Plan de relance européen : la montagne accouche-t-elle d’une souris ?

© Emmanuel Sangnier

À survoler la presse française, le plan de relance européen est un succès pour le président de la République, qui aurait convaincu Angela Merkel de la nécessité d’un instrument budgétaire visant à contrebalancer l’accroissement des divergences de la zone euro. Il semble réaliser le fantasme des élites françaises de « clouer la main de l’Allemagne sur la table » par la mutualisation budgétaire. Le son de cloche est bien différent dans les couloirs bruxellois, où les États-membres de l’Union européenne avancent leurs pions dans les coulisses ; là-bas, on n’oublie pas que la France a déjà fortement reculé par rapport à ses ambitions initiales et risque de payer le prix fort de cet accord. L’opposition des « quatre frugaux » à toute idée de mutualisation accroîtra nécessairement son coût pour la France – qui est, selon les données macroéconomiques du premier trimestre, le pays de l’UE le plus touché par les conséquences du confinement. Sur le long terme, ce plan ne résout rien des défauts de conception de l’union économique et monétaire ; pis : il fait peser plusieurs menaces austéritaires sur l’économie européenne – et particulièrement sur les pays du Sud. Par Lorenzo Rossel.


Le Conseil européen de ce week-end doit conclure des négociations budgétaires qui ont commencé1 il y a deux ans autour du budget pluriannuel de l’Union pour la période 2021-2027 (la proposition initiale émise en mai 2018 était de 1135 milliards d’euros pour l’ensemble de la période). L’atmosphère était alors toute différente : on ne parlait que de « réformes » des grandes orientations politiques et de la volonté élyséenne de construire une souveraineté européenne. L’enthousiasme a été de courte durée ; les plus optimistes ont dû acter en février dernier l’impossibilité de réforme des grands équilibres du budget – les pays de l’Est refusant une diminution de la politique de cohésion, la France toute réforme substantielle de la Politique agricole commune, les « frugaux » nordiques et l’Allemagne une hausse substantielle de leur contribution – visant à dégager une marge de manœuvre pour investir dans l’espace, la défense ou le numérique.

Les « frugaux », le Sud et le bloc franco-allemand : l’impossible équilibre ?

La crise consécutive au coronavirus et la récession historique qui s’annonce ont cependant conduit les responsables européens à s’accorder sur la nécessité d’un plan de relance – NextGenerationEU – à 750 milliards d’euros (500 milliards de transferts, 250 milliards de prêts à taux avantageux) en plus du budget pluriannuel.

Le bloc des pays du Nord est constitué des Pays-Bas, de l’Autriche, du Danemark, de la Suède et de la Finlande ; lorsqu’il s’agit d’être implacable sur des politiques d’austérité, ils sont rejoints par les États baltes dans une nouvelle ligue hanséatique. Les plus véhéments sont les Néerlandais

[Pour une recontextualisation de Conseil européen et un décryptage des points techniques qui y sont discutés, lire sur LVSL par le même auteur : « Plan de relance européen : la farce et les dindons »]

On peut identifier quatre blocs antagonistes dans cette négociation – avec de nombreuses nuances internes et des recoupement partiels :

  • Le bloc central franco-allemand (rejoint à l’occasion par le Luxembourg, la Belgique ou l’Irlande) qui s’est politiquement mis en jeu pour cette proposition. En-dehors de la défense de cet accord il n’est que peu revendicatif, à condition que le rabais de contribution côté allemand et la politique agricole commune côté français soient préservés.2
  • Le bloc des pays du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Chypre et Malte. La Croatie, la Roumanie et la Bulgarie pouvant être considérées tant du Sud que de l’Est), les plus touchés par la crise, qui devraient être les principaux bénéficiaires de cette proposition. Leur objectif est de modérer la conditionnalité – c’est-à-dire principalement des mesures d’austérité – que cherchent à leur imposer les États du nord en échange de l’accès aux fonds du plan de relance.3
  • Le bloc des pays de l’Est, qui bénéficient moins de cette proposition de fonds de relance, mais qui sont prêts à accepter le plan, en échange d’une sanctuarisation de la Politique de cohésion (sans aucune condition relative au respect de l’État de droit, notamment pour la Pologne ou la Hongrie…) dans le budget pluriannuel. Dans une moindre mesure, ils soutiennent un maintien à un niveau élevé de la PAC ainsi que des retours plus importants pour eux sur le plan de relance.4
  • Les pays du Nord enfin : Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède et Finlande ; lorsqu’il s’agit d’être implacable sur des politiques d’austérité comme condition d’accès aux fonds, ils sont rejoints par les États baltes dans une nouvelle ligue hanséatique. Les plus véhéments sont les Néerlandais, déterminés à réduire le montant des transferts pour les transformer en prêts, à durcir la gouvernance jusqu’à demander l’unanimité pour la validation des plans de relance nationaux « subventionnés » par le plan de relance européen NextGenerationEU.

Par-dessus tout, la ligne rouge des pays du Nord consiste dans la mutualisation des dettes, qu’elle s’effectue à travers une augmentation pérenne et conséquente du budget ou par l’émission d’obligations par une autorité européenne (les coronabonds). Ces pays étant dépositaires de fortes traditions parlementaires où les objectifs budgétaires sont fortement soutenus et surveillés, les gouvernements nordiques, en particulier celui du premier ministre néerlandais Mark Rutte, jouent de la menace d’un blocage de leur parlement en cas de contribution nationale trop élevée ou de règles européennes de gestion trop « laxistes ».

Pour résumer : le plan de relance, priorité politique du bloc central franco-allemand, rencontre l’opposition du bloc nordique, le soutien non désintéressé du bloc du Sud et l’indifférence du groupe de l’Est.

Alors que comme le montrait le précédent article, la proposition de la Commission était budgétairement défavorable à la France, il semble que la nouvelle proposition révisée de Charles Michel soit le produit de concessions françaises supplémentaires.

La grande réforme du financement de l’Union n’aura vraisemblablement pas lieu. La France, soutenue par la Commission et le Parlement européens, bute sur une série d’obstacles. On trouve en premier lieu l’Allemagne, secondée par les pays de l’Est, opposée à l’introduction de la ressource ETS. On trouve ensuite les paradis fiscaux (Pays-Bas, Luxembourg, Irlande…), opposés à la mobilisation de ressources qui mèneraient vers des harmonisations fiscales (taxe numérique, assiette commune sur les sociétés, taxe sur les transactions financières) et mettraient fin à l’optimisation indécente des plus sourcilleux sur la dépense commune : les Pays-Bas.

On trouve enfin les « frugaux », secondés par l’Allemagne, quant à la suppression des rabais. Ces derniers pourraient même augmenter (rappelons que si ceux-ci ne sont ne serait-ce que maintenus, cela reviendrait à ce que la France rembourse, sans aucune plus-value européenne, 8 milliards de 2021 à 2027 à l’Allemagne, au Danemark, à la Suède, à l’Autriche et aux Pays-Bas !), comme à quasiment chaque négociation depuis 1984 et le fameux I want my money back de Margaret Tatcher. La revendication de « mécanismes de correction » (terme poliment employé par la Commission) réduisant les contributions nationales – jusqu’à 25% dans le cas des Pays-Bas – des bénéficiaires n’a pas disparu avec le départ de nos voisins d’Outre-manche. Ces rabais minent tout autant le « projet européen » que la sécession fiscale de nos grandes fortunes. Ce graphique, extrait d’une note du think thank Bruegel, illustre le caractère régressif du financement du budget européen.

Source : Bruegel, A new look at net balances in the European Union’s next multiannual budget, https://www.bruegel.org/2019/12/a-new-look-at-net-balances-in-the-european-unions-next-multiannual-budget/

L’intégrité du plan de relance semble encore menacée par les assauts des « frugaux ». Danois, Suédois et Autrichiens ayant sur ce volet modéré leurs ardeurs, l’activisme des Néerlandais est à souligner : une coupe de 100 milliards dans les 500 milliards de transferts n’est pas impossible d’ici à la fin de la négociation, amputant un plan déjà modeste par les moyens au regard de ses objectifs.

Les autres frugaux se consolent par des demandes de coupes supplémentaires dans les 1100 milliards proposés en mai dernier par la Commission (contre 1135 milliards dans la première proposition de la Commission en mai 2018) et par des demandes de rabais supplémentaires.5

Sur le sujet de la gouvernance, le premier ministre néerlandais se montre également très virulent et exige la validation des plans de relance nationaux à l’unanimité des États-membres pour débloquer les fonds du plan de relance, ce qui conduirait inévitablement, au vu des priorités politiques des gouvernements – conservateurs ou sociaux-démocrates – nordiques, voire baltes, à un durcissement de l’austérité, à des « réformes structurelles » avec des objectifs d’équilibre des budgets de l’État et des comptes sociaux sans se soucier de leur effet dépressif (sur des économies déjà déprimées…). Sur cette question précise, il semble tout aussi isolé que déterminé, et son parlement avec lui. La volonté de conditionner les subventions et les prêts à des mesures austéritaires rencontre cependant une approbation plus large, qui s’étend jusqu’à l’Allemagne et la présidente de la Commission – on peut d’ores et déjà considérer que l’injection d’une certaine dose d’austérité fait partie des accords qui seront signés.

Les « frugaux » apparaissent donc comme les derniers États-membres suffisamment insatisfaits pour faire échouer le Conseil européen. Un coup de théâtre dans la belle communication élyséenne de sortie de confinement n’est donc nullement impossible, embarrassant le président qui a déjà mis le plan européen du côté des réussites de son quinquennat. Celui-ci, constituerait-il, s’il était adopté, « l’une des plus grandes avancées européennes des dernières décennies » comme l’affirme le président Macron ?6

Une révolution politique ?

Le président de la République a en effet investi depuis le discours de la Sorbonne une grande partie de son capital politique dans un approfondissement de la construction européenne, parallèlement à une volonté de stopper le processus d’élargissement7. Le plan de relance proposé constitue-t-il un point de rupture en la matière, aux conséquences de long terme ?

Une grande part des observateurs bruxellois – divers think thank comme Bruegel ou l’institut Robert Schumann, les correspondants français à Bruxelles à l’image de Jean Quatremer, passé d’une période de dépression sur la construction européenne en février8 à l’allégresse en mai, (devisant même de la construction d’un Trésor européen9) soulignent bien une rupture importante : pour la première fois, l’Union va emprunter pour redistribuer entre les États-membres.

Cependant – et c’est là une caractéristique essentielle de ce plan – il se fait à traités constants. La Commission a en effet tiré le maximum de ceux-ci et notamment de l’article 122 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. Or quand on examine celui-ci, ce qui autorise un tel plan est son caractère à la fois « exceptionnel » et « limité dans le temps ». Aucun renouvellement de ce plan dans trois ou quatre ans (à l’échéance des engagements de dépenses de celui-ci) n’est donc prévu et seules des circonstances « exceptionnelles » pourraient justifier un nouvel arrangement de la sorte. De telles circonstances exceptionnelles seraient de nouveau évaluées au regard des demandes budgétaires en application du principe de proportionnalité. Surtout, l’Union ne pourra pas faire « rouler » davantage la dette créée d’ici 2024 par la réponse à la Crise du Covid-19 au-delà de la date limite (2058 selon l’échéance prévue par la Commission dans sa proposition amendée de décision ressources propres). Le Trésor européen entrevu par Jean Quatremer a donc une durée de vie limitée, contrairement à ceux des États-membres – immortels jusqu’à preuve du contraire.

Assurément, les traités ont été distordus et vu les échéances, il n’est guère impossible que d’ici à 2058 ils soient révisés, mais cet accord ne représente aucun changement de logique pérenne et ne peut constituer a contrario de ce qu’avance le président Macron « l’une des plus grandes avancées européennes des dernières décennies ».

Au niveau économique également, en apparence le plan semble constituer une rupture. Il va bien permettre à l’Italie de passer l’année sans voir sa dette attaquée par les marchés (si la Banque centrale européenne maintient sa politique en dépit des recours juridiques qui se multiplient, traités à l’appui, contre elle). Les transferts budgétaires impliqués par NextGenerationEU sont cependant bien trop faibles et dans quelques années l’Italie sera confrontée aux mêmes problèmes structurels : une productivité en baisse depuis l’introduction de l’euro, un sous-investissement chronique dans les infrastructures et l’éducation (partiellement compensé certes pendant quelques années), une fuite de ses diplômés vers les pays du Nord, un Mezzogiorno inadapté au libre-échange et à une monnaie forte et une fissure encore accrue dans le consensus fiscal avec le Nord.

Nulle révolution économique, donc, mais des enjeux politiques conséquents pour Emmanuel Macron et Angela Merkel, les promoteurs du plan. Le président français se pose en sauveur de l’Europe pour fédérer son électorat. Plusieurs analyses – de la cartographie électorale d’Emmanuel Todd et d’Hervé le Bras10 à l’économie politique de Bruno Amable et Stefano Palombarini11 – ont montré l’aspect fédérateur du projet européen pour des composantes de l’électorat autrefois opposées entre centre droit et centre gauche. En dehors de l’objectif de préservation de la PAC (ce qui au passage limite les possibilités de réforme et « d’écologisation » des dispositifs européens) et du soutien à un plan de relance temporaire, la France semble avoir tout cédé sur ses ambitions de réforme du budget, et notamment sur le volet ressources.

Le modèle structurellement ultra-exportateur de l’Allemagne, l’impossibilité pour les nations du Sud de dévaluer leur monnaie, l’incompatibilité de la discipline budgétaire promue par l’Allemagne avec les modèles sociaux des pays méditerranéens, sont autant de tâches aveugles de la volonté réformatrice d’Angela Merkel

Les nouvelles priorités en dépenses du président que sont la défense et l’espace ont quant à elles été rabotées au fur et à mesure de la négociation par rapport au projet de budget initial de la Commission en mai 2018. Les montants envisagés (moins de 10 milliards sur 7 ans pour la défense, 13 pour l’espace) semblent trop faibles au regard des objectifs élyséens d’armée européenne ou du moins de commandement intégré alternatif à l’OTAN – d’autant que sur ces positions la France reste très isolée, l’Allemagne et la Pologne souhaitant notamment conserver le parapluie américain.

[Lire sur LVSL : « Le doux rêve d’une défense européenne indépendante de l’OTAN »]

Contrairement aux objectifs qu’il s’était donné en 2017 et à la promesse de révolution faite à son électorat, Emmanuel Macron a donc échoué à redonner un nouvel élan au « projet européen ». Il n’a su le mettre à l’abri – sauf durant une exception temporaire de quelques années au maximum, et de manière limitée – de ses logiques austéritaires et concurrentielles, des comportements parasitaire et de ses passagers clandestins. En-dehors de Bruxelles et de son entre-soi très chic de think thank, de correspondants de grands journaux européens, de lobbyistes, de syndicats, d’ONG et de fonctionnaires européens, il continue d’exister 27 projets européens plus ou moins ambitieux.

Le seul projet commun que l’Union parvienne à générer sur les dernières années semble être celui d’un recentrage national. Le président de la République, au lieu de s’attaquer aux sources des divergences économiques et politiques que sont le marché et la monnaie uniques, a préféré emboîter le pas à trente ans de politique européenne des gouvernements français depuis Maastricht : pousser pour une solidarité budgétaire, conçue comme un palliatif aux maux précédemment décrits ; une forme de solidarité que personne ne souhaite au sein des pays riches.

Le palliatif pour maintenir le statu quo

Pour Angela Merkel également, le capital politique investi est important. De la même manière qu’en 2015 au moment de la décision unilatérale de l’Allemagne d’ouvrir ses frontières aux réfugiés, il n’a fallu qu’un changement de ton de la chancelière pour que l’ensemble de la CDU se convertisse rapidement à des objectifs ambitieux. Bien que la volonté initiale de la chancelière ne s’étendait sans doute pas au-delà du maintien du statu quo, et qu’elle ait très clairement souligné le caractère unique (Einmal : une fois) du plan de relance, l’ensemble de la grande coalition a suivi, de même que la plupart des grands médias allemand (à l’exception du très ordolibéral Frankfurter Allgemeine Zeitung), marginalisant les critiques comme Friedrich Merz. Il se dessine outre-Rhin un unanimisme autour du fait que l’Allemagne doive sauver le continent de la fragmentation – notamment face à la perspective d’une sortie de l’Italie.

Cette bonne volonté n’est pas critiquable en elle-même – et en un sens admirable – mais ni les moyens, ni la réflexion d’ensemble ne suivent. En 2015, l’Allemagne pensait mettre fin par la seule force d’une volonté collective – incarnée par la phrase Wir schaffen das de la chancelière – à une longue tradition de nation définie sur des bases ethniques et accueillir plus d’un million de réfugiés syriens en un court laps de temps, sans se poser les questions de l’échec relatif de l’intégration des populations d’origine turque. De la même manière, elle se découvre aujourd’hui la puissance magique de résoudre les difficultés des pays du Sud par quelques transferts budgétaires inconséquents au regard de la nécessité, sans se poser la question de la cause des déséquilibres structurels qui polarisent l’Union.

Le modèle économique structurellement ultra-exportateur de l’Allemagne, l’impossibilité pour les nations du Sud de dévaluer leur monnaie, l’incompatibilité de la discipline budgétaire promue par l’Allemagne avec les modèles sociaux des pays méditerranéens, ou même plus simplement l’existence du rabais allemand de contribution au budget de l’Union européenne de 3,5 milliards par an, qui pèse sur les finances françaises, italiennes et espagnoles, sont autant de tâches aveugles de la volonté réformatrice d’Angela Merkel.

Dans ce contexte, il y a fort à parier que l’enthousiasme outre-Rhin durera quelques mois. À la première difficulté, toutefois, le retournement pourrait être très rapide. Il est même probable que l’extrême droite en profite comme en 201712 en cas de contrecoup à l’excès d’enthousiasme allemand que l’on observe actuellement.

Le plan de relance européen qui sera annoncé – sauf grand retournement – dans les jours prochains constituera donc une bouffée d’oxygène pour les bénéficiaires méditerranéens qui devraient pouvoir passer l’année sans crise majeure ; celle-ci est repoussée de plusieurs années et le plan aura permis d’acheter du temps. Cependant il ne constitue en aucun cas, en raison de ses caractéristiques sous-dimensionnées, exceptionnelles et limitées dans le temps, une révolution dans la logique de concurrence qui préside au fonctionnement de l’Union européenne. Il porte le risque d’une austérité imposée comme condition à son existence. En outre, le capital politique investi se fait au détriment d’autres volets qui pourraient permettre de lutter contre la fragmentation (harmonisation fiscale, autonomie financière conséquente de l’Union et sortie de la logique du juste retour, réaffirmation d’un consensus fiscal pour le budget européen par la suppression des rabais, investissement dans une logique de puissance par une indépendance de l’OTAN et sur le volet numérique).

Pour la France, il signifie le rétrécissement des ambitions du discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron face au scepticisme des « frugaux », alors que dans quelques années la France ne pourra plus se permettre de porter la même ambition en raison de sa situation financière dégradée. Pour l’Allemagne et pour l’Europe du Nord par extension, il pourra provoquer à moyen terme le basculement dans l’euroscepticisme devant la déception suscitée et dans la crise politique, achevant définitivement le système de grands Volksparteien (CDU et SPD) et paralysant encore davantage le jeu politique outre-Rhin.

Notes :

1 Pour plus d’informations, le lecteur pourra se référer aux infographies de politico.eu : https://www.politico.eu/article/the-eus-budget-fight-by-the-numbers/

2 Une augmentation pour le fonds européen de défense et la politique spatiale de l’Union serait la bienvenue à l’Elysée tandis que l’Allemagne privilégie toujours l’enveloppe de la politique de cohésion pour ses régions de l’Est. France et Allemagne s’opposent en revanche avec force sur le volet des financement, où la France pousse très fortement pour la mutualisation du produit de la vente des quotas ETS sur un marché du carbone, pour lequel elle a tant œuvré dans les années 2000.

3 La proposition de la présidence du Conseil en la matière est moins technocratique que la proposition initiale de la Commission : elle impliquerait une validation à la majorité qualifiée inversée du Conseil (55% des États-membres, représentant 65% de la population, doivent voter contre un plan national pour qu’il soit refusé et que l’État membre en question ne reçoive aucun fonds européens) et une validation du Parlement européen.

4 Ils s’opposent également à une « écologisation » du financement du budget : le projet de la Commission, soutenue en cela par le Parlement européen, comprenait en 2018 l’introduction, dans les ressources de l’Union, d’une contribution plastique (censée rapporter 6 milliards par an) et d’une part du produit de la vente des quotas carbone du marché ETS (selon les propositions et avec des hypothèses conservatrices de prix moyen sur la période de l’ordre de 25€/tCO2, ce prix ayant dépassé 30€ en juillet 2020, cette part pourrait rapporter de 3 à 10 milliards au budget de l’Union). Cette « écologisation » est en réalité très défavorable aux États de l’Est qui concentrent une grande part des industries émettrices de CO2 et augmentent marginalement leurs contributions sur ces 9 à 16 milliards de ressources qui se substitueraient aux contributions calculées selon la richesse nationale de chaque Etat. Elle est en revanche extrêmement favorable à la France, où les secteurs couverts par des quotas ETS vendus aux enchères et notamment la production d’électricité sont résolument décarbonés : sa part dans les quotas mutualisés serait donc très faible (6%-7% selon le Think Thank Bruegel contre 17,5% pour la part française du RNB européen)

5 La boîte de négociation de Charles Michel dévoilée en juillet coupait déjà le budget pluri-annuel de 25 Md€ à 1175 Md€ pour l’ensemble de la période : https://www.politico.eu/article/the-eus-budget-fight-by-the-numbers/

6 Entretien du président de la République du 14 juillet 2020 avec Léa Salamé et Gilles Bouleau

7 La France, très isolée sur ce point, a soutenu à l’automne 2019 et à l’hiver 2020 avec seulement l’appui du Danemark et des Pays-Bas, une réforme du processus en essayant d’inclure le principe de réversibilité. Cette réforme avait également pour objectif principal de retarder l’entrée imminente dans l’Union de l’Albanie et de la Macédoine du Nord, puis à plus longue échéance de la Serbie et des États restants de l’ancienne Yougoslavie

10 Voir Emmanuel Todd et Hervé le Bras : Le mystère français, 2013, Emmanuel Todd : Les luttes de classes en France au XXIème siècle, 2020.

11 Bruno Amable et Stefano Palombarini : L’illusion du bloc bourgeois, Alliances sociales et avenir du modèle français, 2017

12 Aux élections de 2017, consécutivement à la crise des réfugiés, l’AFD entrait au Bundestag avec 12,6% des suffrages nationaux.