Coopératives : ils ont dit non merci patron

Non merci patron ! Ils sont salariés, indépendants ou agriculteurs et ils ont décidé de se regrouper en coopérative. Le plus souvent suite à un conflit ouvert avec leurs employeurs, acheteurs ou fournisseurs notamment de plateformes prétendument collaboratives à la Uber et cie : fermetures de sites et licenciements, politique de prix tyrannique, conditions de travail déplorables, etc. En devenant copropriétaires de l’outil de travail, ils deviennent pleinement souverains dans l’entreprise. Quoi produire ? Comment ? C’est désormais à eux qu’il revient d’en décider. Un vrai processus d’émancipation et beaucoup d’obstacles. Plongée dans le monde des coopérateurs. 

 

La coopérative comme alternative aux licenciements boursiers

 

Des ouvriers de Scop TI devant la figure du Che au-dessus duquel la phrase « on ne lâche rien » domine discrètement, immortalisés par Vincent LUCAS pour Là-bas si j’y suis en 2015

1336 n’est pas une marque de thé comme les autres. Et son nom en dit long : 1336, c’est le nombre de jours qu’a duré la mobilisation des salariés de Fralib contre la fermeture de leur usine à Géménos (Bouches-du-Rhône) décidée par la multinationale Unilever, alors propriétaire de Fralib. Presque 4 ans de bras de fer avec la direction, d’actions devant les tribunaux, d’occupations d’usine, d’interpellations des pouvoirs publics pour empêcher que la multinationale britannique ne ferme le site pourtant en bonne santé pour délocaliser la production de la marque Elephant en Pologne. Les ex-Fralib obtiennent finalement de pouvoir reprendre leur usine en SCOP : c’est la naissance de Scop-TI en 2014. En devenant les copropriétaires des moyens de production, les ouvriers ont gagné la souveraineté sur la production : c’est ainsi qu’ils ont pris la décision –  collectivement et démocratiquement soit dit en passant – de produire des thés et infusions natures ou avec des arômes 100% naturels. L’histoire des ouvriers de la glacerie « La Belle Aude » à Carcassonne, est à peu près similaire. La fermeture de la fabrique de glaces annoncée, les ouvriers entrent en lutte pour sauver leur outil de production et finiront par reprendre l’entreprise en SCOP. Les ouvriers, désormais copropriétaires de leur outil de travail, ont ainsi pu « réinventer leur métier » c’est-à-dire « faire des glaces autrement avec des produits simples, naturels, issus de productions locales, responsables. » « Vive la lutte des glaces ! » peut-on lire sur leur site.

 

Petits producteurs et « consommateurs » en lutte contre la grande distribution et l’agro-business

 

Le modèle coopératif convainc également de petits producteurs et certains « consommateurs » finaux. Au pays basque, dans la vallée des Aldudes, une centaine de producteurs de lait de brebis et de vache, excédés par les prix pratiqués par les grands groupes industriels du lait auxquels ils vendaient leur production, se sont regroupés en coopérative et ont par la suite décidé de créer leur propre fromagerie artisanale. A Colmar, ce sont aussi 35 agriculteurs qui se sont constitués en SCOP pour racheter un supermarché de l’enseigne Lidl. Le supermarché Cœur Paysan a ainsi vu le jour, permettant aux agriculteurs coopérateurs de vendre directement leurs produits aux consommateurs finaux. Plusieurs supermarchés coopératifs d’un genre nouveau ont également ouvert ces derniers temps comme La Cagette qui a été inaugurée le 6 septembre dernier à Montpellier. La Cagette, d’abord constituée en association, s’est par la suite transformée en entreprise coopérative afin de reprendre un Spar en liquidation judiciaire.  Pour pouvoir y faire ses emplettes, il faut être membre de la coopérative en achetant 10 parts sociales à 10 euros et participer à une réunion d’accueil. Toutes les décisions sont prises collectivement par les coopérateurs selon le principe « une personne, une voix » et ce, quel que soit le nombre de parts sociales. Au total, on compte une vingtaine de supermarchés coopératifs de ce genre comme La Louve à Paris ouvert en novembre 2016,  SuperQuinquin à Lille, Demain à Lyon, La Chouette à Toulouse ou Supercoop à Bordeaux. La différence avec des coopératives de consommateurs plus connues comme Système U ou Biocoop ? « La Louve » et ses émules ne sont pas des entreprises à but lucratif.

Façade du supermarché coopératif La Cagette, à Montpellier. ©Benjamin Polge pour LVSL

Et si le « produire et consommer autrement », formule creuse et typique de la langue de bois de notre époque, passait tout simplement par le dépassement de la propriété lucrative des moyens de production et d’échange ? Le socialisme en somme. Dépasser le capitalisme plutôt que de tenter vainement de le réformer, de le moraliser ou de le « verdir ». Le « développement durable », nouveau nom sympathique donné au capitalisme, n’est-il pas au fond une chimère ? Aussi, les combats contre le « court-termisme », la course à la rentabilité, la standardisation du goût, la tyrannie des prix, le chômage ou le tout-chimique sont embrassés par la lutte fondamentale contre le mode de production capitaliste qui engendre de tels phénomènes.  En y regardant de plus près, c’est bien le point de départ et d’arrivée de ces expériences de coopératives.

 

Face à l’ubérisation, les travailleurs indépendants s’organisent

 

L’exploitation capitaliste a plusieurs visages : ce n’est pas seulement la multinationale, donneuse d’ordres de sous-traitants qui exploitent toujours davantage les salariés en bout de chaîne. Ainsi, pour le sociologue et économiste Bernard Friot, le travailleur indépendant est le plus exploité des travailleurs. Parce que, sur le marché des biens et des services, il est toujours à la merci des groupes capitalistes, qu’il s’agisse de ses prêteurs, de ses fournisseurs (de plateformes prétendument collaboratives notamment) ou de ses acheteurs.  Pour le spécialiste du salariat, le contrat de travail doit être considéré comme une grande conquête des travailleurs organisés (CGT, SFIO puis PCF) des XIXème et XXème siècles puisqu’il reconnaît enfin les travailleurs comme producteurs alors qu’ils étaient jusqu’ici invisibilisés et considérés comme des « mineurs économiques », de simples êtres de besoin, et parce que les capitalistes donneurs d’ordre se sont vus imposer le statut d’employeur.

Un statut d’employeur que ces derniers ont toujours combattu, lui préférant le statut éminemment plus confortable de rentier. D’où la destruction du code du travail par « réformes » successives et l’ubérisation qui se propage dans tous les secteurs. Concrètement, « le statut d’employeur signifie que le capitaliste va devoir respecter un certain nombre droits construits par les travailleurs eux-mêmes. 3 types de droits : règles d’embauche, de licenciements et de conditions de travail, salaire à la qualification, cotisation au régime général construit par Croisat en 1946 ». Et le professeur émérite de Paris X – Nanterre d’ajouter : « ces trois éléments de l’emploi sont combattus en permanence par le capital qui tente de restaurer le travail indépendant et la sous-traitance de travailleurs redevenus invisibles [ndlr, le marchandage du 19ème siècle] : remplacement du code du travail par le « dialogue social » dans les PME […]. » L’ubérisation s’inscrit bien dans ce grand retour en arrière : Uber n’a rien de nouveau, « c’est le capitalisme tel qu’il existe au 19ème siècle : surtout pas employeur, rentier ».

Certes, l’emploi ne peut en aucun cas être considéré comme l’aboutissement de la lutte pour le travail émancipé : « le contrat de travail commence à alléger la subordination tout en la maintenant. »  C’est donc bien vers une sortie de l’emploi qu’il conviendrait de s’acheminer mais l’« ubérisation », l’une des formes de l’infra-emploi, est en quelque sorte une sortie de l’emploi « par le bas », réactionnaire, un retour aux relations sociales d’avant les luttes pour un statut du travailleur. Certains travailleurs « ubérisés » en lutte contre ces rentiers 2.0 qui les exploitent sont en train de construire la « sortie par le haut » de l’emploi en mettant en place des plateformes cette fois-ci réellement coopératives. Ce sont par exemple Coopcycle et les Coursiers Bordelais qui, dans le sillage de la lutte des livreurs contre Deliveroo, lancent des plateformes pour les livreurs sous la forme de coopératives.  En janvier, sera lancée l’application Rox, une plateforme pour chauffeurs VTC qui ne prélèvera aucune commission autre que les frais nécessaires au bon fonctionnement de l’application et un don reversé à des associations tels que les Restaurants du cœur. « Rox sera constituée en association à but lucratif mais plus tard, les travailleurs pourront s’organiser indépendamment pour monter une coopérative autour d’un outil de travail neutre. » nous a expliqué l’un des 5 concepteurs de Rox âgés de 26 à 32 ans. On peut également citer Coopaname comptant 850 membres et presque autant de sphères professionnelles allant de la bergère au comptable en passant par le boulanger ou la publicitaire ; une coopérative d’activité et d’emploi qui attire « beaucoup d’abimés du management contemporain » comme l’a expliqué Pascal Hayter, « coopanamien » depuis 2009 au journal L’Humanité. On encore Lapin blanc, la première plateforme de marché digitale française en coopérative par et pour les créateurs indépendants, lancée 3 ans après la fermeture d’A Little Market et d’A Little Mercerie par la multinationale états-unienne Etsy, le « premier plan social de l’ubérisation » selon les mots de ces nouveaux coopérateurs qui ont accepté de répondre à nos questions dans un entretien à paraître prochainement sur notre site.

 

Le parcours semé d’embuches des coopérateurs

 

A l’instar des initiateurs de Coopcycle, les coopérateurs se heurtent notamment à l’épineuse question de la « propriété intellectuelle » privée, véritable cheval de Troie des grands groupes capitalistes dans de nombreux domaines. La licence libre et l’open source ne constituent pas pour autant une alternative satisfaisante aux yeux des concepteurs de Coopcycle puisqu’ils ne permettent aucune mutualisation de la valeur afin de rémunérer le travail et les GAFA et autres groupes capitalistes peuvent tout à fait s’approprier ce travail et l’utiliser dans un but lucratif : « c’est institutionnaliser une exploitation sans limite de ce travail qui n’est pas reconnu comme travail » selon Alexandre Segura de Coopcycle.

Il n’est donc pas étonnant que l’on compte parmi les défenseurs de la licence libre, certains ultras du libéralisme économique tendance libertarienne qui n’ont bien entendu aucune velléité anticapitaliste. Il existe cependant d’autres partisans de la licence libre qui, bien conscients de ses limites, militent pour une « copy hard left », la « licence à réciprocité » qui pose comme principe que « le logiciel ne peut être utilisé commercialement que dans le cadre d’une entreprise collective appartenant à ses travailleurs, dans laquelle tous les gains financiers sont répartis équitablement ». C’est sans doute à ces derniers que pense Bill Gates lorsqu’il qualifie avec effroi les partisans du logiciel libre de « communistes au goût du jour ». C’est en tout cas avec ces communistes new look que Coopcycle travaille à l’élaboration de sa plateforme. La législation est avant tout conçue par et pour le capitalisme. Et la justice suit bien souvent le pas. Les ouvriers d’Ecopla se sont par exemple vu refuser leur dossier pourtant solide de reprise en SCOP de l’usine par le Tribunal de Commerce de Grenoble, qui a préféré céder l’entreprise à un repreneur qui licenciera tout le monde.  Le gouvernement peut à l’occasion s’en mêler et intervenir directement dans certains dossiers : on se souvient du non catégorique et purement idéologique du premier ministre Pierre Messmer à la reprise en coopérative par les ouvriers Lipp dans les années 70.

Une superstructure juridique, judiciaire et politique plutôt hostile donc. A vrai dire, le « marché » n’est pas non plus d’une grande tendresse pour les coopératives. Le papetier UPM n’a par exemple pas hésité à saboter les machines de son usine de Docelles (Vosges), la plus ancienne papeterie d’Europe, destinée à la fermeture afin d’empêcher le projet de reprise du site en coopérative par les ouvriers restés sur le carreau. Les grands industriels du lait avaient quant à eux tout tenté pour faire capoter l’ouverture de la fromagerie des coopérateurs de la vallée des Aldudes en les menaçant de ne plus leur acheter de lait du tout à moins qu’ils ne quittent la coopérative pour signer des contrats individuels avec eux. Tout cela à deux semaines de la campagne annuelle de collecte du lait. Faire pression et diviser pour mieux régner. Seuls treize producteurs ont finalement cédé face à Lactalis et consorts. Malgré les manœuvres de l’agro-business, la fromagerie a bien vu le jour et aujourd’hui, son défi principal est de se pérenniser. Même combat pour les coopérateurs de ScopTI.

Aussi, les coopérateurs se heurtent à une pensée dominante fortement ancrée qui « valorise les solutions individuelles » et qui « ne conçoit pas que l’on puisse consacrer une partie de son temps à un projet collectif » comme nous l’ont confié les coopérateurs de Lapin blanc. Un immense travail de conviction auprès de leurs confrères quant au bien-fondé de leur initiative attendait les futurs coopérateurs.

 

Faire front pour émanciper le travail

 

Les luttes des fonctionnaires, des contractuels du secteur public, des chauffeurs de VTC, des chauffeurs de taxis, des intermittents du spectacle, des travailleurs sans papier, des chômeurs, des retraités, des intérimaires, des salariés du privé, des indépendants, des associations de consommateurs, etc. ne s’opposent pas les unes aux autres. Le dénominateur commun de tous ces combats est la lutte ô combien inégale pour la souveraineté du travail dans la production contre la tyrannie du capital. C’est l’aspiration commune au travail non aliéné et non exploité pour tous quand bien même celle-ci n’est pas revendiquée telle quelle. Le patronat joue depuis toujours la division des travailleurs pour mieux régner. Ses porte-voix officiels et officieux n’ont de cesse de pointer du doigt les travailleurs en CDI et – pis encore – les fonctionnaires comme d’affreux privilégiés. Ils ne se privent pas non plus de rabrouer les chômeurs enclins, selon eux, à « l’assistanat », à la fainéantise et au caprice. C’est toute l’ineptie du discours sur les « outsiders » contre les « insiders ». Une dangereuse ineptie tant elle monte les travailleurs les uns contre les autres. Au passage, rappelons à toute fin utile que l’extrême-droite, vrai méchant utile du capitalisme, n’est pas en reste en la matière puisqu’elle plaide pour que ce soit aussi sur la base de la nationalité, des origines ethniques, etc. que la division du camp du travail au profit du capital s’opère. Aussi, le salaire à la qualification et l’ébauche d’un salaire à vie (fonctionnariat) sont aux yeux des libéraux d’abominables privilèges à abolir au nom du progrès alors que c’est précisément leur généralisation qui s’inscrirait dans le sens du progrès.

Le 20 septembre, dans la salle Ambroise Croizat de la Bourse du Travail de Paris, Coopcycle organisait la conférence « impasse de l’ubérisation : quelles solutions ? » avec la participation d’autres coopérateurs, de représentants syndicaux ( CGT, Solidaires) et politiques (FI, PCF), du Collectif des Livreurs Autonomes Parisiens (CLAP) et de Bernard Friot du Réseau Salariat. MARCO PHOTOGRAPHIE

Dans cette lutte continue pour le travail émancipé, la question de la propriété des moyens de production est centrale et les coopérateurs mènent là un combat d’avant-garde. Cependant, ces coopératives ne peuvent pas rester des ilots isolés de travail émancipé dans un océan de monopoles et d’oligopoles capitalistes. Certaines coopératives, notamment agricoles, ont parfois un siècle d’existence comme La Bretonne et pourtant, le mode de production capitaliste est plus que jamais hégémonique et la grande masse des travailleurs y reste enchaînée. Il convient alors de retrouver le chemin d’un front commun pour l’émancipation du travail et c’est notamment ce à quoi s’emploient certains acteurs des luttes coopératives. Coopcycle a par exemple lancé un cycle de conférences à Paris. Le 20 septembre, dans la salle Ambroise Croizat de la Bourse du Travail de Paris, la première de la série réunissait autour de la question « impasse de l’ubérisation : quelles solutions ? » d’autres acteurs coopérateurs (Coopaname, SMart (Belgique), le Collectif des Livreurs Autonomes de Paris (CLAP) mais aussi des représentants syndicaux (Confédération Générale du Travail (CGT) et Solidaires) des représentants politiques (Parti Communiste Français et France Insoumise) et l’association d’éducation populaire Réseau Salariat représentée par Bernard Friot.

 

Pour aller plus loin :

Article de l’Humanité consacré à Coopaname (février 2017) :

https://www.humanite.fr/uberisation-des-cooperateurs-entreprenants-plutot-que-des-autoentrepreneurs-631729

Article du collectif Les économistes atterrés sur le cas de la papeterie de Docelles, « la destruction du capital est l’œuvre du capital » (octobre 2017) :

https://blogs.mediapart.fr/les-economistes-atterres/blog/271017/la-destruction-du-capital-est-l-oeuvre-du-capital

Entretien de Bernard Friot dans la revue Ballast, « nous n’avons besoin ni d’employeurs ni d’actionnaires pour produire »  (septembre 2015) :

https://www.revue-ballast.fr/bernard-friot/

Podcast de la conférence organisée par Coopcycle « impasse de l’ubérisation : quelles solutions ? » captée par Radio parleur (septembre 2017) :

https://www.radioparleur.net/single-post/bernard-friot-uber

NB : les citations de Bernard Friot de Réseau Salariat et d’Alexandre Segura de Coopcycle présentes dans cet article sont extraites de cette conférence.

 

 

 

Faute d’amour, esquisse glaçante de la Russie contemporaine

Aliocha, enfant mis de côté dans la séparation de ses parents (Matveï Novikov).

On entre dans le film d’Andreï Zviaguintsev, Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, par des images à la fois magnifiques et inquiétantes : une forêt silencieuse et recouverte de neige, paisible mais cernée par des immeubles sinistres. On comprend dès ces premiers plans que c’est de la Russie d’aujourd’hui que le réalisateur veut nous parler, comme il a pu le faire dans Leviathan (2014), et que le portrait n’est pas réjouissant. En relatant un drame familial, le réalisateur signe un long-métrage magnifique où s’entremêlent enjeux sociétaux, politiques, familiaux qui font résonner une même question : celle de la place de l’humain dans une société éperdue d’individualisme. 

Aliocha, garçon d’une douzaine d’années aux boucles blondes et à la mine renfrognée, évolue parmi des parents – classe moyenne supérieure – qui, en plein divorce, se déchirent. Son père, Boris, s’installe avec sa nouvelle compagne, plus jeune, enceinte. Sa mère, Genia, fréquente elle aussi un autre homme, quadragénaire aisé et détaché. Entre ces deux nouvelles vies qui se dessinent, l’appartement commun mis en vente, et un fils encombrant. Faute d’amour est une traduction approximative du terme russe Нелюбовь, littéralement, « sans amour ». Cette absence d’amour s’impose violemment du début à la fin du film : l’enfant, né d’une union dépourvue de sentiments (« je ne t’ai jamais aimé », assène Genia au père de son enfant), existe tel un fardeau que l’on préfère mettre en pension tant il n’est pas envisagé dans les futurs parentaux.

« On ne peut pas vivre sans amour ». Cette phrase prononcée par le nouveau compagnon de Genia illustre le moment où le film bascule : Aliocha s’enfuit après avoir constaté avec une douleur indicible la cruelle indifférence de ses parents. Commence alors pour Genia et Boris une recherche au sein de laquelle la haine prendra le dessus sur l’espoir, entourés par des bénévoles zélés issus d’une association privée venant combler les carences de l’Etat, dont la police se montre défaitiste et dépassée.

La dimension politique du film n’échappera à personne. Il en est saturé : la corruption des élus, le conflit ukrainien font irruption via la radio qui tourne à fond dans les voitures des protagonistes, façonnant une atmosphère étouffante. L’influence de l’Eglise orthodoxe sur la société et notamment au sein de l’entreprise – Boris, salarié en apparence relativement anonyme dans une société de taille importante, se sait en danger si son divorce vient à s’ébruiter auprès de la direction – n’est pas non plus un sujet évité par le réalisateur. Ce contexte semble nourrir la haine des parents, enfermés dans une vie qu’ils n’ont pas voulue, qu’ils ne veulent plus. Dans leurs existences désormais distinctes, ils s’accrochent éperdument à leur smartphone, consultent compulsivement Instagram, cherchent les meilleurs produits dans d’immenses supermarchés. C’est ainsi que le réalisateur choisit de décrire la société capitaliste Russe du vingt-et-unième siècle : en la pointant du doigt pour mieux souligner les vides moraux et émotionnels qu’elle laisse à côté d’elle. Quitte à se donner le rôle du donneur de leçons face à des personnages qu’il n’épargne jamais. 

S’il fallait qualifier en un mot le film de Zviaguintsev, on opterait pour un adjectif : froid. Car au-delà du climat vigoureux, tout semble figé, endormi ou mort – le motif de la ruine se décline autant dans les décors que métaphoriquement. Un enfant a disparu et pourtant la police refuse d’ouvrir une enquête, ses parents règlent cruellement leurs propres comptes, sa grand-mère déverse son torrent de haine sur sa fille. C’est une Russie ultramoderne qui nous est montrée, mais c’est aussi une Russie amorphe, glaciale et paralysée – il faut souligner ici le rôle de la photographie et de l’éclairage, superbement maîtrisés.

En voyant ce film, on ne peut s’empêcher de penser aux témoins auxquels la parole est donnée dans l’ouvrage du Nobel de littérature Svetlana Aleksievitch, La fin de l’homme rouge, dont certains relatent si bien l’angoisse ressentie face au vide et aux interrogations provoquées par la chute du communisme et l’avènement de la société capitalise dans l’ex-URSS, avec ses pertes de repères, son consumérisme galopant. Et pourtant, au-delà des considérations politiques, l’intérêt du film est anthropologique et universel, il nous fait ressentir de façon bouleversante et viscérale une évidence peut-être oubliée :  on ne peut pas vivre sans amour.

Macron veut remplacer le code du travail par le code du capital

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Macron © Copyleft

Les ordonnances Pénicaud s’inscrivent dans la continuité d’un vaste projet patronal de précarité de masse, sous couvert de lutte contre le chômage de masse. Le Code du Travail s’en trouve menacé. Le gouvernement tente de maquiller, derrière une communication axée autour de la modernité et de la liberté, une politique déjà datée qui ne servira en bout de course que les grands intérêts industriels et financiers. Et au détriment des conditions de travail et de la rémunération des travailleurs.

 

Des poncifs faussement modernes

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Pénicaud © Force Ouvrière

Muriel Pénicaud affiche sa volonté de « rénover le modèle social français » qui, selon elle, « ne répond pas bien aux grands enjeux de notre temps. » Il faut « prendre en compte l’évolution du monde du travail », nous dit-elle, car « l’économie française a évolué. »

« La mondialisation, la transformation numérique, les nouvelles attentes [ndlr, lesquelles ?] des salariés […] et les besoins [ndlr, lesquels ?] des entreprises pour croître et créer des emplois » nous auraient donc propulsés dans un monde complètement « nouveau » auquel notre code du travail centenaire ne serait plus du tout adapté. En résumé, e code du travail, c’était bien avant mais il faudrait passer à autre chose.

Mais qu’est-ce que Madame Pénicaud reproche au juste au code du travail ? C’est assez simple : l’ancienne DRH de Danone le dépeint comme un carcan « qui, en gros, n’est fait que pour embêter 95% des entreprises et sanctionner les 5 % qui ne se conduisent pas dans les règles. »

Sous le vernis de la modernité, Muriel Pénicaud tient en réalité un discours aussi vieux que le code du travail lui-même, instauré en 1910. Les arguments du personnel politique pro-patronat de l’époque contre le code du travail étaient déjà les mêmes : « Vos lois sociales coulent une industrie déjà fragile ! », lançait en 1909 le sénateur Eugène Touron à René Viviani, le ministre qui a porté la loi instaurant le code du travail à l’époque. La bataille autour du code du travail, ce n’est pas le vieux monde contre le nouveau monde ; c’est le conflit continu entre le capital et le travail.

 

Un code du travail presque accusé d’être liberticide

“Liberté”, Madame Pénicaud n’a que ce mot à la bouche. Et elle la promet aux patrons et aux travailleurs : Liberté « d’entreprendre, de créer, d’aller rapidement à la conquête des marchés, ce qui veut dire se réorganiser rapidement, liberté de négocier des règles avec des syndicats, liberté d’investir sur cette innovation sociale » pour les uns. Liberté de « participer plus aux décisions de l’entreprise, de choisir une formation, de choisir son métier voire d’entreprendre » pour les autres.

Elle leur promet également la sécurité. « Plus de liberté, plus de sécurité », voilà le nouveau slogan du concept déjà usé de « flexisécurité ».  C’est la « complexité », l’« épaisseur », la « rigidité » du code du travail qui brideraient ainsi la liberté des entreprises et des travailleurs et qui mettraient à mal leur sécurité.  Selon le premier ministre, le code du travail « est aujourd’hui relativement complexe, épais ». De même, il ne croit pas « qu’il puisse venir à l’esprit de quiconque de le décrire par son extrême simplicité ou par la capacité qu’il aurait eu à effectivement protéger les Français qui travaillent. »

Il s’en faut de peu que le gouvernement n’accuse le code du travail d’être liberticide. En tout cas, à les entendre, il constituerait l’un des « freins à l’emploi ». Ainsi, en guise d’exemple, la ministre du travail explique que « l’incertitude » liée au « manque de clarté des règles et sanctions […] dissuade les petites entreprises d’embaucher ou de transformer des CDD en CDI. » Muriel Pénicaud estime en toute logique que sa réforme, combinée à d’autres mesures, contribuera à faire baisser le chômage. Là encore, cet argumentaire n’a rien de nouveau.

Jacques Le Goff, professeur émérite de droit public, rappelle qu’en 1910, les partisans de l’orthodoxie libérale s’opposaient à l’instauration du code du travail. Et ce, « par réticence de principe à tout droit du travail réputé entraver le libre fonctionnement du marché en finissant par se retourner contre ses destinataires par un effet pervers constamment souligné ». Leur argument pouvait se résumer par la formule « Plus de droit du travail, moins d’emplois ».

Et Jacques Le Goff d’ajouter : « Tel est l’argument dont on mesure la remarquable constance à travers une histoire qui l’infirme crûment. » En effet, cet argument tient plus de la croyance et du dogme que d’une démonstration par les faits. Dans l’émission C dans l’air (France 5), à la question d’un téléspectateur « Y a-t-il des exemples de dérégulation du travail ayant permis de réduire le chômage et la précarité des salariés ? », le silence gêné des « experts » majoritairement libéraux sur le plateau en dit long … « – NonNon, à ma connaissance » finiront-ils par lâcher.

 

Un rapport de force défavorable au salarié sciemment occulté

 

Le grand absent dans le discours de Macron, c’est le rapport de force défavorable au salarié dans les négociations. Un rapport de force structurellement défavorable au salarié en raison du lien de subordination qui l’unit à l’employeur que le contexte de chômage de masse et le chantage à l’emploi qui en découle, viennent accentuer. Or, Macron et ses soutiens mettent sur un même pied d’égalité salariés et patrons et misent sur « l’innovation sociale » des individus.  Dans la bouche des néolibéraux, c’est tout un lexique qui gomme méthodiquement l’antagonisme entre le travail et le capital et masque leur projet politique au service des intérêts capitalistes.

On ne dit pas lutte sociale mais « dialogue social » où l’on discute entre « partenaires ». On ne dit pas patronat mais « les entreprises ». Le gouvernement de Valls n’était pas pro-patrons mais pro-business en anglais dans le texte et il aimait l’entreprise, pas le capital. La précarité devient de la flexibilité. L’égalité de droits entre les salariés ? Non, la « rigidité du droit du travail » !

De même, ne dites pas libéralisme économique, parlez plutôt de « modernité » et de « liberté ».  Ne dites pas « uberisation » mais plutôt « mutation du travail ». Rigide/flexible, moderne/archaïque, pragmatique/idéologue, ouvert/fermé, contestataire/réformiste sont autant de clivages invoqués à tort ou à travers pour occulter le clivage fondamental entre le capital et le travail.

Un accord d’entreprise ne peut déroger aux accords de branche que s’il améliore la condition des salariés, lesquels accords de branche ne peuvent déroger au code du travail que s’ils améliorent les conditions des salariés : c’est le principe de faveur. C’est le fruit de plus d’un siècle d’âpres luttes sociales, syndicales et politiques qui ont permis de déplacer bon nombre de négociations hors du cadre de l’entreprise où le rapport de force est le plus exacerbé, afin de garantir un minimum d’égalité de droits d’ordre public entre tous les travailleurs (35 heures, congés payés, etc.).

On a ainsi érigé une hiérarchie des normes, avec, à son sommet, le Code du travail, qui s’applique de la même manière dans toutes les entreprises dès lors qu’il s’agit d’un domaine dit d’ordre public. Qu’est-ce que le progrès social ici si ce n’est d’étendre ces domaines d’ordre public en favorisant le plus-disant social ? Les ordonnances Pénicaud et d’autres lois qui les ont précédées, vont dans le sens exactement inverse puisqu’il est prévu, au contraire, de restreindre les domaines dits d’ordre public.

Ainsi, les 5 ordonnances Pénicaud permettront demain que des accords de branche sur la durée, le nombre de renouvellements et le délai de carence des CDD prévoient des règles plus défavorables aux salariés que ce que leur accorde le Code du travail. Les CDI de chantier pourront également être introduits par accord de branche dans tous les secteurs. Dans la même logique, la nature, le montant et les règles des primes (d’ancienneté, de vacances, de garde d’enfant, etc.), aujourd’hui fixés par les conventions collectives, pourront désormais être négociés entreprise par entreprise. Aussi, l’agenda social des négociations, le contenu et les niveaux de consultation seront désormais déterminés par les entreprises et non plus par les branches.

Les ordonnances Pénicaud multiplient donc les dérogations au principe de faveur dans de nombreux domaines. Elles amplifient ainsi un mouvement d’inversion de la hiérarchie des normes qui place, dans de plus en plus de domaines, l’accord d’entreprise au centre de la législation du travail, au détriment des conventions collectives et du code du travail. En fait, il s’agit d’une sorte de retour en arrière graduel vers l’époque où le code du travail et les conventions collectives n’avaient pas encore été arrachés au patronat.

Nier le rapport de force défavorable aux travailleurs, c’est aussi remettre en cause et affaiblir le rôle des syndicats dans la défense des intérêts des travailleurs. Les ordonnances Pénicaud prévoient notamment que, dans les entreprises de moins de 50 salariés, le patron puisse signer un accord d’entreprise sur tout type de sujet avec un employé non mandaté par les syndicats, voire non élu dans les TPE de moins de 20 salariés, alors que jusqu’ici, seul un délégué syndical pouvait signer un accord. Dans les entreprises de moins de 20 salariés, après négociations, le patron pourra toujours soumettre l’accord à referendum sur n’importe quel sujet et non plus seulement dans quelques domaines (travail dominical). Par ailleurs, le comité d’entreprise, le CHSCT (hygiène et sécurité) et les délégués du personnel fusionneront en un seul et même « comité social et économique ».

Et puisque l’employé est mis sur un même pied d’égalité que l’employeur, le délai de recours aux prud’hommes sera limité et ramené à 1 an pour tout type de licenciement, et les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif seront plafonnées. Les employeurs pourraient ainsi plus sereinement « budgéter » des licenciements illégaux.

Ce qui menace les conditions de travail et la rémunération des travailleurs, c’est le poison lent du nivellement par le bas (« dumping social »). Pour rester dans la course, les entreprises devront s’aligner sur leurs concurrents qui auront réussi, grâce notamment au chantage à l’emploi, à obtenir de leurs salariés, par accord d’entreprise, qu’ils acceptent les conditions de travail et de rémunération les plus « compétitives », c’est-à-dire les plus précaires.

Une loi qui s’inscrit dans un projet global de « précarité de masse »

Muriel Pénicaud détaille le plan d’attaque du gouvernement dans le JDD : « Cette réforme, ce n’est pas seulement celle du Code du travail, mais c’est un ensemble : droit du travail, retraites, pouvoir d’achat, apprentissage, formation professionnelle, assurance chômage. Quatre de ces réformes sont dans mon champ de responsabilité. Aucun de ces six éléments ne peut se comprendre sans les autres. C’est un Rubik’s Cube : on ne réussit pas un côté sans réussir l’autre. »

En effet, ces ordonnances ne sont que la énième étape d’un grand projet patronal de « précarité de masse » qui suit son cours et dans lequel s’inscrivaient déjà les lois Macron et El Khomri. Au nom de la lutte contre le chômage de masse, les gouvernements pro-patronaux qui se succèdent accompagnent un grand mouvement de précarisation généralisée des conditions de travail et de rémunération.

Dans une note pour la banque Natixis, Patrick Artus s’inquiète d’une possible « révolte des salariés » face aux « inégalités des revenus toujours plus fortes, la déformation du partage des revenus en faveur des profits, la hausse de la pauvreté, la faible hausse du salaire réel depuis 2000 et la hausse de la pression fiscale ». Cette révolte aboutirait à une hausse des salaires. Celle-ci bénéficierait aux ménages, mais pas aux actionnaires, ni aux finances publiques, ni aux grands groupes.

Il n’est donc nul besoin d’être marxiste pour constater que salariés et actionnaires ont des intérêts contradictoires. Les gouvernements « pro-business » ont conscience de cet antagonisme social bien qu’ils l’occultent volontairement, voire le nient dans le débat public ; c’est la raison pour laquelle ils procèdent graduellement par « réformes » successives. Le voilà, leur pragmatisme.

Richesse et pauvreté en Allemagne

L’une des sources d’inspiration de Macron, c’est l’Allemagne où, avec les lois Hartz, le chômage de masse dans les statistiques a été remplacé par une précarité de masse dans les foyers suite à la prolifération de l’infra-emploi (temps partiel subi, mini-jobs, etc.). On mesure aujourd’hui l’ampleur des dégâts sociaux d’une telle politique : la hausse de la pauvreté est telle outre-Rhin que même le FMI, cheval de Troie du néolibéralisme dans le monde, s’en est inquiété et a alerté Berlin en mai dernier.

Tel est l’horizon de la « modernité » d’Emmanuel Macron et de Muriel Pénicaud. Parce que c’est leur projet.

Crédit photos : 

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https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/allemagne-riche-pauvre

Michel Houellebecq et la politique : le grand malentendu

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© Fronteiras do Pensamento | Luiz Munhoz

A chaque publication d’un roman de Michel Houellebecq, le débat est vif entre les journalistes, mais aussi entre les militants politiques de tous bords et entre de nombreux citoyens. Une chose est sûre, son oeuvre ne laisse personne indifférent et les critiques à son encontre sont nombreuses, jusque sur LVSL. Mais au lieu de réduire Michel Houellebecq au statut dépassé d’écrivain engagé, ne faudrait-il pas s’appuyer sur ses écrits pour penser la société libérale ?

La légende de l’écrivain engagé

A droite comme à gauche, de nombreux commentateurs cherchent dans l’œuvre de Michel Houellebecq les marques d’une pensée politique. Il est vrai que de Soumission à Extension du domaine de la lutte, Houellebecq décrit avec acidité la société libérale occidentale. L’affirmation selon laquelle il serait un auteur engagé a pris de l’ampleur à la faveur de la parution de son dernier roman, Soumission, paru le jour des attentats islamistes qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Le roman décrivant la lente ascension d’un parti islamiste qui finit par gagner les élections en France entrait douloureusement en résonance avec l’actualité, si bien que certains ont voulu faire de Houellebecq un « visionnaire », tant pour servir l’absurde théorie du Grand Remplacement que pour fustiger la montée d’un sentiment anti-musulmans en France.

En réalité, cette volonté de faire de Houellebecq un écrivain engagé remonte au début de son succès littéraire, notamment suite à la publication de Plateforme en 2001. Comportant des réflexions critiques envers l’islam, on avait cherché à démontrer que Houellebecq prenait parti à travers ses romans. C’est que le milieu littéraire français a du mal à s’imaginer qu’un grand écrivain, qui rencontre un succès critique et commercial, n’ait pas de volonté d’agir sur la société de son temps. De Zola à Camus, la tradition de l’intellectuel engagé était trop forte pour que l’on n’essaye pas d’y faire entrer Houellebecq contre son gré.

Or, comme souvent, un simple retour à l’œuvre de l’écrivain suffit à se rendre compte que son projet littéraire n’est pas de se positionner par rapport à l’ordre du monde : il s’agit surtout de le décrire, à la manière d’une autopsie. Houellebecq et ses personnages regardent la politique de manière lointaine, comme un amusement. Le personnage principal de Soumission est à ce titre extrêmement révélateur : il regarde les débats de la présidentielle comme il regarderait une émission de téléréalité, pour le spectacle, en mangeant des plats surgelés. Ce même héros affirme d’ailleurs être « aussi politisé qu’une serviette de toilette » : dans une société occidentale où le mal-être est le lot commun, la politique n’apparaît que comme une forme de divertissement particulièrement grotesque voire incompréhensible. C’est ce qui fait dire au narrateur d’Extension du domaine de la lutte : « Ainsi peut-on, à la rigueur, imaginer un dépressif amoureux, tandis qu’un dépressif patriote paraît franchement inconcevable. » La fiction de l’écrivain engagé, militant, ne résiste pas à la lecture de son œuvre.

L’impossible retour au religieux

Mais les écrits de Michel Houellebecq n’en restent pas moins utiles pour penser la société contemporaine, notamment en ce qui concerne la place du religieux au sein de celle-ci. On observe à ce titre une évolution intéressante au fil de sa carrière. A la parution d’Extension du domaine de la lutte, son premier roman, en 1994, le narrateur rejette la religion : il voit parfois un ami, prêtre dans une paroisse difficile, qui cherche à le persuader que la dépression qui le frappe, et qui frappe en réalité l’intégralité de la société, est liée au fait que le monde occidental a rejeté l’idée d’une transcendance divine au profit de la main invisible du marché.

A l’autre extrémité de son œuvre, on trouve Soumission, dont le seul titre montre que c’est un roman imprégné d’une réflexion sur la religion. Spectateur désabusé et quelque peu craintif face à la montée en puissance d’un parti islamiste modéré, le narrateur prend d’abord peur lorsque ceux-ci arrivent au pouvoir. Mais dans les dernières pages du livre, il se convertit à l’islam et ses problèmes personnels semblent disparaître, dans un contexte où chaque aspect de sa vie est désormais marqué par des rites religieux qui le dépassent. L’ouvrage laisse une impression contrastée : si le narrateur semble promouvoir l’islam comme moyen de retour à une société épargnée par les ravages du libéralisme, tout le reste de l’ouvrage semble empreint d’une sourde hostilité envers cette religion, quoique le narrateur en vante régulièrement les mérites, notamment en terme de contrôle des femmes.

En réalité, Houellebecq n’a fait que fantasmer cette histoire, il n’a jamais voulu jouer au lanceur d’alerte voulant prévenir la France d’une prétendue montée en puissance de l’islam politique : il le dit lui-même, Soumission est une fable. C’est d’ailleurs l’avis d’Agathe Novak-Lechevalier, Maître de Conférences à Paris-X et spécialiste de l’oeuvre de Michel Houellebecq, qu’elle développe notamment dans la dernière livraison des Cahiers de l’Herne consacrée  à l’écrivain.

« Nous voulons quelque chose comme une fidélité, / Comme un enlacement de douces dépendances, / Quelque chose qui dépasse et contienne l’existence ; / Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité.»

Or c’est bien sous le prisme de la fiction, de l’irréel, qu’il faut aborder le religieux chez Houellebecq : l’intégralité de son œuvre peut être lue comme une quête de sens sans cesse inaccessible. Et la recherche de ce sens passe, en partie, par la recherche de Dieu. Mais dans le même temps, Houellebecq comme ses personnages sont conscients que cette quête est vaine, et qu’un retour au religieux est impossible. Il le dit d’ailleurs dans l’un de ses poèmes : « Nous voulons retourner dans l’ancienne demeure / Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange, / Nous voulons retrouver cette morale étrange / Qui sanctifiait la vie jusqu’à la dernière heure. / Nous voulons quelque chose comme une fidélité, / Comme un enlacement de douces dépendances, / Quelque chose qui dépasse et contienne l’existence ; / Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité.»

Un moyen de penser la société libérale

Le grand thème de l’œuvre de Michel Houellebecq, c’est la société libérale. La critique de ce système est explicite dans son premier roman, où de longs passages tiennent plus de l’essai que du romanesque. Certains ont d’ailleurs voulu voir en Houellebecq l’un des principaux penseurs antilibéraux de notre temps, comme son ami économiste Bernard Maris qui a publié, en 2014, un Houellebecq économiste où, en s’appuyant sur son œuvre, il réactualisait la pensée de grands économistes.

Mais le principal intérêt de l’analyse Houellebecq est qu’elle fait du libéralisme un fait social total, au sens où ce système mobilise l’intégralité de la société, et pas seulement la sphère économique ou l’Etat. Le postulat du narrateur d’Extension du domaine de la lutte permet de lire toute l’œuvre de Michel Houellebecq au prisme de cette critique du libéralisme : « Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l’amour tous les jours; d’autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l’amour avec des dizaines de femmes ; d’autres avec aucune. C’est ce qu’on appelle la « loi du marché ». » Dans notre société, la sexualité et, plus largement, les rapports sociaux codifiés par une culture de masse américanisée, sont devenus un système de différenciation sociale aussi puissant que la différenciation par l’argent.

Certes, Houellebecq n’a rien inventé à ce sujet. La société qu’il décrit a notamment été théorisée par le philosophe marxiste Michel Clouscard qui, pour décrire l’occident post-mai 68, parlait de « libéralisme-libertaire ». Dans cette optique, libéralisme économique et libéralisme social vont de pair, le second servant à mieux faire accepter le premier. Au fur et à mesure que l’on fait progresser le marché sur le plan économique, on l’introduit également dans la sphère sociale, sous la bannière d’un prétendu progrès social vidé de sa substance. Dans les faits, il s’agit d’étendre la compétition qui a lieu dans la sphère économique à la sphère des rapports sociaux. De ce point de vue, on peut considérer que les sites de rencontres qui fleurissent aujourd’hui se posent en intermédiaires pour gérer l’offre et la demande de rapports humains, afin de connecter des personnes trop occupées par leur travail ou trop découragées pour faire de vraies rencontres.

Nous l’avons dit, Houellebecq n’est ni un écrivain engagé, ni un révolutionnaire. Dès lors, son œuvre n’a pas pour but de donner des moyens à ses lecteurs de contrer la société libérale, précisément parce que Houellebecq estime que cette société du mouvement perpétuel, où l’on oublie de penser, est impossible à renverser. Néanmoins, si l’on veut changer le monde, il faut commencer par le comprendre : en ce sens, les écrits de Michel Houellebecq sont une source précieuse. Au-delà des chiffres monstrueux que produit le système libéral (taux de chômage, de pauvreté, de suicide), Houellebecq met un visage et des sentiments sur une réalité si mouvante qu’elle est parfois difficile à appréhender au quotidien. A travers des personnages souvent touchants, parfois violents, constamment en lutte contre eux-mêmes et contre les autres, il insuffle une dose de réalité et d’humanité dans la critique du libéralisme.

Pour aller plus loin :

HOUELLEBECQ M., NOVAK-LECHEVALIER A., Cahier Houellebecq, Editions de l’Herne, 2017, Paris

MARIS B., Houellebecq économiste, Flammarion, 2014, Paris

MONVILLE A., Le néocapitalisme selon Michel Clouscard, Editions Delga, 2016, Paris

Crédits:

http://www.newstatesman.com/culture/books/2015/01/michel-houellebecq-france-s-literary-provocateur

https://www.understandfrance.org/France/FrenchLiterature.html

 

 

Rapport Oxfam : 8 milliardaires se goinfrent quand les autres tirent la langue

Le titre a fait la une de tous les médias depuis la sortie du rapport annuel d’Oxfam sur la pauvreté : 8 hommes détiennent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. La formulation choque à raison, mais le rapport va bien au-delà de ce constat.

oxfam richesses
Image : Oxfam

Bill Gates, Amancio Ortega, Warren Buffett, Carlos Slim Helu, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Larry Ellison et Michael Bloomberg. À eux huit, ces hommes détiennent un patrimoine net cumulé de 426 milliards de dollars ; c’est plus que les 3,6 milliards les plus pauvres de la planète. En 2015 le groupe équivalent comptait 62 personnes, et ils étaient 388 en 2010[1]. Aujourd’hui plus que jamais, l’indécence a des noms et des visages, elle se compte sur les doigts de nos deux mains.

Les critiques ont rapidement fusé, indiquant qu’un tel rapport mondial compare nécessairement des situations nationales très différentes. Pourtant, 8% de ces 3,6 milliards de plus pauvres vivent en Europe. En France, 21 milliardaires[2] possèdent autant que les 40% les plus pauvres de la population. Liliane Bettencourt apparaît sans surprise en tête de liste, quand en il y a quelques mois à peine le Canard enchaîné révélait qu’elle n’avait pas contribué à l’ISF en 2015.

« À quoi cela est-il dû ? Les grandes entreprises et les plus fortunés jouent un rôle déterminant. »

Oxfam indique par ailleurs clairement les causes principales de ces inégalités criantes. Si les salaires de nombre de PDG s’envolent, les salaires de base des travailleurs et des producteurs continuent de stagner, voire de diminuer. La réduction du coût de la main-d’œuvre amène dans trop de cas au recours au travail forcé et à l’esclavage[3]. L’optimisation des bénéfices passe aussi par l’évasion fiscale devenue tristement habituelle, bien que les taux d’imposition sur les sociétés soient en baisse partout dans le monde. De fait, selon le rapport, Apple aurait été imposé à seulement 0,005 % sur ses bénéfices réalisés en Europe en 2014.

Le rapport souligne également les causes systémiques de ces inégalités. En premier lieu figure le capitalisme actionnarial outrancier : la part des bénéfices revenant aux actionnaires dans le monde est toujours plus importante, et profite par là majoritairement aux plus riches. Le lobbying accru et la perméabilité des milieux politique et entrepreneurial sont également en cause. Le capitalisme de connivence favorise les entreprises aux dépens des citoyens, notamment en termes d’exonération fiscale. En ce qui concerne les immenses fortunes, elles sont à la fois les symptômes et les piliers de ces inégalités croissantes : parmi eux figurent les plus gros actionnaires, dont l’influence sur le comportement des entreprises est fondamentale.

« Les trois-quarts de la pauvreté extrême pourraient être éradiqués à l’aide des ressources existantes »

Oxfam nous offre finalement un rapport qui ne manque pas de propositions. La réforme démocratique est partout nécessaire, pour des gouvernements qui œuvrent au bien de tous, de ces 99% qui ne sont ni lobbyistes ni de grandes fortunes. À l’échelle supranationale, la coopération est fondamentale sur bien des aspects : mettre fin aux paradis fiscaux, créer un impôt juste pour les sociétés, protéger les travailleurs et l’environnement. Une économie humaine ne pourra par ailleurs pas se passer d’un traitement égal des hommes et des femmes. L’égalité salariale, l’accès à l’éducation et aux soins et l’autonomisation quant aux normes sociales liberticides sont des priorités. La question environnementale ne peut pas non plus être écartée. Une économie viable impose une sortie au plus vite des énergies fossiles et d’en finir avec la dette écologique.

Ce rapport nous interpelle une fois de plus quant à l’urgence d’une économie qui remet l’humain au centre de son fonctionnement et qui se défait d’indicateurs économiques creux. Ce que nous rappellent ces 8 milliardaires, c’est que la misère a des responsables, et que l’éradication de la pauvreté extrême n’aura pas lieu sans l’éradication de l’extrême concentration des richesses.

Sources :

[1] https://www.oxfam.org/fr/salle-de-presse/communiques/2016-01-18/62-personnes-possedent-autant-que-la-moitie-de-la-population

[2] Les 21 milliardaires français les plus riches sont, en ordre décroissant de leur patrimoine net :

Liliane Bettencourt : héritière de la marque de cosmétiques l’Oréal ; Bernard Arnault : propriétaire du groupe de luxe LVMH ; Serge Dassault : président du groupe aéronautique Dassault ; Francois Pinault : fondateur de Kering un des leaders mondiaux de l’habillement et des accessoires ; Alain Wertheimer et Gerard Wertheimer : propriétaires de Chanel et des cosmétiques Bourjois ; Xavier Niel : fondateur du fournisseur d’accès internet et opérateur mobile Free ; Emmanuel Besnier : PDG de Lactalis ; Jean-Claude Decaux : fondateur de la société JCDecaux ; Patrick Drahi : président-fondateur du consortium luxembourgeois Altice, principal actionnaire du groupe SFR, de Virgin Mobile; Vincent Bolloré : PDG du groupe Bolloré et à la tête des conseils de surveillance de Vivendi et du groupe Canal+ ; Pierre Bellon : fondateur et président d’honneur de Sodexo ; Carrie Perrodo, propriétaire et co-fondatrice du groupe pétrolier Perenco, Martin & Olivier Bouygues : respectivement PDG et Directeur général délégué du groupe Bouygues ; Michel Leclercq : fondateur de Decathlon ; Alain Merieux : fondateur de bioMérieux, leader mondial de la microbiologie ; Bernard Fraisse, fondateur de Fareva, important sous-traitant pharmaceutique ; Marie Besnier Beauvalot, une des héritières du groupe Lactalis ; Jean-Michel Besnier : un des héritiers du groupe Lactalis ; Jean Pierre Cayard : directeur de la Martiniquaise, spécialisée dans la fabrication et la distribution de vins et spiritueux ; Louis Le Duff : fondateur du Groupe Le Duff, qui regroupe des enseignes de restauration et d’alimentation telles que Brioche Dorée, Del Arte, Bridor, etc.

Source : https://www.oxfamfrance.org/communique-presse/justice-fiscale/davos-2017-huit-personnes-possedent-autant-que-moitie-plus-pauvre

[3] Selon l’Organisation internationale du travail, 21 millions de personnes sont en situation de travail forcé, générant quelque 150 milliards de dollars de bénéfices chaque année.

Source : http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID,P12100_LANG_CODE:3174672,fr

 

L’écologie doit être un virage à gauche !

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En quoi l’écologie est-elle nécessairement un virage à gauche ? La question écologique est devenue majeure et incontournable en ce sens qu’elle cristallise les points de rupture entre le vieux monde et celui qui se prépare. L’heure est plus que jamais au combat des valeurs, à la confrontation des idéologies pour débattre du monde que nous souhaitons demain.

Le Capitalisme est un système nocif

La multiplicité des symptômes d’un monde capitaliste en perdition ne fait plus aucun doute. Personne ne peut plus ignorer les catastrophes environnementales, sociales, économiques et politiques qui ont lieu chaque jour, ni celles qui s’annoncent, plus violentes encore. L’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés rend inévitable l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. Nombre de politiciens se sont compromis par leur soutien apporté à des politiques environnementales fades et dévoyées. Cette « croissance verte » a pour objectif déguisé d’absorber toutes velléités révolutionnaires. Les exemples de politiques verdies sans pour autant questionner notre système de production et de consommation se multiplient. La politique environnementale envisagée par la frange libérale s’inscrit ainsi dans cette dynamique d’absorption et d’ écrasement des oppositions. Pour illustrer ce propos, on pourra citer le fait de remettre en cause le principe de précaution, d’exploiter les ressources naturelles et les peuples à des fins de croissance et d’hégémonie économique, de se compromettre au point de subordonner la biodiversité à des ‘priorités’ financières et économiques (Notre-Dame-des-Landes). Ce sont autant de points qui nous rendent insupportable l’idée d’une compatibilité des enjeux environnementaux et sociaux avec l’idéologie capitaliste. De Macron à Fillon en passant par Valls, aucune remise en cause du vieux monde à l’horizon. En somme, « être de gauche c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite c’est l’inverse. »[1].

ecologie

La pensée de gauche, histoire de luttes

Le dépassement des clivages gauche-droite et la restructuration de l’échiquier politique français sont devenus des incantations récurrentes sur nombre de plateaux télévisés. Bien plus, cette posture confère à ceux qui s’en réclament des grands airs d’intellectuels avant-gardistes. Mais si nous entendons tout reconstruire, toute réinventer, c’est l’avenir du capitalisme et du libéralisme économique qu’il nous faut remettre en cause. La pensée de gauche, bien que celle-ci héberge historiquement une multiplicité de courants, a été forgée sur l’autel des idéaux d’égalité, de justice sociale et de critique de l’ordre social. Etre de gauche c’est ainsi refuser l’ordre établi des choses, le monde tel qu’il ne va pas, aujourd’hui plus que jamais. Nous sommes au pied du mur. Comme le souligne Razmig Keucheyan « le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle, pour une raison simple : il a les moyens de s’adapter à la crise environnementale.» [2] Au regard de l’ampleur de la crise qui s’ annonce et de la tâche qui nous incombe, il convient de projeter un idéal commun. Et cet idéal commun qui se dessine, c’est celui d’une transition écologique pour permettre aux masses populaires en première ligne de la crise écologique de s’émanciper. La crise écologique globale est la conséquence du système de production capitaliste, et de ses corollaires de croissance et de consommation aveugles. Pour répondre à cette crise qui englobe les injustices sous toutes leurs formes, il faut donc s’engager dans la lutte contre celui-ci. Il faut assumer la radicalité de nos oppositions. Le capitalisme ne s’éteindra pas de lui-même, il faut l’achever.

L’ écologie est un virage à gauche

A entendre certains, l’Ecologie serait ainsi « ni-de-droite-ni-de-gauche ». L’Ecologie s’élèverait au-dessus de tout rapport de force (qu’on profite au passage pour vider habilement de leur substance). Pourtant, la question environnementale est intimement liée à des conséquences sociales. Il est clair qu’à la crise écologique correspondent les inégalités sociales. Les pauvres sont davantage touchés par les catastrophes environnementales. Les ouvriers sont les plus exposés aux pollutions et aux maladies qui y sont liées. Les peuples de l’hémisphère sud sont en première ligne des conséquences géopolitiques de la course aux ressources naturelles. En somme, le droit à un environnement sain est un luxe ! Postuler que l’écologie dépasse le clivage gauche-droite c’est nier de fait les antagonismes économiques et sociaux liés à la question environnementale. Favoriser les combats à l’intersection des enjeux écologiques et sociaux ancre donc profondément l’Ecologie à gauche, celle des luttes. Plus que la préservation des espaces et des espèces, l’écologie est un socle politique qui conditionne les aspirations d’une société, ses projets à long terme, les finalités de son projet démocratique. Ecologie et projet d’émancipation politique et sociale sont ainsi indissociables et constituent les clés d’une alternative concrète. Et quoi d’autre que la pensée de Gauche pour porter ce projet ?

Si l’Ecologie est à gauche, c’est justement parce qu’elle rend le fait de repenser le rapport au capital absolument inévitable. Et c’est bien ce rapport au capital (financier et naturel), structure à l’origine de la dégradation de l’environnement et des inégalités sociales, qui anime les forces vives de la gauche et concentre le fond du problème. L’Ecologie est inévitablement ancrée à gauche parce qu’elle ouvre le champ des possibles politiques. Au sens de vie de la cité, elle exige de réinventer le commun. Elle rend inévitable de redéfinir notre rapport au travail, au temps, aux loisirs, à l’écosystème et aux générations futures. Elle nous pousse à nous libérer en pensée et en actes des fers d’une société où tout est marchandise, où la course au profit et à l’argent sont devenus les fondements de nos existences. L’émancipation comme projet, c’est bien l’essentiel de ce que nous souhaitons.

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Illustration de Pavel Constantin.

[1] Gilles Deleuze, 1988.

[2] R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille, 2014.

“En 2015, la pauvreté a tué des dizaines de millions de personnes” : le constat terrifiant de Jean Ziegler

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Pauvreté mondiale galopante, inégalités vertigineuses entre pays riches et pays pauvres, toute-puissance des marchés financiers et des multinationales, militarisation des grandes puissances… c’est un sombre tableau que brosse Jean Ziegler dans son nouveau livre, Chemins d’Espérance. Le titre semble ironique tant le constat est pessimiste. Selon l’auteur, membre du Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU, quelques décennies de mondialisation capitaliste ont suffi pour enterrer les promesses d’un monde égalitaire et pacifique qui ont accompagné la création des Nations Unies.


“Le rêve d’un ordre régi par les Droits de l’Homme a été tué dans l’œuf au sein d’un monde dominé par les grandes puissances économiques”

Tout n’avait pourtant pas mal commencé. L’avènement de l’Organisation des Nations Unies (ONU), à l’issu de l’effroyable Seconde Guerre Mondiale, avait suscité d’immenses espérances. Contre la misère et l’exploitation qui frappaient des milliards de personnes, l’ONU affirmait que les plus pauvres avaient droit à l’existence et à la dignité. Contre l’ordre colonial du monde qui prévalait alors, les Nations Unies ont inscrit dans le droit international l’égale souveraineté des nations les unes par rapport aux autres. L’utopie était belle. Elle n’a pas duré. Selon Jean Ziegler, la faillite des Nations Unies s’explique essentiellement par deux phénomènes : le triomphe du capitalisme mondialisé et l’apparition d’un nouvel impérialisme qui en est le corollaire. 

Nations Unies contre capitalisme mondialisé

Ce rêve d’un ordre régi par les Droits de l’Homme a été tué dans l’œuf au sein d’un monde dominé par les grandes puissances économiques. Ziegler cite plusieurs statistiques terrifiantes : les 1% de personnes les plus riches de la planète possèdent 50% de la richesse mondiale. Les 500 plus grandes entreprises multinationales contrôlent 58% du commerce mondial brut ; c’est-à-dire 58% des richesses produites. Jean Ziegler constate qu’aujourd’hui, les grandes puissances économiques sont devenues des acteurs plus importants que les nations sur la scène internationale. Que reste-t-il alors du vieux rêve de mettre en place un ordre régi par des Nations Unies ?

Les conséquences sociales de cet ordre mondial dominé par ces grandes puissances économiques glacent le sang : selon un rapport de la FAO, ce sont 58 millions de personnes qui sont mortes en 2015 à cause de la faim, de la soif ou de maladies que l’on pourrait facilement soigner… Et ce, alors que les ressources mondiales et la technologie contemporaine permettraient que plus une seule personne sur terre ne meure de faim, de soif ou de maladies guérissables. « Un enfant qui meurt de faim meurt assassiné », conclut Jean Ziegler.

“La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans poing visible”

Comment ce capitalisme impitoyable s’est-il imposé ? Comment le rêve des fondateurs de l’ONU, celui d’un monde basé sur le droit et l’égalité des nations, a-t-il pu être brisé avec autant de violence?

L’impérialisme, bras armé du capitalisme mondialisé

Selon Jean Ziegler ce capitalisme s’appuie sur l’interventionnisme des nations les plus puissantes de la planète, en particulier celui des Etats-Unis d’Amérique. Il cite Thomas Friedman, conseiller de Madeleine Albright, ambassadrice aux Nations Unies sous Bill Clinton : « Pour que la mondialisation fonctionne, l’Amérique ne doit pas craindre d’agir comme la superpuissance invisible qu’elle est en réalité. La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans poing visible ». Derrière l’Empire, le Capital.

Madeleine Albright, ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU puis secrétaire d’Etat sous Bill Clinton, avait notamment choqué ses contemporains en justifiant la mort de 500.000 enfants irakiens, tués à cause de l’embargo que les puissances occidentales imposaient à l’Irak. Le prix à payer pour faire fonctionner la “main invisible du marché” selon les mots de son conseiller Thomas Friedman…

“Les Etats-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force”

Les Etats-Unis ont pour vocation d’apporter au monde la liberté et la démocratie ; à coup de bombes si nécessaire. L’ONU avait mis en place un système de droit international basé sur l’autodétermination des peuples et l’égale souveraineté des nations : un moyen de protéger les nations les plus faibles contre les nations les plus puissantes. « Le Burundi a la même souveraineté que les Etats-Unis. C’est absurde ? Oui, c’est absurde. C’est contre-nature ? Oui, c’est contre-nature. C’est ce qu’on appelle la civilisation » résume Régis Debray. L’impérialisme américain réduit à néant cet espoir d’un monde multipolaire dans lequel régnerait l’égalité des nations : « les Etats-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force », estime Jesse Helms, Commissaire des Affaires étrangères au Sénat de 1995 à 2001. Comme au temps des colonies, le monde se retrouve donc divisé entre les peuples qui possèdent la civilisation et ceux qui ne la possèdent pas encore.

La mondialisation capitaliste s’appuie également sur un système financier monstrueux qui endette les pays du monde entier ; cet endettement est favorisé par les grandes institutions financières comme le Fonds Monétaire International (FMI) ou l’Union Européenne, dont Jean Ziegler estime qu’il n’y a plus rien à attendre. Les gouvernements des pays endettés sont contraints par ces organismes à mettre en place des plans de libéralisation et de privatisations, bénéfiques pour les grandes sociétés multinationales et les banques, ruineux pour les peuples.

L’ONU: l’instrument des grandes puissances

Selon Ziegler, l’ONU est une institution dominée par les grandes puissances à cause du système de veto qui donne un pouvoir considérable aux cinq membres du Conseil de Sécurité. Les Américains, ajoute-t-il, noyautent les postes les plus importants. Il consacre quelques pages à retracer le parcours de l’actuel secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon, dont il dénonce la proximité avec les Etats-Unis et qu’il qualifie de « petit fonctionnaire à la solde des Américains ». Jean Ziegler a fait preuve d’un courage manifeste en retraçant son parcours dans son nouveau livre, car ce faisant il a enfreint la loi qui prescrit aux membres de l’ONU de ne pas révéler le contenu des séances auxquelles ils participent. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à instrumentaliser l’ONU. La Chine et la Russie, qui possèdent chacun un poste au Conseil de Sécurité de l’ONU, posent systématiquement leur veto à l’égard de toutes les initiatives politiques ou humanitaires qui iraient à l’encontre de leurs intérêts.

Chemins d’espérance ? Le ton du livre est amer et certaines pages désespérées. En ce début de XXIème siècle où des criminels de guerre comme Henry Kissinger sont considérés comme des héros, où le Qatar siège au Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU, où le monde entier est converti au capitalisme sauvage, et où les rares Etats qui lui résistent sont considérés comme des parias, on a souvent du mal en lisant ce livre à voir où se trouve « l’espérance » mentionnée dans le titre.

Henry Kissinger, ex-secrétaire d’Etat américain, est considéré par le gouvernement français et américain comme une référence en matière de politique internationale. Jean Ziegler, qui s’en indigne, consacre de longs développements à rappeler les crimes dont Kissinger fut responsable ; il orchestra, entre autres, les bombardements au Cambodge qui firent des centaines de milliers de victimes civiles durant la guerre du Vietnam. 

chemins-desperanceL’espérance, Jean Ziegler la voit dans une possible réforme des Nations Unies. Une refonte basée sur deux piliers : la suppression du droit de veto accordé aux grandes puissances ; la mise en place d’un « droit d’ingérence humanitaire » qui permettrait à l’ONU d’intervenir, au nom des Droits de l’Homme, dans la politique de gouvernements souverains. C’est ici que le bât blesse ; on voit mal la différence fondamentale entre le « droit d’ingérence humanitaire » prôné par Jean Ziegler et celui des néoconservateurs américains qu’il dénonce. On voit mal comment la solution de Ziegler pourrait ne pas contenir en son sein les mêmes dérives que les interventions militaires actuelles. Si l’ONU a le pouvoir d’intervenir militairement (via une armée onusienne ou via des armées nationales coalisées, Ziegler ne le précise pas) sans le consentement de l’intégralité de ses Etats-membres, on ne voit pas comment cela empêcherait les grands Etats de se coaliser contre les petits, et comment l’ONU pourrait être autre chose que le bras armé d’un nouvel impérialisme…

Cette réserve ne change rien : le nouveau livre de Jean Ziegler mérite d’être largement lu et diffusé. Depuis plusieurs décennies, son auteur tente d’alerter le monde sur la menace que représentent le capitalisme débridé et la toute-puissance des grandes sociétés multinationales ; depuis la Chute du Mur, son discours a été marginalisé et calomnié, les opposants au capitalisme considérés comme des opposants à la liberté. Mais le réel est tenace et les faits sont têtus : le capitalisme n’a éliminé ni la pauvreté, ni la dictature, ni la guerre, et ce livre est ici pour nous le rappeler.

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Quels vœux pour 2017 ? Entrer en Décroissance

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Chroniques de l’urgence écologique

         L’an 2017 est là. C’est l’occasion de présenter mes vœux à ceux qui me lisent. Mais aussi d’engager le dialogue sur la Décroissance, en réponse à un précédent article publié sur Le Vent se Lève.

Décroissance : un mot choc pour lutter

         J’aime répéter que l’urgence écologique qui met en péril notre écosystème et notre humanité est le plus grand défi auquel nous devrons faire face. Attentats à répétition, écocides, exploitation des ressources au détriment des peuples autochtones, licenciements, suicides, croissance exponentielle des dividendes et des revenus du capital, réchauffement climatique… Autant d’indicateurs qui appellent à bouleverser notre vision du monde et à changer nos référentiels. S’il est une solution à nos problèmes, celle-ci ne peut être que politique. Mais on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique qu’Hans Jonas nomme « éthique du futur ». C’est-à-dire une éthique qui veut préserver la possibilité d’un avenir pour l’être humain. Réalisons que « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement et […] économiquement. »1 Admettons que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de penser une alternative concrète et radicale à un système cancéreux. La convergence des crises nous plonge dans un état d’urgence écologique. Et si la réponse à cet état d’urgence était la Décroissance ? Ce mot « Décroissance » suscite beaucoup d’effroi chez les novices. Certains ont pris l’habitude de développer un argumentaire d’opposition considérant que puisque le mot est absurde, nul besoin de s’intéresser aux idées qu’il contient. Ce terme « décroissance » est-il pertinent ? Puisqu’il faut prendre parti, je rejoins ceux qui l’envisagent comme un slogan provocateur qui suscite les passions, plutôt qu’un mot-écran qui empêche le débat. Véritable « mot-obus », « poil à gratter idéologique », il affirme un projet politique à part entière, un mouvement politique. Il s’agit concrètement de s’opposer frontalement au culte de la Croissance et à la religion de l’économie. Il s’agit « de ne pas revenir en arrière vers un pseudo paradis perdu, il s’agit de collectivement bifurquer »2 , de faire un “pas de côté”. Mais comment ?

Décoloniser les imaginaires, changer de logiciel

         Pour les décroissants, le dogme du tout-croissance est à l’origine de la crise multi-dimensionnelle qui nous atteint. Cette crise écologique englobe ainsi un effondrement environnemental (dérèglement climatique, crise de la biodiversité, exploitation des ressources, altération des milieux), une crise sociale (montée des inégalités, crise de la dette et du système financier), une crise politique et démocratique (désaffection et dérive de la démocratie) ainsi qu’une crise atteignant la personne humaine (perte de sens, délitement des liens sociaux). Entrer en décroissance serait donc prendre conscience des ramifications de cette crise écologique et de ses conséquences. C’est opérer une « décolonisation de nos imaginaires » qui aboutirait à la remise en cause du système capitaliste, financier et techno-scientiste. Entrer en décroissance c’est changer de logiciel, se défaire de nos référentiels poussiéreux. La décroissance réside ainsi dans l’élaboration d’un projet politique profondément optimiste : celui d’une vie humaine indissociable de la préservation des écosystèmes. C’est reconnaître une valeur intrinsèque à la nature, lutter contre toute glorification anthropocentriste. A ce titre, notre développement passerait par un réencastrement du social et de l’économie dans une vision écologique globale. La seule voie plausible résiderait ainsi dans la définition de besoins sociaux cohérents avec les limites de la planète, une « auto-limitation » collective au sens de Gorz. La tâche n’est point aisée, rétorquerez-vous. Une première pierre ne serait-elle pas celle d’une profonde transformation de notre système économique et démocratique ? En d’autres termes, prôner une « relocalisation ouverte », une décentralisation radicale qui ancre la dynamique sociale et environnementale au cœur des territoires. La décroissance nous permettrait ainsi de donner un cade conceptuel cohérent à toutes les initiatives de transition. Transports collectifs ou doux (vélo, marche à pied), réorganisation du système alimentaire (permaculture, réduction de l’alimentation carnée). Mais aussi redéfinition de nos besoins énergétiques et abandon des énergies fossiles, monnaies locales, biens communs, etc. En somme, mettre en branle une évolution de nos modes de consommation et de production qui s’inscrirait dans une démondialisation maîtrisée et voulue, une réorganisation à toutes les échelles de notre schéma sociétal.

Quelle transition ? Une responsabilité collective

         Nombre de politiques déclarent aujourd’hui ne plus compter sur la croissance. J’ose espérer que cette apparente prise de conscience ne soit pas pure stratégie électorale. De Benoît Hamon à Yannick Jadot en passant par Jean-Luc Mélenchon, des propositions émergent.3 Mais gare aux leurres ! La décroissance est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de renverser la table, de construire un nouveau projet. La transition ne peut être qu’écologique, mais tout investissement écologique n’est pas forcément une transition radicale. Ainsi, force est de constater que consommation d’énergie et hausse du PIB sont encore étroitement corrélées à l’échelle mondiale. Ainsi, comme le souligne Fabrice Flipo, « la forte croissance du secteur des énergies renouvelables pourrait bien n’être à ce titre qu’une fausse bonne nouvelle. Cela tient à ce que certains appellent le « cannibalisme énergétique ». La fabrication de renouvelables nécessite de l’énergie. Au-delà d’un certain taux de croissance de ces technologies, celles-ci en consomment plus qu’elles n’en produisent. Dans ces conditions, le déploiement des renouvelables tend donc à entraîner une augmentation de la production de gaz à effet de serre. » 4 En d’autres termes, un virage technologique ne résout pas la question de la surconsommation. La question qui se pose réellement est de savoir comment subvenir à nos besoins sans utiliser davantage de ressources. Cette réponse passe obligatoirement par une réflexion et une redéfinition collectives de notre projet de société. Cet exemple est à l’image de la logique décroissante. Il convient de s’éloigner d’une simple logique de « destruction créatrice » schumpéterienne qui n’est qu’une supplantation linéaire des technologies : du milliard de voitures diesel au milliard de voitures électriques, quel changement ? Il s’agit en conscience de faire un pas de côté, d’envisager la croissance de l’être par la décroissance de l’avoir. En temps d’élections présidentielles et législatives, il revient à chacun de bien peser le poids de ces mots.

        Loin d’être une vision pessimiste, terne et dépassée du monde, la décroissance s’oppose à tout conservatisme aveugle d’un système cancéreux et cancérigène. La décroissance comme mouvement politique et projet sociétal est une écologie politique radicale. Écologique car elle envisage les symptômes et les solutions comme interdépendantes. Politique car elle propose de refonder les bases d’un nouveau monde, de bâtir des référentiels neufs avec enthousiasme. Radicale car nul ne saurait l’accuser de petits arrangements avec le Capitalisme. « Le monde n’est pas complètement asservi. Nous ne sommes pas encore vaincus. Il reste un intervalle, et, depuis cet intervalle, tout est possible. » 5 Que vous souhaiter de mieux pour 2017 que d’entrer en décroissance ? Quel meilleur vœux que celui de refuser toute résignation face à l’état d’urgence ?

Crédit photo : ©kamiel79. L’image est libre de droit. 

1La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

2Paul Ariès, La décroissance, un mot-obus, La Décroissance, n°26, avril 2005

3Manon Drv, Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne, 19 décembre 2016, LVSL.

4Fabrice Flipo, l’urgence de la décroissance, Le Monde, 9 décembre 2015.

5Yannick Haenel, Les renards pâles, 2013.

Mais qu’est-ce donc que la décroissance ?

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Théorie d’illuminés ? Proposition de retour à l’âge de pierre ? Réaction antimoderne de hippies ? La décroissance n’est pas encore débarrassée des clichés. Ce concept, qui ne cesse de gagner en popularité à l’heure d’une longue stagnation économique, mérite un éclairage digne de ce nom.

Un concept relativement moderne

 

Bien qu’en germe dans l’esprit d’un certain nombre d’auteurs critiques de la révolution industrielle du XIXème siècle – Murray Bookchin, Pierre Kropotkine, Léon Tolstoï, entre autres -, le concept de décroissance ne s’enracine dans l’espace intellectuel qu’au tournant des années 1970. En effet, c’est en 1970 qu’est publié le rapport Meadows du club de Rome. Celui-ci affirme que l’humanité serait sur une trajectoire d’utilisation des ressources naturelles totalement insoutenable, et bénéficie d’une forte exposition médiatique. Il s’agit d’une première étape dans la constitution de l’écologie politique moderne. Il faut dire néanmoins que certains auteurs s’étaient déjà penchés sur le sujet et jouent aujourd’hui les parents idéologiques du mouvement décroissant. C’est ainsi que le philosophe Jacques Ellul, par sa critique du règne de la technique a inspiré les décroissants. Ou, dans un domaine plus politique, André Gorz, qui a théorisé l’écosocialisme. On pourrait ajouter à ces deux références importantes Cornelius Castoriadis, qui a fortement influencé les décroissants en ce qui concerne le localisme et leur vision de la démocratie.

L’actuel fer de lance de la décroissance est l’économiste Serge Latouche dont les longues vidéos sur le sujet sont disponibles sur Youtube pour quiconque veut en savoir plus. Si l’on devait trouver une formule pout résumer le point de départ de la décroissance on tomberait aisément d’accord sur la suivante « La croissance ne peut être infinie dans un monde fini ». Et, précisément, nous serions arrivés à ce stade du développement quantitatif de la production et de la consommation qui met en danger notre monde fini. Il faudrait, en conséquence, rompre avec notre société consumériste pour aller vers une « société de décroissance ».

Une nouvelle utopie ?

 

Contrairement aux idées reçues, le passage à une société de décroissance n’entrainerait pas nécessairement un recul du PIB – une récession – mais exigerait que nous acceptions la réduction purement quantitative de la production et de la consommation tout en préservant la dimension qualitative de nos modes de vie, afin de nous libérer des nuisances du productivisme : pollution, dégradation de l’alimentation, etc. Et c’est là ou cela devient plus compliqué, car il faut alors s’accorder sur les « besoins essentiels » et il n’est pas aisé de les définir dans nos sociétés hyperconnectées. Du point de vue des théoriciens de la décroissance, cela appelle une forme de révolution éthico-politique où les individus accepteraient une forme d’ascétisme écologique. Mais est-ce possible de demander à des pays qui s’industrialisent de faire leur révolution éthique alors que les pays du Nord usent largement des ressources naturelles depuis plusieurs générations ?

La décroissance et le changement global

 

On objectera aisément à la problématique décroissante le fait que l’épuisement des ressources naturelles est un problème d’ordre global. Il faut néanmoins reconnaître que cette dimension a été prise en compte sous la forme de ce qu’on pourrait appeler un « internationalisme décroissant ». En effet, les pays du Nord se doivent d’être solidaires vis à vis des pays du sud et il faudrait donc qu’ils acceptent une réduction plus importante de l’utilisation des ressources – de l’ordre de 70% de ce qu’ils utilisent – que les pays du sud qui ont un droit à s’industrialiser. Par ailleurs, la décroissance implique un retour au local, afin de diminuer le « grand déménagement du monde », c’est pourquoi le projet décroissant s’inscrit dans une perspective protectionniste qui favorise la démocratie locale.

Dans l’esprit des théoriciens de la décroissance, il faut partir d’initiatives locales pour arriver ensuite à l’échelon national et enfin au global. On peut néanmoins douter de la possibilité d’une telle montée en généralité du fait des intérêts divergents profonds qui animent les États, et de la lutte d’ores et déjà engagée pour le contrôle des futures ressources clés de la planète. Il suffit, pour s’en convaincre, de s’intéresser au nombre de conflits liés à l’eau – par exemple entre l’Egypte et le Soudan, entre la Syrie et l’Irak, etc.

Un néo-malthusianisme pessimiste ?

 

Nombre de critiques de la décroissance convergent vers l’idée qu’il s’agirait d’un concept proche du malthusianisme (c’est-à-dire prônant la diminution de la population et dans le cas présent, de l’impact des activités humaines) et qu’il repose sur des hypothèses fondamentalement pessimistes. De l’aveu même des partisans de la décroissance, le progrès technique censé permettre l’augmentation de « l’éco-efficience » – l’efficacité technique de l’utilisation des ressources – est vu comme insuffisant. C’est une des lignes de démarcation importantes avec les théoriciens du développement durable pour lesquels les signaux-prix qui résultent de la raréfaction des ressources sont censés permettre des investissements écologiques qui conduiront à une innovation suffisante pour gagner en éco-efficience. Concrètement, il s’agit de dire que si le pétrole devient trop cher, l’humanité se mettra à innover suffisamment dans les énergies renouvelables pour qu’il n’y ait pas de problème fondamental de développement durable. On voit ici que le marché est censé fournir les « signaux-prix » adéquats alors que la problématique écologique contient un certain nombre d’irréversibilités qu’il n’est pas possible de refléter dans les signaux-prix. Le débat est en tout cas ouvert entre optimistes et pessimistes.

On peut se demander en tout cas si le défaut du concept de décroissance n’est pas, tout simplement, son nom. Car qui veut d’un avenir où on lui promet de décroître ? Aucun homme politique ne s’est jamais fait élire sur un programme qui promet la régression matérielle. Il y a là un réel défi politique pour les adeptes de la décroissance.

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Interview de Mr Mondialisation

On a parlé de mondialisation, de Notre-Dame-des-Landes, de souveraineté, d’engagement politique, des médias dominants et de Donald Trump aussi, avec Mr Mondialisation. Interview à découvrir…

LVSL – Le moins que l’on puisse dire est que vous êtes devenu un média alternatif influent. Vous avez plus d’un million d’abonnés sur Facebook, ce qui vous place devant Libération, par exemple, et fait de vous un concurrent sérieux de la presse mainstream. Comme celui d’autres médis alternatifs, votre succès pose la question du devenir de la presse mainstream, à qui les citoyens font de moins en moins confiance. Le système médiatique traditionnel (c’est-à-dire la presse écrite et financée par de puissants intérêts économiques) a-t-il fait son temps ?

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Mr Mondialisation – Si on regarde l’histoire des médias, on constate que la presse a toujours été en évolution constante mais sur de plus longues périodes. Tout comme l’industrialisation s’est « accaparée » l’outil du travailleur, une poignée de médias ont également gagné peu à peu le contrôle de l’outil de publication des journalistes (le vrai travailleur). Avec Internet, l’outil est rendu aux mains du journaliste qui peut choisir de s’exprimer sans passer par le prisme d’une grande entreprise d’information. C’est exactement le phénomène que nous observons. Le système médiatique traditionnel n’est pas encore révolu, mais il va devoir coexister avec des « maquis » journalistiques libres qui peuvent gagner autant de visibilité qu’ils en ont aujourd’hui. La grande question reste de savoir comment ces journalistes peuvent vivre dans leur activité car aucune aide ne leur est offerte, le système ayant deux décennies de retard sur la réalité.

LVSL – Vous avez commencé votre activité de blogueur en 2004. Depuis douze ans, la question écologique a gagné en importance au sein des discours politiques ; cette année, les grandes puissances se sont réunies à Paris pour signer les accords de la Cop 21 sur le réchauffement climatique. Pensez-vous qu’elle témoigne d’une prise de conscience de l’urgence de la question écologique ? Depuis 2004, constatez-vous plus largement une évolution positive dans la manière dont le monde politique considère la question écologique ?

mr-mondisaltion-billetsMr Mondialisation Je n’ai malheureusement pas le sentiment d’une véritable prise de
conscience du drame écologique dans les discours politiques des partis dominants. La COP21 fut présentée comme un événement historique qui changerait tout. Les précédentes COP également. Dans les faits, toutes les structures de la société continuent de porter la Croissance des productions comme étant le seul objectif louable, et cette « croyance » commune se reporte dans les discours politiques : compétitivité, emplois, développement… Ainsi, quand j’écoute un Fillon, une Le Pen ou un Macron, leur aveuglement (ou cynisme) me frappe. Tous, ou presque, se persuadent qu’ils vont régler nos problèmes environnementaux en conservant le modèle qui en est à la source. Certes, on peut admettre que la question écologique prend une plus grande place dans les discours qu’il y a dix ans, mais surtout sur la forme, et rarement le fond. Et pourtant, voilà déjà trop longtemps que nous n’avons plus le luxe d’attendre.

mr-m-iiiLVSL – On distingue d’ordinaire deux approches de la question écologique : une approche individuelle, selon laquelle chaque citoyen peut, par ses choix individuels (en réduisant sa consommation, en la modifiant…) protéger la planète des menaces qu’elle encourt ; et une approche politique, selon laquelle c’est le changement des structures institutionnelles (politiques et économiques) qui permettra de mettre fin au saccage de la planète. Privilégiez-vous l’une de ces deux approches par rapport à l’autre ?

Mr Mondialisation – Je n’ai jamais aimé les positionnements extrêmes, tout noir ou tout blanc. Je crois sincèrement que ces deux composantes sont complémentaires et qu’il serait impossible d’articuler l’une sans l’autre. Je m’explique : un changement de structure à un niveau politique n’est possible que si une large portion de la population change de comportement de consommation et accepte donc des réformes qui seraient jugées contraignantes par les consommateurs lambdas avides de produits industriels low-cost. Il ne peut y avoir de changement structurel sans une population politiquement engagée. Et par politique, j’entends une véritable citoyenneté « dans la cité » qui s’inscrit autant à travers l’idée que les actions du quotidien. Nous avons été bercés à l’idée qu’il existait un fossé entre politique, institutions et le peuple. C’est ce fossé qu’il faut combler, notamment à travers des outils beaucoup plus démocratiques qu’aujourd’hui. 

Par opposition, les possibilités d’action sur le terrain sont nécessairement limitées par les réglementations qui sont aussi l’effet de la volonté collective. En matière d’urbanisme par exemple, les règles sont très contraignantes pour ceux qui aspirent à l’habitat alternatif. On comprend donc que les approches individuelles et collectives sont imbriquées et ne peuvent être séparées. Les discours clivants qui cherchent à opposer ces deux univers viennent ainsi ralentir le processus démocratique et les possibilités de transition.

LVSL – Vous vous revendiquez volontiers “apartisan”. Cela veut-il dire que vous jugez les partis politiques insuffisants pour régler la question écologique, ou tout simplement incapables et dépassés ?

Mr Mondialisation – Je me revendique « apartisan » et non pas apolitique, c’est à dire que je suis libre de tout mouvement partisan au sens des partis politiques d’un pays déterminé. Et pour cause, Mr Mondialisation touche de nombreux pays francophones. Même si nous avons des idées politiques clairement identifiables, nous voulons garder notre indépendance vis à vis du jeu politicien pour nous focaliser sur les actes et les idées. Ceci ne nous empêchera donc pas de critiquer vivement une figure ou même de suggérer un débat sur une autre figure politique qui partagerait certaines de nos idées.

LVSL – Face aux aspects néfastes de la mondialisation (ultralibéralisme, pollution), deux solutions se profilent ; la première passe par une transformation de la mondialisation ; la seconde prône la reconquête des souverainetés nationales face aux structures supranationales qui propagent la mondialisation (FMI, OMC, Union Européenne…). Vous avez plusieurs fois suggéré votre préférence pour la première option ; la seconde option est-elle pour autant en contradiction avec les valeurs de citoyenneté mondiale et du “penser global, agir local” que vous prônez ?

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Mr Mondialisation – C’est un sujet délicat car les mouvements nationalistes entretiennent volontairement une vision manichéenne radicale du monde pour justifier leur position. Allons dans le concret. Qu’est-ce qui permet à une multinationale d’aller exploiter un travailleur chinois, dans des conditions environnementales dramatiques, pour trois fois rien à l’autre bout du monde pour revendre le fruit de cet esclavagisme moderne au français moyen ? C’est précisément le fait que les réglementations sociales et environnementales sont plus souples en Chine, donc le fruit de leur souveraineté politique, qui permet cette exploitation. Quand certains parlent de fermer les frontières et de cristalliser les différences, ils accentuent au contraire ces hétérogénéités qui font le profit des multinationales. Cette mondialisation n’en est donc pas vraiment une : les gens ne peuvent pas circuler où ils le souhaitent, ils ne bénéficient pas du même salaire, ni des mêmes droits, ni des mêmes protections. La seule mondialisation que le « système » autorise, c’est celle du déplacement des capitaux. Le reste, nos différences légales, permettent l’exploitation des peuples. Ce monde a besoin de solidarité entre les peuples, pas de davantage de division. C’était le sens premier de « l’internationale ». Offrir à chaque humain une chance de vivre dignement où qu’il se trouve. C’est donc un faux débat que de vouloir maintenir ses différences en voguant sur les peurs et les frustrations économiques.

Cependant, si les structures supranationales font le jeu de ces différences pour alimenter le dogme de la Croissance et de l’économie triomphante, il semble évident qu’une volonté de s’en affranchir soit légitime. Alors, comment « le français » peut-il lutter contre l’exploitation d’autres peuples par leurs gouvernements ? Au niveau local, c’est réapprendre à consommer de manière éthique en s’assurant que le producteur/travailleur soit respecté, où qu’il se trouve. À un niveau politique, c’est envisager une forme de protectionnisme solidaire qui pénalise économiquement une importation qui soit socialement et écologiquement insoutenable sur une base rationnelle. Ainsi, pourquoi un petit producteur indépendant de cacao bio respectant une éthique sociale (bons salaires, droits,..) devrait-il être traité de la même manière qu’un géant de l’industrie du cacao exploitant des enfants et responsable de la déforestation ? Si nous étions sur un marché de village, qui voudrait tolérer des producteurs ayant du sang sur les mains à venir vendre sa marchandise moins chère ? Alors pourquoi est-ce si facile de fermer les yeux à l’échelle globale ? En pénalisant ceux qui ne respectent pas les règles des droits de l’Homme et des droits de la Terre, on offre le marché à ceux qui « produisent bien », autant en local qu’ailleurs, et on le ferme à ceux qui refusent de s’adapter. Mais c’est une position nuancée, sans doute complexe à mettre en oeuvre, qui demande du courage politique et surtout une analyse rationnelle des situations, sans possibilité de lobbying.

 

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LVSL – Une étude publiée par l’université de Stanford affirme qu’il est possible de bâtir une économie basée à 100% sur l’énergie renouvelable d’ici cinquante ans. C’est loin d’être la seule. Pourtant, la majorité des partis politiques ne font pas de la transition vers l’énergie renouvelable leur priorité. Quelle en est l’explication d’après vous ?

Mr Mondialisation – L’étude de l’université de Stanford n’est effectivement pas la seule à le démontrer. Oui, les énergies renouvelables sont l’avenir aujourd’hui autant pour des raisons élémentaires d’environnement que d’économie, celles-ci étant chaque année plus abordables et donc compétitives. C’est donc paradoxalement l’appât du gain qui aujourd’hui permet l’évolution de ces énergies. Mais c’est aussi ce même appât du gain qui restreint leur avancée ! Je m’explique. En matière d’énergie, l’argent n’a pas d’odeur. Si dans le domaine du renouvelable on trouve beaucoup d’outsider et de petites structures, les acteurs des énergies fossiles sont des mastodontes bien difficiles à faire bouger. Ils ont un pouvoir de lobbying impressionnant, ils étaient à la COP21 et seront aux prochaines pour négocier avec les gouvernements, ils ont des capitaux colossaux et continuent d’investir dans de nouvelles formes d’extraction du pétrole ou d’autres sources fossiles. Pire, l’industrie fossile continue de recevoir des aides d’Etat colossales (directes ou indirectes). L’ensemble de notre civilisation moderne axée sur l’hyper-consommation repose sur une énergie bon marché et facilement transportable. Il existe ainsi énormément de facteurs qui expliquent pourquoi la transition est lente et difficile. Des événements locaux comme l’opposition citoyenne à un nouvel aéroport, où encore contre la construction d’un oléoduc géant aux Etats-Unis, montre comment, sur le terrain, des gens conscientisés souhaitent la transition dès aujourd’hui. Mais les pouvoirs prennent la défense de la libre entreprise et de la propriété privée des grands détenteurs de capitaux pour justifier et protéger ces projets d’un autre âge.

LVSL – La justice française vient d’autoriser les travaux à continuer sur le site de Notre-Dame des Landes. Que pensez-vous de cette décision?

Mr Mondialisation – Comme je le suggère plus haut, les institutions baignent en plein délirium. La notion de bien être collectif, toute forme de raison environnementale, sont éludées du débat au profit de décisions quasi-mécaniques et froides. Nous vivons le règne du capital à court terme et de la liberté de l’utiliser, même si cette utilisation met en péril la survie des générations futures. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un outil institutionnalisé (et légal) pour mesurer rationnellement l’impact d’une décision de ce type sur la collectivité. Bref, une vision d’avenir bâtie sur des faits.

LVSL – Un commentaire sur l’élection récente de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amérique ?

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Mr Mondialisation – Est-ce bien nécessaire ? Ce délirium dont nous parlions est autant symbolisé par l’élection de Trump qu’il ne l’aurait été par celle de Clinton. L’un comme l’autre ont une vision commune en matière d’emploi ou de nécessité économique. C’est encore plus pesant aux USA où l’idée de liberté de faire du business est inscrite dans leurs veines. Il n’y a rien à espérer de cette élection. Les candidats avec un réel potentiel de changement ont été éludés du débat et des médias depuis longtemps et la plupart des citoyens n’ont même pas idée de leur existence. Je crains que la France ne fasse bientôt face à la même expérience. Seront placés sous les yeux des électeurs deux principaux candidats jugés « satisfaisants » pour l’intérêt de l’establishment et non celui des français. Je crois que nous arrivons à un point où chacun comprend que c’est la structure même de la démocratie qui doit évoluer aujourd’hui, depuis la manière dont on vote à la représentativité des élus ou encore le poids des lobbies dans le processus démocratique. Les outsiders qui questionnent ces institutions devraient avoir toute notre attention.