systématiquement pour les mêmes motifs, toujours plus nombreux, élection après élection – que voulez-vous, les voies de la science politique sont impénétrables.

Un parti à ce point médiocre, dont l’idéologie et le programme se résument à la seule et unique question migratoire autour de laquelle sont vaguement articulées quelques mesures qui sont autant de variables d’ajustement, se trouve donc aujourd’hui au seuil du pouvoir. C’est sur ce seul thème que repose tout l’édifice. L’accès à l’emploi ? L’accès au logement ? Aux prestations sociales ? La question fiscale ? Dans le logiciel lepéniste, les problèmes compliqués trouvent une réponse simple. Une seule et unique solution qui répond à une inquiétude partagée par 67 % des Français6. Une inquiétude à laquelle la gauche répond par l’ouverture d’esprit et la moraline.

Marcher sur ses deux jambes

Sur cette question comme sur celle du besoin de protection économique, de la justice fiscale, de l’insécurité ou des fins de mois difficiles, une voie peut être ouverte : l’éventualité d’une prise en compte du réel. Envisager de tenir compte de ce que dit l’immense majorité du pays sur les inquiétudes du quotidien. La possibilité, aussi, d’essayer de se reconnecter aux structures sociales du pays et aux rapports de production qui en découlent. De parler à nouveau à la France qui travaille et à la France qui paie. À la France qui produit de la richesse, aux actifs, aux travailleurs pauvres, aux ouvriers, aux employés. À cette France qui doit être unie par les intérêts matériels qui sont les siens plutôt que fracturée par les querelles identitaires qui empêchent de faire advenir la voie majoritaire qui s’impose. Car c’est là l’image partagée par la majorité des gens : celle d’une gauche vivant aux crochets de la société et qui, en plus, donne des leçons. Une gauche généreuse, certes, mais irréaliste, coupée qu’elle est de la réalité commune.

Il n’en a pas toujours été ainsi. À une époque pas si lointaine, les enseignants et les ouvriers marchaient côte à côte. Ils étaient les « deux cœurs sociologiques de la gauche » chers à Emmanuel Todd. Deux forces sociales dont le divorce consommé nous a entraînés là où nous nous trouvons aujourd’hui. Deux forces dont la réunion pourra, demain, ouvrir de nouveaux horizons. 

Il n’en a pas toujours été ainsi. À une époque pas si lointaine, les enseignants et les ouvriers marchaient côte à côte. Ils étaient les « deux cœurs sociologiques de la gauche » chers à Emmanuel Todd.

À l’heure où l’effondrement des services publics essentiels fournit un puissant carburant au vote RN, leur défense, leur amélioration et leur redéploiement partout sur le territoire doit impérativement s’accompagner d’une nécessaire reconnexion avec les forces productives. C’est la mission de notre camp que de se battre pour les écoles, les postes, les stations-essence, les cafés, les boulangeries, les hôpitaux dont les fermetures s’enchaînent et sans lesquels il n’y a pas de vie. Ce n’est pas le Grand Soir, certes. C’est plus simple, mais c’est peut-être bien plus. Cette France des sous-préfectures, du périurbain, des villes moyennes et des villages, cette France-là est ignorée, oubliée, insultée. Considérée comme perdue au seul motif qu’on s’est acharné à la détruire. 

Inventer une autre voie

Deux voies s’opposent. Celle du peuple des villes et des quartiers d’une part ; celle de la France des classes moyennes et des classes populaires de l’autre. Une tactique avant-gardiste reposant sur une base géographique étriquée et un patchwork d’identités clivées d’un côté ; une stratégie nationale fondée sur un front de classe clairement défini de l’autre. La première option permet de verrouiller des bastions urbains ; la seconde ajoute à la conservation de ces derniers la reconquête d’un pays passé au RN. La première option est simple et perdante ; la seconde est difficile et potentiellement victorieuse. Seule la seconde embrasse la totalité du pays. Seule la seconde offre une ambition pour l’avenir.

Voilà l’issue. Voilà la seule voie dans laquelle s’engager. Voilà comment une force de bon sens pourra renouer avec le sens commun. Comment un grand récit pourra dépasser le chaos des revendications communautaires. Comment la République sociale pourra panser les plaies d’un pays blessé.

Notes :

[1] Ipsos Talan, Législatives 2024, premier tour : www.ipsos.com/fr-fr/legislatives-2024/legislatives-2024-retour-sur-le-premier-tour

[2] Ipsos, Présidentielle 2022, profil des abstentionnistes et sociologie des électorats : www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat

[3] Enquête électorale Cevipof, Fondation Jean Jaurès, Institut Montaigne, Ipsos, Le Monde, Radio France, France Télévisions, vague 6, juin 2024.

[4] 3Ces profs qui votent RN : “C’est symptomatique de la crise qui traverse l’Éducation nationale” », Le Point, 28 juin 2024.

[5] « Résultats des législatives 2024 : âge, revenus, profession… Qui a voté quoi au premier tour ? », Le Figaro, 1er juillet 2024.

[6] 67 % des sondés considèrent qu’il y a « trop d’immigrés » en France selon une étude BVA Opinion pour RTL, mai 2023.


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Les cadeaux aux riches d’Attal et de Bardella : le choc fiscal dont on ne parle pas

© Kelly Sikkema

Cette campagne législative au pas de course s’est concentrée sur les questions économiques et fiscales, souvent pour insister sur la prétendue « insoutenabilité financière » du programme du Nouveau Front Populaire. Ce sont pourtant le RN et Ensemble qui multiplient les promesses de cadeaux fiscaux dans leurs programmes respectifs, sans expliquer comment ils seraient financés. Loin d’aider les « classes moyennes » comme ils le prétendent, ces réductions d’impôts bénéficieront principalement aux 10 % les plus aisés, au détriment de la majorité des Français.

Cette campagne législative aurait pu donner lieu à une confrontation intéressante de visions économiques opposées. Mais avant même la publication du programme du Nouveau Front Populaire (NFP), Bruno Le Maire et Jordan Bardella ont préféré jouer avec les peurs. L’actuel ministre de l’économie a par exemple déclaré que la victoire du Nouveau Front Populaire impliquerait la mise sous tutelle de la France par le FMI. La critique provenant d’un ministre de l’économie ayant accumulé 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire en 7 ans pourrait apparaître ironique. Alors pour appuyer son propos outrancier, il n’a pas hésité à publier un chiffrage faussé, indiquant par exemple que la réforme de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) coûterait 39 milliards d’euros. Gabriel Attal indique quant à lui que les retraités gagnant 1.200 euros par mois payeront davantage de CSG avec cette réforme. Pour appuyer son propos, il publie même un simulateur truqué, comme révélé par le journal Le Monde.

Les fake news des deux ministres ne concordent pas – ou alors il faudrait imaginer que la réforme soit à la fois coûteuse pour les finances publiques et fasse payer davantage d’impôt à une large majorité de Français. La vérité est toute autre : le NFP propose une baisse de l’impôt sur le revenu et de la CSG pour 92 % des Français, financée par une hausse pour les plus riches, ce qui rend la réforme budgétairement neutre. Mais tout est bon pour embrouiller le débat et détourner l’attention de leur propre bilan, alors qu’ils ont justement augmenté la CSG sur les petits retraités ou encore prolongé la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui représente un prélèvement de près de 10 euros par mois pour un salarié au SMIC.

L’argument du « sérieux économique » vise en outre à faire croire qu’aucune autre politique ne serait possible comme le rappelle le journaliste de Mediapart Romaric Godin : « Aucune transformation majeure ne s’est souciée d’une norme de finance, précisément parce que ces normes sont construites pour empêcher la possibilité d’une quelconque transformation sociale. Respecter le cadre financier, c’est respecter d’abord la hiérarchie sociale existante. […] Ce critère de « réalisme » lié à des « chiffrages » est proprement douteux. Ils reposent ainsi sur des hypothèses incertaines et toujours contestables, à la hausse comme à la baisse. Il est, à cet égard, amusant de voir les économistes doctes venir donner des leçons définitives sur ces programmes alors que leurs propres prévisions sont régulièrement défaillantes et en décalage constant avec la réalité. »

Il est par exemple piquant de noter que le journal Les Echos s’est permis de dénoncer le programme soi-disant infinançable du NFP, tout en publiant le jour suivant un article prodiguant des conseils à ses lecteurs pour échapper aux futurs impôts proposés par cette même coalition. S’affoler d’une hausse des déficits tout en prodiguant des conseils pour baisser les recettes de l’Etat est tout de même cocasse. Le programme du NFP est en réalité le seul entièrement chiffré et financé. Il est d’ailleurs soutenu par plus de 300 économistes renommés internationalement, dont la Prix Nobel Esther Duflo. A l’inverse, le RN et Ensemble proposent de nombreuses baisses d’impôts, sans aucun chiffrage ni piste de financement. Mais les éditorialistes peuvent dormir tranquille : ce sont bien aux plus riches du pays que s’adressent ces cadeaux fiscaux.

Les candidats du pouvoir d’achat… des plus riches !

Commençons par décrypter les mesures proposées par le RN à destination des jeunes. La suppression pure et simple de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans est sans doute la plus emblématique. Elle ne changera pourtant rien à la situation de la majorité des jeunes qui perçoivent des revenus trop faibles pour être assujettis à cet impôt. Cela représentera en revanche un cadeau de 1,3 milliard d’euros aux 10% des jeunes les plus riches. Dans la même veine, Jordan Bardella souhaite exonérer d’impôt sur les sociétés les patrons de moins de 30 ans. Mais en réalité, une infime minorité de jeunes entreprises payent l’impôt sur les sociétés puisque la plupart ne sont pas encore rentables ou bénéficient déjà de régimes fiscaux favorables. Cette mesure bénéficiera donc uniquement aux quelques jeunes patrons dont les entreprises sont particulièrement florissantes. Elle risque par ailleurs de créer des possibilités de fraude fiscale, des parents pouvant par exemple enregistrer leur entreprise au nom de leurs enfants. Ce cadeau leur permettra d’augmenter leurs marges nettes et donc leurs dividendes… qui ne seront eux-mêmes pas taxés pour les patrons de moins de 30 ans. La boucle est bouclée.

Est-ce vraiment la priorité d’aider les 10% de jeunes ayant déjà des situations d’emploi stables, un salaire confortable ou étant à la tête d’une entreprise déjà rentable ?

Gabriel Attal a eu des mots très durs contre ces mesures mais en reprend pourtant l’esprit en proposant la suppression des droits de mutation à titre onéreux (les « frais de notaire ») jusqu’à 250.000 euros pour les jeunes accédant à la propriété. Cette baisse d’impôt ne bénéficiera pas aux « jeunes de classes moyennes et populaires » comme il le prétend. Pour qu’un jeune puisse accéder à la propriété, il faut en effet que la banque lui accorde un prêt, ce qu’elle fera généralement pour des jeunes disposant déjà d’un patrimoine, d’une situation d’emploi stable et d’un revenu confortable supérieur à 3.800 euros par mois comme l’a montré un journaliste de France info. Par ailleurs, la mesure inquiète fortement les collectivités locales, en particulier les départements, qui récupèrent la grande majorité des recettes de cet impôt pour financer des besoins locaux.

Sans même aller jusqu’à dénoncer les cas les plus caricaturaux de jeunes traders se voyant offrir des baisses d’impôts spectaculaires ou du dernier fils de Bernard Arnault exonéré d’impôt sur les sociétés, il faut se demander : est-ce vraiment la priorité d’aider les 10% de jeunes ayant déjà des situations d’emploi stables, un salaire confortable ou étant à la tête d’une entreprise déjà rentable ? Est-ce bien raisonnable d’avoir baissé les aides personnalisées au logement (APL) pour les jeunes locataires comme l’a fait le Gouvernement pour ensuite utiliser cet argent pour baisser la fiscalité des jeunes propriétaires ?

Mais les baisses d’impôts sur le revenu ne s’adressent pas qu’aux jeunes pour le RN, qui propose également d’instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant, au nom de la relance de la natalité. Là encore, la majorité des familles qui ne payent déjà pas l’impôt sur le revenu n’en bénéficieront pas. Et plus la famille sera aisée, plus le cadeau sera élevé. Le RN veut même supprimer l’impôt sur le revenu des médecins retraités reprenant du service. Cette mesure a de quoi étonner : s’il est évident qu’il faut trouver une solution au problème des déserts médicaux, l’outil fiscal ne paraît pas le plus adapté. Mais ce que souhaite en réalité le RN apparaît alors clairement : détricoter petit à petit l’impôt sur le revenu, l’un des seuls impôts progressif de notre système fiscal. Lorsqu’il dirigeait le Front National, Jean-Marie Le Pen proposait sa suppression pure et simple. Jordan Bardella s’inscrit dans cette lignée, avec comme à son habitude, un enrobage plus présentable. Il convient par ailleurs de noter que le RN poursuit la même logique qu’Emmanuel Macron, qui avait lui-même déjà affaibli l’impôt sur le revenu au moment des gilets jaunes, alors même qu’il s’agissait d’une réponse complètement inadaptée à leur demande de justice fiscale.

Ce que souhaite en réalité le RN apparaît alors clairement : détricoter petit à petit l’impôt sur le revenu, l’un des seuls impôts progressif de notre système fiscal.

En outre, Jordan Bardella maintient la « flat tax » mise en place par Emmanuel Macron et dont la conséquence est qu’en France, les revenus du travail sont bien davantage taxés que les revenus du capital. Alors même que depuis 2017, le salaire horaire réel dans le secteur marchand a baissé de 4,8% tandis que les dividendes augmentaient de 85%. Et que cette politique de baisse de la fiscalité du capital n’a eu aucun effet bénéfique pour l’économie, de l’aveu même du comité d’évaluation de France Stratégie mis en place à la demande du président de la République.

Jordan Bardella promet également de supprimer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui a remplacé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Ici, le RN ne cache même pas le public visé, décrit dans le nom même du prélèvement : cet impôt est actuellement payé par les propriétaires d’une résidence principale valant plus de 1,9 million d’euros… Rappelons ici que 50% des ménages français ont un patrimoine net quinze fois moins important que ce seuil. C’est donc un cadeau de 2 milliards d’euros pour les 0,4% les plus riches que nous propose l’autoproclamé « candidat du pouvoir d’achat ». Les 500 plus grosses fortunes de France sont passées d’un total de 454 à 1.170 milliards d’euros depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Mais la priorité de Jordan Bardella est donc de leur venir en aide.

Pour se différencier sur le papier de Gabriel Attal, il propose par ailleurs de rétablir un impôt sur la fortune financière. Cela sonne bien. Mais il s’agit d’une opposition de façade : les deux candidats proposent donc de ne taxer qu’une partie du patrimoine des très riches. Par ailleurs, de très nombreux biens ne seront ni taxés par Gabriel Attal, ni par Jordan Bardella : les yachts, les jets privés, les montres et bijoux de luxe, les crypto-monnaies, les lingots d’or, les œuvres d’art, etc. Leurs groupes parlementaires respectifs se sont d’ailleurs toujours associés à l’Assemblée nationale pour rejeter toutes les taxes sur ces produits de luxe proposées par les groupes de gauche. Il s’agit pourtant de biens que l’on retrouve, il faut le dire, assez peu chez les « classes moyennes » qu’ils prétendent vouloir protéger… Un riche n’aura alors qu’à répartir son patrimoine sur des investissements non taxés pour échapper à toute imposition sur celui-ci. Une manœuvre si simple que les conseillers fiscaux risquent même de se retrouver au chômage.

Opération séduction des héritiers

Ces détenteurs de gros patrimoines peuvent aussi compter sur ces deux partis pour leur permettre de transmettre leurs possessions sans payer le moindre impôt. Ainsi, le RN propose « d’exonérer les donations des parents et des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100.000 € par descendant tous les 10 ans ». Faisons un simple calcul. Un couple avec deux enfants et cinq petits-enfants – ce qui correspond à une famille française moyenne – pourra transmettre 100.000 euros par parent et enfant et petit-enfant, soit au total 1,4 millions d’euros tous les 10 ans, sans payer d’impôt. Et ce alors même que 87% des successions sont inférieures à 100.000 euros et sont donc déjà largement exonérées d’impôt actuellement.

Ce beau cadeau ne vient pas de nulle part : Eric Ciotti, le nouvel allié du RN signait il y a un mois une tribune pour demander la « mort de l’impôt sur la mort » et donc permettre aux milliardaires de faire vivre des générations entières de rentiers sans qu’ils n’aient à participer à l’effort fiscal national. Le parti présidentiel n’est pas en reste : il propose une exonération de 150.000 euros par enfant et 100.000 euros par petit-enfant, tout en gardant la remise à zéro actuelle qui intervient tous les 15 ans. La même famille prise en exemple précédemment pourra donc transmettre 1,6 million d’euros tous les 15 ans sans payer d’impôt. Dans les deux cas, cela permettra à des multimillionnaires de transmettre la totalité de leur fortune, en anticipant et optimisant les donations à intervalles réguliers, alors même qu’il existe un quasi consensus des économistes pour demander le renforcement de l’impôt sur l’héritage des plus riches. Et comme ils ne remettent pas en question la logique même du système actuel, certains petits héritages, en ligne indirecte ou n’ayant pas été anticipés à l’aide de conseillers fiscaux, continueront d’être très fortement taxés.

Une politique « pro business » assumée qui gonflera les marges des très grosses entreprises

Sur le volet entreprises, Jordan Bardella assume directement de s’inscrire dans la continuité fiscale d’Emmanuel Macron : son programme propose ainsi de « poursuivre la baisse des impôts de production » entamée par ce dernier. Il répond ici à une demande de longue date du MEDEF, alors même que cela profitera surtout aux très grosses entreprises et que les effets économiques d’une telle réforme sont remis en cause par de nombreux économistes.

Les principaux gagnants de la baisse de TVA sur l’énergie risquent d’être les énergéticiens comme Total, qui pourront baisser très légèrement les factures, tout en augmentant sensiblement leurs marges.

Au vu du public bénéficiaire de telles réformes, la discrétion de Jordan Bardella sur l’ensemble de ces mesures fiscales n’est pas surprenante. Le président du Rassemblement National préfère en effet mettre en avant sa seule mesure qui bénéficiera à l’ensemble des Français : la baisse de TVA sur les produits énergétiques. Si cette mesure choc parle à tout le monde, l’absence de contrôle réel des prix de l’énergie dans le programme de l’extrême droite interroge. Comme avec la baisse de la TVA dans la restauration instaurée sous Nicolas Sarkozy, il est peu probable que les prix payés par le consommateur baissent significativement. Les principaux gagnants risquent d’être les énergéticiens comme Total, qui pourront baisser très légèrement les factures, tout en augmentant sensiblement leurs marges, absorbant ainsi une bonne partie du cadeau fiscal promis aux consommateurs finaux.

Et à la fin, qui va payer ?

Tout en proposant de nombreuses baisses d’impôts aux plus aisés, les candidats du RN et d’Ensemble sont formels : ils respecteront la trajectoire de baisse des déficits imposée par la Commission européenne dans le cadre de la procédure pour déficit excessif qui vient d’être initiée contre la France. C’est donc bien l’ensemble des Français qui devra financer ces cadeaux, à travers des coupes budgétaires dans les services publics et les aides sociales. Deux économistes ont fait le travail d’évaluation : le programme du RN conduirait à une hausse du revenu disponible net de 1.160 euros par an pour les 10% les plus riches et à une baisse pour 70% de la population. Les 30% les plus pauvres perdront en moyenne 230 euros par an.

Ainsi, le RN propose en réalité de poursuivre la politique des macronistes, qui se sont illustrés par la baisse des aides au logement des plus précaires pour financer la suppression de l’ISF dès leurs premiers mois au pouvoir. Dernièrement, c’est même au budget dédié au financement de la transition écologique que Bruno Le Maire s’est attaqué en urgence pour compenser des recettes fiscales plus faibles que prévu. La dépense publique par étudiant à l’université française a également baissé de 15% en 10 ans. Les besoins vitaux de la population deviennent alors une variable d’ajustement pour financer les baisses d’impôts pour les plus aisés.

Alors même que la logique pourrait être inverse : partir des besoins de la population et des investissements nécessaires pour endiguer la crise écologique et demander à ceux qui ont les moyens de les financer. En outre, l’augmentation significative des investissements publics et des revenus des ménages conduirait à une relance économique keynésienne, dont l’économie française a besoin pour sortir de la stagnation. Tel serait justement un cap économique « sérieux ».


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Vague bleu marine : le RN conquiert-il la France d’outre-mer ?

Marine Le Pen en meeting à Mayotte en avril 2024. © Capture d’écran Mayotte la 1ère

Depuis 2017, Marine Le Pen a considérablement augmenté ses scores dans la France d’outre-mer, longtemps très réticents à voter pour l’extrême droite. Bien que le vote pour la France insoumise et l’abstention demeurent les principaux choix des électeurs ultra-marins, cette progression, particulièrement marquée au second tour de la présidentielle 2022, illustre la normalisation du Rassemblement National. Pour le parti dirigé par Jordan Bardella, ce basculement de territoires marqués par la traite négrière et la colonisation représente une victoire symbolique majeure.

Alors que le Rassemblement National pourrait remporter une majorité pour la première fois de l’histoire dans quelques jours, la généralisation du vote RN dans toutes les couches de la société fait l’objet d’âpres débats dans les médias et les cénacles politiques. Comme souvent, une partie de la France est ignorée par ces analyses : la France d’outre-mer. Pourtant, la bascule y a déjà eu lieu : il y a deux ans, au second tour de la présidentielle, Marine Le Pen a largement battu Emmanuel Macron dans presque chaque territoire d’outre-mer. Si chaque territoire ultra-marin a ses spécificités, la dynamique de progression du RN ces dernières années y est spectaculaire. Comment comprendre cette percée ?

Jusqu’aux années 2010, le vote d’extrême droite dans la France d’outre-mer reste toujours cantonné à un chiffre. Sans surprise, l’histoire de ces territoires, durement marqués par l’esclavage et la colonisation, explique largement le rejet des idées portées par le Front National. Au-delà du souvenir de la conquête coloniale et de la traite négrière, d’autres événements plus contemporains restent ancrés dans la mémoire collective des populations ultra-marines. Pour ne citer qu’un seul exemple, en Guyane et dans les Antilles françaises, et tout particulièrement en Martinique, le régime dictatorial de l’amiral Robert, représentant de l’Etat sous le régime de Vichy, est encore dans toutes les têtes. An tan Robè (au temps de l’amiral Robert), les humiliations sont en effet généralisées, les pénuries et disettes omniprésentes et toute contestation politique violemment réprimée.

En 1987, lors d’une des rares tentatives de Jean-Marie Le Pen à se rendre dans les Antilles, l’aéroport Aimé Césaire en Martinique est envahi par les manifestants pour empêcher l’atterrissage de son avion.

Durant de nombreuses années, la famille Le Pen n’a donc pas droit de cité outre-mer. En 1987, lors d’une des rares tentatives de Jean-Marie Le Pen à se rendre dans les Antilles, l’aéroport Aimé Césaire en Martinique est envahi par les manifestants pour empêcher l’atterrissage de son avion. Dix ans plus tard, en 1997, une seconde tentative donne lieu à de violentes altercations avec les militants indépendantistes locaux. La figure du fondateur du Front National, défenseur de l’inégalité entre les « races », fait figure de repoussoir absolu.

Dans les années 2010, une forte montée des eaux bleu marine

Lorsqu’elle succède à son père en 2011, Marine Le Pen fait de la « dédiabolisation » de son parti sa priorité. A cet égard, la France d’outre-mer fait figure de laboratoire. Si les scores de Marine Le Pen restent particulièrement faibles lors de la présidentielle de 2012 (8 % en moyenne), une première percée intervient en 2017. La candidate du Front National arrive première lors du premier tour, avec une moyenne (21,9 %) légèrement supérieure à score national. En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Mayotte, elle approche déjà les 30 %. Si elle est sèchement battue par Emmanuel Macron au second tour, ses scores restent comparables à ceux observés en métropole. Le rejet catégorique de l’extrême droite par l’outre-mer n’est plus d’actualité.

Les nombreux renoncements et trahisons du Parti Socialiste de François Hollande, qui avait été plébiscité par les ultra-marins, ont pesé lourdement dans ce premier basculement. Le sentiment d’abandon s’est notoirement amplifié avec l’absence de réponse aux mouvements sociaux inédits en Guyane (2017), à Mayotte (2016), à La Réunion (2009) ou encore en Guadeloupe (2009). Dans chacun des territoires paralysés par des grèves générales, les habitants réclament un meilleur pouvoir d’achat (le coût de la vie en outre-mer étant supérieur à celui en métropole) et des investissements dans les services publics pour assurer leur bon fonctionnement. La question de l’eau, fortement polluée par l’usage du chlordécone (pesticide utilisé sur les cultures de bananes jusqu’en 1993 dans les Antilles, alors que sa toxicité était connue depuis longtemps, ndlr) et extrêmement chère, est également un enjeu majeur.

Plus largement, les citoyens exigent une égalité réelle avec la France métropolitaine. Du fait de leur éloignement géographique avec la métropole, ils sont en effet largement perdants de la mondialisation néolibérale. La nécessité d’importer de nombreux produits depuis l’Europe et la dépendance à la voiture – les transports en commun restant très peu développés – conduit ainsi à un coût de l’alimentation et des carburants hors de prix. En outre, les inégalités restent considérables : quelques grandes familles, dont le pouvoir remonte souvent à la période coloniale, continuent d’exercer un pouvoir considérable sur l’économie locale et de prélever leur rente, tandis que le reste de la population peine à vivre. Alors que la départementalisation de l’après-guerre avait été accompagnée d’un certain rattrapage économique, depuis les années 1980, l’Etat français n’a cessé de se désinvestir et de compter sur le marché pour faire progresser l’outre-mer.

Le premier mandat d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité totale de ces politiques condamnées à l’échec. Alors que les besoins en service public sont criants et qu’une vraie planification est indispensable pour diversifier ces économies périphériques, le Président s’y refuse. De manière plus générale, il semble totalement méconnaître et mépriser l’outre-mer. Cet abandon est sanctionné dans les urnes dès les élections européennes de 2019 : la liste de Jordan Bardella arrive largement en tête dans l’outre-mer, avec 11 points d’avance sur le camp présidentiel.

La déflagration du second tour de la présidentielle 2022

Durant les deux années qui suivent, la crise sanitaire marque un tournant. Du fait de la déliquescence et de l’éloignement des services de santé, la mortalité y est beaucoup plus forte que dans l’Hexagone. Le manque d’accès à des ressources de bases comme l’eau y rend aussi plus difficile l’application des gestes d’hygiène recommandés. Complètement dépassé, le gouvernement y impose des mesures répressives – confinement, couvre-feux… – encore plus dures et longues qu’en métropole. Fin 2021, des émeutes interviennent pour dénoncer les restrictions de liberté et l’abandon de l’outre-mer à son sort par Paris. En Guadeloupe, le gouvernement dépêchera le GIGN en seulement 48h pour rétablir l’ordre, alors que l’envoi de bouteilles d’oxygène pour les hôpitaux a pris plusieurs semaines ; tout un symbole.

Après cette gestion calamiteuse, Emmanuel Macron est très sévèrement sanctionné par les ultra-marins lors des élections présidentielles de 2022,. D’abord, l’abstention reste très forte, entre 50 et 70 % selon les territoires, témoignant avant tout de l’absence de confiance dans les institutions. Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon réalise en moyenne un score de 40 % – loin devant Marine Le Pen – et même de plus de 50 % en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe. Au second tour, contrairement à cinq ans auparavant, la candidate du RN bat nettement le président sortant, avec des scores atteignant jusqu’à 70 %. Même en Martinique où la résistance au RN est habituellement plus virulente, le RN termine avec plus de 60%.

Etant donné les scores de la France insoumise au premier tour, en particulier dans les Antilles, en Guyane et à la Réunion, il est difficile de conclure à un vote d’adhésion au programme du Rassemblement national. Vraisemblablement, les électeurs votent surtout contre Emmanuel Macron plutôt que pour Marine Le Pen. Ce vote est motivé par l’abandon économique et l’obligation vaccinale. Cette dernière est rejetée plus fortement dans l’outre-mer qu’ailleurs en raison d’une forme de suspicion généralisée contre l’Etat et d’une concurrence des thérapies (traditionnelles vs occidentales). En effet, la crise sanitaire a été un moment marquant l’expression d’une forme de résistance identitaire, mêlée aux conséquences et à la crainte de l’empoissonnement généralisé en lien avec le scandale du chlordécone. Ce contexte a convaincu une partie de la population que l’extrême droite pouvait être un meilleur rempart pour leur dignité.

Le rôle symbolique de l’outre-mer pour le RN

Résumer la percée de l’extrême-droite dans l’outre-mer au seul rejet du macronisme serait toutefois trompeur. Plusieurs territoires, notamment la Guyane et Mayotte, sont confrontés à une immigration de subsistance importante, qui fragilise encore davantage des services publics et des infrastructures déjà sous-dimensionnés. Marine Le Pen l’a bien compris et a fait de l’outre-mer un avant-poste de la lutte contre l’immigration et l’insécurité, permettant ainsi une escalade dans les propositions les plus radicales. Bien que représentant une part modeste de l’électorat national, l’outre-mer jouent ainsi un rôle crucial pour le RN. D’une part, en réalisant une percée dans ces territoires marqués par l’esclavage et la colonisation, le parti tente de sortir des stigmates de parti raciste. D’autre part, en plaidant pour des mesures d’exception extrêmement strictes en matière migratoire et sécuritaire, il en fait un terrain d’expérimentation pour les mesures destinées à s’appliquer ensuite sur tout le territoire national.

Marine Le Pen a fait des Outre-Mer des avant-postes de la lutte contre l’immigration et l’insécurité, permettant ainsi une escalade dans les propositions les plus radicales.

Un exemple frappant est Mayotte, où les problématiques d’immigration et d’insécurité sont particulièrement criantes. Le 101ème département français, totalement dépassé par la situation car abandonné par la République, montre depuis longtemps une adhésion plus forte au RN que les autres Outre-Mer. Le Rassemblement national y a remporté une vraie victoire en début d’année, lorsque Gérald Darmanin a annoncé une réforme constitutionnelle pour y supprimer le droit du sol, revendication de longue date de l’extrême-droite et de certains élus locaux de l’archipel qui remet en cause le principe même de la citoyenneté française. Cette mesure, bien que non encore votée en raison de la dissolution, illustre comment le RN utilise ces territoires comme laboratoires politiques pour des idées autrefois marginales.

Comme sur la loi immigration, l’extrême droite a là encore réussi à rendre ses revendications majoritaires au Parlement, grâce au suivisme des Républicains et de la majorité présidentielle. Cette course à la fermeté a pourtant déjà des effets particulièrement néfastes : au nom de la lutte contre l’immigration illégale et les bidonvilles, le gouvernement a fait fermer plusieurs points d’eau indispensables à la population de Mayotte, qui subit déjà des coupures très fréquentes. Une mesure draconienne qui empêche les habitants de pratiquer une hygiène élémentaire et a conduit, selon des documents du ministère de la santé dévoilés par L’Express, à l’émergence de l’actuelle épidémie de choléra, qui a déjà fait deux morts. Un prélude aux conséquences de la fin de l’aide médicale d’État que réclame le RN depuis des années ?

Si l’Outre Mer fait donc figure de laboratoire de l’extrême droite française, un doute important demeure pour ces élections législatives anticipées : un député ultramarin avec l’étiquette RN sera-t-il élu ? Nonobstant les résultats du RN dans les élections nationales, le parti n’a en effet jamais su s’implanter localement et aucun parlementaire issu des territoires d’outre-mer n’a jamais siégé avec le RN. A l’Assemblée nationale, la plupart des députés ultra-marins se retrouvaient plutôt, avant la dissolution, dans les groupes communiste, insoumis et LIOT. Alors qu’elle se prépare à affronter frontalement le RN, la gauche, et notamment la gauche radicale incarnée par la France insoumise, a donc une occasion de faire mentir le pronostic d’un basculement de l’outre-mer vers l’extrême droite. Réponse le 8 juillet prochain.


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Pas de Front Populaire sans avancées démocratiques

Manifestation des Gilets Jaunes en 2019 pour le référendum d’initiative citoyenne (RIC). © Olivier Ortelpa

Les grandes manœuvres politiques observées depuis la dissolution de l’Assemblée nationale témoignent du caractère historique de la période que nous traversons. Mais l’ampleur de la crise politique appelle à des mesures immédiates pour redonner du pouvoir aux citoyens. S’il veut retrouver la confiance des électeurs et surmonter les blocages institutionnels, le nouveau Front Populaire doit mettre en place le référendum d’initiative citoyenne constituant au plus vite et s’inscrire dans l’héritage des combats qu’a portés le Front Populaire. Tribune des politologues Clara Egger et Raul Magni-Berton.

Sa création a peine annoncée, le nouveau Front Populaire est déjà sur toutes les lèvres. Après de premiers échanges par déclarations interposées où chaque parti posait ses conditions, un accord a très rapidement abouti sur la répartition des candidatures et un programme partagé. Ce programme met avant tout l’accent sur des mesures économiques et sociales en en faisant la priorité des premiers jours de la mandature et en reléguant au second plan les réformes institutionnelles et démocratiques. Disons-le franchement, ces manœuvres politiques et la volonté de chaque officine de vouloir imposer son agenda ne laissent présager aucun changement radical de méthode. Une nouvelle fois, la grande alliance de la gauche risque de se faire sans tenir compte des priorités des électeurs, notamment en matière de réforme démocratique.

Une demande de démocratie directe forte mais invisibilisée

Les signes que notre démocratie parlementaire s’essouffle se multiplient. Le poids du Parlement n’a cessé de se réduire au profit de l’exécutif ces dernières années sous l’effet des états d’urgence successifs permettant une surutilisation de procédures exceptionnelles comme le 49.3 et le recours aux ordonnances. De nombreux rapports alertent sur l’état des libertés publiques en France et notre pays occupe le bas des classements évaluant la qualité democratique des pays d’Europe de l’Ouest. La possibilité pour Emmanuel Macron de convoquer de nouvelles élections sous trois semaines sans consulter partis et groupes d’opposition est un des nombreux symptômes de cette prépondérance de l’exécutif. 

Face à cela, notre système politique dispose du meilleur antidote qu’il puisse exister : des citoyens soutenant fortement la démocratie et avides de nouveaux droits politiques. A rebours des discours regrettant un désintérêt des citoyens pour les questions institutionnelles et démocratiques conçues comme trop lointaines, techniques ou non prioritaires, les citoyens français expriment, dans la rue et dans les sondages, une soif de renouveau. 

Depuis le mouvement des Gilets Jaunes, la demande d’une participation directe à la prise de décision politique a le vent en poupe dans notre pays. Elle se cristallise autour d’un outil : le référendum d’initiative citoyenne constitutionnel (RICC) qui recueille le soutien de près de 75% des Françaises et des Français. Aucune autre réforme institutionnelle ne peut se targuer d’un tel soutien. Si on la compare à d’autres options envisagées dans le programme de la NUPES et maintenant du nouveau Front Populaire – comme la convocation d’une Assemblée constituante, la tenue d’assemblées citoyennes ou même la réforme du référendum d’initiative partagée – le RICC caracole en tête.

En Europe, les Français ne sont pas isolés dans leurs aspirations : en Allemagne, en Italie ou aux Pays-Bas, les citoyens exigent de pouvoir initier et voter directement les lois. Si exception française il y a, c’est dans la réponse des élites politiques – notamment de gauche – à ses revendications qui oscillent entre reprise de la mesure dans un programme sans toutefois la mettre en avant, indifférence et parfois même mépris. Alors que les Pays-Bas s’apprêtent à introduire le RIC suspensif dans leur Constitution sous l’effet de cette pression populaire et d’un soutien unanime des partis de gauche, la gauche française en est encore aux atermoiements.

Prendre au sérieux l’héritage démocratique du Front Populaire

Pourtant, François Ruffin, l’initiateur du projet de Front Populaire, le dit lui-même : il faut “arrêter de déconner”. La recherche en sciences sociales et l’exemple de près de 30 pays à travers le monde l’attestent : la démocratie directe renforce la qualité des institutions démocratiques, évite la concentration du pouvoir, renforce la protection des minorités et des droits fondamentaux et contribuent à des politiques économiques plus stables et plus justes. Ses vertus devraient suffire à faire du RICC la mesure phare d’une nouvelle alliance à gauche.

Par ailleurs, dans une France de plus en plus fragmentée et ingouvernable, le RICC peut être l’occasion de conduire des réformes demandées de longue date par le peuple français en surmontant les blocages institutionnels et l’influence des lobbys et autres cabinets de conseil. Justice fiscale, présence des services publics partout sur le territoire, factures d’énergie, renationalisation de biens publics comme les autoroutes… Nombre de mesures plébiscitées par les Français mais auxquelles la sphère politique reste majoritairement réticente pourraient enfin trouver un débouché démocratique. En outre, la menace d’un référendum contre les élus qui ne respecteraient pas leurs promesses de campagne limiterait sensiblement les revirements politiques qui brisent la confiance dans notre démocratie.

L’héritage démocratique du Front Populaire oblige celles et ceux qui s’en revendiquent. La défense de la démocratie et de la liberté de chacun était au cœur de l’accord de 1936. Comme aujourd’hui, la France était alors en retard sur nombre de ses voisins dans la conquête d’un droit politique : le droit de vote des femmes. Comme aujourd’hui, et lors de chaque avancée démocratique, la mesure était perçue par les élites comme trop radicale : les femmes n’étant pas assez éduquées ou autonomes pour voter par elles-mêmes. Les députés du Front Populaire votèrent pourtant massivement pour son introduction le 30 juillet 1936. En 1936, comme aujourd’hui, le Front Populaire ne peut sans faire sans prendre au sérieux les demandes de droits politiques des citoyens français. 


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Front populaire : l’avenir d’une victoire

Ouvriers métallurgistes en grève en 1936. © Domaine public, BNF

Après la dissolution de l’Assemblée nationale, la gauche française s’est réunie autour de la bannière Front Populaire, un nom qui renvoie à une histoire vieille de près d’un siècle, mais dont le souvenir est toujours resté vif. En mai 1936, face à la menace fasciste, cette alliance entre les socialistes (SFIO), les communistes (PCF) et les centristes du Parti radical, remporte les élections législatives. Le nouveau gouvernement de gauche, présidé par le socialiste Léon Blum, prend alors des mesures sociales sans précédent et très vite effectives. Pourtant, ces avancées déterminantes ne sont pas le fruit d’une simple victoire électorale : revenir sur la période permet de mieux comprendre la nécessaire articulation entre un pouvoir politique volontariste et un puissant mouvement social pour le soutenir, voire pour l’obliger.

Dans l’histoire politique française, le Front populaire est inscrit au Panthéon des gauches. Depuis des décennies, la gauche, a fortiori quand elle est unie, invoque le totem sacré de 1936 en période électorale pour inciter à la mobilisation. L’idée est qu’en la portant au pouvoir, d’importantes réformes sociales suivront. Après tout, les deux semaines de congés payés, la semaine de 40 heures et l’instauration des conventions collectives, permises par le gouvernement Blum juste après sa prise en fonctions, sont autant de preuves que confier les manettes politiques à la gauche porte ses fruits.

À la suite de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le député insoumis François Ruffin a ainsi immédiatement appelé la gauche à se réunir autour de la bannière « Front populaire » suivi dans les 24 heures par les quatre principaux partis de gauche (insoumis, écologistes, communistes et socialistes). En mai 2022, quelques jours après la formation de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), le communiste Fabien Roussel se permettait déjà le parallèle : « Le Front populaire, c’était de grandes avancées sociales. On est aujourd’hui à un tournant aussi historique que celui-là. » Remontons plus loin. Quelques mois après la victoire de la gauche plurielle aux élections législatives de 1997, la ministre du Travail Martine Aubry défend la semaine de 35 heures en se revendiquant des idées de Blum. En mai 1981, dans son discours d’investiture à la présidence de la République, François Mitterrand se réfère également l’héritage du Front populaire. Tout nouveau Premier ministre, Pierre Mauroy reprend quant à lui un slogan de 1936 : « Vive la vie ! ».

Pourtant, ce « mythe » proprement politique simplifie à outrance ce qu’a été le Front populaire : au-delà d’un accord électoral entre partis de gauche, il s’agit d’une véritable expérience culturelle et sociale, bien que de courte durée. Un simple coup d’œil au programme de campagne suffit à s’en convaincre : publié en janvier 1936, celui-ci ne contient pas les mesures phares plus tard retenues dans l’imaginaire collectif. La « réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire » est certes mentionnée, mais sans avancer de chiffre concret (le temps de travail s’élève alors à 48 heures par semaine) ; quant aux conventions collectives et aux congés payés, ils ne figurent tout bonnement pas dans le programme. Dès lors, difficile de lire dans la séquence 1936 un enchaînement logique et purement politique : les mesures effectives à l’été ne sauraient être le simple produit de la victoire électorale du printemps sur la base du programme publié à l’hiver. En fait, celles-ci ont surtout été arrachées par un mouvement de grèves sans précédent.

« La grève, la grève, partout la grève » (Jacques Prévert)

Retraçons le fil des événements au cœur du printemps 1936. Le 3 mai, les résultats du second tour des élections législatives actent la victoire du Front populaire, avec 386 sièges sur les 608 que compte alors l’Assemblée nationale. Respectueux de la tradition républicaine, Blum attend encore un mois avant de s’installer à Matignon, résidence du président du Conseil. Mais les 11 et 13 mai, deux grèves éclatent au Havre et à Toulouse dans le secteur de l’industrie aéronautique, en réaction aux licenciements d’ouvriers grévistes le 1er mai. Victorieuses, les grèves s’étendent alors dans le même secteur ainsi qu’au sein des usines automobiles de la région parisienne à la fin du mois de mai. Le 28, c’est au tour des 30.000 ouvriers et ouvrières de Renault de rejoindre le mouvement.

Fait notable et inédit à cette échelle, les grévistes ne se contentent pas de cesser le travail, mais occupent les usines. Si les grèves semblent progressivement s’apaiser, le mouvement reprend de plus belle à partir du 2 juin et gagne la province, notamment par le biais de la presse, qui se fait le relais des événements. Partout, dans une ambiance festive, des entreprises des plus diverses sont occupées, du commerce aux banques en passant par la restauration et la culture. On compte alors 12.000 grèves, dont 9.000 avec occupation, entraînant environ 2 millions de personnes.

La victoire acquise, le mouvement social ne s’éteint pas : à la différence de la plupart des mouvements de grève, il ne s’agit pas de s’opposer à un gouvernement hostile, mais de pousser, voire d’anticiper l’action de ce nouveau pouvoir dont on attend beaucoup.

Comment expliquer cette explosion sociale ? Indéniablement, aucune force politique ou syndicale ne l’a pleinement anticipée. Le 16 juin, le secrétaire général de la CGT Léon Jouhaux admet devant le Comité confédéral national du syndicat que « le mouvement s’est déclenché sans que l’on sût exactement comment et où ». Spontanées, les grèves et occupations de mai-juin 1936 ne débarquent toutefois pas de nulle part.

Elles s’inscrivent dans une articulation entre les urnes et la rue, matrice du Front populaire depuis deux ans : le 6 février 1934, la manifestation antiparlementaire de groupes de droite et d’extrême droite devant la Chambre des députés fait craindre à la gauche une menace fasciste imminente. De vastes manifestations unitaires rassemblant des milliers de personnes sont alors organisées en réponse un peu partout en France. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le rapprochement entre forces de gauche aux élections municipales de 1935 puis aux législatives de 1936. Au cœur de la campagne, les manifestations antifascistes et populaires interpellent l’opinion et propulsent le Front populaire au pouvoir. La victoire acquise, le mouvement social ne s’éteint pas : à la différence de la plupart des mouvements de grève, il ne s’agit pas de s’opposer à un gouvernement hostile, mais de pousser ,voire d’anticiper l’action de ce nouveau pouvoir dont on attend beaucoup.

Le double rejet du taylorisme et du paternalisme

S’inscrivant positivement dans la culture du Front populaire, l’explosion sociale du printemps 1936 exprime aussi deux rejets massifs, comme l’explique l’historien Antoine Prost dans son ouvrage Autour du Front populaire (2006). Rejet d’abord de la surexploitation des travailleurs et des travailleuses, rendue possible par la taylorisation et généralisée par la crise économique qui frappe la France depuis 1931. Théorisé et mis en pratique aux États-Unis au début du siècle, le taylorisme est un mode d’organisation du travail reposant sur une double division, à la fois verticale (entre tâches de conception et d’exécution) et horizontale (la production est décomposée entre les ouvriers pour réaliser les tâches les plus simples possibles).

Cette « organisation scientifique du travail » doit alors permettre une augmentation des gains de productivité. Après 1918, le taylorisme se répand progressivement dans les usines françaises, notamment dans l’automobile ou la réparation ferroviaire, mais sans s’accompagner d’une politique salariale fordiste accommodante. En outre, la grande division des tâches contribue à l’aliénation des travailleurs et travailleuses, soumis à des gestes répétitifs, dont l’utilité leur apparaît moins clairement que quand il intervenaient sur plusieurs étapes de production à la fois. Quand survient la crise économique, la rationalisation est alors utilisée pour intensifier les cadences tout en compressant les salaires et en maintenant les ouvriers et les ouvrières les moins efficaces sous la pression du chômage. En affirmant avec force le rejet de cette cadence inhumaine, les grèves constituent alors un moment de dignité retrouvée, comme l’écrit la philosophe Simone Weil dans le journal La Révolution prolétarienne le 10 juin :

« Il s’agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence pendant des mois et des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange. Oui, une joie. […] Joie d’entendre, au lieu du fracas impitoyable des machines, symbole si frappant de la dure nécessité sous laquelle on pliait, de la musique, des chants et des rires ».

Dès lors, pour échapper à la contrainte des cadences et à l’arbitraire des chefs qui les imposent, la question temporelle s’impose au cœur des revendications ouvrières : d’abord la semaine de 40 heures, réclamée par la CGT depuis le début des années 1930. Les congés payés s’inscrivent dans la même perspective : il s’agit cette fois-ci d’une initiative personnelle de Blum et non d’une revendication des grévistes. Reste qu’avec la semaine de 40 heures, les congés payés répondent à la surexploitation à l’œuvre depuis des années et donnent réalité et consistance au temps privé des salariés.

Les occupations d’usines prenant la forme d’une grande fête antipatronale, elles expriment un refus de ce lien personnel, affirment que le patron n’est pas chez lui dans l’usine comme il est chez lui dans sa maison avec sa famille.

De la même manière, la nécessité des conventions collectives émerge des grèves du printemps 1936 en ce qu’elles remettent en cause le pouvoir patronal tel qu’il était conçu et pratiqué jusqu’alors. Comme l’explique Antoine Prost, si la propriété en est le fondement, cela signifie que la domination exercée par le patron dans ce qu’il appelle sa « maison » est également d’ordre privé, impliquant de la part des salariés une obéissance et une forme de reconnaissance. Les occupations d’usines prenant la forme d’une grande fête antipatronale, elles expriment un refus de ce lien personnel, affirment que le patron n’est pas chez lui dans l’usine comme il est chez lui dans sa maison avec sa famille.

Au fond, le printemps 1936 acte une délégitimation profonde du paternalisme en vigueur depuis la fin du XIXe siècle. De cette rupture viennent les conventions collectives : les ouvrières et les ouvriers refusant de s’engager pour autre chose qu’un travail et un salaire déterminés à l’avance, le contrat de travail doit être d’ordre public : il ne peut être discuté personnellement entre chaque salarié et son employeur, mais doit être clairement établi à l’issue de négociations entre syndicats et patronat. La loi sur les conventions collectives, dont le rapporteur est Ambroise Croizat, député communiste dirigeant la puissante Fédération des Métaux de la CGT, (et futur ministre communiste créateur de la Sécurité sociale après-guerre) remplace le lien personnel de subordination par un lien fonctionnel de production. Le pouvoir patronal est désormais encadré, ne laissant par exemple plus le droit à l’employeur de déterminer et de modifier les salaires selon son seul bon vouloir.

Quand le patronat craignait une révolution bolchevique en France

Si ces trois mesures sociales déterminantes émergent des grèves, encore faut-il que le nouveau gouvernement et surtout le patronat y consentent. Or, au début du mois de juin, ce dernier est pris d’effroi par les événements : avec ces entreprises occupées partout, le droit de propriété ouvertement bafoué et ce nouveau gouvernement soutenu par les 72 députés communistes tout juste élus, le bolchévisme semble aux portes du pays. Certes, à gauche, la perspective révolutionnaire n’est sérieusement envisagée que par une minorité. Dans un article publié dans Le Populaire le 27 mai, Marceau Pivert, représentant de l’aile gauche de la SFIO, incite Blum à s’appuyer sur le mouvement pour instaurer un vrai pouvoir socialiste dans le pays, clamant que « tout est possible maintenant ». Réfugié en France, Léon Trotski assure de son côté le 9 juin que « la révolution française a commencé » : « “Les soviets partout ?“ D’accord. Mais il est temps de passer de la parole aux actes. » Reste que la majorité des grévistes, non syndiqués, envisagent surtout leur action comme temporaire, une sorte de parenthèse joyeuse propre à exprimer un idéal plus qu’à le conquérir. Les partis et syndicats, PCF compris, souhaitent quant à eux apaiser les grèves. Mais au fond, peu importe : bien qu’il ne soit pas de nature révolutionnaire, le mouvement exerce de fait une pression considérable sur le patronat. La presse bourgeoise s’en fait l’écho. Le 6 juin, Le Temps écrit :

« Devant cette grève qui se généralise, devant ces violations énormes, inouïes, de l’ordre et des libertés publiques les plus élémentaires, le président du conseil, le chef du gouvernement légal, a-t-il parlé au nom du pays tout entier, au nom du droit républicain ? S’est-il élevé contre cette dictature occulte qui pèse sur la nation ? […] Son gouvernement n’est qu’une simple délégation de cette force aveugle, dont les Chambres ne seraient qu’un instrument pour une simple législation de faits accomplis ailleurs. Mais il faut alors le dire, il faut proclamer que le gouvernement prend un caractère dictatorial et que c’en est fini du régime républicain ! »

C’est donc dans ce contexte brûlant que les représentants patronaux, réunis au sein de la Confédération générale de la production française (CGPF), sollicitent le gouvernement encore en formation pour trouver une sortie de crise. Une première négociation a lieu dans la nuit du 4 au 5 juin. En médiateur, Blum constate que le patronat est prêt à céder sans faire de l’évacuation des usines un préalable. C’est ainsi que lors de son investiture le 6 juin, Blum promet la mise en place rapide des 40 heures, des congés payés et des conventions collectives. Le lendemain dès 15 heures, les négociations s’engagent à Matignon entre la CGPF, la CGT et l’État, marquant une première dans l’histoire politique française. Le 8 au petit matin, les accords sont officialisés : le patronat accepte une augmentation des salaires et « l’établissement immédiat de contrats collectifs de travail », définis dans une loi votée quelques jours plus tard. Ne figurent pas dans le texte les 40 heures et les congés payés, qui ne sont en fait pas discutés : ces mesures relevant uniquement de la loi, les patrons devront s’y plier.

« Finie la semaine des deux dimanches » : des conquêtes précaires ?

Pourtant, tout reste encore à faire. Le mouvement atteint son paroxysme dans la semaine du 8 au 12 juin, puis se poursuit fin juin et courant juillet : les acquis obtenus à l’échelle nationale doivent désormais être arrachés localement. De nombreux patrons n’acceptent en effet pas les décisions prises par la CGPF : le 9 juin, 114 présidents et représentants des chambres de commerce s’opposent aux 40 heures. Mais parmi les conquêtes de 1936, ce sont les conventions collectives, négociées à l’échelle de chaque secteur, qui exigent la lutte la plus âpre. Ainsi, à Besançon, les grèves ne commencent que le 16 juin pour réclamer l’application des accords de Matignon, engageant au fil des jours de plus en plus de secteurs. Un accord est finalement trouvé par l’intermédiaire du préfet du Doubs le 1er juillet.

Les mesures votées par le Front populaire sont bien plus des conquêtes ouvrières que des acquis sociaux, et ne peuvent être établies et respectées que par l’accord entre le mouvement social et le pouvoir politique.

Ces cas se multiplient dans d’autres départements au même moment. Les mesures votées par le Front populaire sont donc bien plus des conquêtes ouvrières que des acquis sociaux, et ne peuvent être établies et respectées que par l’accord entre le mouvement social et le pouvoir politique. La suite des événements le montre : quand le Front populaire se délite au sommet de l’État, les mesures s’en trouvent fragilisées. Dès février 1937, Léon Blum annonce une « pause » dans la réalisation des mesures sociales. La question de l’intervention française en Espagne pour défendre le gouvernement républicain contre les franquistes, refusée par Blum contre l’avis des communistes, fragilise encore un peu plus la coalition. En juin, Blum est contraint à la démission et en avril 1938, c’est le radical Édouard Daladier qui s’installe au pouvoir. Quelques mois plus tard, le nouveau président du Conseil affirme dans un discours radiodiffusé qu’il faut « remettre la France au travail » par un « aménagement » de la loi des 40 heures. Comprenez, permettre légalement aux entreprises de disposer des heures supplémentaires qu’elles estiment nécessaires, tout en majorant faiblement les taux de rémunération. En novembre 1938, le ministre des Finances Paul Reynaud se charge de publier les décrets-lois et déclare « finie la semaine des deux dimanches ». Les grèves qui s’ensuivent sont durement réprimées : alors que le gouvernement mobilise préfets et forces de l’ordre, le patronat licencie massivement les grévistes. La rupture est consommée, le Front populaire n’est plus.

Reste qu’en un sens, bien que précaires sur le court terme, les avancées sociales de 1936 s’enracinent dans la société française. Comme le souligne l’historien Jean Vigreux dans son ouvrage Histoire du Front populaire. L’échappée belle (2016), en élargissant la démocratie libérale à la démocratie sociale, le Front populaire ouvre en fait une séquence historique plus longue. Celle-ci trouve son aboutissement dans le programme du Conseil national de la Résistance, mis en œuvre après la Libération. « L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale », « le droit au travail et le droit au repos », « la sécurité de l’emploi » ou « la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine » sont autant de principes s’inscrivant pleinement dans l’expérience du Front populaire.

Comme au siècle passé, construire ce nouveau Front populaire nécessite la mobilisation de toutes et tous, au-delà des accords entre partis.

Une fois interrogé à la lumière des faits, le mythe électoraliste du Front populaire apparaît bien pauvre, en ce qu’il occulte souvent ce qui s’est véritablement joué au printemps 1936 : si les avancées sociales du Front populaire sont bien réelles, elles ont surtout été permises par l’articulation entre la pression du mouvement social et la capacité d’action du pouvoir politique. Le premier portant le second au pouvoir, les grèves et occupations d’usines permettent ensuite de pousser les revendications et d’assurer leur réalisation. La réussite du Front populaire tient précisément dans cette alchimie. Alors, à l’heure où l’histoire s’accélère, la gauche entend rejouer le coup de 1936 face à une extrême-droite qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Mais comme au siècle passé, construire ce nouveau Front populaire nécessite la mobilisation de toutes et tous, au-delà des accords entre partis. C’est en créant et en maintenant cette dynamique que le Front populaire de 2024 pourra réussir là où la NUPES de 2022 avait échoué. Porter les espoirs ne suffit plus : il s’agit désormais de porter l’histoire.


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Thaïlande : les victoires sans fin de la junte militaire libérale

Le général et premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-Cha © Wikipedia

Le 24 mars ont eu lieu les premières élections libres de Thaïlande depuis le coup d’État de 2014. Les députés et sénateurs ont reconduit le putschiste Prayut Chan-o-Cha dans ses fonctions de Premier ministre le 5 juin. Le pays a traversé une crise politique majeure ayant abouti à la destitution de la première ministre Yingluck Shinawatra et à un putsch mené par le commandant en chef de l’armée en 2014. Le clivage entre les populations pauvres et les élites thaïlandaises est cristallisé par l’opposition entre le Pheu Thai (Parti des Thaï), soutenu par les classes populaires et le Palang Pracharat (Parti du pouvoir du peuple), le nouveau parti conservateur de Prayut Chan-o-Cha, soutenu par les élites. En apparence, ces élections ont permis de restaurer l’État de droit. Elles confèrent cependant une légitimité supplémentaire au gouvernement militaire installé depuis 2014, en lui permettant de demeurer en place dans la durée.


La Thaïlande a connu douze coups d’État militaires depuis l’instauration de la monarchie constitutionnelle en 1932. Les derniers en date sont celui de 2006, qui renverse Thaksin Shinawatra du parti Pheu Thai et de 2014, qui renverse Yingluck Shinawatra, sa sœur venant du même parti. Dans les deux cas, l’armée a pris les rênes du pays : la première fois pour un an, la seconde pour cinq ans.

Les fractures thaïlandaises

Le pays connaît une très grande instabilité politique, secoué par les affaires de corruption, fracturé par un gouffre entre villes et campagnes. D’une manière générale, les urbains sont monarchistes et conservateurs quand les ruraux sont plutôt acquis au Pheu Thai. Ce dernier est fortement implanté parmi les classes moyennes et défavorisées et promeut des politiques sociales comme le soutien aux agriculteurs, le développement du système public de santé ou l’augmentation du salaire minimum, aujourd’hui de 7200 baht par mois (environ 205 euros). C’est précisément pour ces raisons que les gouvernements menés par le Pheu Thai ont été destitués par l’armée. Celle-ci ayant le soutien de la bourgeoisie urbaine, elle peut tout se permettre si le gouvernement n’abonde pas dans son sens.

Le Palang Pracharat est ainsi le parti de l’armée, du roi et des élites monarchistes des grandes villes.

On pourrait résumer la situation en Thaïlande par la mainmise de l’Ammatayathipatai, que l’on pourrait maladroitement traduire par aristocratie mais qui désigne tout le système de collusion entre les élites militaires, économiques et institutionnelles, sur le pouvoir politique et qui a généré une très forte contestation populaire. Cette caste d’élites constitue le cœur du soutien à Prayut et à son nouveau parti. La junte a mis en place diverses politiques qui ont creusé les inégalités de salaires et favorisé les secteurs de pointe, au détriment des classes pauvres et rurales du Nord et du Nord-Est. Le Palang Pracharat est ainsi le parti de l’armée, du roi et des élites monarchistes des grandes villes. Les coups d’État interviennent également dans un climat de grande instabilité sociale. Depuis 2010, les partisans du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature, plus connus sous le nom de chemises rouges se sont mobilisés pour le retour à un système politique démocratique en Thaïlande. Soutiens de Thaksin Shinawatra de par son action en faveur des défavorisés et demandant une meilleure répartition des richesses, ils critiquent également la collusion entre le système judiciaire et l’armée qui auraient porté au pouvoir Abhisit Vejjajiva du Parti Démocrate, un conservateur, monarchiste et libéral en 2008.
Les chemises rouges sont confrontées aux chemises jaunes issues des classes moyennes et aisées, qui eux jugeaient Shinawatra corrompu. Le jaune étant la couleur de la monarchie en Thaïlande, le choix de cette couleur n’est pas anodin. Les manifestations avaient été très violemment réprimées par l’armée qui n’hésitait pas à tirer dans la foule. Les chemises rouges, par leur alliance avec le Pheu Thai, ont permis l’accession au pouvoir de la sœur de l’ex-Premier ministre en 2014.

Celle-ci a continué à mettre en place des mesures sociales dans la lignée de son frère, en soutenant notamment le secteur agricole. La plupart de ses politiques ont été critiquées comme n’étant que des effets d’affiches, des mesures pseudo-sociales inutiles profitant en réalité à des secteurs florissants ou aisés. Le coup fatal porté à son mandat fut sa décision de faire voter une loi d’amnistie pour empêcher la condamnation de son frère pour corruption. Elle a également été mise en cause dans plusieurs affaires de corruption, en particulier en ce qui concerne l’aide au secteur agricole évoquée plus tôt. Les chemises jaunes s’étaient alors mobilisées et avaient contraint Shinawatra à la démission et à l’exil, demandant par la même occasion la mise en place d’un conseil de transition nommé par le roi. S’était alors installée un régime militaire, dirigé par Prayut Chan-o-Cha.

Ce gouvernement militaire a donné lieu à la rédaction d’une nouvelle Constitution en 2016, rédigée par et pour ces mêmes militaires. Elle leur accorde tout d’abord le droit de nommer l’intégralité des membres du Sénat. Elle élargit ensuite les possibilités de nomination du Premier ministre, qui ne doit désormais plus être issu du Parlement – ce qui rend plus facile la nomination d’un militaire, même non élu aux législatives. Le champ politique en Thaïlande est donc polarisé entre une élite soutenue par l’armée et la monarchie, et des classes défavorisées qui soutiennent des démagogues à la coloration vaguement sociale.

Retour démocratique ou second putsch dans les urnes ?

La nouvelle Constitution est directement issue de ces élections législatives. Bien que battu par le Pheu Thai qui récolte 136 sièges alors que lui n’en obtient que 116, Prayut est parvenu à se maintenir au pouvoir. En effet, la nomination par le Premier ministre des 250 membres du Sénat lui a permis de conserver son poste. Prayut Chan-o-Cha avait besoin d’une majorité des 750 représentants réunis (500 députés et 250 sénateurs) pour être élu. Il n’avait donc besoin que de 126 députés sur 500 pour être élu, ce qui lui donnait une avance considérable sur les autres partis en cas de défaite aux législatives. Cela n’a pas manqué et un coup d’État constitutionnel s’est produit.

Sans avoir de majorité à la chambre des représentants, Prayut a donc néanmoins été élu Premier ministre.

Il était opposé à Thanathorn Juangroongruangkit, chef du parti Anakot Mai (Parti du nouvel avenir) arrivé troisième. Celui-ci avait été choisi par tous les autres partis, dont le Pheu Thai, rassemblés dans une grande coalition contre la junte, mais cela n’a pas suffi à battre un appareil d’État conçu pour pour conserver Prayut à sa tête. Hors de son parti, celui-ci a ainsi réussi à rassembler 198 députés derrière lui. Le putschiste a notamment pu compter sur le soutien surprise du parti démocrate d’Abhisit Vejjajiva, arrivé quatrième et faisant originellement partie de la coalition anti-junte. Sans avoir de majorité à la Chambre des représentants, Prayut a donc néanmoins été élu Premier ministre.
L’analyse de la géographie électorale est très révélatrice. On observe en effet que la région de l’Isan, région rurale la plus pauvre du pays, voit le Pheu Thai arriver en tête dans quasiment toutes les circonscriptions. Au contraire, le centre de la Thaïlande, la région dominante où se situe notamment Bangkok a massivement voté pour le Palang Pracharat. Ainsi, ces élections qui témoignent supposément du retour à la démocratie pour la Thaïlande n’ont été qu’un moyen de conforter la junte militaire. Cette hypocrisie se voit notamment dans le très grand nombre d’irrégularités constatées le jour des élections, la Commission électorale ayant ordonné le recomptage des bulletins dans 6 bureaux de vote dont 4 donnaient un candidat du Pheu Thai gagnant. Cette même Commission a été vivement contestée dans son impartialité car elle a au total annulé environ 2 millions de bulletins sur 33 millions de votants (6%), un nombre beaucoup plus élevé qu’à l’accoutumée. A titre de comparaison, à l’élection présidentielle française de 2017 en France, sur 37 millions de votants, le nombre de votes nuls était d’environ trois cent mille (0.8%). Les publications confuses et contradictoires de résultats ainsi que le report de la date de publication de ceux-ci laissent aussi fortement soupçonner qu’il y a eu manipulation. Le manque de professionnalisme de la Commission a aussi été pointé du doigt, le président ayant déclaré qu’il ne pouvait annoncer les résultats exacts car il ne disposait pas de calculatrice. Enfin, le caractère symbolique de cette élection transparaît aussi dans la suspension des droits politiques de Thanathorn Juangroongruangkit, précédemment désigné leader de la majorité d’opposition le 23 mai dernier, celui-ci n’était donc pas présent ni lors des débats ni lors du vote pour élire le Premier ministre, tout en briguant le poste. Encore une preuve que la société thaïlandaise n’en a pas fini avec l’Ammatayathipatai.

Le roi Rama X, couronné le 4 mai dernier, n’a pas pris position sur le résultat des élections, rappelant simplement que le peuple se doit de voter pour « les bonnes personnes ». La monarchie a toujours été du côté des militaires, comme son père, Rama IX, qui avait apporté son soutien à Prayut. De plus, Rama X s’est immiscé dans la rédaction de la Constitution de 2016 pour que celle-ci étende ses prérogatives, lui conférant notamment celle d’arbitrer les crises politiques. Ce jeu de dupes n’a pas suscité de réactions notables dans la région, le prochain sommet de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) se tiendra ainsi à Bangkok les 22 et 23 juin.


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Quand le clan Valls déverse sa haine de classe sur les électeurs de Farida Amrani (France Insoumise)

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Suite à l’élection contestée de Manuel Valls dans la première circonscription de l’Essonne, l’ancien premier ministre et ses soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer dans les médias « la campagne de haine » qu’aurait menée Farida Amrani, la candidate investie par la France Insoumise, à son encontre. A les écouter, les électeurs-type de sa concurrente seraient des délinquants stupides, brutaux, haineux, violents voire antisémites et islamistes. C’est en tout cas le portrait-robot qu’ils dressent, en reprenant les pires préjugés de classe à l’égard des habitants des quartiers populaires. L’accusation de compromission avec “l’Islam politique voire avec les islamistes” ne manque en tout cas pas de sel puisque Manuel Valls, sur ce sujet, est loin de pouvoir montrer patte blanche …

Manuel Valls, apôtre du blairisme, de la troisième voie, du social-libéralisme ou du libéralisme tout court, premier ministre de « gauche » qui déclarait sa flamme au grand patronat dans toutes les langues et sous tous les toits de Paris, Londres ou Berlin, est l’homme qu’on ne présente plus mais qui continue à se présenter. Candidat malheureux aux primaires du PS, rallié à Macron dès le premier tour, il cherche à obtenir l’investiture LREM puis PS mais n’obtient aucune des deux pour se présenter aux élections législatives dans la 1ère circonscription de l’Essonne dont il était le député de 2002 à 2012.  Lot de consolation : ni LREM ni le PS n’investissent de candidat face à lui. Le voilà donc candidat estampillé Divers Gauche « majorité présidentielle », En Marche pour un nouveau mandat. Face à lui, on ne dénombre pas moins de 22 candidats parmi lesquels Farida Amrani, soutenue par la France Insoumise.

Forts de leur ancrage local et de la dynamique présidentielle de Jean-Luc Mélenchon arrivé largement en tête sur la circonscription, Farida Amrani, ancienne candidate aux élections municipales d’Evry et son suppléant Ulysse Rabaté, conseiller municipal d’opposition dans la ville voisine de Corbeil-Essonnes et candidat aux législatives de 2012, mènent, loin des caméras, une campagne de terrain tambour battant et s’avèrent être de sérieux concurrents pour le député sortant. Un sondage réalisé avant le premier tour donne en effet Manuel Valls et Farida Amrani au coude-à-coude au second tour. Manuel Valls remporte l’élection d’une centaine de voix mais Farida Amrani ne reconnait pas le résultat et dépose finalement un recours auprès du conseil constitutionnel.

La cour et la plèbe

La soirée du second tour a donné lieu à des scènes de confusion et d’extrême tension à la mairie d’Evry comme l’a notamment relaté une équipe de Quotidien présente sur place. Manuel Valls, retranché dans la mairie qu’il a dirigée de 2001 à 2012 et entouré de ses soutiens qui comptent notamment l’actuel maire d’Evry, proche d’entre les proches et ami intime de l’impétrant, déclare sa victoire tandis que les policiers municipaux repoussent énergiquement les soutiens de la candidate de la FI à l’entrée de l’édifice. Cette dernière, flanquée de son suppléant et de ses militants, déclare dans la foulée qu’elle revendique la victoire et qu’elle souhaite un recompte des voix.

Classe laborieuse, classe dangereuse

Dans les jours qui suivent, alors que Farida Amrani et ses avocats préparent un recours devant le conseil constitutionnel, Manuel Valls et ses soutiens tant politiques que médiatiques s’emploieront à bestialiser Farida Amrani, ses militants et ses électeurs en dénonçant la « campagne de haine » que ces derniers auraient menée contre le vertueux et très républicain citoyen Valls. Les chevaliers blancs de Valls dénoncent la « haine » de la part de la France Insoumise, en déversant au passage leur propre haine de classe sans aucune retenue. En effet, les arguments et les termes employés par certains défenseurs de Valls relèvent d’un véritable mépris de classe, dans la plus pure tradition de l’animalisation et de la diabolisation des classes populaires de la part de la bonne société. Rappelons que le vote FI dans une circonscription comme celle-ci est un vote de classe ; c’est principalement celui des quartiers populaires.

Ainsi, dans une tribune intitulée «  Ce que révèle l’inquiétante soirée électorale à Evry »,  publiée par Le Figaro, propriété de Serge Dassault, l’ancien sénateur-maire de Corbeil-Essonnes qui a apporté un soutien appuyé à Valls pour cette élection, l’essayiste et ex-élue PS Céline Pina vole au secours de Manuel Valls et tente de laver l’honneur de son champion. On peut notamment lire, sous sa plume que « si l’idéal du barbare peut être l’homme fruste, violent et sans limite, réduit à ses besoins et ses appétits, l’idéal du citoyen réclame, lui, hauteur de vue, empathie et tenue. Sans capacité à s’empêcher et à s’élever, c’est la bête humaine qui prend toute sa place et elle a le visage de la bêtise et de la brutalité. » Il n’est point besoin ici de faire une explication de texte tant l’animalisation des électeurs de Farida Amrani y est explicite et littérale. Céline Pina poursuit : « Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé à Évry, en cette soirée de second tour des législatives. Voir des caïds, dont il serait intéressant de savoir si beaucoup d’entre eux ont voté, contester un scrutin à coups de poing devrait faire rougir de honte la candidate de la France insoumise. » Elle ajoute plus loin, toujours à propos de Farida Amrani, qu’ « avoir dans son entourage pas mal de casseurs potentiels mais pas d’assesseurs mobilisables n’est pas un bon signe quand on croit en la démocratie. » Les « adeptes » de la France Insoumise, comme Céline Pina les nomme, sont donc tout bonnement accusés d’être des caïds et des casseurs potentiels. A moins que Madame Pina ait accès par on ne sait quel miracle aux casiers judiciaires des personnes présentes à l’entrée de la mairie d’Evry, ces accusations sont entièrement gratuites et relèvent de la stigmatisation pure et simple et du bon vieux “délit de sale gueule” à l’encontre des habitants des quartiers populaires.

La rengaine de « la classe laborieuse, classe dangereuse » ne date pas d’hier. Les similitudes entre les allégations de Madame Pina et les propos tenus par certains représentants de la bourgeoisie du XIXème siècle contre les communards sont, à cet égard, saisissantes. Jules Favre, le ministre des affaires étrangères de l’époque, dans une circulaire diplomatique, écrivait que « les vieux codes barbares sont dépassés par le banditisme qui, sous le nom de Commune, se donne carrière à Paris » tandis que le poète Leconte de Lisle déclarait : « La Commune ? Ce fut la ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs. »

Il est intéressant enfin de noter que Céline Pina établit un parallèle entre la soirée électorale d’Evry et l’épisode de la « chemise déchirée » d’Air France, autre événement qui avait déchaîné un flot ininterrompu de haine de classe dans les médias de masse.

Accusations d’islamogauchisme et soupçons d’antisémitisme

Quelques jours après l’élection, Manuel Valls déclare à Christine Angot dans les colonnes de Libération que « la France insoumise se compromet avec l’islam politique, voire avec les islamistes. » () sans avancer la moindre de preuve d’une telle affirmation. La directrice de La Revue des deux mondes, Valérie Toranian, abonde dans ce sens en évoquant l’islamo-gauchisme, sur le plateau de BFMTV, le 27 juin 2017 : « La violence de la haine contre Manuel Vals me donnerait plutôt envie de dire : “Ça suffit ! Trop c’est trop !” Autant d’acharnement, qui vient souvent-toujours des réseaux sociaux, des islamo-gauchistes… » . Céline Pina n’est pas en reste non plus dans sa tribune : « Ajoutons à cela qu’à Évry comme ailleurs, entre vision clientéliste du rapport au politique, montée en puissance de l’idéologie islamiste dans les esprits et replis identitaires, la victimisation est devenue une deuxième identité dans les quartiers et elle justifie tous les débordements et tous les refus de respecter la règle. »

Pourtant, le programme « L’avenir en commun » de la France Insoumise est clair et sans appel en la matière puisqu’il appelle à « combattre tous les communautarismes et l’usage politique de la religion ». De la même manière, aucune prise de position ou déclaration connue de Farida Amrani qui se présente avant tout comme une citoyenne, parent d’élève et syndicaliste ne laisse présager une quelconque complaisance avec l’islam politique. Rien ne justifie donc de telles allégations mais, dans un climat d’amalgames ambiants, personne ne semble demander aux vallsistes d’étayer des preuves de ce qu’ils avancent. Manuel Valls réitère ses propos sur le plateau de BFMTV le 4 juillet 2017 en répondant à Jean Jacques Bourdin qui lui demande s’il y a compromission entre la France Insoumise et les islamistes : « Oui, souvent, je l’ai vu en tout cas sur le terrain, en tout cas, un déni de refus d’un certain nombre de soutiens. Nous l’avons vu au cours de cette campagne. » sans que son contradicteur n’y trouve rien à redire. En raison de l’ampleur de la matrice médiatique, la charge de la preuve s’inverserait même : c’est à Farida Amrani qu’il reviendrait maintenant de se justifier, de montrer patte blanche et de prouver sa bonne foi au sens propre comme au sens figuré.

Pour compléter le tableau, Manuel Valls rajoute le soupçon de l’antisémitisme. Dans le même entretien à Libération, Manuel Valls déplore le fait que Farida Amrani « n’a rien dit » quand Dieudonné, candidat dans la circonscription battu, a appelé à voter pour elle au second tour. Il enfonce le clou : « C’est presque un angle mort. Comme on est du côté des plus faibles, on dit “ce sont des victimes”, on croit qu’il faut se mettre de leur côté, et on prend les voix. On est mal à l’aise, et on se retrouve à légitimer Dieudonné. » Même son de cloche et mêmes insinuations chez la journaliste Judith Waintraub (Figaro) qui estime sur BFMTV  qu’« il avait contre lui une coalition de mélenchonistes et de dieudonnistes. ». Les candidats qualifiés au second tour ne peuvent pas être tenus pour responsables des soutiens qu’ils engrangent à moins qu’ils les aient sollicités ou qu’ils les revendiquent par la suite. Ce n’est pas le cas de Farida Amrani en ce qui concerne Dieudonné. Peut-être Manuel Valls aurait-il apprécié que celle-ci appelle les électeurs de Dieudonné à ne pas voter pour elle, ce qui n’a aucun sens électoral. Dans un scrutin, chaque voix compte surtout lorsque le résultat s’annonce aussi serré. Manuel Valls le sait très bien et, d’ailleurs, il n’a rien dit non plus lorsque Serge Dassault, l’ancien sénateur-maire de Corbeil-Essonnes, vendeur d’armes de père en fils, condamné à 5 ans d’inéligibilité pour avoir caché des dizaine de millions d’euros au fisc et actuellement mis en examen pour achats de votes, lui a apporté son soutien.

Du reste, chez Manuel Valls, la dénonciation de l’islam politique est à géométrie variable. En effet, c’est sous son gouvernement que la France a remis la légion d’honneur à Mohammed Ben Nayef al Saoud, prince-héritier et ministre de l’intérieur d’Arabie Saoudite. C’est Manuel Valls qui s’enorgueillissait d’annoncer la signature de 10 milliards d’euros de contrats avec Riyad et qui ne trouvait pas indécent de faire des affaires avec l’Arabie Saoudite au nom de la défense de l’économie, de l’industrie et des emplois en France. En 2015, c’est bien son gouvernement qui a conclu avec le Qatar, une vente de 24 rafales  produits … par le Groupe Dassault. Le monde des puissants est petit et ne soucie guère de l’islam politique en son sein. La solidarité de classe dont ils font preuve n’a en revanche d’égal que leur mépris de classe à l’égard des habitants des quartiers populaires.

Crédits photo :© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.


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[Tribune] Une « nouvelle servitude » ? Par Jérôme Maucourant

L’image est dans le domaine public.

Le vote en faveur d’Emmanuel Macron pouvait se justifier de bien des façons, mais sûrement pas en raison d’un supposé danger fasciste. Un véritable abus de pouvoir est en train d’être réalisé par celui qui n’avait qu’un mandat : éviter à la France une expérience à la Trump ou à la Orban. La souveraineté populaire se dissout sous nos yeux au profit de celle de l’argent dans un monde de simulacres. Nous devons conjurer la menace du parti unique de la pensée unique et de son jeune roi. Que vienne le temps des monarchomaques ! Par Jérôme Maucourant[1].

Nombre d’électeurs, piégés par un système électoral inique, ont voté pour E. M., au second tour des élections présidentielles. Néanmoins, il ne cesse de faire comme si ce vote constituait une adhésion à son programme. Les appétits s’aiguisent déjà. Pour une bonne partie de ses partisans, ces 65% de votants constituent le socle d’une légitimité qui autoriserait la liquidation de notre modèle social. Mais, bien sûr, il y a là une évidente usurpation de la légitimité que donnent habituellement les suffrages populaires. Il y aura, comme en 2002, un abus de pouvoir si E. M. persistait dans cette voie. Souvenons-nous de Jacques Chirac instituant le peu regretté François Fillon en maître d’œuvre de la politique d’allongement de la durée de cotisation, ce qui signifiait, en bonne logique économique, une baisse de la valeur du travail, en récompense d’un mandat donné pour sauver la démocratie. En réalité, la campagne présidentielle n’a pas eu lieu. Elle a été réduite à un déversement d’immondices : pensons au feuilleton des affaires Fillon qui a occupé une partie significative du temps électoral. L’autre partie fut consacrée à la promotion sans vergogne d’E. M. devenu subitement « patriote » et sauveur suprême de la République en danger[3] ….

Pour renouer les fils vitaux unissant légitimité et légalité, il eût fallu s’engager à constituer un gouvernement d’union nationale décidant de mesures constitutionnelles qui permettent d’en finir avec les perversités d’un système où le « vote utile » s’impose dès le premier tour. Après quoi, ce gouvernement aurait été dissout. Le sommet de l’art démocratique eût même impliqué que le président récemment élu renonce à son mandat pour revenir devant les électeurs. Certes, au vu des positions développées à la mi-mai, cette décision, la seule à concilier, en nos temps de décomposition, la morale et la politique, est devenue impensable. C’est pourquoi la lutte qui s’esquisse à ce jour n’est pas seulement une opposition à l’eurolibéralisme, au parti unique de la pensée unique qui rassemble tant de forces et d’intérêts depuis trente ans, c’est aussi une lutte pour réhabiliter la dignité de la politique à un moment où tout est fait pour l’effacer. Beaucoup ont pris quelques malins bénéfices secondaires à jouir de cet affrontement « fascisme contre démocratie », en anticipant que perdure la neutralisation de toute opposition au calendrier néolibéral. Il est devenu évident que ces procédés très efficaces seront recyclés ad nauseam.

Toutefois, la fête est finie, la farce a assez duré : maintenant que Marine le Pen est renvoyée à quelques études de savoir vivre en société, la République doit reprendre ses droits. Si E. M. persiste à se croire investi d’un quelconque mandat pour appliquer son programme économique, à servir l’actuel ordre européen, à ne pas refuser le soutien que lui accorde l’islam politique[4],  à contrer une laïcité supposée « revancharde »[5], toutes choses pour lesquelles il n’a pas été élu, alors se constitueront les ingrédients d’une double crise, l’une tenant au social, l’autre au régime.

La question de la survie de notre contrat social est posée à l’heure présente, comme en attestent les coups de butoir portés par l’Union Européenne. Évidemment, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, ancien dirigeant d’un paradis fiscal, a encore expliqué que les dépenses publiques devaient être revues à la baisse[6]. Ce genre de personnage nous fait les poches le matin et la morale l’après-midi. C’est cela, l’Europe réellement existante, sans que les forces qui ont poussé E. M. au pouvoir ne trouvent rien à redire à cette transgression des règles élémentaires de la morale publique. Pourtant, réduire la dépense publique, c’est porter atteinte, avant toute chose, aux dépenses sociales qui sont souvent les revenus de ceux qui n’ont rien ou trop peu. Le conflit de classe ne peut aisément se dissimuler : l’Europe, c’est la guerre de classe à peine voilée, c’est aussi la guerre douce menée par les États du Nord de l’Union contre ceux du Sud via l’inefficace et inique monnaie unique[7].

Cette destruction de l’État social et la tolérance au communautarisme – voire son soutien – sont en réalité étroitement liées : le relâchement des liens qui unissait la nation républicaine implique, pour éviter le chaos, de fabriquer un ordre social où communautés, ethnies et confessions sont capables de régler, à leur façon bien particulière, la reproduction d’une société[8]. Il n’y a pas lieu d’opposer ainsi la lutte pour l’État social et le combat pour la laïcité. On ne peut promouvoir le communautarisme et s’étonner, alors, que la redistribution soit de plus en plus vécue comme illégitime : une telle délégitimation est d’ailleurs fort utile à E. M et aux libéraux qui l’entourent ! En réalité, il s’agit ainsi promouvoir un système clientéliste achetant la paix sociale. Ceci n’a rien à voir avec l’idéal de la solidarité républicaine auquel a donné forme, par exemple, le Conseil National de la Résistance.

Nous courons le danger de vivre dans un régime présidentiel où les potentialités monarchiques vont s’exacerber. Ceci est voulu par le monde des affaires qui sait que l’État doit être autoritaire pour instituer un capitalisme libéré le plus possible des entraves qui l’humanisent. C’est ainsi que le capitalisme libéral s’est institué il y a deux siècles[9] ; à ce jour, il veut reprendre son souffle en faisant payer à la société tout entière le fardeau d’une dette qui résulte de la seule crise de la finance. Nous tendons vers la monarchie absolue : l’opposition gauche-droite est balayée, la lutte des places remplace la lutte des classes.

Contre cette monarchie absolue et son parlement de soumission qui s’annonce, il faut s’opposer à l’abus de pouvoir. On a appelé « monarchomaques » ceux qui, au temps des Guerres de Religion, s’opposaient à l’absolutisme royal. Nous avons besoin, aujourd’hui, de millions de monarchomaques. Il faut lutter contre le désir de roi ou admettre que la liberté ne guide pas nos pas. Construit-on une démocratie sur l’abus de pouvoir érigé en principe ?

Crédits photo : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Boetie_1.jpg. L’image est dans le domaine public.

Notes :

[1] Économiste, auteur d’Avez-vous  lu Polanyi, Flammarion, 2011.

[2] En hommage à Guy Bois auteur, notamment de Une nouvelle servitude – essai sur la mondialisation, Paris, François-Xavier de Guibert et La mutation de l’An Mil – Lournand, Village Mâconnais, De L’antiquité Au Féodalisme, préface de Georges Duby, dont on peut lire un extrait dans URL : http://www.fayard.fr/la-mutation-de-lan-mil-9782213024202. Ce texte a été édité le 20 mai 2017 dans Paroles d’Actu , URL : http://parolesdactu.canalblog.com/archives/2017/05/21/35306869.html

[3] Sur ce point, voir Jérôme Maucourant, « Refuser l’Âge des Simulacres », Le Vent se lève, 6 mai 2017, URL : https://lvsl.fr/tribune-refuser-lage-simulacres-jerome-maucourant

[4] Ce fut sa ligne de conduite lors du débat de l’entre deux tours. L’UOIF ose, par ailleurs, affirmer que le vote pour Macron s’explique par la lutte de cette association contre le racisme et …. l’antisémitisme ! Voir

http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/quels-sont-les-liens-d-emmanuel-macron-avec-l-uoif-940393.html

[5] Fatiha Boudjahlat, « Macron ou Le Pen, la laïcité est perdante », Parole d’Actu, 4 mai 2017 : « Emmanuel Macron évoque avec une joie toute évangélique « l’intensité » de la pratique religieuse. C’est un élément de langage derrière lequel les extrémistes s’abritent quand on les renvoie à leurs pratiques rétrogrades : il ne s’agirait en fait que d’orthodoxie. Interrogé par Ali Baddou sur son refus de serrer la main des femmes, le président-fondateur de l’ONG religieuse Baraka City s’était justifié en donnant l’exemple des juifs orthodoxes qui s’en abstenaient tout autant. Il se décrivait lui et sa pratique religieuse comme « orthodoxes ». On rejettera une pratique religieuse radicale, rétrograde, obscurantiste, mais si elle n’est qu’orthodoxe, nous ne nous y opposerons plus, notamment parce qu’une telle pratique se présente comme conforme au dogme, et que la critiquer reviendrait à s’en prendre au dogme. » URL :

http://parolesdactu.canalblog.com/archives/2017/05/04/35248052.html

[6] La Tribune (avec AFP), « Juncker à Macron : “Les Français dépensent trop” », 08/05/2017, URL :

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/juncker-a-macron-les-francais-depensent-trop-707861.html

[7] « Regardez l’Espagne ou la Grèce : ils étaient en excédent avant la crise ! Ce n’est pas leur déficit qui a causé la crise, c’est la crise qui a causé leur déficit », Joseph Stiglitz, « Il faudra peut-être abandonner l’euro pour sauver le projet européen », Les Echos, le 16/09/2016. URL : https://www.lesechos.fr/16/09/2016/lesechos.fr/0211291713174_joseph-stiglitz—–il-faudra-peut-etre-abandonner-l-euro-pour-sauver-le-projet-europeen–.htm#fTRXM4l46zwHDGmY.99. Plus généralement, le regard critique envers le principe même de l’Euro ou de son fonctionnement sous la férule allemande n’émane pas seulement des économistes adeptes d’un certain interventionnisme, il émane aussi de l’aile libérale avec  des arguments bien partagés dans le monde des économistes professionnels, et d’un bon sens que ne possède pas encore le récent président français, cf. Milton Friedman, « The Euro: Monetary Unity To Political Disunity? », Project Syndicate, 28/08/1997, écrivant de façon prophétique « I believe that adoption of the Euro would have the opposite effect. It would exacerbate political tensions by converting divergent shocks that could have been readily accommodated by exchange rate changes into divisive political issues. Political unity can pave the way for monetary unity. Monetary unity imposed under unfavorable conditions will prove a barrier to the achievement of political unity » ;

[8] Voir ma contribution, « Devenir ce qu’on est : découvrir la laïcité comme idéal », Le Journal de Paris, mai 2017, URL : http://www.journaldeparis.com/devenir-ce-quon-est-decouvrir-la-laicite-comme-ideal/

[9] Voir la Karl Polanyi, La Grande Transformation, Paris, Gallimard, 1983.


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