Lutte anti-lobbys en France : où en est-on ?

Une manifestation contre les lobbies durant le mouvement Occupy Wall Street en 2011. © Carwil Bjork-James via Flickr.

Le poids des lobbys est un sujet d’inquiétude récurrent dans notre pays. La seule analyse du registre mis en place auprès de la Haute autorité de la vie politique, malgré des limites et des insuffisances patentes, permet d’en approcher l’ampleur et d’identifier les entreprises particulièrement actives auprès des pouvoirs publics.


L’influence des grandes entreprises auprès des pouvoirs publics ne se limite pas au seul chantage à l’emploi. Depuis plusieurs années, et selon le modèle anglo-saxon, les entreprises se mobilisent pour influencer le plus en amont possible les évolutions législatives. Jusqu’à récemment l’ampleur de cette activité restait encore mal cernée, ne pouvant s’appuyer que sur quelques témoignages d’élus concernant les invitations, les amendements pré-rédigés et la veille des ONG. Or la loi du 9 décembre 2016 a souhaité imposer à toute entreprise ou organisation ayant au moins un salarié engagé dans des actions de représentation (dirigeant compris) la déclaration des montants engagés et du nombre de personnes impliquées dans ces actions.

Qui dépense le plus en lobbying ?

À ce titre, l’analyse des données déclaratives du CAC40 est éloquente : ces entreprises ont dépensé au moins 15,7 M€ pour des actions de lobbying, soit 462 500€ en moyenne par entreprise. Cette moyenne doit en effet tenir compte du fait qu’à la lecture du registre quatre entreprises, et non des moindres, n’ont fait aucune déclaration : deux entreprises de conseil, dont les missions auprès du gouvernement et celui de la Défense en particulier, laissent peu de doute sur leur besoin de proximité avec les pouvoirs publics, et deux entreprises industrielles dont Hermès. Au global cette activité a mobilisé pas moins de 178 collaborateurs au sein de ces entreprises, dont 22 uniquement pour Sanofi, qui précise être intervenu pour favoriser certains de ces produits, notamment des vaccins, ou pour renforcer la sécurisation des boîtes de médicaments. Bien que le texte précise que le personnel dédié doit intégrer le dirigeant, deux entreprises ne déclarent aucun salarié, à savoir Kering, dont le dirigeant est François-Henri Pinault, ou bien Vinci, ce qui reflète mal a priori les efforts de l’entreprise pour obtenir marchés et concessions publiques.

En 2018 les entreprises du CAC40 ont consacré au moins 15,7 M€ aux actions de lobbying, 462 000€ en moyenne par entreprise.

Ce registre permet également de mesurer la place prise par les GAFAM dans la vie politique française dans la start-up nation et auprès d’un gouvernement pro-business. Ce n’est pas seulement leur capacité d’innovation ou encore le contexte de la loi sur les fake-news qui expliquent leur exposition, mais également des dépenses de représentation qui ont dépassé les 2,6 M€ en 2018. En ajoutant les sommes consacrées par Twitter, Uber et Airbnb, les principales entreprises américaines du numérique ont déclaré plus de 3 M€ de dépenses pour l’année 2018.

 

Source : Répertoire des représentants d’intérêts – Haute autorité pour la transparence de la vie publique – année 2018

Sans surprise, le secteur bancaire fait partie des secteurs les plus dépensiers, du fait de la présence en France de plusieurs grands groupes d’envergure européenne. En retenant ces principaux établissements, les montants déployés auprès des politiques ont atteint 5,4 M€, et 57 salariés sont recensés. Et si ces montants s’avéraient encore insuffisants pour influencer la réglementation bancaire, la Fédération française bancaire, association de représentation du secteur auprès des pouvoirs publics, a ajouté au moins 1,25 M€. Ces données révèlent également les efforts, aussi financiers réalisés par le seul Crédit Mutuel Arkea, 900 K€ investis, principalement pour soutenir son projet d’indépendance vis-à-vis de la fédération nationale, une somme qui a échappé aux sociétaires de la Caisse de Bretagne

Plus embarrassant, dans un contexte de pression continue sur les coûts des entreprises publiques, les principales participations de l’État ont elles dépensé 2,75 M€ pour influencer leur propre actionnaire, activité confiée à 38 salariés, et sans succès s’il s’agissait de revenir sur les velléités de privatisations du gouvernement.

Source : Répertoire des représentants d’intérêts – Haute autorité pour la transparence de la vie publique – année 2018

Une transparence encore opaque

Cet aperçu permet d’estimer dans l’ensemble les montants mobilisés par les grandes entreprises pour obtenir des décisions publiques favorables. Pourtant, l’analyse plus précise du registre fait apparaître des limites béantes dans ce grand exercice de transparence. Tout d’abord, le caractère public de la base de données incite les entreprises à imputer ces montants au nom de filiales moins connues. La seule recherche de Carrefour, l’enseigne de grande distribution, fait apparaître un montant de 50 K€. Mais il faut ajouter à cela les sommes déclarées par ses filiales Carrefour France ou Carrefour management pour avoir une vision des dépenses véritables du groupe : entre 250 K€ et 475 K€.

À l’inverse, dans le cas de filiales spécialisées, il peut s’avérer opportun de regrouper les sommes dépensées par les filiales d’un groupe afin de ne pas pouvoir les associer à une seule activité, peut-être jugée plus sensible. Ainsi la répartition des dépenses au sein du groupe Bouygues apparaît surprenante, puisque si Bouygues Immobilier a déclaré plus de 100 K€ de frais de représentation, la filiale Bouygues Construction aurait engagé moins de 10 K€ alors que les activités sont proches, ce qui pose la question du véritable bénéficiaire des activités déclarées.

Le registre tel qu’il est constitué ne permet pas non plus de disposer de l’intégralité des thèmes abordés par une entreprise auprès des décideurs. Ainsi, à la question de savoir quel usage a fait EDF du million d’euros dépensé en représentation, celui-ci invoque exclusivement le fait de « favoriser le développement de la production solaire photovoltaïque par l’aménagement de son cadre réglementaire » et d’autres thème en lien avec l’environnement alors que d’autres sources d’énergies ont certainement dû être évoquées lors des échanges.

Pour prendre la pleine mesure de l’influence d’une entreprise, il faut également tenir compte des dépenses engagées par les associations et fédérations d’entreprises. En parallèle de la Fédération bancaire française, évoquée précédemment, la Fédération française de l’assurance (FFA) a dépensé plus de 1,25 M€ pour défendre les intérêts de ses membres. Dans le même esprit, Vinci, indique seulement une dépense en représentation inférieure à 10 K€ en 2018 malgré le rôle qui lui est imputé, et aucun salarié ne défendant ses intérêts, mais dans le même temps l’Association professionnelle des Sociétés françaises concessionnaires ou exploitantes d’autoroutes (ASFA) représentant les intérêts des exploitants a mobilisé au moins 100 K€ pour « proposer des solutions autoroutières en faveur des mobilités du quotidien ». Pour illustrer, on peut citer les dépenses cumulées par les organisations patronales généralistes, qui s’élèvent à elles seules à 3,5 M€ pour l’année 2018.

Le lobbying s’effectue également de manière indirecte, par l’intermédiaire de cabinets spécialisés. Certes, la législation intègre ce cas et les cabinets de relations publiques et d’avocats sont soumis à cette obligation, mais le répertoire n’impose pas à ces cabinets de dévoiler quels sont leurs clients ce qui limite la connaissance de la réalité du lobbying.

Enfin, le registre contient des données génériques qui ne permettent pas d’appréhender, pour une même entreprise, l’usage exact des dépenses réalisées. En effet, la production d’une étude juridique ou technique n’a pas le même impact que les dîners organisés en compagnie d’élus ou la commande de sondage pour influencer l’opinion. De la même façon, le rapport de force d’une entreprise du CAC40 avec un parlementaire ne sont pas de même nature qu’avec des élus locaux concernés par un projet.

Une autorité qui manque de hauteur

La mise en place de la Haute autorité de la vie politique constitue certes une avancée dans le contrôle des comportements du personnel politique, mais encore insuffisante pour garantir la « moralisation de la vie politique ». Ainsi, alors qu’en 2017 la Haute autorité prenait la charge de la surveillance des activités de représentation, ses moyens paraissent encore très limités : les effectifs sont passés de 40 collaborateurs à 52 en 2018, tandis que le périmètre à contrôler s’est nettement étendu avec 6 362 déclarations nouvelles déposées par 1 769 organisations. Ceci explique, avec la nouveauté de cet outil, la faiblesse des contrôles effectifs.

Le contenu du registre des activités de lobbying lui-même n’est pas exempt de critiques. Sa portée principale reste incontestablement de pouvoir approcher l’ampleur de ce phénomène et de le mettre en débat, au moment où tant de citoyens ont le sentiment de ne pas être entendus. Mais le débat ressort affaibli des lacunes évoquées : dispersion des informations pour un groupe, défaut de précision sur la nature des thèmes abordés, absence d’informations sur l’emploi des dépenses réalisées, absence de vision sur le périmètre exact des dépenses incluses (déjeuners, mécénats…). Pour contrecarrer cette activité qui a atteint un niveau susceptible de compromettre un fonctionnement sain de notre démocratie et rétablir la confiance, c’est l’intégralité de la documentation remise aux pouvoirs publics qui devrait être disponible et discutable.

Le législateur a instauré une limite au financement des campagnes électorales, il pourrait aussi plafonner les dépenses de lobbying.

Enfin, si le législateur a instauré une limite aux dépenses de campagne afin de limiter la capacité des plus grandes fortunes à s’offrir une élection, il apparaît plus que jamais nécessaire de plafonner les dépenses de lobbying afin d’éviter un phénomène comparable une fois l’élection passée. Enfin, il faut prendre garde à ce que la publication de ces informations ne devienne pas contre-productive en décourageant les activistes par l’ampleur des moyens de leurs adversaires et contribue à banaliser ce phénomène.

Alors que des moyens de contrôles publics sont insuffisants, la multiplication d’outils de contrôle (Commission nationale des comptes de campagne, validation des comptes par le Conseil constitutionnel, Haute autorité pour la transparence de la vie politique, Parquet national financier) semble conçue pour diluer l’effort de transparence. En l’absence d’efficacité des outils de détection des mauvaises pratiques et d’une culture de la probité, qui empêche par exemple les élus mis en cause de retrouver leur mandat même après des excès avérés, les comportements sont peu amenés à changer comme le montre plusieurs exemples récents.

Qu’est devenu l’intérêt général ?

Alors qu’un grand nombre de citoyens a récemment appelé à une démocratie active, en opposition à la captation de la puissance publique par les intérêts privés, cette exigence se heurte aux moyens mobilisés par les entreprises et leurs représentants pour dicter l’agenda de la majorité, comme le montre le cas emblématique de la suppression de l’ISF mis au jour par France Culture. C’est dans ce contexte que les associations environnementales et caritatives sont contraintes d’aligner leur pratiques sur celles des grandes entreprises pour espérer faire entendre leurs voix auprès des décideurs, ce qui les prive de ressources importantes. C’est le cas notamment de France Nature Environnement qui y a consacré plus de 3,5 M€ ou du Secours Catholique.

C’est contre ce mur de l’argent et ses conséquences sur le quotidien et la santé des populations que se dressent de plus en plus de mouvements citoyens de résistance contre le pouvoir des grandes entreprises, en parallèle des traditionnelles associations de consommateurs : associations de victimes des laboratoires pharmaceutiques, lutte contre le projet d’Auchan dans le triangle de Gonesse… Cette conception heurte frontalement le mythe libéral selon lequel le citoyen, par ses comportements d’achats, finit nécessairement par transformer l’entreprise de l’extérieur. Et, implicitement, que les mauvais comportements des entreprises sont donc validés par ceux qui continuent d’acheter leurs produits, empêchant l’émergence de toute alternative.

Cette vision semble reléguer l’intérêt général à une notion du « vieux monde » pour livrer la puissance publique au plus offrant. Cette étape incarne l’évolution dans son développement ultime de la « grande transformation » décrite par Karl Polanyi dès 1944 qui voyait le désencastrement de la sphère économique du cadre de régulation imposé par l’État pour imposer ses règles à la société. Désormais, la sphère économique, et en particulier les grandes entreprises, ont fini d’assujettir l’État et ses moyens. Bien que ce phénomène dépasse largement le cadre français, il s’appuie dans notre pays sur un régime politique qui conduit à concentrer les leviers du pouvoir dans les mains d’un nombre réduit d’individus, particulièrement vulnérables à la centralisation des décisions et à une conception verticale du pouvoir. Ainsi, les lobbys les plus influents maîtrisent parfaitement le processus de fabrication de la loi et s’y intègrent pleinement, en s’appuyant sur une connaissance fine des réseaux de pouvoir, comme l’a illustré l’affaire du registre tenu par Monsanto sur les décideurs publics.

Dans le cadre institutionnel actuel et avec l’arrivée au pouvoir, dans le sillage d’Emmanuel Macron, d’une élite technocratique familière du privé, la vigilance des citoyens et la contribution de spécialistes engagés pour l’intérêt général est plus nécessaire que jamais. Ainsi, outre l’existence de situations de conflits d’intérêt manifestes jusqu’à l’Élysée même, les grands débats de société finissent par être réduits à des arbitrages entre intérêts commerciaux concurrents et ceci dans la plus grande opacité. L’avenir dira si l’intérêt général est une notion définitivement démodée dans le nouveau monde.

Pour aller plus loin : « Académie Notre Europe » : Quand les lobbys tentent de former des journalistes, par Cyprien Caddeo.


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Elizabeth Warren : alliée ou ennemie de Sanders ?

Elizabeth Warren aux côtés d’Hillary Clinton. Bernie Sanders, sénateur du Vermont. © Tim Pierce et Gage Skidmore via Wikimedia Commons.

Lors des débats de la primaire démocrate Elizabeth Warren et Bernie Sanders se sont mutuellement épargnés et ont focalisé leurs attaques sur les multiples candidats de l’establishment, Biden en tête. Une stratégie efficace à en juger par le désarroi de l’aile centriste des Démocrates, documenté dans nos colonnes. Mais la similarité des programmes de Warren et de Sanders est l’arbre qui cache la forêt : la sénatrice du Massachusetts adopte une démarche technocratique visant à réconcilier les Démocrates autour de propositions modérées tandis que Sanders se pose en leader d’un mouvement “révolutionnaire” qui ne se limite pas à la conquête de la Maison Blanche.


Une proximité avec Sanders… mais aussi avec Clinton

Élu à la Chambre des Représentants de 1991 à 2007 et au Sénat depuis, Bernie Sanders a longtemps été le seul élu n’appartenant ni aux Démocrates, ni aux Républicains. Quant à ses convictions (gratuité de l’université, Medicare for All, pacifisme…), on ne peut pas dire qu’elles soient partagées par ses collègues. Ainsi, l’élection de Warren au Sénat en 2013, qui défend des mesures de régulation du capitalisme américain débridé, rompt l’isolement de l’élu du Vermont. Bien que Sanders ait toujours été plus radical que l’élue démocrate, il n’hésite pas à soutenir ses propositions modérées, comme le Bank on Student Loans Fairness Act, qui limite les taux d’intérêt des prêts étudiants, mais n’abolit pas la nécessité d’y recourir. Les occasions de coopération entre les deux sénateurs sont nombreuses au cours des années suivantes, notamment autour du Medicare for All, c’est-à-dire une protection maladie universelle.

La stratégie de Warren est en réalité la même depuis des années : convaincre l’establishment démocrate d’accepter quelques concessions sociales en leur proposant de canaliser le dégagisme et les exigences socialistes portées par Sanders.

En 2016, lorsque Sanders décide d’affronter Hillary Clinton, couronnée d’avance par tout le parti démocrate, Warren demeure très silencieuse. Bien qu’elle encourage Sanders à continuer sa campagne, elle annonce son soutien à Clinton en juin 2016 alors que le retard de Sanders devient irrattrapable. Grâce à sa popularité, qui fait d’elle la figure majeure de l’aile gauche du parti, elle est pressentie pour devenir vice-présidente de Clinton et cherche à imposer des politiques progressistes dans le programme de cette dernière. Cette stratégie fut un échec total. Trop confiante en elle-même et soumise aux lobbies, l’ancienne première dame n’accepte aucune des idées de Warren et préfère aller draguer les électeurs républicains rebutés par Trump. Ainsi, elle choisit Tim Kaine, un sénateur au profil très conservateur, comme running mate. Depuis, les deux femmes sont resté en contact et Warren compte sur le soutien de l’ancienne candidate pour obtenir le soutien des superdélégués démocrates. Ces pontes démocrates, très décriés en 2016 car ils ne sont pas élus, pourraient encore jouer un rôle majeur dans la sélection du candidat du parti. En effet, il est probable que l’éparpillement des voix lors de la convention du parti n’aboutisse pas à la majorité requise, entraînant un second vote lors duquel les superdélégués ont toujours le droit de vote. La stratégie de Warren est en réalité la même depuis des années : convaincre l’establishment démocrate d’accepter quelques concessions sociales en leur proposant de canaliser le dégagisme et les exigences socialistes portées par Sanders.

“Warren a un plan pour ça”

Loin d’être une conspiration, la sympathie d’Elizabeth Warren à l’égard des tous les défenseurs de l’inertie néolibérale se traduit également dans sa campagne. Quoique les propositions phares de la candidate ressemblent à celles de Sanders, le diable se niche dans les détails. Son plan pour une assurance santé serait par exemple mis en place en deux temps, et les compagnies d’assurance privées ne seraient pas abolies immédiatement, mais “à terme”. Or, si elle n’utilise pas la fenêtre d’opportunité que représenterait son élection, elle perdra rapidement le soutien des électeurs et ne parviendra pas à vaincre l’industrie pharmaceutique et les assureurs, qui sont près à tout pour conserver leur profits. Quant au financement du Medicare for All selon Warren, il correspond à une taxe sur les classes moyennes que la candidate prétend éviter. De tels “compromis” aboutiront nécessairement à la démoralisation des Américains, qui renonceront à défendre leurs intérêts si la réforme phare qu’on leur avait promis offrent des résultats décevants.

Il en est de même en matière de financement de sa campagne: alors qu’elle met en avant le fait qu’elle n’accepte que les petits dons, tout comme Sanders, elle a pourtant utilisé les 10,4 millions de dollars offerts par des gros donateurs (notamment issus de la Silicon Valley) qu’il lui restait de sa campagne de réélection au Sénat en 2018. Et ne s’est pas privé d’évoquer qu’elle accepterait les dons de super PACs si elle gagnait la primaire… Aucun doute n’est donc permis : le financement, même partiel, de sa campagne par des groupes d’intérêts va obligatoirement la conduire à des positions plus molles. Alors que la trahison des espoirs de changement incarnés par Obama – qui débuta son mandat en sauvant le secteur bancaire – a contribué au succès de Trump en 2016, les Démocrates s’entêtent à défendre les vertus du compromis et de la gestion rigoureuse des comptes publics, dont les Républicains se fichent éperdument. Quoiqu’elle ose être plus radicale que la moyenne, Elizabeth Warren ne fait pas exception à la règle.

T-shirt “Warren has a plan for that”. Capture d’écran du site de la candidate.

L’ancienne professeure de droit (Warren a enseigné dans les universités les plus réputées, dont Harvard, ndlr) joue à fond sur son image d’universitaire capable de concevoir des projets de lois complexes traduisant ses engagements de campagne. A tel point qu’on trouve sur son site de campagne un t-shirt “Warren has a plan for that”, un refrain récurrent de ses militants devenu un mème internet. Ce positionnement technocratique de policy wonk dépolitise sa campagne en encourageant ses soutiens à se contenter de la faire élire puis à lui faire confiance, plutôt que d’engager de vrais rapports de force avec les banquiers, les milliardaires et les multinationales. 

Plus risqué encore, Elizabeth Warren joue à plein la carte de l’affrontement culturel contre Donald Trump, terrain où les Démocrates finissent toujours perdants. Plutôt que d’évoquer les difficultés que vivent les Américains, elle a cherché à démontrer à Trump, qui la surnomme “Pocahontas” qu’elle avait bien un peu de sang d’origine amérindienne, certificat à l’appui. Réponse du président : “who cares?” Accorder une quelconque importance aux propos provocateurs du locataire de la Maison Blanche revient à lui offrir la maîtrise des termes du débat. Il y a ainsi fort à parier que les torrents de racisme, de sexisme et de mensonges utilisés par Trump pour gagner il y a 3 ans auront le même effet en 2020 s’ils sont toujours au centre de l’élection. Mais cette focalisation sur les enjeux culturels et la défense, évidemment nécessaire et légitime, des droits des minorités est une stratégie pertinente pour convaincre les électeurs de la primaire démocrate. Ce corps électoral est avant tout composé de personnes éduquées, évoluant dans un monde cosmopolite et aux positions professionnelles plutôt confortables. Le magazine Jacobin les nomme ironiquement “Patagonia Democrats– en référence à la marque de vêtements dont les polaires à plusieurs centaines d’euros sont très populaires chez les cadres “cool” – et rappelle que les Démocrates ont gagné les 20 districts les plus riches du pays lors des midterms de 2018. Avant d’ajouter que Warren est donné gagnante auprès des personnes qui gagnent plus de 100.000 dollars par an par tous les sondages. 

En résumé, le positionnement modéré d’Elizabeth Warren, entre un Joe Biden qui mène une mauvaise campagne et un Bernie Sanders jugé trop radical par les démocrates classiques, lui offre une chance solide d’être la candidate de l’opposition. Mais sa volonté de compromis et sa mise en avant du clivage culturel ne lui donnent guère de chances contre Trump et limite sérieusement l’espoir d’un changement radical de la politique américaine.

Sanders appelle à la “révolution politique”

Après le succès inattendu de sa campagne de 2016, Bernie Sanders n’a pas voulu laisser retomber l’espoir qu’il a fait naître. Il a ainsi mis sur pied “Our Revolution, une structure qui vise à faire élire des personnalités aux idées proches des siennes et est venu apporter son soutien à toutes les luttes qu’il entend défendre. Signe que les luttes sociales sont de retour, le nombre de grèves aux USA est en effet à son plus haut depuis les années 1980. Qu’il s’agisse de salariés d’Amazon, d’enseignants, d’employés de fast-food ou d’autres professions, l’appui du sénateur du Vermont a galvanisé les grévistes qui se battent pour de meilleurs salaires et conditions de travail et sans doute joué un rôle dans les victoires importantes obtenues ces derniers mois. Durant ses meetings, le candidat encourage systématiquement ses supporters à soutenir les luttes sociales autour chez eux et son équipe envoie même des invitations à rejoindre les piquets de grève par email et SMS. En retour, les prolétaires de l’Amérique contemporaine lui témoignent de leur confiance par des petits dons : en tête de ses donateurs, on trouve les employés de Walmart (chaîne de supermarché, premier employeur du pays), de Starbucks, d’Amazon, Target (autre chaîne de supermarché) et du service postal.

Bernie Sanders et Alexandria Occasio-Cortez en meeting dans l’Iowa. © Matt A.J. via Flickr.

En parallèle de cette mobilisation sur le terrain, Sanders met aussi à profit sa présence au Sénat en proposant des projets de loi comme le Stop BEZOS Act (du nom du patron d’Amazon, homme le plus riche du monde), le Raise the Wage Act, le Medicare for All Act ou le College for All Act, forçant les élus démocrates à se positionner sur les enjeux socio-économiques. Car le leader socialiste ne se fait pas d’illusions: sa victoire ne serait que le début, et non l’achèvement, du démantèlement du néolibéralisme. Un de ses slogans de campagne, “Not me, us!”, traduit cet appel à un mouvement social de masse en parallèle de sa candidature.

Le leader socialiste ne se fait pas d’illusions: sa victoire ne serait que le début, et non la fin, du démantèlement du néolibéralisme. Un de ses slogans de campagne, “Not me, us!”, traduit cet appel à un mouvement social de masse en parallèle de sa candidature.

Les médias, bien sûr, préfèrent se concentrer sur le commentaire des sondages et ne ratent pas une occasion d’annoncer que sa campagne ne prend pas, alors que Sanders a environ autant d’intentions de vote que Warren et Biden. Beaucoup de journalistes l’attaquent sur son âge, 78 ans, notamment suite à une récente attaque cardiaque, mais il faut dire que celui de ses concurrents est relativement proche : Joe Biden a 76 ans, Donald Trump en a 73 et Elizabeth Warren 70. Un autre stéréotype mis en avant par les médias est celui du profil de ses soutiens, dénommés “Bernie bros”, qui seraient presque exclusivement des jeunes hommes blancs de gauche. Il est pourtant le candidat qui reçoit le plus de dons de la part des latinos, des militaires et des femmes et les sondages le place en tête des intentions de vote chez les afro-américains, à égalité avec Joe Biden. Quant à ses propositions, plus radicales dans tous les domaines que celles de Warren, elles sont bien sûr sous le feu des critiques.

Si d’aucuns reprochent au sénateur du Vermont son chiffrage parfois moins précis que celui de Warren, d’autres mettent en avant sa fine compréhension du jeu politique, affaire de rapport de forces : Sanders est conscient que pour avoir une quelconque chance d’appliquer son programme, il ne lui suffira pas d’être élu président, mais devra compter sur le soutien de millions d’Américains prêts à se mobiliser pour soutenir ses efforts.

Cela lui suffira-t-il pour gagner la primaire, puis l’élection contre Trump ? Même s’il est encore tôt pour en être certain, des signaux faibles permettent de l’envisager. Ses meetings ne désemplissent pas et donnent à voir des foules immenses, comme à New York le mois dernier et à Los Angeles plus récemment. Alexandria Occasio-Cortez, plus jeune élue du Congrès à 29 ans, enchaîne les meetings à ses côtés et va à la rencontre des électeurs dans les Etats clés, notamment l’Iowa, premier état à voter dans les primaires, et la Californie, qui fournit le plus grand nombre de délégués. Ce soutien de poids et l’image personnelle de Sanders, celle d’un homme ayant passé toute sa vie à défendre les causes qu’il porte aujourd’hui, l’aident à se différencier nettement de Warren. Le sénateur du Vermont se refuse en effet à attaquer de façon directe sa concurrente afin de ne pas froisser ses électeurs et de conserver de bonnes relations avec celle qui pourrait être son alliée s’il gagne la primaire. 

S’il obtient la nomination, le leader socialiste a de bonnes chances de défaire Donald Trump, ce que confirme presque tous les sondages. Contrairement à ses rivaux démocrates qui ont du mal à élargir leurs bases électorales, Bernie parvient en effet à séduire nombre d’abstentionnistes et d’électeurs républicains. En avril, lors d’un débat organisé par Fox News (il est le seul candidat de la primaire à s’être prêté à l’exercice), il a reçu le soutien de l’écrasante majorité du public malgré les attaques répétées des présentateurs de la chaîne conservatrice. Bien qu’il refuse de l’avouer en public, Donald Trump est conscient du fait que sa base électorale puisse lui échapper au profit du défenseur du socialisme démocratique: lors d’une réunion à huis clos, il aurait déclaré : “il y a des gens qui aiment Trump (sic), mais pas mal de monde aime bien les trucs gratuits aussi“, en référence aux propositions d’annulation des dettes étudiantes et de la gratuité d’accès à la santé. On comprend donc mieux pourquoi le président américain essaie de faire de Joe Biden son adversaire l’an prochain !


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La bataille des lobbies européens autour de la directive copyright

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Network Digital Internet Data Technology Matrix

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique sort de sa phase de négociation et aborde sa dernière ligne droite : celle des adoptions par les deux co-législateurs que sont le Conseil européen et le Parlement européen. Depuis sa création, la proposition de directive cristallise les passions. État des lieux des jeux d’influence et des tractations européennes opérées sur ce texte depuis son entrée en négociation en septembre 2018.


Il est des actes législatifs européens qui cristallisent enjeux et luttes d’influence à travers le continent. La directive copyright, objet d’intensives batailles rangées entre lobbyistes, centralise autour d’elle de fortes crispations. La cause ? Une altération de plusieurs droits et principes fondamentaux européens et de l’Internet : la liberté d’expression, le partage/l’échange libre et ouvert des connaissances et informations à travers le continent.

L’actuelle proposition de directive copyright

Initialement conçue pour moderniser et harmoniser les cadres applicatifs des droits d’auteurs et du droit voisin sur Internet, la proposition de directive prétendait « favoriser l’innovation » ou l’« émergence de nouveaux acteurs ». La « proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique » dans sa version actualisée souhaite provoquer un renversement paradigmatique des droits d’auteur et du droit voisin – ayants-droits – sur Internet ainsi que des principes fondamentaux du World Wide Web. Et cela de deux manières :

[1] L’article 13 propose de revoir le système de « Notice and take down », filtrage a posteriori où les plateformes en ligne sont considérées comme simples hébergeurs de vidéos. À la place, le texte prévoit d’imposer le système de filtrage a priori des contenus postés sur internet en incitant les plateformes en ligne à avoir recours aux nouvelles technologies de robocopyright (censorship machine comme le Content ID pour YouTube, Signature pour l’INA et Dailymotion, Audible Magic) par l’implémentation de filtres de téléchargement. Il s’agit d’un bouleversement majeur visant à entraîner la responsabilité des plateformes en ligne dans la détection de contenus contraires aux droits d’auteur-droit voisin et à contourner ainsi la jurisprudence SABAM depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 24 novembre 2011 qui concluait que les droits d’auteur ne sont pas supérieurs à la liberté de recevoir et de communiquer des informations.

[2] L’article 11 propose la taxation des agrégateurs d’information – Google Actualités, Digg, Reddit – qui exploitent ou référencent des articles de presse (titre, résumé, lien URL). Le dispositif, qui existe en Espagne depuis 2014 et qui a failli être mis en place en Allemagne (Google Lex), met en cause les principes fondamentaux à l’origine de l’Internet et du web. Un système de taxation actif en aval mais qui n’évoque pas l’idée d’une taxation plus générale du portefeuille d’activités des plateformes en amont comme par exemple, taxer Google Actualités sans taxer Alphabet Inc., société-mère de l’ensemble des applications de Google.

En entrant dans une phase de négociation inter-institutionnelle également appelée trilogue, entre septembre 2018 et février 2019 la proposition de directive copyright est discutée entre plusieurs représentants du Conseil, du Parlement européen et de la Commission européenne dans des conditions opaques. Au cours de cette phase, trois campagnes de lobbying intensives et antagonistes ont eu lieu autour du texte.

Une campagne de lobbying anti-directive intensive

Les entreprises de rang mondial comme les GAFAM se sont très vite lancées dans la bataille contre cette proposition de directive qui va à l’encontre du business model de leurs plateformes en ligne qui vise à fournir aux utilisateurs un maximum de contenu tout en redistribuant une part modeste des bénéfices générés aux auteurs et aux ayants droit. De nombreux lobbies du secteur se sont engagés dans la bataille. Le CCIA, Digital Europe, l’EDiMA (association commerciale représentant de nombreuses plateformes en ligne : Google et Facebook notamment), le think tank français Renaissance numérique (qui a pour partenaires les filiales françaises de Google, Microsoft et Facebook), des entreprises plus directement comme Alphabet Inc. (Google, YouTube) ont lancé une campagne de lobbying intense et quasi-inédite dans l’histoire du Conseil et du Parlement européen. La célèbre plateforme en ligne YouTube fut l’un des fers de lance de cette activité de lobbyisme. Le lundi 22 octobre 2018, Susan Wojcicki, CEO de YouTube, envoie un message à tous les créateurs de la plateforme pour leur demander de s’engager contre le projet de directive européenne : « Expliquez, sur les réseaux sociaux et sur votre chaîne, pourquoi l’économie créative est importante et comment vous serez affectés par cette directive ». Objectif : transformer les youtubeurs en militants anti-article 13 en faisant miroiter la supposée fin de YouTube.

En novembre 2018, Axel Voss, député européen et rapporteur général de la proposition de directive pour le Parlement, invita Susan Wojcicki à Strasbourg afin de débattre du texte. Une rencontre qui permit à des équipes de la plateforme d’opérer un lobbying intensif au sein même des locaux du Parlement européen qui ne fut pas au goût d’une partie des députés. Samedi 19 janvier 2019, changement d’échelle et de public. Google lance une campagne d’affichage de certains résultats de son moteur de recherche en appliquant supposément la proposition du projet de directive européenne. Le résultat : une page d’accueil caviardée-tronquée, sans titres d’articles, sans images ou snippets qui sont des résumés de liens internet ou d’articles, non-référencement des articles des sites Le Monde/Le Parisien/BFMTV avec comme seul affichage des résultats de Wikipédia. Le mardi 22 janvier 2019, Jennifer Bernal, responsable des relations publiques pour l’Europe, le Moyen Orient et l’Afrique, surenchérissait et mettait une nouvelle fois en garde dans une interview accordée à Bloomberg sur l’option visant à supprimer Google Actualités du territoire communautaire en cas d’adoption de l’article 11 en l’état. Des demandes de révision et clarification du texte que renouvellent aujourd’hui l’entreprise au travers de son Senior Vice-President of Global Affairs, Kent Walker, sur une note de blog du 3 mars 2019 après l’adoption du texte en trilogue. Une campagne globale qui a lancé le hashtag #SaveMyInternet, et appuyé une pétition majeure regroupant actuellement 4,93 millions de signatures « Stop the censorship-machinery ! Save the Internet ! ».

Les ONG de l’internet libre et ouvert, consommateurs et les universitaires : une société civile face à la fragilisation des droits et principes fondamentaux

Les ONG de défense des libertés sur internet, programmeurs, de défense des consommateurs et certains universitaires se sont également très vite lancés dans la bataille contre cette proposition de directive. Le réseau European Digital Rights (EDRi) composé de 39 ONG, la fondation Mozilla, la fondation Free Software Foundation Europe, le think thank  OpenForum Europe, la Quadrature du Net, l’APRIL, Public Knowledge, Creative Commons, Syntec Numérique, le Comité National du Logiciel Libre ou encore l’Electronic Frontier Foundation, ONG majeure de la défense des libertés numériques ont ainsi élaboré différentes stratégies d’information du public et de lobbying. Ont été mises en place des veilles juridiques, législatives et parlementaires, des lettres ouvertes comme le 16 octobre 2017 par Liberties et l’EDRi et le 29 Janvier 2019 par l’EDRi et 87 ONG appelant au retrait des articles 11 et 13. Il y a eu également le lancement des campagnes Savecodeshare.eu, Saveyourinternet.eu, #SaveYourInternet, #SaveOurInternet, #SaveTheLink. De son côté, l’association européenne des consommateurs BEUC évoque une difficulté supplémentaire pour les usagers de partager en ligne leurs propres musiques-vidéos-photographies sans but lucratif et dénoncent une réforme déconnectée des réalités vécues de l’Internet. Il est à noter que ces deux premiers types d’acteurs, bien qu’opposés au texte, ne font pas bataille commune. Les ONG de défense des libertés sur internet se sont ainsi immédiatement désolidarisées des entreprises de rang mondial avec qui elles ne partagent que peu de valeurs et qu’elles combattent quotidiennement, de par leurs pratiques jugées non-éthiques et leurs positions monopolistiques dans le secteur numérique.

Du côté des universitaires, de nombreux travaux ou lettres ouvertes faisant état d’un scepticisme sur la proposition de directive ont été publiés. C’est le cas d’un article universitaire co-signé par six enseignants-chercheurs dans la European Intellectual Property Review. À l’intérieur, ces chercheurs des universités de Stanford, Cambridge, Amsterdam, Oslo et de l’Institut Max Planck remettent notamment en cause les principes de filtrage a priori de l’article 13 et du considérant n°38. Ils proposent ainsi plusieurs alternatives permettant de préserver l’intégrité des droits fondamentaux de l’Union européenne comme la liberté d’expression et certains principes majeurs de l’Internet. Des réserves également exprimées depuis Genève par le rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression, David Kaye, en juin 2018. Concernant la taxe sur les liens et résumés sur internet, une centaine de pionniers de l’Internet, dont Vint Cerf et Tim Berners-Lee, ont pris une position publique mettant en avant les risques de contrôle et de censure des réseaux de l’Internet par une poignée d’ayants droit majeurs comme les grands éditeurs, majors de disque etc.

Les organisations de médias et grands éditeurs : un lobbying pro-directive important mais discret

En revanche, les organisations de médias et grandes maisons d’édition dans les domaines de la musique, de la télévision et du cinéma ainsi que les entreprises de filtrage se sont engagées de façon plus discrète et selon des calendriers très différents en faveur de cette proposition de directive.

Étrangement, les organisations de médias et grandes maisons d’édition comme la European Magazine Media Association, la European Newspaper Publishers’ Association, le European Publishers Council, News Media Europe ou encore le Syndicat de la presse quotidienne nationale en France ont agi de façon bien plus discrète en coulisses, se distinguant des deux types de lobbying précédents en médiatisant peu leurs positions. Seul un communiqué de presse de la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe du 4 décembre 2018 dénonce une « campagne de désinformation massive » venant de plusieurs plateformes numériques en ligne.

Les organisations d’ayants-droit furent plus actives à travers des acteurs comme la SAA Authors EU, la SACEM en France ou encore la SABAM en Belgique. Demandant à ce que l’article 13 conserve sa dureté, ils mettent en avant depuis les débuts du trilogue la nécessité que l’article ne soit pas vidé de sa substance pour obliger les plateformes en ligne à rétribuer correctement les grands éditeurs. Alors que les négociations au sein du Conseil bloquaient, une action de lobbying majeure fut tentée le 7 février 2019 par la Fédération internationale de l’industrie phonographique – l’un des plus importants lobbies pro-article 13 – qui tenta un coup de bluff en menaçant de ne plus soutenir le projet de directive si aucun accord en faveur du texte n’était trouvé en Conseil.

Les entreprises spécialisées dans l’élaboration et la vente de technologies de filtrages sont quant à elles actives depuis l’élaboration du brouillon de la proposition de directive copyright en 2016, et ceci dans l’objectif de faire inscrire leurs produits dans la législation européenne.

Pour les groupes politiques à l’origine de la directive copyright le temps manque et l’étau se resserre. À quelques mois des élections européennes 2019 et des perspectives d’une nouvelle mandature aux équilibres politiques plus complexes, la proposition de directive n’a que deux issues : s’imposer ou exploser.


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Perturbateurs endocriniens : l’Europe ruine notre santé !

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Appel de Prague ©Nathalie Ruaux

Mercredi 21 décembre, les Etats ont refusé une proposition de réglementation des perturbateurs endocriniens faite par la Commission européenne. Un coup d’arrêt aux manœuvres de Bruxelles pour continuer à nous faire avaler ces substances nocives pour notre santé. Alors que les puissants blablatent, les multinationales de l’industrie chimique se frottent les mains et continuent à nous empoisonner. 

La Commission Européenne défend mordicus les perturbateurs endocriniens !

Retour à l’envoyeur ! Mercredi 21 décembre, alors que certains d’entre vous aviez le nez dans vos derniers préparatifs de Noël, une partie de notre santé se jouait à Bruxelles. Engluée dans ses contorsions pour servir les différents lobbys avec lesquels elle s’est compromise, la Commission faisait une proposition de texte aux États. Officiellement, il s’agissait d’interdire les perturbateurs endocriniens. Alléluia ! L’Europe protège enfin notre santé ! Manque de pot, l’UE, c’est comme les assurances : il vous suffit de regarder les trois lignes en petits caractères en bas du contrat pour comprendre qu’on essaie de vous enfumer.

Regardons-y de plus près. Oh surprise ! Dans son texte, la Commission épargne l’industrie chimique en accordant une dérogation à une quinzaine d’insecticides et à quelques herbicides contenant des perturbateurs endocriniens. Cela concerne des masses considérables de produits. Selon Générations futures, la dérogation épargne 8700 tonnes de produits commerciaux par an, rien que pour la France.  L’impact sur la santé humaine est criminel. Ainsi, la proposition permet la mise sur le marché du 2,4-D, un désherbant classé « cancérogène possible pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2015. Ce n’est pas tout. Par cette action, la Commission menace la vie de beaucoup d’êtres vivants dont celle de nombreuses plantes, des coccinelles ou des écureuils.

Et ce n’est que le premier volet de la proposition de la Commission. Non contente d’inscrire des dérogations destructrices dans la première partie du texte, la Commission ajoute une seconde partie encore plus laxiste. Selon le journal Le Monde (pas une officine remplie de zadistes, hein), cette partie “fait l’objet de vives critiques de la part de la communauté scientifique compétente, des ONG et de certains Etats-membres, dont la France”. Selon eux, ce texte protège insuffisamment la population des maladies liées aux perturbateurs endocriniens (cancers, problèmes de développement du cerveau, infertilité, diabète, etc.) Rien que ça ! Quand on prend connaissance de cette seconde partie, on comprend pourquoi ! En effet, en plus des nouvelles dérogations, cette seconde partie prévoit que l’évaluation des risques, qu’impliquent l’utilisation des perturbateurs endocriniens, puisse se faire au cas par cas, et après la mise sur le marché des produits correspondants. Oui ! Oui ! Vous avez bien lu. C’est non seulement criminel du point de vue de la santé publique, mais c’est, en plus, illégal selon le Parlement européen, nombres d’ONG et certains pays.

Une fois de plus, la Commission cède aux lobbys 

Pourquoi la Commission agit-elle de façon aussi irresponsable ? Je vous le donne en mille : le laxisme du texte correspond exactement aux demandes de l’industrie chimique, et de ses mastodontes – BASF, Bayer et Syngenta – qui égaient nos journées avec ces merveilleux petits poisons que sont les perturbateurs endocriniens ! Autre élément révélateur : si la Commission se plie en quatre pour satisfaire les volontés de ces trois multinationales, c’est qu’elles ont le soutien d’un Etat puissant : l’Allemagne. « Cette demande ne vient pas de nous, mais des autorités allemandes », avoue au Monde Graeme Taylor, directeur des affaires publiques de “l’Association européenne pour la protection des cultures” (lobby des pesticides). Evidemment que la demande vient du lobby mais le soutien des autorités allemandes n’est pas de trop.  La Commission se défend de toute subordination de l’intérêt général aux intérêts privés de ces multinationales. Elle invoque une controverse scientifique sur le sujet. C’est oublier que cette controverse est alimentée par des études à l’indépendance plus que douteuse, puisque financées par les industriels. Une centaine de scientifiques s’en était émue récemment. Manque de pot : les États, à qui il reste un soupçon de responsabilité (du fait, notamment, de la pression de citoyens conscients des dangers) ont refusé la proposition de la Commission. Il faudra donc suivre de près la prochaine proposition que doit faire la Commission.

Mais au fait : perturbateurs endocriniens, kesako ? 

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui ont un impact sur le système hormonal des êtres vivants. On les retrouve dans beaucoup d’objets du quotidien : plastiques, cosmétiques, peintures, l’alimentation, pesticides. Selon de nombreuses études, ils contribuent à l’augmentation de nombreuses maladies : infertilité, cancers, diabète, obésité, problèmes neurologiques, trouble du développement du cerveau, problèmes de comportement chez les enfants (trouble de l’attention, hyperactivité et même autisme). Ils entraînent des malformations congénitales et des anomalies du neuro-développement. 

Un coup d’arrêt à une longue liste de manœuvres de la Commission pour permettre à l’industrie chimique d’utiliser les perturbateurs endocriniens

Ce n’est pas la première fois que la Commission cède au lobbys sur le sujet des perturbateurs endocriniens. Cela fait des mois et des mois qu’elle pilonne la mise en application du règlement “Pesticides” (2009) censé interdire les perturbateurs endocriniens. 

En application du règlement “Pesticides”, la Commission doit établir une définition des perturbateurs endocriniens depuis 2013, ceci afin de pouvoir les interdire. Il aurait été simple de reprendre la définition de l’OMS, établie en 2002. Elle définit les perturbateurs endocriniens comme des « substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants ». Or, il faut attendre 2016 pour que la Commission adopte une définition ! De plus, elle refuse de reprendre celle de l’OMS et en choisit une volontairement restrictive. Selon la Commission, un perturbateur endocrinien est “une substance qui a des effets indésirables sur la santé humaine et qui agit sur le système hormonal, et dont le lien entre les deux est prouvé ». Si la Commission a modifié la définition internationale, ce n’est pas pour le confort de la précision mais pour restreindre le champ d’application de l’interdiction. En effet, la référence à la “santé humaine” implique d’observer des effets sur l’être humain avant de pouvoir interdire. Les effets observés sur les organismes non-humains ne suffiront plus. Selon cette définition, le tributylétain (TBT), par exemple, substance toxique, jadis utilisée dans les peintures des coques de bateaux  ne serait pas identifié comme perturbateur endocrinien. En effet, la France l’avait interdit dans les années 1970, après observation des effets de cette substance sur les mollusques marins (changement de sexe). Autre problème : la définition de la Commission fait un focus sur « l’évaluation des risques » et non sur les dangers. Cette distinction permet de mesurer la nocivité des substances alors qu’elles sont déjà sur le marché, en se basant sur des seuils et non plus sur la nocivité intrinsèque de la substance. Cela permet à la Commission d’octroyer des dérogations pour les substances à faible exposition (vous voyez le lien avec la proposition de la Commission soumise au vote le 21 décembre ?).

Il faudra regarder avec attention la prochaine proposition de la Commission. Nul doute qu’elle se fera encore une fois la porte-parole des intérêts des multinationales plutôt que de notre santé. Nul doute aussi que si la mobilisation citoyenne n’est pas au rendez-vous, les Etats n’auront aucun de mal à accepter une réglementation laxiste. 

Pour aller plus loin :

  1. Intoxication : perturbateurs endocriniens, lobbysites et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé, Stéphane HOREL, La Découverte, 2015
  2. https://reporterre.net/Perturbateurs-endocriniens-les-Etats-disent-non-a-la-Commission-europeenne
  3. http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/20/perturbateurs-endocriniens-le-cadeau-discret-mais-majeur-aux-lobbys-des-pesticides_5051771_3244.html
  4. http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20151008.OBS7296/bruxelles-chouchoute-les-lobbys-pas-nos-hormones.html

©Perturbateurs endocriniens


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