La fin du match Nantes-Toulouse du 5 novembre dernier a été animée. Alors que les locaux égalisaient, une bande de spectateurs partis d’une tribune populaire tentaient d’envahir les loges pour s’en prendre au président et propriétaire du club Waldemar Kita. Derrière cet accès de violence se cache l’exaspération de plus en plus prononcée d’une large partie du public nantais face à la crise que traverse leur club. Mais l’ennemi est-il Kita ou le modèle actionnarial selon lequel fonctionne le foot moderne ?
« Kita casse-toi ! » Le slogan est simple, court, accrocheur. Depuis plusieurs années il s’est installé dans la tribune Loire, le kop du stade de la Beaujoire où se regroupent les plus fervents des supporters nantais. Les invectives envers l’homme d’affaires franco-polonais sont devenues tellement courantes qu’elles semblent être aussi importantes pour le public que les matchs en eux-mêmes. Il faut dire que cette saison le FC Nantes, historique du championnat de France, ne brille une fois de plus pas par ses exploits sportifs. Englués dans le ventre mou, les canaris ne semblent pas en mesure d’égaler leurs aînés, octuples champions de France. Alors pour le peuple, le coupable est tout trouvé : Waldemar Kita, responsable aux yeux des supporters de s’impliquer dans le domaine sportif auquel il est étranger, de dénaturer l’identité du club ainsi que de nuire à son image à cause d’une communication hasardeuse, si ce n’est totalement incontrôlée.
Les appels à la démission des dirigeants sont monnaie courante dans les stades. Ils représentent un degré assez élevé dans l’exaspération des supporters que le changement d’entraîneur ne suffira pas à calmer. Surtout ils traduisent un niveau de crise profonde dans le fonctionnement d’une structure sportive. Le cas nantais dépasse ce processus en ce sens qu’il ne vise pas uniquement le dirigeant Kita mais les dirigeants d’une manière générale. Le rachat du FCN par un riche investisseur russe ou qatari ne semble pas être une solution satisfaisante pour de nombreux amoureux des jaunes et verts. Pour comprendre comment on en est arrivé à ce stade de colère et d’envie de changement à Nantes, il faut regarder du côté de l’histoire et de l’imaginaire collectif local.
Parmi les clubs les plus titrés du championnat de France, le FCN s’est construit une identité distincte grâce à une combinaison de jeu collectif spectaculaire – dit jeu « à la nantaise » – et l’intégration de nombreux joueurs formés au club. Dans la mythologie du supporter nantais, l’âge d’or canari prend fin avec le passage du statut associatif au statut de société anonyme et le rachat en 2000 par Serge Dassault. S’ensuit une longue crise conclue par une pathétique relégation en Ligue 2 et un changement de propriétaire. Malgré la remontée en Ligue 1, seuls le kop Loire semble remplir son rôle au sein d’un stade qui se vide désespérément, las d’un spectacle toujours plus éloigné de ses attentes. Les invectives à l’encontre du propriétaire fusent régulièrement des tribunes au même titre que les chants de soutiens.
Car la vindicte populaire semble être le moyen le plus direct d’exprimer sa frustration. Le football français n’accorde aucune place aux supporters au sein de club pour les représenter. Tout juste un dialogue est-il établi avec les principaux groupes afin de garantir la sécurité dans les stades mais le plus souvent le public se résume à un ensemble de clients faisant fonctionner le système économique du football professionnel plus que des acteurs et parties prenantes d’un club. Alors que joueurs, entraîneurs et dirigeants vont et viennent au gré des aléas économico-sportifs, les supporters ne peuvent se détourner de leur équipe favorite en raison de la sacro-sainte règle : « on ne change jamais d’équipe de foot ». Alors les supporters restent là, malgré le saccage de ce qu’ils estiment être à eux et malgré le mépris de certains clubs pour qui leur rôle reste de payer sa place et d’animer le stade sans faire de vagues. A Nantes, le sentiment d’abandon de « l’identité » du club qui prédomine alimente la colère envers le modèle du foot business qui fait du propriétaire le décideur en dernier recours selon la formule mainte fois éprouvée par Waldemar Kita du « je paye donc je décide ». Pourtant dès que celui-ci en aura assez de son jouet – par crainte pour sa sécurité ? – où que sa présence dans les Panama Papers le rattrapera, que restera-t-il ? Peut-être qu’un nouvel investisseur rachètera le club et ceux qui suivent le club depuis des décennies iront prier qu’il se différencie de ses prédécesseurs. Ou peut-être que le club fera faillite et repartira dans les divisions amateurs. Pour l’instant le président joue sur cette peur pour justifier sa présence.
Mais cette dernière option ne serait-elle pas préférable pour les supporters nantais au vu des aspirations publiques ? L’association « A la nantaise » compte faire entrer une part d’actionnariat populaire au cours d’une cession future du FC Nantes afin de faire entendre la voix des supporters et ainsi préserver « l’identité » du club. Elle a déjà obtenu le soutien de nombreux acteurs locaux, de la mairie aux entreprises en passant par certaines anciennes gloires du club, indispensables pour obtenir un soutien publique crucial. L’actionnariat populaire existe déjà dans certains clubs espagnols. S’il a permis de préserver un ensemble de symboles auxquels les supporters sont attachés – notamment à Bilbao ou Barcelone – il n’a pas empêché les dérives marchandes de ces institutions désormais prêtes à tout pour engranger les résultats sportifs tant attendus par leur foule d’actionnaires. Mais si les actionnaires disparaissaient ? Et si l’objectif d’un club de football n’était plus la rentabilité financière mais le projet sportif et humain ? La restructuration du club permettrait sa reprise dans une forme de propriété collective et coopérative, seul moyen pour les supporters de s’approprier un objet d’aliénation. Des exemples existent déjà en Angleterre où des supporters dissidents ont fondé des clubs amateurs sur des bases coopératives. Face à la dépossession et à l’aliénation, divers moyens de lutte existent, tous impliquant de s’en prendre au pouvoir actionnarial qui régit le foot moderne. Le cas du FC Nantes, devenu champ de lutte, rappel que l’hégémonie culturelle se construit dans tous les domaines. Que l’on soit bien clair : la disparition d’un club de football professionnel à Nantes serait un crève-cœur pour de nombreux supporters. Mais elle serait peut-être la seule solution pour l’émancipation.
Edit : la tactique de harcèlement de certains fans semble toucher ses fruits. Dans un entretien en date du 19 novembre, M. Kita a fait part de sa lassitude, laissant la porte ouverte à une cession du club pour 1€ symbolique.
Pour aller plus loin :
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Comment ils nous ont volé le football Antoine Dumini et François Ruffin, Fakir éditions. Un pamphlet à charge contre l’évolution du football moderne, reflet du capitalisme débridé.
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Looking for Eric, film de Ken Loach mettant en scène la dépossession dont sont victimes les classes populaires britanniques vis-à-vis du football.
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