Protectionnisme numérique : quand les États-Unis tournent le dos à l’OMC

Protectionnisme numérique - Le Vent Se Lève

Coup de tonnerre, le 24 octobre dernier, dans le petit monde feutré des négociations commerciales internationales. Les États-Unis annoncent un revirement majeur dans leur position vis-à-vis de l’accord sur le commerce électronique en discussion au sein de l’OMC1. Partisan jusque-là des mesures les plus « ambitieuses » – comprendre « contraignantes » – en matière de « libre-circulation des données à travers les frontières », d’interdiction faite aux États d’imposer des mesures de stockage ou de traitement des données sur leur sol, ou encore de « protection des codes sources », Washington ne les soutiendra finalement plus. La raison invoquée : se donner davantage de temps et de marges de manœuvre pour mieux réguler en interne avant de se lier au niveau international. Derrière, on trouve également la volonté diffuse d’endiguer la progression de la Chine en matière numérique.

Un argument d’autant plus surprenant que c’est précisément un de ceux que mobilisaient jusqu’ici en vain les principaux opposants à ces négociations. Lancées en janvier 2019 en marge du Forum de Davos, celles-ci étaient accusées de faire le jeu des géants – essentiellement américains – du numérique, qui cherchent depuis une dizaine d’années à instrumentaliser les accords de libre-échange pour se prémunir contre deux menaces croissantes2. D’une part, les tentations de « protectionnisme numérique » en vogue dans de nombreux pays du Sud. D’autre part, les appels de plus en plus pressants à mieux réguler un secteur accusé de favoriser le pillage des données personnelles, l’abus de position dominante ou encore la désinformation en ligne.

Grâce à un travail de lobbying qui a porté ses fruits3, les grandes plateformes ont pu enregistrer des victoires importantes dans des accords comme le Partenariat Transpacifique (dont les États-Unis se sont toutefois retirés suite à l’élection de Donald Trump) ou le nouvel accord Canada-États-Unis-Mexique (qui a remplacé l’ALENA en 2020). Des traités qui reprennent quasiment mot pour mot les listes de doléances des entreprises du numérique dans les chapitres consacrés au « commerce électronique »4. Depuis 2017, cette offensive s’était donc également déplacée vers l’OMC, aboutissant en 2019 au lancement de négociations « plurilatérales », c’est-à-dire menées par un groupe d’États « volontaires », mais ouvertes à tous les États membres.

Un dispositif à la légalité douteuse, censé permettre de contourner l’opposition véhémente de nombreux pays du Sud – Inde et Afrique du Sud en tête – qui rejetaient le principe même de ces négociations au motif qu’elles étaient non seulement prématurées, mais aussi largement biaisées en faveur des États-Unis et de leurs entreprises technologiques. Or, voilà que le gouvernement américain semble leur donner raison ce 24 octobre, par la voix du porte-parole du représentant américain au commerce (USTR) : « de nombreux pays, dont les États-Unis, examinent leurs approches en matière de données et de code source, ainsi que l’impact des règles commerciales dans ces domaines. Afin de laisser suffisamment d’espace politique à ces débats, les États-Unis ont retiré leur soutien aux propositions susceptibles de porter préjudice ou d’entraver ces considérations de politique intérieure »5.

Vent de colère

Signe de l’importance et du caractère inattendu de cette décision, elle a immédiatement suscité l’ire des principaux lobbys du numérique aux États-Unis et de leurs nombreux relais au Congrès, tant du côté Républicain que Démocrate. Le sénateur démocrate de l’Oregon, Ron Wyden, qui préside l’influent comité sur les finances, a ainsi fustigé une décision qui, selon lui, « laissera un vide que la Chine sera plus qu’heureuse de remplir »6. Un argument également martelé par la Chambre de commerce américaine, qui s’insurge : « les règles commerciales numériques américaines bénéficient d’un large soutien bipartisan au Congrès, dans les milieux d’affaires et parmi les gouvernements alliés. Les abandonner, c’est saper les efforts déployés pour tenir en échec les gouvernements autoritaires et créer un vide qui cède le leadership à d’autres nations »7.

Une personne en particulier concentre l’essentiel des attaques : Katherine Tai. Cette jeune avocate a été nommée au poste de USTR par Joe Biden en 2020, après s’être fait un nom à la chambre des représentants en défendant un rééquilibrage de la politique commerciale américaine en faveur des travailleurs. Un objectif qu’elle entend poursuivre malgré les oppositions qu’il suscite jusqu’au sein même de l’administration Biden8. Mise sous pression suite au revirement du 24 octobre, on lui reproche d’avoir agi de façon unilatérale au risque de sacrifier les intérêts des entreprises américaines. Des accusations qu’elle balaye, en expliquant : « cela ne veut pas dire que nous n’aiderons pas nos grandes entreprises. Mais cela signifie que nous devons nous arrêter et nous poser la question de savoir si ce qu’elles veulent est dans l’intérêt des États-Unis. Parce qu’en fin de compte, je travaille pour Joe Biden, et il travaille pour le peuple des États-Unis. Je ne travaille pas pour ces entreprises »9.

Or, Mme Tai n’est pas totalement seule au moment de s’attaquer au pouvoir croissant des Big Tech. À la Federal Trade Commission (FTC, l’agence anti-trust), par exemple, une autre nominée « progressiste » de M. Biden, Lina Khan, s’en prend aux pratiques anti-concurrentielles des grandes plateformes, avec notamment un important procès qui vient de démarrer contre Amazon10. D’autres procédures similaires sont également en cours contre Google ou Meta, tandis que Joe Biden lui-même vient de signer un décret présidentiel visant à mieux encadrer le développement de l’intelligence artificielle (IA)11. Il est donc évident que le climat général est plutôt favorable à un meilleur encadrement des pratiques des Big Tech aux États-Unis, ce qui explique et justifie la volonté affichée par Mme Tai de ne pas corseter ces initiatives par le biais de traités commerciaux contraignants12.

Endiguer la Chine

Mais d’autres facteurs ont également pu jouer. Pour le chercheur indien Parminder Jeet Singh, par exemple, il faut également lire la récente décision américaine à la lumière de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. En effet, selon lui, « Le monde plat faisait le bonheur des États-Unis lorsqu’il signifiait leur hégémonie numérique sur ce monde. Mais avec la Chine qui les talonne rapidement sur la voie de la superpuissance numérique, la situation est devenue plus complexe »13. Échaudés par la façon dont la Chine a su tirer profit de son admission à l’OMC, en 2001, pour se hisser au rang de deuxième puissance économique mondiale, certains dirigeants américains (dont Mme Tai) craignent la répétition d’un scénario similaire en cas de libéralisation du commerce électronique dont la Chine pourrait également bénéficier. Sans compter qu’un accord trop contraignant viendrait également compliquer la stratégie de « découplage technologique » promues par l’administration américaine depuis plusieurs années pour contenir la montée en puissance numérique de Pékin14.

Dans ce contexte, toujours selon Singh, « La déclaration historique des États-Unis peut donc être vue sous deux angles différents. D’une part, elle indique un consensus de plus en plus large sur le fait que la préservation de l’espace politique national en matière de flux de données, de code source et de localisation des installations informatiques est essentielle à la réglementation numérique. Il s’agit là d’une évolution tout à fait bienvenue. Mais à un autre niveau, ce qui est plutôt inquiétant, c’est qu’elle pourrait renforcer la division de l’espace numérique mondial, des structures et des chaînes de valeur en deux blocs concurrents – l’un dirigé par les États-Unis et l’autre par la Chine ».

Pour contrer ce risque, d’aucuns misent sur les Nations Unies, dont le secrétaire général vient justement d’annoncer un projet de « Pacte numérique mondial », censé fournir un cadre de référence pour une réelle gouvernance mondiale du numérique15. Mais si l’ONU constitue indéniablement une instance plus légitime que l’OMC pour aborder des problématiques à la fois mondiales et multidimensionnelles comme la gouvernance des données ou la régulation de l’IA, l’institution souffre également de ses propres contradictions. À commencer, ici aussi, par les rivalités géopolitiques, mais également par le rôle accordé aux multinationales du numérique dans le cadre d’une approche « multipartite » (multistakeholders) historiquement privilégiée en matière de gouvernance d’internet16.

En attendant, reste à savoir ce qu’il adviendra des négociations en cours à l’OMC. Les États-Unis ont bien précisé qu’ils ne remettaient pas en cause l’accord en lui-même, mais seulement les dispositions les plus litigieuses. Dès le 6 novembre, un nouveau texte circulait qui reprenait un langage beaucoup plus consensuel en matière de circulation des données ou de protections des codes sources17. Une capitulation, pour ce négociateur cité (anonymement) par le Third World Network : « La question est de savoir si vous voulez un accord avec des avantages commerciaux substantiels ou simplement un accord pour avoir un accord ».

Mais pour d’autres opposants au texte18, c’en est encore trop. Les clauses problématiques ne se limitent en effet pas aux domaines les plus sensibles visés par la récente décision américaine. La volonté de supprimer définitivement les droits de douanes sur les produits électroniques, par exemple, pourrait avoir des répercussions au moins aussi importantes pour de nombreux pays du Sud19. Et, plus largement, le besoin de se ménager des marges et des espaces de régulation internes pourrait concerner des domaines dont on n’a peut-être même pas encore conscience, tant les choses évoluent vite en matière de numérisation.

De quoi appeler à la plus grande prudence donc, y compris dans d’autres accords de libre-échange qui incluent des clauses sur le « commerce électronique », à l’image de ceux que négocie l’Union européenne. Jusqu’ici, celle-ci s’est plutôt faite le relais des exigences des lobbys numériques américains, quitte à fragiliser ses propres ambitions de régulation interne et de « souveraineté numérique »20. Une conséquence dont se défendait encore il y a peu la Commission, en affirmant qu’il est tout à fait possible de concilier les deux. La récente volte-face américaine sonne toutefois comme un désaveu cinglant de cette position – au mieux – naïve.

Notes :

1 D. Lawder, « US drops digital trade demands at WTO to allow room for stronger tech regulation », Reuters, 26 octobre 2023.

2 C. Leterme, « Bataille autour des données numériques », Le Monde diplomatique, novembre 2019.

3 En particulier sous la présidence Obama. Entre 2014 et 2017, le responsable de la politique commerciale numérique américaine n’était autre que Robert Holleyman, jusque-là président de la Business Software Alliance (BSA).

4 D. James, « Digital trade rules : a desastrous new constitution for the global economy, by and for Big Tech », Rosa Luxemburg Stiftung, Bruxelles, 2020.

5 Cité dans Lawder, « US drops digital trade demands at WTO… », op. cit.

6 « Wyden Statement on Ambassador Tai’s Decision to Abandon Digital Trade Leadership to China at WTO », United States Senate Coommitee on Finance, 25 octobre 2023.

7 D. Palmer, « Biden administration delivers U.S. business a digital trade loss », Politico, 26 octobre 2023.

8 R. Kuttner, « Will Katherine Tai Prevail Over the Corporate Undertow? », The American Prospect, 27 juin 2023.

9 D. Palmer & G. Bade, « USTR Tai on the defensive after digital trade move », Politico Pro, 17 novembre 2023.

10 B. Serrure & P. Neirynck, « Le procès contre Amazon, un test pour l’avenir de la Big Tech », L’Écho, 27 septembre 2023.

11 A. Leparmentier, « Joe Biden annonce un plan de mesures pour contrôler l’intelligence artificielle », Le Monde, 31 octobre 2023.

12 F. Stockman, « Should Big Tech Get to Write the Rules of the Digital Economy? », The New York Times, 27 novembre 2023.

13 P. J. Singh, « The U.S.’s signal of a huge digital shift », The Hindu, 10 novembre 2023.

14 C. Leterme, « Tik Tok ou l’escalade dans la « guerre froide numérique » », CETRI, 13 août 2020.

15 https://www.un.org/techenvoy/global-digital-compact

16 « Pragmatic Deal or Tragic Compromise? Reflections on the UN SG’s Policy Brief on the Global Digital Compact », IT for Change, 6 juin 2023.

17 R. Kanth, « WTO: “Domino effect” of US pullout of proposals from JSI e-com talks », SUNS (n°9894), 10 novembre 2023.

18 À l’image du réseau altermondialiste Our World is not for Sale (OWINFS) qui mobilise sur cet enjeu depuis de nombreuses années : https://ourworldisnotforsale.net/digital.

19 C. Leterme, « E-commerce à l’OMC : l’étau se resserre sur les pays en développement », IRIS, 10 mars 2021.

20 C. Leterme, « Numérique et libre-échange : schizophrénie européenne ? », La revue européenne des médias et du numérique, n°67, automne 2023.


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Accès à la santé : faut-il réguler l’installation des médecins ?

En juin 2023, la majorité du camp présidentiel et de la droite ainsi que l’intégralité des députés RN ont rejeté l’amendement du groupe transpartisan mené par Guillaume Garot, qui proposait de conditionner l’installation des médecins et chirurgiens-dentistes dans les zones bien dotées à une autorisation de l’Agence régionale de santé. Les autres tentatives récentes visant à réguler l’offre de soins ont connu le même sort : le manque de volonté politique des gouvernements successifs, largement dû au fort pouvoir de négociation de la corporation médicale, est responsable d’une dégradation de l’accès à la santé des Français, particulièrement les plus défavorisés. Pour contrer cette tendance à la politique du ruissellement en matière de santé, la régulation de l’installation des médecins constitue une alternative. C’est d’ailleurs le souhait de la majorité des Français : 84 % d’entre eux sont favorables à une obligation d’implantation dans certains territoires lors des premières années d’exercice pour une répartition plus équitable.

Un accès aux soins dégradé et inégal

L’accès à la santé se dégrade pour les Français en général, mais pour certains plus encore que pour d’autres. L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL) moyen1 aux médecins généralistes, qui mesure le nombre de consultations par an et par habitant auxquelles les Français peuvent avoir accès, est ainsi passé de 4,06 en 2016 à 3,93 en 2018, soit une diminution de plus de 3 % en deux ans2. Cette dernière est plus prononcée dans les communes les moins bien dotées : les 10 % des Français les moins bien dotés ont accès à 2,24 fois moins de consultations que les 10 % les mieux dotés en 2018, contre 2,17 fois en 2015.

In fine, le nombre de Français vivant dans un territoire de vie-santé sous-dense, c’est-à-dire ayant accès à moins de 2,5 consultations par an et par habitant, est passé de 2,5 millions d’habitants en 2015, soit 3,8 %, de la population, à 3,8 millions en 2018, soit 5,7 %. Et ces déséquilibres ne se résorbent pas, ils semblent au contraire s’aggraver dans le temps, voire s’étendre autour de zones déjà faiblement dotées3. Le constat vaut aussi pour les spécialistes4 : en 2017, le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste variait de 4 jours pour les 10 % des Français les mieux dotés à 189 jours pour les 10 % les moins bien dotés, soit 47 fois plus ; pour les pédiatres, les délais variaient de 0 jour à 64 jours, soit plus de deux mois pour obtenir un rendez-vous pour 10 % de Français.

« La carte des zones les moins bien dotées ressemble fortement à celle de la « diagonale du vide », voire recoupe celle des « Gilets jaunes » établie par Hervé Le Bras. »

Si cette dégradation s’explique en partie par un manque global de médecins, elle est surtout due à leur répartition très inégale sur le territoire. Trop peu de médecins exercent en France, dans un contexte d’augmentation soutenue de la demande de soins. Certes, leur nombre est resté relativement stable au cours des dernières années (214 000 médecins de moins de 70 ans en activité en 2021, contre 216 000 en 2016), même si généralistes et spécialistes ont connu des évolutions divergentes, en l’occurrence une baisse des premiers et une hausse des seconds.

Cependant, la densité médicale standardisée, c’est-à-dire prenant en compte la consommation de soins, a fortement diminué sur la période du fait d’une consommation de soins en augmentation, causée par le vieillissement de la population : elle est passée de 331 à 312 pour 100 000 habitants entre 2012 et 2021. De fait, la Drees indique que cette densité devrait continuer à diminuer au cours des 15 prochaines années, avant de retrouver son niveau de 2021 en 20355. Il y a donc bien une pénurie de médecins, largement due à une application trop stricte du numerus clausus (originellement mis en œuvre à leur demande) entre le début des années 1990 et la fin des années 2000.

Mais au-delà de ce constat largement partagé, il faut prendre conscience du rôle majeur que jouent les inégalités territoriales de densité médicale dans les difficultés d’accès à la santé de plus en plus de Français. L’hétérogénéité de la répartition des médecins sur le territoire en 2022 est ainsi particulièrement frappante. Pour l’ensemble des médecins, l’écart va de de 1 à 5,5 entre Paris, le département le mieux doté (884 médecins pour 100 000 habitants), et l’Eure, le moins bien doté (163 médecins pour 100 000 habitants)6 ; pour les généralistes, il est de 1 à 3 entre les Hautes-Alpes, le département le mieux doté (272 généralistes pour 100 000 habitants) et l’Eure, le moins bien doté (89 généralistes pour 100 000 habitants)7 ; pour les spécialistes, les plus touchés par le phénomène d’extrême concentration, il est de 1 à 9 (!) entre Paris, département le mieux doté (648 spécialistes pour 100 000 habitants) et l’Ain et l’Eure, les deux départements les moins bien dotés (74 spécialistes pour 100 000 habitants)8.

Au total, le coefficient de variation, qui mesure la dispersion autour de la moyenne, s’établit à 38% pour les médecins, et à 53 % pour les spécialistes, contre seulement 20 % pour les pharmaciens, dont l’installation est régulée. Et ces différences sont encore plus marquées au niveau infra-départemental. Elles ne s’expliquent pas en fonction des spécificités locales en termes de pyramide des âges : il n’existe aucune corrélation entre la densité de médecins par habitant et la part des 65 ans et plus au sein de la population. Elles sont, plus vraisemblablement, le résultat des préférences des professionnels de santé pour les zones du territoire possédant les meilleures aménités.

Cette inégale répartition des médecins sur le territoire amplifie les difficultés d’accès à la santé des Français qui résident déjà dans les zones les moins attractives ; elle agit donc comme une sorte de double peine, en pénalisant les plus défavorisés. De fait, la carte des zones les moins bien dotées ressemble fortement à celle de la « diagonale du vide », voire recoupe celle des « Gilets jaunes » établie par le démographe Hervé Le Bras9.

Les limites de la politique du ruissellement médical

Alors que la levée (partielle) du numerus clausus ne permettra de remédier à l’obstacle de la pénurie de médecins qu’à long terme, aucune mesure n’a été prise pour lutter efficacement contre leur concentration sur le territoire. La loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a remplacé le numerus clausus par un numerus apertus : désormais, le nombre d’étudiants admis en deuxième année est fixé par les universités, en fonction de leurs capacités de formation et des besoins du territoire, sur avis conforme de l’Agence régionale de santé (ARS), et au regard d’objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former établis par l’État.

Outre le fait que la « suppression » du numerus clausus est en réalité en trompe-l’œil (puisqu’un contingentement est maintenu), ses premiers effets ne devraient pas intervenir avant 2035, du fait du temps nécessaire à la formation de nouveaux médecins supplémentaires. Par ailleurs, les investissements nécessaires à l’accueil des nouveaux étudiants (dans l’université, mais aussi dans l’hôpital pour encadrer les stagiaires) n’ont pas été réalisés à un niveau suffisant. Surtout, l’augmentation globale du nombre de médecins ne peut constituer à elle seule une réponse efficace aux difficultés d’accès à la santé. En effet, contrairement à l’idée défendue par les tenants de la théorie du « ruissellement » en matière de santé, qui semble être partagée par le gouvernement, l’accroissement de l’offre globale de médecins ne garantit nullement une meilleure répartition sur le territoire dans les faits10.

« L’accroissement de l’offre globale de médecins ne garantit nullement une meilleure répartition sur le territoire dans les faits. »

Pour lutter contre les inégalités territoriales d’accès à la santé, les gouvernements successifs ont préféré l’adoption de plusieurs mesures incitatives, reposant sur des aides financières généreuses à l’installation. Pour ne donner qu’un exemple, le contrat d’aide à l’installation pour les médecins (CAIM) consiste en une aide forfaitaire pouvant atteindre jusqu’à 50 000 € pour une installation en zone sous-dense, avec simple engagement d’y exercer pendant cinq ans de suite. Ces mesures n’ont jamais fait l’objet d’un recensement ni d’une évaluation générale, et leur coût est très difficile à estimer11. Leur inefficacité en revanche est bien établie : à l’issue d’une vaste comparaison internationale, la Drees conclut que « le recours à ces mesures de manière isolée ne suffit pas à attirer et à retenir les médecins »12. La Caisse d’assurance maladie a ainsi procédé en France à une évaluation des incitations financières mises en place en 2007 sous forme de majorations tarifaires (de 20 %) dans les zones sous-denses. Elle montre que sur les trois premières années d’application, la mesure a conduit à un apport net de 60 médecins, pour un coût de 20 M€ par an. La Cour des comptes a par ailleurs estimé qu’elle avait essentiellement constitué un effet d’aubaine pour les professionnels déjà en place.

La frilosité des gouvernements successifs s’explique en grande partie par le fort pouvoir de négociation de la corporation médicale, du fait de la bonne organisation de la profession, de sa présence importante au sein des instances décisionnaires – à l’instar des ministres de la Santé, souvent eux-mêmes médecins – et de son rôle de relais électoral. Dans les faits, cette politique a minima est pourtant responsable de l’aggravation des inégalités d’accès à la santé, au détriment de la cohésion sociale et territoriale, et du droit à la protection de la santé, garanti à la fois aux niveaux législatif et constitutionnel.

À l’international, le choix de la régulation

La régulation de l’installation des médecins, couplée à des mesures de soutien, apparaît comme une politique plus efficace pour mieux les répartir sur le territoire, et ainsi limiter les difficultés et inégalités d’accès à la santé. Nombreux sont d’ailleurs les pays à avoir adopté un tel système de régulation. Au Danemark, par exemple, les médecins généralistes sont libéraux, mais doivent passer contrat avec les autorités régionales, qui régulent la distribution géographique des cabinets. Les effectifs nécessaires par zone géographique sont fondés sur la taille des listes de patients inscrits auprès des médecins et les distances d’accès aux cabinets : les patients doivent avoir le choix entre au moins deux cabinets dans un rayon de 15 kilomètres, et un généraliste peut décider de fermer sa liste à partir du moment où elle atteint 1 600 patients. S’il y a un manque de médecins dans une zone, la région ouvre des postes supplémentaires.

Autre méthode, en Allemagne, le territoire a été découpé en 395 circonscriptions médicales, classées en trois catégories (urbain, périurbain, rural) avec plusieurs sous-catégories en fonction de la densité de population. Pour 14 groupes de spécialités, dont la médecine générale, une densité cible a été définie par type de territoire, exprimé par un ratio de nombre d’habitants par médecin. Dans une circonscription donnée, l’installation est possible aussi longtemps que le nombre de médecins de la spécialité considérée ne dépasse pas 110 % du ratio.

En Norvège, en Finlande et au Royaume-Uni, un système de régulation vise également à assurer l’équité territoriale du système de santé. Il ressort de ces expériences internationales que la régulation de l’installation conduit à une distribution géographique plus équitable : la dispersion des médecins sur le territoire est en effet nettement plus faible qu’en France dans l’ensemble de ces pays14. Seule exception au niveau national, le cas des pharmaciens, qui sont soumis à une autorisation préalable d’installation de l’ARS, et apparaissent en effet bien mieux répartis que les médecins sur le territoire : l’écart va seulement de 1 à 2,5 entre le département le moins bien doté et le département le mieux doté, et le coefficient de variation, comme vu précédemment, est de seulement 20%. Il faut cependant noter que, dans les pays considérés, la régulation n’évite pas les pénuries dans certaines zones lorsque le nombre global de médecins est insuffisant sur le territoire.

« La régulation de l’installation constitue un complément indispensable à une politique d’augmentation de l’offre globale de médecins. »

La régulation de l’installation constitue donc un complément indispensable à une politique d’augmentation de l’offre globale de médecins. Elle pourrait prendre la forme d’une autorisation d’installation accordée aux médecins par les ARS en fonction d’un indicateur de densité, qui prendrait en compte à la fois le nombre d’habitants du territoire vie-santé et la composition de la population. L’installation pourrait être conditionnée, au-delà d’un certain seuil de densité, au départ d’un ou plusieurs médecins présents sur le territoire. En cas de refus, le médecin se verrait déconventionné.

Une telle mesure doit cependant être accompagnée de mesures plus positives de soutien aux médecins qui s’installent, de manière à être à la fois mieux acceptée par ces derniers et plus efficace. De manière générale, les actions visant à faciliter l’exercice collectif et pluriprofessionnel (soutien au développement des maisons de santé et des centres de santé) sont certainement celles qui peuvent avoir les effets les plus structurants. L’exercice en maisons de santé répond au souhait de s’impliquer dans un projet collectif ; il permet aussi de mieux concilier la réponse aux besoins de la population et les aspirations des professionnels en matière d’organisation de leur temps de travail. Les données empiriques montrent d’ailleurs que les maisons et pôles de santé contribuent à consolider l’offre dans les espaces ruraux et périurbains où ils sont installés15. Plusieurs autres leviers pourraient être activés en complément, comme des formations adaptées à l’exercice futur en zone rurale, qui ont un effet positif sur l’installation future en zone sous-dotée16, ou le financement de la présence de deux médecins dans les communautés à un seul médecin, pour éviter l’isolement des nouveaux praticiens.

[1] Mesuré au niveau communal.

[2] B. Legendre (Drees), « En 2018, les territoires sous-dotés en médecins généralistes concernent près de 6% de la population », 2020.

[3] Alors que la plupart des zones sous-denses le restent d’une période à l’autre, les zones nouvellement sous-denses s’étendent la plupart du temps à partir de ces dernières.

[4] C. Millien et al (Drees), « La moitié des rendez-vous sont obtenus en 2 jours chez le généraliste, en 52 jours chez l’ophtalmologiste », 2018

[5] M. Anguis et al (Drees), « Quelle démographie récente et à venir pour les professions médicales et pharmaceutiques ? », 2021.

[5] Pour une moyenne de 340 médecins pour 100 000 habitants en France métropolitaine.

[7] Pour une moyenne de 148 généralistes pour 100 000 habitants en France métropolitaine.

[8] Pour une moyenne de 192 spécialistes pour 100 000 habitants en France métropolitaine.

[9] La carte des “gilets jaunes” n’est pas celle que vous croyez (nouvelobs.com)

[10] D. Polton et al (Drees), « Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale », 2021. Les exemples internationaux sont très nombreux. Ainsi au Royaume-Uni, les inégalités de distribution des généralistes sont restées similaires sur la période 1974-1995 malgré un accroissement global de l’offre médicale (H. Gravelle et M. Sutton, « Inequality in the geographical distribution of general practitioners in England and Wales, 1974-1995 », 2001).

[11] Cour des comptes, « L’avenir de l’Assurance maladie », 2017.

[12] D. Polton et al (Drees), op.cit.

[13] Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, 2014.

[14] D. Polton et al (Drees), op.cit

[15] G. Chevillard et al, « Accessibilité aux soins et attractivité territoriale : proposition d’une typologie des territoires de vie français », 2015.

[16] Voir notamment : R. B. Hays et al, « Why doctors leave rural practice », 1997.


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Airbnb et les locations touristiques : quand le logement devient marché

Panneau publicitaire Airbnb situé à proximité d’une autoroute urbaine à San Francisco. © Fonts In Use.

Les locations touristiques rentrent aujourd’hui en concurrence avec le parc locatif traditionnel. Elles menacent la capacité de nombreux ménages à se loger. Assimilant nos foyers à un service marchand ou à un capital à rentabiliser, elles pulvérisent non seulement le droit au logement qui a valeur constitutionnelle depuis 1946 en France, mais dégradent également le sens même du mot « habiter ». Il est temps de les soumettre à des réglementations plus strictes et d’envisager leur interdiction pure et simple dans certains territoires tendus. Cette analyse de Jean Vannière constitue le deuxième volet du dossier du Vent Se Lève consacré au « crépuscule des services publics ».


L’expression nous vient du journal Le Monde, dont on reconnaîtra qu’il n’a pas coutume d’abuser des hyperboles : « Airbnb et les plateformes de location touristique sont en train de cannibaliser le parc de logements des grandes villes », au point d’en priver les ménages les plus vulnérables parmi lesquels étudiants, jeunes actifs et travailleurs précaires[1].

La formule a ses précédents dans la presse. Elle traduit le regard inquiet que la société civile porte sur la façon dont la firme au logo d’abeille pénètre nos pénates et altère le fonctionnement de nos villes. Le New Yorker évoque une « invasion » d’Airbnb à Barcelone et le « règne zénithal d’un nouveau genre de logement barbare au design standardisé, vaguement scandinave »[2]. Le Guardian dénonce un « rapt mondial de nos logements par la firme » [3]. Wired annonce l’« âge du tout-Airbnb » et s’inquiète de la financiarisation du logement qu’augure le modèle économique rentier extractiviste imposé par la multinationale[4].

Airbnb bouleverse les rapports entre l’Homme et le logement. Chose inédite dans l’Histoire, ce dernier cesse d’être une « demeure », c’est-à-dire un lieu de stabilité, de fixation et de repos pour un ménage défini. À la place, il se transforme en un produit « liquide » au sens baumanien du terme, dont l’occupation peut évoluer chaque jour et doit en tout cas être maximisée. Plus encore que le parc locatif traditionnel, le logement devient un capital soumis au calcul maximisateur d’un homo œconomicus davantage torturé par le montant de la rente qu’il va bien pouvoir en extraire. Ironiquement, Le Monde voit dans cet ultime procès de marchandisation du logement l’une des causes de la corrosion des liens familiaux[5]. Force est de constater que bien souvent, les solidarités entre parents, enfants ou membres d’une même fratrie ne résistent pas au fait que le foyer familial se transforme en chambre d’hôtes et qu’il devient obligatoire de booker le droit d’y dormir !

À l’origine, l’utopie Airbnb promettait pourtant l’avènement d’un Homme nouveau, « citoyen du monde ». Sa vision du city-break clés en main nous vendait un cosmopolitisme facile, démocratique et enfin accessible à tous. Elle était vantée par une formule commerciale vaporeuse, qui fleurait déjà bon l’oxymore : « belong anywhere » (chez soi partout dans le monde). Le grand rêve suggéré par Airbnb nous fit oublier qu’en ce bas monde, l’Homme est un être fait de chair et de stases. Il a besoin d’un chez-soi bien à lui. Icare finit donc par brûler les ailes de son EasyJet. L’orgueilleux mirage libéral – et léger délire de toute-puissance – du any place, d’un Homme abstrait des frontières terrestres et de tout ancrage et nécessité matériels se dissipa. Il laissa place au cauchemar du no sense of place (nulle part chez soi).

Mark Wallinger, The World Turned Upside Down. © The LSE Library.

Airbnb abîme l’Homme, son habitat et son écologie. La plateforme ne se contente pas de désenchanter le voyage en l’intensifiant et en l’économicisant à outrance. Elle neutralise également le sens du lieu, du foyer, de l’accueil et de la citoyenneté. Les locataires-clients sont réduits à l’état d’enfants-consommateurs de mobilité et de tourisme[6] — de nos jours, l’expression anglaise « travel addict » traduit l’état de manque produit par cette industrie — ou de simples « particules »[7] circulant comme un fluide entre halls d’aéroports et autres non-lieux d’un espace mondial horizontal, réticulaire et hors-sol[8] [9]. Les ménages amenés à placer leur domicile en location, eux, sont consumés par la violence d’un calcul utilitariste qui pénètre leurs vies intimes. Consumés par la question de savoir comment faire un maximum d’argent avec leur domicile.

Le logement français, proie de choix des locations touristiques

Les plateformes de location touristique — Airbnb en tête, mais en fait également Booking, Abritel, HomeAway ou Le Bon Coin — ont déjà réussi à s’emparer d’une part significative du parc locatif de nos métropoles. En 2018, Airbnb a enregistré 330 000 logements mis en location touristique dans les communes-centre des dix plus grandes aires métropolitaines de France (Paris, Marseille, Lyon, Nice, Montpellier, Strasbourg, Nantes, Toulouse, Bordeaux et Lille), soit 25% de plus que l’offre hôtelière traditionnelle qui ne comptait plus que 260 000 logements disponibles en 2018 selon l’INSEE, et dont le volume d’activité ne cesse de décliner depuis 2015 dans ces grandes villes[10].

En 2018, Airbnb a enregistré 330 000 logements mis en location touristique dans les communes-centre des dix principales métropoles de France.

Il faut dire que la firme a tous les arguments pour convaincre les ménages occupants de céder à ses sirènes, à commencer par un modèle économique tentateur ! Selon une étude de Meilleurs Agents et du JDN effectuée en 2016, toutes choses égales par ailleurs, les locations Airbnb rapportent en moyenne 2,6 fois plus par mois que la location classique en France[11]. L’écart de rentabilité se creuse de façon encore bien plus considérable dans les quartiers qui constituent le cœur battant du nouveau marché mondial de la location touristique. La base de données AirDNA et le site d’Airbnb ont par exemple permis de constater des écarts de niveaux de loyers supérieurs à cinq par rapport à ceux pratiqués au mois par le secteur locatif traditionnel dans des quartiers prestigieux comme le Marais, la Place Vendôme (Paris), les Allées de Tourny (Bordeaux) ou la Place Gutenberg (Strasbourg)[12].

Listings Airbnb à Strasbourg, dans la Grande Île, autour du TGI et à la Krutenau. © AirDNA.

Le marché immobilier français constitue ainsi une proie de choix pour les plateformes de locations touristiques. Avec un volume de chiffre d’affaires de 11 milliards de dollars en 2018, l’Hexagone représente d’ailleurs le deuxième marché national d’Airbnb, juste derrière les États-Unis. Toujours selon la plateforme, c’est également le marché national de grande taille en plus forte progression en termes de volume de logements nouvellement mis en location, devant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Cette croissance insolente est confirmée par l’INSEE, qui a enregistré une centaine de millions de nuitées dans des logements loués via les plateformes internet en 2018 en France, et une progression de respectivement 25%, 19% et 15% de ce nombre de nuitées en 2016, 2017 et 2018[13] — soit de plus de 70% en trois ans.

Le Carrousel Disney dans la métropole

Déjà météorique, la croissance d’Airbnb est encore plus fulgurante et retorse dans les grandes métropoles. Selon le New Yorker, 20 millions de touristes prennent désormais d’assaut Barcelone chaque année grâce à ces plateformes[14]. Le Guardian et Inside Airbnb relèvent quant à eux qu’avec plus de 65 000 logements mis en location touristique sur la plateforme, Paris occupe la deuxième place mondiale — derrière Londres et ses 80 000 logements — des villes proposant le plus d’annonces de locations touristiques Airbnb, fin octobre 2019[15] [16]. Selon Le Monde, Paris est même de loin première du classement si le nombre d’annonces est rapporté au nombre total de logements du parc résidentiel. 3,8% du parc parisien est actuellement proposé en permanence à la location via Airbnb, contre 1,5% à Rome et 1,2% à Londres[17].

À Paris, ce sont plus de 35 000 logements qui ont définitivement quitté la location classique pour rejoindre la location touristique via les seules plateformes Airbnb et HomeAway[18]. Selon les données compilées par AirDNA, en 2019, 75 000 logements parisiens sont désormais mis en location sur leurs sites internet, dont 35 000 plus de quatre mois par an[19]. On peut dès lors considérer qu’ils perdent leur vocation résidentielle[20] [21]. Ce sont donc autant de logements qui sont officiellement transformés en logements occasionnels, résidences secondaires ou logements vacants aux yeux de la typologie des fichiers logement de l’INSEE, dont la typologie ne prend pas encore en compte correctement le phénomène et est malheureusement incapable de quantifier son ampleur et sa gravité[22].

À Paris, plus de 35 000 logements ont définitivement quitté la location classique pour rejoindre la location touristique via les plateformes Airbnb et HomeAway.

Plus encore que Paris cependant, ce sont les grandes métropoles provinciales qui sont les premières victimes de la vampirisation d’Airbnb. Déjà en 2018, selon Le Monde, le pourcentage du parc immobilier des communes de Bordeaux (3,7%), Strasbourg (3,4%) et Nantes (3,1%) mis en location à l’année sur Airbnb était bien supérieur à celui de Paris (2,5%). Ces chiffres peuvent paraître modérés. Ils masquent cependant une réalité bien plus prononcée. Contrairement à l’Allemagne ou à la Suisse, en France, le parc locatif ne représente qu’une minorité — un tiers — du parc de logements[23]. Certes, dans le cœur des grandes métropoles, ce pourcentage est plus élevé. Néanmoins, si l’on tient compte du statut d’occupation, c’est en fait une part bien plus considérable du parc locatif qui est préemptée par les locations touristiques. Il avoisine les 8% à Bordeaux.

Listings Airbnb à Bordeaux, de Saint-Michel aux Allées de Tourny. © AirDNA.

Le phénomène est encore plus spectaculaire si l’on considère également les logements qui ont été occasionnellement proposés à la location sur Airbnb au cours de l’année. Selon les chiffres de l’Observatoire Airbnb, une plateforme internet de diffusion de données sur le développement des locations touristiques fondée par Matthieu Rouveyre, élu PS bordelais, 6,5% du parc de logements de la commune de Paris et environ 15% de son parc locatif ont fait l’objet d’au moins un listing au cours de l’année. À Bordeaux, c’est le cas de 9,3% du parc de logements et un peu moins de 20% du parc locatif[24].

Quand le Marché prive les ménages d’un logement

Cette préemption du parc locatif par les plateformes de locations touristiques est en large partie responsable de la hausse accélérée de la construction de nouveaux logements dans les principales métropoles, confrontées à une demande en état d’insatisfaction chronique et dévoreuse de foncier. Ce phénomène est à l’origine du paradoxe suivant : celui d’une augmentation récente très nette du nombre de mises en chantier de bâtiments à usage résidentiel dans les grandes métropoles au cours des dernières années, bien supérieure à ce qui pourrait être expliqué par leur croissance démographique modérée ou même la réduction de la taille de leurs ménages, certes plus gourmands en logements[25]. En clair, nos villes continuent de se bétonner et de s’étendre, certes parce que le nombre de m² occupés par individu continue de croître, mais aussi parce qu’elles laissent libre cours à la voracité d’usages superfétatoires du logement — location touristique, augmentation de la vacance de logements dégradés et d’un parc immobilier de prestige laissé vacant durant la majeure partie de l’année, etc[26].

Touristes maniant un selfie stick sur l’Esplanade du Trocadéro à Paris. © Associated Press.

Mort sociale des quartiers « prime »

La vampirisation d’Airbnb est à géométrie — et géographie — variable. Elle cache des situations bien plus sévères dans certaines métropoles et certains quartiers spécifiques. Les locations Airbnb étant ultra-concentrées géographiquement et majoritairement destinées à des individus seuls ou en couple, elles préemptent en premier lieu les plus petits[27] et les plus beaux logements des quartiers dits « prime », ces quartiers hyper-centraux et touristiques des grandes métropoles — pour reprendre l’expression consacrée par le secteur immobilier anglo-saxon — situés à proximité immédiate des principaux monuments historiques de la ville en question. Or, c’est précisément ce type de logement qui est déjà concerné par la plus forte tension, dans un contexte conjoint de métropolisation de la population française et de réduction de la taille moyenne des ménages, davantage demandeurs de petits logements. Selon l’INSEE, ce phénomène s’accélère d’ailleurs depuis 2015 en France[28].

Ainsi, les données de la base AirDNA font apparaître que des quartiers comme les Allées de Tourny, Bourse-Parlement, les Capucins (Bordeaux), Euralille, les abords de Notre-Dame-de-la-Treille (Lille), les pentes de la Croix-Rousse, Fourvière (Lyon), le Vieux-Port, le Panier (Marseille), Sainte-Anne, Saint-Roch (Montpellier), Bouffay (Nantes), le Vieux-Nice, Jean-Médecin, le Carré d’Or (Nice), la Butte Montmartre, le Sentier, le Marais, Saint-Michel, Odéon, Vendôme (Paris), le Parlement de Bretagne, Saint-Pierre-Saint-Sauveur (Rennes), le Carré d’Or, la Place Gutenberg (Strasbourg)[29], les Carmes, le Capitole et Matabiau (Toulouse) sont particulièrement touchés. À Paris, les 2e, 3e et 4e arrondissements constituent l’épicentre historique du phénomène, au point où une association de riverains tente de sensibiliser l’opinion publique sur ses implications locales délétères depuis déjà trois ans[30].

Dans les rues de certains quartiers, 50% du parc locatif et la quasi-totalité des petits logements sont déjà phagocytés par les locations touristiques.

Concernant l’identité de la personne physique ou morale propriétaire qui met en location touristique ces logements et le nombre de logements qu’elle détient, on observe également un niveau de concentration parfois extrême. Selon une étude menée par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) et des étudiants de Sciences Po, la majorité des logements parisiens mis en location sur Airbnb dans les secteurs de l’Île Saint-Louis, du Marais, du Sentier, du Quartier Latin ou de l’Odéon est détenue par des multi-propriétaires qui possèdent plusieurs autres biens immobiliers[31].

Listings Airbnb à Paris, de l’Hôpital Saint-Louis à l’Odéon. © AirDNA.

Monopoly n’est donc plus seulement un jeu de société. Un phénomène pyramidal de concentration du logement locatif est à l’œuvre dans nos villes. Il a notamment été décrit par Saskia Sassen[32]. À son sommet, quelques Thénardier et surtout beaucoup de multi-propriétaires abrités derrière des sociétés civiles immobilières gèrent plusieurs dizaines de baux locatifs chacun, transformant le cœur des beaux quartiers des grandes métropoles en un vaste domaine néo-féodal. C’est ce qu’a pu constater la revue Wired, en enquêtant sur la formation d’un empire locatif illégal de 43 logements à New York, qui s’étendait d’Astoria à Harlem en passant par l’Upper East Side. Ce dernier a généré cinq millions de dollars de revenus en quatre ans. Ses gestionnaires avaient également acquis des participations dans d’autres réseaux de locations touristiques aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Suisse, en République Tchèque et à Singapour[33]. Ces révélations rendent l’affirmation des dirigeants d’Airbnb, selon laquelle la plateforme serait « utilisée par des ménages mono-propriétaires, ayant occasionnellement recours à la location touristique afin de générer des compléments de revenus pour améliorer leurs fins de mois »[34] un brin malhonnête.

La concurrence économique et le pouvoir d’exclusion que le marché de la location touristique exerce sur le parc locatif traditionnel s’intensifie donc particulièrement dans les cœurs des grandes métropoles, et surtout depuis 2015. À cette date, le nombre de logements mis en location touristique sur Airbnb dans le parc de leurs communes-centre n’a cessé de bondir. En seulement un an, de mai 2016 à mai 2017, il a augmenté de 120% à Bordeaux et Nantes, 80% à Montpellier, 60% à Lyon et Strasbourg, 50% à Marseille, 40% à Lille et 30% à Paris[35].

Extension du domaine du Marché

La location touristique en vient même à s’attaquer, de façon totalement illégale, au parc social. Principales organisations du monde HLM en France, l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) et sa division francilienne (AORIF) ont dernièrement enjoint Airbnb, Le Bon Coin et De Particulier À Particulier (PAP) à lutter plus efficacement contre les mises en location de logements HLM sur leurs plateformes, tant celles-ci se sont multipliées[36] [37]. En France, une telle pratique est pourtant explicitement interdite par la loi[38]. Des locataires ont d’ailleurs été assignés en justice par des bailleurs sociaux comme la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP), et condamnés pour avoir proposé leur logement social à la location[39] [40].

La location touristique en vient même à s’attaquer illégalement au parc social. Les mises en location de HLM sur les plateformes se sont multipliées.

Les propos de Jean-Louis Dumont, directeur de l’USH, s’éclairent dès lors d’un sens nouveau. Selon lui, « le logement, notamment à Paris et dans les grandes agglomérations, devient un sujet de plus en plus préoccupant pour des dizaines de milliers de familles. À ce titre, il ne doit pas être possible de le percevoir comme un bien de consommation comme un autre. Le logement, et particulièrement le logement social, ne doit pouvoir faire l’objet d’une marchandisation qui va à l’encontre non seulement des règles, mais aussi de la morale »[41].

Vaines paroles ? La vampirisation du parc locatif provoquée par les locations touristiques Airbnb devient en tout cas un enjeu réglementaire primordial pour les grandes métropoles françaises, mais aussi pour l’État. Depuis le 1er décembre, un décret et un arrêté parus les 30 et 31 octobre derniers, pris en application de la loi ÉLAN du 23 novembre 2018[42], obligent certes les différentes plateformes internet à transmettre une fois par an aux services de 18 communes françaises, la liste des annonceurs qui mettent des logements en location sur leur territoire[43] [44].

Cependant, les dispositions prévues par ces textes de loi sont décevantes, pour ne pas dire illisibles et complaisantes envers les plateformes et les propriétaires de logements mis en location touristique. Elles exigent des gestionnaires qu’ils ne transmettent les données relatives à leurs activités qu’une fois par an — au lieu de trois, comme certaines collectivités locales l’avaient initialement exigé —, et brisent ainsi les capacités réglementaires locales des collectivités en leur interdisant explicitement de procéder à davantage de contrôles, et n’obligent pas les gestionnaires à renseigner le nom de la plateforme en ligne sur laquelle ils ont posté leur annonce.

Ces textes de loi paralysent donc, plutôt qu’ils ne les organisent, de véritables moyens d’encadrement et de réglementation pour les collectivités. Ces dernières ne seront pas en mesure de mener une politique de contrôle efficace. Débordés, leurs agents seront réduits à mener leurs enquêtes par eux-mêmes, épluchant alla mano les sites internet de chaque plateforme de location touristique afin d’espérer y dénicher les logements mis illégalement en location. Selon Ian Brossat, adjoint à la Maire de Paris, cette reculade ne peut être expliquée que par les activités de lobbying menées par les plateformes auprès des parlementaires de la majorité LREM[45].

Pire encore, à travers l’extension du domaine de la concurrence, l’Union européenne contribue également à ce que ses États-membres soient dans l’incapacité technique et juridico-légale d’organiser toute politique de réglementation adéquate concernant les locations touristiques. Le 30 avril dernier, Maciej Szpunar, avocat général près la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), a par exemple estimé qu’Airbnb ne devait pas être soumis aux dispositions de la loi Hoguet, rejetant ainsi la plainte d’un justiciable français selon lequel la plateforme Airbnb devrait être soumise aux mêmes obligations légales, comptables et fiscales que les entreprises du secteur de l’intermédiation immobilière en France (agents immobiliers, administrateurs syndics)[46]. Depuis le siège social de sa division EMEA sis en Irlande afin d’échapper aux fiscs nationaux, Airbnb a même osé se fendre d’un communiqué réagissant à la décision de justice, poussant le vice jusqu’à s’en féliciter publiquement[47].

Outre-Atlantique, au nom du respect du Quatrième amendement[48], un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, révélateur de la toute puissance actuelle de ce que Thomas Piketty nomme l’« idéologie propriétariste » [49], a quant à lui défait un arrêté municipal de la Ville de New York qui enjoignait aux gestionnaires de locations touristiques de renseigner un ensemble d’informations sur leur logement et l’identité de leurs locataires. Un des arguments motivant l’arrêt était qu’une telle mesure serait « de nature vexatoire envers les propriétaires »[50]. L’idéologie propriétariste si puissante dans notre pays, consacrée par la Révolution française et l’époque napoléonienne, permet d’expliquer pourquoi le Ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a récemment déclaré qu’il était inenvisageable de remettre en question les caractéristiques élémentaires de ce droit sanctuarisé, « le plus absolu » au terme de l’article 544 du Code civil[51] [52].

Arrêter l’hémorragie des villes, moraliser l’usage du logement

Malgré ces revers juridico-légaux et politiques, partout dans le monde, la résistance s’organise. Les municipalités ont fini par comprendre qu’elles ne peuvent attendre d’obtenir un imprimatur de leur gouvernement ou des institutions européennes pour mettre en œuvre les réglementations nécessaires à la protection du droit au logement et à la vie digne de leurs résidents[53]. Or, quand il s’agit de réglementer, ces dernières sont tout sauf dénuées d’inventivité.

Londres, Madrid, Seattle et San Francisco ont instauré une limite maximale initiale de cent vingt jours — dernièrement abaissée à quatre-vingt-dix jours à San Francisco — annuels durant lesquels un hébergeur peut mettre à disposition son appartement sur un site de location touristique[54] [55]. À Amsterdam, c’est seulement soixante jours, bientôt trente, et les contrevenants s’exposent à 12 000 euros d’amende[56]. À New York, jusqu’à la dite décision de la Cour suprême, il était illégal de louer un logement entier en dessous de trente jours consécutifs et une loi votée en 2016 y punissait les annonces non-conformes de 7 500 dollars d’amende[57]. Santa Barbara (États-Unis, Californie) a réintroduit la même réglementation, qui n’a jusqu’alors pas encore été invalidée par la Cour. Berlin interdit de louer sur une courte durée plus de 50% de la surface disponible d’un même appartement, sous peine de devoir s’acquitter d’une coquette pénalité de 100 000 euros[58]. En 2012, Barcelone rend obligatoire la possession d’une licence délivrée par la municipalité afin d’obtenir le droit d’avoir recours aux locations touristiques. À partir de 2014, leur délivrance est gelée dans le centre-ville et les loueurs irréguliers contrevenants s’exposent à 30 000 euros d’amende. Enfin, en 2017, ce gel est institutionnalisé, étant indéfiniment prolongé et rendu légalement opposable par les documents d’urbanisme de la ville, comme le PEUAT (« Plan Especial Urbanístico de Alojamiento Turístico »)[59] [60] [61] [62].

Dans plusieurs villes américaines (Chicago, La Nouvelle-Orléans, Santa Monica, Oxnard) et italiennes (Bergame, Bologne, Catane, Florence, Gênes, Lecce, Lucques, Milan, Naples, Rome, Palerme, Parme, Rimini, Sienne, Turin), le site d’Airbnb informe qu’une taxe est levée par les autorités locales pour chaque nuitée touristique. Toujours à Santa Monica et Oxnard (États-Unis, Californie), il est également obligatoire de posséder une licence, dont la délivrance a récemment été gelée. À Los Angeles, depuis 2018, il faut payer une taxe-malus annuelle de 850 dollars pour avoir le droit de louer son logement plus de 120 jours par an[63]. En cette même année, il devient purement et simplement interdit d’avoir recours aux locations touristiques de courte durée à Palma de Majorque[64] [65] et Vienne, les contrevenants s’exposant à une amende de 50 000 euros dans la capitale autrichienne. Il en sera de même à Jersey City (États-Unis, New Jersey) et Valence (Espagne) l’année prochaine[66]. Enfin, pas plus tard que le 1er décembre dernier, Boston (États-Unis, Massachussetts) a interdit la sous-location touristique et la location par des propriétaires occupant leur logement moins de neuf mois par an.

En France aussi, il y a urgence à agir localement afin de limiter les effets de la location touristique sur la muséification et la destruction du tissu social de nos villes. Les cœurs des métropoles françaises sont en effet victimes d’une hémorragie démographique. À Paris, pour réemployer l’aphorisme parlant d’Ian Brossat, « on remplace désormais des habitants par des touristes »[67]. La ville se vide de ses classes moyennes[68]. Selon l’INSEE elle perd plus de 10 000 habitants chaque année sans interruption depuis 2011. L’intervention réglementaire des municipalités se devra donc d’être juste, morale et sans doute radicale. Ian Brossat suggère d’ailleurs d’interdire purement et simplement la location d’appartements entiers dans les quatre premiers arrondissements de Paris[69].

Surtout, il faut réaffirmer la puissance du droit public et notamment du droit au logement, qui a valeur constitutionnelle en France depuis 1946[70]. Ré-imprégner ces derniers de la notion d’interdit plutôt que celle d’efficacité économique, voilà l’enjeu. Le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre. Il ne doit jamais le devenir. Face au vide et à l’insécurité juridiques dans lesquels le Législateur plonge, et à la toute puissance du désir individuel de surconsommation servicielles que le Marché développe, il est urgent d’opposer un cadre juridico-légal clair et lisible, des réglementations strictes et surtout un souci moral de justice sociale à ce nouvel espace de négoce que les plateformes de location touristique souhaiteraient créer[71].

Le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre. Il faut réaffirmer le droit au logement qui a valeur constitutionnelle en France depuis 1946.

En l’absence actuelle de l’État, les collectivités locales devraient au moins essayer de se charger de cette ambitieuse mission, dans la limite de leurs moyens techniques et réglementaires. Parce que, pour reprendre l’expression du journal britannique The Conversation, Airbnb « fait souffrir nos villes »[72], elles doivent imaginer dès à présent les instruments qui permettront d’interdire ou de limiter l’hyper-marchandisation du logement, afin de garantir l’accès de chacun à ce dernier.

« Less Tourists, More Refugees », slogan mural populaire apposé le 5 décembre 2019 lors d’une manifestation syndicale dans la rue de la Hache à Strasbourg. © Jean Vannière.

Comme le disait Karl Polanyi, économiste austro-hongrois en exil à Londres en 1944, témoin lucide de la déshumanisation produite par le libéralisme classique et l’extension du domaine du Marché qui précéda la dévastation des sociétés européennes à partir des années 1930, il faut « placer la terre, et tout ce qu’elle renferme de nécessaire à la subsistance de l’Homme, hors de la juridiction et de l’emprise du Marché »[73]. Le monde doit donc être rendu « indisponible » au Marché, pour reprendre le terme à la mode dernièrement conçu par Hartmut Rosa ; c’est-à-dire au désir de l’Homme et au pouvoir de prédation dont il faut lucidement reconnaître que ce dernier renferme. Une telle entreprise de mise en indisponibilité commence par le logement [74].


[1] Le Monde. Immobilier : « Comment Airbnb cannibalise le logement dans les grandes villes ». 29 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/29/immobilier-comment-airbnb-cannibalise-le-logement-dans-les-grandes-villes_6021009_3234.html

[2] The New Yorker. « The Airbnb Invasion of Barcelona ». 22 avril 2019. https://www.newyorker.com/magazine/2019/04/29/the-airbnb-invasion-of-barcelona

[3] The Guardian. Technology : « How Airbnb took over the world ». 5 mai 2019. https://www.theguardian.com/technology/2019/may/05/airbnb-homelessness-renting-housing-accommodation-social-policy-cities-travel-leisure

[4] Wired. « Welcome to the Airbnb for Everything Age ». 10 mars 2019. https://www.wired.com/story/airbnb-for-everything/

[5] Le Monde. « Quand Airbnb sème la zizanie dans la famille ». 27 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/09/27/quand-airbnb-seme-la-zizanie-dans-la-famille_6013319_4497916.html

[6] Libération. « Airbnb : l’enfer, c’est les hôtes ». 26 juin 2020. https://www.liberation.fr/france/2020/06/26/airbnb-l-enfer-c-est-les-hotes_1792558

[7] Consulter à ce sujet :

1. LSE Podcast. Wendy Brown: « When Firms Become Persons and Persons Become Firms ». 9 juillet 2015. https://www.youtube.com/watch?v=eHvGsKXqL8s

2. Wendy Brown (2015). Undoing the Demos: Neoliberalism’s Stealth Revolution. Princeton : Princeton University Press.

[8] Consulter à ce sujet :

1. The New York Times. Thomas Friedman: « It’s a Flat World After All ». 3 avril 2005. https://www.nytimes.com/2005/04/03/magazine/its-a-flat-world-after-all.html

2. Thomas Friedman (2005). The World is Flat. New York: Farrar, Strauss and Giroux.

3. The New York Times. Thomas Friedman: « Coronavirus Shows How Globalization Broke the World ». 30 mai 2020. https://www.nytimes.com/2020/05/30/opinion/sunday/coronavirus-globalization.html

[9] Consulter à ce sujet :

1. Gilles Deleuze, Félix Guattari (1980 [2013]). Mille Plateaux : Capitalisme et Schizophrénie. Paris: Minuit.

2. Manuel Castells (2004). The Network Society. A cross-cultural perspective. Londres: Edward Elgar.

3. Jan Van Dijk (2005). The Deepening Divide: Inequality in the Information Age. Londres: Sage Publications.

[10] INSEE. Capacité des communes en hébergement touristique entre 2013 et 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2021703

[11] Consulter les articles suivants sur l’étude du JDN et de Meilleurs Agents :

1. JDN. A Paris, la location Airbnb rapporte 2,6 fois plus que la location classique. 30 mars 2016. https://www.journaldunet.com/economie/immobilier/1175834-location-airbnb-versus-location-classique/

2. Meilleurs Agents. La location Airbnb est-elle vraiment plus rentable que la location classique? 31 mars 2016. https://www.meilleursagents.com/actualite-immobilier/2016/03/etude-rentabilite-location-saisonniere-airbnb/

[12] AirDNA. https://www.airdna.co

[13] Consulter à ce sujet :

1. INSEE. Les logements touristiques de particuliers loués via internet séduisent toujours. INSEE Focus n°158. 18 juin 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4172716

2. INSEE. La location de logements touristiques de particuliers par internet attire toujours plus en 2017. INSEE Focus n°133. 21 novembre 2018. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3646406

3. INSEE. Les logements touristiques de particuliers proposés par internet. INSEE Analyses n°33. 22 février 2017. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2589218

[14] The New Yorker. The Airbnb Invasion of Barcelona. 22 avril 2019. https://www.newyorker.com/magazine/2019/04/29/the-airbnb-invasion-of-barcelona

[15] Inside Airbnb : adding data to the debate. http://insideairbnb.com

[16] The Guardian. Technology : How Airbnb took over the world. 5 mai 2019. https://www.theguardian.com/technology/2019/may/05/airbnb-homelessness-renting-housing-accommodation-social-policy-cities-travel-leisure

[17] Le Monde. Immobilier : comment Airbnb cannibalise le logement dans les grandes villes. 29 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/29/immobilier-comment-airbnb-cannibalise-le-logement-dans-les-grandes-villes_6021009_3234.html

[18] Atelier parisien d’urbanisme (Apur), Sciences Po. Locations meublées de courte durée : quelle réponse publique?. Juin 2018. https://www.apur.org/fr/nos-travaux/locations-meublees-courte-duree-reponse-publique

[19] AirDNA. https://www.airdna.co

[20] En France, selon la loi, un logement est considéré comme étant une résidence principale quand son occupant y réside plus de huit mois par an.

Consulter : Légifrance. Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?cidTexte=JORFTEXT000028772256&idArticle=JORFARTI000028772281&categorieLien=cid

[21] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

[22] INSEE. Documentation fichier détail : Logement. 22 octobre 2019. https://www.insee.fr/fr/information/2383228

[23] Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (CGET). « Le parc de logements ». Fiche d’analyse de l’Observatoire des territoire 2017. https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/observatoire-des-territoires/sites/default/files/Fiche-OT-le%20parc%20de%20logements_0.pdf

[24] Observatoire National Airbnb. http://observatoire-airbnb.fr

[25] Rue89 Strasbourg. Pourquoi Strasbourg construit plus que dans les années 1990 et pour qui? https://www.rue89strasbourg.com/enjeux2020-strasbourg-construction-logement-betonisation-163841

[26] Au sujet du développement de la vacance dans l’immobilier de prestige des grandes métropoles, consulter les articles suivants du journal britannique The Guardian :

1. The Guardian. Super-tall, super-skinny, super-expensive: the “pencil towers” of New York’s super-rich. 5 février 2019. https://www.theguardian.com/cities/2019/feb/05/super-tall-super-skinny-super-expensive-the-pencil-towers-of-new-yorks-super-rich

2. The Guardian. London property prices blamed for record exodus. 28 juin 2018. https://www.theguardian.com/money/2018/jun/28/london-property-prices-blamed-for-record-exodus

3. The Guardian. Ghost towers : half of new-build luxury London flats fail to sell. 26 janvier 2018. https://www.theguardian.com/business/2018/jan/26/ghost-towers-half-of-new-build-luxury-london-flats-fail-to-sell

4. The Guardian. The London skyscraper that is a stark symbol of the housing crisis. 24 mai 2016. https://www.theguardian.com/society/2016/may/24/revealed-foreign-buyers-own-two-thirds-of-tower-st-george-wharf-london

[27] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi ?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

Pour information, à Paris, plus de 87% des logements loués à l’année sont des petits surfaces (40m² ou moins), contre 12% dans le parc immobilier français.

[28] INSEE. Des ménages toujours plus nombreux, toujours plus petits. 28 août 2017. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3047266

[29] AirDNA. https://www.airdna.co

[30] Aux Quatre Coins du Quatre, association du 4e arrdt. de Paris. Colloque du 18 mars 2017. Les locations saisonnières dans le 4e arrondissement : une désertification invisible? https://www.api-site.paris.fr/mairies/public/assets/2017%2F7%2FRapport%20du%20colloque%20du%2018%20mars%202017.pdf

[31] Atelier parisien d’urbanisme (Apur), Sciences Po. Locations meublées de courte durée : quelle réponse publique?. Juin 2018. https://www.apur.org/fr/nos-travaux/locations-meublees-courte-duree-reponse-publique

[32] Consulter à ce propos :

1. Saskia Sassen (2014). Expulsions: Brutality and Complexity in the Global Economy. Cambridge: Harvard University Press.

Sassen ré-exploite la lecture d’Engels de la propriété privée, en tant qu’instrument d’extraction de valeur mis en œuvre par la bourgeoisie avec l’aide des institutions d’État (droit de la propriété, etc.). Elle la complète et la modifie cependant, indiquant qu’à l’heure de la mondialisation financière, cette dernière tend à s’émanciper progressivement et partiellement du cadre géographique et des nécessités juridico-légales de l’État, formant une « global bourgeoisie » en capacité d’abstraire son existence et la circulation des chaînes de valeur qu’elle met en place des frontières nationales. Au sujet de l’extractivisme mis en œuvre par les professions financières et para-financières (« FIRE economy ») dans les « global cities », Sassen ré-exploite implicitement le concept d’ « extraction de survaleur » développé par Marx dans le Capital.

Consulter notamment :

– Karl Marx (1867[1972]). Le Capital. Critique de l’économie politique. Paris : Éditions Sociales.

– Friedrich Engels (1878[1963]). Monsieur Eugen Dühring bouleverse la science. Paris : Éditions Sociales.

– Friedrich Engels (1884 [1893]). L’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État. Paris : Éditions Georges Carré.

2. Housing Europe. Saskia Sassen : “The ‘housing question’ is no longer simply about housing”. 28 mai 2019. http://www.housingeurope.eu/resource-1280/the-housing-question-is-no-longer-simply-about-housing

3. The Guardian. Saskia Sassen : “Who owns our cities — and why this urban takeover should concern us all”. 24 novembre 2015. https://www.theguardian.com/cities/2015/nov/24/who-owns-our-cities-and-why-this-urban-takeover-should-concern-us-all

4. LSE Cities, LSE Urban Age. Saskia Sassen: “The Politics of Equity: Who owns the city?”. 9 décembre 2015. https://www.youtube.com/watch?v=UAQuyizBIug

5. Librarie Mollat. Interview de Saskia Sassen. 13 février 2016. https://www.youtube.com/watch?v=7qApjsjig0w

6. Saskia Sassen. On New Geographies of Extraction. 29 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=ChPgXnldEnw

[33] Wired. How Nine People Built an Illegal $5 Million Airbnb Empire in New York. 24 juin 2019. https://www.wired.com/story/how-9-people-built-illegal-5m-airbnb-empire-new-york/

[34] Le Monde. Comment Airbnb cannibalise le logement dans les grandes villes. 29 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/29/immobilier-comment-airbnb-cannibalise-le-logement-dans-les-grandes-villes_6021009_3234.html

[35] Le Monde. Comment Airbnb a investi Paris et l’hyper-centre des grandes villes. 24 août 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/paris-et-les-hypercentres-des-grandes-villes-le-business-lucratif-d-airbnb-en-france_5168623_4355770.html

[36] Consulter les communiqués suivants de l’Union Sociale pour l’Habitat à ce sujet :

1. Union Sociale pour l’Habitat. L’USH et l’AORIF mettent en demeure les plateformes de location de logements touristiques d’améliorer l’information des locataires, notamment HLM, sur les risques encourus liés à la location illégale d’un logement social. 4 novembre 2019. https://www.union-habitat.org/communiques-presse/l-ush-et-l-aorif-mettent-en-demeure-les-plateformes-de-location-de-logements

2. Union Sociale pour l’Habitat. Non à la sous-location touristique des logements sociaux. 15 novembre 2019. https://www.union-habitat.org/actualites/non-la-sous-location-touristique-des-logements-sociaux

[37] Consulter à ce sujet :

1. Caisse des Dépôts et Consignations (Banque des Territoires). L’USH et l’AORIF somment les plateformes de location meublée d’informer les locataires HLM sur les risques encourus. 7 novembre 2019. https://www.banquedesterritoires.fr/lush-et-laorif-somment-les-plateformes-de-location-meublee-dinformer-les-locataires-de-hlm-sur-les

2. Les Échos. Le monde HLM somme Airbnb et consorts de tout faire pour ne pas sous-louer de logements sociaux. 5 novembre 2019. https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/le-monde-hlm-somme-airbnb-et-consorts-de-tout-faire-pour-ne-pas-sous-louer-de-logement-social-1145476

[38] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

[39] T.I. Paris, 15ème arrdt., jugement du 9 mai 2017. Régie Immobilière de la Ville de Paris / Madame X.

[40] Le Monde. Elle sous-loue son HLM via Airbnb. 29 juin 2017, mis à jour le 4 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/vie-quotidienne/article/2017/06/29/elle-sous-loue-son-hlm-via-airbnb_6004435_5057666.html#more-20296

[41] Union Sociale pour l’Habitat. L’USH et l’AORIF mettent en demeure les plateformes de location de logements touristiques d’améliorer l’information des locataires, notamment HLM, sur les risques encourus liés à la location illégale d’un logement social. 4 novembre 2019. https://www.union-habitat.org/communiques-presse/l-ush-et-l-aorif-mettent-en-demeure-les-plateformes-de-location-de-logements

[42] Légifrance. Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037639478&categorieLien=id

[43] Légifrance. Décret n°2019-1104 du 30 octobre 2019 pris en application des articles L.324-1-1 et L. 324-2_1 du code du tourisme et relatif aux demandes d’information pouvant être adressées par les communes aux intermédiaires de location de meublés de tourisme. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039296575&categorieLien=id

[44] Légifrance. Arrêté du 31 octobre 2019 précisant le format des tableaux relatifs aux transmissions d’informations prévues par les articles R. 324-2 et R. 324-3 du code du tourisme. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=F0591D567CB8D0FBDEA7A16B55C3F39C.tplgfr35s_1?cidTexte=JORFTEXT000039309243&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000039309097

[45] Le Monde. Le gouvernement recule sur les obligations de transparence des plateformes de locations touristiques. 14 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/14/le-gouvernement-recule-sur-les-obligations-de-transparence-des-plateformes-de-locations-touristiques_6019117_3224.html

[46] European Court of Justice. According to Advocate General Szpunnar, a service such as that provided by the Airbnb portal constitutes an information society service. 30 avril 2019. https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2019-04/cp190051en.pdf

[47] Consulter à ce sujet :

1. The Guardian. Airbnb should be seen as a digital service provider, ECJ advised. 30 avril 2019. https://www.theguardian.com/technology/2019/apr/30/airbnb-should-be-seen-as-a-digital-service-provider-ecj-advised

2. Airbnb UK Ltd: company details. https://www.airbnb.co.uk/about/company-details

3. Airbnb France SA : coordonnées de l’entreprise. https://www.airbnb.fr/about/company-details

[48] The New York Times. Judge Blocks New York City Law Aimed at Curbing Airbnb Rentals. 3 janvier 2019. https://www.nytimes.com/2019/01/03/nyregion/nyc-airbnb-rentals.html

[49] United States National Constitution Center. Fourth Amendment. https://constitutioncenter.org/interactive-constitution/amendment/amendment-iv

[50] Thomas Piketty (2019). Capital et Idéologie. Paris: Seuil.

[51] Consulter à ce sujet :

1. Légifrance. Code Civil, article 544. https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006428859&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=18040206

2. Karl Polanyi (1944 [1983]). La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris: Gallimard.

3. Friedrich Engels (1884 [1893]). L’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État. Paris : Éditions Georges Carré.

[52] Consulter à ce sujet :

1. Le Parisien. Julien Denormandie : « Autant de logements vacants dans notre pays, c’est inacceptable ». 10 février 2020. https://www.leparisien.fr/economie/julien-denormandie-autant-de-logements-vacants-dans-notre-pays-c-est-inacceptable-10-02-2020-8256510.php

2. Le Monde. Le gouvernement veut réduire le nombre de logements inoccupés. 10 février 2020. https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/10/le-gouvernement-veut-reduire-le-nombre-de-logements-inoccupes_6029088_3224.html

[53] Gemeente Amsterdam. Press release : « Cities alarmed about European protection of holiday rental ». https://www.amsterdam.nl/bestuur-organisatie/college/wethouder/laurens-ivens/persberichten/press-release-cities-alarmed-about/

[54] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

[55] El País in English. Madrid adopts rules that will shut down over 10,000 holiday apartments. 27 mars 2019. https://elpais.com/elpais/2019/03/27/inenglish/1553702152_849878.html

[56] France Inter. Airbnb : comment les villes organisent la résistance à travers le monde. 19 novembre 2019. https://www.franceinter.fr/societe/airbnb-comment-les-villes-organisent-la-resistance-a-travers-le-monde

[57] The New York Times. Judge Blocks New York City Law Aimed at Curbing Airbnb Rentals. 3 janvier 2019. https://www.nytimes.com/2019/01/03/nyregion/nyc-airbnb-rentals.html

[58] The Guardian. Berlin ban on Airbnb rentals upheld by city court. 8 juin 2016. https://www.theguardian.com/technology/2016/jun/08/berlin-ban-airbnb-short-term-rentals-upheld-city-court

[59] CityLab. How Barcelona is limiting its Airbnb rentals. 6 juin 2018. https://www.citylab.com/life/2018/06/barcelona-finds-a-way-to-control-its-airbnb-market/562187/

[60] El País. Barcelona prohibe nuevos pisos turísticos a la espera de la regulación del Govern. 15 novembre 2019. https://elpais.com/ccaa/2019/11/15/catalunya/1573822393_796751.html

[61] El País. Barcelone aprueba la norma que prohíbe abrir nuevos hoteles en el centro. 28 janvier 2017. https://elpais.com/economia/2017/01/27/actualidad/1485508289_914165.html

[62] La Vanguardia. Barcelona pide a Airbnb que retire 2.577 pisos turísticos ilegales de su web. 23 mai 2018. https://www.lavanguardia.com/local/barcelona/20180523/443786171972/barcelona-lista-ilegales-airbnb.html

[63] Los Angeles City Planning Department. Home-Sharing Ordinance. 11 décembre 2018. https://planning.lacity.org/ordinances/docs/HomeSharing/adopted/FAQ.pdf

[64] Le Figaro. Palma de Majorque interdit les locations d’appartements aux touristes. 29 avril 2018. https://immobilier.lefigaro.fr/article/palma-de-majorque-interdit-les-locations-d-appartements-aux-touristes_3a86420e-4af1-11e8-b142-d0e0b34620c1/

[65] The New York Times. To Contain Tourism, One Spanish City Strikes a Ban on Airbnb. 23 juin 2018. https://www.nytimes.com/2018/06/23/world/europe/tourism-spain-airbnb-ban.html

[66] The New York Times. Airbnb Suffered a Big Defeat in Jersey City (NJ). Here’s What That Means. 5 novembre 2019. https://www.nytimes.com/2019/11/05/nyregion/airbnb-jersey-city-election-results.html

[67] Europe 1. Airbnb : À Paris, « on remplace des habitants par des touristes », alerte Ian Brossat. 12 mai 2019. https://www.europe1.fr/politique/airbnb-a-paris-on-remplace-des-habitants-par-des-touristes-alerte-ian-brossat-3898127

[68] Le Monde. À Paris, des classes moyennes en voie de disparition accélérée. 11 juin 2019. https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2019/06/11/a-paris-des-classes-moyennes-en-voie-de-disparition_5474562_4811534.html

[69] Le Monde. Ian Brossat souhaite l’encadrement d’Airbnb dans le centre de la capitale. 6 septembre 2018. https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/09/06/ian-brossat-souhaite-l-encadrement-d-airbnb-dans-le-centre-de-la-capitale_5350996_823448.html

[70] Voir 10ème et 11ème alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[71] Alain Supiot (2010). L’esprit de Philadelphie : la justice sociale contre le marché total. Paris: Seuil.

[72] The Conversation. Airbnb and the short-term rental revolution — How English cities are suffering. 23 août 2018. https://theconversation.com/airbnb-and-the-short-term-rental-revolution-how-english-cities-are-suffering-101720

[73] Karl Polanyi (1944 [1983]). La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris: Gallimard.

[74] Hartmut Rosa (2020). Rendre le monde indisponible. Paris : Éditions La Découverte.


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Taxer les GAFA ne sera pas suffisant

https://www.flickr.com/photos/seattlecitycouncil/39074799225/
Jeff Bezos, patron d’Amazon © Seattle City Council

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, lance des promesses intenables sur une future taxation française des GAFA, alors qu’on apprend qu’en 2017, Google aurait déplacé aux Bermudes près de 20 milliards de bénéfices réalisés en Europe et aux États-Unis. Avec Google, Amazon, Facebook et Apple, ces champions d’internet, de la Bourse et de l’optimisation fiscale, on commencerait presque à se lasser de ce genre de scandales. Pourtant, leur récurrence ne peut que nous amener au constat simple de l’incapacité de nos États à intégrer ces géants dans une juste redistribution des richesses. La question doit alors évoluer vers celle de leur contrôle.


« Dans le futur, nos relations bilatérales avec Google seront aussi importantes que celles que nous avons avec la Grèce. » Ces paroles ont été prononcées début 2017 par Anders Samuelsen, ministre des affaires étrangères du Danemark. Elles font suite à l’annonce de la création d’un poste d’ambassadeur numérique auprès des multinationales de la Silicon Valley dans le pays. Et le ministre danois poursuit, « Ces firmes sont devenues un nouveau type de nation et nous avons besoin de nous confronter à cela. »

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Informal_meeting_of_ministers_for_foreign_affairs_(Gymnich)._Arrivals_Anders_Samuelsen_(36685969800)_(cropped).jpg
Anders Samuelsen, Ministry of Foreign Affairs, Denmark © Raul Mee

Ce qui saute aux yeux, c’est d’abord la puissance financière de ces nouvelles « nations », ainsi que la fulgurance de leur ascension. En 2008, notre CAC 40 national était valorisé en bourse à 1600 milliards de dollars ; il pèse, dix ans plus tard, 1880 milliards. Dans le même temps, la valorisation des GAFA est passée de 300 milliards de dollars à près de 3500 milliards. Les deux « A » de cet acronyme (Apple et Amazon) ont tous les deux dépassé la barre symbolique des 1000 milliards. Au-delà de ces chiffres vertigineux, il est nécessaire d’identifier les particularités de ces géants pour sortir de la stupéfaction première, voire de l’émerveillement qu’ils suscitent, pour comprendre les conséquences politiques des changements sociétaux engagés par les GAFA. Car leur croissance économique exponentielle ne saurait cacher l’idéologie qu’ils sous-tendent. Si la face visible de l’iceberg, celle de la réussite financière et du progrès par la technologie, est en effet la plus encensée, nombreuses sont les voix qui alarment sur la face cachée : celle d’un nouveau rapport au travail, à l’information et aux marchés, mais surtout, celle d’un nouveau rapport entre nos représentations démocratiques et ces multinationales.

La question de la taxation de ces acteurs est évidemment essentielle, mais elle ne doit pas éluder celle de leur contrôle. Nous le savons, ces entreprises américaines n’ont que peu d’estime à l’égard des systèmes fiscaux des pays dans lesquels elles travaillent. Google et Apple sont domiciliés en Irlande, Facebook n’a payé que 1,6 millions d’euros d’impôts en France en 2016, Amazon s’arrange avec le Luxembourg, et toutes sont engagées dans un semblant de bras de fer fiscal avec l’UE, sur fond de désaccord franco-allemand. La centralité de cette problématique n’est pas à remettre en cause puisqu’elle montre avant tout l’opportunisme de ces géants, bien contents de profiter d’un marché européen de plus de 500 millions de consommateurs éduqués et en bonne santé, de profiter des infrastructures maritimes et routières, toutes ces choses qu’ils semblent considérer comme gratuites, ou du moins, dont ils ne souhaitent pas aider à l’entretien, à travers l’impôt.

« Imaginez que vous ne puissiez plus voir les vidéos que vous aimez»

Le constat de l’inefficacité des mesures fiscales engagées doit nous permettre de dépasser cette problématique première pour nous concentrer sur celle de la relation qu’entretiennent les GAFA avec nos représentations démocratiques. Ces géants redoublent d’imagination lorsqu’il s’agit d’orienter ces dernières dans le sens de leurs intérêts. « Imaginez que vous ne puissiez plus voir les vidéos que vous aimez» C’est de cette manière que commence la page sobrement intitulé #SaveYourInternet, que Youtube a dédiée à la lutte contre l’Article 13 de la directive sur les droits d’auteur votée par le Parlement européen. Google mobilise directement sa communauté contre cette loi européenne, qu’il considère contraire à ses intérêts. D’une autre manière, le schéma est le même lorsque les GAFA mettent en concurrence les territoires pour faire monter les enchères en termes de cadeaux fiscaux accordés lors de leurs implantations. Ils se jouent de nos juridictions dont ils exploitent les moindres failles, grâce à des armées d’avocats d’affaires sur-rémunérés, contre des systèmes juridiques et fiscaux obsolètes.

Comment donc ne pas faire le constat de l’inefficacité de la quasi-totalité des forces mobilisées pour recadrer ces puissances grandissantes ? Les sermons du congrès américain lors de l’audition de Mark Zuckerberg sont loin d’avoir ébranlé la puissance de Facebook. Tout juste ont-ils ralenti la croissance de son action en bourse.

L’HYDRE DES GAFA

Le constat premier est celui d’une stratégie monopolistique et dominatrice. La stratégie des GAFA est bien souvent complexe sur certains aspects spécifiques, mais semble globalement simple : capturer le marché, et s’étendre.

https://www.flickr.com/photos/art_inthecity/21234198928
Mèches noires (Grand vent) 2015 © Laurent Gagnon

Amazon, connu pour sa plate-forme de vente en ligne, fait bien plus de bénéfices grâce à AWS, son service d’hébergement de données. Il investit massivement dans la production de contenus audiovisuels, dans la grande distribution alimentaire, dans les assurances santé américaines. Facebook est en première ligne de l’innovation sur l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale et la publicité. Google domine le marché des OS smartphone avec Android, développe la voiture autonome, investit massivement dans le cloud…

La diversification, permise par une accumulation de capitaux sans précédent, construit leur puissance économique et leur mainmise sur un vaste ensemble de marchés. Parallèlement, cette diversification permet la consolidation de leur position dominante sur leur marché d’origine respectif. Google favorise ses propres innovations en les mettant en avant sur son moteur de recherche, utilisé par 90% des internautes. Amazon n’hésite pas à utiliser massivement la vente à perte par ses capacités techniques et financières pour réduire la concurrence, comme il l’a fait en 2009 avec Zappos. Ce très rentable marchand de chaussures en ligne avait doublé ses ventes entre 2004 et 2007 et refusait une offre de rachat d’Amazon. Quelques mois plus tard, Amazon lança un site concurrent (Endless.com), qui vend des chaussures à perte et livre gratuitement sous 24 heures. Zappos dû s’aligner sur son nouveau concurrent pour ne pas perdre ses parts de marché et a commencé à livrer aussi rapidement. Mais il perdait alors de l’argent sur chaque paire vendue. Amazon perdit plus de 150 millions de dollars dans cette affaire mais finit par gagner en 2009. Le conseil d’administration de Zappos accepte de vendre.

La réussite des GAFA, et sa consécration par les marchés financiers, permet le développement de mastodontes, qui s’infiltrent progressivement dans tous les secteurs de l’économie. Toutes ces tentacules numériques deviennent très concrètes lorsque, par exemple, Facebook s’associe avec Microsoft pour investir massivement dans les câbles sous-marins qui transportent des données à travers l’Océan. Loin d’être cantonnés au monde immatériel de l’internet, les GAFA s’arment pour s’implanter et se développer partout. Avec un objectif évident de rentabilité, mais aussi avec cette vision claire d’expansion et cette représentation d’eux-mêmes comme marqueurs de l’Histoire.

L’IDÉOLOGIE LIBERTARIENNE

« Nous sommes si inventifs que, quelque soit la réglementation promulguée, cela ne nous empêchera pas de servir nos clients », affirme Jeff Bezos, PDG fondateur d’Amazon. C’est avec M. Bezos que « l’idéologie GAFA » est la plus claire. Rien, même pas une quelconque législation démocratiquement imposée, ne pourra faire plier son entreprise. L’homme le plus riche du monde se revendique volontiers adepte de certaines idées libertariennes. Le développement de la liberté comme principe fondamental, le refus de toute forme de violence légale ou d’expropriation, le respect le plus total des volontés individuelles. Toutes ces idées qui impliquent le recul, l’adaptation, voire la disparition pour certains, du principale obstructeur de liberté : l’État.

“Les GAFA sont de petits voyous devenus grands. Dès qu’ils en ont l’occasion, ils s’affranchissent de l’impôt, contournent les règles et écrasent leurs concurrents dans le mépris le plus total des règles commerciales.”

Si la promulgation de cette idéologie est moins nettement affichée chez les autres GAFA, le dénominateur commun de ces entités reste celui du bras de fer constant avec les autorités publiques. Les GAFA sont de petits voyous devenus grands. Dès qu’ils en ont l’occasion, ils s’affranchissent de l’impôt, contournent les règles et écrasent leurs concurrents dans le mépris le plus total des règles commerciales. Leur existence même dépend de leurs capacités à optimiser. Les barrières imposées par telle ou telle juridiction ne sont que des obstacles temporaires sur le chemin de leur hégémonie. Tel est le danger et la nouveauté de cette situation. Au moment de la libéralisation du secteur financier, les banques privées ont imposé progressivement leur influence sur le fonctionnement des marchés financiers. Notamment sur la fixation des taux, au détriment des Banques Centrales qui ont, par la même occasion, perdu progressivement leur rôle de régulateur. De la même manière, les GAFA, qui ont profité de l’absence de régulations dans le monde en ligne originel, savourent le recul du rôle régulateur des seules entités capables de les contrôler : les États. Ils souhaitent s’imposer sur leur marché d’origine, e-commerce, réseau social, moteur de recherche ou informatique, pour y dicter leurs règles. Mais en développant leurs tentacules dans tous les secteurs de l’économie, ils augmentent du même coup leur capacité à dicter les règles du jeu bien plus largement.

Amazon n’a pas pour but de devenir un acteur du marché du e-commerce, il souhaite incarner ce marché. Au vu de la concurrence, notamment en provenance de la Chine, il n’est pas évident que cette stratégie fonctionne, pourtant tous les mécanismes sont étudiés en ce sens par la marque au sourire. Fidéliser le consommateur et l’enfermer dans un écosystème commercial à travers ses dispositifs phares comme Alexa, son assistante vocale présente dans de plus en plus de dispositifs (enceintes, voitures ou box internet ; il n’a jamais été aussi facile de consommer sur internet). Ou Prime, son cercle de clients les plus fidèles… et les plus coûteux puisqu’une étude a démontré que le coût réel d’un abonnement Prime (au vu de tous les services proposés) serait de près de 800 dollars.

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Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes © ILSR

Mais qu’importe, perdre de l’argent n’est pas un problème pour Amazon dont l’objectif n’est pas la rentabilité de court terme. Devenir le marché, voilà l’objectif. Pour cela il faut d’abord éliminer tous les concurrents, en passant donc par un enfermement des consommateurs et une pressurisation des prix. Et tant pis si les intérimaires se tuent à la tâche dans les entrepôts du monde entier. En imaginant Amazon réussir à s’imposer réellement sur le marché du e-commerce, certains voient déjà son influence comme celui d’une nouvelle forme de régulateur de ce marché. Les commentaires et avis seraient une forme de contrôle qualité ; pourquoi s’encombrer de règles sanitaires européennes ? Les comptes vendeurs sur la Marketplace seraient une forme de registraire commerciale ; pourquoi s’encombrer de l’INSEE ou de numéro SIRET ? Les commissions du groupe seraient finalement une nouvelle sorte d’impôts sur la consommation, lorsque les services de stockage de données qu’elle facture aux entreprises seraient un impôt sur les sociétés. Pourquoi continuer de faire confiance à un État si Amazon, cette belle entreprise philanthrope qui construit des forêts artificielles et veut explorer l’espace, peut nous en libérer ? Un système d’assurance-santé est même en cours d’expérimentation aux États-Unis. Sur sa Marketplace régneront bien les règles concurrentielles du libéralisme, mais pas pour Amazon qui, à l’image d’un État, se verrait volontiers chapeauter la situation, depuis sa position d’intermédiaire global.

“les comportements de l’ensemble des GAFA nous rapprochent chaque jour un peu plus d’un monde où les citoyens n’auraient plus la légitimité de réguler la manière dont leur économie fonctionne.”

Évidemment cette perspective est pour le moment loin de la réalité, mais il est important de noter que M. Bezos aurait bien du mal à désapprouver cette vision d’avenir. Et que les comportements de l’ensemble des GAFA nous rapprochent chaque jour un peu plus d’un monde où les citoyens n’auraient plus la légitimité de réguler la manière dont leur économie fonctionne. À l’inverse, ce serait ces nouvelles entités supra-étatique qui détermineraient, directement ou non, nos manières de consommer. Le plus terrifiant réside dans le fait que ce basculement est de plus en plus imaginable à mesure de la montée d’une forme de défiance envers les États, que leur rôle historique de régulateurs est attaqué par l’idéologie libérale et que l’image altruiste des GAFA se développe.

FACE À UNE ASYMÉTRIE DES POUVOIRS

L’idée n’est pas celle d’une grande conspiration mondiale des GAFA, qui auraient prévu depuis des années de contrôler le monde, mais bien celle d’un basculement progressif des pouvoirs. Ce n’est pas non plus celle d’une disparition des États, mais plutôt celle d’un renversement hiérarchique partiel entre multinationales, devenues par endroit capables de dicter leurs lois à des représentations démocratiques souveraines, et autorités publiques en recherche aveugle de croissance et d’emplois.

Lorsque M. Macron reçoit Mark Zuckerberg, les deux hommes parlent à l’unisson d’un “nouveau schéma de régulation” pour le plus grand réseau social du monde. Tout cela semble en bonne voie puisque de l’avis de Nick Clegg, vice-président des affaires globales de Facebook, c’est de régulation dont son entreprise a besoin ! « Nous croyons qu’avec l’importance croissante prise par Internet dans la vie des gens, il y aura besoin d’une régulation. La meilleure façon de s’assurer qu’une régulation soit intelligente et efficace pour les gens est d’amener les gouvernements, les régulateurs et les entreprises à travailler ensemble, en apprenant les uns des autres et en explorant de nouvelles idées. Nous sommes reconnaissants envers le gouvernement français pour son leadership dans cette approche de corégulation. » Outre l’idée saugrenue que l’on puisse construire une régulation efficace main dans la main avec le régulé, ne nous méprenons pas : la régulation évoquée ici est celle des utilisateurs et non celle de la plateforme. Les accords passés entre la France et Facebook portent sur la création d’une entité commune de modération des « contenus haineux ». En arguant qu’il est « complexe » de réguler les contenus partagés par plus de 2 milliards de personnes, Facebook, en plus d’éviter l’impôt national, « sous-traitera » donc en partie cette régulation à un groupe qui sera payé directement par les deniers publics. Cette question reste complexe et pose d’autres problèmes, notamment celui de la manière dont Facebook modère ses contenus. Il n’en reste pas moins qu’ici, le groupe américain, sous couvert de co-construction responsable, parvient à imposer la gestion des dommages collatéraux de sa plateforme à la collectivité.

Les GAFA jouent du pouvoir que leur confère leur gigantisme, parfois de manière moins subtile. Lorsqu’en 2014 l’Espagne tente d’imposer à Google une rétribution pour les auteurs d’articles de presse que son service « News » reproduit et diffuse, le géant décide tout simplement de suspendre Google News dans le pays. Fort de la centralité de sa plateforme et de l’obligation d’être référencé sur Google pour exister sur internet, il menace aujourd’hui de faire de même à l’échelle européenne. Dans le combat (déjà évoqué précédemment) que mène l’entreprise américaine contre la loi européenne sur les droits d’auteur, l’argument du retrait pur et simple est de vigueur pour faire plier l’UE. Si le lobbying n’est évidemment pas chose nouvelle, cette confrontation directe et assumée avec les représentations démocratiques nous renseigne sur la manière dont les GAFA voient leur place dans la société. Ce ne sont plus de simples entreprises, mais bien de « nouvelles formes de nations » comme le disait Samuelsen. Des nations d’actionnaires avec pour seul but l’expansion et la rentabilité.

Que penser alors du manque de contrôle, voire de la soumission, de nos démocraties face à ces entités ? Le dernier exemple sera à nouveau celui d’Amazon. L’affaire “HQ2” démontre avec brio l’absurdité de la situation dans laquelle nous conduit l’absence de régulation des GAFA. Fin 2017, le géant du commerce en ligne annonce sa volonté d’ouvrir un second siège social nord-américain, un « Headquarter 2 », sans préciser la localisation de ce projet. À travers une forme « d’appel d’offres », l’entreprise propose très officiellement aux villes et territoires de « candidater » pour l’obtention de cet investissement faramineux de plus de 5 milliards de dollars. Subventions et aides publiques sont expressément demandées dans ce court document. Amazon profitera de la mise en concurrence territoriale engendrée pour faire monter les enchères, jusqu’à des propositions incroyables comme celle de Stonecrest, petite ville américaine proche d’Atlanta, qui souhaitait donner un vaste terrain à l’entreprise, et créer une nouvelle ville nommée « Amazon City » dont Jeff Bezos serait Maire à vie. D’autres propositions plus sérieuses des 200 villes candidates sont tout aussi inquiétantes, du remodelage urbain autour d’Amazon à la promesse d’un crédit d’impôt de plus de 8 milliards de dollars par le Maryland.

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Amazon’s front door © Robert Scoble

Le fin mot de l’histoire surprendra les commentateurs. Amazon a choisi de diviser son investissement et de créer non pas un, mais deux nouveaux sièges sociaux. L’un à Long Island à New York et l’autre à Arlington en Virginie, pour un total de 5,5 milliards de dollars cumulés en subventions et avantages fiscaux. Si la recherche d’incitations financières n’est pas nouvelle, particulièrement aux États-Unis, elle est particulièrement indécente lorsqu’elle est ainsi massivement utilisée par une entreprise redoublant par ailleurs d’imagination pour éviter l’impôt.

“Les contribuables américains financent directement la construction de bureaux flambants neufs dans lesquels des centaines d’experts marketing redoubleront d’imagination pour cloisonner les consommateurs dans l’offre Amazon.”

Mais plus que cela, cette affaire démontre à nouveau la forme de retournement des pouvoirs dont profitent les GAFA. Les pouvoirs publics, avides de croissance et d’emplois se soumettent aux exigences de ces nouveaux géants qui, soutenus par les marchés financiers, sont source d’un dynamisme économique certain. Mais que cache ce dynamisme ? Souhaitons nous réellement participer à la construction de ces géants tentaculaires qui semblent chaque jour plus aptes à imposer leurs idéaux à nos sociétés ? Doit-on aveuglément favoriser la croissance sans questionner ses conséquences politiques ? Avec ces nouveaux Headquarters, les contribuables américains financent directement la construction de bureaux flambants neufs dans lesquels des centaines d’experts marketing redoubleront d’imagination pour cloisonner les consommateurs dans l’offre Amazon ; et des centaines d’experts juridiques feront de même pour positionner l’entreprise là où elle participera le moins à la compensation financière des désastres écologiques dont elle est la cause.

LA CONSTRUCTION D’UNE SITUATION PARTICULIÈRE

Monsanto et McDonald’s influent eux aussi très largement sur nos sociétés, l’un pousse vers l’utilisation intensive de pesticides qui détruisent notre biodiversité, l’autre pousse vers la malbouffe qui détruit nos estomacs. Mais la différence des GAFA se résume en trois points.

D’abord la rapidité de leur expansion qui, loin d’être le fruit du hasard, a été construite par les choix politiques de la libéralisation d’internet. Cette rapidité empêche largement les instances régulatrices de développer les actions nécessaires. La rapidité du développement de Facebook en Birmanie, ou du moins son manque de régulation, a rendu impossible le contrôle des publications haineuses à l’encontre des Rohingya, population opprimée du pays. Jusqu’à ce que l’ONU accuse officiellement le réseau social d’avoir accentué cette crise.

“Les GAFA prennent la place des États qui reculent.”

Ensuite la centralité tentaculaire de ces nouveaux acteurs, qui développent les moyens financiers et techniques de s’imposer sur un ensemble inédit de marchés. Enfin l’orientation idéologique de leur expansion. Les GAFA sont le fruit d’un capitalisme libéralisé et résilient. Ils s’adaptent, se ré-adaptent, contournent et ne se soumettent aux règles qu’en cas d’extrême obligation. Ils se passeraient avec plaisir d’un État outrepassant ses fonctions régaliennes, imposent leurs propres règles à leurs concurrents, aux consommateurs et aux marchés. Et, en profitant d’une période d’idéologie libérale qui prône partout le libre marché, commencent par endroits à prendre la place des États qui reculent.

N’est-il pas temps de réfléchir collectivement à de véritables règles ou instances réglementaires, capables d’encadrer le comportement de ces acteurs, pour ne pas s’enfoncer aveuglément dans l’idéologie libertarienne qu’ils nous proposent ? Car c’est bien de cela dont nous devons nous rendre compte, les GAFA changent le monde socio-économique en y apposant leur vision. Une vision qui, loin d’être démocratiquement construite, s’élabore dans le petit monde fermé de la Silicon Valley. Taxer quelques pourcents de leurs chiffres d’affaires sera alors loin, très loin, d’être suffisant.


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