« L’esclavage est anéanti en France » : 1794, la première abolition du monde occidental

« Égalité de couleurs. Courage. Égalité de rangs. Puissance » Nouvelles cartes de la République française © Cliché Bibliothèque Nationale de France

Les manifestations antiracistes de l’année passée ont réactivé les controverses autour des personnages dont les noms jalonnent l’espace public. De féroces débats touchant à la présence de collèges Jules Ferry ou de statues de Colbert ont saturé l’espace médiatique, que ce soit pour les condamner ou les défendre. De son côté, l’oubli mémoriel dans lequel sont tombées les principales figures de l’émancipation des Noirs durant la Révolution française n’a pas été évoqué au cours de ces controverses. Si on trouve en France hexagonale des rues Martin Luther King ou des collèges Rosa Parks, on aurait peine à croiser des lieux publics portant le nom de Jean-Baptiste Belley, Toussaint Louverture ou encore Louis Delgrès. Le gouffre entre l’importance de l’abolition de l’esclavage de 1794 – la première de l’ère contemporaine – et la faiblesse de sa commémoration ne peut qu’interpeller. Le sujet de l’esclavage et plus largement de l’égalité de couleurs dans la Révolution française ne tient qu’une faible place dans l’historiographie – à quelques exceptions près, comme le remarquable travail de Jean Jaurès. Pourtant, l’émancipation réussie des Noirs antillais, l’action anti-esclavagiste de la Révolution française et les liens tissés avec la révolution de Saint-Domingue ont eu un impact décisif sur l’histoire du siècle suivant.

« Vous, citoyens noirs qui avez partagé nos succès en combattant pour votre liberté, imitez vos frères les sans-culottes ; ils vous montreront toujours le chemin de la victoire, et consolideront avec vous votre liberté et celle de vos enfants » (1) : c’est ainsi que Victor Hugues, commissaire de la République française, s’adresse en 1795 aux esclaves de Guadeloupe en lutte contre leurs propriétaires. Envoyé par Paris, il a pour mission de fournir des armes aux insurgés contre les colons esclavagistes français. En guerre contre la République, alliés aux monarchies européennes, les colons regardent alors avec intérêt vers les États-Unis. Ceux-ci n’ont-ils pas effectué une sécession réussie avec la Grande-Bretagne, affirmé le pouvoir absolu des colons vis-à-vis de la métropole, institué un modèle esclavagiste pérenne ?

Afin de détruire le « préjugé de couleur », Victor Hugues favorise la création de bataillons métissés : « j’ai pris le parti de former trois bataillons dans lesquels j’ai amalgamé tous les sans-culottes », écrit-il, ajoutant que « ce mélange a produit le meilleur effet possible sur l’esprit des ci-devant esclaves ». L’alliance des « sans-culottes », noirs et blancs, contre les aristocraties, d’épiderme ou de naissance : ce rêve n’a duré que quelques mois. Mais il faut en mesurer la radicalité, tant il a laissé une empreinte profonde sur l’histoire globale du siècle suivant. L’abolition de l’esclavage de 1794 constitue une rupture brutale avec le paradigme politique dominant, tant l’institution esclavagiste était considérée comme intangible.

La société coloniale avant la Révolution : l’esclavage comme fondement inébranlable

L’historien Michel Devèze écrit de la Révolution française que celle-ci a « déchaîné tous les désirs de liberté, ceux des colons comme ceux des malheureux Noirs » (2). « Transgression inaugurale » (3), celle-ci a effectivement rompu l’ordre politique et permis l’éclosion et la diffusion de la révolution haïtienne à partir d’août 1791. De son côté, la révolte des esclaves haïtiens a mis la Révolution de la métropole face à ses contradictions et l’a modifiée en profondeur.

Dans sa bande-dessinée Les Passagers du Vent, le scénariste François Bourgeon fait dire à l’un des négriers – à propos des comptoirs africains – « Ici l’on est avant tout blanc ou noir… Riche ou pauvre… Libre ou esclave ! ». Cette description s’applique également aux colonies établies par les Européens aux Antilles et dont fait partie Saint-Domingue. Située au cœur des Caraïbes, cette île est divisée en deux quand la France en obtient la partie ouest (Haïti actuelle) en 1697.

Pour exploiter les ressources des colonies antillaises, les monarchies européennes utilisent massivement les esclaves qu’elles arrachent à l’Afrique via leurs comptoirs. Les opportunités commerciales sont si lucratives que les colons européens décident d’intensifier la traite négrière en décuplant le nombre d’esclaves. La population captive de Saint-Domingue passe ainsi de 15 000 personnes en 1715 à 450 000 à la veille de la Révolution. Société à part, le système colonial est structuré autour d’une division sociale entre libres et esclaves. Au sommet de la hiérarchie, on retrouve les grands blancs qui forment la classe propriétaire des planteurs. Parmi les libres, six fois moins nombreux que les esclaves, on compte aussi des affranchis et des mulâtres, enfants métis libres de naissance. Enfin, en bas de l’échelle, arrivent les esclaves principalement affectés à l’exténuant travail de la terre.

Esclaves « bossales » aux champs, illustration de l’exposition «Périssent les colonies plutôt qu’un principe » sous la direction de Florence Gauthier à l’université Paris-Diderot, 2010
©Florence Gauthier-Revolution Française.net, 2010

Au sein de la société coloniale, il n’y a donc pas d’esclave blanc. Il existe en revanche des libres de couleur. À l’origine égaux aux blancs, et possédant eux-mêmes des esclaves, ils sont peu à peu exclus de la société coloniale. Les colons blancs, inquiets de l’essor démographique des mulâtres, s’attachent progressivement à leur refuser l’égalité : c’est le préjugé de couleur qui marque une ségrégation inédite dans l’ordre social.

L’effervescence du siècle des Lumières touche de nombreux sujets et la nature de l’esclavage comme celle du système colonial sont également interrogées. La réflexion sur ces thèmes n’est pas nouvelle dans les sociétés occidentales mais l’ampleur des critiques au XVIIIème siècle est inédite. Ainsi, Diderot écrit que jamais un esclave ne peut être « la propriété d’un colon » (4) et Rousseau le suit. Ces réflexions abolitionnistes sont monnaie courante au sein des « lumières » françaises, même si elles sont loin de faire l’unanimité parmi les « philosophes ». Certains, comme Voltaire, acceptent le principe de l’esclavage par fatalisme tandis que Véron de Forbonnais va jusqu’à défendre celui-ci dans l’article « colonies » de L’Encyclopédie.

L’idée même d’abolition est, à la fin du XVIIIème siècle, d’une nouveauté et d’une radicalité révolutionnaires

Olivier Grenouilleau, dans L’abolitionnisme, la révolution, la loi

De fait, le système colonial esclavagiste est alors en plein essor et la prospérité qu’il engendre le rend pratiquement intouchable. Face à lui, l’abolitionnisme très minoritaire, n’offre pas de réelle perspective de réalisation pratique. Il est à cet égard significatif qu’une grande partie des textes défendant l’abolition de l’esclavage soient écrits sur le mode de l’utopie ; moralement souhaitable, elle est politiquement impossible à mettre en œuvre dans une société fondée sur le travail des esclaves (5). À tel point que même les défenseurs des esclaves les plus avancés, comme ceux de la Société des Amis des Noirs, fondée en 1788, ne réclament pas l’abolition de l’esclavage en tant que tel mais seulement celle de la traite, c’est-à-dire du commerce d’esclaves.

C’est la Révolution française qui a permis au mouvement abolitionniste d’aller au-delà de la condamnation morale, et de devenir une réelle menace pour l’ordre esclavagiste.

Le dilemme des « libres de couleur » et le sécessionnisme des colons

Dans ce contexte de bouillonnement politique, les colons de Saint-Domingue accueillent favorablement la convocation des États généraux par Louis XVI (mai-juin 1789). Ils entendent en profiter pour défendre leurs intérêts économiques et accroître leur autonomie. Dans le même temps, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen provoque des remous. Le gouverneur de la Martinique écrit : « Depuis que l’on connaît ici les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme […] il n’est pas un Blanc qui ne frémisse à l’idée qu’un nègre peut dire je suis homme aussi, donc j’ai des droits, et ces droits sont les mêmes pour tous » (6).

Rapidement, les colons s’organisent. Ils fondent le Club Massiac à Paris pour exercer un lobbying en métropole à la fois au Club des Jacobins et à l’Assemblée. Ils profitent de la méconnaissance de la situation coloniale pour s’afficher comme le mouvement révolutionnaire des Antilles, alors même qu’ils y forment une aristocratie privilégiée.

Face aux colons, les Amis des Noirs tentent d’interférer avec difficulté car ils ne sont pas aussi influents. De leur côté, les mulâtres libres de Saint-Domingue s’investissent également dans la Révolution pour réclamer l’égalité politique avec les Blancs. Ils se rapprochent d’abord du Club Massiac, envisageant ainsi une alliance des maîtres qui préserverait l’esclavage mais leur assurerait l’égalité de l’épiderme. En butte au refus des colons, certains mulâtres comme Julien Raimond prennent acte que le système esclavagiste se double désormais d’une ségrégation au sein des libres. Le colon Moreau de Saint-Méry la théorise ainsi : « Il n’est pas indigne de l’œil du Philosophe de contempler une Terre où la différence de couleur décide seule de la Liberté ou de l’Esclavage, de l’élévation ou de l’abjection dans l’Ordre civil… » (7). Ailleurs, il ajoute que les « préjugés de couleur » sont « les ressorts cachés de toute la machine coloniale » (8). Face à cette racialisation de l’ordre colonial, Raimond opte donc pour le renversement des hiérarchies sociales par l’abolition de l’esclavage lui-même.

Les premières discussions sur les colonies interviennent en octobre 1789, au moment où l’Assemblée introduit la distinction entre citoyens actifs (assez riches pour voter) et passifs (trop pauvres) malgré les protestations de Robespierre. Aussi, les colons se servent de cette distinction pour justifier celle qu’ils font entre les libres blancs et de couleur. Aux Antilles, certains planteurs se radicalisent avec la création de l’Assemblée de Saint-Marc. Cette dernière regroupe des colons extrémistes opposés au pouvoir colonial du Cap. Sécessionnistes, les membres de la nouvelle assemblée éditent leur propre Constitution en mai 1790, ouvrent leurs ports au commerce étranger, refusent la participation des Noirs aux élections des assemblées et proposent l’île aux Anglais en échange de leur assistance face à la Révolution. Les colons indépendantistes envisagent une sécession sur le modèle de la Révolution américaine car celle-ci présente à leurs yeux l’avantage de concilier la nouveauté du libéralisme économique et la pérennité de l’ordre esclavagiste (9).

Poursuivis par l’Assemblée du Cap, ils se réfugient en métropole où ils sont désavoués par la Constituante à la mi-octobre, y compris par Barnave qui refuse la perte de l’île. Ce dernier cherche à concilier les aspirations des colons et celles de la bourgeoisie portuaire française. Yves Bénot relève la dimension de lutte des classes dans ce conflit où colons « loyalistes » et négriers métropolitains s’allient pour préserver leurs intérêts contre la concurrence économique des mulâtres et la perspective d’abolition de la traite (10).

Dès le moment où vous aurez prononcé le mot esclaves, vous aurez prononcé votre propre déshonneur et le renversement de votre Constitution

Maximilien Robespierre à la Constituante en mai 1791

La coopération entre la métropole et la colonie est ainsi provisoirement sauvée, mais les tensions ne font que croître. Une initiative visant à défendre l’égalité de couleurs, soutenue dans la Constituante par l’abbé Grégoire en avril 1791, impulse le premier débat parlementaire d’ampleur sur le sujet. Il est l’occasion pour une partie du côté gauche de s’affirmer sur cette question. L’intransigeance des colons et l’opposition du côté droit à cette universalisation de la citoyenneté masculine l’empêche d’être votée. Cependant l’Assemblée, qui vient de constitutionnaliser l’esclavage, propose un compromis accordant l’égalité politique aux mulâtres de deuxième génération seulement.

Portrait de l’abbé Grégoire par Pierre-Joseph-Célestin François (1759-1851) © Musée Lorrain, Nancy – G. Mangin

Robespierre ne s’en accommode pas et réclame l’égalité inconditionnelle. Il déclare « puisqu’il faut raisonner dans votre triste système, les hommes libres de couleur n’auront-ils pas les mêmes intérêts que vous ? » (11). Robespierre, en plus de s’opposer à la ségrégation des mulâtres, s’en prend à la traite et condamne l’esclavage : « Dès le moment où dans un de vos décrets, vous aurez prononcé le mot esclaves, vous aurez prononcé et votre propre déshonneur et le renversement de votre Constitution ». Il ajoute : « Périssent les colonies, si vous les conservez à ce prix ». Propos enflammés, mais qui ont une portée politique quasiment nulle dans le rapport de forces d’alors. L’Assemblée s’oppose à l’« exagération » robespierriste consistant à demander l’égalité entre Blancs et Noirs. Elle vote le compromis le 15 mai, accordant droit de cité aux seuls mulâtres de deuxième génération.

Aussi timide soit-elle, cette concession inédite déclenche la fureur des colons qui boycottent l’Assemblée pendant un mois. Au cours de cet été 1791, Barnave entraîne la majorité modérée des députés dans une scission des Jacobins pour créer le monarchiste Club des Feuillants et la plupart des colons le suivent. Le lien entre statu quo colonial et contre-révolution s’impose avec une évidence croissante aux yeux des Jacobins.

La révolution haïtienne et la « guerre de l’information »

Après les colons et les mulâtres, ce sont désormais les esclaves qui rejoignent l’élan révolutionnaire en 1791. La grande insurrection de la nuit du 22 au 23 août déclenche la révolution haïtienne, rapidement menée par l’affranchi Toussaint Louverture. Confrontés à des colons ségrégationnistes qui s’autoproclament révolutionnaires, les esclaves prennent d’abord le parti de la monarchie. Cette alliance est surprenante car, les administrateurs royaux de l’île, bien que certains d’entre eux défendent l’égalité des mulâtres, demeurent nombreux à partager « les pires préjugés des colons » (12) à l’égard des Noirs. Pendant ce temps à Paris, la Constituante est revenue sur le décret du 15 mai à un moment où elle achève la nouvelle Constitution monarchiste. Elle n’est alors pas encore informée de la révolte sur l’île.

Bitwa na San Domingo, Bataille de Saint-Domingue par Janvier Suchodolski (1797-1875) © Muzeum Wojska Polskiego

Au cours des années 1792-1793, la Révolution se radicalise face aux menaces militaires qui pèsent sur elle. Parmi les Jacobins, un nombre croissant de révolutionnaires se rapproche des mulâtres. Certains vont même jusqu’à se solidariser des esclaves face à la répression coloniale qu’ils subissent. Ainsi, dès la fin 1791, on lit dans Les Révolutions de Paris – sous la plume de Chaumette – « périssent 30 000 Blancs gorgés d’or, de vices et de préjugés plutôt que nos 30 000 mulâtres… plutôt que 500 000 nègres tout disposés à devenir des hommes ! » (13) [« hommes » devant être ici compris comme le contraire d’esclaves ] tandis que Merlin de Thionville compare la révolution des esclaves à la prise de la Bastille (14). Certains articles de presse témoignent d’échanges entre les mulâtres et les révolutionnaires métropolitains. Prenant acte de la rupture historique que constitue la révolution de Saint-Domingue, les plus radicaux proposent l’abolition immédiate et inconditionnelle. C’est notamment le cas de Marat, qui abandonne son abolitionnisme graduel et modéré en proposant désormais l’expropriation des colons. À l’Assemblée, le chef de file des Girondins Brissot se démarque en plaidant pour la cause des esclaves.

Tandis que les esclaves révoltés multiplient les références aux principes révolutionnaires, c’est aux Jacobins – devenus essentiellement montagnards à la fin 1792 – que s’engage le rapprochement concret entre les deux Révolutions. Le 4 juin 1793, une délégation mulâtre, menée par Jeanne Odo, une ancienne esclave centenaire, est introduite aux Jacobins pour demander l’abolition de l’esclavage. Celle-ci défile sous la bannière du drapeau de « l’égalité de l’épiderme », un étendard tricolore et orné de trois hommes portant le bonnet phrygien sur chacune des couleurs du drapeau : un Noir sur le fond bleu, un Blanc sur le fond blanc, et un métis sur le fond rouge (15). Elle fait d’abord jurer aux Jacobins rassemblés de ne pas se séparer avant d’avoir aboli l’esclavage. La délégation rejoint ensuite la Commune de Paris où Chaumette a symboliquement fait adopter un fils d’esclave par la ville. Elle se rend enfin à la Convention, où les députés l’acclament.

Les ennemis des citoyens de couleur vont les calomnier auprès du peuple français. [Ces ennemis] sont des colons contre-révolutionnaires qui font la guerre à la liberté

Louis Pierre Dufay, discours à la Convention lors de la séance du 4 février 1794

Labuissonière, mulâtre martiniquais appartenant à la délégation salue les « justes » de « la Sainte Montagne » (16) Grégoire et Robespierre, qui soutiennent la démarche abolitionniste. Mais si celle-ci rencontre un écho important, elle ne parvient pas encore à ses fins. En effet, minés par leurs divisions internes, les Jacobins ne sont pas unanimes sur le sujet. Comme une partie des abolitionnistes et des mulâtres sont ou ont été liés aux Girondins, certains considèrent l’abolition comme partie prenante d’une conspiration pour affaiblir la France.

D’aucuns se laissent aussi manipuler par la « guerre de l’information » en cours en métropole. Il faut en effet compter au moins quatre semaines pour rallier Saint-Domingue depuis les ports français. Ce délai s’étend même à trois mois pour que les événements de l’île soient connus à Paris et que la réponse parvienne ensuite aux Antilles. Les deux révolutions sont donc incapables de connaître la situation précise de l’autre. De plus, les informations qui parviennent aux révolutionnaires sont surtout diffusées par les colons qui déforment celles-ci. L’ampleur de la désinformation est telle que le député abolitionniste Dufay commence, lors de la séance de l’abolition à l’Assemblée, par s’écrier « les ennemis des citoyens de couleur et des noirs vont les calomnier auprès du peuple français » (17). Il rappelle qui organise ces attaques : « ce sont des colons contre-révolutionnaires qui font la guerre à la liberté ».

Ces différents éléments expliquent les positions ambiguës voire pro-colons de certains jacobins en 1793 (18). Pour autant, dans sa trajectoire globale, le mouvement jacobin se trouve aux côtés du mouvement abolitionniste et lui permet finalement d’obtenir gain de cause, début 1794.

Les deux révolutions

Entre-temps sur l’île, la situation est restée explosive. Face à la révolte, les colons de Saint-Domingue poursuivent les lynchages des mulâtres tandis que ceux de Martinique et de Guadeloupe entrent en sécession royaliste. Dans ce contexte, les nouveaux commissaires civils Sonthonax et Polverel atteignent l’île en septembre 1792 pour y faire appliquer l’égalité de couleurs. Ils dissolvent l’Assemblée coloniale, révoquent le gouverneur et forment des Légions de l’Egalité ouvertes aux mulâtres pour combattre les colons.

Début 1793, la situation devient critique pour la République. La Convention girondine a déclaré la guerre à l’Angleterre qui s’est alliée aux colons en promettant de rétablir leur domination. Elle déclare aussi la guerre à l’Espagne, esclavagiste mais qui s’est cependant alliée aux principaux commandants esclaves en leur promettant l’affranchissement. Confrontés à la perspective d’une victoire coloniale, les esclaves de la région se rallient alors aux commissaires français. Sonthonax tente ensuite de rallier l’ensemble des esclaves révoltés à la République. Pour ce faire, il promet d’abord l’affranchissement à tous ceux qui combattront à ses côtés, puis l’abolition générale de l’esclavage. Toussaint Louverture franchit le pas de l’alliance avec la République française au printemps 1794.

Vue de l’incendie de la ville du Cap Français. Arrivée le 21 juin 1793.
© Archives départementales de la Martinique

C’est le pavillon tricolore qui nous a appelé à la liberté

Jean-Baptiste Belley, discours inaugural de la séance d’abolition de l’esclavage le 4 février 1794

Sur ces entrefaites, l’Assemblée reçoit des députés envoyés par les révolutionnaires haïtiens alliés aux commissaires. Ces derniers ont tenu à envoyer une délégation tricolore : un député blanc Dufay, un député métis Mills et un député noir Belley. Ceux-ci sont accueillis à la Convention le 3 février 1794. La séance de l’abolition de l’esclavage se tient le lendemain. Elle constitue un rare moment d’enthousiasme conventionnel alors que la Révolution est, selon les mots de Saint-Just, « glacée ». Le député Lacroix décrit cette séance : « les deux députés de couleur étaient à la tribune […] tous les députés s’élancent vers eux : ils passent rapidement dans les bras de tous leurs collègues » (19). De son côté, le député Levasseur écrit avoir alors « recueilli dans la séance […] le prix de [son] attachement à la cause de l’humanité » (20). Les députés haïtiens et métropolitains multiplient les appels réciproques à la fraternité, notamment sous l’impulsion de Danton qui voit venir le jour pour « décréter la liberté de nos frères » (21).

Belley prononce le discours inaugural, dans lequel il proclame l’alliance entre les révolutions. Une semaine plus tard, il déclare : « Je n’ai qu’un mot à vous dire : c’est le pavillon tricolore qui nous a appelé à la liberté. C’est sous ses auspices que nous avons recouvré cette liberté, notre patriotisme est le trésor de notre prospérité et tant qu’il restera dans nos veines une goutte de sang, je vous jure, au nom de mes frères, que ce pavillon flottera toujours sur nos rivages et dans nos montagnes ». Quelques jours plus tard, Chaumette participe à une fête de l’abolition et proclame « Apaisez-vous, mânes irritées de cent mille générations détruites par l’esclavage ; apaisez-vous, le jour de la justice a lui sur un coin du globe ; l’oracle de la vérité s’est fait entendre du sein d’une assemblée de sages, et l’esclavage est anéanti » (22).

Jean-Baptiste Belley, premier député noir de la Convention, représenté par Girodet de Roucy Trioson (1767-1824)
© Photo RMN-Grand Palais – G. Blot

Dès le mois de mars, ceux qui en métropole ont tenté de faire avorter l’abolition sont emprisonnés par les sections sans-culottes de Paris ; Jean-Daniel Piquet note : « les dossiers de police générale des colons indiquent qu’à la fin mars 1794, la Commune robespierriste relaya la politique entamée par Chaumette […] d’arrestations massives des membres d’assemblées coloniales, symboles vivants de l’aristocratie de la peau » (23). Dans le même temps, l’Assemblée envoie des navires faire appliquer l’abolition aux Antilles en luttant contre les colons et leurs alliés anglais. De son côté, Toussaint Louverture apprend l’abolition métropolitaine à l’été. Il redouble alors d’efforts dans sa lutte contre les Anglo-espagnols.

L’évènement est inédit et sans doute unique dans l’histoire : pour la première fois, une puissance coloniale, devenue républicaine, a finalement pris le parti des esclaves et mulâtres révoltés contre ses propres colons. Il ne s’agit pas, au sens strict, de la première abolition de l’esclavage de l’histoire moderne. Nombreuses étaient les métropoles à l’avoir interdit sur leur propre sol, ou dans certaines de leurs colonies (24). Mais en aucun cas l’institution esclavagiste elle-même n’était en cause. La décision française de 1794 constitue la première abolition intégrale, inconditionnelle, et à vocation universelle.

L’abolition de l’esclavage par la Convention le 16 pluviôse an II/ 4 février 1794, représentée par Nicolas André Monsiau (1754-1837). À la droite de la tribune, assise, on reconnaît Jeanne Odo. À la gauche de la tribune, ce sont certainement les conventionnels Dufay et Belley qui ont été représentés, s’élançant vers le président de l’Assemblée © Photo RMN-Grand Palais – Bulloz

En cela, l’abolition de 1794 diffère de celle de 1848. Cette dernière a en effet été effectuée avec l’aval d’une partie importante des colons esclavagistes, qui ont été largement indemnisés. Elle visait à éviter une nouvelle révolution sociale. C’est pourtant l’abolition de 1848, encore aujourd’hui, que les programmes scolaires mettent en avant.

« L’histoire des hilotes, de Spartacus et de Haïti » : une abolition « pour l’univers »

Ce n’est pas une liberté de circonstance concédée à nous seuls que nous voulons, c’est l’adoption absolue du principe que tout homme né rouge, noir ou blanc ne peut être la propriété de son semblable.

Toussaint Louverture, général haïtien à Napoléon Bonaparte en juin 1800

Si l’abolition de 1794 est inédite, c’est aussi parce que – comme Toussaint Louverture le rappelle à Napoléon Bonaparte en juin 1800 – celle-ci n’est pas « une liberté de circonstance concédée [aux esclaves haïtiens] seuls» (25) et donc destinée à un cadre spatio-temporel restreint. Au contraire, cette abolition est « l’adoption absolue d’un principe », elle est donc universelle, sans limite d’espace ni de temps. Elle est adressée au monde entier comme en témoigne le député Lacroix qui la qualifie de « grand exemple à l’univers » (26).

La révolution franco-haïtienne secoue le mouvement antiesclavagiste en y insufflant une radicalité nouvelle. Elle fait sortir l’abolition de l’esclavage de la sphère des utopies pour la transformer en possibilité tangible et immédiate. Jusque là, l’abolitionnisme international, notamment anglais, était resté progressif et réformiste. Aussi, en proclamant une abolition immédiate fondée sur des principes égalitaires, les révolutions franco-haïtiennes rompent avec ces stratégies « réformistes » et ouvrent une brèche « révolutionnaire » contre l’esclavage.

Elles influencent particulièrement l’Amérique caraïbe qui cherche à se libérer de la tutelle espagnole au début du XIXème siècle. Nourrie par les idées libérales, les élites créoles (blanches) rêvent d’abord d’une révolution inspirée par les États-Unis. Elles craignent qu’une abolition de l’esclavage déclenche un mouvement plus large de remise en cause de toutes les hiérarchies sociales. Cette crainte est aussi partagée du côté des royalistes espagnols. À cet égard, l’abolition française de 1794 plane comme un spectre menaçant ; le gouverneur de Portobelo va jusqu’à écrire : « les Noirs français [Haïti n’est pas encore indépendante] ne doivent être mêlés sous aucun prétexte à la population […] pour éviter que leur pernicieux exemple […] ne portent [les esclaves] à fomenter troubles et séditions contre leurs maîtres dans le but d’acquérir la liberté » (27).

Rapidement, les mouvements indépendantistes d’Amérique latine changent alors de stratégie sous l’influence des révolutions haïtienne et française. Ils considèrent désormais que leur soulèvement, pour réussir, doit inaugurer une conscience nationale hispano-américaine qui leur permette d’unir la société, par-delà les catégories socio-raciales face à la métropole espagnole. Il leur faut créer une nouvelle identité « ni raciale, ni locale, ni culturelle mais politique » (Clément Thibaud) en utilisant pour cela la « définition abstraite du citoyen » (28) issue de la Révolution française. C’est ainsi que Simon Bolivar définit l’identité latino-américaine comme le produit « de l’histoire des hilotes, de Spartacus et de Haïti ».

Plus pratiquement, il leur faut rompre avec le modèle réformiste de leur révolution de départ qui ne visait qu’à une union des élites créoles. Il leur faut désormais embrasser une logique radicale de « révolution ouverte » (Simon Bolivar) et de « guerre à mort aux Espagnols ». Cette nouvelle stratégie place les mouvements révolutionnaires de ce continent dans la trajectoire des révolutions française et haïtienne. L’influence est revendiquée par Bolivar quand, au moment de l’indépendance de la Bolivie en 1825, il voit en Haïti « la république la plus démocratique du monde ». Cette influence franco-haïtienne a favorisé l’introduction d’une pratique révolutionnaire, plus radicale et des principes davantage égalitaires dans l’Amérique caraïbe.

Pourquoi cette abolition de l’esclavage, la première qui soit intégrale et inconditionnelle dans le monde occidental, à l’impact considérable sur le siècle suivant, est-elle la grande oubliée de l’historiographie dominante ? À l’heure où les polémiques mémorielles enflamment l’espace médiatique, l’absence de mention de l’abolition de 1794, qui visait à « détruire l’esclavage » dans le monde entier, ne peut qu’interroger. Le rêve d’une citoyenneté « abstraite, ni raciale, ni locale, ni culturelle mais politique », pensée par les Jacobins, n’est-il pas plus actuel que jamais ?

« Moi égale à toi, moi libre aussi », gravure de Louis Simon Boizot (1743-1809), © Musée du Nouveau Monde, La Rochelle

Notes :

1 : Frédéric Régent, « Armement des hommes de couleur et liberté aux Antilles : le cas de la Guadeloupe pendant l’Ancien régime et la Révolution », Annales historiques de la révolution française, 348, 2007, p. 21.

2 : Michel Devèze, Conclusions « La Révolution française et ses conséquences outre-mer » p.607.

3 : Marcel Gauchet Robespierre, l’homme qui nous divise le plus éd. Gallimard, 2018, p.25

4 : Denis Diderot cité par Yves Bénot La Révolution française et la fin des colonies 1789-1794 éd. La Découverte, p.31

5 : Olivier Grenouilleau L’abolitionnisme, la Révolution, la loi in Frédéric Régent, Jean-François Niort et Pierre Serna Les colonies, la Révolution française, la loi [l’auteur insiste sur « l’apogée d’un système colonial esclavagiste extrêmement puissant » et sur la « radicalité » du projet abolitionniste au moment où l’esclavage est quasi-unanimement accepté comme un mal nécessaire du point de vue économique. « L’idée même d’abolition est, à la fin du XVIIIème siècle, d’une nouveauté et d’une radicalité révolutionnaires », écrit-il]

6 : Silyane Larcher, L’autre citoyen éd. Armand Colin, 2014, p.98

7 : Médéric Louis Elie Moreau de Saint-Méry, extrait de l’introduction des Loix et constitutions des colonies françois de l’Amérique sous le vent

8 : Cité dans Florence Gauthier, L’aristocratie de l’épiderme, CNRS édition, 2007, p. 145.

9 : Comme le note Domenico Losurdo dans sa Contre-histoire du libéralisme.

10 : Yves Bénot, La Révolution française et la fin des colonies 1789-1794 p.47

11 : Maximilien Robespierre Œuvres tome 7 cité par Jean-Daniel Piquet L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) ; Ed. Karthala ; 2002 ; p.82.

12 : Yves Bénot, La Révolution française et la fin des colonies 1789-1794 p.51

13 : Jean-Daniel Piquet, L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) p.161

14 : Idem p.170

15 : Florence Gauthier, « La Société des Citoyens de Couleur élabore le projet de la Révolution de Saint-Domingue » in Les élections de la députation « de l’égalité de l’épiderme » publié sur le site « Le Canard Républicain » le 1er août 2018 

16 : Jean-Daniel Piquet, L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) p.259-260

17 : Louis Pierre Dufay, dans son discours lors de la séance d’abolition de l’esclavage à la Convention nationale le 4 février 1794 in « Grands discours parlementaires » sur le site de l’Assemblée nationale 

18 : Cette ambiguïté avérée ou résultant d’une mauvaise interprétation des discours de certains Jacobins est étudiée par Jean-Daniel Piquet, dans son article Robespierre et la liberté des Noirs en l’an II d’après les archives des comités et les papiers de la commission Courtois publié en janvier-mars 2001 dans les Annales historiques de la Révolution française. L’article souligne l’ampleur de la désinformation organisée par les colons et rappelle néanmoins le rôle des Jacobins et celui particulier de Robespierre pour la concrétisation de l’abolition de l’esclavage.

19 : La Feuille Villageoise n°20, 4ème année, tome 18, Bibliothèque de l’Arsenal cité par cité par Jean-Daniel Piquet, L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) p.339

20 : René Levasseur,Mémoires, Paris, Messidor, 1989 cité par Jean-Daniel PIQUET L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) p.335

21 : Jean-Daniel Piquet, L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) p.337

22 : Olivier Douville, Présentation du Discours de Chaumette au sujet de l’esclavage dans les colonies françaises. Cahier des Anneaux de la Mémoire, Les Anneaux de la Mémoire, 2001, p.345 

23 : Jean-Daniel Piquet, « Robespierre et la liberté des Noirs en l’an II », op. cit.

24 : Domenico Losurdo (Contre-histoire du libéralisme) note une dialectique entre l’abolition de l’esclavage en métropole et sa radicalisation dans les colonies. L’arrêt Somerset, qui marque l’abolition de facto de l’esclavage sur le sol britannique, justifie cette décision par le fait que « notre air est trop pur pour être respiré par des esclaves » – légitimant sa pérennisation dans les colonies, où il en allait autrement.

25 : Florence Gauthier, « Toussaint Louverture mène une politique indépendante, 1796-1801 » in 1793-94 : la Révolution abolit l’esclavage ; 1802 : Bonaparte rétablit l’esclavage.

26 : Jean-Daniel Piquet,L’émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795) p.339

27 : Clément Thibaud, « COUPE TÊTES, BRÛLE CAZES Peurs et désirs d’Haïti dans l’Amérique de Bolivar », Editions de l’EHESS « Annales, Histoire, Sciences Sociales » 

28 : Idem

La Martinique au temps du Covid-19

Vue de Grand’Rivière et du canal de la Dominique, extrémité nord de l’île, Martinique. © Vincent Mathiot

La crise du Covid-19 n’a pas épargné la Martinique, qui compte plus de 5 575 cas positifs. La situation sanitaire est néanmoins moins grave par rapport à la métropole, sans être pour autant propice à l’optimisme. En effet, l’île est en proie à une situation environnementale toujours plus inquiétante. De plus, la crise sanitaire met en péril le secteur touristique dont l’île dépend en grande partie. À travers différents entretiens, cet article présente la situation complexe de l’île, entre espoirs, inquiétudes et incertitudes pour l’avenir.

Une situation sanitaire inédite

La pandémie de Covid-19 n’a pas laissé la Martinique indemne. Pour ce qui est du nombre de cas et d’hospitalisations, la Martinique semble moins touchée par les vagues de Covid-19 que la France métropolitaine, mais reste néanmoins vulnérable. Ainsi, la situation dans les hôpitaux se révèle complexe. Lors de l’examen des crédits du ministère de l’Outre-Mer, la sénatrice socialiste Catherine Conconne a ainsi déclaré qu’on « meure à la Martinique faute de soin, faute de médecins (1) ». Si, en Martinique, la crise du Covid-19 a été gérée avec « débrouillardise », elle aurait néanmoins pu être totalement ingérable si l’épidémie avait eu la même virulence qu’en métropole. Toutefois, ce bilan peut être relativisé en comparaison avec la situation dans les autres îles antillaises. À Sainte-Lucie ou à la Barbade, la situation est particulièrement catastrophique, tant le système de santé est inapte à gérer la crise.

La crise du Covid-19 met en exergue les inégalités de soin selon les couches sociales, ainsi que le besoin urgent d’infrastructures de soin sur l’île. Sur ces questions, l’État français n’a pas toujours tenu parole, comme en témoigne le délabrement de l’hôpital Trinité. L’UGTM (Union générale des travailleurs martiniquais) lutte depuis maintenant plus de 20 ans pour sa reconstruction, en vain.

Paul Jourdan, pharmacien hospitalier au CHU de Fort-de-France nous apporte son témoignage au regard des deux vagues épidémiques et de leurs lots d’épreuves. Comme partout ailleurs, ce virus était encore presque inconnu en mars et prenait le monde entier de court. C’est avec tâtonnement et craintes que le premier mois de confinement a débuté. « On ne savait pas du tout quels médicaments et dispositifs médicaux allaient être utilisés pour traiter cette nouvelle maladie. Nos délais d’approches pour nous ravitailler depuis la métropole étaient particulièrement long : en moyenne 10 jours pour nos commandes aériennes et 6 semaines pour nos commandes maritimes. La pharmacie du CHU de Martinique était en alerte maximale » rapporte l’hospitalier. De nombreux décès sont à déplorer mais il n’en demeure pas moins que cette première phase de l’épidémie fut moins impressionnante en Martinique que dans d’autres départements métropolitains.

Certaines difficultés propres à ces territoires insulaires se sont vite fait ressentir. L’île s’est subitement retrouvée isolée, notamment pour ce qui concernait le fret aérien, indispensable pour la bonne organisation du service hospitalier. Plusieurs vols quotidiens reliaient la Martinique à la métropole avant la pandémie, contre un seul vol hebdomadaire au cœur de la première vague. L’île était alors presque isolée du continent européen. Cette situation s’inscrivait dans un contexte de quasi-fermeture du trafic aérien mondial. Elle ne s’est en revanche pas répétée lors de la deuxième vague. Des médicaments nécessaires pour l’organisation des soins en réanimation (notamment les hypnotiques et le curares) ont vite commencé à manquer. Ces derniers sont plutôt employés pour des traitements de courte durée. Les patients présentant la forme grave du COVID-19 étaient pris en charge par les services de réanimation. La longueur d’un séjour dans ces soins hospitaliers différait des traitements connus, ce qui a entraîné une hausse imprévue de consommation de médicaments et d’oxygène. Et, par voie de conséquence, une saturation des lits de réanimation.

La crise du Covid-19 met en exergue les inégalités de soin selon les couches sociales, ainsi que le besoin urgent d’infrastructures de soin sur l’île.

C’est avec d’autres îles des Antilles (dont la Guadeloupe) et la Guyane que la Martinique a pu faire face à cette pandémie et aux pics épidémiques. Paul Jourdan a ainsi souligné le fait que les capacités hospitalières du CHU de Fort-de-France n’ont fort heureusement jamais été saturées : « On a ainsi pu aider nos voisins Guyanais et Guadeloupéens dans la prise en charge de leurs patients COVID ». Cette entraide interterritoriale était en grande partie réalisable grâce à l’aide de l’Armée. Celle-ci effectuait les liaisons et les transferts, de médicaments, mais aussi de patients, entre la Martinique et la Guyane. Les liaisons entre la Martinique et la Guadeloupe ont été assurées par l’hélicoptère du SAMU, pour ce qui concernait les impératifs propres à l’épidémie (transfert de patients COVID et de traitements).

Sainte-Lucie a ainsi vendu des médicaments aux îles de l’Union européenne. Cette aide était bienvenue, mais très politisée. Entre les îles rattachées au Commonwealth et les îles françaises, l’Union européenne et le Royaume-Uni cherchent à prouver l’un à l’autre qu’ils sont aussi indépendants qu’indispensables. C’est l’un des défis et des difficultés rencontré par le PAHO (Pan American Health Organization) et son projet commun, le Caribean Subregional Program Coordination, sur les questions sanitaires dans les pays caribéens.

À cette pénurie de médicaments s’est ajoutée une autre de masques et de solutions hydroalcooliques, tous deux indispensables pour le respect des gestes barrières. Pour faire face à ces difficultés, c’est une fois de plus la solidarité qui a primé. Les distilleries de l’île ont, dans un premier temps, fourni des quantités d’alcool nécessaires pour la fabrication de ces solutions. Elles ont ensuite fabriqué elles-mêmes leur gel distribué aux services de santé. Hormis cette aide venue d’une partie de l’industrie martiniquaise, ce sont les habitants eux-mêmes qui ont apporté leur aide. Les petits commerces, les restaurateurs, tout le monde a apporté son aide, en offrant par exemple des panier-repas pour les soignants. L’Armée a également apporté son aide pour la distribution de matériel et de ressources essentielles.

La seconde vague est arrivée avec plus de recul que la première, et ce malgré une forte épidémie de dengue subie avant le deuxième confinement (pouvant entrainer une forte tension hospitalière). Le CHU a déprogrammé beaucoup de traitements pour faire face à la reprise épidémique. Des opérations chirurgicales et des consultations externes non urgentes ont été repoussées. Ces dispositifs ont été instaurés pour libérer de la place afin d’accueillir les patients COVID annoncés sur la deuxième vague. Or, « cette deuxième vague n’était pas aussi importante que dans nos estimations », explique le pharmacien. Toutefois, il ajoute : « On s’est vraiment mis sur le pas de guerre. Il y a eu une deuxième vague mais dès que l’on a confiné [l’évolution de l’épidémie de COVID et de dengue] a décru ». Cette dynamique de l’épidémie justifie la décision préfectorale d’un confinement plus léger que celui mis en place en métropole.

C’est avec une certaine appréhension qu’était perçue la période de Noël. Celle-ci rimait avec l’arrivée de nombreux touristes et Antillais retrouvant leurs familles. « On craignait que les gens se contaminent en se réunissant entre eux pour Noël. On sait que le virus vient de la métropole ». Malgré ses appréhensions, Paul Jourdan ne cache pas son optimisme pour l’année 2021. Selon lui, la situation ira en s’améliorant si la population se vaccine. C’est néanmoins avec mesure que le professionnel de santé voit notre avenir. « Je pense qu’on va s’en sortir, le virus mute, il va falloir que l’on apprenne à vivre avec, comme on fait déjà. Je pense qu’en 2021 le virus sera encore là. On va avoir encore des personnes infectées. » Paul Jourdan considère ainsi, que, pour faire face à ce virus, et aux nouvelles épidémies, notre système hospitalier doit avoir plus de moyens. Il doit sortir de l’optimisation budgétaire qui a montré ses limites.

C’est sur ce dernier point que le pharmacien du CHU de Martinique a insisté. Le Covid-19 a été bien géré dans son ensemble, mais les problèmes qui existaient auparavant sont désormais encore plus visibles. La Martinique a besoin de médecins, de médicaments et d’infrastructures plus modernes, indépendamment des différents virus. À l’heure où la campagne de vaccination est en cours partout en France, elle demeure encore timide sur l’île. Elle est menée de manière confuse entre les hôpitaux et la médecine libérale, et se conjugue avec une importante réticence à se faire vacciner parmi la population . La situation est donc complexe, mais pas désespérée. 

Face au Covid-19, faire preuve de « débrouillardise »

L’Habitation Saint-Etienne (HSE) est une parfaite illustration de la situation actuelle du secteur du tourisme. C’est une rhumerie martiniquaise, située au Gros-Morne dans le centre-est de l’île. Cette exploitation comprend 35 employés, et de nombreux partenaires commerciaux et culturels. L’HSE s’est en partie développée depuis plusieurs années grâce au « spiritourisme », tourisme de bouche tourné du côté des spiritueux. Cette rhumerie est reconnue pour la qualité de ses rhums blancs agricoles, mais aussi ses rhums vieux primés à de nombreuses reprises. C’est aussi un lieu culturel qui attirait avant la pandémie de nombreux touristes, pour son Jardin Remarquable ou son espace artistique orienté autour de l’œuvre d’Edouard Glissant.

En tant que directeur commercial de l’HSE, Cyril Lawson nous a fait part d’un « choc brutal » lorsqu’il nous a décrit l’intensité avec laquelle l’épidémie a bouleversé le quotidien et les projets de l’HSE. L’entreprise a connu de nombreuses difficultés, notamment sur le plan touristique. Une partie de l’activité de la rhumerie repose sur un tourisme précis. Ces derniers se déplacent jusqu’à l’habitation pour la découvrir, la visiter, apprendre d’elle. Ce « spiritourisme » s’est soudainement arrêté avec le premier confinement. L’activité touristique est passée d’une dynamique correcte à une activité purement et simplement inexistante en trois jours. La haute saison touristique aux Antilles a vu perdre deux mois importants (mars et avril). Ces répercussions directes, entraînées par la mise en place du premier confinement, en ont entraînées d’autres. Ainsi, les diverses collaborations avec les partenaires culturels de la rhumerie (notamment les visites guidées), les projets artistiques, tout le foisonnement créatif qui fait la richesse de ce lieu s’est vu annulé du jour au lendemain. La plupart de ces projets sont encore à l’arrêt aujourd’hui. De ce fait, les visites et dégustations guidées n’ont pas repris depuis le mois de mars, malgré la légère amélioration de cet été. Confinement ou non, l’HSE, à l’instar de l’île, reste tributaire d’un trafic aérien encore largement diminué.

En outre, les exportations représentent également une activité essentielle de l’entreprise, et ces dernières ont connu une forte baisse. D’un point de vue local, le tourisme entraînait une forte demande à travers l’ensemble de l’île, dont le secteur de l’hôtellerie et de la restauration qui a été longtemps à l’arrêt. De plus, certaines ventes précises (des rhums vieux et autres produits rares) n’ont pu avoir lieu suite à la fermeture de la boutique de la rhumerie où celles-ci se faisaient. De manière générale, l’HSE a tout de même perdu 25 à 40 % de son activité depuis le mois de mars. 

Ces arrêts brutaux ont inévitablement eu des répercussions sur certains métiers et les pratiques propres à la rhumerie. Cyril Lawson a tout d’abord mentionné la réorganisation du travail, l’installation des mesures barrières afin de protéger l’ensemble du personnel et les collaborateurs de l’entreprise. Néanmoins, cette adaptation des tâches de travail nécessaire à la poursuite de l’activité a généré des inconvénients, notamment des problèmes de connexion entre la rhumerie et certains sous-traitants. Autre conséquence, tous les employés de l’entreprise ont subi une réduction de leur temps de travail, en bénéficiant du statut de chômage partiel.

Un bâtiment du site de l’Habitation Saint-Etienne, Le Gros Morne, Martinique.
©Vincent Mathiot

Pour Cyril Lawson, la crise a cependant été bien gérée dans son ensemble, engendrant des réactions différentes entre le premier et le deuxième confinement. Lors de notre entretien, l’analogie avec un cyclone a souvent été faite. Celle-ci permet d’expliquer la capacité de connaissance et les réactions face aux risques propres aux personnes vivant dans ces zones souvent soumises aux catastrophes naturelles. Cette pandémie a de nombreux points communs avec ces phénomènes météorologiques. 

Les habitants de l’île ont dû ainsi faire preuve de « débrouillardise obligatoire ». Beaucoup d’actions solidaires et un esprit d’entraide se mettent généralement en place immédiatement à l’issue des catastrophes naturelles, avant que les aides de la métropole n’arrivent. Ces réactions sont aussi dues à une bonne communication entre les autorités, les responsables politiques et les individus. Dans le cadre de l’HSE, l’entreprise a par exemple eu un rôle pédagogique à l’égard de la population, souligne Cyril Lawson. Celui-ci a aussi évoqué les difficultés liées aux crises environnementales que connaît la Martinique (pollution, sécheresse à répétition, dérèglements climatiques de plus en plus marqués). Selon Cyril Lawson, celles-ci ne viennent pas s’ajouter à la crise entraînée par le COVID-19, dans le cas de la production et des rendements de l’entreprise. L’île a récemment connu (en novembre 2019) d’importantes intempéries. Cependant, ces problèmes météorologiques ont toujours existé et sont propres aux climats tropicaux. 

La crise liée à la pandémie s’ajoute aux problèmes climatiques multiples que traverse l’île.

En revanche, depuis plusieurs années, l’exploitation perd entre 2% et 3% de son rendement. Aucune étude n’a été faite sur cette perte de rendement, mais celle-ci pourrait avoir des causes multifactorielles liées au changement climatique. La crise liée à la pandémie s’ajoute donc aux problèmes climatiques multiples que traverse l’île. Régulièrement, la Martinique comme l’ensemble des Antilles, est confrontée à une accumulation d’algues brunes sur ses côtes. Ces dernières se révèlent particulièrement nocives pour notre organisme. De plus, les épisodes météorologiques intenses sont de plus en plus fréquents. Une meilleure anticipation des risques se fait attendre, afin que les effets du changement climatique n’accroissent pas la précarité de l’île (2).

Au regard de ces informations, Cyril Lawson a aussi évoqué le futur avec optimisme. Il considère ainsi que les deux confinements, avec toutes les difficultés qu’ils ont engendrées, ont su apporter du positif, comme un regain d’intérêt des habitants de la Martinique pour leur île et sa culture locale. Ce confinement a ainsi instauré de la proximité et de l’entraide entre les habitants. L’année à venir ainsi que 2022 seront sûrement meilleures que 2020, avec l’espoir pour l’HSE de retrouver la dynamique et l’intérêt qu’on lui manifestait avant mars 2020. Les bras ne sont pas baissés pour l’HSE qui « n’est pas prête de manquer de courage ». Dans tous les cas, même s’il est en pause actuellement, le secteur touristique est prêt à redémarrer. Les choses s’organisent en fonction des imprévus, avec débrouillardise.

De nouvelles alternatives

Outre le secteur tertiaire et la question des soins en Martinique, la crise actuelle touche aussi le secteur agricole, qui voit depuis plusieurs années les difficultés s’accumuler. Pour la deuxième année consécutive, la Martinique a été confrontée à une sécheresse extrême par sa durée. L’agriculture martiniquaise n’est pas préparée à résister à des sécheresses de plusieurs mois comme en 2020. C’est l’un des dossiers majeurs pour les agriculteurs. Là encore, on fait preuve de débrouillardise et on cherche des alternatives face à une situation qui était, il y a un an encore, inenvisageable. 

Au temps du Covid-19, la vie s’organise différemment. À l’instar de l’HSE, le Jardin de Bonneville, situé sur les hauts de la Trinité, avait connu un bon début de saison touristique à l’hiver 2020. La famille Eugénia, propriétaire du jardin, a transformé depuis la fin des années 90 une friche en un jardin botanique de plusieurs hectares. Le jardin de Bonneville a ainsi officiellement ouvert ses portes en 2007. Aujourd’hui, la famille Eugénia voit le COVID-19 comme un « couperet brutal juste après les élections municipales ». Au regard des décisions sanitaires évoluant régulièrement, le jardin n’a pas pu poursuivre son activité touristique comme il l’entendait. Ses portes restent aujourd’hui fermées. Cette fermeture montre à quel point l’organisation en fonction des saisons touristiques n’est plus valable de nos jours, le trafic aérien (responsable de la majeure partie du tourisme de l’île) étant intrinsèquement lié aux mesures sanitaires.

Le Jardin de Bonneville, La Trinité, Martinique.
©Vincent Mathiot

C’est avec philosophie que les Eugénia prennent cette situation. Avec plus de 20 années de travail, la nature avait besoin de se régénérer. C’est aussi un moment où ce couple retraité a pu profiter d’une parenthèse de repos.  « Je touche ma retraite, ça nous permet de glisser. Nous avons calculé le budget, on ne se casse pas la tête », témoigne Patrick Eugénia. « On vit avec ce que l’on a. On ne va pas au-delà de ce que l’on a pas. Cette crise permet à certaines personnes de remettre en question les choses inutiles que l’on utilisait. De revenir à l’utilité des choses essentielles. »

La réouverture du site n’est donc pas imminente. Un retour à la normale est envisageable dans deux ou trois ans. Une visite de trois personnes n’est pas assez rentable. Mais le couple n’est pas défaitiste. « On reprendra un jour ou l’autre et on s’adaptera », confie Sylviane Eugénia.

La population de l’île voit avec reconnaissance la gestion de cette crise aux visages multiples. Les indemnités promises par l’État ont été reçues, tout comme certains équipements sanitaires de protection (livraison régulière des masques à domicile). La situation est certes difficile pour tous, mais elle n’est pas pour autant insurmontable. Sainte-Lucie, île du Commonwealth, est dans une situation autrement plus inquiétante. Un bon dialogue entre les individus et les acteurs politiques dont le préfet de la Martinique, Stanislas Cazelles explique cette situation. « Dans les îles on est relativement épargné, on ne subit pas la pression que vous subissez », admet le couple, sans cacher son inquiétude pour les mois à venir, avec notamment un afflux important de touristes européens et d’Antillais vivant en métropole revenus pour les fêtes de fin d’année, et la saison du carême (la saison sèche de décembre à avril) particulièrement prisée par les touristes occidentaux. La situation sanitaire peut à nouveau devenir inquiétante.

Des risques écologiques toujours plus présents

Néanmoins, cette crise sanitaire n’est pas la seule source d’inquiétudes pour les Antillais. Les dernières années ont vu se généraliser des phénomènes climatiques toujours plus violents et intenses (3). Proche de la côte Atlantique, la Trinité a subi, ces derniers mois, de fortes intempéries provoquant dans les villes voisines du Robert, Sainte-Marie et du Lorrain des inondations et des glissements de terrain. À ces problèmes, s’ajoutent pour ces villes côtières des déversements conséquents d’algues brunes plusieurs fois par an. Même si de forts cyclones n’ont pas ravagé l’île cette année, les Martiniquais remarquent des phénomènes de microclimats toujours plus intenses. Ces derniers alternent entre fortes sécheresses et épisodes de pluie violente. À cela s’ajoute aussi un risque volcanique plus important, depuis un mois dans le secteur de la montagne Pelée. Cette pandémie fait donc ressortir d’autres problèmes auxquels les Martiniquais sont quotidiennement confrontés (4).

Bien que la situation actuelle soit difficile, suscitant une grande inquiétude parmi les habitants, la Martinique tient le coup : le Covid-19 a été beaucoup moins virulent que ce que ne laissaient présager les estimations gouvernementales. Une véritable solidarité et une redécouverte de l’île par ses habitants ont été le résultat des confinements. Comme le montrent les différents entretiens, les habitants se débrouillent, font preuve d’ingéniosité face à une situation inédite, tout en faisant face à cette crise mondiale. Cet esprit d’entraide, bien que positif, témoigne d’un autre problème que connaissent encore les DROM et collectivités d’Outre-mer : les aides matérielles, financières, humaines attendues de la métropole subissent d’importants décalages entre les territoires.

La solidarité est donc souvent le premier réflexe avant que des aides plus concrètes traversent les océans. Cela peut parfois prendre du temps. Les deux vagues épidémiques en témoignent. Malgré un esprit général de débrouillardise, le bilan demeure assez inquiétant dans son ensemble, notamment sur le plan économique. Le retour à un avant est exclu pour bien longtemps. Pour l’île, l’année 2021 sera capitale. Le Covid-19 ne fait que s’ajouter à de nombreux autres problèmes et enjeux en Martinique, qui subit toujours plus fortement les effets du dérèglement climatique. C’est à ce jour la principale source d’inquiétude de l’Île aux fleurs. 

Entretiens réalisés par Vincent Mathiot avec Cyril Lawson, directeur commercial de la rhumerie Habitation Saint-Etienne (HSE) ; Patrick, Sylviane et Adélaïde Eugénia, propriétaires du Jardin et table d’hôtes de Bonneville (La Trinité 972) ; Paul Jourdan, pharmacien hospitalier au CHU de Fort de France.

Sources

(1) Allocution au Sénat du 3 décembre 2020 de la sénatrice Catherine Conconne (Parti progressiste martiniquais)

(2) Pour les projections actuelles sur le climat dans les îles caribéennes françaises, voir Louis Dupont, « Le changement climatique et ses implications économiques sur le secteur touristique en Guadeloupe et à la Martinique (Petites Antilles) », Études caribéennes [En ligne], 26 | Décembre 2013.

(3) Sur la question climatique : Sylvain Roche, Laurent Bellemare, et Sylvie Ferrari. « Rayonner par la technique : des îles d’Outre-mer au cœur de la transition énergétique française ? », Norois, vol. 249, no. 4, 2018, pp. 61-73.

(4) Sur les risques en général de la Martinique : Préfecture de la Martinique Dossier départemental des Risques Majeurs en Martinique ( 972 ), 2014.

Pour aller plus loin : Rebecca Rogly, « Le Covid-19, une bombe à retardement pour les Outre-mer», mis en ligne le 14 avril 2020, Le Vent Se Lève. https://lvsl.fr/le-covid-19-une-bombe-a-retardement-pour-les-outre-mer/