Olaf Scholz, ombre portée d’Angela Merkel

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Olaf Scholz et Angela Merkel lors de l’accord de Grande Coalition en 2018 © Sandro Halank

Dimanche 26 septembre, l’Allemagne s’est rendue aux urnes pour le premier scrutin de l’ère post-Merkel. Celle-ci fut pendant presque deux décennies la figure dominante de l’Allemagne et de l’Europe. Avec 80% d’opinions positives, elle reste incontournable. Ministre des Finances dans le gouvernement actuel et incarnation parfaite de la cogestion du pays pendant douze ans avec la CDU-CSU d’Angela Merkel, le social-démocrate Olaf Scholz devrait lui succéder. Même si son alliance démocrate chrétienne sera vraisemblablement éjectée de la prochaine coalition, l’esprit d’Angela Merkel devrait régner pendant longtemps encore Outre-Rhin, tant manquent une réelle vision alternative pour le pays et une majorité de rupture pour l’incarner.

Après près de seize ans de traversée du désert, les sociaux-démocrates du SPD sont arrivés en tête des élections fédérales allemandes avec 25,7% des suffrages, une courte tête devant les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU à 24,1%. Cette victoire, encore inenvisageable avant l’été, doit beaucoup au très populaire candidat du SPD, Olaf Scholz.

Répartition des sièges dans le nouveau parlement allemand, de gauche à droite: Die Linke, les Verts, le SPD, le FDP, la CDU/CSU et l’AfD
© Rachimbourg

Olaf Scholz, bourgmestre sécuritaire et ministre des Finances austéritaire

Ce dernier est une figure établie de la politique allemande, passé par toutes les étapes du cursus politique traditionnel. Son implantation électorale initiale est Hambourg, deuxième ville du pays, qui dispose des pouvoirs d’un Land et dont il a été le bourgmestre entre 2011 et 2017. Sa carrière politique locale peut se résumer en trois mots : répression, centrisme et efficacité.

Répression d’abord illustrée par deux deux actions qui entachent son bilan. En 2001, il devient ministre de l’Intérieur de la ville pendant quelques mois. Il en profite pour faire légaliser une substance de détection des drogues  utilisée par la suite plus de 500 fois et qui fait un mort avant d’être interdite par la CEDH en 2006. En 2017, Hambourg accueille le G20 dont il doit assurer la sécurité. L’Allemagne assiste alors pendant plusieurs jours à des affrontements très violents entre la police et les manifestants. Dans les deux cas, le SPD fait tout pour ralentir les enquêtes internes sur les responsabilités de Olaf Scholz.

Centrisme ensuite puisque c’est en menant une campagne conçue pour séduire les électeurs de la CDU qu’il remporte les élections de 2011 et reconquiert une majorité absolue dans la ville. Il réussit à rétablir l’équilibre budgétaire dans un Land en déficit chronique, met en place des politiques sociales nouvelles et parvient à réunir patronat et syndicats pour mettre fin aux dérives dans les chantiers urbains et accélérer les constructions de logements.

Considéré comme un gestionnaire efficace mais plutôt classé à droite du SPD, Olaf Scholz est choisi par son parti – après l’échec de Martin Schulz, autre social-démocrate centriste – pour devenir ministre des Finances du troisième gouvernement de grande coalition entre le SPD et la CDU/CSU au début de l’année 2018. Au cours de ce dernier gouvernement de grande coalition de l’ère Merkel, il défend avec fermeté la rigueur budgétaire et le mécanisme constitutionnel interdisant au gouvernement de présenter des budgets en déficit appelé « frein à l’endettement.»

Les petits pas vers la gauche du SPD

Tant et si bien que cette ligne droitière, inchangée depuis les lois de régression sociale du gouvernement de Gerhard Schröder au début des années 2000, est de plus en plus contestée à l’intérieur du parti. En 2019, lorsque le SPD est doublé par les Verts lors des élections européennes, entraînant la démission de la direction, il est défait par l’aile gauche dans sa campagne pour prendre la tête du parti. Celle-ci, souhaitant initialement engager une rupture programmatique avec l’héritage de Gerhard Schröder, ne remet pas en question, après quelques tergiversations, l’accord de coalition avec Angela Merkel. Elle accepte ce faisant de continuer à soutenir une politique de compromis ou de compromission.

Quelques mois plus tard, Olaf Scholz est en première ligne de la gestion économique de la pandémie. Ministre des Finances, il doit dépenser sans compter pour assurer le déploiement du chômage partiel et la protection des entreprises puis pour élaborer et mettre en œuvre le plan de relance allemand. Sa popularité bondit alors et le classe parmi les hommes politiques les plus populaires d’Allemagne. Il parvient ainsi à se sortir sans dégâts des accusations d’inaction, voire de complicité dans les scandales Cum-Ex (évasion fiscale) et Wirecard (fraude financière).

Parallèlement, il opère au sein de son parti un recentrage et donc un déplacement vers la gauche de son image en mettant en sourdine (sans abandonner) sa défense de l’austérité budgétaire et en proposant la hausse des impôts pour les plus hauts revenus en incluant notamment dans son programme  le rétablissement de l’impôt sur la fortune. Lors de la campagne, Olaf Scholz et le SPD mettent aussi en avant la hausse du salaire minimum à 12€ de l’heure (contre 9,60€ actuellement) et l’accélération de la construction de logements.

Le consensus ouest-allemand, fragmenté mais hégémonique

La victoire du SPD n’est pas le seul phénomène marquant de ces élections. En effet, en 2017, l’AfD (extrême-droite) et Die Linke (gauche, lié à l’ex-régime de RDA), deux partis contestataires et essentiellement implantés en ex-Allemagne de l’Est avaient bouleversé le paysage politique en rassemblant un peu moins de 25% des suffrages. En 2021, les deux reculent nettement et n’obtiennent qu’un peu plus de 15% des voix.

Si le SPD et la CDU/CSU sont désormais passés sous la barre symbolique des 50% de voix, c’est principalement au profit des deux autres partis traditionnels de la République fédérale d’Allemagne : les Verts (existant depuis les années 1970 mais devenus un parti de gouvernement au tournant des années 1990) et le FDP, un parti très strictement attaché à l’ordolibéralisme mais ayant une image jeune et ouverte sur les questions de société. Trois configurations sont donc envisageables : une nouvelle grande coalition dirigée par le SPD (les deux partis préféreraient l’éviter) ou deux  coalition à trois partis – soit du SPD soit de la CDU – avec les Verts et le FDP.

Parti arrivé en tête par circonscription électorale: SPD (rouge), CDU/CSU (noir), Verts, AfD (bleu) et Die Linke (violet), seul le FDP n’est arrivé en tête dans aucune circonscription

Le SPD et les Verts ayant affirmé leur intention de former une coalition et l’alliance CDU-CSU ayant étalé ses divisions après cet échec historique (l’alliance a atteint son plus bas niveau depuis 1949), le FDP est donc en position de faiseur de roi. Or, en 2017, lorsque Angela Merkel avait tenté pareille combinaison et entamé des négociations avec les Verts et le FDP, celles-ci s’étaient achevées par une phrase lapidaire du charismatique chef libéral, Christian Lindner : « Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner ».

En effet, le FDP (Parti libéral-démocrate) a adopté depuis plusieurs années une ligne très radicale de défense de l’ordolibéralisme. Le parti était notamment en coalition avec la CDU/CSU entre 2009 et 2013 lorsque Angela Merkel a imposé les pires politiques d’austérité aux pays d’Europe du Sud (prolongées ensuite lors des gouvernements avec le SPD). Depuis l’annonce des résultats il y a 10 jours, le FDP investit tout son capital politique sur trois demandes programmatiques : le retour à l’équilibre budgétaire, la remise en application des règles budgétaires européennes et une politique écologique aussi peu contraignante que possible privilégiant les instruments de marché. 

L’économie social-écologique de marché

Le modèle ordolibéral d’économie de marché a été popularisé en Allemagne sous le terme « économie sociale de marché.» Si l’aspect social ne faisait originellement pas référence aux politiques sociales dans son acceptation socialiste mais davantage aux bienfaits permis par la société de consommation, l’ambiguïté a permis sa récupération par le SPD. Celui-ci pouvait indiquer sa volonté de réformer le capitalisme allemand – intégrant la cogestion et l’Etat-providence – réagençant ce faisant le consensus sans le remettre en cause.

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Les Verts ont également rejoint le consensus et portent désormais le concept d’une « économie social-écologique de marché » qui intégrerait les questions écologiques, notamment à travers des mécanismes de prix du carbone. Dans un article pour Jacobin, Alexander Brentler analysait l’émergence d’un nouveau centre-gauche alliant respect des institutions néolibérales avec volonté d’investissements écologiques et de politiques sociales plus fortes. C’est autour de ce modèle que le SPD, les Verts et le FDP pourraient s’accorder.

L’émergence d’un nouveau centre-gauche alliant respect des institutions néolibérales avec volonté d’investissements écologiques et de politiques sociales plus fortes. C’est autour de ce modèle que le SPD, les Verts et le FDP pourraient s’accorder.

En effet, les trois poussent pour des investissements publics conséquents dans les infrastructures, notamment numériques que l’ère Merkel a laissé dans un état catastrophique ainsi que dans les technologies identifiées comme écologiques (voiture électrique, hydrogène, train, énergies renouvelables, etc.). Toutefois, les trois partis étant attachés – certes avec quelques nuances – à un retour à l’équilibre budgétaire, ils devront accompagner ces investissements de coupes budgétaires et de réformes néolibérales de l’administration ainsi que de mécanisme d’incitation des investissements privés, notamment via le renforcement des marchés carbones allemands (transport routier, bâtiment) et européens (industrie, énergie, vols intra-UE).

L’Union européenne, par l’Allemagne et pour le marché

La très probable future coalition dite « feu tricolore » entre le SPD (associé à la couleur rouge), les Verts et le FDP (dont la couleur est le jaune) devrait s’aligner parfaitement avec l’orientation ordolibérale et atlantiste de l’Union européenne et la nouvelle prétention écologiste de la Commission européenne. 

Si l’affaire des sous-marins fut notamment l’occasion pour les européistes les plus fervents de continuer à pousser pour l’Europe de la défense, Olaf Scholz, lorsque la question d’une coalition avec Die Linke se posa lors de la campagne électorale allemande, a clairement indiqué que le renoncement à la critique de l’OTAN par Die Linke était un préalable à toute négociation. L’idée que l’Europe de la défense serait un moyen de s’affranchir des États-Unis est donc essentiellement française, la plupart des pays européens, et notamment l’Allemagne, considérant l’Europe de la défense non comme une alternative mais au mieux comme un complément à l’OTAN.

Sur la question écologique la feuille de route de la commission européenne pour son « Green Deal » suit un chemin très ordolibéral en fondant l’essentiel de ses efforts sur le renforcement des marchés carbone. Elle s’assure ainsi que la répartition de l’effort de réduction des émissions reste hors de la délibération politique, les instruments de marché frappant de la même manière la tonne de CO2 des consommations, que celles ci soient vitales ou ostentatoires. Le plan de relance européen, certes tourné vers les transitions numériques et écologiques, est lui conditionné à la poursuite de réformes ordolibérales « d’équilibre du système de retraite », de « stabilisation de la trajectoire des finances publiques » ou de « flexibilisation du marché du travail. » 

La fin de l’ère Merkel ne signera donc pas la fin de l’hégémonie allemande et ordolibérale en Europe. Au contraire, le consensus européen ne devrait évoluer qu’à la marge pour donner l’impression d’intégrer la question écologique et combler partiellement les déficits d’investissement créés par les politiques d’austérité. Aucun de ces ajustement du consensus ordolibéral ne devrait remettre en cause ni l’emprise de l’économie allemande sur le reste de l’Europe, ni les excédents commerciaux excessifs de l’Allemagne – voire même du continent européen, si l’on exclue la France – ni les inégalités de traitement entre capital et travail au sein de l’Union européenne.