Primaire populaire : le culte de l’Union suprême

Manifestation de militants de la primaire populaire devant la mairie de Saint-Etienne le 11 décembre 2021. © Hervé Agnoux

Fondée en mars 2021 par les militants Samuel Grzybowski et Mathilde Imer, la primaire populaire semble être devenue depuis peu le centre de toutes les attentions. Récemment soutenue par Anne Hidalgo et Christiane Taubira, l’initiative vise à désigner un unique candidat de gauche pour la présidentielle de 2022. L’entreprise cristallise à n’en pas douter les espérances de nombreux militants de gauche souhaitant tourner la page de l’éreintant quinquennat Macron. Pour autant, cette démarche est-elle souhaitable ?

Si la primaire populaire a connu récemment une large médiatisation, plusieurs phases se sont déjà succédé afin de constituer la liste finale des dix candidats qui s’affronteront en janvier prochain. Pendant cinq semaines, les organisateurs de la primaire ont rencontré les responsables de différents partis politiques afin de définir le « socle commun ». Le vainqueur de l’initiative devra s’engager à respecter ce lot de dix mesures s’il parvient à l’Elysée en 2022. Est venu ensuite le temps des soutiens. Chaque membre inscrit sur la plateforme a pu parrainer les personnalités politiques qu’il pensait les plus à même de représenter la gauche en 2022. De ces processus ont émergé cinq hommes et cinq femmes qui peuvent aujourd’hui espérer gagner la primaire populaire, dont les votes finaux se tiendront du 27 au 30 janvier 2022. Si certains, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon ou de Yannick Jadot, ont décidé de ne pas participer à la primaire populaire, il sera néanmoins possible de voter pour eux car ces derniers sont officiellement candidats à l’élection présidentielle. Il semble à première vue douteux de conserver la candidature de personnes ayant refusé de participer à un scrutin. L’Union réclamant de sacrifier quelques principes, les organisateurs de la primaire populaire ont pourtant fait fi de cette réserve.

Une primaire populaire dénuée de légitimité ?

L’initiative recueille actuellement le soutien de près de 300 000 personnes, qui pourront toutes voter à la primaire. Beaucoup s’enthousiasment de ce succès et comparent ce nombre aux 122 670 électeurs ayant participé à la primaire d’Europe Ecologie les Verts (EELV) ou aux 139 742 adhérents Les Républicains (LR) ayant pris part au congrès du parti. S’il est en effet tentant de conférer une plus grande légitimité à la primaire populaire du fait de son nombre élevé de participants, il convient de garder une certaine prudence. En effet, les personnes ayant voté à la primaire écologiste ou au congrès LR n’ont pas eu simplement à donner leurs e-mails et leurs coordonnées. Ces derniers ont dû s’acquitter d’une contribution de 2€ (EELV) ou de cotisations au parti (LR). Difficile donc, de conférer à l’une des initiatives une plus grande légitimité.

Il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire.

De même, il y a cinq ans, la primaire « de la Belle alliance populaire » organisée par le PS et ses alliés avait réuni un peu plus de deux millions de votants, tandis que celle de la droite atteignait les quatre millions. Or, ces chiffres importants n’ont pas empêché ces deux familles politiques de se diviser, comme l’ont rappelé les défections des candidats Bruno Le Maire et Manuel Valls en faveur d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon dispose aujourd’hui du soutien de près de 270 000 personnes ayant elles aussi simplement donné leurs coordonnées et leur adresse mail. Ainsi, il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire. Il y a en effet fort à parier qu’aucun des sept candidats en lice – trois des dix candidats ont renoncé à se présenter – ne recueillera plus de 270 000 votes.

Le mythe de la bataille des egos

Dans une arène politique marquée par une personnification accrue, il est souvent tentant d’attribuer aux egos et aux personnalités prononcées des leaders politiques la responsabilité de l’échec de l’union de la gauche. Untel sera moqué pour son appétence à orchestrer ses colères, taxé de populiste ou de démagogue, tandis qu’un autre sera accusé de ne penser qu’à sa carrière, ou de préserver sa dignité. À partir de ce postulat, il est ensuite assez simple de suivre le fil directeur qui sous-tend l’organisation de la primaire populaire.

Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

La vision simpliste des organisateurs de la primaire populaire suppose une « gauche plurielle » quémandée, réclamée, par le peuple entier. Les responsables de l’organisation rappellent à qui veut l’entendre que 70% des électeurs de gauche souhaitent un candidat unique. Pourtant, cette symbiose inéluctable serait entravée par l’action intéressée d’acteurs politiques aux egos surdimensionnés. C’est là, précisément, que réside la justification de la primaire populaire. Supposée au-dessus des partis politiques, elle a l’ambition de dynamiter ce « mur des egos » mortifère. Faute de quoi, le pays tombera assurément dans les bras de l’extrême droite.

Il est parfois tentant d’installer sa pensée dans le creux d’un rêve éveillé, comme pour se protéger d’une réalité difficile à affronter. Si l’exercice est répété de manière irrégulière, presque exceptionnelle, il peut même être salvateur et servir de source d’espoir quand les temps sont sombres. Pour autant, certains semblent avoir réussi avec brio le numéro d’équilibriste consistant à organiser une primaire tout en restant continuellement dans une réalité parallèle. Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

Il n’existe a priori aucune raison de penser que le résultat de la primaire populaire dirigera vers son vainqueur toutes les voix des électeurs se considérant de gauche. Les citoyens n’étant par principe pas de vulgaires pions. Une attitude salutaire aurait consisté à observer les différences sociologiques qui composent et différencient inévitablement chaque camp politique. Une rapide attention jetée aux sondages d’opinion montre que les électeurs de Mélenchon porteraient en deuxième choix leur vote sur Jadot, tandis que les électeurs de Jadot et d’Hidalgo reporteraient davantage leurs voix sur Macron que sur Mélenchon. Rien ne garantit donc au candidat gagnant de la primaire qu’il puisse bénéficier du report de vote de tous les autres électeurs de gauche. La majorité de ces personnes n’aura d’ailleurs pas participé à la primaire ; très peu se sentiront donc contraints par son résultat.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées.

De manière plus globale, c’est tous les désaccords politiques qui sont gommés. On veut faire croire que la gauche pourrait, moyennant quelques maigres changements de programmes, être unie. Pourtant, des divergences réelles, fondamentales, existent au sein des camps politiques. Personne n’a ainsi semblé s’alarmer du fait que rien, ou presque, ne rassemble les programmes de politiques de Mélenchon ou de Jadot en matière de politique étrangère, que la question européenne est adressée de manière totalement différente en fonction des partis, ou que la question nucléaire marginalise EELV et la France Insoumise (FI) du reste de la gauche.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées. Partant pourtant du postulat que les egos des leaders de gauche entravaient toute union, cette entreprise n’a servi que de tremplin médiatique à des personnalités en perte de vitesse tout en permettant l’émergence de nouveaux candidats.

L’illusion du consensus

C’est bien là, sur le terrain des idées, que le bât blesse. Le socle commun, brandi comme étendard d’un programme ayant la capacité d’unir tous les fronts, a été défini en seulement cinq semaines, et ne rassemble que dix mesures que chacun peut interpréter à sa guise. Le reste de la campagne a été très pauvre en débats et en propositions politiques concrètes. Si beaucoup se réjouissent de voir Christiane Taubira rejoindre l’aventure de la primaire, très peu se sont intéressés à son projet politique. D’aucuns chantent les louanges d’une femme racisée capable, selon eux, d’accéder à l’Elysée sans s’interroger sur ses prises de positions passées et son programme présent. Qui s’est inquiété, ou tout au moins a émis des réserves, quant aux propositions défendues par Taubira lors de sa candidature à la présidentielle de 2002 ? Son soutien indéfectible à l’Union Européenne, au régime présidentialiste, à la baisse des impôts sur les plus aisés ou à la retraite par capitalisation a-t-il seulement préoccupé les militants ?

La primaire populaire apparaît ainsi comme une énième initiative de la gauche moralisatrice pour arriver au pouvoir, ou du moins pour dynamiser des campagnes en perte de vitesse. Cette gauche ne lisse pas volontairement les divergences radicales qui séparent les candidats, elle ne les voit tout simplement pas. Pour elle, tous les candidats de gauche partagent peu ou prou les mêmes mesures sociétales – au diable les questions sociales et économiques ! – et en conclut que l’Union est une réalité proche, inéluctable. Alors, une certaine gauche appelle et crie à l’Union. Elle ne le fait pas pour défendre un projet, mais avant tout pour ne pas laisser Macron gagner une seconde fois ; pour que l’extrême-droite n’arrive jamais au pouvoir.

Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Pourtant, un camp politique devient un bloc inerte, incapable d’attirer à lui de nouvelles personnes, s’il refuse de s’engager dans des débats prétendument stériles au nom de la protection d’une unité fantasmagorique. Cette gauche est condamnée à ne faire que peu de remous dans l’histoire puisqu’elle n’existe que pour revendiquer être contre un autre camp plutôt que d’être pour un projet. Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Les procès en utopie, une rhétorique qui s’épuise

Un simple coup d’œil à la table des commentateurs de BFM-TV le dimanche soir du second tour de la primaire de la Belle Alliance Populaire, qui a couronné Benoît Hamon face à Manuel Valls, suffisait à montrer à quel point le club fermé de l’éditocratie télévisuelle – Brunet, Barbier, Duhamel et autres – n’avait (encore) pas prévu un tel résultat dans son logiciel bien huilé. Au-delà du réflexe anti-hamoniste primaire de ses “experts”, qui prouve qu’ils détestent ce qui les désarçonne, il est intéressant de noter leur recours à une rhétorique bien connue : le procès en utopie. Décryptage de ce non-argument, degré zéro du débat politique qui n’en est plus à une absurdité près : repeindre Hamon en héraut de la gauche radicale, par exemple…

Sur BFM, une micro-bulle éditocratique méprisante

C’est désormais devenu une sorte de rituel : à chaque événement politique son cortège d’invités sur les plateaux télé. Des « experts » politiques, véritables petits soldats du décryptage et de l’analyse, généralement éditorialistes de leur état. Parmi eux, Alain Duhamel, Christophe Barbier, l’indéboulonnable Franz-Olivier Giesbert ou encore Eric Brunet. Brunet, sur lequel cela vaut le coup de s’arrêter cinq secondes, pour le plaisir : l’homme a en effet poussé l’expertise à un très haut niveau, écrivant en 2012 avant la présidentielle un livre intitulé Pourquoi Sarko va gagner (désormais rangé au rayon « science-fiction et uchronies » chez votre libraire), et prédisant il y a quelques mois un second tour Sarkozy-Hollande en 2017. Et BFM a toujours le souci de connaître son avis, c’est prodigieux. Mais bref, ce n’est pas le sujet ici.

Le soir de la victoire de Benoît Hamon, la scène est surréaliste. Tous s’accordent à dire que la victoire du candidat Hamon est la victoire de la « gauche utopiste ». Qui a donc gagné, par supposition, face à la gauche du réel, la gauche vallsiste, la gauche sérieuse : autant dire la droite. Les commentaires ce soir-là, dont on vous passe les détails, étaient plus méprisants les uns que les autres. Estampillé idéaliste et utopique, le programme de Hamon est balayé d’un revers de main. Ici c’est le vrai monde, un peu de sérieux. Hamon, candidat du revenu universel, est loin du réel : pire encore, il est le candidat de la jeunesse. Une jeunesse qui est, dixit le présentateur de BFM ce soir-là Alain Marschall, « révoltée, on le sait, rebelle ». Oui, vraiment, quoi de plus méprisable que la jeunesse, celle qui veut le changement. La jeunesse, ce mauvais moment à passer avant l’âge adulte, la fin des “conneries”, la maturité, et le retour dans le moule de la conformité. Présenter Hamon en candidat des jeunes, dans la bouche de ces journalistes, c’est lui retirer tout crédit, le faire retomber en enfance politique, en quelque sorte.

Les idées vs. la vraie vie véritable

Cette rhétorique, c’est celle des procès en utopie. Elle cherche à écarter, sans avoir à débattre ou contre-argumenter, toutes propositions ou idées politiques qui visent à bouger les lignes. Car l’utopie, c’est le domaine du rêve, de l’impossible : bref, quelque chose qui n’arrivera jamais, donc à quoi bon prendre en compte les idéalistes, ces doux rêveurs. Plus grave encore, derrière ces procès, les utilisateurs de cette rhétorique contribuent à forger l’idée que l’ordre actuel – c’est-à-dire l’ordre capitaliste néo-libéral, qu’il avance à découvert et avec agressivité sous les traits de François Fillon, ou masqué sous une couche de social-démocratie hollandienne – n’est pas le fruit des idées. Il serait naturel, ce serait le « réel », la « vraie vie », le « sens de l’Histoire »… et tout ce qui sort de son cadre est donc par définition hors de ce réel.

Capture d'écran d'un débat sur "l'utopie" du revenu universel, sur BFM
Capture d’écran d’un débat sur “l’utopie” du revenu universel, sur BFM

C’est évidemment faux. Le système actuel n’est certainement pas tombé du ciel par la grâce de Dieu, mais est bien le produit de courants de pensées, de décisions politiques, d’accords internationaux, qui ont contribué à le mettre en place. Derrière toute décision politique, il y a une certaine idée de ce que doivent être les choses. Ce qui est en politique n’est que la conséquence du débat autour de ce qui doit être. Il est essentiel de le réaffirmer, sinon tout pluralisme est en réalité impossible : derrière l’ordre socio-économique actuel, il y a la main de l’Homme. Et ce que l’Homme a fait, il peut bien entendu le défaire. Rien n’est immuable, rien n’est inamovible, ni gravé dans le marbre. Derrière cette rhétorique, qui a pris la forme d’un anti-hamonisme idiot ce soir-là, il y a la volonté consciente ou inconsciente de naturaliser l’ordre actuel pour mieux disqualifier toute réforme qui n’irait pas dans le sens de son renforcement. C’est le propre de tout système de pensée de vouloir faire croire qu’il est un horizon indépassable, et c’est là qu’il devient le plus dangereux.

Quand la rhétorique touche à l’absurde

Surtout, là où le commentaire politique devient absurde et surréaliste, c’est quand cette rhétorique est utilisée pour décrédibiliser Benoît Hamon. A écouter les « experts » du dimanche – littéralement – on aurait vite fait de croire que ce qu’il propose est révolutionnaire, un projet fou, qui propose de redistribuer toutes les cartes. Alors qu’il a en réalité un programme de gauche, certes, mais de gauche PS : il n’y a rien de bien utopique là-dedans. La France de Hamon serait sensiblement la même qu’aujourd’hui, toujours social-libérale, toujours dans l’Union Européenne, toujours soumise au régime des retraites de Sarkozy. Niveau utopie, on reste loin de l’El Dorado de Candide, vous en conviendrez.

Le programme de Hamon selon BFM-TV
Le programme de Hamon selon BFM-TV

Ses idées neuves, comme le revenu universel, qui lui valent d’être taxé d’idéaliste, ne sont en réalité neuves que dans une perspective française. Au Canada, le revenu universel a été testé à une échelle municipale dans les années 1970. C’est vous dire si l’idée est nouvelle…

Il y a ainsi bien des façons de critiquer Benoît Hamon, et d’ouvrir un débat fondé sur son programme. Le fait que la rhétorique de l’utopie lui soit appliquée témoigne de toute la vacuité de cette dernière. Cela en dit long également sur la crispation du système. Les éditocrates cités plus haut sont les chiens de garde de ce système, qui du reste les entretient, les nourrit et leur garantit des bonnes places grassement payées à commenter du vent en brassant de l’air. Si Hamon, qui n’est pas plus anti-système qu’Emmanuel Macron, est disqualifié à leurs yeux pour cause d’idéalisme, on vous laisse imaginer le traitement réservé aux pensées réellement alternatives, qui visent non pas à légèrement bousculer les choses, mais à les renverser pour proposer du neuf

Cette rhétorique n’est assurément pas nouvelle. À chaque époque, ceux qui proposaient des idées dangereuses pour la caste au pouvoir ont été anathématisés comme des rêveurs et des utopistes. Aujourd’hui, c’est la résistance au néolibéralisme qui est criminalisée comme une idée folle ; hier, c’était la mise en place d’une République. « Ne pas être républicain à 20 ans, c’est ne pas avoir de cœur ; l’être toujours à 30 ans, c’est ne pas avoir de tête », déclarait le monarchiste François Guizot il y a près de deux siècles. Même propos, même recours à la jeunesse comme une phase à dépasser : les époques changent, les procédés argumentatifs des puissants restent les mêmes.

Qu’on se rassure, le système s’essouffle et l’usage de cette rhétorique usée en est la preuve : BFM-TV peut bien s’égosiller à défendre le prétendu monde réel, qui ne donne plus aucune gage de son efficacité et qui de fait perd chaque jour un peu plus de crédibilité ; le monde réel de demain, lui, est déjà en construction, et il se passera très bien de toute pseudo-expertise en flux continu.

Crédits photos :

http://www.karimadelli.com/index.php?rub=medias&pg=dans-la-presse&spg=&act=2016-09-19-bfm-tv-500-millions-d-europeens-le-revenu-universel-est-il-une-nouvelle-utopie

http://www.la-croix.com/France/Politique/Les-jeunes-socialistes-force-militante-Benoit-Hamon-2016-12-29-1200813462

http://fr.feedbooks.com/book/5261/l-utopie

Une : http://www.humanite.fr/un-ete-pau-un-ocean-de-poings-fleur-de-pau

Primaires : la démocratie des “élites”

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/86/Socialist_rally_Zenith_2007_05_29_n1.jpg
©Marie-Lan Nguyen

Outre les magouilles attestées lors du premier tour de la primaire du PS, le principe même de ce processus pose un vrai problème démocratique : l’éviction des catégories populaires du processus de désignation politique.

Ces dernières années, les primaires semblent être devenues une étape incontournable de la vie politique française avant l’échéance présidentielle. Le succès attribué à celles de la gauche en 2011 en feraient une étape indispensable vers l’alternance, expliquant  que la droite s’y soumette elle aussi avec un certain succès en 2016.

Importées des États-Unis, les primaires sont indissociables d’un système bipartisan. On comprend donc bien que dans une situation de délitement du Parti Socialiste et de rivalité entre Les Républicains et le Front National, les primaires remplissent une fonction de légitimation des deux partis traditionnels comme principales incarnations du clivage gauche/droite. C’est comme cela qu’il faut comprendre la bataille sémantique autour de la dénomination de la primaire de « la Belle Alliance Populaire » abusivement qualifiée de « primaire de la gauche » par les médias. Car bien sûr, ni E. Macron ni J-L Mélenchon, crédités de davantage d’intentions de votes que n’importe quel candidat issu des primaires, ne participent à la compétition.

L’enjeu pour les partis traditionnels est donc d’ériger leurs primaires comme un préalable indispensable à l’élection présidentielle. Thomas Clay, président de la haute autorité de la primaire de la gauche déclarait ainsi en annonçant les résultats que « les primaires s’ancrent dans la vie politique française, c’est une bonne nouvelle ». Une analyse pour le moins contestable au regard de la faible participation des électeurs au scrutin. Tout au plus les primaires s’ancrent-t-elles dans la vie médiatique française. Mais ce rituel est encore loin de rassembler une frange réellement massive de l’électorat.

Bien sûr l’argument censé justifier le tenue de ces primaires est toujours le même : il s’agirait d’une avancée démocratique permettant aux peuples de gauche ou de droite de s’exprimer au-delà des appareils partisans. Or il convient de réfuter rigoureusement ces idées. Non les primaires ne sont pas des avancées démocratiques, bien au contraire.

Tout d’abord les primaires favorisent l’engagement des catégories déjà politisées de la population. Et l’on recoupe ici la critique plus large de la soit disant « démocratie participative ». Ceux qui participent sont ceux qui ont les moyens de participer. Les votants aux primaires ne sont pas à l’image du reste de la population.

Dans Le Monde, Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, et spécialiste des comportements électoraux jugeait “qu’ont voté aux primaires (de la droite) des inscrits plus âgés, plus riches, plus diplômés que la moyenne.” Il est trop tôt pour pouvoir analyser les résultats de la primaires de la BAP, d’autant plus que ces derniers sont loin d’être transparents. Mais une sur-représentation des catégories socio-professionnelles les plus aisées est plus que probable, à l’instar des primaires de la droite en 2016 et de la gauche en 2011. On peut même certainement craindre une participation encore plus faible des classes populaires à la primaire socialiste de 2017. Déjà en 2011, 75% des votants étaient diplômés de l’enseignement supérieur et 70% occupaient un poste de cadre ou de profession intermédiaire.

Les catégories populaires ne s’intéressent que plus tardivement à l’enjeu présidentiel, traditionnellement vers la mi-février. Le résultat des primaires aboutit donc nécessairement à une distorsion de l’offre politique qui est passée au filtre d’un électorat plus politisé et plus aisé que le reste de la population.

Pour les sociologues Thomas Amadieu et Nicolas Framont : les primaires « instituent de fait un corps de grands électeurs »[1]. En effet, les électeurs les plus intéressés à la chose publique pré-sélectionnent les candidats qui seront soumis quelques mois plus tard au reste du corps électoral. Et en toute logique, les électeurs des primaires se choisissent un candidat à leur image.

Par ailleurs les primaires ne permettent en rien de court-circuiter les bureaucraties partisanes. Car ce sont bien elles qui fixent le cadre de la compétition. Ainsi les candidats jugés inappropriés sont évacués faute de la caution d’un minimum de barons (on retiendra l’exemple de Gérard Filoche ou d’Henri Guaino pour ne citer qu’eux). En réalité les primaires sont bien plus un moyen pour les appareils des partis de se revitaliser en captant une pseudo-légitimité populaire (et en captant aussi au passage les millions d’euros payés par les votants pour participer au scrutin !).

L’arrivé en tête de B.Hamon au premier tour de la primaire de la BAP illustre ce “vote des élites”. Le candidat Hamon est à l’image du corpus électoral restreint qui l’a placé en tête des suffrages : urbain et diplômé. On sait qu’il a les faveur du MJS qu’il a longtemps dirigé et opère par ailleurs la synthèse des frondeurs tout en étant relativement compatible avec les intérêts de la bureaucratie et des baronnies du parti. Ce choix d’un segment bien spécifique de l’électorat aurait-il été celui d’un corps électoral plus large ? Les sondages réalisés sur l’hypothèse d’une plus forte participation jugeaient en tout cas que non, car dans cette hypothèse c’est A. Montebourg qui aurait été favorisé. L’avenir dira si le candidat désigné par les votants aux primaires de la BAP rencontrera le même engouement auprès du reste des électeurs français…

Crédit photo : ©Marie-Lan Nguyen

La gauche à la croisée des chemins – Entretien avec Emmanuel Maurel

Crédit Photo
Emmanuel Maurel, député européen PS.

Entretien avec Emmanuel Maurel, eurodéputé PS, animateur du courant Maintenant La Gauche au sein du PS et soutien d’Arnaud Montebourg pour les primaires du PS. Au programme : littérature, primaires du PS et crise de la social-démocratie européenne.

Vous êtes un des derniers littéraires de la classe politique. Lorsque l’on pense à François Mitterrand et à l’image qu’il s’est construite, l’homme de lettre, ayant un rapport charnel à la culture française, ressort immédiatement. Depuis trente ans, le personnel politique a subi un profond renouvellement, laissant toujours plus de place aux discours et aux logiques de gestionnaires. On pense évidemment à la fameuse « inversion de la courbe du chômage », et l’on voit parallèlement l’autorité de l’État s’affaiblir de plus en plus. Selon vous, quel rapport la culture littéraire entretient-elle avec la politique et avec l’autorité ?

Je ne suis pas du tout un des derniers littéraires du PS ou de ce que vous appelez de la classe politique ! Je lis beaucoup de livres, comme nombre de Français et nombre de collègues. Le problème réside dans le fait que la littérature et la politique sont vécues comme deux activités étanches. Puisque vous parlez de François Mitterrand, si l’on retient à ce point cet aspect de lui, qu’il aimait par ailleurs mettre en scène, c’est parce que ses lectures irriguaient en permanence son action et ses discours. En réalité, plus qu’à une disparition des littéraires, nous assistons à un phénomène de normalisation du langage politique qui s’assèche progressivement de ce qui l’irriguait autrefois, au profit, trop souvent, d’une novlangue technoïde déconnectée de la réalité vécue par les gens.

Cela est en partie lié à la formation du personnel politique, et notamment au rôle important que joue l’ENA dans la production de ce personnel. Mais c’est aussi lié à l’imprégnation de l’idéologie managériale, qui promeut des discours à coup de chiffres et de pourcentages. La fameuse phrase de François Hollande sur « l’inversion de la courbe du chômage » en est un pur produit.

Néanmoins, cette impression d’étanchéité ne vient pas uniquement des acteurs politiques. Ce qu’on appelait jadis la “littérature engagée”, qui a produit le meilleur et le pire, a pratiquement disparu en France, à quelques heures exceptions près (je pense par exemple au roman puissant de Gerard Mordillat, Les vivants et les morts). Et même lorsqu’elle est fortement ancrée dans la réalité (c’est le cas par exemple des ouvrages de Michel Houellebecq) c’est sur un mode (faussement) indifférent. Mais rien n’est définitif. Ainsi, cette année, on a pu lire un formidable roman politique, Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo, qui aborde le thème de la condition animale et dénonce, dans une langue superbe, les dérives liées à la volonté humaine d’exploiter la nature de manière irraisonnée. C’est âpre, et ça change des bluettes germanopratines !

Le rapport entre l’autorité et la culture littéraire, c’est une question difficile que je ne suis pas sûr de comprendre et à laquelle je ne sais pas vraiment répondre.  L’autorité ne se décrète pas évidemment, elle est souvent naturelle, liée parfois simplement a une posture, à une façon de poser sa voix, à l’éloquence aussi (qui évidemment est nourrie de lectures). Après, il y a une détermination dans l’action qui renforce l’autorité, et puis aussi, sûrement, une volonté, celle d’inscrire cette action dans le temps, de laisser des traces dans l’histoire nationale. François Mitterrand, encore, avait le souci permanent de la préservation du patrimoine et en même temps de l’invention d’une architecture. C’est banal que de le rappeler, mais c’est vrai que c’est un Président bâtisseur. À La fois obsédé par le passé et soucieux de l’avenir. Hollande et Sarkozy sont fondamentalement des Présidents du pur présent.

Cette perte de culture littéraire, historique et politique est allée de pair avec une indifférenciation politique croissante. Le discours et la politique du PS semblent avoir convergé avec ceux de LR – du moins, lorsqu’il est au pouvoir. Le fameux « cercle de la raison » cher à Alain Minc est-il une réalité ? Pouvez-vous nous dire quels sont les courants idéologiques qui structurent le PS aujourd’hui ?

En réalité, l’indifférenciation dont vous parlez est moins présente en France qu’ailleurs, même si elle existe effectivement. Mais Il y a en effet cette impression désagréable que les partis dits de gouvernement, de droite comme de gauche, se disputent sur l’accessoire parce qu’ils sont d’accord sur l’essentiel, c’est à dire sur les questions économiques et sociales : “baisse des charges”, “lutte contre les déficits”, “rigidités du marché du travail”, etc. Chacun se réapproprie les mots d’ordre de la vulgate libérale, laissant à penser qu’il n’y a plus que des différences de degré, pas de nature. Avant l’alternance était vécue comme une chance, la preuve d’une démocratie vivante et d’un débat nécessaire. Aujourd’hui, elle relève plus souvent de la seule fatalité : les électeurs ont parfois l’impression que se succèdent des candidats interchangeables, enthousiasmants le temps d’une campagne mais pareillement décevants dans l’exercice du pouvoir.

Si l’alternance se résume à une oscillation molle entre deux projets qui ne sont pas antagonistes, il y a évidemment un espace politique qui se libère. Espace occupé par ceux qu’on appelle abusivement les “populistes” ou qui se revendiquent “antisystème”. Notons que ces appellations relèvent plus de la blague que du sérieux politique, quand on voit que Macron, “populiste du centre”, se targue de “révolutionner” le système. Et certains font même mine d’y croire.

En réalité, le mot “populiste” en dit finalement plus sur celui qui l’utilise que sur celui qu’il est censé décrire. Rien n’a changé depuis les années 90, quand une majorité d’éditorialistes et de “décideurs” enamourés tenaient pour acquise l’élection d’un Edouard Balladur, formant ce que Minc, toujours inspiré, avait en effet appelé “le cercle de la raison”. On sait ce qu’il advint de cette conjuration des sachants. Les mêmes, ou leurs héritiers, reprennent aujourd’hui le flambeau de la lutte ardente contre le populisme, sans mesurer qu’en qualifiant tous ceux qui pensent différemment d’eux par ce terme, ils finissent par le rendre inopérant et… populaire.

Revenons à votre question, celle relative à l”’indifférenciation”. il ne faut pas négliger les résistances qui existent encore dans le PS. Celui-ci est aujourd’hui structuré par trois grands courants. Un premier qui est acquis à l’idéologie dominante : Il faut accepter les principes du néolibéralisme tout en limitant les dégâts sur notre modèle social et en professant un certain progressisme sociétal. Un deuxième, composé des ceux qu’on a appelé « frondeurs », est à la fois attaché au rassemblement de la gauche et à l’héritage socialiste. Enfin, ceux qui se revendiquent d’une tradition centrale, qui a longtemps été majoritaire au PS, et qui, dans le sillage de Mitterrand et Jospin, prétendait précisément faire la synthèse entre les différents courants de pensée qui coexistaient, plutôt bien d’ailleurs, depuis Épinay. A l’issue du quinquennat de François Hollande (qui a vu notamment un premier ministre socialiste théoriser les deux gauches irréconciliables, laissant à penser que la ligne de fracture passait aussi au sein du PS) la question est de savoir si cette tradition là peut perdurer.

Je vais un peu vite et les choses sont évidemment un peu compliquées. Peut être faudrait il plutôt organiser la réflexion autour de plusieurs axes : le couple libéral/antilibéral, l’axe démocrate/républicain voire même europhile/eurocritique (même si le débat sur l’Europe porte moins sur le constat et les objectifs que sur les moyens de transformer l’Union).

Après que Marie-Noëlle Lienemann a jeté l’éponge, vous avez fait le choix de soutenir Arnaud Montebourg pour les primaires qui viennent. Pourtant, vous semblez politiquement proche de Benoît Hamon. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à faire ce choix ?

Le choix de soutenir Arnaud Montebourg plutôt que Benoît Hamon est rationnel. A l’origine, j’étais partisan d’une candidature unique de tous ceux qui critiquaient le tournant libéral qu’a occasionné le quinquennat de François Hollande. Malheureusement, cela ne s’est pas fait.

J’ai donc comparé les deux programmes et, même si je suis souvent d’accord avec Hamon, je ne me reconnais pas dans certains de ces thèmes de campagne qui sont mis en avant, à commencer par revenu universel et les références idéologiques qui sous-tendent cette proposition. Ce que défend Montebourg me convient mieux. Son projet, qui réaffirme le rôle de l’État dans la vie économique, favorable à une relance keynésienne, attaché à une certaine tradition républicaine, mettant en avant le “made in France” et la réforme des institutions, me semble être ce dont notre pays a effectivement besoin aujourd’hui.

Peut être qu’on n’échappe pas totalement à nos choix originels : il y a quelque chose de l’opposition ancienne entre la première et la deuxième gauche (l’atténuation du rôle de l’État, la réflexion sur la fin du travail, la relativisation des impératifs de croissance) qui subsiste dans ce débat de primaire.  Je reconnais que Benoit met dans le débat des éléments prospectifs dignes d’intérêt. Cependant, j’ai l’impression qu’il y a un décalage vis à vis de l’urgence de la présidentielle. C’est une question de temporalité : l’élection est dans quelques mois, les Français attendent des réponses précises pour répondre à l’urgence, celle du chômage de masse et celle de la persistance des inégalités.

Étiez-vous favorable aux primaires ? L’absence d’Emmanuel Macron et celle de Jean-Luc Mélenchon mettent la pression sur le PS. Les primaires ne risquent-elles pas d’être un révélateur des fragilités du PS ?

Il y a quelques années, je n’étais pas favorable aux primaires. Il s’agit d’un processus très Vème République, qui contourne les partis, qui centre la compétition politique sur la personnalité et qui, par ailleurs, surreprésente les catégories sociales les plus aisées au détriment des catégories populaires.

Ceci dit, force est de constater que dans un contexte de défiance très forte vis à vis des partis et surtout d’absence de leadership, les primaires peuvent être un outil pertinent pour donner de la légitimité à un candidat. Dès 2014, dans une interview au Monde, je disais qu’il y aurait une primaire en 2016 (bon finalement c’est début 2017). En fait, je pense que le PS ne pouvait pas échapper aux primaires à partir du moment où François Hollande n’apparaissait pas comme le candidat naturel du PS, ce qui est devenu encore plus évident après la loi travail et la déchéance de nationalité.

Il est clair que les primaires sont risquées pour le PS. Si la participation est faible, si donc la primaire est un demi-échec ou un demi-succès, l’instrument de légitimation pourrait se transformer en instrument de délégitimation.

Mais le principal problème du PS, c’est surtout la configuration politique à gauche de la présidentielle. En effet, il n’est pas impossible que l’électorat considère qu’au fond, le vrai débat est entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Ce risque est moindre pour les législatives car le PS dispose d’élus identifiés et implantés alors que ni Mélenchon ni Macron n’ont un parti enraciné sur le territoire. C’est la raison pour laquelle certains prédisent la SFIOisation du PS. La SFIO, à la fin de sa vie, malgré des scores aux élections nationales très modestes, continuait à exister dans des places fortes locales.

C’est une issue possible même si, heureusement, ce n’est pas la seule.

Le PS semble dans une situation bien compliquée. Néanmoins, et à sa décharge, c’est toute la social-démocratie européenne qui vit une crise aigüe. Outre le cas paroxystique du PASOK, le PSOE est concurrencé par Podemos, le PS Belge est talonné par le PtB dans les sondages, le PVDA néerlandais touche le fond, Matteo Renzi a subi un désaveu cinglant et le SPD allemand paiechèrement la grande coalition et le souvenir des réformes Schröder. Seul le PS portugais, qui a fait le choix de s’allier avec la gauche radicale, semble en état de gouverner. Comment analysez-vous cette crise ? La crise de la social-démocratie n’est-elle pas aussi une crise de la construction européenne et de l’euro en général ?

La crise de la social-démocratie européenne est essentiellement liée à sa sidération devant la puissance (et la violence) du capitalisme financier transnational, des conséquences de cette “mondialisation libérale” dans la vie des hommes et des sociétés. Et cette sidération débouche parfois sur une forme de défaitisme interrogatif : comment faire pour contenir cette puissance, pour empêcher la progression vertigineuse des inégalités, pour remettre l’humain dans un monde où l’argent est la mesure de toute chose, pour répondre aux angoisses consécutives à cette nouvelle donne ? Le peut-on vraiment ?

Tous les partis cités ont connu des périodes d’hésitation, ont fait un choix, le plus souvent celui d’un accompagnement du système qu’il s’agissait d’améliorer à la marge  (blairisme, schroderisme, etc) et se sont rapprochés du modèle du Parti Démocrate étatsunien (tout en gardant, dans le cas allemand ou britannique, des liens organiques avec les syndicats de travailleurs).

Tous les partis sociaux-démocrates sont touchés. Comme on a pu le voir au cours des dernières primaires de LR, les partis conservateurs ont un socle électoral encore à peu près stable. Alors que l’électorat traditionnel de la social-démocratie (classes moyennes et classe ouvrière) n’a pas les mêmes réflexes. Si on ajoute à ça les fractures territoriales qu’on observe dans quasiment tous les pays occidentaux, on mesure la difficulté des sociaux démocrates. Comment conserver le vote des métropoles sans perdre celui des périphéries, commence concilier les intérêts de plus en plus divergents ? Personne ne trouve de réponse satisfaisante face à cette crise idéologique et sociologique.

A cela s’ajoutent des éléments de crispation identitaire sur l’immigration et souvent l’islam. La gauche se trouve devant une énorme difficulté : prendre en compte cette insécurité culturelle sans jamais verser, évidemment, dans des réponses nationalistes ou excluantes. Je pense qu’en France une réponse républicaine reste d’actualité si elle promeut l’égalité, et l’idée d’un citoyen autonome de tous les clergés et de toutes les autorités naturelles. Il faut donc faire attention à l’acceptation progressive des revendications identitaires, et à la progression d’une forme de différentialisme  à gauche. Jean Birnbaum, dans Le silence religieux, fait une analyse brillante de ce phénomène.

Enfin, outre ces problèmes économiques et culturels, se pose, comme vous l’avez souligné, la question de l’Union Européenne. Celle-ci, au moins depuis l’acte unique, s’est construite à partir des exigences des tenants de ce qu’on a appelé l’idéologie ordolibérale. Les sociaux démocrates, la gauche en général, a beau en appeler à “l’Europe sociale”, les résultats tardent a venir, c’est le moins qu’on puisse dire. L’élargissement a encore compliqué la tâche. Nous pouvons encore imaginer une autre Europe qui fonctionne sur des principes de solidarité et de coopération. Mais aujourd’hui, force est de reconnaître qu’on a au contraire à la fois une Europe de la compétition interne (dumping fiscal et social), et en même temps un arsenal de règles et de sanction à destination des États membres rétifs à la sacro sainte discipline budgétaire.

La crise grecque, a été pour moi un choc violent, traumatisant, qui m’a affecté intimement : la domination sans partage de l’Allemagne qui a fait de l’euro sa chasse gardée et qui poursuit de sa vindicte tous les hétérodoxes qui menacent les économies de ses vieux épargnants, la névrose obsessionnelle de la classe dominante et des marchés pour la dette qui n’a de publique que le nom puisque qu’elle croît souvent pour réparer les erreurs, les errements des institutions financières et les politiques qu’elles inspirent, le caractère résolument post démocratique du traitement de la crise grecque par une partie des dirigeants européens, traitant Tsipras au mieux comme un grand enfant foufou qu’il faut calmer, au pire comme un populiste rouge qu’il faut briser au plus vite. L’Europe a été bien plus sévère avec le premier ministre grec qu’avec Orban, le sinistre chef du gouvernement hongrois.

Toutes les mesures vexatoires exigées à l’encontre des pays à la périphérie de l’UE sont de nature à empirer la situation. Sauver l’Union implique donc de faire comprendre à certains de nos partenaires, et au premier chef les Allemands, que si l’on continue comme ça, à terme, nous assisterons à la mort de ce projet qui nous a longtemps fait rêver. Nous n’avons donc pas le choix : il faut installer un rapport de force dur.

Propos recueillis par Lenny Benbara pour LVSL

Crédit photo : Margot L’hermite

Primaire de la BAP : Camba n’attend ni Faudot ni Nadot !

Lien
©Marie-Lan Nguyen

A la suite de Pierre Larrouturou et de Nadot, Bastien Faudot a été recalé de la primaire de la BAP (Belle alliance populaire). Que va-t-il se passer après cette humiliation pour l’ancien parti de Jean-Pierre Chevènement ?

Nous vous informions lundi en exclusivité de la candidature de Bastien Faudot à la primaire de la Belle Alliance Populaire. Cambadélis, sollicité également par le « progressiste » Nadot du parti de Robert Hue, et par Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), a dit non à l’ « open bar ».

C’est un revers pour la candidature Faudot. Surement celle qui était la plus avancée des trois, avec un nombre de parrainages flirtant avec les 200, la chute n’en est que plus grande. Pour rappel, dimanche, lors d’un conseil national, le MRC avait voté la participation de son candidat à la primaire. Malheureusement pour eux, ils n’étaient pas invités à y participer. D’ailleurs, ils avaient refusé d’y participer il y a un an. Jean-Luc Laurent, député du Val-de-Marne et président du MRC, avait même paraphrasé Boris Souvarine pour qualifier la Belle Alliance Populaire : « autant de mensonges que de mots »[1]. Pour lui, l’alliance proposée par Jean-Christophe Cambadélis était une « parodie » de la gauche plurielle. Force est de constater que Cambadélis n’a pas apprécié ce revirement.

En définitive, seuls les membres fondateurs de la BAP, Mélenchon et Macron sont invités.

 Jean-Christophe Cambadélis, dans une allocution télévisuelle, a rendu compte des décisions de la haute autorité de la BAP. Seuls le PS, les Ecologistes ! de de Rugy, le Front Démocrate de Benhamias et le PRG de Pinel, tous membres fondateurs de la « Belle Alliance Populaire », seront invités à la primaire. C’est « trop tard » pour les autres. Il n’y a pas d’ « open bar », a-t-il ajouté… avant de se contredire deux minutes plus tard ! En effet, si Faudot, Nadot et Larouturou, volontaires, ne sont pas invités, Mélenchon et Macron, bien décidés à présenter leur candidature hors-primaire, le sont, eux. Une décision rocambolesque qui a plus à voir aux sondages et aux capacités réelles de nuisance qu’à un quelconque règlement. Comme l’a rappelé Laurent de Boissieu dans La Croix[2], la décision du PS résulte d’un choix politique, aucun règlement n’existant pour des candidats hors-BAP. Les candidats malheureux semblent donc légitimes dans le fait de pointer l’hypocrisie du PS, qui appelle depuis des semaines au rassemblement.

Pour le MRC, l’enterrement de sa candidature et la fin de l’illusion d’une capacité de nuisance ?

Pour le MRC, c’est un coup dur. La décision, nous l’avons rappelé lundi, était déjà contestée en interne, et a provoqué la démission de plusieurs secrétaires nationaux. C’est maintenant une humiliation politique pour un parti qui revendique 6.000 adhérents mais qui, depuis le départ de Jean-Pierre Chevènement, pourrait en avoir selon des sources internes, que le dixième. Tout de même, les démissions semblent endiguées par l’annonce de Cambadélis. En interne, ceux qui contestaient la décision en appellent désormais à un congrès extraordinaire. « Un congrès extraordinaire peut être convoqué par le conseil national ou par un tiers des adhérents à jour de cotisation » nous a confié un cadre s’étant opposé à la participation à la primaire. « Le MRC a réussi à survivre sur le souvenir de Jean-Pierre Chevènement et de ses plus de 5% à la présidentielle de 2002 qui, pour beaucoup de socialistes, avait empêché Lionel Jospin de se qualifier au deuxième tour. Nous recaler de la primaire, c’est dire que nous n’avons plus aucun pouvoir de nuisance ».

Et maintenant quel destin pour le MRC ?

 Avec deux députés élus avec le soutien du parti socialiste, le MRC risque de ne pas en finir avec les échecs. La troisième députée était partie à République Moderne avec Jean-Pierre Chevènement après le congrès de 2015 (elle soutient désormais Arnaud Montebourg). Et le seul député en mesure d’être réélu, Christian Hutin (Nord), est déjà vice-président de République Moderne (et du MRC). Une situation assez originale mais qui pourrait lui permettre de garder le soutien du PS si Montebourg est désigné en janvier comme candidat de la BAP. Déjà aux dernières élections locales, le MRC avait perdu de nombreux élus. Outre les régions perdues par la gauche ou sans plus aucune représentation de la gauche élue (le MRC avait 5 élus dans les régions Nord-Pas de Calais et Picardie, un en PACA), le MRC a fait alliance dans de nombreuses régions avec le PCF, sans que cela ne procure d’élus.

Une stratégie à « géométrie variable » qui était une première pour le parti. Cette évolution fut freinée par le résultat de la consultation interne du PCF : André Chassaigne, candidat officieux à la présidentielle, entretient de très bonnes relations avec le MRC national et local. Il avait participé il y a deux ans à une conférence à l’assemblée nationale organisée par le MRC : « Faut-il sauver l’euro ? » Localement, il avait mené les tractations avec le MRC pour que la liste de Cécile Cukierman, en Auvergne Rhône-Alpes, soit une liste PCF-MRC. Mais la décision des militants communistes rendit mort-née cette possibilité. Le ralliement à Mélenchon ne semble pas une option alors qu’à la base, certaines convergences semblent se dessiner entre les militants de La France Insoumise et le MRC. Hier, Bastien Faudot qualifiait d’ « erreur politique » l’absence du candidat de la France Insoumise des primaires. On peut se demander si néanmoins, il ne va pas être obligé de revoir son jugement.

Crédits photo: 

©Marie-Lan Nguyen https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-Christophe_Cambadélis_2007_(cropped).jpg