L’urgence de renouer avec la “France périphérique” : la leçon de C. Guilluy

Capture Paris Première

Lorsque ses essais sont publiés, Christophe Guilluy provoque souvent des polémiques, lui valant des critiques vives venant du monde universitaire et du monde politique. Il est entre autres auteur de La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires en 2015 ou, plus récemment, du Crépuscule de la France d’en haut, et peut être qualifié de « géographe de gauche » à tendance chevènementiste. Retour sur une grille de lecture intéressante, au-delà des polémiques.

On doit à Christophe Guilluy l’élaboration d’une géographie sociale inédite, notamment par le concept de « France périphérique », qui permet de comprendre les erreurs de la gauche depuis une trentaine d’années et le désamour logique d’une partie de la population à l’égard de la classe politique.

Son analyse est simple : il divise la France en deux parties. D’une part, la France des grandes villes, les « vitrines heureuses de la mondialisation » qui bénéficient de cette dernière, qui profitent des effets du multiculturalisme, où cohabitent cadres et immigrés. Celles-ci abritent la plupart des emplois les mieux rémunérés. D’autre part, la France périphérique et périurbaine délaissée par la classe politique, notamment la gauche, qui se paupérise et qui est en quelque sorte condamnée du fait de son éloignement des bassins d’emplois les plus dynamiques situés dans les métropoles. Cette périphérie concentrerait 60% de la population répartie dans 90% des communes, pourcentages parfois remis en question, mais concentrons-nous sur la grille d’analyse qui est elle plus difficile à contester, et qui peut être très instructive pour la gauche.

Nombre d’hommes politiques, ont adopté une grille de lecture semblable à celle dessinée par Christophe Guilluy. Citons ici Emmanuel Macron qui avait intitulé sa conférence meeting du 4 octobre à Strasbourg « La France qui subit » parlant des gens « mis dans une situation quasi systématique de passivité et d’impuissance » face à des « contraintes professionnelles, géographiques, sociales ». François Hollande et Nicolas Sarkozy font également partie de ses lecteurs. Alors que l’auteur esquisse une analyse qui devrait avoir pour suite logique une remise en question des dynamiques ayant engendré cette fracture, pourquoi n’inspire-t-il pas plus la gauche qui pourrait, grâce à elle, sortir de l’aporie idéologique dans laquelle elle est plongée depuis les années 1980 ?

En effet, cette fracture n’est-elle pas à terme (si ce processus n’est pas déjà en marche) l’arrêt de mort du modèle républicain, pourtant garant d’un modèle social et d’un idéal politique – Liberté, Égalité, Fraternité – repris à tort et à travers dans les discours, mais de plus en plus difficilement observable dans les faits ? Dès lors, pourquoi ne pas aller au-delà du diagnostic pour en déduire un programme social adapté afin d’enrayer la fragilisation de cette France périphérique ?

Cette fracture témoigne notamment de la reconfiguration du clivage politique et du vote au sein des nouvelles classes populaires, qui se désaffilient ainsi de partis historiques : le paysan ne vote plus à droite, tout comme l’ouvrier ne vote plus à gauche. Ces deux derniers groupes vivent majoritairement dans cette France périphérique et adhèrent à une même perception de la classe politique et de la mondialisation. De là, découle un sentiment de marginalisation et de blocage à l’intérieur de territoires que les populations n’ont pas forcément choisis, et dont elles ne peuvent que très difficilement s’extraire (manque d’opportunités, peu de création d’emplois privés…). Ce qui se traduit par le vote frontiste ou l’abstention.

Ainsi, pourquoi la gauche qui assiste impuissante et coupable à la fuite de son électorat ne s’empare-t-elle pas de cette grille de lecture ?

Reconnaître et comprendre cette fracture conduirait (notamment le PS – même s’il n’est pas le seul à gauche), à reconnaître des erreurs stratégiques souvent anciennes qui ont pourtant façonné et façonnent encore son programme politique. C’est une urgence, les discours culpabilisants au sujet du vote FN ne fonctionnent plus. Il faut donc saisir les problèmes à la racine, et non entonner d’éternels couplets devenus inaudibles.

Reconnaître et comprendre cette fracture serait une invitation pour la gauche à se reprendre en main en redéfinissant un programme social ambitieux, en assumant l’importance des services publics de proximité, en enrayant la rapidité de constitution des déserts médicaux, et en faisant de l’École un outil d’émancipation et d’ascension sociale.

Reconnaître et comprendre cette fracture est un moyen de penser la France avant de penser plus d’Union Européenne et de saisir les limites des traités et des directives européennes qui entravent les politiques nationales, notamment les politiques liées aux services publics.

Reconnaître et comprendre cette fracture, c’est assumer pour la gauche les questions d’identité, de définition de ce qu’est le lien national, sur lesquels elle ne prend pas position par peur d’être accusée de verser dans le racisme, la xénophobie. C’est affirmer que ce qui fonde la nation n’est pas un lien ethnique, mais un lien politique. Cela implique de remettre au cœur des discours la citoyenneté et la primauté des principes républicains, et faire ainsi de ces enjeux dévoyés par la droite des enjeux où la gauche reprenne enfin sa place historique.

Reconnaître et comprendre cette fracture signifie enfin pour la Gauche qu’elle doit repenser ce qu’est le lien social et ce qui fonde la nation. Elle ne doit plus gouverner que pour les gagnants de la mondialisation en oubliant tous les autres sous prétexte qu’ils ne votent plus – ou en tout cas plus pour elle. En ce sens, la France périphérique, c’est l’autre nom du lâchage organisé des classes populaires par la soi-disant “Gauche de gouvernement” opéré ces trente dernières années.

 

Crédit photo :

Capture Paris Première

Le complotisme : symptôme de la rupture entre le peuple et les élites

Bruno Di Mascio est diplômé de Sciences Po Paris et de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où il a travaillé sur le complotisme. Il est l’auteur de Les Souterrains de la Démocratie. Soral, les complotistes et nous (éd. Temps Présent), 2016.

L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis est venue apporter un nouvel indice d’une rupture idéologique, symbolique et cognitive du peuple américain vis-à-vis de ses élites. Les électeurs de Trump vivent, à bien des égards, « dans un autre monde » que celui de l’establishment américain. Au sens géographique d’abord, puisque les zones rurales et désindustrialisées ont massivement voté pour Trump là où les grandes villes côtières soutenaient Clinton ; au sens idéologique ensuite (rejet du libre-échange et de l’immigration), et au sens cognitif enfin, l’imaginaire politique commun étant rejeté au profit d’une rhétorique volontiers complotiste. C’est sans doute cette rupture cognitive qui est la plus inquiétante : le complotisme témoigne de difficultés grandissantes à « faire société », c’est-à-dire à faire en sorte que tous les citoyens parlent le même langage symbolique et articulent des représentations politiques communes.

Les débats médiatiques et politiques qui ont suivi l’élection de Trump en donnent une illustration saisissante : là où les éditocrates se sont lamentés de la victoire de la « post-vérité » (quand ils n’accusaient tout simplement pas la Russie d’avoir truqué l’élection), Trump a répondu en accusant CNN de répandre des fausses informations, des « fake news », à son propos. L’Amérique semble coupée en deux, incapable de définir un véritable espace public commun, condition pourtant nécessaire à l’exercice de la démocratie.

Les souterrains de la démocratie : Soral, les complotistes, et nous. Paru en 2016 aux éditions Temps Présent.
Les souterrains de la démocratie : Soral, les complotistes, et nous. Paru en 2016 aux éditions Temps Présent.

A bien y regarder, la problématique est exactement la même de ce côté-ci de l’Atlantique. La perspective de l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen n’a plus rien d’improbable à l’heure où les logiques identitaires (nationalistes mais aussi islamistes) s’affirment de plus en plus dans le débat public. Sur les réseaux sociaux, ce sont les discours complotistes d’un Alain Soral qui séduisent et structurent l’imaginaire d’un nombre de plus en plus important de nos concitoyens, au détriment de l’imaginaire républicain. Loin d’être un phénomène passager, l’extrémisme politique représente au contraire une tendance lourde des sociétés occidentales. Car c’est à partir des principes démocratiques qu’il faut comprendre ce phénomène, et non pas en opposition à eux.

En effet, à l’origine du complotisme et de l’extrémisme politique, il y a une ambition éminemment démocratique : celle d’améliorer la transparence, de se réapproprier son destin politique, ou encore de revendiquer la liberté d’expression contre la « pensée unique ». Comment expliquer que ces vertus démocratiques se retournent aujourd’hui contre la démocratie ? C’est que l’existence d’un espace public commun dans lequel s’exerce la démocratie est aujourd’hui menacée par deux phénomènes distincts mais convergents : la mondialisation sans limites d’une part, l’émergence des réseaux sociaux comme vecteur d’information et de communication politique d’autre part.

L’autonomie politique promise par la Modernité démocratique est devenue une illusion sous les coups de butoir de la mondialisation. En ouvrant les frontières sans limites, elle a permis l’explosion des conflits identitaires : c’est ainsi que l’antiracisme est passé d’une lutte pour la dignité humaine en une arme identitaire mobilisée aussi bien par les islamistes (contre « l’islamophobie ») que par les nationalistes (contre le « racisme anti-blanc »). En outre, en faisant du marché son principe directeur, la mondialisation a affaibli l’Etat, qui devait être l’instrument de l’autonomie : n’ayant plus guère d’impact sur le réel, les raisons de l’impuissance politique sont alors recherchées dans l’imaginaire du complot et de l’unité fantasmée du peuple contre les élites.

Notre espace public commun, dans un cadre national, est donc miné par la mondialisation. Il est également menacé par les évolutions du marché de l’information : les réseaux sociaux ont désormais une influence massive sur la communication politique. Or, la « twitterrisation de l’information » contribue fortement à niveler le discours politique vers le bas et à le pousser aux extrêmes.

Bruno Di Mascio
Bruno Di Mascio

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir l’efficacité de la communication politique de Trump sur Twitter : Trump, qui souhaite continuer à utiliser son compte Twitter pendant son mandat, a parfaitement compris qu’en combinant provocation, agressivité et sens de la formule, il assurait le buzz de son discours politique, dont la principale qualité réside sans sa capacité à se synthétiser en 140 caractères. Ainsi, la « twitterrisation de l’information » favorise les discours les plus réducteurs, simplistes et controversés, susceptibles d’attirer une attention médiatique friande de « petites phrases » au détriment de démonstrations complexes.

Mais le rejet d’un imaginaire politique collectif n’est pas propre aux sympathisants des mouvements anti-élites de part et d’autre de l’Atlantique. La volonté de « faire sécession » avec le reste de la société se retrouve au moins aussi bien au sein des élites elles-mêmes : au-delà de leurs codes sociaux et culturels, c’est leur idéologie qui constitue désormais un facteur de distinction, au sens bourdieusien du terme. Acceptation d’une immigration massive sans condition d’intégration, libre-échangisme et mépris de l’Etat-Nation sont devenus autant de marqueurs de classe, d’idées qu’il faut soutenir entre gens de bonne compagnie pour se démarquer des « beaufs » français ou des « rednecks » américains.

Trump l’a parfaitement compris en se faisant le portevoix de ces perdants de la mondialisation que l’ « establishment » méprise. Et là où une partie des classes populaires et moyennes déclassées s’isole dans le mythe du complot des élites, ces dernières évoluent dans le monde pas moins imaginaire de la mondialisation heureuse et de l’identité cosmopolite. Un monde dans lequel Trump, pas plus que Marine Le Pen, n’avait bien sûr aucune chance d’être élu… Les fantasmes des élites nourrissent alors les mythes complotistes des autres et réciproquement. Les idées se polarisent et se réduisent à des postures qui n’élèvent guère le niveau du débat démocratique.

Rupture cognitive par le bas, rupture symbolique par le haut : il n’est pas certain que nos sociétés démocratiques constituent encore un corps politique, ou, pour le dire autrement, qu’elles soient capables de secréter un imaginaire commun, avec les mêmes références culturelles et politiques. C’est cette incertitude que reflète la tentation complotiste et ses traductions électorales avec une tension spectaculaire, qui n’est peut-être que le prémisse d’un éclatement politique plus grand encore.

Bruno Di Mascio

“En 2015, la pauvreté a tué des dizaines de millions de personnes” : le constat terrifiant de Jean Ziegler

©Photograph by Rama, Wikimedia Commons, Cc-by-sa-2.0-fr. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 France license.

Pauvreté mondiale galopante, inégalités vertigineuses entre pays riches et pays pauvres, toute-puissance des marchés financiers et des multinationales, militarisation des grandes puissances… c’est un sombre tableau que brosse Jean Ziegler dans son nouveau livre, Chemins d’Espérance. Le titre semble ironique tant le constat est pessimiste. Selon l’auteur, membre du Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU, quelques décennies de mondialisation capitaliste ont suffi pour enterrer les promesses d’un monde égalitaire et pacifique qui ont accompagné la création des Nations Unies.


“Le rêve d’un ordre régi par les Droits de l’Homme a été tué dans l’œuf au sein d’un monde dominé par les grandes puissances économiques”

Tout n’avait pourtant pas mal commencé. L’avènement de l’Organisation des Nations Unies (ONU), à l’issu de l’effroyable Seconde Guerre Mondiale, avait suscité d’immenses espérances. Contre la misère et l’exploitation qui frappaient des milliards de personnes, l’ONU affirmait que les plus pauvres avaient droit à l’existence et à la dignité. Contre l’ordre colonial du monde qui prévalait alors, les Nations Unies ont inscrit dans le droit international l’égale souveraineté des nations les unes par rapport aux autres. L’utopie était belle. Elle n’a pas duré. Selon Jean Ziegler, la faillite des Nations Unies s’explique essentiellement par deux phénomènes : le triomphe du capitalisme mondialisé et l’apparition d’un nouvel impérialisme qui en est le corollaire. 

Nations Unies contre capitalisme mondialisé

Ce rêve d’un ordre régi par les Droits de l’Homme a été tué dans l’œuf au sein d’un monde dominé par les grandes puissances économiques. Ziegler cite plusieurs statistiques terrifiantes : les 1% de personnes les plus riches de la planète possèdent 50% de la richesse mondiale. Les 500 plus grandes entreprises multinationales contrôlent 58% du commerce mondial brut ; c’est-à-dire 58% des richesses produites. Jean Ziegler constate qu’aujourd’hui, les grandes puissances économiques sont devenues des acteurs plus importants que les nations sur la scène internationale. Que reste-t-il alors du vieux rêve de mettre en place un ordre régi par des Nations Unies ?

Les conséquences sociales de cet ordre mondial dominé par ces grandes puissances économiques glacent le sang : selon un rapport de la FAO, ce sont 58 millions de personnes qui sont mortes en 2015 à cause de la faim, de la soif ou de maladies que l’on pourrait facilement soigner… Et ce, alors que les ressources mondiales et la technologie contemporaine permettraient que plus une seule personne sur terre ne meure de faim, de soif ou de maladies guérissables. « Un enfant qui meurt de faim meurt assassiné », conclut Jean Ziegler.

“La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans poing visible”

Comment ce capitalisme impitoyable s’est-il imposé ? Comment le rêve des fondateurs de l’ONU, celui d’un monde basé sur le droit et l’égalité des nations, a-t-il pu être brisé avec autant de violence?

L’impérialisme, bras armé du capitalisme mondialisé

Selon Jean Ziegler ce capitalisme s’appuie sur l’interventionnisme des nations les plus puissantes de la planète, en particulier celui des Etats-Unis d’Amérique. Il cite Thomas Friedman, conseiller de Madeleine Albright, ambassadrice aux Nations Unies sous Bill Clinton : « Pour que la mondialisation fonctionne, l’Amérique ne doit pas craindre d’agir comme la superpuissance invisible qu’elle est en réalité. La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans poing visible ». Derrière l’Empire, le Capital.

Madeleine Albright, ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU puis secrétaire d’Etat sous Bill Clinton, avait notamment choqué ses contemporains en justifiant la mort de 500.000 enfants irakiens, tués à cause de l’embargo que les puissances occidentales imposaient à l’Irak. Le prix à payer pour faire fonctionner la “main invisible du marché” selon les mots de son conseiller Thomas Friedman…

“Les Etats-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force”

Les Etats-Unis ont pour vocation d’apporter au monde la liberté et la démocratie ; à coup de bombes si nécessaire. L’ONU avait mis en place un système de droit international basé sur l’autodétermination des peuples et l’égale souveraineté des nations : un moyen de protéger les nations les plus faibles contre les nations les plus puissantes. « Le Burundi a la même souveraineté que les Etats-Unis. C’est absurde ? Oui, c’est absurde. C’est contre-nature ? Oui, c’est contre-nature. C’est ce qu’on appelle la civilisation » résume Régis Debray. L’impérialisme américain réduit à néant cet espoir d’un monde multipolaire dans lequel régnerait l’égalité des nations : « les Etats-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force », estime Jesse Helms, Commissaire des Affaires étrangères au Sénat de 1995 à 2001. Comme au temps des colonies, le monde se retrouve donc divisé entre les peuples qui possèdent la civilisation et ceux qui ne la possèdent pas encore.

La mondialisation capitaliste s’appuie également sur un système financier monstrueux qui endette les pays du monde entier ; cet endettement est favorisé par les grandes institutions financières comme le Fonds Monétaire International (FMI) ou l’Union Européenne, dont Jean Ziegler estime qu’il n’y a plus rien à attendre. Les gouvernements des pays endettés sont contraints par ces organismes à mettre en place des plans de libéralisation et de privatisations, bénéfiques pour les grandes sociétés multinationales et les banques, ruineux pour les peuples.

L’ONU: l’instrument des grandes puissances

Selon Ziegler, l’ONU est une institution dominée par les grandes puissances à cause du système de veto qui donne un pouvoir considérable aux cinq membres du Conseil de Sécurité. Les Américains, ajoute-t-il, noyautent les postes les plus importants. Il consacre quelques pages à retracer le parcours de l’actuel secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon, dont il dénonce la proximité avec les Etats-Unis et qu’il qualifie de « petit fonctionnaire à la solde des Américains ». Jean Ziegler a fait preuve d’un courage manifeste en retraçant son parcours dans son nouveau livre, car ce faisant il a enfreint la loi qui prescrit aux membres de l’ONU de ne pas révéler le contenu des séances auxquelles ils participent. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à instrumentaliser l’ONU. La Chine et la Russie, qui possèdent chacun un poste au Conseil de Sécurité de l’ONU, posent systématiquement leur veto à l’égard de toutes les initiatives politiques ou humanitaires qui iraient à l’encontre de leurs intérêts.

Chemins d’espérance ? Le ton du livre est amer et certaines pages désespérées. En ce début de XXIème siècle où des criminels de guerre comme Henry Kissinger sont considérés comme des héros, où le Qatar siège au Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU, où le monde entier est converti au capitalisme sauvage, et où les rares Etats qui lui résistent sont considérés comme des parias, on a souvent du mal en lisant ce livre à voir où se trouve « l’espérance » mentionnée dans le titre.

Henry Kissinger, ex-secrétaire d’Etat américain, est considéré par le gouvernement français et américain comme une référence en matière de politique internationale. Jean Ziegler, qui s’en indigne, consacre de longs développements à rappeler les crimes dont Kissinger fut responsable ; il orchestra, entre autres, les bombardements au Cambodge qui firent des centaines de milliers de victimes civiles durant la guerre du Vietnam. 

chemins-desperanceL’espérance, Jean Ziegler la voit dans une possible réforme des Nations Unies. Une refonte basée sur deux piliers : la suppression du droit de veto accordé aux grandes puissances ; la mise en place d’un « droit d’ingérence humanitaire » qui permettrait à l’ONU d’intervenir, au nom des Droits de l’Homme, dans la politique de gouvernements souverains. C’est ici que le bât blesse ; on voit mal la différence fondamentale entre le « droit d’ingérence humanitaire » prôné par Jean Ziegler et celui des néoconservateurs américains qu’il dénonce. On voit mal comment la solution de Ziegler pourrait ne pas contenir en son sein les mêmes dérives que les interventions militaires actuelles. Si l’ONU a le pouvoir d’intervenir militairement (via une armée onusienne ou via des armées nationales coalisées, Ziegler ne le précise pas) sans le consentement de l’intégralité de ses Etats-membres, on ne voit pas comment cela empêcherait les grands Etats de se coaliser contre les petits, et comment l’ONU pourrait être autre chose que le bras armé d’un nouvel impérialisme…

Cette réserve ne change rien : le nouveau livre de Jean Ziegler mérite d’être largement lu et diffusé. Depuis plusieurs décennies, son auteur tente d’alerter le monde sur la menace que représentent le capitalisme débridé et la toute-puissance des grandes sociétés multinationales ; depuis la Chute du Mur, son discours a été marginalisé et calomnié, les opposants au capitalisme considérés comme des opposants à la liberté. Mais le réel est tenace et les faits sont têtus : le capitalisme n’a éliminé ni la pauvreté, ni la dictature, ni la guerre, et ce livre est ici pour nous le rappeler.

Crédits: ©Photograph by Rama, Wikimedia Commons, Cc-by-sa-2.0-fr. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 France license.

Le protectionnisme est-il compatible avec un projet social ? Réponses avec David Cayla

Enseignant-chercheur en économie à l’Université d’Angers, chercheur au Granem. David Cayla a accepté de répondre à nos questions sur le protectionnisme et sa compatibilité avec un projet social. Au programme : François Hollande, Donald Trump, et l’Union Européenne.

Jeune économiste en vue, vous êtes membre des Économistes atterrés, association qui a sorti l’an dernier son second manifeste. Ce rassemblement d’économistes hétérodoxes critique les idées reçues diffusées par la science économique dominante. Parmi les combats que vous menez, il y a la possibilité de mesures protectionnistes, qui sont considérées comme une plaie couteuse pour l’économie par une grande partie des économistes et de la classe politique. Selon vous, le protectionnisme peut être un levier pour une politique de progrès social, pouvez-vous nous en dire plus ?

Lors du discours de renoncement de François Hollande, je n’ai pu m’empêcher de noter une phrase : « Le plus grand danger, c’est le protectionnisme, c’est l’enfermement », a-t-il affirmé en faisant référence à l’extrême droite (mais on peut penser qu’il s’adressait aussi à Arnaud Montebourg). Il y a là une double erreur. D’abord une erreur de définition. François Hollande, comme beaucoup de monde, confond protectionnisme et autarcie. Or, les deux termes n’ont strictement rien à voir. En matière de politique commerciale, trois doctrines sont possibles. Le libre-échange, qui promeut une suppression des régulations publiques en matière de commerce international pour laisser au marché la plus grande latitude possible ; l’autarcie qui, à l’inverse, entend restreindre le plus possible le commerce avec l’étranger ; et enfin le protectionnisme qui entend réguler et intervenir dans le commerce international pour ne pas laisser les forces du marché décider seules de la nature et du volume des échanges commerciaux.

Le protectionnisme n’est pas un enfermement mais un interventionnisme. La preuve en est que parmi les mesures protectionnistes les plus usitées il y a les subventions aux exportations qui tendent non à réduire mais à augmenter les échanges commerciaux. L’Europe a d’ailleurs été longtemps accusée de protectionnisme pour ses subventions agricoles par les pays en voie de développement.

L’autre erreur de François Hollande c’est de transformer ce qui n’est qu’un outil économique, une politique commerciale, en objet moral. A l’entendre, le protectionnisme serait intrinsèquement « dangereux ». Or, cette position est absolument intenable pour un responsable politique socialiste qui, par ailleurs, entend « réguler » les marchés.

Comment peut-on d’un côté considérer que l’intervention de l’État sur les marchés à l’intérieur des frontières est bonne, mais que la même intervention se transforme subitement en catastrophe dès lors qu’il s’agit de contrôler les flux marchands internationaux ? Si les marchés dérégulés sont inefficaces dans la finance, les services publics, la production de logement, la médecine… pourquoi seraient-ils efficaces à l’échelle internationale ?

En fait, pour éviter toute confusion, il faudrait changer notre vocabulaire. Au lieu de « libre-échange », il faudrait parler de « dérégulation », et au lieu de « protectionnisme » il faudrait parler « d’interventionnisme » ou de « régulation ». Ainsi, on pourrait traduire la pensée de Hollande de manière plus compréhensible : « Le plus grand danger, c’est la régulation du commerce international, c’est l’enfermement ». Et on comprend aussitôt en quoi une telle phrase est absurde.

Ce que vous proposez semble joli sur le papier mais mettre en place ce type de mesures ne nous exposerait-il pas à des mesures de rétorsion de la part de nos partenaires commerciaux ? Est-ce vraiment le moment opportun pour lancer une guerre commerciale ?

C’est amusant comment, à chaque fois qu’on promeut l’intervention de l’État sur les marchés, on est renvoyé à une logique guerrière. Les libéraux – et plus largement les libertariens – sont parvenus à nous convaincre que les guerres sont nationales et forcément le fait des États. On voit bien la logique. L’intervention d’un État c’est l’affirmation d’une nation. Et les nations c’est le nationalisme… et le nationalisme, c’est la guerre !

Mais l’État, c’est aussi le lieu de l’affirmation de la démocratie. Or, toute démocratie suppose qu’on reconnaisse qu’il existe des conflits d’intérêt entre les groupes sociaux. En matière internationale comme en matière nationale, on ne peut nier qu’il existe des intérêts contradictoires. Les pays producteurs de pétrole ont intérêt à ce que le pétrole soit le plus cher possible ; les pays industrialisés ont intérêt à ce qu’il soit le plus bas possible. Des conflits commerciaux sont inévitables. Choisir le libre-échange ne signifie pas qu’on va supprimer les conflits mais qu’on va laisser le marché déterminer les gagnants et les perdants de la mondialisation sans aucune médiation politique.

Ceux-là peuvent être des pays, mais ce sont souvent des groupes sociaux au sein des pays. Ainsi, en France, les ouvriers sont les grands perdants du libre-échange, les classes supérieures les grandes gagnantes. Mais les ouvriers qui s’en plaignent et demandent des mesures protectionnistes sont renvoyés au rang de méchants extrémistes, suppôts du Front national et xénophobes. Non seulement le libre-échange crée des gagnants et des perdants, mais il le fait en niant aux perdants le droit de contester l’ordre établi.

Les perdants peuvent également être des pays ou des régions entières. C’est d’autant plus vrai que le libre-échange a depuis longtemps changé de nature. La mondialisation n’est en effet plus celle des marchandises mais celle des facteurs de production. Cela signifie que ce ne sont pas seulement des produits finis qui circulent dans le monde, mais du capital, des capacités de production.

Dès lors, le libre-échange ne fait pas circuler des marchandises mais des usines. Et cela change tout, car ce type de mondialisation met les territoires et les États en concurrence. Chaque pays cherche donc à détrousser son voisin de ses usines et de ses emplois. Le résultat est que la mondialisation contemporaine engendre des forces d’éclatement extrêmement violentes en concentrant les richesses industrielles dans certaines régions « gagnantes » au détriment des régions perdantes.

On a vu ce que le libre-échange imposé a produit en Chine et en Inde au cours du XIXème siècle : un effondrement industriel, économique, social et politique dans deux pays qui étaient pourtant très prospères avant l’arrivée des européens. Aujourd’hui, les mêmes phénomènes de désindustrialisation se produisent dans un certain nombre de pays développés. Mais à la différence des ouvriers qui sont dominés socialement, les pays perdants finissent pas s’émanciper de la doctrine libre-échangiste. On l’a vu très récemment avec l’élection de Trump.

Justement, quand on voit les gouvernements qui défendent aujourd’hui des mesures protectionnistes, il s’agit essentiellement de gouvernements nationalistes et xénophobes. Trump incarne à sa façon ce retour en force du protectionnisme. Il a su conquérir le vote de la Rust belt [i.e la « ceinture de rouille » qui correspond aux États des grands lacs et du Mid-West] en s’appuyant sur les ouvriers blancs. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Le problème n’est-il pas qu’au fond, la gauche a abandonné les ouvriers, qu’elle a préféré les impératifs de la construction européenne à son projet social ?

Les courants politiques protectionnistes présents aujourd’hui dans l’offre politique sont effectivement issus de courants nationalistes et xénophobes, ce qui fait qu’il est très difficile pour un électeur de voter pour le protectionnisme sans en même temps voter à l’extrême droite. Cela est d’abord la cause d’un refus, à gauche, de penser le protectionnisme.

Pendant longtemps, le mouvement ouvrier s’est vécu comme pacifiste et internationaliste. L’internationale ouvrière se voulait la réponse à l’internationale du capital. Certains ont voulu croire que derrière le slogan « travailleurs de tous les pays unissez-vous ! » il y avait un projet de disparition des frontières et des États. Or, l’internationalisme n’est pas nécessairement un mondialisme. Porter des projets de collaborations internationales ne signifie pas forcément la disparition des frontières et des nations.

L’accélération de la mondialisation dans les années 1990 a entrainé la rupture des ouvriers avec l’internationalisme. J’y vois les effets de la mondialisation du capital qui a imposé un système économique mettant les travailleurs de tous les pays en concurrence, détruisant ainsi le sentiment, chez les salariés, d’appartenir à un groupe social uni par des intérêts communs indépendamment des appartenances nationales.

Mais au lieu de se faire le porte-voix des victimes de la mondialisation et de les accompagner politiquement en leur proposant un débouché politique de type néo-protectionniste, les partis de gauche qui revendiquent l’héritage des mouvements ouvriers se sont lancés, en guise d’internationalisme, dans le projet européen, arguant que face à la mondialisation l’Europe ferait office de protection.

 

Je me souviens des affiches de la campagne du traité de Maastricht qui expliquaient que la construction européenne permettrait de faire le poids face aux puissances américaines et asiatiques. Mais l’Europe comme instrument de protection, c’est une vaste blague !

La politique commerciale européenne inscrite dans les traités est explicitement libre-échangiste. Elle interdit à ses membres toute régulation du Marché unique, elle impose un commerce de plus en plus dérégulé conforme aux règles de l’OMC et prohibe toute mesure nationale ou européenne qui aurait pour effet de restreindre les mouvements de capitaux vis-à-vis de pays tiers.

Le problème c’est qu’une fois cette stratégie engagée, il n’existe aucun retour en arrière possible. La politique commerciale est un domaine exclusif de l’Union qui négocie au nom de l’ensemble des États. C’est la raison pour laquelle la plupart des traités commerciaux que signe l’UE ne nécessitent pas de ratification par les 28 États membres. Seuls les traités dits de « nouvelle génération », qui dépassent largement le cadre commercial et donc les prérogatives de l’Union nécessitent le double accord des États et des instances européennes. Voilà pourquoi les traités de libre-échange signés avec la Turquie ou les pays d’Afrique du Nord par exemple n’ont pas été ratifiés par les États, contrairement au CETA et au TAFTA qui doivent être validés à la fois au niveau national et au niveau de l’Union.

Cela dit, même ces traités de nouvelle génération entrent en application « provisoire » avant les ratifications nationales. C’est ainsi que le traité de libre-échange signé en 2011 avec la Corée du Sud entra en application provisoire dès cette date et ne fut adopté définitivement qu’en 2015, après les ratifications nationales. C’est d’ailleurs exactement le même scénario qui est envisagé aujourd’hui pour le CETA. La levée de l’hypothèque wallonne et de son ministre-président Paul Magnette a ouvert la voie à une mise en application « provisoire » du CETA. Le provisoire pouvant durer plusieurs années, les ratifications nationales n’auront du coup qu’à valider a posteriori l’existant. Et si certains pays ne ratifient pas, ils auront bien entendu le droit de revoter jusqu’à ce que ratification s’en suive.

En somme, en se donnant à l’Europe, les partis de gauche se sont enfermés dans une logique libre-échangiste sur laquelle ils n’ont aucun contrôle. C’est pour cette raison que seuls les partis anti-européens peuvent se permettre d’être protectionnistes. Voilà pourquoi, à titre personnel, je me méfie des candidats qui prennent des postures critiques sur le libre-échange tout en refusant de rompre avec l’Union européenne. Dans le cadre des traités européens actuels, il n’y a aucun moyen de rompre avec le libre-échange.

Qu’entendez-vous par là ? Doit-on vraiment rompre avec l’Union Européenne pour mettre en place des mesures protectionnistes ? Cela semble difficile à imaginer. Comment se passerait la mise en place de mesures protectionnistes à l’échelle nationale, et sur quels segments de l’économie ?

Avec Coralie Delaume, dans un ouvrage qui va paraître prochainement[1], nous faisons le constat que l’Union européenne est en fait déjà pratiquement morte. Certes, les institutions fonctionnent en apparence, mais ce qui est au cœur du projet européen, c’est un ensemble de règles communes qui encadrent l’action des États. Depuis 1957, ces règles n’ont cessé de se renforcer en créant un droit supranational hors de portée des citoyens. Or, depuis quelques années, nous assistons à un point de bascule. Les règles européennes deviennent inapplicables et sont de fait de plus en plus contournées sans que les sanctions prévues ne tombent.

La fin de l'Union Européenne.
David Cayla & Coralie Delaume, La fin de l’Union Européenne, 2017, Michalon

La Commission a ainsi renoncé à sanctionner l’Espagne et le Portugal qui pourtant ne parviennent plus à réduire leurs déficits publics au rythme attendu ; elle ferme les yeux sur les excédents macroéconomiques de l’Allemagne qui sont pourtant considérables ; elle est restée passive en 2015 lorsqu’Angela Merkel a unilatéralement renoncé à appliquer le règlement de Dublin sur le droit d’asile ; par ailleurs, elle n’a rien pu faire non plus lorsque de nombreux États ont ensuite rétabli les contrôles aux frontières, suspendant de fait le traité de Schengen. Enfin, elle a renoncé à sanctionner les gouvernements autocratiques hongrois et polonais.

La dernière réforme constitutionnelle hongroise a pourtant largement transformé le système judiciaire hongrois à tel point qu’aujourd’hui la Hongrie peut légalement s’extraire de l’ordre juridique européen.

Si l’Union européenne devient incapable de faire appliquer ses propres règles, alors n’importe quel pays peut faire à peu près ce qui lui plait, y compris en matière commerciale. Par exemple, Arnaud Montebourg a prévu de réserver une partie des commandes publiques à des entreprises nationales. C’est évidemment contraire aux règles du Marché unique, mais si l’Union renonce à sanctionner l’Allemagne pour ses excédents, pourquoi la France ne bénéficierait pas elle aussi d’un passe-droit ?

Même si aucun pays de l’Union ne peut instaurer de droits de douanes à ses frontières, un certain protectionnisme peut être mis en place via une taxe sur la consommation, par exemple en instaurant une contribution « sociale » ou « carbone » qui pourrait s’appliquer aux produits qui ne disposent pas d’un bon bilan social ou environnemental.

Les produits made in China, qui ont parcouru des milliers de kilomètres ou qui ont été produits par des entreprises où les salaires sont extrêmement faibles et où il n’existe pas de liberté syndicale pourraient ainsi être davantage taxés que les produits réalisés dans des pays socialement avancés ou géographiquement proches. De même, les fraises produites en Espagne ou a Maroc seraient davantage taxées que les fraises du Roussillon, plus proches des lieux de consommation français.

Un protectionnisme intelligent est un protectionnisme qui tend vers un objectif de politique publique. Pour moi, la priorité devrait être de rétablir en France un équilibre territorial. Actuellement, la France est en voie de désindustrialisation accélérée et la crise agricole endémique fragilise ses territoires ruraux. Le libre-échange frappe de fait prioritairement les agriculteurs et les ouvriers, c’est-à-dire les populations déclassées éloignées des centres villes.

Un protectionnisme intelligent doit donc, sans nier le marché, orienter celui-ci pour qu’il évite de brutaliser ces régions fragilisées. On a su, avec l’instauration des Appellations d’origine protégées (AOP) éviter l’effondrement agricole de nombreux territoires (même si les AOP ne couvrent qu’une petite partie de l’activité agricole). On pourrait de la même façon protéger l’industrie et les savoir-faire traditionnels dans de nombreuses régions grâce à une politique de soutien active.

À l’échelle nationale, la France doit maintenir une industrie généraliste et éviter une spécialisation trop restreinte qui lui ferait courir le risque d’un effondrement économique en cas de crise de son secteur de spécialisation. Il faut donc continuer à faire du textile, de l’électronique, de l’électro-ménager… en supprimant les avantages-coûts dont bénéficient les pays à bas salaire par un système de taxation adéquat.

La commande publique est essentielle pour garantir des débouchés. Par exemple, la commande d’uniformes peut appuyer la reconstruction d’une industrie textile nationale. N’oublions pas que Saint-Gobain, le leader mondial des verres qui emploie plus de 180 000 personnes dans le monde est une entreprise née de la commande publique et de la volonté de Colbert de ne pas acheter les miroirs de la galerie des glaces à des industriels vénitiens.

Ces mesures sont tout à fait applicables dans le cadre d’une économie capitaliste raisonnable. Elles ne doivent pas cependant se prendre de manière agressive ni conduire à une forme d’autarcie en niant l’utilité du marché ou des échanges internationaux.

Dans le cadre d’une politique protectionniste telle que je la conçois on doit maintenir des liens commerciaux avec tous les pays, y compris la Chine, et les accompagner dans le progrès social et écologique en réduisant les taxes au fur et à mesure que des progrès sociaux s’accomplissent. Il ne s’agit pas non plus d’interdire tout investissement étranger ou de payer hors de prix une production nationale inefficace. Ne remplaçons pas le dogme du libre-échange par le dogme de l’interventionnisme. Le protectionnisme n’est qu’un outil, pas une religion.

[1] Coralie Delaume et David Cayla, La Fin de l’Union européenne, Michalon, Paris 2017. A paraître le 5 janvier.

Propos recueillis par Lenny Benbara pour LVSL

Crédit photo : Margot L’hermite