Au Dakota, le combat des Sioux, le combat de tous

©Fibonacci Blue. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Dans une année 2016 noircie par les catastrophes politiques, humanitaires, sociales et environnementales, difficile de trouver quelque-chose à sauver. Pourtant, le 4 décembre, le campement de Standing Rock au Dakota du Nord a fêté une grande victoire : celle des Sioux, contre le projet Dakota Access Pipeline, qui menaçait de défigurer leurs terres et d’empoisonner leur eau. Comme un air de ZAD dans les grandes plaines, de quoi retrouver (un peu) le sourire.

Un sinistre projet

En 2014, la compagnie pétrolière américaine Energy Transfer Partners monte un projet chiffré à 3,7 milliards de dollars, visant à connecter les champs pétrolifères du Dakota du Nord à l’Illinois, en traversant les États de l’Iowa et du Dakota du Sud. Ce projet titanesque, soutenu par de nombreuses banques, dont – cocorico sarcastique – la Société Générale, BNP Paribas et le Crédit Agricole (source : Food and Water Watch) devait initialement traverser la rivière Missouri à quelques kilomètres de Bismarck, capitale de l’État du Dakota du Nord. Mais, face aux risques de contamination des eaux et d’empoisonnement des 67 000 citoyens de la ville, le tracé de l’oléoduc a été déplacé d’une centaine de kilomètres vers le sud. Pas de bol, le nouveau projet fait passer l’oléoduc à 800 mètres de la réserve Sioux de Standing Rock, où vivent plusieurs milliers de personnes.

Alors, certes, le terrain n’appartient pas à Standing Rock ni aux Natifs Américains, mais bien à l’État. Pour cause, cette parcelle a été volé aux Sioux en 1950. Comme du reste, l’intégralité des deux États du Dakota (le traité de Yankton, en 1858, cède la quasi-totalité des terres dites « amérindiennes » au gouvernement américain), le nom même de Dakota désignant la langue sioux éponyme. Les États-Unis ont ce don et cet humour si particulier qui consistent à désigner leurs États du nom des peuples qu’ils ont massacrés et pillés…

« Que ferait Sitting Bull ? »

On notera le principe de précaution à géométrie variable d’Energy Transfer Partners : l’empoisonnement possible d’un peuple minoritaire soulève à l’évidence moins de préoccupations que lorsqu’il s’agit d’une ville à large majorité blanche. Rien de surprenant, malheureusement, si on jette un œil à l’histoire des Sioux du Dakota, qui ont été spoliés de leur terres, à chaque fois sous prétexte de projets industriels et de la sacro-sainte productivité américaine. De la grande réserve censée avoir été « sanctuarisée » en 1868, il ne reste que peu : entre-temps une mine d’or et deux barrages ont déjà morcelé le territoire et obligé la population à se déplacer.

Empoisonnement des eaux, profanation de cimetières et terres « sacrées » : devant cette négation de leurs droits et cette menace d’un projet reconnu comme dangereux pour la santé publique (en témoigne le refus du premier tracé), les Sioux de Standing Rock se sont organisés. Rejoints par d’autres militants Natifs Américains, venus parfois des États voisins, puis par des militants d’ONG environnementales et de ligues de protection des Droits de l’Homme, le camp de Standing Rock s’est métamorphosé en quelques semaines en Zone à Défendre, face aux bulldozers venus entamer le chantier.

Aux rythmes des chants traditionnels et à l’ombre des banderoles « Que ferait Sitting Bull ? », la cicatrice de la bataille de Little Big Horn toujours ancrée dans les mémoires collectives, c’est toute la conscience Sioux qui a fait corps et qui a résisté, malgré les pressions du gouvernement local. Début septembre, la situation dégénère lorsque des bulldozers commencent à creuser alors qu’une demande de suspension de projet a été formulé. Des manifestations s’organisent, mais des agents privés payés par la compagnie lâchent leurs chiens sur la foule et jettent du gaz lacrymogène, avec le soutien tacite du shérif local qui parlera d’une « réponse proportionnée ».

Dans un système médiatique qui vise à taire la répression, les violences faites aux manifestants n’auraient peut-être jamais été relayées à l’échelle fédérale, si l’actrice Shailene Woodley, qui faisait partie du cortège des manifestants, n’avait pas « tweeté » son arrestation musclée. Le combat de Standing Rock bénéficie aussi du soutien de Leonardo DiCaprio, figure emblématique du Hollywood « green-friendly », de la présidente du Parti Vert Jill Stein, de Bernie Sanders, du mouvement Black Lives Matter et d’une multitude de mouvements de communautés minoritaires à l’étranger, à l’image des Aborigènes d’Australie.

Une bataille, pas la guerre

Le 4 décembre, Standing Rock célèbre sa victoire. Le gouvernement enterre le projet de pipeline, au profit de l’étude de nouveaux tracés. Certains se veulent prudents, créditant ce revirement de situation au dernier geste d’un Barack Obama sur le départ, souhaitant donner des gages aux luttes pour l’environnement, au moment même où le climato-sceptique Donald Trump s’apprête à conquérir la Maison Blanche. D’autres préfèrent célébrer la victoire d’un mouvement social fort, ayant réussi à fédérer au-delà de l’aspect strictement culturel et communautaire des Sioux, à rallier “stars” et anonymes, et à unir la gauche américaine dans une même lutte.

De Standing Rock, il faut retenir plusieurs choses. D’abord, c’est une preuve, s’il en fallait encore, que les grands intérêts capitalistes n’ont que faire de l’humain ni de l’environnement, que pour une poignée de « pétro-dollars » la santé et la dignité de milliers de personnes sont sacrifiables, a fortiori si elles sont Natives. Ensuite, qu’il n’y a pas de recette miracle pour faire valoir ses droits : la résistance, pacifique quand c’est possible, physique lorsque l’oppresseur n’hésite pas à employer de la violence. Enfin, que la communication, qu’on le veuille ou non, est un élément incontournable, peut-être celui qui a manqué à Notre-Dame-Des-Landes en France : tout relais dans l’opinion publique qui vise à la mobiliser, qu’il vienne de Hollywood ou d’ailleurs, est bon à prendre. Combattre isolé c’est garantir sa défaite.

Surtout, il ne faut pas oublier que le combat n’est jamais gagné. A Standing Rock, on garde la tête froide. Le scénario catastrophe s’est réalisé : Trump a été élu. Or, le « President-Elect », qui n’est pas un grand ami de l’environnement, c’est peu de le dire, a soutenu durant la campagne le projet Dakota Acess Pipeline. Et pour cause, la société Trump a des parts dans Energy Transfer Partners. Conflits d’intérêt ? Pensez-donc… Si le cauchemar continue, tout est en place pour que le projet soit relancé après l’investiture de Donald J. Trump, et que Standing Rock doive se dresser, à nouveau, pour conserver ses terres.

Crédits photo : ©Fibonacci Blue. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)