Élections belges : malgré la percée de la droite, la gauche radicale devient incontournable

De gauche à droite : Sofie Merckx, Présidente du groupe PTB à la Chambre, Raoul Hedebouw, Président du parti, Peter Mertens, secrétaire général du PTB et Jos D’Haese, leader du parti au Parlement flamand. © PTB

Après des élections générales ayant largement renouvelé le paysage politique belge, les négociations de gouvernement et les recompositions ont débuté. Contrairement aux scrutins précédents, le pays paraît moins divisé entre Flandre et Wallonie : si le Nord du pays penche toujours clairement à droite, l’extrême-droite indépendantiste n’a pas réussi à gagner les élections et la gauche radicale y progresse fortement. Au Sud, bastion historique de la gauche, la tendance est inverse : les libéraux conservateurs du MR remportent une grande victoire, tandis que le PS est sanctionné. Par-delà les divisions partisanes, le fait que la droite reprenne une partie de la rhétorique de gauche et que le Parti du Travail de Belgique (PTB) ait imposé son agenda à toute sa famille politique est révélateur d’une tendance de fond : la défense des travailleurs gagne à nouveau du terrain et peut s’imposer, dans les années qui viennent, comme un projet majoritaire.

Le 9 juin dernier, tandis que tous les citoyens des pays de l’Union européenne élisaient leurs représentants au sein du Parlement européen, les Belges ont également eu à choisir leurs représentants dans les Parlements régionaux et communautaires (flamand, francophone et germanophone) et au niveau fédéral. Cette séquence politique particulièrement intense, qui sera suivie d’élections communales le 13 octobre prochain, a ainsi redéfini les rapports de force en Belgique pour les cinq prochaines années.

La perspective d’un nouveau « dimanche noir » qui planait lourdement sur le pays, avec la victoire annoncée du parti d’extrême-droite séparatiste Vlaams Belang (« Intérêt flamand », ndlr) au Nord du Pays, n’est finalement que partiellement réalisée. Malgré un score en légère augmentation (+4% au Parlement flamand et +1,8% au Parlement fédéral), le Vlaams Belang n’a pas réussi à dépasser la N-VA (Nieuwe Vlaams Alliance, droite nationaliste flamande, ndlr) et à devenir le premier parti de Flandre. 

Au sud du pays, en Wallonie et dans la région de Bruxelles-Capitale, la droite libérale a triomphé. Pour la première fois de son histoire, le Mouvement Réformateur (MR) devient la première force politique francophone et s’arroge ainsi un rôle incontournable dans les négociations de coalition à venir. Très rapidement après les élections, il a décidé de s’allier avec le parti de centre-droit Les engagés, qui a réalisé des scores inespérés, et, moyennant davantage de concessions, cet attelage devrait pouvoir construire une alliance avec la droite nationaliste flamande au niveau fédéral.

Le souhait d’une politique plus radicale de la part des électeurs de gauche a entraîné de nouveaux équilibres au sein de ce camp politique.

Enfin, le souhait d’une politique plus radicale de la part des électeurs de gauche a entraîné de nouveaux équilibres au sein de ce camp politique. Le Parti socialiste, traditionnellement dominant, concède ainsi « une érosion » de son score en Wallonie, tandis que les Écolos subissent une lourde défaite. Ces contre-performances sont compensées par la poussée du Parti du Travail de Belgique (PTB – PVDA, gauche radicale), devenu la quatrième force politique au niveau fédéral, notamment grâce à sa percée en Flandre. 

En Flandre, la poussée de l’extrême-droite indépendantiste difficilement contenue

Si la victoire de l’extrême droite flamande tant annoncée par les différents sondages n’a donc finalement pas eu lieu, la N-VA est plus talonnée que jamais par le Vlaams Belang. Ensemble, la droite nationaliste et l’extrême-droite indépendantiste flamandes réunissent près de 45 % de l’électorat néerlandophone, soit 30 % de l’électorat belge. Le maintien en seconde position de la formation d’extrême-droite tient en bonne partie à la stratégie de la N-VA, qui a su contenir l’hémorragie de son électorat en démontrant l’ineptie du plan d’indépendance de la Flandre lors d’un débat entre Bart de Wever (leader de la N-VA, ndlr) et Tom Van Grieken (leader du Vlaams Belang, ndlr). À l’instar de Jordan Bardella, régulièrement mis en difficulté sur son programme, Van Grieken a démontré toute son incompétence sur le cœur de son projet politique. Contrairement à son concurrent, la N-VA ne porte plus un projet indépendantiste mais aspire à régionaliser davantage de compétences et faire progressivement de la Belgique un État confédéral. Bart de Wever s’est ainsi posé comme étant l’homme politique flamand le plus à même de mener la Flandre vers plus d’autonomie. 

À l’instar de Jordan Bardella, régulièrement mis en difficulté sur son programme, Van Grieken a démontré toute son incompétence sur le cœur de son projet politique.

D’autre part, alors que la question d’un éventuel accord de gouvernement entre la N-VA et le Vlaams Belang a dominé toute la campagne, De Wever a probablement été influencé par la situation politique aux Pays-Bas. Dans ce pays voisin, les négociations de coalition ont en effet été très compliquées suite à la victoire de l’extrême-droite dominée par Geert Wilders. Pour éviter un scénario similaire, De Wever a longtemps laissé planer le doute quant à une éventuelle alliance de son parti avec le Vlaams Belang, avant d’exclure formellement cette possibilité à moins de trois semaines du scrutin.

Quoi qu’il en soit, depuis l’élection de 2019, le Vlaams Belang est parvenu à faire rompre le cordon sanitaire dont il était l’objet jusqu’alors, en particulier dans les médias. La multiplication de ses interventions médiatiques lui a donné l’occasion de mettre sur le devant de la scène son thème de prédilection : l’immigration. En Wallonie, ce cordon médiatique reste cependant strictement maintenu : jamais un représentant de l’extrême-droite flamande ne peut s’exprimer en direct sur une chaîne de la télévision francophone, même au soir des élections de 2024. Les discours xénophobes et racistes n’ont donc pas pu faire des émules en Wallonie et à Bruxelles, quand bien même un petit parti d’extrême-droite, Chez Nous, existe depuis 2021 dans ces deux régions.   

Si les digues tiennent pour l’instant au Sud de la Belgique, le maintien du « cordon sanitaire » en Flandre est de plus en plus remis en question. À la suite de l’obtention en 1992 par le Vlaams Blok (prédécesseurs du Vlaams Belang, ndlr) de 10 sièges au parlement fédéral, les partis démocratiques flamands s’engagent alors à ne jamais former une coalition gouvernementale avec les partis d’extrême-droite. Cette exclusion est désormais questionnée, certains estimant qu’il serait salutaire pour la démocratie de confronter le Vlaams Belang à l’exercice du pouvoir afin de décrédibiliser la force d’attraction de son discours antisystème. Toutefois, le refus de Bart de Wever ne tient pas à sa volonté de sauver le cordon sanitaire, mais plutôt à des calculs politiques. Tous les partis francophones ayant fait savoir à Bart de Wever qu’une telle alliance au niveau du gouvernement flamand rendrait impossible toute négociation au niveau fédéral avec le N-VA. Son parti étant le grand gagnant des élections, Bart de Wever a maintenant de bonnes chances de devenir le futur premier ministre belge.  

Cette victoire a un gout de revanche pour le leader nationaliste vis-à-vis du premier ministre sortant, Alexander de Croo. De Wever avait en effet pris comme une trahison le fait que le gouvernement fédéral sortant n’inclue pas son parti, pourtant première force politique de Flandre. Les rapports de force ont changé : sanctionné pour avoir formé un gouvernement avec les socialistes et les écologistes francophones et néerlandophones, De Croo a subi une sévère défaite. Son parti libéral néerlandophone, l’Open-VLD, est rétrogradé au rang de neuvième force politique du pays. C’est là tout le paradoxe de ces élections de 2024 : tandis que les libéraux flamands ont été balayés, le parti libéral francophone, le Mouvement réformateur (MR) devient pour la première fois depuis trente ans le premier parti à Bruxelles et en Wallonie et relègue le parti socialiste en deuxième position.

En Wallonie, victoire d’une droite de plus en plus conservatrice

La victoire du MR renforce considérablement au sein du parti de droite son président controversé George-Louis Bouchez. À sa prise de pouvoir, celui avait annoncé vouloir hisser sa formation politique à hauteur des 30 % en Wallonie ; c’est désormais chose faite. Mais comment expliquer cette progression de 9 % alors que le MR participait au gouvernement précédent, dont le leader a été rejeté dans les urnes ? Cette performance semble liée à la stratégie cynique de George-Louis Bouchez, qui n’a cessé de fustiger certaines décisions du gouvernement fédéral et de la fédération Wallonie Bruxelles alors même que son parti était dans la coalition dirigeante. Si ces prises de position ont exaspéré ses partenaires et ont entamé leur confiance pour l’avenir, elles ont réussi à faire passer le MR pour un parti d’opposition, d’où son score de 29,6 % en Wallonie et de 26 % à Bruxelles.

Cette victoire du parti libéral tient également à son repositionnement politique et à sa transformation interne délaissant la ligne du libéralisme social pour un conservatisme réactionnaire.

Cette victoire du parti libéral tient également à son repositionnement politique et à sa transformation interne délaissant la ligne du libéralisme social pour un conservatisme réactionnaire. Voyant ce changement s’opérer, le parti de centre droit Les Engagés a repris la doctrine de libéralisme social qu’incarnait longtemps le MR et engagé un processus de revitalisation « démocratique » en convaincant de nombreuses personnalités de la société civile à rejoindre ses rangs. Un pari gagnant pour les centristes qui réalisent une percée historique et se placent comme le second parti incontournable en Wallonie. Délaissant la veine social-libérale impulsée par Charles Michel, le Mouvement réformateur s’est attelé à droitiser sa ligne politique pour mieux capter cet électorat sensible aux discours d’une droite conservatrice et réactionnaire orphelin depuis la disparition du Parti populaire de Mischaël Modrikamen et des Libéraux Démocrates de Alain Destexhe (qui fait partie de l’équipe de campagne de Eric Zemmour, ndlr).

Sous la houlette de Georges-Louis Bouchez, les libéraux francophones ont ainsi donné un ton davantage conservateur à leur discours. Dans une étude récente, l’Antwerpen Universiteit et l’université catholique de Louvain ont montré à quel point le paysage politique belge s’était droitisé. Sur l’économie comme sur les questions questions sociales et culturelles, le MR s’est rapproché des positions de la droite flamande nationaliste. Un des exemples les plus manifestes de cette droitisation a été donné par le président sortant de la fédération Wallonie-Bruxelles, Pierre-Yves Jeholet. Lors d’un face à face télévisuel avec le député fédéral du PTB, Nabil Boukili, le libéral n’a pas hésité à inviter son interlocuteur à quitter la Belgique si celui-ci ne voulait pas respecter la neutralité de l’État et l’interdiction du port de signes religieux pour les fonctionnaires des administrations publiques, y compris en back office. Tous les partis démocratiques wallons ont demandé à Pierre-Yves Jeholet de présenter ses excuses, mais ces demandes sont restées lettre morte. Jeholet fut même ardemment soutenu par son parti et par son président.

Le pouvoir d’achat au centre de la campagne

Autre symptôme de cette évolution : le positionnement du MR sur le conflit israélo-palestinien. Le parti libéral s’est toujours refusé à critiquer l’action du gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou et s’est évertué à justifier l’offensive militaire à Gaza. Il rejette également en bloc les accusations de génocide, qu’il assimile à du communautarisme. Le parti a néanmoins soutenu à demi-mot l’émission des mandats d’arrêts internationaux par la Cour Pénale Internationale (CPI) contre le Premier Ministre et le Ministre de la défense israéliens et les trois dirigeants du Hamas. Le MR a également réussi à jouer sur les deux tableaux concernant la reconnaissance de l’État de Palestine : si la ministre MR des Affaires Étrangères sortante Hadja Lahbib s’y est montré favorable, elle n’est pourtant pas passé à l’acte, comme l’ont fait l’Espagne, la Norvège et l’Irlande. Pour se justifier, celle-ci a invoqué son souhait de rassembler un large groupe de pays européens.

Le parti libéral a su également tirer profit de l’importance de la question de la sécurité en région bruxelloise. La Belgique étant devenue l’un des principales portes d’entrée des stupéfiants sur le sol européens via ses ports : plusieurs fusillades liées au trafic de drogue ont eu lieu dans les mois précédant les élections, y compris dans le centre-ville de Bruxelles. Le discours sécuritaire de la droite francophone selon lequel « la peur devait changer de camp » a donc trouvé rapidement de l’écho.

Sur l’un des enjeux phares de cette campagne électorale, le pouvoir d’achat, la droite n’a cessé d’opposer chômeurs et travailleurs. Le parti considère ainsi les personnes sans emploi comme agissant selon la logique simple du coût-bénéfice de l’économie classique, c’est-à-dire préférant les allocations chômage au salaire. Pour y répondre, le parti a donc mis en avant un changement de « mentalité » en plaidant pour une différence d’au moins 500 euros net entre le salaire minimal et le montant de l’allocation de chômage. Pour financer l’augmentation des bas salaires, le MR a suggéré de limiter les allocations de chômage dans le temps, la Belgique étant l’un des seuls pays européens où cette protection sociale existe sans limite dans le temps. Dans un sondage pré-électoral, près de 50 % des Belges étaient favorables à cette mesure, ce qui pourrait en partie expliquer le succès du MR.

La droite francophone a ainsi su habilement reprendre une rhétorique issue de la gauche alors qu’elle veut toujours s’attaquer aux droits des chômeurs.

Mais la question du chômage a également été utilisée par le MR pour attaquer frontalement le Parti Socialiste, qui dominait le paysage politique wallon depuis plusieurs décennies. Bouchez et ses alliés ont ainsi présenté les personnes sans emploi comme des victimes d’un système installé par le PS, notamment le FOREM (équivalent de Pôle emploi, ndlr), dépeint comme inefficace. En présentant les chômeurs comme incapable de s’accomplir en tant qu’individus de par la faute de l’administration, le MR a fait coup double. D’une part, il a pu séduire des électeurs attachés à la « valeur travail » mais rejetant la stigmatisation des chômeurs « assistés ». D’autre part, cela permet d’éviter d’aborder de nombreux sujets centraux comme le durcissement des conditions de travail et la violence d’un marché de l’emploi de plus en plus globalisé. La droite francophone a ainsi su habilement reprendre une rhétorique issue de la gauche alors qu’elle veut toujours s’attaquer aux droits des chômeurs.

Quand le Parti Socialiste adopte la stratégie de la droite nationaliste

Face à l’offensive de la droite conservatrice, la gauche est partie en rangs dispersés, malgré de nombreux points de convergence programmatique, notamment la taxation des riches. Si, à l’instar de la droite, l’ensemble de la gauche voulait également revaloriser les bas salaires, elle entendait le faire via une taxe des millionnaires. Il revient clairement au PTB d’avoir mis à l’agenda cette taxe et à forcer les autres partis progressistes de plancher sur l’élaboration de leurs propres mesures en la matière. Initialement, la proposition du PTB était d’instaurer une taxe de 2% sur tout patrimoine de plus d’un million d’euros. Finalement, à trois mois des élections, le PTB a fait passer le seuil à 5 millions d’euros et fixé un taux de 3 % pour les patrimoines de plus de 10 millions d’euros, afin de tenir compte des effets de l’inflation. L’objectif du parti a en effet toujours été de cibler les 1 % les plus riches et d’épargner les classes moyennes aisées.

Le Parti Socialiste, concurrencé sur sa gauche par le PTB, n’a cessé d’attaquer le parti marxiste sur le remaniement de cette mesure, dénoncé comme un manque de courage. À l’instar de la N-VA vis-à-vis du projet indépendantiste porté par le Vlaams Belang, le Parti Socialiste a cherché à décrédibiliser et à faire croire irréalisable le programme de rupture défendu par le PTB et ce malgré de nombreuses convergences. Symptomatique de l’attitude du PS vis-à-vis d’un potentiel partenaire gouvernemental, son président, Paul Magnette, n’a pas hésité lors d’un débat entre les présidents de parti francophones à qualifier de « couillon » (peureux, ndlr) le parti marxiste en raison des conditions préalables posées par le PTB pour toute participation à un gouvernement. Clairement, socialistes francophones et néerlandophones ont fait le choix de la désunion tout au long de la campagne.

Le président du PTB, Raoul Hedebouw, a au contraire multiplié les mains tendues en direction des socialistes et des écologistes tant francophones que néerlandophones, tout en posant des conditions claires pour entrer dans une coalition. Cette main tendue a été fermement rejetée par les autres partis de gauche durant la campagne électorale. Au soir des élections, le Parti Socialiste a pu constater avec amertume toute l’inefficacité de sa stratégie : il perd sa première place en Wallonie et devient la deuxième force politique francophone. Paul Magnette a pourtant refusé d’inculper sa stratégie de campagne, préférant invoquer la progression de l’extrême-droite en Europe, alors même que celle-ci n’existe pratiquement pas en Wallonie. Après cette défaite amère, le Parti Socialiste a choisi de siéger dans l’opposition à tous les niveaux de pouvoirs. 

Au-delà du décret paysage, l’agenda politique de la gauche, voire du paysage politique francophone, a été largement dicté par les combats menés par le PTB tant au niveau parlementaire et aux côtés des syndicats, en particulier la FGTB.

Avec les écologistes, le Parti Socialiste a sans doute été sanctionné pour sa gestion calamiteuse de la réforme dite du « décret Paysage », qui encadre le financement de l’enseignement supérieur et son accès pour les étudiants. Initialement, cette réforme portée par la ministre libérale de l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles a été votée par le PS et les écologistes, membres de la majorité au sein du gouvernement de la Fédération. Face à la pression du mouvement étudiant très opposé à cette réforme qui accroît les inégalités, le PS et le parti écolo ont finalement mis en cause cette réforme qu’il avait votée deux auparavant en en proposant une version amendée. Celle-ci a finalement été adoptée, grâce au renfort de voix du PTB. En s’associant à la proposition plus protectrice formulée par le PS et les Ecolos, le PTB a su se présenter comme un parti prenant ses responsabilités et non comme « un parti restant au balcon », comme aime à le répéter le Parti Socialiste.

Le PTB poursuit sa progression

Au-delà du décret paysage, l’agenda politique de la gauche, voire du paysage politique francophone, a été largement dicté par les combats menés par le PTB tant au niveau parlementaire et aux côtés des syndicats, en particulier la FGTB. La défaite des socialistes et des écologistes ne signe donc pas la défaite totale de la gauche. Comme le disait Sophie Merckx, présidente du groupe PTB au Parlement fédéral, le parti marxiste a sauvé l’honneur de la gauche lors de ses élections. Le PTB est ainsi devenu, au niveau national, la quatrième force politique. À la chambre, elle envoie 15 députés – 3 de plus que lors de la précédente législature tandis que le PS en compte désormais 16. Néanmoins, il convient également de relever qu’en Wallonie, le PTB a connu un léger recul et perd 2 sièges au sein du Parlement wallon. Cette déception côté wallon est cependant largement contrebalancée par les résultats en région bruxelloise et flamande.

En région bruxelloise, avec 20,9 % des voix, le PTB-PVDA rafle 16 sièges sur 89 et devient ainsi la quatrième force politique. Le parti marxiste y a largement bénéficié de son positionnement clair et déterminé vis-à-vis du conflit au Proche-Orient par son soutien à la population gazaouie. Outre une réforme des institutions politiques régionales, le PTB a largement mis en avant des thèmes liés au pouvoir d’achat lors de sa campagne dans la capitale. Sur le plan des transports, il s’est fermement opposé au projet d’une taxe kilométrique pour circuler en voiture à Bruxelles, tout en défendant la gratuité des transports publics afin d’offrir des alternatives à l’automobile. Le droit au logement était également au cœur de la campagne, à travers la réduction du pouvoir des promoteurs immobiliers privés, l’encadrement des loyers et la création d’une société publique gérant les projets immobiliers.

En région flamande, le parti marxiste progresse et se hisse au même niveau que le parti du Premier ministre sortant. Il gagne cinq sièges au Parlement flamand. Figure extrêmement populaire en Flandre mais candidat à Liège, Raoul Hedebouw, a passé une partie importante de sa campagne en Flandre, œuvrant à offrir au désarroi d’une partie importante de la population flamande une alternative au vote d’extrême droite. Le PVDA n’a eu de cesse de marteler que le Vlaams Belang n’allait pas mettre un terme les privilèges de la classe politicienne – régulièrement dénoncés par le parti d’extrême-droite – puisque ceux-ci en avait bénéficié, notamment lors de la mise en place d’un mécanisme permettant aux députés flamands de percevoir une pension au-delà du plafond autorisé. Plus globalement, la stratégie du PVDA consistant à se présenter comme le véritable parti antisystème a trouvé un vrai écho. Avec 22,5 %, le PVDA devient même le second parti à Anvers, grand centre industriel et portuaire et berceau historique du Vlaams Belang.

Certes un peu moins éclatante qu’espérée, la progression du parti marxiste constitue un motif d’espoir pour les années à venir pour l’ensemble de la gauche belge.

Certes un peu moins éclatante qu’espérée, la progression du parti marxiste constitue un motif d’espoir pour les années à venir pour l’ensemble de la gauche belge. À côté de la progression en Flandre du PTB-PVDA et de la chute des socialistes au Sud du pays, le parti socialiste flamand Vooruit connaît une progression similaire, qui le place troisième force politique en Flandre. Ce succès des socialistes flamands était quelque peu inattendu après le dérapage raciste et sexiste de son ex-président, Conner Rousseau, qui a démissionné à la suite de cet incident. Toujours populaire au Nord du Pays, Conner Rousseau pourrait utiliser ce résultat pour revenir en politique et reprendre la direction de son parti. Quoi qu’il en soit, cette progression de concert des socialistes et des marxistes offre une alternative au projet du Vlaams Belang.

Une difficile alliance des droites wallonnes et flamandes

La victoire de la droite conservatrice en Wallonie avec celle inattendue du parti de centre-droit Les engagés a profondément redistribué les cartes dans le champ politique régional et national. En devenant les deux forces majeures au Sud du pays, ces deux partis – qui se présenteront désormais dans un même bloc tant au niveau fédéral que régional – mettent à mal la rhétorique sur laquelle reposait le projet confédéraliste de la droite nationaliste flamande. Depuis plusieurs années, le président de la N-VA, Bart de Wever, défendait son projet confédéraliste en arguant que la Belgique avait deux démocraties, une au Sud qui votait toujours à gauche et une au Nord, résolument attachée aux valeurs défendues par la droite. 

Bart de Wever, grand vainqueur des élections, a fait savoir lors de ses discours pré-électoraux qu’il refuserait pour cinq années supplémentaires un gouvernement fédéral sans majorité flamande, c’est-à-dire n’incluant pas la N-VA. Compte tenu des résultats, la constitution d’un gouvernement fédéral pourrait se faire via une coalition « suédoise » bis, c’est-à-dire comprenant des libéraux et centristes francophones et néerlandophones (MR et Les Engagés), les chrétiens démocrates flamands (CD&V) et la droite nationaliste flamande (N-VA). Cette coalition a déjà existé entre 2014 et 2018, sous la direction de Charles Michel, avant d’exploser à cinq mois des élections lors de la signature par le Premier ministre du Pacte de Marrakech sur l’immigration. Cette fois-ci, une telle coalition ne pourra voir le jour qu’à la condition de la participation des socialistes flamands qui, pour l’instant, refusent d’y prendre part.

Autre problème de la reconduction d’une coalition suédoise avec Bart de Wever en tant que premier ministre – il vient d’être sélectionné pour conduire les négociations par le roi belge – est que cette coalition, en l’absence des socialistes flamands, n’a pas la majorité en Flandre. Aussi, le leader nationaliste flamand a très clairement fait savoir qu’il refuserait de reconduire une coalition suédoise sans faire figurer dans l’accord de gouvernement la question d’une nouvelle réforme institutionnelle de l’état fédéral, point sur lequel le MR et Les engagés semblent peu enthousiastes. Les deux partis se sont dits ouverts à repenser certaines structures de l’État fédéral pour en améliorer l’efficacité mais sans pour autant régionaliser davantage de compétences fédérales.

Côté francophone, la question d’une union des forces de gauche ne manquera pas de se poser à nouveau.

Si au niveau de la région wallonne, la coalition MR et Les engagés permet d’avoir la majorité confortable (43 des 75 sièges) au parlement wallon), la coalition gouvernementale, au niveau flamand, s’avère plus indécise ; l’option la plus probable serait celle unissant la N-VA, avec le CD&V et Vooruit. Les socialistes flamands acceptent une telle coalition compte tenu du fait que les chrétiens démocrates flamands défendent historiquement une ligne politique de centre-gauche, même si celle-ci tend de plus en plus à suivre le mouvement de la droitisation. Toutefois, Vooruit sait qu’une participation à ce type d’alliance pourrait lui coûter cher dans les urnes. Les tractations au niveau flamand et à l’échelle fédérale s’annoncent donc longues.

Face à ce gouvernement fédéral qui penchera de toute façon clairement à droite, la question d’une union des forces de gauche ne manquera pas de se poser à nouveau. Un appel en ce sens – du moins concernant la gauche francophone – avait déjà été lancé par le président du syndicat FGTB, Thierry Bodson, lors de la rentrée politique du PTB au festival Manifiesta. L’évolution du positionnement de ce syndicat est d’ailleurs représentatif de celui de nombreux électeurs de gauche : les années passant, la FGTB renforce ses liens avec la formation marxiste et devient de plus en plus distante du Parti Socialiste, qui a mené de nombreuses réformes libérales. Mais Bodson a également repris en partie les reproches du PS au PTB, à savoir que le parti apprécierait trop le fait d’être dans l’opposition. Le PS étant désormais dans l’opposition et sanctionné par les électeurs pour son libéralisme, on peut espérer que la victoire du PTB puisse amener les autres parties de gauche à reprendre ses points de ruptures majeurs : fin du blocage des salaires, taxe sur les millionnaires, retour de la pension à 65 ans et fin de l’austérité européenne. De manière comparable à la gauche française, il est désormais plus envisageable pour la gauche belge de s’unir autour d’un programme de rupture grâce à la percée du PTB-PVDA. De quoi voir un front populaire belge émerger dans les années à venir ?

Élections législatives en Belgique : quelle majorité au royaume aux six gouvernements ?

https://www.flickr.com/photos/fdecomite/5089037055/in/photostream/
Flickr / fdecomite / DR

Le 26 mai prochain, les électeurs belges prendront part à un super-scrutin : en plus des élections européennes auront lieu les élections législatives. Ce scrutin revêt un enjeu majeur pour le Royaume, puisqu’il décidera des prochaines coalitions qui composeront le gouvernement fédéral et les différents gouvernements régionaux. Si la gauche semble en mesure de réaliser des scores importants en Wallonie et dans la région bruxelloise, la scène politique en Flandre reste dominée par la droite. La percée de la question écologique, portée sur le devant de la scène par la jeunesse belge, pourrait cependant changer la donne et entraîner la fin de la coalition « suédoise » au pouvoir depuis 2014. Par Rik Mortier.

Les électeurs belges choisiront leurs nouveaux représentants ce 26 mai dans le cadre des élections fédérales et régionales qui se tiendront parallèlement aux élections européennes. Ces élections prennent place dans une période politiquement difficile : en effet, la coalition « suédoise »[1] constituée entre les libéraux francophones et néerlandophones (MR et Open VLD), les chrétiens démocrates et nationalistes flamands (CD&V et NVA), est tombée suite au départ de la NVA le 8 décembre 2018. Les nationalistes flamands s’étaient opposés à la signature par la Belgique du Pacte mondial pour des migrations sûres (dit « Pacte de Marrakech »). Ce désaccord a entraîné la chute du gouvernement du premier ministre Charles Michel qui, faute de majorité à la Chambre des représentants (chambre basse du Parlement fédéral belge), a dû constituer un « gouvernement d’affaires courantes ».[2]

Les élections de 2014 avaient généré un séisme dans la vie politique belge. Pour la première fois, la NVA entrait au gouvernement fédéral et prenait la tête de la région flamande, devenant ainsi le premier et plus puissant parti du Royaume. Son ascension avec deux autres partis flamands (CD&V et Open VLD), pour un seul parti francophone (le MR) aux commandes de la Belgique avait suscité de multiples interrogations quant à la politique qui serait conduite au niveau fédéral.

Cinq ans plus tard, le départ abrupt des régionalistes flamands de la majorité gouvernementale semble avoir rebattu les cartes du jeu politique. L’arrivée en force de la thématique écologique sur la scène nationale ainsi que la forte poussée de la gauche en Wallonie et dans la région bruxelloise ont entraîné une polarisation du débat politique et n’ont fait que renforcer l’importance du scrutin sur l’avenir de la Belgique. En Flandre, bien que la NVA reste le premier parti dans toutes les enquêtes d’opinions, son départ de la majorité fédérale a fortement compliqué sa relation avec ses partenaires. Derrière elle, l’importance prise par la question écologique amène les verts flamands (Groen) à disputer la deuxième place aux chrétiens démocrates (CD&V) et aux libéraux (Open VLD). En Wallonie et à Bruxelles, la gauche domine les débats : à Bruxelles, les écologistes sont en passe de devenir le premier parti, talonnés par les socialistes. En Wallonie, ce sont les socialistes, malgré les différents scandales dont ils ont fait l’objet, qui réussissent à rester le premier parti du pays, suivi par les écologistes qui pour la première fois pourraient reléguer les libéraux au troisième rang. A noter également une forte percée du Parti du Travail de Belgique (PTB). Ce parti d’essence marxiste, qui ne réalisait jusqu’à récemment que des scores assez confidentiels, constitue une nouvelle force sur laquelle les autres partis devront compter à l’avenir.

Les élections communales de 2018 : premier crash-test avant les élections nationales

Afin de situer les enjeux de la campagne qui a actuellement lieu, il faut revenir sur les élections communales et provinciales d’octobre 2018. Celles-ci ont servi de test pour la plupart des partis politiques, qui ont pu mettre à l’épreuve leur stratégie électorale, avec en vue les élections fédérales et régionales de l’année suivante.

En Wallonie et à Bruxelles, ces élections ont été marquées par une nette progression d’Écolo et du PTB. Les verts ont réussi à capitaliser sur l’importance croissante prise par la question écologique dans le débat politique. Ils ont également bénéficié d’un positionnement central qui leur permet de récupérer une partie des voix des libéraux et des démocrates-chrétiens. Trois des dix-neuf bourgmestres (les maires) bruxellois sont aujourd’hui Écolo, les verts arrivant également en seconde position dans neuf autres communes bruxelloises. Le PTB a lui aussi progressé de manière significative, passant de 2 à 35 sièges dans les différents conseils communaux. Cette réussite ne s’est cependant pas concrétisée dans des participations aux majorités, puisque le PTB a été écarté de toute participation au sein de majorités municipales.

Ces deux partis ont largement bénéficié des différents scandales financiers qui ont touché le Parti Socialiste (PS). Ce dernier, bien qu’affaibli, est resté une force déterminante au sein du paysage politique du sud du pays. Il a notamment réussi à conserver les mairies des principales villes Wallonnes. Plus surprenant encore, malgré les faits de corruption révélés par le scandale du Samusocial[3] mettant en cause le Bourgmestre socialiste Yvan Mayeur, le PS a réussi à conserver la mairie de Bruxelles. Face à ces trois partis, les libéraux du MR ont essuyé un échec, tandis que les démocrates-chrétiens du CDH (centre), s’ils ont limité la casse, restent une force politique de second plan.

Face ce paysage politique wallon et bruxellois ancré à gauche, les résultats en Flandre ont montré une carte politique orientée à droite. La campagne, essentiellement concentrée sur la ville d’Anvers, aura finalement offert un résultat mitigé aux nationalistes. Les chrétiens-démocrates du CD&V ont réussi à se maintenir comme premier parti au niveau local, une place que la NVA cherchait à leur ravir. A gauche, si Groen (les verts flamands) enregistre une progression notable, le SP.A (parti socialiste flamand) s’effondre totalement. A noter là encore des scores qui s’améliorent pour le PTB. Les communistes ont même pu rejoindre une coalition au niveau communal (la seule à l’échelle du pays) dans la petite ville de Zelzate.

Loin de la victoire éclatante qui préfigurerait un succès de la NVA aux élections fédérales, celle-ci a au contraire perdu des voix au profit du Vlaams Belang, un parti d’extrême-droite indépendantiste. Les bons résultats de ce parti, qui a su récupérer une partie des électeurs déçus de la NVA, ont poussé le parti régionaliste à radicaliser sa campagne.

Les régionalistes de la NVA mis en difficulté par les scandales

L’échec électoral relatif de la NVA aux élections communales a sans aucun doute servi de déclencheur à la crise gouvernementale de décembre 2018. La NVA a en effet échoué à réaliser les objectifs qu’elle s’était fixés, à savoir la prise de plusieurs grandes villes flamandes en-dehors d’Anvers, afin de devenir la première force locale de Flandre. Le parti s’est par ailleurs fait doubler sur sa droite par le Vlaams Belang qui a enregistré de bons scores. Cherchant dès lors à durcir leur discours anti-immigration, les régionalistes flamands ont manifesté une virulente opposition contre la signature du le Pacte de Marrakech par l’État belge, alors que celui-ci était en cours de négociation au sein de la majorité gouvernementale depuis de nombreux mois. Face à la volonté des partenaires de la suédoise de signer l’accord, la NVA a quitté le gouvernement Michel le 8 décembre, avant que celui-ci ne passe en affaires courantes, faute de soutien de la part des autres partis représentés à la Chambre.

En utilisant le Pacte de Marrakech comme prétexte pour justifier son départ du gouvernement, la NVA a cherché à placer la thématique migratoire au centre du débat politique avant les élections. Cette stratégie a cependant été limitée par le scandale des visas humanitaires qui a impacté l’ex-Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Théo Francken. Ce dernier était pourtant devenu une figure de proue de la NVA, dont les dirigeants n’avaient pas hésité à défendre les nombreuses sorties polémiques. L’affaire consiste en un large trafic de visas humanitaires par un réseau d’intermédiaires en Belgique, et notamment des responsables locaux de la NVA. Ceux-ci ont amassé d’importantes sommes d’argent en vendant ces visas à la communauté chrétienne de Syrie. Le secrétaire d’État Francken a été directement mis en cause pour avoir ouvert « un canal de migration opaque, n’offrant pas les garanties d’un traitement équitable » selon l’Administration de l’Asile et de la Migration.

Cette mise en cause a ébranlé l’image d’un parti qui se présente comme intraitable sur les questions liées à la migration. Elle a également limité la capacité de la NVA à faire de l’immigration un sujet central de la campagne.

La question sociale et l’émergence du Parti des travailleurs de Belgique

Les questions socio-économiques ont occupé une place importante dans les débats politiques en Belgique. La politique néolibérale de la coalition suédoise et la promesse des « jobs, jobs, jobs » du Premier Ministre Charles Michel ont suscité de vives crispations. Les décisions prises ont notamment entraîné une forte augmentation des contrats précaires : 52% des nouveaux contrats en 2016 étaient des contrats précaires (CDD) et 40% de ces contrats étaient à temps partiel. La part de ces contrats est passée de 40% en 2014 à 48% en 2018 pour les premiers, et de 27% à 31% sur la même période pour les seconds.

L’émergence du mouvement des gilets jaunes en Belgique a participé à l’émergence de la question sociale dans le débat politique. Il a favorisé la montée du PTB, déjà en nette progression en Wallonie et à Bruxelles, et dans une moindre mesure en Flandre. Ce parti fait figure d’ovni dans le paysage politique belge intégralement régionalisé, car il est le seul parti national.[4] Il a su tirer profit de l’affaiblissement du PS tout en se positionnant sérieusement sur des dossiers importants tels que la fiscalité des entreprises. Son positionnement en faveur d’une politique sociale et écologique axée sur des investissements publics, la non-régression sociale et le renforcement de la démocratie directe a suscité une adhésion non négligeable dans un pays où plus de 20% de la population, soit près de 2,3 millions de personnes, est menacée de pauvreté ou d’exclusion.

La question climatique : enjeu qui transcende les clivages régionaux

Dans la foulée des élections communales, la Belgique a assisté à la naissance du mouvement de soutien à l’écologie le plus important que le Royaume ait jamais connu. Ces manifestations trouvent leurs origines dans la gestion calamiteuse du parc nucléaire belge, dont toutes les centrales ou presque sont à l’arrêt, fissurées ou en entretien. La qualité de l’air, déplorable sur l’ensemble du pays et en particulier dans les métropoles bruxelloise et anversoise, a également poussé la population dans les rues. C’est ainsi que tout au long de l’année 2018, des écoliers bruxellois néerlandophones, plus tard suivis de leurs comparses francophones et de leurs parents, ont participé à des opérations de ralentissement de la circulation aux abords des écoles. Les manifestions ont par la suite pris une nouvelle dimension à la veille de la COP24 en Pologne. Le 2 décembre 2018, plus de 60 000 personnes marchaient dans les rues de Bruxelles pour le climat. Depuis lors, des manifestations sont organisées régulièrement dans les grandes villes de Belgique et rassemblent des milliers de manifestants.

La question de l’écologie a largement polarisé la politique belge. Les membres de la suédoise ont montré une faiblesse manifeste sur cette question. Chrétiens-démocrates comme libéraux se sont avérés totalement incapables de répondre aux injonctions de la rue. Le poids politique de la thématique écologique s’est traduit par la démission de la ministre flamande de l’environnement, Joke Schauvliege. Cette dernière a été forcée à quitter son poste suite à des propos mensongers où elle affirmait que les services de la Sûreté de l’État l’avaient informée que les manifestations pour le climat étaient un complot mis en place par des organisations environnementales. La NVA, quant à elle, s’est frontalement opposée aux appels de la rue en soutenant le nucléaire.

Au Parlement belge, Groen et Écolo ont habilement réussi à maintenir le sujet sur la table des discussions, notamment en tentant d’introduire une révision de l’article 7bis de la Constitution belge avec une loi climat élaborée par des chercheurs issus de plusieurs grandes universités du Royaume. Cette révision aurait significativement renforcé la coordination entre les différentes instances belges au niveau régional et fédéral, tout en incluant les obligations internationales de la Belgique dans son corpus constitutionnel. Le texte, rejeté en l’absence d’une majorité des deux-tiers, a mis en exergue la division entre la Flandre et la Wallonie sur la question climatique. En effet, la quasi-totalité des partis francophones se sont prononcés en faveur du texte, alors que les partis de droite néerlandophones (CD&V, Open VLD et NVA) s’y sont tous opposés. Si les manifestations ont trouvé un écho puissant au nord comme au sud du pays, le positionnement des partis politiques sur la question écologique reflète toujours la frontière linguistique.

L’identité de la Belgique toujours au centre du débat politique

L’importance prise par les questions écologiques et sociales a mis au centre du jeu politique des thématiques qui dépassent les clivages régionaux. Les manifestations sur le climat ont en effet vu défiler des jeunes de toutes les régions de la Belgique avec un message unique. De même, les aspects socio-économiques et la contestation de la politique néolibérale du gouvernement Michel ont pris une ampleur nationale sur des questions telles que la fiscalité ou la réforme de la fonction publique.

Il n’empêche que la question identitaire fait toujours débat en Belgique. Les régionalistes flamands de la NVA ont en particulier cherché à placer l’idée du confédéralisme au centre du débat politique. Pour eux, la Belgique se divise chaque jour davantage en deux démocraties indépendantes  avec des avenirs distincts. Ils en veulent pour preuve le renforcement du clivage politique entre une Wallonie progressiste dominée par la gauche et une Flandre libérale-conservatrice. Les choix politiques des deux régions rendraient à terme la Belgique ingouvernable, justifiant la transformation du Royaume en « confédération » dans laquelle les régions recevraient les pleins-pouvoirs. Le gouvernement fédéral se transformerait alors en coquille vide dénuée de toute compétence substantielle. Pour leurs opposants, cette stratégie cache à peine la volonté d’une véritable scission du pays, le confédéralisme ne servant à terme qu’à acter l’obsolescence de la Belgique comme entité politique. Si une majorité des Flamands reste défavorable à l’indépendance, force est de constater que leurs dirigeants jouent des tensions politique et des clivages régionaux avec la volonté d’en tirer des bénéfices électoraux.

Constituer les futurs gouvernements du Royaume : un casse-tête belge

La Belgique fait face à l’un des scrutins les plus incertains auquel elle n’ait jamais été confrontée. Avec une scène politique plus divisée que jamais, la constitution de gouvernements viables aux différents échelons de pouvoir reste difficile à évaluer.

Dans les régions de la Wallonie et de Bruxelles, la gauche semble en mesure de l’emporter. La constitution de majorités progressistes reste cependant à confirmer. Si les socialistes et les verts paraissent en mesure de pouvoir s’associer, des accords incluant le PTB restent improbables à l’heure actuelle. L’échec de la constitution de majorités au niveau communal entre les communistes et les socialistes en Wallonie comme à Bruxelles, malgré des tentatives à Charleroi, Liège ou Molenbeek, montre que ces partis n’ont pas encore réussi à trouver l’équilibre nécessaire à la mise en place de majorités stables. Les libéraux du MR et les humanistes du CDH ne seront par ailleurs pas en reste, et pourraient chercher à négocier leur entrée dans les majorités wallonnes et bruxelloises, moyennant un appui au niveau fédéral ou dans l’une ou l’autre des régions francophones.

En Flandre, force est de constater que la NVA reste l’acteur central. Le parti a montré une importante résilience face à l’érosion du pouvoir et reste deux fois plus important dans les sondages que les chrétiens-démocrates, les verts et les libéraux, tous au coude à coude autour de 15%. Les régionalistes paraissent donc pour l’heure quasi-incontournables. L’hypothèse d’une majorité incorporant leurs trois poursuivants, avec l’appui des socialistes flamands, pourrait cependant voir le jour en cas de score plus faible que prévu.

De la constitution des gouvernements au niveau régional dépendra en grande partie la composition du gouvernement fédéral, et inversement. Le bricolage des différentes majorités au sein de ces entités dépend d’un jeu politique complexe à la suite des élections. Cela explique notamment les difficultés auxquelles la Belgique fait face dans la constitution de ses gouvernements ces dernières années. Si toute prédiction paraît aujourd’hui hasardeuse, on peut effectuer plusieurs observations :

En premier lieu, le départ de la NVA suite à la ratification du Pacte de Marrakech a tendu les relations entre les partenaires de la suédoise. Plusieurs partis ont affiché leurs réticences à l’idée de reconduire la même majorité. Si la NVA restera quasi-certainement le parti le plus important en Flandre, son attitude pourrait lui jouer des tours, et pousser ses ex-alliés à prendre le large.

Si le PTB a réalisé une percée importante aux élections communales et devrait poursuivre sur sa lancée, il paraît improbable que le parti entre au sein d’une majorité gouvernementale. Il aura cependant fortement orienté les débats sur les questions sociales tout en entraînant les autres partis de gauche à sa suite. Son positionnement comme seul parti unitaire à l’échelle de la Belgique lui permet également de prôner un message d’unité, se faisant ainsi l’antithèse des nationalistes flamands.

Les bons scores prédits aux écologistes dans toutes les régions de la Belgique, s’ils venaient à se concrétiser, pourraient en faire le premier groupe politique à l’échelle du pays. Il s’agirait d’un renversement important, puisque les écologistes flamands, wallons et bruxellois sont les seuls à siéger dans un groupe commun à la Chambre des représentants[5]. Le groupe créé serait ainsi plus grand que celui de la NVA, donnant potentiellement l’initiative aux écologistes pour la constitution d’une majorité fédérale. Cela les rendrait également quasi-incontournables pour les autres partis, en particulier dans un contexte où l’écologie a été l’un des thèmes forts de la campagne.

Les rapports de force politique actuels laissent supposer que la composition du prochain gouvernement fédéral ne reflètera pas les majorités constituées au sein des tous les gouvernements régionaux. Dans l’éventualité où une majorité sans régionalistes flamands se constituerait, celle-ci ne pourrait probablement pas se passer des écologistes et/ou du PS. Ce facteur pourrait renforcer le discours émancipateur de la droite et de l’extrême droite flamande, avec pour résultat une fracture encore plus large entre les différentes composantes de la Belgique.

[1] La coalition « suédoise » est appelée ainsi car le Premier Ministre Charles Michel a associé les couleurs de son gouvernement au drapeau suédois. En effet, le bleu est la couleur distinctive de la communication politique des partis libéraux (MR et Open VLD), le jaune celle utilisée par les nationalistes flamands de la NVA, tandis que la croix symbolise la présence dans ce gouvernement du CD&V, le parti chrétien-démocrate flamand.

[2] Un gouvernement d’affaires courantes désigne en Belgique en gouvernement exerçant le pouvoir de façon limité. Cette situation peut se produire notamment lorsque le gouvernement n’a pas la confiance au sein de la Chambre des Représentants (la Chambre basse du Parlement belge) ou lors de la dissolution des chambres du Parlement belge. On parle également de gouvernement intérimaire.

[3] Le 8 juin 2017, le bourgmestre PS de la commune de Bruxelles Yvan Mayeur dut démissionner à cause des suites du scandale du Samusocial. Par l’intermédiaire d’un système de rémunération opaque, l’ex-bourgmestre ,ainsi que l’ex-présidente du Centre Publique d’Action Sociale de Bruxelles Pascale Peraïta, ont touché chacun plus de 112 000 euros entre 2008 et 2016. Ce scandale a été révélé en parallèle de l’affaire Publifin, dans laquelle plusieurs mandataires locaux du PS sont également mis en cause pour avoir perçu d’importantes rémunérations de l’intercommunale (terme utilisé pour définir une entreprise publique gérée par plusieurs communes en Belgique) Publifin.

[4] En Belgique, l’ensemble des mouvances politiques sont divisés en partis distincts suivant la division linguistique du pays (à l’exception des partis régionalistes favorables à la scission de la Belgique et du PTB).

[5] Les partis politiques belges à la Chambre des Représentants ont constitué des groupes politiques par partis régionaux. Ainsi, les socialistes, les chrétiens-démocrates et les libéraux ont chacun constitué un groupe avec leur frange francophone, un autre avec leur frange néerlandophone. Les régionalistes ne sont représentés qu’en Flandre. Groen et Ecolo font figure d’exceptions, les deux partis ayant constitué un groupe commun à la Chambre des représentants.